Au fond de lui, quelque part bien cachée, une petite voix soufflait à Andy qu’il avait encore fait très fort en termes d’ânerie. Cette petite voix elle-même s’étonnait de voir les situations qu’il réussissait à provoquer. Le pire dans le cas présent, ou l’insoupçonnable, c’était l’aspect volontaire de la rencontre qu’avait organisé Andy. Alors, oui la rencontre avait un but professionnel et oui, le projet avait du potentiel. Tout ça c’était ok. Non le problème, c’était le client, enfin disons plutôt les relations qu’entretenait Andy avec le client. C’était important de mettre en place, un minimum de bonne entente avec le client, d’instaurer une forme de confiance. Tout particulièrement quand le client était un particulier, peu habitué à gérer des biens immobiliers dont le potentiel pouvait générer des flux financiers important. Il fallait lui montrer ce qu’il pouvait en tirer, le faire suffisamment adhérer au projet pour obtenir son accord et bien sûr ne pas se tromper. Mais ce dernier point ce n’était que l’affaire d’Andy. Le client devait croire en les bénéfices qu’il pouvait tirer de sa collaboration avec le professionnel. D’où la nécessité de la confiance. Et sur ce point, Andy s’était lui-même tirer une balle dans le pied en menant ses précédentes retrouvailles avec Abel, le client du jour, au désastre quelques semaines plus tôt. Bon désastre, il y allait peut-être un peu fort, mais clairement leur entente n’était pas au beau fixe. Abel n’avait sûrement aucune envie de le revoir. Mais Andy était persuadé qu’il pourrait convaincre le danseur de faire la part des choses entre relations privées et relations professionnelles. Il oubliait régulièrement que tout le monde ne cloisonnait pas aussi naturellement que lui ses sentiments. Si Andy était prêt à traiter avec Abel, comme il le ferait avec n’importe quel client inconnu, faisant abstraction de tout ce qu’il y avait ou n’avait pas entre eux dans la vie de tous les jours, rien ne garantissait qu’Abel soit prêt ou même ait juste envie d’en faire autant.
En réalité, une petite partie de lui se doutait que les débuts seraient difficiles. Il savait même qu’il demeurait une légère chance pour qu’il perde l’affaire. Ce qui en soi ne serait pas un bon point pour lui. Davantage pour son égo professionnel puisqu’Andy pouvait se targuer au moins de bien réussir dans son boulot et d’avoir peu de réels échecs à son actif. De plus, comme le groupe n’avait pas encore investit d’argent, les risques financiers étaient limités. Disons juste qu’Andy aurait perdu pas mal de temps, en préparation du rendez-vous et sur place si cela n’aboutissait pas. Embêtant mais pas catastrophique. Enfin sauf si leur rencontre tournait à nouveau mal et qu’Abel cherchait auprès d’un supérieur à savoir pourquoi on avait changé son référent. Sur ce point là, Andy ne savait pas encore quel mensonge il allait sortir à Abel. Il n’avait pas vraiment envie de mentir. Mais vu comme c’était fini leur dernier échange, peut-être que ce serait plus sûr. Andy savait pourtant que mentir à Abel ce ne serait que tendre le bâton pour se faire battre. Alors peut-être que la franchise pourrait passer…
Andy était devant le bâtiment qui appartenait maintenant à Abel. Et c’est des étoiles dans les yeux qu’il songeait à ce qu’il serait possible d’en faire, à voir avec Abel, mais les options étaient variées et nombreuses. C’était toute la beauté de vivre dans une ville aussi dynamique et mouvante que Brisbane ! Et il préférait penser à tout ça, aux investisseurs potentiels et aux transformations possibles, plutôt qu’aux relations humaines existantes entre Abel et lui. Mais qu’il le veuille ou non, il restait encore à convaincre Abel de travailler avec lui. Après tout l’engagement pouvait être de courte durée et s’en tenir au strict minimum si Abel ne voulait vraiment pas côtoyer Andy. Dans le pire du pire, ce dernier pourrait refaire passer le dossier à un de ses collègues, même si on risquait e lui demander des explications étant donné que c’était lui qui s’était démené pour le récupérer. Mais Andy aimerait le garder ce dossier. Certes l’effet de surprise serait sûrement difficile à digérer pour Abel. Et oui, au vu de leur différent, il allait de soi qu’il n’avait pas appeler lui-même Abel pour l’avertir du changement de référent. Non, tous les chefs de projets se partageaient assistants et assistantes administratives qui entre autre gérés les prises de rendez-vous. Donc après avoir repris le dossier, Andy s’était adressé à l’un d’entre eux pour qu’il organise un rendez-vous. Donc, évidemment, il avait conseillé au chargé de mission de ne pas donner son nom s’il pouvait l’éviter. Ce qui avait provoqué un haussement de sourcil en face, mais Andy ne doutait pas qu’ils avaient sûrement eu des demandes plus délirantes. Non, tout ce qu’il y avait à faire, c’était de fixer un rendez-vous avec le client avec son référent et potentiellement en fin de conversation, glisser que le référent serait peut-être différent lors du rendez-vous que du premier rencontré. Laisser sous entendre une absence. Petit numéro d’équilibriste qui pouvait passer. Dans la mesure où le rendez-vous n’avait pas été annulé, Andy restait optimiste. Après tout il s’agissait de faire le tour du propriétaire et de voir ce qu’Abel attendait de cette probable vente à venir.
Un son de voiture non loin. Voilà Abel qui arrivait. Andy s’était pointé bien avant l’heure prévue. Seulement parce qu’il aimait réfléchir en voyant en dur l’objet de son travail. Certainement pas pour réfléchir à la meilleure façon d’aborder Abel. Aussi tenta-t-il de présumer de l’état d’esprit d’Abel à la façon qu’avait celui-ci d’approcher. Il débuta tout de même en premier, ce qui paraissait le plus à propos, ne serait-ce que pour désamorcer de potentiels reproches et rompre le silence déjà lourds autour d’eux : « Salut…T’avais t’on au moins prévenu que ce serait moi que tu rencontrerai aujourd’hui ? » Oh vilain Andy qui laissait sous entendre que ce n’était pas de sa faute…
Est-ce que j’avais eu envie de lâcher un grognement parfaitement audible lorsque j’avais levé les yeux du cadran de ma voiture pour apercevoir la silhouette d’Andy de l’autre côté du pare-brise, justement devant l’entrepôt devant lequel je m’étais arrêté ? Dire le contraire serait un bien vilain mensonge. J’étais quelqu’un de spontané et le flux émotionnel qui pouvait transiter dans mon esprit tout en passant par mon corps en était la preuve. C’était quelque chose d’incontrôlé, tel un cours d’eau qui sillonnait entres les roches pour suivre l’effet de la gravité, faisant face aux aléas qui se présentaient à lui. Rien que revoir les traits de celui qui fut un ancien ami – notez bien l’emploi du mot ancien – devant moi était suffisant pour remémorer des retrouvailles qui s’étaient soldées sur une note bien amère.
Si j’avais été des plus ravis de retrouver celui avec qui je m’étais si bien entendu durant cette période, avec qui j’avais partagé bien des choses sur des sujets très variés, j’avais bien été obligé de ravaler tout cela rapidement face à l’attitude de ce dernier à mon égard. Si j’avais fait preuve d’une sympathie qui m’était naturelle au début, je m’étais au fur et à mesure renfermer sur moi-même, au point de ne plus être agréable du tout, préférant faire usage de cynisme et d’ironie. Ce n’était pas juste dire des choses en l’air, exprimer des pensées avec des mots pour faire mal, mais bien parce que tout ceci témoignait de mon état d’esprit face à Andy. La colère avait fait partie des émotions que j’avais ressenti, laissant place à une certaine forme d’amertume pour finalement ne laisser place qu’à une profonde déception. Oui, j’étais déçu. Ce n’était pas tant que je voulais amoindrir ce qu’il avait vécu, ne pas avoir de considération pour ce qu’il avait vécu qui avait pu l’amener à faire des choix forts étranges à mes yeux, mais je pensais à juste titre que je ne méritais pas d’être traité de la sorte, surtout en n’ayant fait preuve d’aucune désobligeance de mon côté. Enfin, j’avais compris le message et il était évident que je n’avais pas cherché à reprendre davantage contact avec lui. Ce n’est pas pour autant que je m’étais décidé à tourner les talents à Walker group, étant parfaitement confiant dans leur capacité de gestion de patrimoine immobilier.
