Siham connaissait son travail sur le bout des doigts. Et même après un peu plus d’un mois d’absence, elle était tout à fait capable de reprendre son poste les yeux fermés. On ne lui avait pas annoncé de changement important et elle s’était bien rendu compte que le coin patisserie n’était toujours pas en place, alors rien de neuf à l’horizon. Son boss n’était de toutes façons pas présent aujourd’hui, il lui avait assez répété qu’il avait absolument besoin qu’elle revienne car si elle n’était pas là, il ne pourrait plus ouvrir l’épicerie pour les trois prochains jours.
Par acquis de conscience ou simplement parce qu’elle avait aussi le sentiment qu’en restant enfermée chez elle avec son fils, elle allait finir par exploser. Elle avait besoin d’air, besoin d’avoir un semblant de sa vie d’avant, la vie sans son fils. Ca aurait été parfait, qu’elle puisse revenir au travail en ayant trouver un mode de garde pour son fils. Ca aurait été parfait si elle avait pu s’y prendre des mois à l’avance pour qu’il aille à la crèche à sa naissance, ça aurait été parfait si elle avait pu mettre un peu d’argent de côté pour anticiper toutes ces dépenses. Mais ça n’était pas le cas, tout lui était tombé dessus d’un jour à l’autre. Siham avait réussi à s’équiper avec un budget assez serré. La famille lui avait donné du matériel de puériculture, sa mère lui avait offert tout le nécessaire pour la chambre mais pour le reste, Siham se débrouillait et n’avait envie de dépendre de personne. Tout ça aurait été bien plus simple pour elle si son père était toujours là, s’ils pouvaient toujours compter sur son entreprise. Mais son père n’était plus là et surtout, son entreprise avait fait faillite avec son décès. Il avait tout emporté avec lui, tout.
Alors qu’elle avait dit à son patron qu’elle pouvait reprendre sereinement son poste, il n’en était rien. Siham n’avait personne à qui confier son fils pour ce premier jour. Elle avait appelé sa mère mais elle-même avait une journée très chargée à son travail et n’avait pas pu se libérer. Sa mère lui avait proposé de demander à l’une de ses tante, Siham avait répondu qu’elle allait bien trouver, ne voulant la déranger davantage. Mais elle n’avait rien trouvé. Obligée alors de venir avec le cosy de son fils sous le bras, lui trouvant une place derrière le comptoir, se disant qu’à cet âge, il ne prendrait pas bien de place et n’embêterait pas grand monde.
Les pleurs n’avaient cessé de s’enchainer toute l’après-midi. Les clients entraient et faisaient demi-tour aussi tôt, quelques-uns s’aventuraient dans l’épicerie mais n’y restaient pas bien longtemps, ils achetaient le minimum, puis s’en allaient. Alors qu’elle cherchait un biberon, elle se rendit compte qu’elle n’avait aucun moyen à disposition de le chauffer et sa seule solution était de se rendre à la maison de retraite en face pour leur demander ce service. Le soucis, elle ne pouvait pas quitter l’épicerie une seule seconde sans surveillance. « S’il vous plait ? » fit-elle, s’adressant au seul client qui trainait dans l’épicerie et qui y était resté plus de trois minutes d’affilé. « Excusez-moi, je peux vous demander un service ? » elle grimaçait, gênée, mais elle n’avait aucune autre solution. «  est ce que vous pouvez aller à la maison de retraite en face et leur demander de me chauffer ça ? » ça, c’était le biberon. « Il s’arrêtera de pleurer après ça… » et c’était presque comme un supplice, elle n’en pouvait plus. « Ils me connaissent bien, dites leur que vous venez de la part de Siham… »

@Kieran Halstead

@SIHAM FOWLER & KIERAN HALSTEAD ⊹⊹⊹ All of our lives we’re striving for something and it takes up all our energy Although sometimes we’re bored in the sun but a big dull moment. Let’s learn to walk before we can run.

(c) harley & pochunts. 

