Parfois tu prends des décisions que tu ne comprends pas toi-même. Chaque année lors des festivités de la Saint-Patrick à Brisbane, même si tu as de l’affection pour tout ce qui se passe en ville, les foules ont la fâcheuse habitude de stimuler ton anxiété et pas dans le bon sens. Alors en général, à moins d’être accompagnée de personnes dont la compagnie te permet de garder la tête hors de l’eau, tu restes loin des événements attirant beaucoup trop de monde. Il t’est quand même arrivé d’observer toute cette joie programmée de plus loin, mais tu t’es rapidement rendue compte que ce n’était pas aussi satisfaisant que tu aurais pu penser. Mais l’année dernière, tu as enfin trouvé l’événement du festival qui te faisait vibrer : l’illumination du Story Bridge en camaïeu de vert. Même si pas mal de citoyens l’apprécient autant que toi, il est plutôt facile de se trouver une place dans un parc de la ville et d’observer ce spectacle qui t’arrache toujours un sourire. L’ambiance y est aussi calme que conviviale : même les plus bavards prennent la peine de faire une pause dans leur conversation pour regarder le beau vert décorer le fameux pont. Bref, c’est un moment magique à ne pas rater !
Evidemment, pas besoin d’énormément d’efforts pour te convaincre de te mettre sur ton trente-et-un pour l’occasion, même en considérant que tu as prévu de t’y rendre seule. De toute façon, tu ne t’es jamais faite belle pour quelqu’un d’autre que toi-même… enfin, c’est ce que tu aimes à penser. En vérité, où que tu ailles, tu te nourris de chaque regard posé sur toi et ton accoutrement. Peu t’importe d’être la cible d’admiration, de dégoût ou de surprise : tant que tu es la cible. Bien sûr, tu es encore loin de pouvoir verbaliser cette recherche de l’attention d’autrui qui t’anime. Le point positif c’est que tu ne peux qu’évoluer, n’est-ce pas ? Pour l’instant, tu ne fais que sourire à ton reflet qui te renvoie l’image élégante de ton costume vert évidemment complètement adapté au festival irlandais. Même si tu as acheté cette tenue spécifiquement pour l’occasion, tu te garderas bien de le dire. Tu préfères laisser penser à autrui que tu as ceci dans ta garde-robe depuis bien longtemps, voyons…
Les pensées se multiplient dans ta tête alors que tu as trouvé le spot qui te convient parfaitement, un peu à l’écart des groupes d’amis et des couples assis dans l’herbe. Loin d’avoir envie de t’asseoir pour l’instant, tu te tiens bien droite, le regard vers l’horizon. L’illumination n’est prévue que dans plusieurs longues minutes alors tu profites du temps qu’il reste pour fermer les yeux, afficher un léger sourire presque invisible et sentir le vent balayer ton visage et tes cheveux que tu aimes laisser se faire coiffer par les diverses intempéries. Tu avais oublié à quel point ce moment était apaisant pour toi. Loin de faire taire les voix dans ta tête comme peuvent l’accomplir certaines substances, l’illumination du Story Bridge te convainc temporairement que tu es plus forte que n’importe quelle pensée parasite, parce que les pensées sont si dérisoires comparées à un paysage sublime, quel qu’il soit. Parfois il faut savoir sortir de sa propre tête et prendre du recul : nothing matters.
Aucune surprise n’est programmée ce soir, n’est-ce pas ?
It's always around me, all this noise, but not nearly as loud as the voice saying "Let it happen, just let it happen". All this running around trying to cover my shadow, A notion growing inside, now all the others seem shallow. I will not vanish and you will not scare me, tryna get through it, try to bounce to it.
Quand l’un de ses collègues lui a parlé de ce festival irlandais installé en ville, au départ, Carl n’y a pas cru. Ce n’est pas le genre d’événement que le garçon aurait un jour pensé voir à Brisbane et pour cause, son Irlande natale lui semble bien trop loin pour que la tradition de la Saint-Patrick se téléporte jusqu’à lui mais quelques clics auront suffi à confirmer l’improbable pour que très vite, le rendez-vous soit de son côté déjà pris. Carl ne pouvait assurément pas rater l’occasion de renouer avec ses racines ni manquer d’en avertir son frère resté au pays car bien sûr, prendre part à ce festival sans y emmener un petit bout de son cadet n’aurait pas été envisageable. Son téléphone tendu devant lui et l’appel vidéo enclenché, il n’a au moins pas l’impression d’avancer seul à travers cette parade où ont présentement lieu diverses constructions de chars. « Regarde Keefe ! Tout le monde porte un petit trèfle sur sa tenue et j’ai vu beaucoup de chapeaux de leprechaun comme le mien, c’est presque comme à la maison. » Mais ce n’est pas la maison, ça ne le sera jamais et ces festivités lui rappellent aussi que ce pays ne sera jamais vraiment le sien. Carl apprécie sa vie australienne quand bien même cette dernière n’a jamais manqué d’être difficile, il aime encore plus celles et ceux qu’il y a rencontré mais l’appel de l’Irlande pourrait difficilement ne pas se faire ressentir lorsque celle-ci vient elle-même jusqu’à lui. Il n’aurait aucune raison de partir pourtant, c’est ce qu’il se répète pour que ses attaches dans cette ville restent malgré tout les plus fortes mais Carl se ment certainement à lui-même quand il prétend que sa vie à Brisbane lui convient comme elle est. Ce n’est pas ce qu’en disent les derniers mois écoulés et cette impression constante de n’exister qu’à moitié, comme s’il pouvait se permettre de s’évaporer un beau jour sans inquiéter qui que ce soit. En Irlande, pourtant, la vie n’était pas plus douce. Ses pires années c’est même à Carrick que le garçon les a connues alors dans le fond, n’a-t-il pas devant lui un bon moyen de retrouver ses racines sans remettre pour autant les pieds là où rien de très bon ne l’attend ? C’est une façon comme une autre de voir les choses, un poil trop optimiste sans doute pour celui qui verra éternellement le verre à moitié vide. Alors à la question « tu rentres quand à la maison ? » que son frère ne manque encore pas de lui poser ce jour-là sa réponse demeure toujours la même : il n'en sait rien.
Carl se jure de revenir voir la parade un peu plus tard au même titre que ce concours de chars autour duquel de nombreuses mains s’activent car dans l’immédiat, c’est au niveau du pont que ses pieds décident de le mener. Une illumination doit avoir lieu d’ici quelques minutes et le bonhomme ne voudrait pas louper ça, ce n’est après tout pas tous les jours que le Story Bridge a l’occasion de se parer de vert et Carl peut déjà dire que le spectacle en vaudra le détour, prêt en ce qui le concerne à l’immortaliser avec l’appareil photo que Lily lui a offert pour son anniversaire. Son objectif navigue d’ailleurs déjà tout autour de lui à la recherche de moments à saisir, c’est bien la première fois que cette ville lui apparaît sous de telles couleurs et pour son frère autant que pour lui, Carl a à cœur d’en garder de précieux souvenirs. Les clichés s’enchaînent sans pour autant se ressembler pendant que la foule vient peu à peu s’agglutiner, offrant au garçon de nombreux visages à capturer avant de réaliser qu’ils ne lui sont pas tous étrangers. Il en repère justement un lorsque ce dernier apparaît dans son viseur et fait aussitôt le lien avec l’une de ses collègues, la seule avec laquelle Carl ait réellement échangé depuis son arrivée à l’hôtel. « Oh Enid. » il souffle d’un air confus alors que celle-ci ne se trouve qu’à un petit mètre devant lui, supposant qu’elle pourra peut-être l’entendre. C’est alors un sourire timide que Carl lui adresse pendant que ses pas s’alignent dans sa direction, non sans une certaine hésitation. « Salut. » Il serait presque tenté de retirer son chapeau pour ne pas avoir l’air ridicule et pourtant il ne risque pas de paraître plus excentrique qu’un autre à cet instant au vu de l’événement – pour une fois qu’il ne ferait pas trop tâche quelque part. « Je t’aurais presque pas reconnue sans ton uniforme. » Au contraire, Enid est bien assez mémorable à ses yeux pour exister en dehors d’un uniforme d’hôtel et un sourire le trahit bien vite avant qu’un rire nerveux ne s’en mêle. « Je plaisante, hein ! T’es pas si différente de quand on se voit à l’Emerald. » Sa tentative d’humour est à coup sûr aussi bancale que lui mais Carl n’étonnera pas grand monde en se comportant comme un véritable emporté, pas fichu d’amorcer un échange sans que ce dernier ne soit gênant alors qu’il pourrait simplement avouer que la voir ici lui fait plaisir. « Ça te va bien le vert, je sais pas si on te l’a déjà dit. » Si ce n’est pas le cas alors il sera le premier et cette idée lui plait assez, quand bien même il peut difficilement croire détenir l’exclusivité sur la chose. Son costume lui va bien, elle a même fourni un peu plus d’efforts que lui sur sa tenue et Carl regrette déjà de ne pas avoir poussé la fantaisie jusqu’au bout. Un comble, tout de même, pour l’irlandais qu’il est. « T’es venue voir les illuminations toi aussi ? Oh. Si tu attends quelqu’un je peux te laisser, tu sais. » C’est la crainte qui lui vient tout d’un coup, celle de pouvoir la déranger alors qu’Enid n’a peut-être pas envie de se coltiner le moindre collègue en dehors de son travail. Carl est de toute façon bien incapable de s’imposer où que ce soit, doutant éternellement d’être de bonne compagnie et d’avoir des choses intéressantes à dire dans son insignifiante médiocrité.