Toutefois, la surprise avait été quand même de mise. Je m’interrogeais sur la raison de sa présence ici, surtout que la personne qui m’avait contacté, m’avait indiqué l’heure et la date du rendez-vous. Je m’étais attendu à revoir le conseiller qui m’avait accueilli et proposé quelques options. Je ne m’étais pas encore décidé à cet instant précis ; ce dernier m’avait vivement conseillé alors de prendre le temps d’intégrer toutes les possibilités pendant que de son côté, il réalisait un travail préliminaire plus exhaustif avant de fixer un rendez-vous pour voir le bien en ma présence et me faire ses propositions. C’était normal à mon sens de le retrouver, non pas de voir Andy.
Pourtant je ne perdis pas longtemps avant de sortir de la voiture, me dirigeant vers lui en m’allumant une cigarette alors que je remontais mes solaires sur le sommet de mon crâne. Peut-être avait-il une raison de pourquoi il était là. Et ses mots m’indiquèrent qu’il était au courant. Il le savait et pourtant il se trouvait là. Restant silencieux au début, me contentant de le dévisager alors que l’un de mes sourcils s’était haussés, affichant une expression sceptico-débutative alors que je tirais sur ma cigarette avant d’exhaler la fumée. Faisant claquer légèrement ma langue sur mon palais alors que mes lèvres s’entrouvraient, je me décidais à répondre. « Non. » me contentais-je alors de dire dans un premier temps. C’était d’un direct. « Je pensais qu’un groupe renommé comme le tien savait prendre les devants pour avertir ses clients lors de tels changements. Si mon conseiller n’était pas disponible, nous aurions pu déplacer le rendez-vous, je n’étais pas pressé. » indiquais-je, continuant de le fixer. « Tu as accepté en connaissance de cause, j’imagine au vue de ton accroche. » Jetant un coup d’œil autour de nous pour regarder si d’éventuels âmes qui vivent se trouvaient là, je vins à le fixer de nouveau. « Tu es sûr que ça te convient aussi ? Non, je ne préfère demander, on pourrait s’imaginer des choses entre nous parfaitement inappropriées pouvant ternir ta réputation professionnelle. Après tout, c’est de renommé que je ne suis pas la personne la plus hétérosexuelle qu’il soit. » Ah ben là, je pense qu’on pouvait aisément dire que je n’étais pas la personne la plus sympathique pour le coup.
Les quelques mètres qui séparaient Andy de la voiture d’Abel n’était pas suffisamment nombreux pour qu’Andy puisse avoir le temps de se voiler la face sur la déception d’Abel de le de voir ici. Le danseur quitta tout de même sa voiture pour le rejoindre, remontant ses lunettes de soleil, laissant apercevoir un regard fixe. Quelques mots d’Andy pour annoncer la couleur. Une cigarette chez son vis-à-vis, par mauvaise habitude ou pour se calmer, comme seule réponse. Enfin si on oubliait le sourcil interrogateur. Andy savait que la partie ne serait pas gagnée d’avance. Et la réaction d’Abel était probablement cohérente au vu de la façon dont ils s’étaient quittés la dernière fois. Mais enfin, personne n’était mort ! Inutile d’en faire toute une histoire. Certes Andy avait mis fin à une ancienne amitié, peut-être pas de la façon la plus délicate d’accord. Mais eux deux, ça faisait si longtemps qu’ils ne s’étaient pas vus, que la simple logique voudrait qu’il ne faille pas accorder trop d’importance à cet incident. C’est ce qu’Andy se répétait à chaque fois qu’un vieux souvenir d’Abel faisait surface. Souvenirs plus vivaces depuis leur dernière rencontre alors qu’ils lui avaient gentiment foutu la paix les quinze années précédentes, si on excluait l’interlude à Sidney, qui elle n’avait eu aucunes conséquences sur le cerveau d’Andy. Cherchez l’erreur. La culpabilité. Lui souffla une petite voix. Andy aurait pu la réprimer dans un même claquement de langue que celui qui inaugura les premiers sons sortant de la bouche d’Abel. « Non. »Andy s’abstint de tout commentaires et surtout de soupirer. Abel ne lui étant déjà pas favorable, Andy avait conscience qu’il devrait prendre sur lui pour détendre la situation. Habituellement, il n’avait pas de problèmes de relationnel avec ses clients. Mais en général il ne connaissait ces derniers que sur le plan professionnel. Si le danseur ne lui répondait que par monosyllabe, le rendez-vous serait long. Mais pas insurmontable. Les challenges, dans son métier, ne l’avaient jamais effrayé. « Je pensais qu’un groupe renommé comme le tien savait prendre les devants pour avertir ses clients lors de tels changements. Si mon conseiller n’était pas disponible, nous aurions pu déplacer le rendez-vous, je n’étais pas pressé. » Andy n’appréciait pas vraiment, que son comportement à lui, rejaillisse sur la boîte qu’il avait été particulièrement fier de réussir à intégrer, du moins quand cela sonnait comme un reproche. Mais les commentaires d’Abel le concernaient lui plus qu’autre chose, il le savait. Il avait visiblement vraiment blessé Abel lors de leur dernière rencontre, mais il cherchait encore à quel moment exactement. Quel mot avait été le plus dévastateur ? Sans l’assurance de savoir, difficile d’essayer de réparer les choses, que ce soit par un mensonge ou la vérité. « Tu as accepté en connaissance de cause, j’imagine au vue de ton accroche. » Si seulement Abel savait à quel point c’était en connaissance de cause, mais non, inutile de le lui dire dans l’immédiat. Il se contenta d’un simple hochement de tête pour l’instant. Il comptait bien répondre à Abel mais puisque ce dernier semblait parti, il préférait le laisser finir. Il le vit regarder autour de lui sans vraiment comprendre ce qu’il pouvait bien chercher. Son premier conseiller ? Une caméra cachée ? « Tu es sûr que ça te convient aussi ? Non, je ne préfère demander, on pourrait s’imaginer des choses entre nous parfaitement inappropriées pouvant ternir ta réputation professionnelle. Après tout, c’est de renommé que je ne suis pas la personne la plus hétérosexuelle qu’il soit. » Cette fois-ci Andy ne put réprimer un air surpris. On récolte ce que l’on sème Andy. Il allait vraiment falloir aplanir les choses avec Abel sinon le projet allait être compliqué à mener à bien.
La première réplique qui vint à Andy fut de répliquer *Je m’en fous, il y a personne d’autre que nous ici.* avant de se dire que ce ne serait pas la meilleure approche à utiliser avec Abel. Même si c’était entièrement vrai. Quand bien même quelqu’un passerait et soupçonnerait quoique ce soit, il était peu probable que ce soit quelqu’un qui puisse connaître Andy d’une façon ou d’une autre. Ce n’était pas comme Lincoln débarquant chez lui, pour l’embrasser sur le pas de sa porte alors que n’importe lequel de ses voisins aurait pu être en train de sortir ses poubelles. Mais bon mieux valait ne pas tenter le diable. Entre le Karma et la brillante carrière d’Abel, tout restait possible.
