@eliot chapman

Elle se croirait dans un film d’espionnage, Lily, à surveiller l’exact moment où il aura besoin d’aller faire ses courses pour qu’elle puisse enfin trouver le temps et surtout le moyen de lui parler sans qu’il ne puisse refuser l’offre. Après tout, elle continue d’être vexée du simple fait qu’il ait refusé son invitation à venir manger un de ses derniers gâteaux inventés en date, parce qu’elle est tout de même particulièrement douée dans le domaine et surtout parce que personne avant lui n’avait osé répondre quelque chose d’aussi simple, franc et blessant qu’un “non”. Personne ne dit jamais non à Lily Keegan, parce qu’elle a l’art et la manière de s’en assurer, et parce qu’elle accepte très mal qu’il puisse ainsi passer au travers des mailles du filet, comme si tout lui était permis. Il menace son équilibre, il menace sa vie et il menace sa famille: elle ne peut pas le laisser déambuler dans ce monde en tout insouciance. Les personnes telles que lui ont généralement des accidents de voiture, ou des accidents du quotidien, et Eliot Chapman devrait simplement s’estimer heureux que rien de tout ceci ne lui soit pour l’heure arrivé. Pour l’heure.

“Monsieur Chapman.” Elle l’annonce avec un sourire et une voix à peine plus aiguë que naturellement, pour souligner la surprise qui est faussement sienne. Après tout, quelles étaient les chances pour qu’elle le croise au beau milieu d’un supermarché, entre les oranges et les clémentines ? Sacré bonne question, ça. Le hasard, quel fabuleux outils pour toujours arriver à ses fins lorsqu’on est une femme et désormais mère de famille, qui plus est à la tête d’une association et dont l’histoire pourrait faire pleurer n’importe qui. Elle a tous les outils en main et n’hésite pas à les utiliser, mais le problème continue pourtant de persister avec Chapman: il est loin d’être stupide et encore plus loin encore d’être crédule, comme le prouve son insistance pour refuser l’invitation à goûter de Lily. Il a raison, ce n’est pas professionnel. Mais qui pourrait lui tenir rigueur du’ne fortuite rencontre au supermarché, alors ? Lily a bien trop à perdre dans toute cette histoire pour ne pas oser provoquer le Destin, tel qu’elle le fait en cet instant, après l’avoir à peine touché de son épaule, juste assez pour attirer son attention sur sa personne. La brune sourit et pose une main contre son ventre, habitude qu’on pourrait croire qu’elle a gardé malgré la naissance de sa fille ; en réalité, elle porte déjà la vie à nouveau et, bien loin d’être heureuse de cette nouvelle inattendue, cela lui donne au moins la force paradoxale de se battre pour sa famille nouvellement construite.

Et pour l’heure, le seul obstacle et danger sur son chemin porte un nom très simple: Eliot Chapman.

“J’espère ne pas vous avoir fait mal. Je suis maladroite ces derniers temps, à croire que je ne sais plus marcher depuis que j’ai accouché.” Elle en rit, elle se fait passer pour la pauvre mère qui ne sait plus comment fonctionne la vie. Il y a un peu de ça, en réalité, mais jamais rien que Lily ne voudrait avouer parce que cela serait accepter de dire au reste du monde qu’elle n’est finalement pas la mère parfaite qu’elle a toujours aspiré à devenir. “Vous venez ici aussi, alors ? Le monde est petit.” Son sourire est toujours présent mais il devient de plus en plus faux à chaque nouvelle seconde écoulée, ce dont elle se rend compte elle-même - ce qu’elle provoque, aussi. “J’imagine qu’on doit parler, vous et moi.” Et aujourd’hui plus que jamais, elle n’ajoute pas la moindre once de questionnement. Ils doivent parler, point.