Alors que tes yeux fixent déjà le Story Bridge à l'horizon et que ta respiration arrive pour une fois à être particulièrement calme, tes pensées se bousculent comme à leur habitude et tu t'auto-qualifies de bizarre en remarquant que tu peux éprouver autant de plaisir dans une scène bruyante (comme tu peux en rencontrer à l'Electric Playground) que plus posée comme c'est actuellement le cas. Alors que les personnes qui te portent dans leur cœur mettraient cette ambivalence sur le compte de tes excellentes capacités d'adaptation, toi tu te dis que c'est dû à ton absence de personnalité. Du coup, tu commences à déprimer. Il faut dire que tu ne t'aides pas vraiment en étant aussi malveillante avec toi-même... mais il est terriblement compliqué de déconstruire les schémas de pensées qu'on t'a enfoncé dans le crâne à coups de maltraitance et de négligence parentale pendant que tu essayais tant bien que mal de grandir. A cet instant précis, tu pourrais presque te mettre à pleurer. Seulement, ce n'est ni le moment ni l'endroit pour. Des illuminations sont sur le point de t'émerveiller et il est hors de question que tu te mettes à sangloter dans un si beau costume vert !
C'est alors que tu te ressaisis discrètement dans ton coin qu'une voix t'interpelle en te saluant. Ce timbre timide, tu le reconnaitrais entre mille : il appartient à Carl, ce p'tit gars qui a récemment rejoint la team de l'Emerald en tant que valet de chambre. D'aucuns pourraient penser qu'une personne interrompant ta contemplation solitaire aurait eu pour effet de t'agacer, mais sans que tu puisses l'expliquer sur l'instant, ce n'est pas le cas ici. D'une manière ou d'une autre, la rencontre inopinée de ton collègue aujourd'hui te semble plutôt apaisante. Décidément, ceux qui ne croient pas aux énergies passent à côté d'une très grande partie des relations humaines... Le simple fait de poser ton regard sur la frimousse du bonhomme qui est surmontée d'un chapeau en plein dans le thème de la fête irlandaise suffit à te décrocher un petit sourire. Carl engage la discussion en t'informant qu'il ne t'aurait presque pas reconnue sans ton uniforme de travail à l'hôtel, ce qui suffit à faire ressortir la lueur triste tapie au fond de tes yeux. Heureusement, il ne manque pas d'indiquer presque immédiatement qu'il plaisantait plus qu'autre chose et le rire qui accompagne ses paroles ne laisse aucun doute sur son authenticité à tes yeux. « Pas de soucis, on ne se connait pas plus que ça en dehors de l'hôtel. »
Se connaître, voilà bien un concept qui te terrifie. C'est tellement mieux de rester à la frontière de la découverte, des interrogations, du mystère. Parce que tu sais donner le change à la surface. Impressionner avec ton style vestimentaire, les blagues, quelques conversations où tu peux glisser des réflexions intéressantes. Mais une fois passé tout ça, que reste-t-il ? Une fille banale qui ne vaut pas le détour, délinquante à ses heures perdues en addition.
Carl ouvre de nouveau la bouche, cette fois pour parler positivement de ta tenue du jour. Tu ressens instantanément ce mélange perturbant de plaisir et de gêne si caractéristique de la réception d'un compliment, qui ne manque pas de te monter aux joues en les rendant légèrement rouges. « Merci ! Moi je suis fan de ton chapeau. Il va vraiment bien à ta p'tite bouille en plus ! » Est-ce que cela se fait réellement de désigner le visage d'un collègue aussi familièrement ? Tu ne sais pas trop, la formulation t'est venue toute seule et tu l'as laissée sortir telle quelle. Tu ne sais pas non plus pourquoi tu te permets une telle liberté avec ton collègue ici présent, mais on ne peut pas revenir en arrière après tout ! Le jeune homme te demande la raison de ta présence en ces lieux en supposant qu'elle est liée aux illuminations qui vont bientôt se produire puis l'inquiétude gagne son regard à l'idée qu'il soit en train de te déranger alors que tu attends quelqu'un. Ton instinct te dicte de te hâter de le rassurer sur la situation directement après avoir laissé un léger rire s'échapper du seuil de tes lèvres. « C'est pour ça que je suis venue ici oui ! Et je n'attendais personne si tu veux savoir. » La vérité, rien que la vérité. Tu es cependant prise par la peur au fond de toi que tes paroles donnent envie à Carl de te laisser tranquille. « Mais ça me ferait plaisir de regarder les illuminations avec toi. » Une phrase joliment tournée qui a le mérite de sonner moins needy que quelque chose comme Reste, s'il te plait qui représente pourtant beaucoup plus clairement tes pensées. Avoir la réelle envie que Carl passe la soirée à tes côtés te perturbe, toi qui es d'ordinaire si indépendante. Sans parler du fait que vous ne vous connaissez que très peu.
Sans un mot, tu prends place par terre assise en tailleur et dégaines une cigarette du paquet que tu as toujours sur toi. Tu ne tardes pas à l'allumer même si tu ne sais même pas pourquoi tu as décidé de fumer maintenant. Sûrement parce que la nuit commence à tomber sérieusement et que la soirée semble prendre une tournure à laquelle tu ne t'attendais pas. Te sentir déstabilisée n'a jamais été aussi agréable...
It's always around me, all this noise, but not nearly as loud as the voice saying "Let it happen, just let it happen". All this running around trying to cover my shadow, A notion growing inside, now all the others seem shallow. I will not vanish and you will not scare me, tryna get through it, try to bounce to it.