Andy fit un pas vers Abel. « Je me fiche d’être vu avec toi. Ce que je ne veux pas, c’est que les gens se fassent des idées. Tout particulièrement quand je travaille. » Il n’y avait aucun problème à ce que les autres ne soient pas hétéro, il ne fallait juste pas que quelqu’un pense que c’était aussi le cas d’Andy. Et de préférence pas qu’au travail. « Il y a des choses qui ne se mélangent pas. Je suis particulièrement d’avis que les ressentis personnels et le boulot n’ont rien à voir l’un avec l’autre. » Il leva les mains, dont l’une était prise par le dossier d’Abel, en signe d’apaisement, juste au cas où, l’une de ses phrases serait mal reçue. Andy évitait d’essayer de se mettre à la place des autres. Il avait déjà essayé et l’empathie en général ça faisait mal. « Ceci dit, j’admet que c’est ma faute si notre échange de la dernière fois s’est mal passé. J’ai été surpris et déstabilisé et j’ai sûrement mal agis. » Vrai, mais aucune excuse. Et il ne prévoyait pas d’en faire. Le but n’était pas de se rabibocher avec Abel. Seulement de travailler avec lui. C’est pour cela aussi, qu’il parlait d’échange et non de retrouvailles. « Je n’ai donc aucun problème pour travailler avec toi et je peux t’assurer que je serai des plus professionnels. De fait, tu te doutes que si ton conseiller précédent n’avait qu’un rhume, évidemment que le rendez-vous aurait juste était repoussé. Mais son indisponibilité risque d’être un peu plus permanente. D’ailleurs pour poursuivre sur cette lancée, je savais bien sûr que tu étais le client. » Il hésita une minute avant d’ajouter dans un soupir résigné. « Je n’ai pas non plus fait état de nos précédents lors de la réattribution du dossier. » Il ne jugeait pas nécessaire de s’appesantir sur cet état de fait. D’autant plus qu’il n’y avait pas vraiment eu de réattribution. Jusqu’à présent, il s’en tirait plutôt bien sans trop avoir à s’éloigner de la vérité. Et après leur dernière rencontre, il était vrai qu’Abel méritait un peu de sincérité. « Maintenant, si vraiment travailler avec moins te déplaît au plus haut point, je pourrais peut-être faire quelque chose… et te faire désigner un autre conseiller. » Ca lui coutait de lui dire ça, car il craignait vraiment qu’Abel ne saisisse la perche tendue. Mais il ne pouvait pas lui imposer une collaboration qu’il ne pourrait supporter. Les conséquences professionnelles potentielles seraient réelles. Le groupe Walker avait une excellente réputation et se targuait d’un nombre de client satisfait fantastiquement haut. Andy ne voulait pas voir s’ajouter une ligne négative par sa faute. Oui son éthique professionnelle était sans tâche, à défaut du reste. « Qu’en penses-tu Abel ? Tu penses pouvoir me faire visiter en me présentant un peu les lieux ? » Il ne proposa pas qu’ils pouvaient aussi se quitter là-dessus. L’aider à se projeter dans l’avenir, aussi proche soit-il, c’était en soi une façon, d’essayer de lui faire voir qu’ils pouvaient travailler ensemble. A Abel d’en juger maintenant.
Être de bonne composition. C’était quelque chose que je pouvais aisément faire. En effet, je n’étais pas quelqu’un de compliqué, du moins je le pense ; mais il allait sans doute de concert que je n’avais pas envie de me montrer très enclin à quoi que ce soit face à la situation qui venait de me percuter tout bonnement sans aucun préambule. Si j’avais été heureux de voir Andy de façon très inopinée dans cet ascenseur du Walker group j’avais rapidement déchanté. Oh je n’avais pas oublié que le brun était toujours plus réservé que moi dans les faits. Mais au fur et à mesure de cette conversation, les choses s’étaient précisées dans une direction que je n’avais pas du tout appréciée. Bon, j’avais décidé d’exposer mon amertume d’une façon parfaitement visible car garder ce genre de choses pour soi, il n’y avait rien de plus toxique ; même si j’étais en colère, j’avais pu partir le cœur plus léger dans une certaine mesure, sans doute aussi parce que je ne pensais pas revoir Andy. Ce n’était pas son souhait non plus alors les choses devraient bien se passer. Pourtant voir que c’était lui qui m’attendait devant l’entrepôt vint me rappeler qu’il y avait des forces cosmiques à l’œuvre décidées à me faire croiser de nouveau le chemin de celui que je considérais maintenant comme une très vague connaissance. C’était dur pour moi de faire véritablement une croix sur cette amitié qui était certaine lointaine mais autant s’y résoudre dès maintenant. Et le ton que j’avais employé témoignait bien que je n’étais pas ravi de me retrouver face à lui. Pas besoin de prendre les choses de façon si personnelle me dirait-on mais cela avait un goût bien personnel, trop personnel même.
Tirant une nouvelle latte sur ma cigarette, je fixais l’agent immobilier qui semblait surpris de mes derniers mots. Est-ce qu’il avait la mémoire courte ? De mon côté, j’avais bien intégré le fait que ce qui était problématique dans notre amitié fut que j’étais au courant de son attirance pour les garçons durant cette même période. Quelque chose que nous partagions et qui nous avait rapproché. Cependant, si ce revirement de situation m’avait surpris au début à l’annonce de son mariage avec une femme, c’était surtout la façon dont il avait eu à tenter d’arrondir tout cela, semblant solide sur les appuis pour clamer haut et fort qu’il était certain de ses choix. Je ne voulais pas présumer quoi que ce soit mais défendre cela avec autant de véhémence face à un ami – je me considérais comme cela encore – c’était troublant. Il y avait baleine sous grain de sable pour moi mais façon à l’attitude d’Andy, je n’avais pas vraiment eu envie de creuser davantage pour être honnête.
Le sourcil levé dans une expression presque sardonique avec ce rictus qui avait gagné mes lèvres, je me contentais finalement de me racler la gorgée pour ne pas faire de commentaire. Mais si je devais mettre des mots, cela ressemblerait sans doute à un… oui c’est vrai que j’allais me jeter sur toi dans cet ascenseur, hou quelqu’un a un comportement tendancieux avec toi !. Je n’avais vraiment pas envie d’être agréable. Encore moins quand j’entendais la vision d’Andy sur la non-miscibilité des ressentis et du professionnel. Alors là j’en connaissais bien quelque chose. On pouvait peut-être donner le change pendant un moment mais cela finissait forcément à nous exploser à la figure et jamais quand il faut. « Que tu sois surpris de me voir, c’est une chose. Que tu agisses comme un connard fini, pour je ne sais quelle obscure raison, c’est un autre problème. » commentais-je en le fixant sans ciller. Je n’aurai sans doute pas mieux de sa part alors autant continuer à commenter pour lâcher un peu plus de frustration dans cette conversation qui n’avait aucune raison d’être pour moi. En effet, pourquoi voulait-il s’encombrer de mon dossier sachant qu’il devrait composer fatalement avec moi ? Il devait y avoir sans doute quelque chose là-dessous, une promotion peut-être ? C’est vrai pourquoi se donner autant de mal. Je vins porter ma main libre à mon front, appuyant légèrement entre mes sourcils avant de lever la tête.
Je continuais de l’écouter. Ecouter ce professionnalisme, ces arguments posés les uns après les autres dans une démonstration sans faille. Il était au courant de l’identité du client pour ce dossier, il avait accepté en faisant fi de tout cela. Est-ce que c’était par pur professionnalisme pour ne rien mélanger ? Ou alors est-ce que cela relevait d’une volonté de ne pas faire de vague et de taire des détails importants ? C’est vrai, cela coûtait quoi à l’entreprise qu’un autre conseiller prenne en charge mon dossier. D’ailleurs, pourquoi l’avait-il pris sans broncher alors que nos rapports n’étaient pas bons. Décidément beaucoup de zones d’ombres que je n’aimais pas, pas du tout.
Si je m’étais gardé de faire preuve de tout autre commentaire, il était possible de voir à mon attitude que je n’étais pas forcément le plus détendu. A dire vrai, je crois que cela m’énervait en réalité. Je n’arrivais pas à être aussi détaché qu’Andy. Et cela m’agaçait. Prenant une inspiration, je finis par dire enfin quelque chose.
