Les deux mois de délai négociés pour le tournage de Fates and Furies étaient ambitieux. Micah avait vu l'échéance se rapprocher et, impuissant, s'était résigné à rester un mois supplémentaire dans  les paysages enneigés du Vermont. On ne pinaillait pas avec Gary Blake, dont le seul nom était une garantie de succès et d'éloge critique. D'autant que pour un second choix du réalisateur, Micah avait déjà épuisé tous les privilèges qu'il avait pu s'octoyer en envoyant Donna au front. Lubie, caprice ou épiphanie, Blake avait tellement adoré les décors naturels qu'il avait refusé de tourner certaines scènes en studio ou de compromettre la lumière naturelle avec des effets numériques. Toute l'équipe était donc conviée à revenir plus tard dans l'année pour filmer les scènes d'été. Une nouvelle qui ne ravissait pas Micah qui, s'il avait été en position de parlementer, aurait proposé le soleil australien pour s'épargner un voyage de quelques semaines aux Etats-Unis à l'heure où l'état de son père arrivait à son point de non retour. Intérieurement, il bouillonnait, même si l'ambition de ce film lui semblait une bonne révérence pour les années à venir. Sa décision était prise. Il mettrait sa carrière en pause le temps de se recentrer sur ses envies et sa réconciliation avec une vie perdue à poursuivre ses rêves de cinéma. Il soupçonnait d'ailleurs le réalisateur de s'être bien moqué de lui, en consentant à ses doléances alors qu'il savait très bien qu'elles étaient surréalistes. Deux mois s'étaient transformés en deux saisons sans même se rapprocher de l'équateur, auxquelles il fallait intégrer les contraintes météorologiques. Heureusement, le tournage s'était globalement bien déroulé. Sa co-star, une jeune comédienne canadienne à la peau diaphane, collait parfaitement à l'image qu'on pouvait se faire de Mathilde. A défaut de sortir cette année, le film pourrait au moins se réjouir de son casting impeccable.

Il était rentré tard la veille, s'écroulant sans cérémonie sur son lit sans défaire les draps bordés au carré. Quelle joie de ne pas avoir programmé de réveil à 5h du matin pour se faire maquiller. Ses yeux s'étaient ouverts tout seuls en milieu de matinée. Micah avait dormi comme une souche dans le silence assourdissant de son appartement de Sydney. Celui qu'il avait gardé comme un pied-à-terre dans ce genre de circonstances où ses vols ne l'emmenaient pas jusqu'à Brisbane. Le message de Jo le fit sourire. Le timing était si parfait qu'il n'aurait pas été étonné d'apprendre que la jeune femme avait soudoyé Gary – son assistant, pas le réalisateur mégalo – pour obtenir son agenda. Après quelques échanges, ils avaient convenu de se voir le lendemain dans la demeure familiale. Le temps pour Micah de rentrer et de rendre visite à son père, qu'il n'avait vu qu'au travers de son téléphone pendant de longues semaines. La visite fut éprouvante. Si on l'avait prévenu, Micah n'était pas parvenu à se préparer totalement à ne pas être immédiatement reconnu. Il était pourtant venu en début d'après-midi, comme on lui avait suggéré de le faire. Deux heures plus tard, il avait rejoint Paul, le house manager qui gardait les biens immobiliers de la famille depuis près de 20 ans, dans la villa de ses parents. Micah avait du mal à comprendre pourquoi ils n'avaient pas su se contenter d'un enfant comme témoin de leur mariage anéanti, plutôt que de s'encombrer d'une maison en garde partagée. Mais il y avait beaucoup de choses qui lui échappaient à propos de ses parents. Depuis le placement de son père, Micah n'avait jamais remis les pieds dans cette maison dans laquelle il avait fêté plusieurs anniversaires, dont ses 18 ans, et perdu sa virgnité, entre autres. Elle lui semblait beaucoup trop vide depuis le divorce, et plus encore maintenant qu'elle n'était qu'un vestige du passé. « Paul, est-ce que tu pourrais attendre dehors pour guetter l'arrivée de Jo ? C'est une forteresse ici. » avait-il braillé tandis qu'il fouillait les tiroirs du bureau de son père. La pièce sentait encore le chêne et les feuilles de tabac comme s'il venait de la quitter. Sa main effleura la souris de l'ordinateur qui s'extirpa de sa veille prolongée. Aucun mot de passe requis, juste une vue imprenable sur un bureau bien rangé. Micah aurait pourtant pu jurer que son père avait toujours eu un mot de passe sur son ordinateur. Il s'installa dans le fauteuil pour fouiner un peu. Des tas de dossiers administratifs, contrats, scripts, étaient ordonnés en colonnes symétriques. De l'autre côté, isolé comme s'il avait été mis là de façon délibérée, un dossier nommé « Pour Micah ».