(WEST END, NATURA VERDE). Tel un islandais en plein mois d’août sur une île ensoleillée, Kieran n’a aucune idée de ce qu’il fout là. Planté devant le rayon légumes de cette épicerie de quartier, le dessinateur a l’impression d’être dans un autre monde alors que sa connaissance des légumes s’arrête à la sauce tomate servant de base aux pizzas et aux chips qui accompagnent généralement celles-ci lorsqu'il est en charge de confectionner le menu. Il sait qu’il ne devrait pas être fier de son régime alimentaire ou de sa méconnaissance d’une alimentation saine et équilibrée, mais pour sa défense les services de livraison sont particulièrement actifs dans le quartier. Et, de temps à autre, il opte pour un poké bowl histoire de ne pas remplir sa carte fidélité à la pizzeria du coin en seulement deux semaines, ce qui est un effort considérable de sa part. Quoi qu’il en soit, si Kieran se retrouve dans cette posture qu’il associe à une forme de torture, c’est uniquement parce qu’il a promis à sa sœur et aux médecins de se reprendre en mains. Il ne sait pas vraiment à quel moment « manger bio » est un critère qui a du poids dans la balance, mais toujours est-il que c’est le cas et que se vanter d’avoir trouvé un intérêt pour la cuisine semble diminuer les interrogations de ceux qui, actuellement, le scrutent à la loupe. Le problème, c’est que cet intérêt est faussé, non pas parce que Kieran n’aime pas se nourrir (c’est même une de ses activités favorites), mais parce qu’il n’a aucune foutue idée de ce qu’il est supposé faire avec la moitié des aliments qui finit dans son panier. Le jeune homme se contente de suivre les conseils distillés sur internet à défaut de réussir à suivre une recette sans mettre le feu à sa cuisine. Le problème, c’est qu’il se retrouve dans des situations improbables comme il l’est depuis cinq bonnes minutes, bloqué à tourner et retourner une tablette de « carrés de légumes » qu’il observe consciencieusement en se demandant sérieusement comment cette chose s’utilise. Est-ce qu’il est supposé croquer dedans ? Mais qui fait ça ? C’est un affront au chocolat si on lui demande son avis. Découper des blocs pour les utiliser dans l’eau chaude ? Il a vraiment des gens qui boivent de l’eau chaude aromatisée et qui trouvent du plaisir à ça ? Concentré, un mal de crâne qui pointe à forcer de froncer les sourcils, Kieran finit par reposer la marchandise en rayon – car n’importe quoi s’appelant « tablette » qui n’est pas du chocolat ne mérite décemment pas d’être goûté – non sans avoir glissé un regard à droite, un à gauche, pour s’assurer que personne ne jugera son abdication. Enlevant ses lunettes un instant pour se frotter les yeux, las d’essayer de comprendre le sens de la moitié de ses achats, il sursaute légèrement quand une voix finit par s’adresser à lui. « S’il vous plait ? » Il reporte rapidement son attention sur la jeune femme, le sourire déjà pincé à l’idée d’être pris en flagrant délit d’abandon d’une vie saine, cherchant déjà à se justifier en mettant en avant qu’il a quand même acheté trois patates et deux carottes, ce qui est déjà... trois patates et deux carottes de plus que la totalité de ses achats en légumes du dernier mois. « Excusez-moi, je peux vous demander un service ? » D’acheter cette chose qu’il vient de reposer parce que personne ne juge ça appétissant à l’exception de la poubelle dans laquelle le produit ne va pas tarder à finir ? Oui, il comprendrait. «  est ce que vous pouvez aller à la maison de retraite en face et leur demander de me chauffer ça ? » - « Pardon ? » Glissant ses yeux sur ce qu’elle lui tend, il met quelques instants à réaliser qu’il s’agit d’un biberon. « Il s’arrêtera de pleurer après ça… » Et il comprend enfin que son mal de crâne n’est peut-être pas dû aux fruits et légumes dont il manque, mais bien à l’espèce d’ultrason en fond sonore, qui provient vraisemblablement d’un bébé. « Ils me connaissent bien, dites leur que vous venez de la part de Siham… » - « Euh ouais mais euh... non ? » Il décline avec hésitation, comme s’il n’était pas sûr d’avoir le droit de refuser – parce qu’il s’agit d’un enfant, blabla, qu’il serait sans cœur, tout ça. Sauf que Kieran n’a pas vraiment prévu de s’éterniser, ni avec des gamins, ni avec leurs mères, encore moins avec des vieillards. Non, son plan était de faire de courses pour les deux prochaines semaines histoire de s’abstenir d’avoir à remettre le nez dehors, et de retourner s’enfermer dans son appartement au plus vite. « Et je pensais qu’il y avait un âge minimum légal avant de travailler, non ? » Qu’il souligne avec un léger rire pour s’interroger quant à la présence d’un bébé dans une épicerie. Mais le regard de la jeune femme lui fait aussitôt regretter sa réflexion et Kieran baisse la tête un instant. « Euh oui bon ok d’accord. » Outre le fait qu’à cet instant il a l’impression que c’est dans sa gorge que le biberon va être enfoncé, les valises sous les yeux de la jeune femme l’attendrissent un peu, il doit l’admettre. Posant son panier à terre, il se saisit de l’objet. « Je reviens. » Il annonce, détournant les talons pour partir en direction de ladite maison de retraite.

Il a dû plaider sa cause pendant quelques instants, car a priori « Sianne » n’était pas connue dans le service, et que Claudia, la résidente ancienne conseillère professionnelle, a jugé utile de mettre en avant son peu de charisme qui lui fera perdre des opportunités s’il ne tente pas de changer les choses très vite. Son seul avantage dans la bataille est d’avoir déjà dû s’occuper de sa filleule est donc d’être en mesure de chauffer le biberon correctement, de façon à ce que celui-ci puisse être donné dès le moment où il revient dans l’épicerie. « Euh voilà. » Qu’il annonce une fois de retour, tendant son dû à la jeune femme, avant de se montrer curieux. « Non mais en vrai, il y a un nouveau concept ‘’garderie’’ intégré à l’épicerie ? » Qu’il interroge, avant de se raviser à l’idée d’être irrespectueux. « Enfin, c’est juste par curiosité, quoi... histoire de savoir. » S’il continuera à venir faire ses courses ici ou non.