« Sois rassuré, je n’ai aucun doute sur ta capacité à faire preuve d’un professionnalisme sans faille. C’est plus en ma capacité à ne pas vouloir te balancer du toit si tu me sors encore une connerie ou à te mettre mon poing dans la gueule que j’ai de sérieux doutes. » Alors peut-être que ce n’était pas la meilleure chose à dire. « Mais bon, je pense que tu sais faire ton travail alors je vais me contenter de ronger mon frein et de me concentrer ce pourquoi j’ai décidé de faire appel à votre expertise. Et ne pas me comporter comme un gamin capricieux. » Ces derniers mots me firent lâcher un rire alors que je tournais les talons vers l’entrée de l’entrepôt. Décidément, je n’avais pas vraiment pas digéré cette affaire. Et je le voyais bien. Si j’arrivais à passer au-dessus de bien des choses, il est vrai que c’était comme si je faisais une fixette sur cette histoire. Alors le temps pouvait être le parfait argument pour expliquer bien des choses, mais je pense que si je prenais tout ceci de façon si personnelle, c’était bien parce que j’étais profondément attaché à Andy et à cette relation pour tout ce qu’elle m’avait apporté. Voir que cela n’était pas le cas, cela faisait mal. Et personne n’aime avoir mal et de se sentir comme un con.
Je jetais un coup d’œil par-dessus mon épaule pour regarder Andy. « Si tu restes planté là je ne suis pas sûr que tu vas visiter grand-chose.. Promis, je n’attenterai pas à ta vie ou ton intégrité physique. » ajoutais-je comme pour détendre l’atmosphère bien que cela sonnait plus comme une mise en garde en réalité.
Andy avait supposé que les débuts de cette rencontre seraient difficiles. Il estimait plutôt bien les risques dans ses affaires en général et ne s’était pas trompé sur ce départ là. Il n’y avait pas grand mérite, c’était aisément prévisible au vu de leur précédente retrouvaille. Andy et Abel étaient là, un à un, à exposer les faits, les problèmes et chacun répondait. Un face à face qui avait plus l’air d’un règlement de compte ou d’une mise au point que d’une conversation. Un constat au goût amer quand on mettait en balance les souvenirs qu’ils avaient en commun. C’était dommage de renoncer à tout ça, Andy s’en rendait bien compte. Mais c’est un choix qu’il avait fait. Les choix ont des conséquences, il faut vivre avec. Andy n’avait jamais su rétropédaler. Pourtant ce n’était pas l’envie qui lui manquait parfois. Mais il avait la sensation que s’il ne s’en tenait pas à la ligne directrice qu’il s’était fixé des années plus tôt, plus rien n’aurait de sens. Et pourtant, pourtant ! Depuis combien de temps au fait n’avait il pas eu un ami à qui parlait comme il le faisait à Abel des années plus tôt ? Aurait-ce était vraiment impossible de rétablir le contact avec le danseur sans mettre à mal sa vie d’aujourd’hui ? Etait-ce pour avoir la réponse à cette question qu’Andy avait arrangé ce rendez-vous ? C’était absurde…Si Andy ne voulait pas commettre d’erreur, il fallait réfléchir avant d’agir. Le pire étant sans doute que la plupart de ses réactions dans cet ascenseur avait été réfléchi. Il avait été un peu décontenancé au départ et avait perdu un peu le contrôle de lui-même sur la fin, mais dans l’ensemble c’était voulu. Donc dire qu’il avait probablement mal agit était sans doute un euphémisme. Le comportement du connard fini collait mieux, même si Andy approcherait plus ça de la connerie. Ma foi la racine des mots était similaire et du point de vue d’Abel la confusion devait être naturelle. Après le silence, Andy ne put opposer à Abel que la promesse de son professionnalisme pour tenter de raccrocher les wagons avec la raison de leur présence ici. Abel n’avait pas franchement l’air enchanté. Plus les secondes passaient et plus Andy estimait que ce serait un miracle si Abel acceptait de continuer avec lui.
Mais il le fit. Le début de sa réplique parut pourtant un brin ironique à Andy, la où les menaces à son intégrité physique le laissait perplexe. Cela ne lui parut au départ n’être que l’émanation de son profond agacement, parfaitement compréhensible dans la mesure où Andy lui-même s’interrogeait sur la raison de ses propres actions. Le danseur devait se demandait à quoi il pouvait bien jouer. Un instant, les excuses ne furent pas très loin sur la langue d’Andy. Mais il jugea que cela ne ferait qu’attiser le trouble de son vis-à-vis. Et ce dernier ne venait-il pas de lui dire qu’il devait arrêter de dire des conneries ? Des excuses seraient en contradiction avec tout ce qu’il avait fait jusqu’à maintenant. Aussi les retint-il avant de les ravaler. Mais tout ceci le laissait un peu las. La sensation de rater un truc et de faire du mal à des gens qui ont comptés, ce n’est pas une sensation agréable… Abel coupa court à ses réflexions intérieures en l’invitant à le suivre pour débuter la visite. La précision comme quoi il ne s’en prendrait pas à lui, eu bizarrement l’effet contraire de celui escompté. Si la première fois il avait pris ça pour un simple exutoire verbal, Abel n’était pas quelqu’un de violent. A la seconde il dut bien admettre qu’il sous estimait peut être la rancœur de son ancien ami.
« Je te suis alors. » Andy suivit Abel pour découvrir les lieux, laissant le professionnel en lui prendre le dessus. Chaque pièce était bonne à visiter dans les moindres recoins. Depuis l’extérieur, il avait noté que l’emplacement et l’accessibilité étaient excellents. Cette première visite de l’intérieur lui permettrait avant tout de mesurer l’état du bien et son agencement. Afin de voir quels types de travaux seraient nécessaires que ce soit pour assurer la structure ou pour être en accord avec les dernières normes. « Depuis combien de temps est-ce inoccupé ? » Pour le moment, l’endroit était dans un état plus que correct pour un lieu abandonné. « C’est un ancien studio de danse ? » demanda t’il, la question lui venant en découvrant une pièce dont l’un des murs était vitré. « J’ai vu dans le dossier que c’était un héritage… » Andy ne voulait pas ré-aborder des sujets personnels. Or de ce que connaissait Andy de la famille d’Abel, ses parents étaient encore en vie, même sa mère, qui était pourtant malade. Andy n’avait pas oublié cette information apprise la dernière fois. Et de toute façon il ne voyait pas le père d’Abel léguer un tel endroit à son fils, ou alors il y aurait une grosse anguille planquée dans les fondations…De mémoire, il y avait sa grand-mère qui s’entendait bien avec lui. Il ne voulait pas demander si elle était décédée, cela ne ferait que raviver l’incendie. A la place il esquiva : « Pourquoi ne le conserve tu pas ? Ne pourrait-il pas convenir à des projets futurs ? Que veux-tu faire exactement de ce bien Abel ? Juste le vendre au meilleur prix ?» Ce n’était absolument pas de la curiosité. Le but était juste de sonder Abel et ses envies. Vendre l’endroit, Andy ne doutait pas que ce serait possible, il ne doutait pas non plus que ça se ferait à un bon prix. Mais Abel était un danseur qui avait travaillé dans de nombreuses compagnies. N’avait il pas de projets professionnels qui pourraient nécessiter un local un jour ? « Parce que tu sais il existe d’autre possibilité que vendre ou conserver en l’état. » Rénover et louer par exemple. Chaque solution avait ses avantages et ses inconvénients. Il fallait juste savoir ce que désirait le plus Abel et pourquoi. En ce moment précis, Andy ne pensait plus à leurs différents. Il inspectait le moindre recoin comme un enfant sous le sapin de noël qui tâte ses cadeaux les uns après les autres en attendant de pouvoir les ouvrir. Il ferait venir après des experts en bâtiment qui serait plus à même de déterminer le véritable état du bâtiment mais de ce qu’il voyait pour le moment, rien ne l’inquiétait vraiment.