Eliot avait fini par s'habituer à sa vie de célibataire même s'il avait encore du mal à entendre Greta le traiter de vieux garçon en devenir. S'il n'avait jamais eu aucun problème à accomplir les tâches quotidiennes nécessaires à sa survie solitaire, il songea un instant à trouver d'autres solutions pour gérer ses corvées alors qu'il venait de tomber sur une personne qu'il aurait préféré éviter au rayon fruits et légumes de son supermarché. Monsieur Chapman. Il fronçait les sourcils, ne cachant pas sa surprise de croiser Lily. Bonjour. Qu'il répondait poliment avant d'essayer de reprendre son chemin : il était hors de question qu'il s'attarde avec elle entre les étales. Cacher un conflit d'intérêt était déjà bien assez épuisant pour qu'il ne risque de se retrouver au milieu d'une autre affaire du genre. Mais alors qu'il n'avait fait qu'un pas pour avancer, son épaule fut heurtée légèrement par celle de Lily. Il défiait alors son regard, s'attendant à presque tout de la part de sa première suspecte dans une vieille affaire ressortie des archives. Il venait de comprendre qu'elle n'avait pas accepté son refus de se rencontrer à peine deux ou trois semaines auparavant, et son insistance était clairement inquiétante. J’espère ne pas vous avoir fait mal. Je suis maladroite ces derniers temps, à croire que je ne sais plus marcher depuis que j’ai accouché. J'ai connu pire. Il vint passer sa main sur son épaule comme pour repositionner sa manche correctement, agacé de l'attitude à laquelle il faisait face ici. Vous venez ici aussi, alors ? Le monde est petit. Eliot aimait vivre au jour le jour et préférait se laisser surprendre plutôt que tout prévoir à l'avance, en général. Pourtant, au quotidien, il avait des habitudes bien ancrées, dont celles de venir faire ses courses un jour fixe dans la semaine. Leur rencontre ne pouvait pas être un hasard. Comme vous dites. L'air de la jeune femme devint soudain tout à fait sérieux. J’imagine qu’on doit parler, vous et moi. Il avait compris que quelque chose n'allait pas à l'instant où ses yeux s'étaient posés sur la jeune femme. Pour autant, aussi manipulatrice qu'il l'imaginait, il n'aurait jamais cru qu'elle oserait l'aborder avec l'air qu'elle arborait à cet instant. Oh, vous l'imaginez.. Qu'il lançait en hochant la tête, un rictus au coin des lèvres. Il ignorait à quel jeu Lily avait envie de jouer mais il refusait de lui laisser croire une seule seconde qu'elle menait la danse. Tout ce qu'elle réussissait à faire en se comportant de cette façon, c'était finir de le convaincre qu'elle était la seule coupable de la mort du Ferguson et qu'elle était en train de perdre pieds, pour une raison ou une autre - les hormones, sans doute. J'avais cru comprendre que vous ne vouliez plus que l'on se parle sans la présence de votre avocat pourtant. C'est ce qu'elle lui avait dit, quelques mois en arrière. Et c'est ce qu'ils avaient fait, en se retrouvant quelques fois au poste pour des échanges très peu constructifs. A croire qu'être à la tête d'une association au nom connu et bien vendeur lui offrait quelques avantages, comme celui de pouvoir se payer une défense en béton. Cela rendait ses deux dernières tentatives d'approches encore plus intrigantes aux yeux de l'inspecteur. Qu'est-ce qui a changé, dites moi ?

Les remarques de Lily sont d’une banalité affligeante, mais ce n’est sans doute rien en comparaison de ceux qu’Eliot a face à elle. Il n’a aucune envie de la croiser, encore moins de lui parler, et c’est aussi évident que le contraire l’est du côté de la jeune mère. Dans un autre contexte, Lily n’aurait pas non plus cherché à entretenir le contact avec lui. A dire vrai, elle a bien plus de raisons de ne pas le faire que l’inverse, mais la seule allant à contre courant est bien suffisante pour la convaincre de tout mettre en œuvre pour protéger sa personne autant que sa famille. Mais le numéro de la brune étourdie ne s’éternise pas bien longtemps, autant parce qu’elle n’aime pas porter ce rôle que parce qu’elle n’a pas de temps à perdre. Alice l’attend à la maison, où Ezra s’occupe d’elle, et elle ne veut pas perdre trop de ce temps précieux qu’elle aurait pu passer avec sa famille. Oh, vous l'imaginez.. Il en sourit, et c’est sans doute tant mieux, parce que Lily ne compte pas faire machine arrière. Elle dit l’imaginer, là où tout porte à croire qu’elle l’impose plutôt. Ils doivent parler, ce n’est pas une question, et ce n’est pas une simple proposition ou idée non plus. J'avais cru comprendre que vous ne vouliez plus que l'on se parle sans la présence de votre avocat pourtant. - “Vous savez, les temps changent.” Et il n’y a rien, absolument rien dans ce qu’elle s’apprête à lui dire qui nécessite la présence d’un avocat. Bien au contraire, elle n’aurait rien à y gagner à en convoquer un lors d’une discussion aussi peu formelle, et surtout tout sauf légale.