Le jeune homme se leva d'un bond comme un adolescent pris sur le fait lorsque Jo se faufila dans l'embrasure de la porte. « Jo, c'est toi ! » s'exclama-t-il pour reprendre un peu de contenance. « Désolé c'est débile, j'ai cru un instant que c'était mon père qui venait me faire la morale. » renchérit-il en repoussant le fauteuil pour s'élancer bras ouverts vers son invitée.

your smile, my ghost, i fell to my knees
@Micah Tomlinson ☆ crédit/ssoveia

Une chose était certaine, Jo pouvait compter sur Micah. Même s’il n’avait pas été en ville, elle était intimement convaincue qu’il aurait fait des pieds et des mains pour qu’ils se voient juste parce qu’elle lui demandait et qu’il savait que, dans le monde de Jo, les faveurs qu’elle demandait sur le ton usuel d’une conversation par textos interposés étaient aussi précieuses qu’une amitié de plusieurs années, qui faisait parfois couler de l’encre, qui apportait son lot de questions et de soupçons, mais qui restait beaucoup trop chère à son coeur pour qu’elle refuse de s’y accrocher quand tout n’allait pas si bien que ça. S’ils ne pouvaient pas s’empêcher de badiner, personne ne lui reprocherait cette fois, et puisque la proposition de se retrouver à la demeure familiale du jeune homme lui avait plu, elle n’avait pas attendu bien longtemps avant de se faire conduire sur place, non sans puérilement regretter au fond que ce qu’il lui avait assuré à propos des photographes l’empêcherait de montrer au monde qu’elle ne se contentait pas d’avoir une vie professionnelle bien remplie en ces temps de succès garantie par le mensonge.

Elle avait pensé à Micah vu que dans la liste de ceux à qui elle pouvait s’en remettre pour se changer les idées, elle ne pouvait compter ni sur Megan ni sur Charlie qui n’avaient pas été les dernières à considérer ses déboires récents comme la blague de l’année. Soit, elle le méritait, elle ne prétendrait même pas le contraire pour se donner le beau rôle et se plaindre d’avoir des  putains de copines en carton, enfoncée dans le contre-coup d’une victoire qui n’en était pas vraiment une, dans une rupture qui en était bien une elle par contre, à se faire ballotter de plateaux télé en studios de radio, à accepter de répondre à la même question soixante-dix fois par jour si ce n’était plus, tout ça en gardant un calme relatif auquel elle accédait grâce aux calmants qu’elle avait demandé en catimini à son équipe en prétextant couver une anxiété à affronter le branle-bas de combat dans lequel elle avait été propulsé seule, sans le filet de sécurité qu’avait toujours été Midas dans ces cas-là, plus rompu à l’exercice qu’elle ne l’était, ayant l’avantage de l’expérience pour survoler tout ça avec flegme et maturité. Elle n’était ni l’un ni l’autre Jo, et puisqu’elle ne voulait pas le voir, qu’elle ne voulait pas lui parler, elle était seule au milieu de la tempête.
Quand elle avait imaginé sa victoire dans le passé, tout se déroulait très différemment, et dans le monde parallèle où elle avait gagné il y a six ans, elle jouissait éhontément de la notoriété que ça laissait planer au-dessus de sa tête d’avoir raflé le trophée. Elle se comportait en souveraine parce que c’état son dû, qu’elle l’avait mérité, et que son avenir, s’il n’était pas assuré grâce à sa victoire, il promettait néanmoins d’être intéressant à envisager. Seulement, dans la réalité qu’était devenue la sienne en acceptant de participer à ce nouveau tour de chant qu’elle avait gagné par magouilles et dépit, rien ne répondait au fantasme inhérent à son besoin d’attention, et c’était frustrant à bien des niveaux, mais c’était pathétique aussi, de comprendre au fond qu’elle ne satisferait jamais de rien. Pourtant, on lui en donnait, de l’attention, c’était une certitude, mais toujours sidérée par ce qu’elle avait appris de la bouche de Cassie à propos du marché que Midas avait conclus avec la production, elle passait son temps à remettre la parole de ceux qui s’occupaient d’elle en doute, à se demander s’ils savaient pour sa victoire, s’ils faisaient partie de la petite majorité qui devaient garder le secret, s’ils faisaient semblant de faire tout pour elle en sachant qu’elle avait peut-être piqué la place de quelqu'un d'autre ; et finalement, piégée, consciente de ne pas pouvoir parler de tout ça sans risquer de citer des noms, la solitude était devenue une alliée fiable. Mais Micah, il avait toujours été honnête avec elle, c’était presque un dogme, celui sur lequel elle voulait se reposer le temps de quelques heures au moins pour soulager la pression qu’elle sentait peser sur sa poitrine qui se souleva d’un soupir lorsqu’elle arriva devant la villa des Tomlinson et qu’on la guida à l’intérieur sans cérémonie.