« Pardon ? » C’est vrai que la demande de Siham était surprenante, d’autant plus venant d’une vendeuse envers un client de l’épicerie. Souvent, ils ne venaient pas dans l’épicerie pour faire du tourisme et prendre leur temps, souvent, ils venaient parce qu’ils passaient dans le coin et qu’il leur manquait quelques choses pour un plat, pour une soirée, par gourmandise. Jamais parce qu’ils avaient vraiment du temps à perdre. Alors, avoir le culot de demander à un client d’aller à la maison de retraite pour faire chauffer du lait… pourquoi ne pas lui demander de tenir la caisse le temps qu’elle s’absente elle-même aussi ? Mais si Siham avait une autre solution, pour sûre qu’elle l’aurait fait, là, elle n’avait pas d’autre choix. D’ailleurs, elle ne lui laisse guère trop le choix, lui mettant presque le biberon entre ses mains, complètement désespérée d’entendre les pleurs de son fils. Pleurs qui d’ailleurs, avaient aussi raccourcis le passage de certains client dans l’épicerie qui n’en pouvaient plus de l’entendre percer leurs tympans. Elle insiste, Siham, suppliant presque. « Euh ouais mais euh... non ? » Siham eu comme un recul, non pas surprise du refus… enfin, si, complètement surprise du refus, car elle pensait réellement que personne ne pourrait décliner sa demande. On parle de nourrir un bébé, elle ne faisait pas la quête en pleine rue. « Et je pensais qu’il y avait un âge minimum légal avant de travailler, non ? » elle ne cherchait pas un clown pour la divertir, à l’heure qu’il était, soit il acceptait de lui donner un peu de son temps, soit il n’avait pas envie de l’aider et il pouvoir se contenter de payer sa marchandise et s’en aller. Sur le point de lui demander si elle pouvait l’encaisser pour passer à autre chose, le jeune homme semble avoir compris la détresse de la Fowler. « Euh oui bon ok d’accord. » venait-il d’accepter sa demande ? Elle n’y comprenait plus grand-chose mais lorsqu’elle le vit faire un pas en arrière avec le biberon entre les mains, elle se sentait aussitôt bien plus soulagée. « Je reviens. » elle esquissa un léger sourire, se détendit alors, culpabilisant d’avoir été à deux doigts de lui sauter à la gorge et de lui arracher les amygdales. « merci. » elle pourrait presque pleurer de soulagement même, mais elle se ressaisi lorsqu’un nouveau client entra aussitôt dans l’enceinte du petit commerce.
Elle se retourna vers Dali et lui fit signe que ça allait bientôt arriver. Elle se pencha vers lui, glissa son indexe entre les petits doigts de son fils. « Ça vient… pitié arrête de pleurer. » comme si ça allait marcher tien, si une simple demande orale suffisait, elle n’aurait pas de valises sous ses yeux comme c’était le cas depuis quelques jours.
Les minutes lui semblaient terriblement longues, elle avait fini par se demander si le client n’avait pas tout bonnement filé avec le biberon, n’assumant pas de ne pas vouloir lui rendre service. Elle ferait moins la maline, sans biberon pour pouvoir donner à manger à son fils… Son regard ne cessait de se tourner vers l’extérieur, planté vers la maison de retraite en question, comptant les secondes et espérant voir le jeune homme à chaque fois que les portes vitrées s’ouvraient. Puis, le voilà enfin à nouveau. « Euh voilà. » elle souffle, saute sur le biberon et récupère son fils dans son couffin pour lui coller dans la bouche et qu’il se taise enfin. Voilà, le silence. Elle profite ,deux secondes, fermant les yeux. « Non mais en vrai, il y a un nouveau concept ‘’garderie’’ intégré à l’épicerie ? » elle regarde le brun, plissant les yeux un instant, se souvenant que c’était lui qui venait de lui sauver la mise, elle allait éviter de lui rentrer dedans. « Enfin, c’est juste par curiosité, quoi... histoire de savoir. » dire merci, c’est la première chose à faire, temporiser, gagner du temps pour ne pas sembler trop agressive. « Merci… » elle regarde son fils, silencieux, qui siffle son lait chaud à la vitesse de la lumière. « J’ai pas d’autres choix… » si non, croyez bien qu’elle s’embêterait pas avec son fils. « c’était pas prévu… mon bosse est en congés, du coup, j’viens avec mon fils, mais c’est un enfer… et quand il sera de retour, j’sais pas comment j’vais faire, il acceptera jamais que je vienne travailler avec… » elle se demandait toujours pourquoi elle ressentait ce besoin de raconter sa vie en long en large et en travers. « enfin, désolée, ca vous regarde pas. » façon de dire qu’elle allait pas l’emmerder avec ses problèmes. « Prenez ca… » elle désigne les tablettes de légume qu’il avait reposé en rayon avant de venir en caisse. « C’est pas si dégueu… vous verrez et puis c’est pour vous r’mercier. Vous savez pas à quel point ca fait du bien quand il s’arrête de pleurer… »