Qu'est-ce qui a changé, dites moi ?
“Et si on allait boire un café, plutôt ?”

Il paiera ses articles plus tard. Il y aura toujours des légumes lorsqu’il reviendra, et Lily pourrait même déjà parier qu’avoir ses cinq fruits et légumes par jour deviendra rapidement le cadet de ses soucis, lorsqu’ils auront assez parlé, tous les deux. Elle lui offre un sourire chaleureux, et pour quiconque poserait son regard sur leur duo, ils seraient tentés de croire qu’elle essaie de le draguer. L’ironie est douce et mordante. Lily ne lui laisse pas le moindre choix, en réalité, son regard n’ayant rien de tendre alors qu’elle le garde ancré dans le sien, pour qu’il comprenne que ses questions n’en sont pas. Ils doivent avoir ce genre de discussion qui nécessite un semblant d’intimité, sans que cela n’ait rien à voir avec ce que les individus autour d’eux pourraient penser.

Elle se retient de passer son bras autour du sien, certaine qu’il lui filerait entre les doigts si elle osait le moindre geste en sa direction. Il est sans doute déjà bien assez intrigué pour accepter de la suivre, malgré toutes les contre indications, autant professionnelles que spirituelles: évidemment que les petites voix dans sa tête lui disent de ne pas la suivre. Lily s’assure pourtant de sa présence, tout comme elle s’assure de choisir une table assez en retrait des autres dans le café, où elle commande déjà deux tasses pour eux. De toute évidence, le choix de boisson n’est pas leur priorité. “Qui sait ce qu’il s’est passé à Mackay ?” Joseph, puisqu’il le lui a dit, sans même savoir ce qu’il devait exactement cherché. Elle aussi, maintenant. Eliot, de toute évidence, puisqu’il est celui qui a fauté là-bas et qu’on a collé aux affaires classées à son retour à Brisbane en guise de punition. Mis à part eux, sans doute personne d’autre. “J’imagine que ce n’est pas une information vouée à être répétée, pas vrai ?” Et elle ne le fera pas. Du moins, elle ne le fera pas s’il suit à son tour les quelques indications qu’elle s’apprête à lui donner.

La surprise qu'il avait eue en tombant sur Lily s'était rapidement transformée en suspicion : ce n'était pas le hasard qui les avait liés aujourd'hui et il le savait. Tant bien que mal Eliot essayait de lire en elle pour comprendre ce qui se jouait ici et à son plus grand malheur, il n'y parvenait pas. Elle était douée pour cacher son jeu et il l'avait bien compris, c'est ce qui la rendait aussi agaçante pour lui. Vous savez, les temps changent. Il n'appréciait pas du tout la façon dont elle s'adressait à lui. Et si on allait boire un café, plutôt ? Il fronçait les sourcils à nouveau et il fallait croire que ce n'était pas pour la dernière fois de la journée. C'est une invitation qui ne se refuse pas. Il aurait aimé que oui, mais l'air qu'elle avait et le ton qu'elle employait lui faisaient bien comprendre qu'il n'avait pas le choix. Il ne craignait pas Lily, elle n'avait aucun pouvoir et ne pouvait rien faire contre lui. Pourtant elle avait l'air convaincue d'avoir des cartes à jouer, ce qui intriguait l'inspecteur, à défaut de l'inquiéter pour l'instant. Il laissait donc son caddie sur place, suivant Lily sans trop savoir pourquoi - même s'il se doutait que leur échange n'aurait rien de plaisant.