Certaines personnes sont sûrement allergiques au fait de croiser leurs collègues dans ce genre d'évènement car elles estiment les côtoyer bien assez à longueur de semaine, mais Carl n'entre de toute évidence pas dans cette catégorie. Il se fiche bien que son travail le poursuive en dehors des murs de l'Emerald et c'est d'autant plus vrai lorsque l'univers met une jeune femme comme Enid sur sa route en lui donnant l'occasion de la découvrir sous un jour inédit. Sa première approche prouve bien que l'humour n'est définitivement pas sa principale qualité mais derrière la maladresse de ses mots et le fait qu'il se rattrape aussitôt, Carl apprécie de la voir dans d'autres vêtements que leur uniforme guindé. Il ne rend pas justice à grand monde et pourtant Enid est à ses yeux celle qui le porte le mieux, même si c'est bien au naturel que le garçon la préfère. « Pas de soucis, on ne se connait pas plus que ça en dehors de l'hôtel. » Et sans qu'il ne puisse vraiment se l'expliquer, ce rappel pourtant véridique parvient à l'attrister. Oh, c'est sans doute parce qu'il peine encore à trouver sa place dans un hôtel aussi grand que l'Emerald et aimerait y créer des attaches comme au café qui l'employait avant ça, en osant par exemple tisser quelques liens avec ses collègues – et pourquoi pas avec celle portant un costume vert et se trouvant juste devant lui. Ils travaillent au même étage et occupent aussi les mêmes fonctions à l'hôtel, pour autant leurs discussions jusqu'ici se sont faites rares et Carl ne peut pas vraiment prétendre la connaître lui non plus. Le vert est en tout cas sa couleur, le garçon ne manque pas de le souligner et s'il était seulement capable de reconnaître ce genre de signes chez les autres, peut-être remarquerait-il le léger rougissement des joues de son interlocutrice. « Merci ! Moi je suis fan de ton chapeau. Il va vraiment bien à ta p'tite bouille en plus ! » C'est bien la première fois que l'on parle de son visage comme d'une bouille, que Carl aurait pour sa part tendance à trouver parfaitement disgracieuse. Il peine d'ailleurs à croire que ce chapeau lui aille aussi bien qu'Enid peut le dire, n'ayant pourtant aucune raison de remettre sa parole en doute quand elle semble aussi sincère. « Vraiment ? » il demande et réalise l'exploit de ne pas rougir à son tour, quand bien même son cœur s'agite déjà face à ces paroles qu'il ne pensait pas recevoir. Ses doigts triturent alors le bord du fameux chapeau tandis qu'un timide sourire prend place sur ses lèvres. « C'est gentil. Ça me fait juste un peu bizarre de porter ça ici parce que j'avais encore jamais fêté la Saint-Patrick dans ce pays. » Mais il y a une première fois à tout n'est-ce pas, c'est typiquement ce que son jeune frère aurait trouvé à dire en l'encourageant à profiter de tout ça sans lui. Célébrer le saint patron de l'Irlande n'a pourtant rien de très naturel quand ça n'est pas sur sa terre natale, où Carl a le sentiment de ne pas avoir mis les pieds depuis une éternité. « Mais je me sens un peu comme à la maison d'un coup, c'est plutôt chouette. » Plutôt triste aussi sous certains aspects, mais Carl préfère le présenter comme une bonne chose pour ne pas mettre le doigt sur son mal du pays. Il n'est même pas certain qu'Enid connaisse ses origines car il n'a après tout jamais confié d'où il pouvait venir, une interrogation chassée aussitôt par une autre alors qu'il se risque à lui demander si elle compte admirer les illuminations et, surtout, si elle prévoit de le faire seule. « C'est pour ça que je suis venue ici oui ! Et je n'attendais personne si tu veux savoir. » Une réponse qui ne devrait pas le faire bêtement sourire mais qui y parvient malgré tout, comme si Carl venait d'obtenir la garantie qu'il ne pouvait pas déranger. Ce n'est pas exclus pourtant, les gens affectionnant leur solitude existent et Enid est tout à fait en droit d'en faire partie. « Tout pareil. Je suis venu seul parce que je sais pas trop qui aurait voulu m'accompagner, en fait. » Il n'a pas osé le proposer à quiconque, pas même à Maisie qu'une telle idée n'aurait sûrement pas branché en ce moment. C'est tout juste si elle doit mettre le nez dehors depuis leur escapade à la fête foraine et Carl s'est juré de ne rien forcer, refusant d'être ce genre de meilleur ami beaucoup trop pressant. Son aveu peut d'ailleurs laisser supposer qu'il n'est pas très entouré et Enid n'aurait pas franchement tort de le penser. « Mais ça me ferait plaisir de regarder les illuminations avec toi. » Le temps d'un instant Carl se demande s'il n'a pas rêvé ces deux derniers mots car il serait à ses yeux plus logique que sa collègue désire simplement admirer les illuminations. C'est avec lui que le projet a pourtant le mérite d'exister et il ne pourra pas prétendre que l'entendre ne lui fait rien. « À moi aussi tu sais, ça me ferait plaisir. » il souffle tout en bataillant pour que son regard n'entreprenne pas de la fuir comme il peut si facilement le faire lorsqu'une situation le perturbe. Lui aussi se plait à attendre ces illuminations et plus encore s'ils peuvent les contempler à deux, une tournure des choses sur laquelle le garçon n'aurait jamais osé parier quelques minutes plus tôt. Une heureuse surprise surtout, comme Carl en connait habituellement bien peu.
C'est tout naturellement qu'il l'imite ensuite, prenant place à même le sol comme Enid avant lui alors qu'un spectacle éblouissant ne devrait pas tarder à voir le jour devant eux. Carl dégaine son appareil photo dans l'optique d'immortaliser le grand moment, bien décidé à capturer ces illuminations sous tous les angles mais un passage en revue de ses derniers clichés pris le ramène un petit quart d'heure en arrière, plus précisément à son arrivée sur le Story Bridge. « Je- » il débute d'une voix hésitante, cherchant ses mots entre deux regards glissés vers sa collègue à qui il craint presque de faire entendre la suite. « Je t'ai prise en photo tout à l'heure, tu sais, quand je t'ai repérée dans la foule. » Il ne sait pas si Enid a eu l'occasion de s'en rendre compte, la discrétion n'a pour le coup jamais été son fort mais peut-être était-elle occupée à regarder ailleurs pour ne pas voir l'appareil entre ses mains à ce moment-là. C'est en tout cas une vérité que le garçon estime lui devoir car étrangement, il ne tient pas à posséder un cliché auquel sa collègue n'aurait pas consenti – et c’est assez cocasse quand on connaît ses tendances, et les mauvaises habitudes qu’il avait il n’y a encore pas si longtemps. « Si ça te dérange je comprends, t'as vraiment qu'un mot à dire pour que je supprime la photo. » Il peut aussi lui montrer le cliché en question pour qu'elle puisse en juger si elle y tient, se tenant en tout cas prêt à l'effacer à la moindre réaction désapprobatrice que sa collègue pourrait avoir. Mais dans le fond Carl aimerait quand même bien la garder cette photo, une part de lui espère donc qu'elle ne posera pas problème. L'appareil toujours en mains, c'est dans un fin sourire que le garçon reprend. « J'aime bien créer des souvenirs partout où je vais, comme ça après quand je les regarde je me rappelle des bons moments que j'ai passé. » Cet appareil ne le quitte presque jamais et ces souvenirs lui sont très utiles pour se raccrocher à un peu de positif, en se donnant des points d'ancrage dans une vie où Carl a trop souvent l'impression de dériver sans but. Et ce qu'il ne précise pas c'est que leur rencontre dans ce festival constitue déjà l'un de ces bons moments dont il parle, ce qui ne l’empêche pas de remuer doucement la tête l’instant d’après. « C'est.. un peu idiot hein, c'est rien que des photos après tout. » Il hausse finalement les épaules, refusant de se voir comme un artiste et s'autorisant tout juste à considérer la photographie comme une passion. C'en est une, bien sûr, mais Carl ne s'estime pas plus doué dans ce domaine que dans d'autres car il ne sait rien faire de ses dix doigts si on l'écoute, son beau-père le lui a suffisamment répété pour qu'il s’en soit à son tour persuadé. « Pourquoi t'es seule toi ? Je te l'ai pas demandé. » Il n'a surtout pas osé et n'est pas non plus sûr d'en avoir le droit ici, ses raisons ne regardant personne d'autre qu'elle et Carl apparaissant sans doute comme un garçon un peu trop curieux. Il l'est sans l'ombre d'un doute alors que son regard se raccroche déjà au sien, à quelques instants seulement du grand lancement des illuminations.
Peu importe à quel point tu peux te sentir blasée, la vie ne manque jamais de t'impressionner, d'une manière ou d'une autre. Ses interventions sont parfois subtiles, pourtant bien marquées. Tu aimes à penser que le déroulement de cette soirée est un pur exemple de ce phénomène. Quelle était la probabilité que tu croises Carl ici, à cet instant, à la place de n'importe qui d'autre ou même tout simplement personne ? D'un coup tu te remercies intérieurement d'avoir fait l'effort de sortir ce soir pour voir l'illumination du Story Bridge alors que tu étais loin de te douter de ce qui allait se passer. Un chouïa de bienveillance envers soi de temps en temps ne fait pas de mal, n'est-ce pas ? C'est même agréable, d'ailleurs. Mystère et boule de gomme sur le fait que malgré ça, tu restes plus dure avec toi-même que l'inverse : sûrement encore une histoire de zone de confort et d'habitude.