On lui désigna la porte entrouverte d’un bureau duquel elle s’approcha sans discuter, le bruit de ses talons compensés accompagnant le chemin qu’elle fit sans hésiter. S’accolant à l’encadrement de la porte, sa hanche butant contre le cadre en bois, elle posa sur Micah un regard tête inclinée, le bout de sa langue forant dans l’espace qu’il y avait entre ses deux dents de devant quand elle le vit sursauter et bondir comme un diable hors de sa boîte lorsqu’il nota sa présence. Les yeux ronds, Jo réagit aussitôt "T’es quand même pas en train de regarder du porno ?" Son regard passant de l’outrage à la malice, celui qu’elle lui lança voulant clairement dire montre même si elle savait très bien que sa provocation était nulle, que la réaction de Micah était dû à quelque chose qu’elle n’essaya pas d’analyser sur le moment, la mention du père du jeune homme la faisant entrer dans la pièce à pas de loup, son regard brillant souligné d’un trait aiguisé d’eye-liner furetant dans les coins en même temps qu’elle lui disait, l’air de rien "C’est marrant, j’ai réalisé qu’on avait jamais fait ça : j’ai jamais rencontré tes parents, t’as jamais rencontré les miens. C’est pas une grande perte ceci dit, mon père t’aurais détesté dans tous les cas." Acceptant les bras ouverts de Micah dans lesquels elle se blottit sans attendre plus longtemps, elle resta un moment à le serrer contre elle, se laissant secrètement gagner par une certaine forme d’émotion lorsqu’elle se rendit compte qu’elle n’avait pas été serrée aussi sincèrement dans les bras de quelqu’un depuis très longtemps maintenant. Pour autant, elle ne s’appesantit pas, elle repoussa sa sensibilité soudaine avec la volonté qui était la sienne dans ces cas-là, se reculant juste assez de Micah pour voir son visage dont elle frôla le bas avec la bosse de son index qu’elle tendit dans sa direction, ajoutant avec le ton de la candeur tandis que l’expression de son visage empruntait celle de l’ingénue de base qu’elle n’avait jamais été, un soupçon de bouderie venant parfaire le tableau "Elle a rencontré tes parents Lena ?"

Cette maison symbolisait ce qui se rapprochait le plus du souvenir nostalgique. Sa madeleine de Proust. Pour Micah, qui n'avait pas grandi au sein d'une famille ordinaire, elle avait longtemps servi de foyer. Ballotté à travers le pays depuis son plus jeune âge, il se rappelait toujours ce sentiment d'apaisement qu'il ressentait lorsqu'ils rentraient de voyage, et qu'il se surprenait à croire que c'était pour de bon cette fois. Qu'ils allaient devenir une famille enracinée comme les autres cherchant ses propres rituels et habitudes. Qu'il allait pouvoir se faire des amis à l'école qui se seraient émerveillés de son patrimoine sans la moindre idée de tous les sacrifices qu'il supposait. Même s'il le niait, Micah gardait plus de bons que de mauvais souvenirs de cette maison dans laquelle ses parents s'étaient déchirés en secret. Si imposante que pas même le fracas des disputes ne pouvait traverser les pièces. Peut-être que ses parents avaient fait preuve de plus de lucidité que lui en la gardant toutes ces années. Peut-être qu'ils avaient su avant lui à quel point il lui tenait à cœur de lui dire au revoir dans ses propres conditions. Il était prêt désormais. Prêt à la céder à une autre famille qui saurait en faire meilleure usage. Ce n'était pas tant la curiosité qui l'avait menée jusqu'au bureau de son père que la volonté de faire ses adieux. Micah était fatigué de croire que Joel Tomlinson continuerait de hanter les lieux comme si un miracle allait un jour lui rendre la mémoire. Il s'était accroché trop longtemps à l'idée que ce serait différent pour lui. Après tout l'histoire terminait toujours bien d'habitude. Mais l'influence et l'argent n'avaient pas encore le don de corrompre l'inéluctabilité de la nature. La maladie avait progressé sans réclamer son dû tandis que son regard de déni était tourné de l'autre côté.