Ils s'étaient installés à une table en retrait, loin des oreilles indiscrètes. Eliot était loin d'être naïf et il ne savait que trop bien qu'il venait de se laisser embarquer dans une situation qui n'allait pas lui plaire ; le genre de rencontres qui finissait toujours par plus de problèmes ou plus de questions. Il avait gardé le silence, attendant patiemment de voir où Lily voulait en venir, et alors qu'elle venait de leur commander deux cafés dont ils n'avaient ni l'un ni l'autre vraiment envie, elle mit enfin fin au suspens qui s'était installé. Qui sait ce qu’il s’est passé à Mackay ? Eliot gardait un air neutre, essayant de cacher le flot de pensées qui venait pourtant polluer sa réflexion, l'empêchant de répondre d'une manière totalement réfléchie. Je vous demande pardon ? Il ignorait ce qu'elle savait mais il était profondément agacé qu'elle ait pu mettre le doigt sur des informations qui le touchaient directement. J’imagine que ce n’est pas une information vouée à être répétée, pas vrai ? Il reculait contre le dossier de sa chaise, croisant les bras sur son torse. A quoi vous jouez exactement ? Quel était son but ? Qu'il abandonne l'affaire ? Tout ce que Lily était en train de faire, c'était le convaincre qu'elle était l'unique responsable de décès de son fiancé de l'époque. J'ignore qui vous a parlé de Mackay mais cette affaire a été classée. Il avait purgé sa peine en suspension, on avait fini par lui rendre son badge. Il aurait espéré que cette histoire ne lui soit jamais renvoyée à la figure comme elle l'était aujourd'hui ; ses erreurs du passé auraient dû y rester enterrées. Elle serait évidement réouverte s'il venait aux oreilles de ses supérieurs qu'en plus d'une erreur de jugement Eliot avait un énorme conflit d'intérêt, au vu de sa relation avec la plaignante, Sienna, mais il était certain que cette information n'aurait pas pu arriver jusqu'à Lily - et qu'elle n'arriverait donc pas jusqu'à ses supérieurs. Cette conversation est totalement déplacée. Qu'il pensait à rappeler même si son interlocutrice était déjà tout à fait au courant ; aussi déplacée que la relation qu'il avait entretenue avec Sienna à l'époque.

Les cafés une fois amenés à leur place, Lily en profite pour enfin aller droit au but et parler du sujet qu’elle garde en tête depuis des semaines, si ce ne sont des mois: Mackay. Je vous demande pardon ? Sa tête se balance de droite à gauche, comme pour lui dire qu’ils valent tous les deux mieux que ça. Elle n’a plus le cœur à jouer l’ingénue, et jouer l’ignorant ne va pas au teint d’Eliot. Cela lui va encore moins au teint alors qu’elle sait très bien que le nom a bien plus de signification pour lui qu’elle n’en a pour elle. Elle prend le temps de boire une première gorgée de son café, ses yeux clairs reposés dans celui de son homologue, pour lui laisser le temps de la réflexion autant que celui d’accepter la nouvelle. Il se rend plus que jamais compte qu’il existe un piège tout autour de sa personne, et Lily n’a aucun mal à comprendre qu’il ait besoin d’un temps pour l’accepter. A quoi vous jouez exactement ? Elle ne joue pas à grand chose, Lily. Elle se contente de défendre sa famille et son territoire, voilà tout. “Je ne suis pas du genre à jouer.” Elle le lui assure même, la confiance s’entendant dans ses propos.