Il se tient à tes côtés et ça te fait plaisir, ce qui est légèrement étonnant quand on considère le fait que tu es parfois très attachée à tes moments de calme et de solitude. Bon, sa manière d'être aide aussi : il est loin d'être agressif dans son comportement et heureusement parce que si tu avais croisé quelqu'un qui agit comme un bulldozer, ta réaction n'aurait sans doute pas été la même. Là, non seulement son énergie est douce mais le mélange avec la tienne crée une ambiance apaisante loin d'être désagréable. Tu t'étais déjà dit à plusieurs reprises que ce serait peut-être une bonne idée de vous retrouver en dehors de l'hôtel pour papoter : résultat, le destin t'a apparemment mâché le travail. De plus, ton collègue semble lui aussi content d'être actuellement en ta compagnie... alors que demande le peuple ? Tu t'es précipitée pour complimenter le chapeau de ton interlocuteur après qu'il ait d'abord complimenté ta tenue, et il semble étonné. Tu ne manques pas de remarquer le léger sourire se dessinant sur ses lèvres que tu reproduis par mimétisme naturel. « C'est gentil. Ça me fait juste un peu bizarre de porter ça ici parce que j'avais encore jamais fêté la Saint-Patrick dans ce pays. » A ces paroles, tes sourcils se froncent par réflexe en te demandant d'où le jeune homme vient pour dire ça. « Mais je me sens un peu comme à la maison d'un coup, c'est plutôt chouette. » Du coup la réponse t'apparait naturellement. « Ah mais oui, tu es irlandais toi ! » Un léger embarras te gagne avec le sentiment de devoir justifier le fait que tu possèdes cet info à son sujet. « Euh... tu me l'as mentionné une fois je crois. » Ou pas. La vérité c'est que tu ne sais pas exactement comment tu te souviens de sa nationalité. Est-ce possible que tu l'aies découvert par toi-même d'une façon ou d'une autre ? Finalement, est-ce important de répondre à cette question ? Pour vu qu'il ne soit pas effrayé par ta faute...
Comme d'habitude, tu t'inquiètes un peu trop. Tout va bien, surtout que tout comme toi, Carl annonce qu'il n'est pas venu accompagné voir l'illumination du Story Bridge, en précisant que d'ailleurs il ne sait pas trop qui aurait pu vouloir être à ses côtés. Sa manière de formuler sa pensée t'attriste légèrement, parce que tu as bien l'impression que la petite tristesse que portent ses mots cache un mal-être plus profond. Puis tu te corriges intérieurement en te faisant remarquer qu'il est mal venu d'émettre un jugement de cette sorte envers un collègue qu'on ne connait que très peu, finalement. Pourtant, tu ne peux t'empêcher de te sentir connectée à lui quelque part, d'une façon ou d'une autre, même si tu ne sais pas trop laquelle. Dans tous les cas, tu es d'autant plus heureuse de pouvoir lui faire savoir que sa compagnie est la bienvenue dans ta bulle. « À moi aussi tu sais, ça me ferait plaisir. » Ainsi, l'accord commun est signé : c'est à deux que vous profiterez du spectacle lumineux. Dans un premier temps, ton sourire s'élargit avant que tu t'installes confortablement sur le sol parmi les différentes herbes garnissant la pelouse de l'endroit. Le jeune homme ne tarde pas à faire de même et vous voilà bien calés dans vos sièges imaginaires. Alors que tu dégaines ta première cigarette de la soirée, c'est un appareil photo que ton collègue saisit. « Je- » Ta confusion se mêle à sa gêne le temps d'un instant, le temps qu'il puisse finir la phrase qu'il vient d'entamer. « Je t'ai prise en photo tout à l'heure, tu sais, quand je t'ai repérée dans la foule. » Il est certain que tu ne t'attendais pas à entendre cette phrase sortir de sa bouche, pour le coup tu es prise de court. « Ah, d'accord ! »
Un coup d'oeil vers la bouille de ton interlocuteur te suffit à comprendre qu'il est mal à l'aise dans cette situation et c'est compréhensible. « Si ça te dérange je comprends, t'as vraiment qu'un mot à dire pour que je supprime la photo. » Comme dit, tu as été surprise parce que tu étais à mille lieues d'imaginer qu'il ait pu prendre un cliché de toi, certes, mais la vérité... c'est que l'idée ne t'est pas déplaisante. Loin de là. « Oh non t'inquiète, y a pas de soucis ! C'est plus flatteur qu'autre chose. » Puis tu ressens le besoin de le rassurer sur son comportement, comme si tu te doutais que cela faisait partie de ses insécurités. « Surtout que tu as choisi de m'en parler au lieu de juste me le cacher, ce qui pourtant aurait été plus simple. Donc vraiment, te fais pas de bile ! » Tu accompagnes tes paroles d'un sourire amical franc. De son côté, Carl semble un peu plus apaisé que quelques instants auparavant. Assez pour reprendre la parole en tout cas. « J'aime bien créer des souvenirs partout où je vais, comme ça après quand je les regarde je me rappelle des bons moments que j'ai passé. » Ce qu'il raconte a beaucoup de sens à tes yeux, à tel point que soudainement tu te sens presque idiote de ne pas avoir, toi aussi, pris des photos de tous les moments importants de ta vie. Seulement pour faire ça il faudrait déjà savoir reconnaître les moments importants sur le moment et non pas uniquement avec le recul, ce qui te parait compliqué. Enfin, sauf aujourd'hui parce qu'il se trouve que quelque chose au fond de toi te dit que cette soirée est spéciale. « C'est... un peu idiot hein, c'est rien que des photos après tout. » Tu sens ton collègue très peu sûr de lui. Injustement. Ce qui te motive à répondre rapidement. « Détrompe-toi, c'est assez génial en fait. Tu as déjà entendu parler du devoir de mémoire ? C'est un peu ça que tu fais, finalement, sauf que c'est pas pour un événement historique, c'est pour ta propre vie. » Tu ne sais pas si ce que tu dis aura du sens aux oreilles de Carl, mais qui ne tente rien n'a rien, pas vrai ? « Moi je trouve ça beau, poétique, et important. » Elle est chouette cette conversation, c'est d'ailleurs ce que tu te dis intérieurement tout en prenant une grande taffe de ta cigarette. Une chose est sûre : l'irlandais n'a pas assez confiance en lui, et c'est bien dommage. Tu ne peux pas lui en vouloir, cela dit. S'il y a bien quelqu'un qui est aussi prisonnière des engrenages de la basse estime de soi et même de l'autodépréciation, c'est toi !
« Pourquoi t'es seule toi ? Je te l'ai pas demandé. » La question arrive un peu comme un cheveu sur la soupe et dans un premier temps tu ne penses qu'à réagir avec humour. « J't'en pose des questions, moi ? » Tentative de blague en laquelle tu crois si peu que tu t'empresses de désamorcer après avoir à peine pris le temps de rigoler à ta connerie. « Ahem, désolée. Euh... je ne sais pas, parce que... ça s'est fait comme ça ? » Tu retiens le réflexe qui voulait te pousser à lui retourner la question parce qu'il te répondrait sûrement qu'à son avis personne n'aurait voulu lui tenir compagnie de toute façon et tu veux éviter d'attrister le jeune homme. « En plus je suis pas seule puisque je suis avec toi ! » Paroles qui servent surtout à dire à Carl que lui n'a pas à se sentir seul puisqu'il est avec toi. Tu espères que d'une manière ou d'une autre il comprendra le message. En attendant tu écrases la fin de ta cigarette dans ton petit cendrier portable et repenses soudainement à ce dont vous parliez il y a déjà quelques phrases. « Hey mais je peux voir la photo d'ailleurs ? » S'il te la montre, deux possibilités existent : soit tu l'adores, soit tu la détestes, et ça ne dépendra que de ce que tu penses de ta silhouette sur le cliché. Parallèlement, mine de rien le temps est passé vite et tu ne t'en rends compte qu'à l'instant même où l'illumination du Story Bridge commence. « Oh oublie on verra ça plus tard, maintenant immortalise ce spectacle ! » Peut-être que plus tard vous regarderez les photos ensemble avec nostalgie, qui sait ?
It's always around me, all this noise, but not nearly as loud as the voice saying "Let it happen, just let it happen". All this running around trying to cover my shadow, A notion growing inside, now all the others seem shallow. I will not vanish and you will not scare me, tryna get through it, try to bounce to it.