Je pouvais me targuer qu’en temps normal, je pouvais passer au-dessus de bien des choses, non pas feindre l’indifférence mais donner le change pour ne pas envenimer les choses. Je n’en tirais aucune satisfaction et cela me bouffait plus qu’autre chose, je préférais aller de l’avant, acceptant la situation et ne pas m’attarder sur des choses que je ne pouvais changer ou modifier – en soi qui n’était pas ou plus de mon ressort. Mais avec qu’Andy, je n’arrivais pas à passer au-dessus justement, je n’arrivais pas à me faire à cette idée qu’il avait tant changé à ce point. Et je pesais bien mes mots pour le coup ; même si j’étais persuadé qu’il n’était pas possible de changer sa personnalité intérieure, il était tout à fait possible de moduler l’expression de ses traits face aux épreuves de la vie. Qu’est-ce qui avait bien pu se passer dans la vie de mon ancien ami pour qu’il ait fait preuve d’autant de véhémence au sujet de son attirance pour les mecs ? au point qu’il en soit marié. C’était peut-être culoté de penser cela mais même si les souvenirs que j’avais d’Andy remontaient à une époque quand même lointaine, je ne l’avais jamais perçu comme quelqu’un de particulièrement distant ; réservé oui mais distant avec moi, c’était quand même quelque chose de sciemment différent à mes yeux. Peut-être que je me trompais mais j’étais certain qu’il y avait des événements qui s’étaient produits dans sa vie, des événements si intenses que cela lui avait fait prendre des directions ou directives… qui étaient en dehors de tout ce qu’on avait pensé tous les deux, ; tout ce qu’on avait désiré faire, semblait être à ses yeux de la pure gaminerie et une absence totale de maturité, enfin c’était comme cela que l’avait perçu lors de nos retrouvailles. Enfin, il était là pour le travail et même si je pestais sur le fait que ce soit lui qui avait mon dossier entre les mains, j’allais devoir composer avec non sans lui avoir balancé quelques réflexions qui témoignaient sans mal de mon agacement et de mon envie de lui remettre les idées en place.
Ouvrant la porte qui se trouvait sur le côté du grand bâtiment, je le fis entrer dans cet entrepôt afin de lui faire le tour du propriétaire. C’était un bâtiment relativement grand dans les faits, pensé initialement comme un atelier de métallurgie si mes souvenirs étaient bons. Par conséquent, des éléments pensés pour cet endroit avaient demeuré alors qu’il avait été en même temps réagencé pour les besoins de ma grand-mère qui avait souhaité en faire un lieu dédié à la danse au travers d’une association. Tout cela remontait bien des souvenirs, me remémorant le temps que j’avais passé ici, courant sur le parquet qui grinçait toujours légèrement sous mes pieds.
Sortant de mes réflexions, je tournais la tête vers Andy quand celui-ci me demanda depuis combien de temps il était inoccupé. « Cela fait cinq ans maintenant. Ma grand-mère avait fait rénover ce lieu pour accueillir une association de danse tout public. Si elle avait adoré ses années à l’Australian Conservatoire of Ballet, elle s’était dit pourquoi ne pas créer quelque chose qui permettrait tout un chacun de s’initier ou de se perfectionner. Elle m’a légué cet endroit car elle avait conscience que son beau-fils, mon père, ferait en sorte de changer définitivement cet endroit pour ses affaires. Autrement dit, elle préférait que j’en profite directement qu’importe ce que je décidais d’en faire plutôt que mon paternel puisse en jouir de quelconque façon. » dis-je en riant légèrement. Un rire qui était quelque peu ironique, me rappelant sans mal la relation qu’entretenait mon père et ma grand-mère. Je me rappelle encore la tête de ce dernier quand il avait appris la nouvelle. Cela m’avait profondément amusé, je dois bien l’avouer.
« A dire vrai, cela représente une énorme change de travail de gérer ce bien si je décide d’en faire quelque chose. Je n’ai pas envie de dire que je ne suis pas doué avec la paperasse mais ce n’est pas quelque chose qui me passionne profondément. C’est d’ailleurs pour cela que je me suis tourné vers Walker group fin d’avoir l’avis d’un expert sur les possibilités de cet endroit, je pense que je ferai mon choix au travers de la balance charge-bénéfice. » J’étais honnête avec lui, car c’était la première option que j’avais indiqué à son collaborateur lors de cette première réunion. Je n’avais pas envie que cela devienne une charge de travail supplémentaire, sous-entendu une charge mentale qui n’était pas intrinsèquement nécessaire. Il était intéressant de noter que j’avais perdu toute trace d’animosité à l’égard de l’agent immobilier. D’ailleurs, je me risquais à lui demander son avis. « Qu’en pense le professionnel que tu es ? Qu’est-ce que tu ferais si tu avais un endroit tel que celui-ci entre les mains ? Je m’en remets à ton expertise. » Oui, sur ce plan-là, je lui faisais confiance sur le reste, c’était encore compliqué.
Andy écoutait Abel attentivement. 5 ans d’inoccupation et un lieu qui avait bien servi à l’art de la danse, transmis à Abel par sa grand-mère pour éviter que le père de ce dernier ne fasse main basse dessus. Des souvenirs qu’Andy avait de ce qu’Abel avait pu lui dire de son père à l’époque, c’était un homme d’affaires, qui n’aurait certainement pas manqué de voir le potentiel de l’endroit. Rien que la façon dont Abel expliquait les différences d’intention entre sa grand-mère et son père vis-à-vis du lieu, il était facile de comprendre que la grand-mère ait favorisé le petite fils au gendre. Entre une approche caritative et une autre capitaliste, Abel penchait clairement d’avantage vers la première. « Est-ce que tu es attaché à l’endroit ? » Il était ironique de voir à quel point Andy prendrait en compte les sentiments d’Abel dans leur collaboration, alors qu’il les piétinait allègrement dans leur relation. Mais une fois encore sa question n’avait rien à voir avec la curiosité. Il récoltait les informations nécessaires à une bonne prise de décision. Le groupe Walker s’était démarqué de ses concurrents, certes par son expertise, mais aussi pour sa capacité à donner pleinement satisfaction à leurs clients. Et pour obtenir ce second point, il était crucial de n’omettre aucuns détails et parfois même de soulever auprès du client des questionnements ou points d’accroche auxquels il n’avait pas forcement pensé de prime abord. D’où le fait qu’il demanda ensuite ce qu’Abel souhaitait réellement en faire de cet héritage. Et la réponse était d’une importance capitale pour orienter les propositions à venir. Abel n’avait pas le temps de gérer l’endroit lui-même, ça dans l’absolu ce n’était pas gênant, du gérant au comptable, trouver des gens pour faire tout ce dont Abel n’avait pas envie ou la possibilité de faire, c’était aisé. Mais la balance elle contenait parfois plus que les deux poids, charges et bénéfices. « Ce que j’en pense. » Andy prit quelque secondes pour organiser ses pensées.