J'ignore qui vous a parlé de Mackay mais cette affaire a été classée. - “L’affaire est classée parce que personne n’en a eu la fin mot.” Autrement dit, elle aurait tôt fait de sortir des archives si jamais de nouveaux éléments venaient s’ajouter à l’enquête, et cela ne serait pas une bonne chose pour la carrière de Chapman, ou même sa vie de façon générale. Il tente de s’en sortir mais Lily n’accepte pas de le laisser aller avec ses simples mensonges. Cette conversation est totalement déplacée. Ce commentaire n’est-il pas tout à fait ironique venant de lui ? Surtout après qu’elle ait déjà commencé à parler du sujet de Mackay ? Sa remarque fait déjà rire Lily, du moins. “Comme le sont tes soupçons à mon égard.” Il ne la croira pas, mais elle le dit quand même. Rien dans cette stratégie n’aide à défendre l’image qu’il a de Lily, mais elle a décidé de s’en sortir par un biais différent. “Je n’ai pas touché un cheveux de Callum, pour ce que ça vaut.” C’est-à-dire pas grand chose, puisqu’elle sait très bien qu’il n’est pas prêt d’avoir la moindre confiance envers Lily un jour ou l’autre. “Mais je ne peux pas me permettre que qui que ce soit le pense.” Elle ne veut pas que son frère tombe pour ce qui est de sa faute, en réalité. Non par charité, mais bien parce qu’elle ne peut pas se permettre d’être associée à un frère condamné pour meurtre avec préméditation. Il n’y a pas de prescription pour ce genre de crime, et quand bien même elle pense qu’il aurait effectivement sa place derrière les barreaux, elle ne peut pas l’accepter. “Et si vous repreniez plutôt vos recherches du côté des freins ayant eu un défaut de construction, Inspecteur Chapman ?” Et si l’affaire de Callum Ferguson venait à être classée, à nouveau, comme l’est tout autant Mackay ? Ils auraient tous à y gagner dans l’idée de trouver un statu quo, et elle espère qu’il le comprendra autant qu’elle l’a rapidement compris de son propre côté.

La scène semblait irréelle et pourtant ils étaient bien là, Eliot et Lily, à prendre un café d'une manière tout à fait banale si on les regardait de loin. De loin seulement, parce que leur conversation n'avait rien d'anodine. Je ne suis pas du genre à jouer. Si, et trop au goût d'Eliot. Il se doutait déjà qu'elle passait son temps à jouer un rôle, que tout ce qu'elle présentait au monde n'était qu'une façade destinée à cacher qui elle était vraiment, ses failles comme ses défauts. Il en avait aujourd'hui la preuve : Lily était une comédienne hors pair. Restait à savoir jusqu'où elle était réellement capable d'aller, et si les menaces qu'elle proférait étaient fondées ou si elles ne faisaient que parti du rôle qu'elle s'attribuait. Tous ses sens étaient en alerte. Il observait le moindre de ses gestes, essayait d'analyser ses propos et le ton qu'elle employait, essayant de trouver les failles de celle qui se pensait intouchable grâce à une information.

L’affaire est classée parce que personne n’en a eu la fin mot. Il doutait encore que quelqu'un puisse l'avoir un jour Eliot, mais ne pouvait pas risquer de prendre ces menaces à la légère. Il se risquait pourtant à essayer de mettre fin à cette conversation, visiblement en vain. Comme le sont tes soupçons à mon égard. Sa familiarité soudaine surprenait l'inspecteur bien qu'il soupçonnait surtout Lily d'utiliser un énième stratagème pour prouver qu'elle maîtrisait la situation. Je n’ai pas touché un cheveux de Callum, pour ce que ça vaut. Mais elle savait qui s'en était occupé pour elle, Eliot en était certain maintenant. Mais je ne peux pas me permettre que qui que ce soit le pense. Ça faisait sans nul doute tâche au portrait idyllique qu'elle essayait de se dresser. Et si vous repreniez plutôt vos recherches du côté des freins ayant eu un défaut de construction, Inspecteur Chapman ? Eliot venait de prendre enfin conscience de l'ampleur de la situation complètement merdique dans laquelle il s'était fourré. L'insistance de Lily sous entendait qu'elle ne s'arrêterait pas de si tôt ; qu'elle était prête à en découdre et à ruiner sa carrière sans sourciller s'il ne jouait pas le jeu. Il refusait cependant de se laisser abattre si rapidement, les agissements de la brune ayant surtout piqué sa curiosité. Ce qui était sûr, c'est qu'il s'était suffisamment approché de la vérité pour que ça la dérange. Il s'avançait un peu vers elle, croisant ses mains sur la table. Tu le protèges ou il te fait peur, le coupable ? Il agissait comme si l'équilibre entre eux n'avait pas totalement été chamboulé - alors que si. Il n'était pas idiot et avait bien en tête à quel point Lily pouvait être dangereuse pour lui. Pour autant, il ne pouvait s'empêcher d'essayer de comprendre, de la déstabiliser peut-être. Ça ne coûtait rien de tenter, au moins. Si on coopère je suis sûr qu'on peut trouver une solution pour se sortir de cette... situation. Une solution qui n'inclurai ni peine judiciaire à Lily, ni retrait de son badge à Eliot : dans l'idéal, une solution ou le vrai coupable se retrouverait derrière les barreaux et où cette affaire serait réglée pour de bon.