Il craint de déranger Carl, comme toujours. Incapable d'imaginer un monde dans lequel il serait le bienvenu quelque part et où sa présence serait aussi appréciable par quelqu'un, quand il semble déjà évident que celle d'Enid l'est pour lui. La Saint-Patrick est bien le dernier événement que le garçon aurait un jour cru célébrer dans cette ville mais le clin d'œil à ses racines ne manque pas de le rendre profondément nostalgique, ainsi qu'un peu trop bavard sans doute. « Ah mais oui, tu es irlandais toi ! » S'il semble aussi surpris à l'entente de ces mots c'est parce qu'il n'imaginait pas forcément qu'Enid puisse posséder ce genre d’information sur lui, n'étant d'ailleurs pas certain de la façon dont elle a pu l'obtenir ni des chances que celle-ci puisse provenir de lui. Oh, Carl a très bien pu laisser échapper de quel pays il était originaire au cours d'une discussion à l'hôtel même s'il ne perçoit pas bien laquelle, ni à quelle occasion il l'aurait fait. « Je- oui, c’est ça. » il approuve dans un léger hochement de tête et le sourire aux lèvres malgré la confusion s'emparant doucement de lui. « Euh... tu me l'as mentionné une fois je crois. » Enid semble soudainement s'inquiéter des questions qui pourraient lui être posées comme s'il était en droit de lui demander des comptes, ce que le garçon n'envisage au contraire pas du tout de faire. Il la croit, peu importe que la mention dont elle parle ne lui dise rien parce qu'il n'a aucune raison de remettre sa parole en doute pour une information aussi futile – elle l'est tout du moins à ses yeux, son côté irlandais n'étant pas une étiquette dont Carl a l'habitude de se vanter dans un pays où il erre encore parfois en véritable extraterrestre. « Oh ? J’en étais pas sûr justement, mais si tu le dis. » Elle le dit alors ce doit être vrai, supposant d'ailleurs que cela se devine aussi à son accent pour celles et ceux prêtant suffisamment l'oreille à ce dernier. Et ce que Carl ne dit pas c'est qu'il aime aussi étrangement penser que sa collègue a pu entreprendre quelques recherches sur lui, conscient que les chances qu'une telle chose arrive sont minimes quand l'inverse est objectivement bien plus plausible, mais ce n'est pas tous les jours que le garçon décèle un semblant d'intérêt dans les yeux de quelqu'un. Enid a retenu ses origines quand tant d'autres auraient laissé l'information se perdre ici ou là alors pour lui, c'est déjà beaucoup.
Il y a encore quelques minutes Carl était au téléphone avec son frère tout en acceptant l'idée de profiter des festivités en tête-à-tête avec lui-même, et le voilà maintenant aux côtés de sa collègue dont la compagnie s'avère aussi inespérée que plaisante pour le grand esseulé qu'il peut être. Ce n'est définitivement pas un endroit où le garçon se serait attendu à croiser celle occupant le même poste que lui à l'hôtel mais l'univers ne lui réserve pour une fois pas une surprise susceptible d'anéantir sa journée et le reste, confiant alors la lourde tâche au garçon de ne pas gâcher lui non plus ce moment avec une maladresse qu’on ne présente plus. Il faudrait presque le vouloir pour rendre un tel instant malaisant mais Carl prouve une fois de plus que ses élans d'honnêteté ne préviennent pas, car c'est une photo prise un peu plus tôt qui l'inquiète subitement au point de ne pas pouvoir la garder pour lui. Il ne saurait pas tellement dire pourquoi son réflexe a été celui-là en la voyant tout à l'heure, ni même pourquoi ce genre d'aveu ne peut pas attendre mais face à lui Enid ne semble en tout cas pas s'offenser de quoi que ce soit. « Oh non t'inquiète, y a pas de soucis ! C'est plus flatteur qu'autre chose. » Non seulement l'idée ne la dérange pas mais elle tend même à lui plaire dans une certaine mesure, valant une expression étonnée au garçon comme s'il ne pouvait pas croire qu'une photo prise par lui puisse être un cadeau pour quiconque. « Ça te dérange vraiment pas, t’es sûre ? » il questionne malgré tout, cherchant dans les yeux de sa collègue une autorisation qu'il détient pourtant déjà. « Surtout que tu as choisi de m'en parler au lieu de juste me le cacher, ce qui pourtant aurait été plus simple. Donc vraiment, te fais pas de bile ! » Il est honnête c'est vrai, et ça n'a pas toujours été le cas par le passé. Se pourrait-il que sa thérapie porte déjà ses fruits ? Carl n'en sait rien pour tout dire, mais il aime entendre que son attitude est la bonne lorsque bonnes, ses intentions le sont indéniablement elles aussi. « Je sais que beaucoup de gens n’aiment pas qu’on les prenne en photo sans leur dire alors ça me soulage, tu sais. » Lui seul sait vraiment ce qu'il craignait en lui cachant l'existence de cette photo, bien content à l'arrivée qu'Enid n'en soit pas le moins du monde contrariée. Ce n'est pourtant qu'une photo comme il le dit ensuite, réduisant son passe-temps favori à presque rien alors que ces souvenirs sont comme des trésors que le bonhomme conserve pour se remémorer les rares bons moments qu'il peut connaître. Idiot, voilà comment Carl se sent en donnant autant d'importance à ces photos car cela fait sûrement de lui un garçon bien trop tourné vers le passé, et cherchant n'importe quel moyen de se rappeler que la vie peut être belle quand tant de choses peuvent l'amener à en douter. « Détrompe-toi, c'est assez génial en fait. » « Génial ? » il relève aussitôt, peinant d'abord à concevoir que ça le soit vraiment car depuis quand ses idées sont-elles assez géniales ? Ce n'est pas ce que l'on dit habituellement de lui mais ici, quelque chose lui donne envie d'y croire pour de vrai. « Tu as déjà entendu parler du devoir de mémoire ? C'est un peu ça que tu fais, finalement, sauf que c'est pas pour un événement historique, c'est pour ta propre vie. » Carl prête la plus grande attention aux paroles de sa collègue alors qu'à bien y réfléchir, cette transmission de souvenirs évoquée ici ne lui est peut-être pas étrangère. « Moi je trouve ça beau, poétique, et important. » Et lui ne peut pas s'empêcher d'en sourire, se risquant même à prendre ces compliments pour lui car important, Carl n'a jusqu'ici jamais eu l'impression de l'être. « C’est plutôt comment t’en parles qui est beau et poétique je trouve, et puis je t’avoue que j’avais encore jamais vu les choses sous cet angle. » Les choses font sens à ses yeux pourtant, cette réflexion en appelle même une autre dans l'esprit du garçon alors que son regard se perd brièvement autour d'eux. « Mais je sais pas.. je crois que je garde aussi ces souvenirs pour mon frère histoire qu’il puisse découvrir ma vie australienne, et peut-être aussi pour.. » Sa voix reste en suspens et Carl s'interdit de livrer ses dernières pensées, bien trop convaincu qu'il aurait l'air ridicule s'il venait à poursuivre. « Personne d’autre en fait, j’ai rien dit. » Il secoue la tête, esquissant un sourire aussi bref que gêné car autant rester réaliste, et éviter de songer à ce qui n'est de toute façon pas près d'arriver.