« C’est que tu es certain de tirer de cet endroit un bénéfice. L’emplacement est parfait, à proximité du centre ville de la ville la plus peuplée et la plus dynamique de l’état, quelque soit le prix que tu en demandes, tu trouveras preneur. On fera passer des experts, mais l’ensemble me paraît en bon état. » Andy continuait à faire le tour de la pièce où ils étaient, laissant sa main passer sur les murs. Ce qu’il pouvait aimer être dans des endroits comme ça, en dépit de la poussière et de l’odeur de renfermé. « Maintenant plusieurs options : 1 - Des travaux de rafraîchissement permettront de valoriser le bien sans que cela ne demande trop de travail. En gros, on se contente de le rendre présentable. Si on le met sur le marché ainsi, ça se vendra, mais on vise des clients qui ont les moyens de transformer l’endroit à leur convenance, il y a de l’espace, ça demandera donc un certain budget. Ca prendra un peu plus de temps, et la négociation des prix un peu plus rude. 2 – On entreprend des travaux de ré-agencement si je puis dire. » Il fit une pause puis se tourner vers Abel pour ajouter une précision. « Il va de soi que quand je te parle de travaux quels qu’ils soient, on s’occupe de tout, des architectes, des entreprises, du suivi, tu n’aura rien à faire si ce n’est valider les plans. » Ceci-dit il reprends son laïus. « Donc oui, on réorganise tout. Ca implique de dépersonnaliser l’endroit. Avant cela servait à la danse, demain ce pourrait être une résidence d’appartement, un centre commercial ou servir de dépôt à une entreprise de bus, ou qu'en sais-je...» Andy haussa les épaules pour appuyer ses dires. « C’est pour ça que tu dois te demander si tu peux te détacher du bien avec facilité ou pas. Une fois vendu, c’est terminé. Tu n’auras plus ton mot à dire sur ce que cela deviendra. » Aux yeux d’Andy ça paraissait important de le préciser parce que ce n’était pas un bien qu’Abel avait acheté dans le but de faire une plus value immobilière. C’était un héritage d’une personne à laquelle il tenait, qui partageait ses valeurs et avait eu des projets pour cet endroit. Abel en avait hérité parce que sa grand-mère espérait qu’il en prendrait plus soin que son père. C’était des éléments qui pouvait peut-être jouer dans la prise de décision d’Abel et avant de se lancer dans une direction ou l’autre, Andy devait savoir vers où penchait le cœur d’Abel. « De plus, je préfère te le dire, dans ce cas là, on attirera beaucoup plus de clients potentiels, beaucoup de promoteurs, qui auront pour intention essentielle de faire de l’argent. » Le très classique c’était l’immobilier. Transformer les lieux en une multitude d’appartement. En centre-ville, même un studio pouvait se louer cher. Les travaux couteux à la base seraient remboursés par un rendement approchant à vue de nez les 4 à 6 % par ans, ce qui était vraiment pas mal. « Bref, des gens comme ton père. » Il n’y avait aucune intention d'influencer Abel derrière ces mots, juste l’envie de lui présenter la réalité des choses. « La dernière solution, c’est d’en faire un lieu unique. En fonction de son histoire peut-être. Je n’ai pas l’impression que c’est la solution qui t’attirerait le plus, car cela va nécessiter de la réflexion. Mais il faut se poser la question. Est-ce que tu voudrais que les idées de ta grand-mère soient entretenues ? Cela signifie partir à la recherche d’une personne tierce qui comprendrait ces motivations et en aurait l’utilité aussi. C’est rare, ça se vends très cher mais ça prend du temps et demande de l'investissement. » Andy n’oubliait pas qu’Abel lui avait dit ne pas vouloir s’encombrer d’une charge mentale trop importante (tiens la dernière fois qu’il avait entendu cette expression c’était dans la bouche de Leah et il n’y avait pas si longtemps que ça). « Quoi que tu choisisses, on s’occupe de tout. De voir ce que l’on peut faire avec les architectes, de démarcher les clients potentiels, de sonder leurs intentions, de faire les visites et de gérer les imprévus s’il y a, etc. Tu n’auras qu’à honorer quelques rendez-vous avec nous de temps en temps pour que te l’on fasse un point sur l’évolution de la situation. Pas de paperasse. Ou peu. Qu’en dis tu ? »
La question d’Andy vint quand même me plonger dans une certaine forme de silence, alors que mon regard faisait le tour de l’endroit. Est-ce que j’y étais attaché ? C’était une très bonne question. D’une certaine façon oui, pour ce que j’avais pu y vivre avec ma grand-mère, de ce que cet endroit représentait pour elle ; est-ce qu’il y avait un devoir de mémoire à faire ou bien de considérer que ce n’était que de la pierre et que je devais faire ce que bon me semblait ? La question n’était pas aisée et c’était bien pour cela que j’avais fait appel à Walker group pour m’aider à y voir plus clair. Reportant mon attention sur Andy, je secouais la tête tout en haussant les épaules. « Plus autant qu’avant, le temps a fait son œuvre je dirais. » Il est vrai que c’était ce qui jouait dans la balance, le fait que je ne trouvais pas vraiment d’utilité à conserver ce lieu en vérité mais les souvenirs attachés à cet endroit demeuraient quand même présent.
Ecoutant les propositions d’Andy, je restais pour le coup assez neutre, ne manifestant pas plus d’entrain pour l’une que pour l’autre, préférant sans doute attendre quelque chose qui me parlait davantage. A dire vrai, tout cela n’était pas mon monde et je ne m’instillais pas comme un professionnel ; d’une certaine façon, l’avis d’Andy comptait pour moi, même si nos rapports étaient quelque peu distendus avec la volonté de l’australien de marquer une profonde scission entre ce que nous avions partagé et ce que nous pouvions vivre à l’heure actuelle. Je respectais son choix, cela n’était pas très coûteux en patience me direz-vous, mais une partie de moi avant quand même toujours envie de le bousculer, de décoincer ce visage trop roide parce que c’était socialement la norme. Rien que cette pensée me donnait des frissons. D’ailleurs la référence à mon père ne manqua pas de me tirer un sourire narquois. « Je te rassure, si des personnes viennent à acheter cet endroit, je me doute bien que c’est pour une question de profit. » J’avais beau ne pas être profondément intéressé par ces aspects-là, je n’en restais pas moins pragmatique sur ce que cet endroit pourrait devenir entre les mains d’une personne qui proposait le même profil que mon père. D’une certaine façon, ma grand-mère souhaitait que cet endroit soit plutôt préservé, sinon elle l’aurait confié à mon père ou alors elle voulait juste le narguer même dans sa tombe. Cette pensée me tira un sourire. Maintenant que j’y pensais, Adela n’était pas quelqu’un d’attaché à la pierre, plutôt tournée vers un aspect plus spirituel, que rien n’était immuable si ce n’est ce perpétuel changement. Finalement, que je le vende pour le transformer en autre chose lui irait très bien, tout en ayant la satisfaction que son gendre n’en touche pas le moindre centime. C’était ma grand-mère toute crachée.
« Je pense que la troisième option pourrait être un bon compromis. » dis-je finalement, comme si une révélation m’avait frappé. « Surtout si vous vous occupez de tout ce qui relève de l’administratif. » C’était presque la première condition de ce contrat, que je n’ai pas à m’enliser dans des tonnes de paperasses mais que ce bien soit transmis en conservant son esprit d’origine, tout cela sous le nez de mon père. Roh que c’était petit mais terriblement amusant.
« Et concernant le suivi de tout cela, est-ce que ce sera toi mon interlocuteur privilégié ? » demandais-je soudainement, fixant Andy alors que je faisais quelques pas pour me rapprocher de lui au point de le bloquer contre la rambarde qui évitait les chutes inopinées sur l’étage en partie ouvert sur la grande salle en contre-bas. « Après tout, cela veut dire que nous serons amenés à nous revoir souvent, très souvent, cela prend du temps. Est-ce que tu vas me supporter jusqu’à la fin d’avoir un client comme moi ? » Ah oui, je n’avais pas oublié que j’allais lui faire longuement payer cet affront, à ma façon.
Andy fût un peu étonné qu’Abel se rabatte sur la troisième solution puisque c’était quand même celle qui demanderait le plus d’implication de sa part et cela même si le Walker Group s’occupait de toutes les tâches administratives. Et parallèlement il en était ravi. C’était clairement l’option qui offrait le plus de challenge car l’acheteur ne serait pas évident à trouver. Mais c’était tellement plus intéressant que de juste mettre le bien sur le marché et de sélectionner la meilleure offre. « Très bien, dans ce cas on va faire de cet endroit un bien d’exception. » Andy tentait de modérer son enthousiasme tout en pensant déjà aux différents partenaires à faire intervenir sur le projet. Il allait passer une excellente après-midi. Il eut cependant un moment d’hésitation quand Abel lui demanda si ce serait lui qui serait son interlocuteur principal. Andy était quelque peu perplexe, quelle réponse attendait Abel au juste ? Au vu de leur passif, est-ce qu’Abel avait atteint les limites de sa patience avec ce rendez-vous d’aujourd’hui et ne souhaitait pas poursuivre ? Du côté d’Andy la réponse était facile. Il s’était démener pour récupérer l’affaire, maintenant qu’elle prenait une direction des plus stimulantes, il ne comptait pas la lâcher. Alors il commença par acquiescer de la tête avant de confirmer. « Oui ce sera moi… » Légèrement sur ses gardes, il se demandait quelle allait être la réaction d’Abel, il n’avait pas vraiment envie que leur collaboration s’arrête là, alors qu’elle semblait enfin prendre une tournure…positive dirons nous. Après tout, à ce moment là, leur séparation promettait de mieux se passer que la fois précédente.