Une fois trop tard, Micah n'avait eu d'autre choix que de se réveiller brutalement. Apercevoir la silhouette de Jo lui avait fait le même effet. Il aurait dû s'attendre à la voir débarquer. C'était même lui qui l'avait invitée. Pourtant, lorsqu'elle campa malicieusement dans l'encadrement de la porte grande ouverte, impossible pour lui de réprimer sa surprise. Elle désamorça le malaise à grand renfort de taquinerie. N'importe qui d'autre aurait trouvé sa répartie plus gênante encore que la situation, mais Micah n'avait plus ce genre d'inhibition en sa présence. Ce n'était pas qu'une question d'intimité jadis partagée. Au bout d'un certain nombre de conquêtes, le sexe devenait moins un moment privilégié qu'un besoin compulsif. Avec Jo, il avait partagé ses rêves, ses craintes, ses frustrations avec la certitude qu'ils resteraient scellés. Rares étaient les personnes avec qui il s'était mis à nu de cette manière. « Je pourrais pas nier ne jamais l'avoir fait dans l'enceinte de ce bureau. Mais est-ce qu'il y a encore des gens qui regardent du porno sur leur ordinateur ? » avait-il ajouté pour profiter de ce nouvel élan positif. Difficile à croire qu'une seconde plus tôt il avait failli faire une dramatique découverte. Elle s'était saisi de l'opportunité pour évoquer leur vie parallèle. Micah se demandait souvent si les femmes qu'il avait aimées se posaient la question de ce que leur vie aurait été s'il n'avait pas toujours privilégié sa carrière. Quels autres drames aurait-il pu éviter ? Et tandis que leur destin alternatif se jouait dans un coin de son esprit, il s'abandonna à leur étreinte. Elle lui avait semblé si longue et si fugace à la fois. « C'est sûr qu'il m'aurait détesté. Puis il m'aurait adoré. Je sais y faire avec les parents. » dit-il alors que l'étau de leurs bras se desserrait. « Moi je pense que t'aurais tapé dans l'œil de mon père. Il t'aurait promis monts et merveilles s'il était pas aussi occupé à me gérer. » Micah la dévisagea à son tour. Jo était souvent indéchiffrable. Pas impassible, mais trop caustique, trop désinvolte quand il fallait d'être vulnérable.

« T'aurais franchement voulu rencontrer mes parents ? » avait-il demandé très sérieusement, inclinant le menton. « Qu'est-ce que je leur aurais dit ? Voilà Jo, c'est une fille que j'aime bien et qui a beaucoup de talent mais je suis trop obsédé par une autre, et surtout par moi-même, pour l'assumer ? Et je dis ça sans amertume, je trouve que la relation qu'on a aujourd'hui pourrait pas être mieux. » L'heure n'était pas aux regrets. Dans ces moments de complicité évidente, rien ne comptait plus que leur amitié. Il fut surpris de l'entendre parler de Lena de son plein gré. Mais Jo n'était pas si naïve. Elle avait posé la question car elle connaissait et se réjouissait d'avance de la réponse. « C'est pas au programme. Je sais même pas si ça l'intéresse, et vu l'état de mon père je préfère encore qu'il se souvienne de moi plutôt que lui ajouter des gens dans sa vie. » Micah n'avait pas le souvenir d'avoir un jour évoqué frontalement la condition de son père avec Jo. La médiatisation de sa vie, et notamment de cet épisode tragique qu'il avait tenté de contenir le plus longtemps possible, l'empêchait souvent de se répandre en détails. « Les plus proches interactions que j'ai avec ma mère c'est quand elle like mes posts Instagram. Je l'ai pas vue depuis 6 ans. » S'il était si confiant du chiffre, c'était parce qu'il avait récemment compté. Il l'avait aperçue pour la dernière fois lors du défilé Tommy Hilfiger qui s'était déroulé de façon non conventionnelle à Los Angeles en 2017. « La famille c'est clairement pas un critère pour s'engager avec moi. Je sais pas trop quels sont les critères, d'ailleurs. »