« J't'en pose des questions, moi ? » Cette interrogation lui revient comme un boomerang en pleine figure après qu'il se soit montré un poil curieux mais Carl croit bien déceler le trait d'humour dans les mots de sa collègue, laissant alors échapper un rire nerveux comme à chaque tentative du genre qu'il peine à saisir du premier coup. « Ahem, désolée. Euh... je ne sais pas, parce que... ça s'est fait comme ça ? » Elle ne devrait pas s'excuser ici et lui, ferait peut-être bien de garder certaines de ses questions pour lui car la raison faisant qu'Enid se retrouve seule aujourd'hui ne le regarde pas, dans le fond. Il s'intéresse Carl, voilà tout et cette réponse qui lui est fournie le satisfait quand bien même il l'enregistre en silence, craignant bien trop d'en rajouter et de se montrer encore plus indiscret. « En plus je suis pas seule puisque je suis avec toi ! » C'est joliment dit, tellement joli que Carl sourit maintenant à l'idée qu'il n'est plus seul lui non plus quand Enid se trouve à ses côtés. Son regard vient timidement se poser sur sa voisine dont il se prend à apprécier doublement la compagnie, souriant plus amplement lorsque ses yeux croisent finalement les siens et hésitant à lui demander une cigarette, pour finalement se raviser. « Hey mais je peux voir la photo d'ailleurs ? » C'est dans son bon droit et le garçon n'y voit quant à lui aucun inconvénient, même s'il n'est pas le plus serein en pensant qu'Enid pourra juger un travail dont il n'a lui-même jamais su évaluer la qualité. « Bien sûr, oui. » Ses mains s'agitent alors autour de l'appareil pour y rechercher la fameuse photo mais il est coupé dans son élan avant même d'apercevoir ledit cliché. « Oh oublie on verra ça plus tard, maintenant immortalise ce spectacle ! » Carl opine du chef avant d'offrir sa pleine attention aux illuminations démarrant sous leurs yeux ébahis, dégainant son objectif pour capturer tout ce qui peut l'être avec toute la précision dont ses yeux et ses doigts sont capables. Les photos s'enchainent et il peut déjà prédire que certaines seront ratées, ce qui le rendrait presque optimiste à partir du moment où Carl n'estime au moins pas qu'elles le seront toutes. « C’est super beau tu trouves pas ? Oh, j’espère vraiment que mes photos rendront bien. » Il l'espère pour le souvenir qu'il en gardera mais aussi pour les likes qu'il obtiendra peut-être en les postant sur sa page instagram dans son éternel besoin de reconnaissance et d’existence, aussi minimes soient-elles. « Regarde, ça c’est la tienne. » il l'informe en parcourant les clichés que son appareil renferme jusqu'à retrouver celui d'Enid, qu'il se prend lui-même à observer durant de longues secondes. La photo est jolie à moins que ce ne soit surtout sa collègue qui l'embellisse, car il doit bien reconnaître qu'on ne voit qu'elle là-dessus. « Hum. Je suis pas encore très familier avec les portraits, mon truc c’est surtout les paysages alors.. je peux sûrement encore m’améliorer. » Il y aspire tout du moins, convaincu que ses portraits laissent encore à désirer car ça ne lui ressemblerait pas de penser le contraire, n'est-ce pas. « Mais toi, tu.. t’es photogénique tu sais, c’est pas donné à tout le monde de l'être. » Carl sait par exemple que lui ne l'est pas du tout et il envie cette disposition naturelle qu'ont certaines personnes à ressortir aussi bien en photo. Alors bien sûr, ce n'est pas seulement son œil de photographe qui parle ici mais le garçon se cache derrière ce qui l'arrange, évitant aussi soigneusement de croiser le regard de sa collègue l'instant suivant. « Enfin je suis sûrement pas le premier à te le dire, c’est juste que ça me frappe quand je regarde la photo. » Et qu'est-ce qui le frappe, au juste ? C'est assez clair dans ses pensées mais ça l'est beaucoup moins quand il s'agit de mettre des mots dessus, ce qu'il ne se risque donc pas à faire. « Je peux te l’envoyer d’ailleurs, si tu veux l'avoir toi aussi. » il propose en permettant finalement une nouvelle rencontre de leurs regards, se gardant bien de préciser que lui en tout cas conservera cette photo précieusement.
Discuter avec autrui ne te dérange pas, au contraire même, ça te ressource la plupart du temps. Seulement, s'il y a bien un moment où tu pourrais disparaitre sous terre et ne jamais remonter à la surface, c'est quand la conversation devient gênante pour une quelconque raison. Certains sont allergiques au pollen, toi tu es allergique à l'embarras, et je pèse mes mots. Tu pourrais donc aisément te lever, trouver une pelle qui traine par là et commencer à creuser ta tombe à partir du moment où tu laisses échapper que tu connais les origines de Carl sans pouvoir te souvenir d'où te vient cette information. Il confirme tes dires et tu sens qu'il s'interroge un peu lui aussi. Alors tu trouves une justification si bancale qu'elle en devient nulle : apparemment, ce serait ton collègue lui-même qui t'aurait appris ça... un jour. « Oh ? J’en étais pas sûr justement, mais si tu le dis. » Ouais, si tu le dis, Enid. C'est que ça doit être vrai n'est-ce pas ? L'air autour de vous est tempéré mais tu as si chaud que tu as l'impression d'avoir mis ta tête dans un four ou qu'un sèche-cheveux te souffle dessus à tu ne sais pas combien de degrés. En tout cas, ça brûle, ça tu en es sûre.
Heureusement que votre discussion bifurque quand le jeune homme mentionne t'avoir pris en photo un peu plus tôt, lorsqu'il t'a aperçue en arrivant sur les lieux. Tu as le réflexe de le rassurer parce qu'il semble inquiet, même si selon toi il y a peu de moments où Carl semble être autre chose... En tout cas tu es parfaitement honnête quand tu lui assures que tu trouves son geste même quelque peu flatteur. Evidemment, c'est un euphémisme : au fond, tu es purement ravie qu'il ait pris ce cliché. Ca nourrit ton ego trop souvent maltraité par l'autodépréciation. « Ça te dérange vraiment pas, t’es sûre ? » Tu te mords l'intérieur des joues pour éviter de répondre sûre, tu peux même en prendre d'autres si tu veux, et optes pour davantage de rassurance en direction de Carl. En même temps, tu comprends son point de vue et si tu avais été à sa place, tu aurais sûrement manifesté les mêmes inquiétudes. « Je sais que beaucoup de gens n’aiment pas qu’on les prenne en photo sans leur dire alors ça me soulage, tu sais. » A cet instant, tu ne peux pas vraiment t'empêcher de pouffer de rire pendant que tu expulses la fumée de ta cigarette. « Ca dépend du contexte aussi ! » Elle est vague, la réponse que tu proposes, mais sincère. Dans ce contexte précis, que ton collègue t'ait pris en photo ne te dérange pas, loin de là. Mais dans un autre, peut-être que ça aurait été le cas. Enfin, pas sûr, dans la mesure où toi tu apprécies qu'on t'accorde de l'attention quel que soit le contexte, même si tu ne te l'avoues pas vraiment.
Tu sens les yeux verdâtres du jeune irlandais pétiller lorsque tu mentionnes que selon toi, ce qu'il fait est plutôt génial. Ce n'est pas difficile de comprendre que le mot le fait tiquer, puisqu'il le répète d'emblée. Comme s'il n'y croyait pas. Comme si c'était impossible qu'un tel mélioratif soit utilisé pour désigner n'importe quelle chose liée à sa personne et ses actions. Sa réaction t'attriste et t'attendrit à la fois, parce que de ton côté, tu ne forces pas le trait. Tes paroles sont authentiques... c'est peut-être même cela qui déstabilise ton collègue autant que ça le touche. « C’est plutôt comment t’en parles qui est beau et poétique je trouve, et puis je t’avoue que j’avais encore jamais vu les choses sous cet angle. » Tu ne t'attendais pas à ce que le compliment te soit retourné, et ce n'était pas ton objectif, mais tu ne peux pas nier que ça te fasse plaisir, avec le fait que tu aies pu lui apporter une perspective différente, fraîche. « Mais je sais pas... je crois que je garde aussi ces souvenirs pour mon frère histoire qu’il puisse découvrir ma vie australienne, et peut-être aussi pour... » Ce début de phrase est vraiment touchant, te fait sourire, et alors que tu attends qu'il la finisse, il n'a pas l'air d'en avoir envie. « Personne d’autre en fait, j’ai rien dit. » Ou peut-être qu'il n'en est pas capable. Pas tout de suite, en tout cas, à en juger par sa communication verbale autant que non-verbale. « C'est pas grave. En tout cas c'est trop mignon comme initiative de ta part. Ton frère a de la chance de t'avoir. »
Là aussi tu aurais pu vouloir mourir de gêne ou de peur d'avoir dit n'importe quoi, mais bizarrement, tu en as moins envie que tout à l'heure. Tu n'es pas indifférente, mais c'est déjà devenu un peu plus facile. Sans que tu t'en rendes vraiment compte, les choses avec Carl deviennent déjà de plus en plus naturelles. Il y a des énergies entre certaines personnes qui circulent et interagissent bien sans qu'on puisse comprendre pourquoi, parfois. Peut-être que c'est ça aussi, la magie de la vie, ça et l'humour qui est quand même une sacrée arme que tu n'hésites pas à employer quand ton interlocuteur te demande pourquoi tu es seule ce soir. Ta réponse se fait finalement bancale, puisque tu ne peux qu'expliquer que c'est juste comme ça que les choses se sont faites. C'est vrai, en plus. Tu arrives à provoquer un sourire franc chez Carl en faisant allusion au fait que tu n'es pas véritablement seule puisqu'il est là avec toi, bien que ce n'est pas ce qui était initialement prévu. Tu ne te l'expliques pas clairement mais avoir réussi à dessiner un sourire sur les lèvres de ton collègue te fait beaucoup (trop) de bien. Malgré tout si la conversation poursuit sur ta solitude elle risque de s'épuiser bien vite puisque tu n'as pas véritablement envie de t'épancher sur le sujet à l'instant, alors tu mentionnes la photo dont vous parliez tout à l'heure et demandes au jeune homme si tu peux la voir. « Bien sûr, oui. » Sauf que pendant qu'il cherche le cliché, les illuminations du Story Bridge débutent. Des fois on se demande si la vie ne fait pas exprès. Tu te hâtes de couper Carl dans ses recherches pour lui dire de plutôt se concentrer sur le spectacle, et il s'exécute. Quant à toi, tu observes le fameux pont se parer d'un camaïeu de vert avec un émerveillement singulier.