Le biberon collé entre les mains, Kieran améliore son imitation du poisson, la bouche en rond et de gros yeux qui fixent la jeune femme dans l’attente du moment où l’équipe de tournage sortira d’entre les rayons pour lui annoncer que tout ceci n’est qu’une farce. Mais les secondes passent et se transforment en minutes alors que le regard de la vendeuse continue de le supplier et que les pleurs du bébé résonnent toujours à ses oreilles. Tout ceci est bien sérieux et si l’artiste est un habitué des situations rocambolesques, ce coup-là est inédit et pas de ceux dont il voudrait se vanter. Si dans un premier temps il refuse la proposition (en est-ce vraiment une ?), il finit par céder en voyant le regard désemparé de la jeune mère – qui peut toutefois se confondre avec un regard assassin qui lui fait regretter d’avoir eu la bonne idée de faire ses courses sur ce créneau horaire. Parce que de toute évidence Kieran n’aurait pas su camper sur ses positions bien longtemps alors qu’il finit toujours par céder, trop habitué à rendre service aux autres pour se questionner quant à sa propre volonté, il lui indique son retour prochain avant de commencer à quitter les lieux. « Merci. » Elle semble à deux doigts de pleurer et cette situation devient de plus en plus bizarre. Kieran quitte les lieux, bataille pour se faire comprendre, mais finit par obtenir gain de cause alors qu’il chauffe ledit biberon qu’il rapporte en pressant le pas jusqu’à l’épicerie, plus terrifié à l’idée de se faire engueuler quant au temps qu’il met que par envie d’améliorer la situation au plus vite.

Il n’a pas encore tendu le biberon que la jeune femme lui l’arrache des mains, le collant dans la bouche de son fils avant de fermer les yeux un instant et il s’ose une question qu’il aurait dû garder pour lui tant la réponse semble évidente : « Ça va ? » Pas vraiment, on ne peut pas dire que le tableau qui se présente à lui soit la représentation de la douce euphorie liée à la maternité ; mais puisqu’il est aussi celui qui a tenté de se foutre en l’air en avalant un cocktail de médicaments, il s’évitera de juger la manière dont les uns et les autres expriment leur bonheur, hein. « Merci… » Il a pas vraiment eu l’impression d’avoir le choix, mais eh, c’est le résultat final qui importe, n’est-ce pas. « J’ai pas d’autres choix… » Que de bosser avec son fils ? Et les droits des travailleurs dans tout ça ? Il n’y connait pas grand-chose en loi, Kieran, mais il est certain que ce n’est pas vraiment autorisé, comme manière de faire. « c’était pas prévu… mon bosse est en congés, du coup, j’viens avec mon fils, mais c’est un enfer… et quand il sera de retour, j’sais pas comment j’vais faire, il acceptera jamais que je vienne travailler avec… » - « Vous avez pas réussi à trouver une place en crèche ? » Il sait que c’est un problème pour les nouveaux parents, et c’est peut-être la seule raison pour laquelle il est content de ne pas avoir d’enfants. Ça ne contrebalance pas pour autant toutes les raisons qui font qu’il regrette de ne pas en avoir. « Enfin, désolée, ca vous regarde pas. » - « Je voulais pas vous embêter, pardon. » Il s’excuse, ayant l’impression que c’est lui qui s’est montré trop curieux avec ces questions, alors que la jeune femme semble visiblement fatiguée. Le regard de Kieran s’attarde un peu plus sur le bébé auquel il sourit, même si ce dernier s’en fiche complètement alors qu’il a presque terminé le contenu de son biberon. « Il s’appelle comment ? » Il demande alors qu’elle désigne le rayon devant lequel il est resté planté pendant de longues minutes. « Prenez ca… » - « Euh ouais, je sais pas... » Il n’est toujours pas convaincu. « C’est pas si dégueu… vous verrez et puis c’est pour vous r’mercier. Vous savez pas à quel point ca fait du bien quand il s’arrête de pleurer… » - « J’ai pas besoin d’être remercié. » Il lui assure, avec un sourire sincère. Il n’a surtout pas besoin de cette foutue tablette qui lui donne des frissons rien que d’y repenser. « Pour ce que ça vaut, un ballon d’exercice c’est plutôt efficace, pour les calmer. » Il se permet, déposant son panier à la caisse, avant d’ajouter : « Ou peut-être que... enfin, il a peut-être juste des gaz, vous savez, et euh, faudrait lui masser un peu l’abdomen ou lui faire, euh, faire la bicyclette, vous voyez ? » Ce n’est sûrement pas très parlant comme image, mais il va s’éviter de lui demander s’il peut lui en faire la démonstration sur son bébé alors qu’il n’a échangé que deux mots avec elle. « Enfin, désolé, c’est pas à moi de vous donner des conseils. » Parce qu’il n’a pas d’enfants ; alors pour qui il se prend, à jouer au grand expert qui sait ce qu’il fait ? Peu importe qu’il connaisse la théorie, il n’a que peu d’expérience en pratique – à son plus grand regret.