your smile, my ghost, i fell to my knees
@Micah Tomlinson ☆ crédit/ssoveia

"Tu me poses la question comme si j’étais du genre à regarder du porno." À d’autres, Jo. Elle jouait bien la comédie ceci dit, c’était parfois utile pour briller comme elle le faisait lorsqu’elle était sur scène, à se soumettre aux émotions des mots qu’elle chantait et auxquels elle croyait la plupart du temps, rendant plus facile la tache de faire passer des messages pour que ceux qui la regardaient puisse se les approprier. Il n’était pas question de jouer ici, mais ça faisait partie de ses mécanismes de défense de préférer tirer sur la corde de l’ironie plutôt que d’admettre des faits et des ressentis. Ici, elle était heureuse de voir Micah, de le serrer contre elle sans n’attendre rien d’autre qu'un échange d’étreinte chaleureuse qui lui fit du bien sur l’instant, s’y perdant juste le temps de recharger une partie de ses batteries. Elle y songeait souvent, à l’idée que Micach représentait une forme de chez-elle personnifiée, assez accueillant pour lui donner des élans nostalgiques quand ce n’était clairement pas dans ses habitudes de le faire. En ce moment pourtant, ça lui arrivait parfois de se perdre brièvement dans les souvenirs qu’ils partageaient tous les deux, sans ne rien faire d’autre que les chérir, ne regrettant pas le moins du monde l’essor qu’avait pris les choses entre eux. Ses paroles auraient pu prouver le contraire, cependant leur relation d’antan avait permuté en quelque chose qui lui plaisait du plus profond de son coeur pour qu’elle ne veuille la souiller en l’imaginant différente de ce qu’elle était, et elle savait que c’était pareil pour Micah qui endossa le rôle du gendre idéal sans rechigner, faisant dire à Jo qui se recula de lui pour le regarder "Hm, tu sous-estimes ton charme." Son père aurait détesté Micah parce que dans sa vision tordue de la relation qu’il entretenait avec sa fille, il ne pouvait qu’être le seul homme de sa vie. Il serait déçu d’apprendre qu’elle ne voyait pas les choses de cette façon, pas même en tant qu’unique fille d’une fratrie de cinq garçons. Faisant se surélever l’une de ses épaules dénudées par la manière singulière qu’elle avait de porter ses vestes, elle prit l’air farouche des allumeuses qui n’en donnent pas l’air lorsqu’il mentionna son propre père, et que le plus sérieusement du monde, elle déclara sans rougir, pas même un peu "Ouais, j’ai souvent cet effet-là sur les hommes." Et si elle le disait en plaisantant, elle se prit un revers de conscience en repensant que c’était peut-être sa faute finalement si Midas s’était sentit obligé de la récompenser à sa manière en se rendant coupable d’une magouille dans son dos.

Peu importait sur l’instant. Ou en tout cas, elle ne voulait pas que ça importe, s’amusant de sa présence dans la demeure familiale des Tomlinson dont elle ne connaissait que le fils. Là encore, ce n’était pas un regret, bien que ses paroles auraient de nouveau pu traduire le contraire. Si elle écouta Micah dérouler sa pensée sans s’offusquer de la portée de ses mots, ça la fit sourire qu’il puisse penser qu’à l’époque, la petite Josephine Carter se serait sentit d’attaque à rencontrer les parents d’un amoureux qu’elle ne voyait qu’une fois sur deux, pas intéressée par la vie de couple et ses concessions, transie d’une envie de montrer ce dont elle était capable. Contournant le jeune homme, elle se hissa sur le bord du bureau qu’il avait quitté quelques instants plus tôt, renouant rapidement avec ses travers de sale gosse mal éduquée pour investir les lieux sans se sentir gênée de faire comme chez elle. Désormais assise confortablement près de l’écran de l’ordinateur posé sur le bureau, elle harponna un cadre qui traînait pas loin, crut reconnaître les traits de Micah sur la photo qu’elle regarda tout en statuant qu’il ne s’agissait pourtant pas de lui, mais certainement de ses parents, puis elle releva la tête pour ajouter à la tirade du jeune homme, sa voix traînante et éraillée démontrant un soupçon de provoc qu’elle laissa filer de manière tout à fait éhontée "Et elle fait les meilleures pipes du pays, c’est une information à ajouter à mes références. Je suis vexée que tu le soulignes même pas." Voilà pourquoi Jo ne devait en aucun cas rencontrer les parents de qui que ce soit.
Ses chevilles se croisèrent lorsqu’elle elle reposa son regard sur la photo qu’elle avait sous les yeux, un petit sourire en coin remontant sa pommette du même côté, ses pieds se balançant au rythme qu’elle choisit pour reprendre plus sérieusement "J’aime mieux l’idée que tu restes mon âme-soeur dans le sens le moins romantique du terme. Sans amertume, je préfère te voir occuper le rôle de témoin à mon mariage que celui du marié, et ça n’a rien à voir avec le fait que t’es incapable de garder un costume sur le dos plus longtemps qu’un quart d’heure." Le haut de son nez se fronça malicieusement, mais son expression redevint sérieuse quant, au travers de la réponse que Micah lui donna à propos de Lena et sa propre rencontre avec ses parents, ce qu’il ajouta la fit tiquer assez fort pour qu’elle admette dans le fond qu’elle n’en avait strictement rien à foutre du statut que la jeune femme avait gagné au sein de la famille de son petit-ami "Attends, quoi ?" Et vu l'état de mon père je préfère encore qu'il se souvienne de moi plutôt que lui ajouter des gens dans sa vie. Soudain, l’attention de Jo resta focalisée sur cette phrase en particulier, et ses yeux trouvèrent ceux du jeune homme quand elle s’imagina être celle capable de dire quelque chose pareil en parlant de sa grand-mère. Si elle resta interdite, le ton dans sa voix était cependant curieusement stable et austère — curieusement parce que Jo ne l’était pas souvent, stable et austère, et que sa perspicacité aidant, elle craignait avoir interprété ce qu’il venait de glisser l’air de rien, noyant le tout sous une conversation sans fond qu’elle balaya d’un froncement de sourcils critique pour lui demander, soucieuse "Qu’est-ce que ça veut dire ça ?"