Andy vit Abel s’approcher. Il se retrouva coincé entre Abel et la rambarde et en raison de la petite dizaine de centimètre qui les séparait, Andy du lever les yeux pour regarder Abel droit dans les siens. Hésitant quelque peu entre être narquois à son tour et dubitatif, il dit : « J’ai comme une impression de déjà vu là. » Les paroles suivantes d’Abel expliquèrent la raison de sa question précédente et Andy devait bien admettre que ces interrogations étaient légitimes. Entre le comportement passif agressif d’Andy la première fois et la contradiction même de l’existence de cette seconde rencontre, c’était assez normal qu’Abel ait des doutes. Il avait sûrement d’autre choses à faire que de se retrouver à subir les décisions sans queue ni tête d’Andy. La façon dont Abel insista sur le dernier mot de sa phrase –moi- fit comprendre à Andy qu’il avait sûrement le devoir de lui donner deux/trois explications.
Comme d’habitude, le contexte ne le mettait pas des plus à l’aise. Il avait l’impression qu’Abel pouvait le décrypter et si on y ajoutait l'impossibilité de s'enfuir, il n’aimait pas vraiment ça. Mais ce n’était pas la faute d’Abel s’ils s’étaient connu à un moment charnière de leur vie et si Andy avait changé quand ils s’étaient perdus de vue. Cependant Andy ne souhaitait pas que la situation s’envenime à nouveau, alors contrairement à la première fois, il ne repoussa pas Abel. « Je me suis peut-être mal fait comprendre Abel. La personne que tu es n’est pas un problème pour moi. » Non les choses étaient un peu plus compliquées que ça. Il soupira et cessa de fixer Abel, détourna le regard vers la droite puisque face à lui, la vue était un peu bouchée. « C’est juste que… » Il cherchait ses mots. Dès qu’il s’agissait d’expliquer son propre comportement, passé ou présent, il peinait. Il répétait toujours les mêmes choses. Après tout il était bien à deux doigts de dire à nouveau à Abel qu’ils s’étaient connus il y a longtemps et que les choses avaient changées depuis. Mais vu comment ça c’était terminé la fois d’avant, il s’abstint. Ses explications n'étaient jamais suffisantes. Puisqu’il finissait toujours par ré-avoir ces conversations. La preuve en soi qu’il n’arrivait pas à se faire comprendre. De là à se dire qu’il n’était pas sûr de se comprendre lui-même, il n’y avait qu’un pas. « Ecoute, ce que je veux pas, c’est qu’on sache qu’à une époque, j’ai préféré les hommes » C'était plus que de la préférence et c'est toujours d'actualité, mais bon, c'est pas la question. « C’était une autre vie. Aujourd’hui, il y a des gens auxquels je tiens qui comprendrait pas et je préfère que ça reste entre nous. » C’était horriblement franc pour le coup. A être mouillé jusqu’au coupé, autant plonger. « La dernière fois j’ai mal réagit parce que tu m’as renvoyé à de vieux souvenirs et que tu es la seule personne qui ait ce pouvoir là. » En parlant il réalisa que c’était faux. Il y avait Link aussi. Mais Link c’était un secret. Au vu de leur passif, il n’y avait aucune chance pour que leurs chemins se recroisent. Andy avait été clair en décembre. « Tu méritais pas ça, j’en ai conscience. Et j’en suis désolé. » Et merde. Heureusement qu’en venant il s’était promis de ne pas s’excuser…
Manifestement, Andy était plus que partant pour cette troisième option évoquée à en juger par ses mots. Cela me convenait dans une certaine mesure. Il est vrai que cet endroit avait abrité les désirs et les envies de ma grand-mère, difficile de mettre cela définitivement de côté. L’opportunité qu’il m’avait présentée était sans aucun doute rare pour ne pas dire même exceptionnel ; autant la saisir plutôt que de la laisser passer sans broncher. Mais l’idée de savoir qu’il pouvait alors devenir un partenaire pour ce projet de façon durable était une donnée à ne pas écarter. Je n’avais pas oublié l’attitude qu’il avait eu à mon égard la dernière fois. Est-ce que cela allait être différent ou bien juste redondant au point que cela allait devenir ô combien compliqué à gérer ? Je préférais m’en assurer et sa réponse était plutôt claire à ce sujet. Bon, peut-être qu’entrevoir quelque chose de grand était stimulant pour l’agent qu’il était mais où placer le relationnel dans tout cela ?
Je l’avais acculé contre la rambarde, décidé à en savoir davantage. Ses propos me tirèrent un sourire fin, même discret alors que je maintenais mon attention sur lui, mes yeux cobalts rivés dans les siens, semblant sonder les tréfonds de son esprit pour tenter de déceler la moindre réaction qui pouvait m’indiquer le cheminement de ses pensées. Je n’avais pas de pouvoir psychique, c’était une certitude mais j’avais appris avec le temps que confronter amène davantage d’informations que de rester dans son coin. « Au moins personne risque de nous surprendre ici et tenter un quelconque amalgame. » commentai-je tout de même, attendant quand même plus qu’un simple constant de sa part. S’il se faisait silencieux, il n’avait pas tenté de me repousser. Est-ce un bon signe ? Je me disais que cela l’était au regard de ses mots, cependant cette hésitation me fit froncer les sourcils. « que… ? » dis-je alors pour l’inviter à poursuivre. Je le voyais bien tenter de formuler quelque chose alors qu’il avait rompu le contact de nos regards. Je restais silencieux, lui laissant le temps de répondre. Une réponse qui était encore plus étrange au point qu’elle me fit me redresser, arborant une expression profondément dubitative et fortement sceptique. Ce n’était pas tant qu’il parlait au passé qui me perturbait mais davantage qu’il ne voulait pas qu’on sache qu’il avait été attiré par les hommes. S’il n’avait pas de problème avec moi, pourquoi cela constituait un problème vis-à-vis de lui ? Une autre vie. Alors c’était très spirituel soudainement mais bon l’argument était friable mais je me contentais de toujours le fixer, la tête à demi-tournée, appuyant ce scepticisme qui couvrait mes traits.
Toutefois sa confidence changea mon expression en quelque chose de plus amusé, le rictus qui avait gagné mes lèvres signe que je semblais contenir une sorte de rire qui n’allait pas tarder à s’échapper. Enfin il s’excusait quand même. Ce n’était pas mal, non ? « Désolé d’avoir été un petit con, j’espère bien que tu l’es ! » dis-je alors en lui donnant une petite pichenette sur le front pour ramener son attention sur moi alors que je posais finalement ma main sur sa tête, glissant dans ses cheveux pour les ébouriffer tendrement avant de finalement me décider à me rapprocher pour le prendre dans mes bras, posant mon menton sur le sommet de son crâne. « Je sais que de nous deux, tu as toujours été le plus réfléchi mais tu réfléchis définitivement trop Andy. Enfin, j’aime bien savoir que le gamin que j’ai connu qui n’a de cesse de penser à ce que les autres peuvent ressentir et comprendre est toujours là. Si tu ménages autant toutes ces personnes auxquelles tu tiens, c’est qu’elles doivent en valoir la peine. » Me détachant de lui, je venais attraper son menton pour le forcer quelque peu à me regarder, arborant une expression mutine. « Ménager mon pauvre petit cœur par contre… » Je viens rire sur mes mots, signe que j’avais décidé de passer bien outre tout cela. Je n’étais pas profondément rancunier, j’avais seulement appris à faire face à la déception aussi amère soit-elle pour tenter de rebondir. « J’espère en tout cas que les souvenirs auxquels je suis capable de te renvoyer ne sont pas profondément désagréables. » grimaçai-je alors avant de sourire de nouveau. « Enfin, je ne vais pas te mettre plus mal à l’aise en essayant de comprendre pourquoi tu ne veux pas que cela se sache. Je respecte. Tant que tu es heureux. » Est-ce que cela sonnait comme une sorte d’avertissement ? peut-être ; je pouvais bien le charrier un peu ? ou alors lui faire comprendre que je n’étais pas entièrement dupe, laissant une porte ouverte s’il avait envie de se montrer plus explicite.