@Siham Fowler

Plutôt de nature discrète en ce qui concerne sa vie privée, Siham était à présent en roue libre, comme si elle ressentait le besoin indescriptible de secouer les drapeaux rouges devant qui voudra bien le voir. Elle avait saisi la toute petite perche que lui avait donné ce jeune homme inconnu pour lui expliquer à quel point, elle était désemparée. Comme si il allait pouvoir trouver la solution à son problème – gros problème – et qu’il allait la sauver de cette mauvaise passe.
« Vous avez pas réussi à trouver une place en crèche ? » si seulement elle avait eu le temps de gérer ça. C’est pas comme si elle avait pu inscrire son fils six mois avant sa naissance pour être sûre d’avoir une solution de garde à sa naissance. Elle estimait que la réponse ne valait pas la peine d’être donnée, puisque si elle avait trouvé, son fils ne serait pas entre ses bras à l’instant même et elle n’aurait pas besoin de solliciter le premier venu pour aller chauffer un biberon dans la maison de retraite juste en face de son taf. « Je voulais pas vous embêter, pardon. » elle secoue la tête, ne lui tenant pas rigueur, bien entendu, tout en sautillant sur place, comme si ça allait accélérer la prise du biberon, le seul truc qu’elle risquait c’était que Dali finisse par lui gerber dessus à force d’être secouer tout en avalant son lait. « Il s’appelle comment ? » sans la précipitation, Siham n’avait pas entendu la question, elle se concentrait sur son petit garçon, dans le seul but d’avoir un répit, profitant de ce presque silence autour d’eux. Les pleurs, ça rend fou.
Sa seule manière de pouvoir lui remercier, c’est de lui offrir un truc de l’épicerie, n’importe quoi, elle le ferait passer dans sa caisse, paierait pour lui, peu importe « Euh ouais, je sais pas... » elle insiste, comme si elle lui offrait un lingot d’or tout droit sortie d’une banque Suisse – plus de valeur que n’importe quel autre lingot d’or. « J’ai pas besoin d’être remercié. » elle se détend, en entendant la sincérité dans ses propos, finalement soulagé qu’il n’agisse pas seulement pour attendre quelques choses en retour. Siham devait vraiment lui faire pitié.
« Pour ce que ça vaut, un ballon d’exercice c’est plutôt efficace, pour les calmer. » un ballon ? Une balle de foot ? De baseball ? De tennis ? « Ou peut-être que... enfin, il a peut-être juste des gaz, vous savez, et euh, faudrait lui masser un peu l’abdomen ou lui faire, euh, faire la bicyclette, vous voyez ? » non, elle ne voyez pas. Son regard était rempli d’incompréhension. Siham n’avait aucune bille, aucune astuce, elle ne savait pas à quoi il faisait référence. « Enfin, désolé, c’est pas à moi de vous donner des conseils. » jusqu’à présent, pourtant, personne d’autre ne s’était permis de lui en faire. Surement parce que ses amis savaient à quel point elle se sentait paumée et qu’elle n’avait aucune idée de comment faire face à tout ça, et dans un sens, ils la préservaient pour ne pas la bousculer. « Je prends tous les conseils qu’on me donnera… » tant qu’elle n’a pas l’impression que ce soit des critiques déguisées. « C’est quoi, cette histoire de bicyclette ? » elle se voyait mal faire du vélo avec son fils et elle se doutait qu’il ne lui disait pas de le mettre sur un tricycle alors qu’il savait pas tenir sa tête tout seul. Et là, elle voyait mieux où il voulait en venir avec le ballon d’exercice, rien à voir avec une balle de foot. « Comment vous savez tout ça ? » sans vouloir juger, il avait pas vraiment le profil d’un père qui savait gérer trois momes à la fois, ni même un d’ailleurs.
Le biberon se vidait doucement mais surement sous les yeux de Siham, alors qu’elle n’avait plus aucune main de libre, elle voyait aussi les courses sur le comptoir qui attendaient d’être scannées pour passer à la caisse. « Vous pouvez l’prendre ? » il avait l’air de savoir mieux s’y prendre qu’elle, de toutes façons, elle préférait passer son temps à faire son taf de vendeuse que de jouer à la mère parfaite. Elle fit le tour de la caisse pour lui déposer Dali et le Biberon dans les bras. « Il s’appelle Dali. » lui dit-elle, comme si elle présentait le dernier produit en vente à l’épicerie avant de retourner à sa place et enregistrer dans sa caisse les produits qu’il allait acheter.

Kieran s’interroge quant à la situation dont il est témoin, posant des questions qui lui paraissent de circonstances, ne réalisant que trop tard qu’il est sûrement trop curieux. Interroger quelqu’un que l’on voit de temps à autre et avec lequel le contact se limite à des banalités d’usage sur un sujet aussi intime a de quoi paraître déplacé. Mais pour sa défense, aller faire ses courses et se retrouver interrompu pour aller chauffer le biberon d’un môme qu’il ne connaît pas, qui se cache derrière le comptoir, ça a de quoi être original. Il est quasiment sûr que ce n’est pas vraiment une manière de procéder dans le milieu du commerce. Pour autant, le silence de la jeune femme lui fait ravaler sa curiosité et s’excuser, mal à l’aise d’appuyer sur un sujet qui le questionne, certes, mais dont il ne mérite pas les réponses. Guettant le bébé qu’elle nourrit alors qu’il se tait enfin, il ne peut qu’observer la scène et constater que cette histoire est de plus en plus bizarre. Elle le tient comme s’il risquait de la contaminer d’on ne sait quelle maladie, elle le berce avec une douceur toute relative et ses traits sont exaspérés. Pour peu, il pourrait croire qu’elle a kidnappé ce gamin et qu’elle se désole tous les jours de cette stupide décision. Et même lorsqu’il pose une question qui paraît innocente, évidente même, concernant le prénom de cet enfant, il n’obtient aucune réponse, ce qui commence à, il doit le dire, l’inquiéter plus que de seulement l’interroger.