C'était plus la fatalité qu'un désir de les garder en captivité qui avait empêché Micah de partager plus tôt les souvenirs de cette maison. En y songeant, Jo n'était pas une exception parmi les femmes que le jeune acteur n'avait jamais présenté officiellement à ses parents. Cet état de fait la rendait au contraire affreusement banale dans le scénario de sa vie sentimentale. Une conquête de plus restée un vilain petit secret. Ce qui était exceptionnel en revanche, c'était la simplicité avec laquelle Micah pouvait s'imaginer cette réalité alternative. Jo savait donner au change, tant est si bien qu'on pouvait la soupçonner d'y avoir réfléchi elle aussi, peut-être au détour d'un moment d'introspection. Une idée fugace et refoulée qu'on chassait aussitôt qu'elle frappait. « C'est vrai, j'ai failli oublier à quel point tu es une talentueuse autodidacte. » Plus ou moins subtilement, Micah aimait sous-entendre au monde à quel point Jo avait plus d'une corde à son arc. Vu la façon dont elle s'amusait elle aussi de leurs échanges impudiques sur les réseaux sociaux, il n'était pas aberrant de croire qu'il était lui-même assez doué dans l'art de s'envoyer en l'air pour laisser une empreinte sensorielle sur les corps qui avaient côtoyés le sien. Jo adorait jouer de son côté pulpeux. Elle était de ces femmes qui s'assumaient de façon excessive pour les hommes trop peu sûrs d'eux. Micah n'avait jamais fait partie de ces hommes, si bien que l'entendre dire qu'il se sous-estimait lui arracha machinalement un sourire. « J'aurais jamais cru entendre ça un jour. » On l'accusait le plus souvent d'être vaniteux, arrogant, voire capricieux. Comment pouvait-il en être autrement quand on avait eu l'habitude d'être admiré, parfois réduit à un physique qu'on n'avait de cesse de qualifier d'avantageux ? Et quoique c'était le lot de tous les parents, les siens lui avaient toujours répété à quel point il était le meilleur. A force, Micah avait fini par le croire. « Et combien d'entre eux ont fait avantage que promettre ? J'ai jamais eu qu'un seul agent depuis toujours, mais c'était mon père alors forcément son implication était plus personnelle. T'as déjà un agent ? » avait-il demandé par curiosité. S'il n'avait pas eu la malchance d'en faire l'expérience, Micah savait que ce monde regorgeait de requins dont les seules préoccupations étaient les leurs, et dont l'incompétence bridait souvent les talents qu'ils étaient censés représenter et développer.

Jo se détacha de lui pour investir les lieux. Son regard fouinait tandis que ses mains fouillaient les reliques à leur portée. En l'invitant, Micah ne s'était pas attendu à moins d'indiscrétion de sa part. « Tu ris, mais c'est une info qui aurait dressé les cheveux de la nuque de ma mère, et rien que pour ça elle aurait valu la peine d'être partagée. » Joel aurait ri, parce que les pères ne pouvaient s'empêcher de ressentir une certaine fierté à l'idée que leurs fils avaient une vie sexuelle plus épanouie que leur génération. Rétablissant une vérité qu'ils partageaient tous les deux, Jo tira un trait sur cette vie conditionnelle où elle aurait déjà toutes les informations qui lui manquaient sur les moindres recoins de cette pièce. Il n'était pas question non plus pour Micah d'être amer. Pour tout dire, le divorce retentissant de ses parents avait mis un sacré coup à ses propres désirs de mariage. « Je sais. Et entre nous ce rôle me convient tout à fait. Ce qui me fait chier, c'est que c'est un peu l'histoire de ma vie. Pourquoi tu crois que je suis le mec avec qui on s'amuse mais jamais celui qu'on épouse ? Te retiens pas. » demanda-t-il en s'approchant du bureau pour y reposer le bas de son dos. Il y avait eu Penny avant elle, qui l'avait embobiné pour mieux faire sa vie avec un autre. Lui n'était que l'aire de repos sur le chemin de l'engagement. Celui avec qui on partageait un bon moment mais jamais le reste de sa vie. En amour, il n'y avait finalement que la destination qui avait de l'importance.