Andy n’aimait pas les confidences. Il n’était pas à l’aise d’en recevoir et il l’était encore moins quand il était question d’en faire. Alors d’accord, ce n’était pas allé bien loin - des choses à confier qu’il avait sur le cœur, Andy en avait encore plein son sac - mais c’était déjà bien assez dérangeant pour lui. Il avait la sensation de dévoiler une partie de ses faiblesses au grand jour et il n’était pas sûr d’aimer la facilité avec laquelle Abel réussissait à le mettre au pied du mur. Ne pas contrôler les choses était problématique pour lui et il fallait bien se l’avouer en dehors de son boulot, il avait rarement l’impression de réussir à maîtriser les choses jusqu’au bout, ce qui en soi expliquait qu’il n’y ait aucun endroit où il se sente mieux qu’à son bureau. Finalement, lorsqu’il devait faire face à une situation qui n’était pas prévue, il avait la sensation qu’il piochait dans une liste de comportement prédéfini pour essayer de s’en tirer. La plus simple c’était de s’en aller, mais la configuration des choses le permettait rarement. Venait la confrontation qui avait tendance à toujours mal se terminer, il n’était vraiment pas bon pour ça, peu importe à quel point c’était déplaisant de l’admettre. Et pour finir un mix de sincérité et de mensonge qui lui laissait toujours un arrière goût d’échec sur la langue. Le mieux étant qu’il pouvait passer de l’une à l’autre en quelques minutes. C’était aussi déstabilisant pour les autres que pour lui, qui essayait ensuite de comprendre son propre fonctionnement…Il avait la sensation de vivre dans le mensonge (ce qui était un fait) et il avait peur de la simplicité avec laquelle Abel le renvoyait à cette constatation. Dans le cas présent, il avait commencé avec l’option n°3, uniquement parce que la 1 était impossible en l’état et que la 2 déjà testé la dernière fois aurait mis un terme sûrement définitif à l’envie d’Abel de le supporter encore un peu et donc à l’affaire qu’ils avaient dorénavant en commun. Le problème de parler sincèrement avec Abel, c’est que ça lui rappelait une époque à la fois trop proche et très lointaine, où il réalisait à quel point ça faisait du bien d’avoir quelqu’un à qui se confier honnêtement. Très sincèrement, il n’était pas sûr de vouloir prendre ce chemin là, en fait il n’était sûr de rien, pas même de ce qu’il pourrait dire ou faire dans les minutes à suivre. Il n’avait plus qu’une envie que cette rencontre reprenne les rails du professionnalisme et que la rencontre prenne fin. Histoire de pouvoir réfléchir en toute tranquillité sur la suite à venir de leur collaboration avant de défaillir et de dire des choses qu’il regretterait par la suite en en révélant un peu trop sur lui-même et sa vie actuelle. Soyons raisonnable, tout s’était à peu près bien passé jusqu’à maintenant, une partie de lui voulait que ça dure, ne serait-ce que parce que ça allègerait cette culpabilité tenace qu’il avait ressentie après l’échec de leur première rencontre (on se rappelle que c’était voulu quand même…) au point d’avoir fini par formuler des excuses. Andy réalisa qu’avec Abel, il avait un comportement des plus incohérents…Même avec Link il réussissait mieux à tenir la ligne de conduite qu’il avait défini. Etait-ce lié à la manie d’Abel de le confronter ainsi sans lui laisser la moindre échappatoire ? A leur amitié passée ? Ou juste à la nature même d’Abel ?
Andy attendait le retour du danseur à ses petites confidences avec angoisse. Il n’avait pas la moindre idée dont l’autre réagirait et savait encore moins comment lui-même réagirait par la suite. Là il se sentait juste vulnérable. Abel ramena son attention sur lui par un comportement qui n’était pas sans rappeler à Andy une adolescence qui il faudrait bien qu’il se l’avoue un jour, lui manquait terriblement. Apparemment ses excuses étaient acceptés, raison de plus pour ne pas tout foutre en l’air maintenant, il déciderait plus tard si c’était une bonne chose ou pas, peu capable de toute façon de réfléchir sur l’instant. Il esquissa un sourire mi-reconnaissant, mi soulagé même si le cœur n’y était qu’à moitié. Comme l’avait dit Abel, il n’y avait personne dans le coin pour les surprendre et s’imaginer des choses, ce qui valait mieux pour éviter de la part d’Andy un revirement de comportement complet. Aussi il se laissa faire lors de l’étreinte suivante car au fond il trouva ça extrêmement rassurant. Il n’était pas sûr que ce soit une bonne chose qu’Abel soit si amical car Andy en revenait à sa crainte de se laisser aller mais il ne se sentait pas la force de le repousser et préféra l’écouter. Il n’était pas mécontent que le contact visuel ait été de nouveau rompu car il n’aurait pas soutenu l’échange sinon. Doivent en valoir la peine. « Certains oui. » Il pensait à Leah en disant ça. Elle méritait mieux que la vie qu’il lui faisait subir. Mais du côté de ses parents, la triste réalité c’est qu’il n’avait pas d’espoirs, c’est bien pour ça qu’il avait à ce point renier en bloc tout une partie de lui. Parce que c’était ses parents et qu’il ne pouvait pas y renoncer.
Quand sur un ton amusé il lui prit le menton, Andy lui accorda à son tour un sourire amusé. Après le rire ponctuant la phrase, il ajouta sur le même ton « C’est ta faute Abel, tu me perturbes. » Ce qui était entièrement vrai pour le coup. Son sourire s’effaça aussi vite que celui d’Abel, à l’évocation des souvenirs en commun. C’est pour ça qu’Andy n’aimait pas se confier. Une fois les mots envolés on ne les rattrape plus. Il pourrait lui dire qu’Abel n’avait aucune inquiétude à avoir, les souvenirs dans lesquels il apparaissait étaient positifs. C’était après que les choses avaient déraillées. Mais ce serait s’épancher à nouveau et prendre le risque de faire naître de nouvelles interrogations. Tant que tu es heureux. Andy ne savait pas trop comment prendre cette dernière phrase et encore moins quels chemins prendre. Etait-il censé dire quelque chose ? Parce que là à part être cynique – le bonheur ça va, ça vient – ou désagréable – ça te regardes pas vraiment – il n’avait pas grand-chose qui lui venait. Les deux réponses seraient bien injustes vu qu'Abel lui laissait la possibilité de ne pas répondre. Andy en était reconnaissant. Même si une envie au fond de lui, ne dirait pas non à révéler ce qu’il avait sur le cœur, mais une partie de sa raison lui rappeler que faire marche arrière serait impossible. L’étreinte finie, sa torpeur passé, Andy ne se sentait plus l’âme aux aveux. Heureusement il lui restait une solution toute prête. Faisant quelques pas sur le côté, il jeta de nouveau un œil à la pièce où ils étaient. « Bien, il me faudra un double des clés. Je vais faire passer quelques experts et commencer les recherches. Nous referons un point ensemble disons le mois prochain, ça te va ? »
Spoiler:
Je te laisse voir si tu penses qu'une réponses est nécessaire ?