Il refuse son offrande – la tablette de légumes, très peu pour lui – soulignant qu’il n’a pas fait ça dans le but d’être remercié. C’est sincère, Kieran ne fait jamais rien dans l’espoir d’obtenir une compensation et aujourd’hui ne fait pas exception à la règle, bien au contraire, alors qu’elle semble complètement épuisée. C’est sans doute ce dernier aspect qui l’encourage à lui donner quelques conseils, s’il ose, bien que ce soit ironique sachant qu’il n’a pas d’enfants à charge. Mais il en a côtoyé, plus d’une fois, et il pense savoir les bases même s’il a encore beaucoup à apprendre. Il n’essaie pas d’être critique, mais véritablement bienveillant, ce qui se traduit à travers ses paroles hésitantes. Pourtant, ses conseils ne la font pas plus réagir et la situation paraît de plus en plus intrigante. Il commence à développer quelques hypothèses, partant du principe que, peut-être, ses conseils l’exaspèrent parce qu’ils lui paraissent déplacés. « Je prends tous les conseils qu’on me donnera… » Oh. Très bien. « C’est quoi, cette histoire de bicyclette ? » - « Euh, vous trouverez des explications sur Google, je pense... » Il vaut mieux, parce qu’il se voit mal lui emprunter son bébé pour lui faire une démonstration. « Comment vous savez tout ça ? » - « J’ai une filleule, et j’ai pas mal observé ses parents. » Il était bien trop jeune pour s’occuper d’elle, mais cela n’empêche pas d’avoir aperçu Rhea s’en charger. « Et puis, j’ai pas mal d’enfants dans mon entourage, donc... » Il hausse les épaules d’un air entendu. Il n’ajoutera pas « puis je rêve d’être père, surtout », mais il n’en pense pas moins.

La jeune femme reprend son rôle – de caissière, non de mère – et entreprend de scanner ses articles, lorsqu’elle lui demande : « Vous pouvez l’prendre ? » - « Euh, ouais, non, ça peut attendre vous sa- » Ok, la voilà qui cale l’enfant dans ses bras et lui donne le biberon au passage. De plus en plus, il a l’impression qu’il repartira avec toute autre chose que prévu de cette supérette, mais ce n’est pas exactement ce qu’il pensait récupérer en venant ici. « Il s’appelle Dali. » - « Comme le peintre ? » Il demande, un peu surpris par un tel prénom alors qu’il observe l’enfant dans ses bras, et ne se plaint plus vraiment de la manière de faire de la jeune femme, tandis qu’il le tient fermement, lui donnant la fin de son biberon en faisant quelques pauses. « C’est original, en tout cas. Comment vous est venue l’idée ? » Il l’interroge alors que Dali finit son biberon et qu’il le remonte doucement pour qu’il reste à la verticale, calant son menton sur son épaule, le maintenant d’une main et tapotant doucement son dos de l’autre, pliant légèrement sa main pour rendre le geste le moins brutal possible.  « Allez, tu vas y arriver, petit gars. » Il murmure, avant de reporter son attention sur Siham. « Par contre, si vous avez une serviette ou quelque chose, peut-être, juste au cas où il recrache un peu, vous voyez... » Il est mignon comme tout, Dali, mais il n’a pas non plus envie qu’il recache sa nourriture sur son t-shirt. « Je peux vous montrer pour la bicyclette, si vous voulez. Dès qu’il aura un peu digéré, quand même. » Il rit doucement, alors qu’il berce doucement l’enfant en continuant ses mouvements pour l’aider à sortir l’air avalé durant son repas. « En tout cas, il est très mignon, félicitations. » Il finit par souligner, alors qu’il garde toujours précieusement l’enfant dans ses bras – finalement, cette rencontre est peut-être plus agréable que prévu.