« C’est super beau tu trouves pas ? Oh, j’espère vraiment que mes photos rendront bien. » Qu'il s'inquiète du rendu de ses photos te fait légèrement rire et sans décoller ton regard du spectacle, tu lui réponds. « Je n'en doute pas. » C'était pour toi la priorité numéro un de lui dire ça. « Et oui, c'est merveilleux. » Tu avais prévu d'utiliser le mot magnifique à la place, mais finalement, celui-ci convient davantage. Tes yeux reprennent la direction de ton collègue qui t'informe qu'il a pu accéder à sa photo de toi. Les illuminations à proprement parler sont terminées, il ne reste plus que les lumières statiques à observer toute la nuit si on le veut, alors tu peux largement détourner ton attention du pont quelques instants. « Hum. Je suis pas encore très familier avec les portraits, mon truc c’est surtout les paysages alors... je peux sûrement encore m’améliorer. » Il est trop dur avec lui-même. Bien sûr, on peut toujours faire mieux, mais à tes yeux, la photo semble parfaite, et pas spécialement grâce à ta présence dessus. Tu t'apprêtes à prendre la parole mais ton collègue enchaine. « Mais toi, tu... t’es photogénique tu sais, c’est pas donné à tout le monde de l'être. » Tu peux sentir tes joues rougir instantanément alors qu'il formule ce compliment et que tu penses à toutes ces photos de toi et tes styles vestimentaires que tu prends et publies sur les réseaux sociaux sans grande conviction à chaque fois. « Oh, c'est gentil. » Parce qu'il dit forcément ça pour être gentil, il ne peut pas réellement le penser, n'est-ce pas ? « Enfin je suis sûrement pas le premier à te le dire, c’est juste que ça me frappe quand je regarde la photo. » Voilà qu'il en rajoute une couche ! Ca te parait fou qu'il croie suffisamment en ce qu'il observe pour penser qu'il est sûrement le dernier d'une longue liste à t'avoir fait la remarque. Sans parler que ce soit ça qui le frappe quand il regarde son cliché. Il y a tellement d'autres choses réellement belles à voir dessus. « Je peux te l’envoyer d’ailleurs, si tu veux l'avoir toi aussi. » La proposition est adorable alors tu ne perds pas de temps pour sauter sur l'occasion en plongeant ton regard dans celui du jeune homme.
« Oui je veux bien si ça te dérange pas. » Bien que la proximité physique entre vous soit déjà bien installée et que tu pourrais simplement te pencher légèrement pour mieux observer la photo, tu fais le choix de fermement et délicatement chiper l'appareil des mains de Carl pour avoir le temps de regarder tous les éléments du cliché avant de reprendre la parole. « Désolée, je te le rends tout de suite. Je voulais juste te dire que je trouve cette photo déjà incroyable, indépendamment du fait que je sois dessus. » Un sourire sincère se dessine sur tes lèvres alors que tu ne te détaches pas du regard de ton collègue pour garder son attention. « Regarde, le cadre est parfait. On voit un peu de décor à tous les plans, on me voit tournée vers l'horizon et le Story Bridge... » Belle analyse artistique, mais où veux-tu en venir ? « Bref, ce cliché représente l'histoire de cette soirée à lui tout seul. » Tu t'es clairement animée en parlant de tout ça, mais la conclusion à laquelle tu arrives t'attriste quelque peu. « Le seul défaut de cette photo, c'est que tu n'y sois pas. » Tes yeux se perdent dans le vide, un blanc s'installe pendant quelques secondes, un blanc qui te semble abyssal, jusqu'à ce que tu trouves le remède à la situation. « Je sais ! » Tu souris cette fois à pleines dents et replonges ton regard dans celui de Carl. On dirait que tu viens de trouver une solution contre tout le malheur du monde. « Tu sais ce qu'est un triptyque ? » Il n'a pas le temps de répondre : tu as pris trop d'élan et maintenant tu fonces. « Une peinture en trois tableaux. Une histoire en trois parties, si tu préfères. Bah on va faire la même chose avec des photos ! Il y aura la plus belle photo que tu as prise des illuminations, celle que tu as prise de moi et du décor en arrivant, eeet... » Tu voudrais qu'il y ait un véritable roulement de tambour qui t'accompagne à ce moment-là, histoire de donner un peu de vie au suspense. « Une photo de toi et moi ! » Tu te sens comme un détective qui arrive à la glorieuse fin de son enquête. « Ca te tente ? » Dis oui, dis oui. C'est tout ce qui te passe par la tête. « Ce n'est pas obligé d'être un selfie, si tu as un minuteur sur ton appareil. » Est-ce que tout ça suffira à le convaincre ?
It's always around me, all this noise, but not nearly as loud as the voice saying "Let it happen, just let it happen". All this running around trying to cover my shadow, A notion growing inside, now all the others seem shallow. I will not vanish and you will not scare me, tryna get through it, try to bounce to it.
C'était une occasion à saisir et un cadre à capturer au plus vite, voilà ce que Carl pourrait dire de cette photo prise de sa collègue lorsque dégainer son appareil s'est avéré être un véritable réflexe. L'angle lui semblait parfait et la lumière optimale, son œil de photographe n'est peut-être pas le plus affûté qui soit mais le garçon s'en serait voulu de laisser passer l'opportunité d'un tel cliché. Son manque de confiance et sa timidité auraient pourtant pu le dissuader d'aller au bout de son idée mais Carl n'avait pas forcément en tête d'en toucher un mot à Enid au départ, en ne sachant pas si l'existence de cette photo avait la moindre chance de l'intéresser. C'est lui qui l'a prise après tout, à partir de là le bonhomme n'a donc aucun mal à croire que celle-ci perd en qualité autant qu'en intérêt comme tout ce qui peut découler de lui. Ses initiatives sont rarement bonnes, Carl le sait bien mais celle du jour ne déplait au moins pas à Enid dont il s'assure malgré tout d'obtenir une nouvelle fois l'approbation. « Sûre, tu peux même en prendre d'autres si tu veux. » Et ça, ce n'est généralement pas le genre de choses à lui dire deux fois car en y étant ainsi invité, Carl pourrait décider de ne vraiment pas s'en priver. Difficile pour lui de savoir si c'est ce lieu qui l'inspire, ou bien sa collègue – mais l'un et l'autre combinés forment un ensemble des plus harmonieux à ses yeux alors en y réfléchissant bien, il se pourrait que la réponse soit les deux. Le garçon hoche doucement la tête et se fend au même instant d'un sourire, signe qu'il intègre la permission qui lui est donnée et cela en se promettant tout de même de ne pas en abuser. Il prête après ça l'oreille au compliment de sa collègue, surpris qu'Enid adhère à sa façon de collecter les souvenirs à travers ses photographies alors que jusqu'ici, Carl n'avait pas l'impression de suivre la moindre logique. Si on l'écoute, de toute façon, rien de ce qu'il entreprend n'est jamais bien profond alors qu'il reconnaît lui-même rechercher à faire voyager son frère quand il lui partage ses moments de vie dans ce pays.