Elle a donné le ton, planté le décor, ajouté une idée des conséquences de ses actes si jamais Eliot Chapman osait continuer à se montrer aussi têtu face à une adversaire telle que Lily. Elle n’a jamais joué à un aussi haut niveau, elle n’a jamais joué à un niveau qui pourrait lui faire perdre autre chose qu’une part de son ego et, aussi terrifiée soit-elle, Lily est surtout parfaitement grisée par la situation. Si elle pouvait en parler à Alfie sans prendre le risque qu’il veuille tout raconter de lui-même à la police pour faire tomber son frère, alors elle se serait jetée sur l’occasion, assurée de gagner des points dans le cœur tordu d’un homme dont l’avis a toujours infiniment importé à ses yeux. Tu le protèges ou il te fait peur, le coupable ? Elle plisse rapidement les yeux, s’étant attendue à devoir se défendre elle et elle seule. Chapman n’est pas aussi naïf qu’elle aurait pu le croire de prime abord, comme en prouve l’aisance avec laquelle il comprend et accepte l’idée qu’elle ne soit effectivement pas la coupable du meurtre de son fiancé de l’époque. A partir de là, le puzzle est facile à assembler, et elle se dit surtout qu’elle a bien fait de montrer les crocs la première: il vaut mieux qu’il ne sache pas quelle identité associer derrière de meurtre. Il le vaut mieux, et pourtant Lily doute qu’il ne le sache pas déjà, le casier judiciaire de son frère étant à faire pâlir n’importe qui. Et quel frère ne voudrait pas défendre sa petite sœur, au juste ? Même Joseph s’y est essayé, lui et tous les défauts qui le caractérisent. “Le jeu n’est pas donnant-donnant.” Elle le protège, évidemment. Jamais Joseph ne lui fera peur, pas alors qu’elle est persuadée qu’elle pourrait lui aussi le réduire au silence si jamais le besoin s’en faisait ressentir un jour: ou plutôt quand le besoin s’en fera ressentir, un jour. “Il faut arrêter de chercher dans cette direction.” Dans la bonne direction, donc. Qu’il se contente de travailler de nouveau sur les freins, qu’il demande une contre-enquête, que cette dernière conclut finalement à l’erreur mécanique. Et voilà. Elle ne demande rien de plus si ce n’est un peu de paix, et elle se fera justice elle-même. La loi n’a pas à s’en faire à ce sujet.

Si on coopère je suis sûr qu'on peut trouver une solution pour se sortir de cette... situation. La première réponse de la brune se résume à un sourire. Il n’y a pas de coopération possible, parce que ce serait accepter de lui faire confiance, et force est de constater qu’ils en sont bien loin. Pire encore, ce serait caresser l’idée d’un pied d’égalité, et une fois de plus il n’en est rien. “Je t’apprécie Eliot, pour ce que ça vaut là encore, mais tu n’es pas vraiment en position de négocier.” Elle lui a demandé quelque chose, et tout ce qu’elle peut attendre de lui désormais se résume à écouter et passer à l’action sans broncher. Pas plus, pas moins - et certainement pas plus, justement. “C’est un conseil autant qu’un ordre, quand je te dis de ne pas chercher davantage la vérité. Tu n’as plus rien à y gagner. Concentre toi sur d’autres affaires, qu’en dis-tu ?” Des affaires plus récentes, des affaires dans lesquelles la victime en était vraiment une. Lily en voudra toujours à Callum d’avoir été un tel homme, mais elle sait qu’il ne méritait pas de mourir pour autant. Elle sait, surtout, qu’elle aurait pu gérer la situation seule et d’une bien meilleure façon. Sans l’intervention de son frère, il n’y aurait jamais eu de problème. Pas de problème de la sorte, du moins, jamais quelque chose d’aussi grossier qu’un accident de voiture. Ça fait du bruit, des dégâts, des murmures. Bon sang, si seulement Joseph l’avait laissée gérer la situation. “J’ai une famille à élever, ne me force pas à donner encore de mon temps à cette histoire. Elle n’en vaut pas la peine.” Elle a déjà une fille, et elle s’apprête à devenir mère à nouveau. Elle n’a vraiment pas le temps de s’occuper des fantômes du passé. “Cette affaire sera ton tombeau. Trouve toi en une autre.” Elle conclut donc, son regard se relevant dans celui de l’homme face à elle alors qu’elle termine son argumentation, aussi simplement que cela. “Je ne dirai jamais rien si tu ne m’y forces pas.” Et sur ce coup, il n’a sûrement d’autre choix que de lui faire confiance.