@Siham Fowler

Pas aujourd’hui que la jeune femme y verrait plus clair concernant la bicyclette, mais elle irait, par curiosité, aller voir ce dont il s’agit. La jeune femme avait déjà lancé plusieurs vidéos youtube, comme lorsqu’elle cherchait des tutos pour réparer une fuite dans sa salle de bain ou pour rafistoler un cadre tombé par terre. Elle se rendait bien compte que les réponses n’étaient pas toujours systématiques pour un enfant, et que c’était bien moins simple de comprendre d’où venait un souci que de mettre de la colle entre deux bouts de bois. Même ses cours de statistiques lui semblaient bien plus facile lorsqu’elle était encore étudiante, alors qu’elle détestait plus que tout les chiffres.  « J’ai une filleule, et j’ai pas mal observé ses parents. » elle hocha la tête, ayant presque honte d’avoir fait des conclusions hâtive sur son simple accoutrement. Elle qui se bat toujours contre les clichés et les préjugés. Puis, depuis quand il fallait avoir un enfant pour avoir une idée de comment s’en occuper vraiment ? Tout n’était pas si naturel. La preuve, elle était mère et n’avait aucune idée de comment s’y prendre. Lui, avait déjà l’air bien plus calé qu’elle.  « Et puis, j’ai pas mal d’enfants dans mon entourage, donc... » dans son regard, il pourrait lire qu’elle était désolée de sa question. Elle était à deux doigts de lui dire qu’elle pouvait lui céder, s’il voulait. Mais,ça ne marchait pas comme ça, dans la vraie vie. Maintenant, qu’elle l’ait voulu ou non, Siham avait la responsabilité de son fils et avait le devoir de lui porter secours, de le mettre en sécurité jusqu’à ce qu’il soit en capacité de s’occuper de lui-même, tout seul. C’est-à-dire, qu’elle avait signé un CDI, dont elle savait qu’elle n’avait pas le droit de rompre pour les dix huit prochaines années au moins.
« Euh, ouais, non, ça peut attendre vous sa- » elle n’entend pas ou plutôt, elle n’écoute pas. La machine est déjà lancée quand elle a fini de poser la question, elle se met en automatisme et glisse Dali dans les bras de cet homme. « Comme le peintre ? » elle hocha la tête, tout en scannant à nouveau les articles. « C’est original, en tout cas. Comment vous est venue l’idée ? » elle relève les yeux, pour le regarder faire, un petit sourire sur les lèvres. « C’est pas moi qui l’ait choisi. » elle avait décidé de ne pas s’attribuer tous les lauriers, elle n’en n’avait aucun à s’attribué de toutes façons. Il n’y avait que Hugo qui n’avait pas la vraie version de l’histoire, parce qu’il n’était pas là quand elle avait mis leur fils au monde. « J’aime beaucoup peindre, disons que c’est un hommage. » et une belle dédicace à cet instant de vie surréaliste. Dali disait lui-même de ne pas prendre la vie au sérieux, que grandir était d’une tristesse. Pour l’instant, c’était bien trop tôt pour Siham pour prendre tout ça avec autant de légèreté que l’espagnol.
Siham s’arrête un instant pour observer la manière dont son client s’occupe de son fils ,chaque geste à l’air parfaitement réfléchi et stratégique. « Allez, tu vas y arriver, petit gars. » elle appréciait le silence de l’instant, restant presque figée. « Par contre, si vous avez une serviette ou quelque chose, peut-être, juste au cas où il recrache un peu, vous voyez... » elle eut un petit temps de réaction avant de hoche la tête et se pencher derrière sa caisse vers un sac qu’elle improvisait comme sac à langer. « Je peux vous montrer pour la bicyclette, si vous voulez. Dès qu’il aura un peu digéré, quand même. » en se redressant, bavoir à la main, elle hocha à nouveau la tête. « J’veux bien. » la jeune femme glissa la bavoir sous le menton de son fils, pour protéger le dinosaure qui grognait sur son t shirt de tout projectile visqueux. « En tout cas, il est très mignon, félicitations. » « a vrai dire, c’est la première fois que j’le vois comme ça… » elle regarda Kieran, se demandant ce qu’il avait de magique en lui. « c’est quoi votre secret ? » elle jeta un rapide regard sur l’heure affichée sur l’écran de sa caisse. « Je vais bientôt fermer… si vous avez deux minutes, le temps que j’fasse le tour, que j’ferme le rideau… et vous m’faites votre démonstration ? »

Toute cette situation est suffisamment bizarre sans que Kieran n’ajoute « manipuler le bébé d’une inconnue pour faire une démonstration de comment lui faire lâcher ses gazs » au compteur. Il y a des tutoriaux sur YouTube qui expliqueront les choses bien mieux que lui et grâce auxquels il ne prendra pas le risquer de blesser l’enfant qui semble encore bien jeune et fragile. Si Kieran est à l’aise avec les enfants en temps normal, celui-ci semble briser la règle universelle. Probablement parce qu’il lui a été imposé sans qu’il n’ait vraiment son mot à dire, et qui lui laisse une certaine amertume à prodiguer des conseils pour un rôle qu’il n’est pas près de vivre même s’il s’en languit. Il semblerait qu’il existe une autre règle universelle qui veut que son entourage ait la chance de connaître ce bonheur auquel il n’a pas le droit, et cela semble désormais inclure même les inconnus qu’il croise occasionnellement. Même si on ne peut pas dire que Siham rayonne comme les jeunes parents sont supposés le faire, mais c’est un commentaire qu’il se gardera bien de souligner. Elle, de son côté, n’a pas manqué de s’étonner qu’il semble en connaître un rayon dans le domaine, preuve en est s’il en fallait une supplémentaire que cela restera sans doute de l’ordre du rêve. Malgré tout, elle finit par lui coller ce bébé dans les bras et s’il est surpris et pas franchement à l’aise de la manière dont il a l’impression de se retrouver avec un sac à patates dans les bras, il reprend rapidement son aisance en repositionnant l’enfant de manière qu’il soit suffisamment confortable pour lui donner la fin de son biberon. Enfant qui a désormais un prénom, Dali, qui a le mérite d’être particulièrement original et d’éveiller la curiosité de Kieran. « C’est pas moi qui l’ait choisi. » Et le dessinateur semble enfin comprendre que sa curiosité est sans doute déplacée, en vue du mystère qu’elle continue d’accentuer, ne donnant que des substituts de réponses à ses questions – quand elle veut bien prendre la peine de lui répondre, d’ailleurs. C’est assez paradoxal et ça ne fait que renforcer le côté étrange de cette situation, alors qu’elle ne détaille jamais beaucoup, quand bien même elle lui a pourtant collé son gosse – supposément la prunelle de ses yeux – dans les bras. « J’aime beaucoup peindre, disons que c’est un hommage. » - « C’est une bonne idée, oui. » C’est original, mais ce n’est pas pire à porter que d’autres prénoms. Et, en tant que passionné d’art lui-même, c’est un prénom qu’il valide. Il n’ira pas jusqu’à le mentionner, pas plus qu’il l’interrogera sur son attrait pour l’art même s’il en meurt d’envie, parce qu’il a l’impression que son rôle est satisfaisant uniquement s’il n’oublie pas de la fermer.