A la suite de sa complainte, Jo demeura interdite. Son attention s'était attachée à une confession que Micah avait voulu faire passer pour un détail, parce qu'il avait de toute manière l'impression d'être incompris. Il détestait lorsque les gens faisaient mine de comprendre et de compatir pour des événements qui ne leur étaient jamais arrivés. Hormis Angus, personne n'avait véritablement pu le consoler sur l'avenir. « De quoi ? T'étais pas au courant ? » avait-il demandé en tournant la tête dans sa direction. Pour lui, ses problèmes étaient de notoriété publique. « Mon père a Alzheimer. C'est pour cette raison que j'ai quitté Hollywood. Il a été diagnostiqué fin 2020. » avait-il déclaré. Il n'avait pas retenu cette information de façon délibérée, ni même parce qu'il doutait des capacités de Jo à se montrer sérieuse dans certaines situations, mais simplement pour ne pas devenir à ses yeux également le pauvre enfant condamné à perdre son père. En présence de Jo il se sentait toujours plus léger, moins ancré dans la tristesse de cet immuable présent. Mais elle l'avait surpris dans un moment de vulnérabilité, et soudainement Micah réalisa qu'il ne pouvait plus échapper à la vérité. Il baissa les yeux, triturant le bout de ses doigts comme s'il venait de découvrir qu'il en avait dix. Un terrible vague à l'âme le submergea. « C'est la fin Jo. Il a tenu bon mais je l'ai vu plus tôt aujourd'hui et il était plus qu'une coquille vide. Et j'ai eu l'impression d'être vide moi aussi. »

your smile, my ghost, i fell to my knees
@Micah Tomlinson ☆ crédit/ssoveia

Passant sur la certitude qu’elle avait en tant que femme de s’être déjà fait berner par la gent masculine, préférant prétendre que c’était elle qui bernait et pas l’inverse, Jo chercha à s’extirper de cette introspection-ci pour ne pas craindre de mettre sa fâcheuse tendance à trop en dire en exergue et garder les secrets qui entouraient cette partie de sa vie, rebondissant sur la seconde partie de la question de Micah à la place avec un sérieux emprunté aux divas qu’elle admirait.
Comptant sur ses doigts, chacun se dressant sous la grâce de sa nonchalance naturelle, elle énuméra "J’ai un agent, un attaché de presse, une pseudo-assistante et une glam-team. Je me suis jamais sentie aussi assistée de toute ma vie." Mais putain qu’elle le méritait, si tant était que sa victoire avait été remportée à la loyale, elle aurait même pris plaisir à crier sur tous les toits qu’elle avait un type pour lui compter les marches à franchir lorsqu’elle descendait un escalier. Mais l’humilité de Jo s’était déclarée au cours des dernières semaines, comme une maladie de laquelle elle ne savait pas quoi redouter tant elle était imprévisible. C’était encore endormi pour l’heure, mais bientôt le besoin compulsif de travailler comme une acharnée la transirait pour prouver qu’en effet, elle méritait sa victoire parce qu’elle était talentueuse, pas parce qu’elle était tombée amoureuse d’un abruti capable de tout pour rétablir l’ordre naturel des choses.
Finalement, son équipe comme elle l’appelait pour raccourcir le terme auprès de la populace, elle était prédéfinie uniquement parce qu’elle était engagée par le label avec lequel la chaîne qui l’avait déclarée gagnante sur la base d’une tricherie éhontée travaillait depuis des années. Une fois son contrat terminé, lâchée dans la nature avec, si les étoiles le voulaient, un bagage de quelques albums et une carrière florissante, elle perdrait le privilège d’être chouchoutée d’aussi près. Elle avait cinq ans devant elle pour y penser. En attendant, elle était clairement à la botte de gens aussi malhonnêtes qu’ils s’occupaient bien d’elle. C’était contradictoire, mais c’était aussi très vrai "On va certainement chercher à me trouver un mec bientôt. Mais tu sais quoi, tant qu’on essaye pas de me fourguer un membre d’un groupe de K-Pop à la con, je suis même prête à me taper les fonds de tiroir." Sûrement pas, vous l’avez bien regardé ? C’était jouer à la pute sans les avantages du salaire à la fin, et elle avait déjà l’impression de donner assez dans le genre depuis quelques semaines. Une chose était aussi certaine qu’elle valait sa victoire : elle valait aussi bien plus que les fonds de tiroir.