Le jeu n’est pas donnant-donnant. Eliot aurait aimé avoir la possibilité d'être un homme honnête. Dans ce cas il se serait levé, aurait salué Lily en lui lançant un "on se reverra au tribunal" et aurait débarqué au poste pour faire une déposition à son sujet. Il aurait aimé correspondre à l'image qu'il se faisait de son métier lorsqu'il était à l'aube de sa carrière, mais il avait perdu cette chance et causé sa perte en faisant ses propres erreurs. Alors même s'il ne l'acceptait pas face à elle, même s'il cherchait une faille à exploiter, il savait au fond de lui comment finirait cette histoire. Il faut arrêter de chercher dans cette direction. - J'ai démonté toutes les pistes qui menaient à l'hypothèse que ce n'était qu'un accident. Il me faut un coupable. Et si elle pouvait lui en fournir un ils seraient tous les deux sortis d'affaire, mais visiblement elle tenait à celui qui avait fait ça. Il en venait de sa crédibilité mais aussi de la confiance que ses supérieurs lui accordaient ; une erreur de sa part et il était fini pour de bon. Je t’apprécie Eliot, pour ce que ça vaut là encore, mais tu n’es pas vraiment en position de négocier. Il devait bien admettre que le rôle dans lequel Lily s'était mise aujourd'hui faisait bien plus naturel que celui qu'elle s'obstinait à jouer d'habitude, ce qui était d'autant plus inquiétant puisqu'il paraissait naturel. C’est un conseil autant qu’un ordre, quand je te dis de ne pas chercher davantage la vérité. Tu n’as plus rien à y gagner. Concentre toi sur d’autres affaires, qu’en dis-tu ? Il aurait pu revenir sur ses propos facilement ou annoncer à ses supérieurs que l'enquête était une impasse, s'il ne leur avait pas déjà tenu un discours opposé en étant tout à fait sûr de lui. Un tel revirement d'opinion attirerait forcément l'attention sur lui - encore - et il voulait l'éviter à tout prix. J’ai une famille à élever, ne me force pas à donner encore de mon temps à cette histoire. Elle n’en vaut pas la peine. Au grand damne d'Eliot, il ne pouvait pas reprendre son raisonnement d'avoir une famille à élever pour essayer de la faire compatir. Snowball ne risquait pas d'être un argument suffisant à le faire plaindre - maître célibataire d'un cocker, ça ne rentrait pas assez dans les clous pour qu'on le considère comme père de famille. De toute façon, au regard de Lily, il avait bien compris qu'elle ne reculerait pas. Je la trouve très intéressante pourtant. Qu'il ne put s'empêcher de répondre pour autant. Sa prise d'initiative avait largement piquée la curiosité de l'inspecteur, même s'il avait aussi pris à présent mesure du danger de la situation. Cette affaire sera ton tombeau. Trouve toi en une autre. Machinalement, un rictus moqueur se dessinait sur les lèvres d'Eliot. Il avait beau avoir rapidement sorti Lily de la case des gentils, il n'avait pas encore fini de déterminer les limites de sa personnalité. Irait-elle jusqu'à assassiner - ou faire tuer - un inspecteur de police pour régler ses affaires ? Malheureusement pour lui et pour sa propre sécurité, il n'avait d'autre choix que de considérer ses propos comme s'ils étaient vrais temps qu'il n'avait pas la certitude qu'elle ne faisait que bluffer. Je ne dirai jamais rien si tu ne m’y forces pas. En conclusion, Eliot avait le choix de mentir pour elle et de risquer sa place - et il se ferait prendre, puisqu'il savait les services internes toujours plus ou moins sur son dos - ou de la dénoncer et de risquer sa place et peut-être sa vie. Aucune des deux solutions n'était bonne. Trouver une porte de sortie différente était encore sa seule chance de limiter les dégâts, même s'il n'avait pas de bonnes cartes à jouer. Et pour Corey ? Il veut qu'on punisse celui qui a fait ça à son frère. Eliot avait largement échangé avec lui a plusieurs reprises, il le savait toujours en contact avec Lily. Elle comptait le faire taire, lui aussi ?