Car l'Australie, ça ne parle pas beaucoup à Keefe qui n'y a encore jamais mis les pieds et qui ne connait le quotidien de son ainé que grâce aux récits que ce dernier peut en faire. Avec ces photos Carl combat en quelque sorte cette distance le séparant de son frère, même si l'autre raison l'amenant à figer ces moments dans le temps n'est pas de celles que le garçon confie facilement. Il a honte à vrai dire, honte d'espérer ce qu'il est à des années lumière de pouvoir convoiter car l'univers ne lui fera certainement pas ce genre de cadeau un jour. Face à Enid le garçon botte donc en touche, avortant une confession qu'il n'est tout simplement pas prêt à faire entendre. « C'est pas grave. En tout cas c'est trop mignon comme initiative de ta part. Ton frère a de la chance de t'avoir. » Il ne sait pas si sa démarche est aussi mignonne qu'elle le dit mais les mots de sa collègue le sont par contre sans l'ombre d'un doute, quand bien même Carl ne perçoit pas tout à fait les choses sous le même angle. Il ne croit pas être le meilleur grand-frère dont Keefe puisse rêver, certains épisodes du passé l'ont après tout bien prouvé mais il fait aujourd'hui de son mieux pour donner un sens à son rôle d'ainé, ce qu'il parvient ironiquement mieux à faire lorsqu'il se trouve à des milliers de kilomètres qu'à l'époque, lorsque son frère et lui vivaient encore sous le même toit et que l'influence de leur beau-père pesait très lourdement sur lui. Il ne veille peut-être plus sur grand-chose de là où il est mais Carl a bon espoir que son frère le rejoigne pour de bon d'ici une petite année, une fois que Keefe aura atteint sa majorité. « Merci. » il souffle dans un sourire qu'il serait difficile de décrire, à mi-chemin entre l'embarras et la reconnaissance. Ce n'est quand même pas tous les jours que Carl peut entendre que quelqu'un a la chance de l'avoir dans sa vie, bien plus habitué au fait d'être un boulet à la cheville de tous ceux qui l'entourent. « Je l'ai appelé tout à l'heure, quand je me trouvais encore au niveau de la parade. Ça me donnait un peu l'impression qu'il était avec moi même s'il est loin et lui, je pense qu'il voulait pas que je reste seul non plus. » C'est déjà lui qui l'avait poussé à participer à un défilé pour gagner en assurance, son frère a beau être jeune il ne se fait jamais prier pour soutenir son ainé à tel point que les rôles sembleraient parfois s'inverser. « Je vais pouvoir lui dire que je le suis pas resté longtemps. » il reprend en étirant un sourire qui a encore tout de timide tandis qu'il fait référence à leur rencontre près de ce pont et à cette compagnie tombée du ciel sur laquelle il n'aurait pas osé parier. Non seulement Carl n'est plus seul mais il est aussi bien accompagné, et c'est un point qu'il ne manquera également pas de souligner lorsque son frère se montrera curieux.
Sauvé par le gong, ou presque. Les illuminations débutent avant que le garçon n'ait le temps de montrer à Enid la photo qu'il a prise et ces quelques minutes de gagnées Carl ne s'en plaint pas, lui qui appréhende le rendu du fameux cliché comme l'avis que sa collègue pourra émettre sur ce dernier. Ses photos sont finalement comme tout le reste, il ne lui faut pas grand-chose pour les déprécier par principe mais il compte sur celles qu'il fera de ce pont illuminé pour être au moins un minimum réussies. « Je n'en doute pas. Et oui, c'est merveilleux. » Le mot n'est pas trop fort pour qualifier le spectacle lumineux se tenant devant eux et tout ce vert se déployant sous leurs yeux, Carl mitraille alors tout ce qu'il peut en espérant que son appareil rendra justice à ces lumières et ces couleurs. Mais il n'oublie pas Enid et cette photo qu'elle désirait observer, une photo que le garçon se met aussitôt à apprécier et si elle se révèle être bien plus réussie qu'il ne l'avait pensé c'est parce que celle qui y figure parvient à l'embellir d'après lui. Sa collègue y ressort particulièrement bien en se démarquant joliment dans le décor, de quoi le convaincre de son potentiel photogénique ne faisant pour lui aucun doute. « Oh, c'est gentil. » Gentil, Carl ne cherche même pas à l'être tant ses mots peuvent être sincères mais il devine qu'Enid n'est peut-être pas abonnée aux remarques du genre comme il voulait le croire, ou le cache en tout cas très bien. Un ange semble passer pendant que leurs regards se rencontrent, ce qui ne l'empêche pas de soumettre l'idée de lui transférer la photo en supposant que sa collègue pourrait vouloir en garder un exemplaire, ou peut-être même tenir à la conserver comme souvenir. De cette soirée et non de lui, certes, mais il aime déjà s’imaginer qu'Enid y posera de temps en temps les yeux en repensant à ce moment et à ces illuminations auxquelles ils ont assisté ensemble. « Oui je veux bien si ça te dérange pas. » C'est donc noté, Carl n'y manquera pas car si ça le dérangeait, bien sûr, sa proposition n'aurait pas été glissée. « Je te l'enverrai sans souci, dès ce soir même si tu veux. » On peut compter sur lui pour ne pas oublier mais également pour se laisser surprendre ensuite, quand Enid s'empare en douceur de son appareil pour y observer la photo d'un peu plus près. Carl le lui cède alors sans résistance, et sans crainte quant au fait qu'elle puisse partir avec car sa collègue n'a évidemment rien d'une voleuse, c'est bien connu. « Désolée, je te le rends tout de suite. Je voulais juste te dire que je trouve cette photo déjà incroyable, indépendamment du fait que je sois dessus. » Lui aussi commence à vraiment bien l'aimer cette photo, plus il l'observe et plus Carl apprend même à apprécier son travail et c'est de l'ordre de l'inédit en ce qui le concerne. « Alors elle est réussie pour toi ? Remarque oui, c'est vrai qu'elle est jolie. » Enfin un peu d'objectivité en lui, comme quoi il n'en est pas entièrement dépourvu.
« Bref, ce cliché représente l'histoire de cette soirée à lui tout seul. » Et Carl ne manque pas d'approuver d'un énergique hochement de tête, désireux lui aussi d'y percevoir le symbole qu'elle souligne. « Le seul défaut de cette photo, c'est que tu n'y sois pas. » Cette fois, son regard se détache légèrement du sien et le garçon s'interdit de prononcer des mots que l'on s'attendrait bien trop à entendre. Lui pense au contraire que son absence sur ladite photo ne peut que la rendre meilleure mais Carl déteste tout ce qu'il peut représenter, ce n'est vraiment pas nouveau. Il secoue donc la tête, l'air de dire que si cette photo a un défaut ce n'est manifestement pas celui qu'elle croit. « Oh non, je pense pas que- » « Je sais ! » Lui par contre est beaucoup plus perdu comme son regard se raccrochant à celui d'Enid peut le traduire. « Tu sais ce qu'est un triptyque ? » Pour tout dire non, le bonhomme n'en sait rien mais il n'a de toute façon pas le temps d'émettre la moindre supposition au vu de la rapidité avec laquelle elle vient éclairer sa lanterne. « Une peinture en trois tableaux. Une histoire en trois parties, si tu préfères. Bah on va faire la même chose avec des photos ! Il y aura la plus belle photo que tu as prise des illuminations, celle que tu as prise de moi et du décor en arrivant, eeet... » Silencieux, Carl reste suspendu aux lèvres de sa collègue en attendant de connaître l'idée qu'elle semble avoir eue. « Une photo de toi et moi ! » « Une photo tous les deux ? » il répète sans attendre, étudiant au même instant la chose sous tous les angles qui s'imposent. « Ca te tente ? » Il aurait tendance à dire que oui, cette perspective n'a même vraiment rien pour lui déplaire s'il met toutefois de côté le fait que les objectifs ne sont pas tellement ses amis lorsqu'ils viennent à être braqués sur lui. « Ce n'est pas obligé d'être un selfie, si tu as un minuteur sur ton appareil. » « Je.. » Le seul obstacle que Carl perçoit ici n'est sûrement pas technique car une seule question envahit à cet instant son esprit : ne risque-t-il pas de gâcher la photo, lui qui n'a pour le coup vraiment rien de photogénique ? Cette crainte existe mais le garçon s'emploie à la ranger dans un coin de sa tête, préférant se dire que la nuit commençant à tomber agira comme une sorte de cache misère sur lui. « Oui, carrément ! Il faut qu'on en profite tant que le pont est illuminé, hum.. peut-être qu'on peut demander à quelqu'un de nous photographier ? » Tout serait plus simple s'il disposait d'un trépied mais Carl ne risque pas d'en sortir un de ses poches, solliciter une personne autour d'eux lui apparaît donc comme solution à considérer et déjà, ses yeux n'attendent pas pour opérer un petit repérage. « La dame là, elle a l'air gentille. » Tellement gentille que le garçon prend son courage à deux mains pour aller à sa rencontre, expliquant à celle-ci qu'il voudrait être immortalisé devant ce pont avec son amie et comme Carl l'avait senti, c'est un « oui avec plaisir » qu'il obtient en à peine quelques secondes. Il revient après ça auprès d'Enid, suivi de près par la passante disposée à leur accorder un peu de son temps. « Elle est d'accord pour nous prendre, ça veut dire qu'on peut se mettre en place comme on le veut maintenant. » Et pourquoi Carl semble-t-il aussi gêné de le dire ? Oh, sans doute parce qu'il n'a pas la moindre idée de la façon dont il peut se tenir aux côtés de sa collègue, évitant pour l'heure de prendre des libertés avec ses bras gardés le long de son corps, plus timidement que jamais.