De toute façon, Kieran n’a pas grand-chose à ajouter, désormais trop focalisé sur cette petite merveille dans ses bras, oubliant un instant les circonstances dans lesquelles on lui l’a mis dans les bras. Il manque cruellement d’objectivité, c’est sûr, mais il n’empêche qu’il est à croquer, Dali, et qu’il profite un instant de ce qu’il n’aura pas avant longtemps – pour ne pas dire jamais, vu comment sa vie se dessine, le narguant continuellement. Lorsque Dali a terminé son biberon, il quémande de quoi protéger son t-shirt, en cas de régurgitation. Car si Kieran veut bien donner de sa personne, il y a néanmoins quelques limites. Et l’histoire aurait pu s’arrêter-là s’il n’y avait pas quelque chose dans le regard de cette femme qui l’amène à lui éviter les tutos en ligne pour lui faire une démonstration bien réelle de ce qu’il évoquait plus tôt. « J’veux bien. » - « Merci » Il rétorque quand elle dépose le bavoir sous le menton de Dali, le protégeant ainsi tandis qu’il continue de lui frotter le dos pour l’amener à roter. « a vrai dire, c’est la première fois que j’le vois comme ça… » - « Je crois qu’ils sentent et sont sensibles à ce qui se passe autour d’eux. » Ce n’est pas un reproche, loin de là, mais elle n’a pas l’air particulièrement sereine, Siham. « c’est quoi votre secret ? » - « J’imagine que je passe de meilleures nuits que vous et que je suis plus détendu. » Il ponctue sa phrase avec un léger rire, encore une fois pour ne pas qu’elle s’en offusque – au contraire, il l’invite plutôt à prendre soin d’elle. « Je vais bientôt fermer… si vous avez deux minutes, le temps que j’fasse le tour, que j’ferme le rideau… et vous m’faites votre démonstration ? » - « Prenez votre temps, ça lui laissera le temps de digérer encore un peu. » Et s’il espérait quitter cet endroit au plus vite lorsqu’elle lui a quémandé d’aller dans la maison de retraite en face, désormais Kieran est très loin d’être pressé, alors qu’il a de nouveau oublié la présence de Siham qui vaque à ses occupations pour fermer boutique. Dali dans ses bras, il se retient de lui coller une bise sur le front, bien conscient que ce n’est pas son gosse, mais cela ne l’empêche pas de le serrer contre lui un bref instant. Finalement, après quelques minutes, quand Siham revient vers lui, il couche délicatement Dali sur le petit comptoir non sans avoir demandé au préalable un linge ou un autre bavoir pour qu’il soit plus à l’aise. « Bon, c’est très facile. » Il débute, avant de prendre avec douceur les petits pieds de Dali dans ses mains. « Tout est dans le nom, il faut faire pédaler. » Il dit en joignant le geste à la parole, bougeant doucement les jambes du petit, imitant les mouvements circulaires qu’il ferait s’il était sur une bicyclette. « Vous faites ça pendant… quoi, dix secondes ? Faut évaluer un peu à l’œil, aussi. » Après quelques secondes, il estime qu’il est temps de passer à l’étape supérieure. « Et après, vous appuyez doucement sur son ventre et… » Dali conclut la démonstration en lâchant un gaz bruyant qui ne manque pas de faire rire Kieran, d’autant qu’il démontre de l’efficacité de la technique. « … voilà ! » Il annonce fièrement en relevant les yeux vers Siham. « C’est pas compliqué. » Il reprend son sérieux alors qu’il réalise qu’il serait peut-être temps de rendre l’enfant à sa mère. « Enfin, bref, euh, ma mission est terminée. » Il précise, avec une pointe de sarcasme dans la voix. « Si à l’occasion vous avez besoin, enfin… hésitez pas, quoi. » Et à cet instant, Kieran ne se doute pas que « dépannez-moi d’un peu de beurre » se transformera vite en « gardez-le pour une heure ».

@Siham Fowler