Les nouvelles conditions de leur entête ont été données, et Lily a tout pour croire qu’il suivra les ordres sans (trop) poser de problèmes. Il est pris au piège quoiqu’il fasse, et elle espère pour lui qu’il se contentera de suivre la voie la plus simple et sécuritaire, sans chercher à jouer au héros. Il n’y a que dans les films Hollywoodiens que ces derniers arrivent à gagner. Dans la vraie vie, ils finissent six pieds sous terre. J'ai démonté toutes les pistes qui menaient à l'hypothèse que ce n'était qu'un accident. Il me faut un coupable. Il marque un point. Il s’est battu pour cette affaire, il a remué ciel et terre pour tenter d’arriver à une certaine vérité. Il est bon dans son travail, jamais Lily ne le lui retirera, mais ce sont justement ses capacités qui ont posé problème: s’il s’était contenté de juger que cela n’a rien de plus qu’un accident, comme bien d’autres avant lui, alors il aurait pu éviter de nombreux problèmes. “Je trouverai une solution.” Elle n’en a pas pour le moment, elle l’admet à demi-mots, mais elle garde la tête haute en promettant que les choses changeront. Lily trouvera comment remettre la piste de l’accident sur les rails, cela ne devrait pas être bien sorcier. Tout ce dont elle a besoin, c’est d’un peu de temps, et il est évident qu’il le lui offrira, maintenant. Je la trouve très intéressante pourtant. Il définit l’enquête de cette manière, insolent au possible. Parfois, il pourrait lui rappeler Alfie. L’idée la fait sourire. “Non, vraiment. Trop cliché.” Puisqu’elle la connaît dans son entiereté, Lily peut se permettre un tel commentaire sans pour autant risquer qu’il comprenne tous les tenants et aboutissants de cette enquête criminelle: Eliot a commencé à se rapprocher de la vérité, mais il est encore bien loin de la connaître, et c’est pour cette raison que Lily a décidé d’intervenir avant qu’il n’en sache définitivement trop. L’omniscience est une bonne idée dans les films seulement, une fois de plus.

Et pour Corey ? Il veut qu'on punisse celui qui a fait ça à son frère.
“Je me charge de Corey. On le laisse en dehors de cette histoire.”

Il veut que justice soit faite pour son frère uniquement parce qu’Eliot a placé dans son esprit l’idée que tout ceci était autre chose qu’un accident. Il vivait bien mieux avec une telle idée, lui qui redouble sûrement de vigilance dès qu’il prend le volant. Personne ne veut savoir qu’un inconnu a soudainement décidé de mettre fin à l’existence de son frère sur cette terre, et Corey ne mérite pas de vivre avec un tel poids sur la poitrine. Elle veut son bonheur ; il mérite d’être heureux. Et si elle doit lui mentir les yeux dans les yeux pour y arriver, alors elle le ferra. “J’ai votre numéro.” Et lui aussi. Elle lui parlera si elle trouve comment se sortir du marasme dans lequel il les a mis, et elle a aussi à coeur de penser qu’il lui parlera si jamais de nouveaux éléments s’ajoutent à l’enquête. “Commencez à nourrir l’idée que vous vous êtes trompé.” Un revirement soudain serait louche, oui, mais s’il en vient à abandonner l’affaire après avoir longuement tourné en rond, ce ne serait que purement logique. Et elle a assez foi en son intelligence pour savoir qu’il saura jouer à l’ingénu avec finesse.