Ils ne parleraient sans doute pas de leur carrière aujourd’hui. Déjà la conversation dérivait pour que Jo s’amuse de l’idée qu’elle était le cauchemar de tout bons parents qui se respectent. De toutes bonnes mères en l’occurence, puisque les pères, elle savait se les mettre dans la poche en battant des cils et en dégainant sa plus belle panoplie de fille ouverte avec ses avantages dont celui qu’elle avait souligné en s’offusquant que Micah ne le fasse pas, lui qui en avait clairement profité à un moment donné. Elle n’avait pas de bons genoux uniquement parce qu’elle faisait des squats et qu’elle se pavanait sur des talons de douze, pas besoin de vous faire un dessin "OK, sans mentir ?" fit-elle au jeune homme qui rebondissait sur l’idée qu’elle ne l’avait jamais vu comme un futur époux. Si elle ne s’attendait pas à ce qu’il prenne ses paroles pour argent comptant, elle ne comptait pas non plus édulcorer son discours. On aimait ou pas Jo pour cette raison en particulier : elle disait la vérité crue. Parfois, ça faisait mal — souvent à dire vrai —, mais à d’autres moments, c’était une soupape agréable sur laquelle compter, et nul doute que Micah saurait l’apprécier. D’autant que c’était lui qui se mettait aux devants du danger.
Posant à plat sa paume sur le haut de sa poitrine à peine couverte, Jo commença "Je pars de mon point de vue, et c’est celui d’une nana qui a jamais été amoureuse de toi. Je sais, c’est dur et je t’adore, mais tu veux que je te dise un truc ? Tu regardes tout le monde de la même manière, j’y ai jamais cru." Elle ne saurait pas s’expliquer sur ça sans parler de sa propre expérience et elle n’avait clairement pas envie d’en parler — de la sensation d’être spéciale dans les yeux de quelqu’un, de communiquer par ce biais sans craindre d’être jamais mal compris. C’était trop intime, même pour elle qui avait tendance à manquer de pudeur, alors pour tourner le tout en dérision, au moins un peu, elle ajouta en le faisant très doucement basculer d’un léger coup d’épaule "Et puis t’es trop beau. Pas dans le genre garçon-de-campagne-charismatique-trop-beau tu vois, plus du genre mec-qui-a-baigné-dans-le-lait-d’ânesse-et-qui-a-bouffé-du-caviar-à-la-cuiller-toute-sa-vie-trop-beau." Ça faisait sens pour elle, c’était ce qui comptait "Si t’as de la chance, tu te trouveras bien une daronne qui y verra que du feu et qui pensera que t’as les yeux de l’amour quand tu les poses sur elle. Mais d’ici là, si t’apprends pas à regarder ceux que t’aimes autrement que comme tes partenaires de cinéma, tu vas finir dans un monastère, et je suis pas sûre que tu supportes l’abstinence." Tournant la tête vers lui, elle leva les sourcils pour, ses mains se levant comme elle capitulait face à sa propre rhétorique, ajouter "Hey, tu m’as dit de pas me retenir et puis de quoi t’as peur en vrai ? T’as Lena." Ou t’y crois pas non plus ? se refusa-t-elle à lui demander, préférant l’observer pour se prendre ses paroles précédentes de plein fouet.

"Et comment je suis censée être au courant si tu me dis rien ? Tu m’as rien dit, je m’en serais rappelée de ça." l’empêcha-t-elle d’objecter, descendant du bord du bureau sur lequel elle s’était assise pour s’éloigner juste un peu histoire de pouvoir le regarder à distance lorsqu’elle reprit "Je suis pas le peuple, je suis ton amie. Je lis pas la presse pour me tenir au courant de ce genre de détails de ta vie." Sérieusement, Micah ? sembla dire le regard qu’elle lui renvoyait à ce moment-là et qui avait une lueur différente de toutes ces fois où elle le fixait de cette façon-là ; parce que ça la renvoyait à la plus grosse crainte qu’elle couvait concernant sa grand-mère, crainte qui lui serra la gorge quand elle entrevit la détresse de Micah de qui elle s’approcha brusquement pour lui prendre les mains et le faire arrêter de triturer ses doigts. Les tenant contre ses paumes, elle les serra, fort "Arrête ça." lui ordonna-t-elle avec une conviction morne, mais une détermination qui lui était propre, qui pouvait passer pour de l’agressivité, quand ça ressemblait drôlement à de la dignité en réalité "T’es son dernier repère. Alors tu flanches là si t’as envie de flancher, j’en parlerais à personne et je pourrais même faire comme si c’était jamais arriver, mais dis pas que t’es une coquille vide." Ça voudrait dire qu’elle aussi, elle pourrait le devenir à un moment donné, et ce n’était pas une pensée qu’elle pouvait se permettre d’avoir maintenant tandis que la culpabilité de laisser Ava de côté la rongeait plus souvent qu’elle n’était apte à l’admettre depuis qu’elle avait accepté la proposition de Midas — et soudain, elle se demanda si elle lui avait jamais dit pour le diagnostique de sa grand-mère. Reprenant la parole, elle lui demanda presque trop bas "Pourquoi tu crois que j’ai emménagé avec ma grand-mère ?" Parce que sa carrière ne menait à rien, qu’elle s’était laissée détruire par une défaite cuisante et des abandons successifs de  la part de personnes sur qui elle comptait ? Il y avait un peu de ça, mais pas que.

La parade de Jo pour éluder le sujet principal de sa question n'échappa pas à Micah qui, comme il s'en doutait, en déduisait que sous ses airs assurés, la jeune femme réservait ses caprices de diva à ceux qui avaient le moins d'emprise sur sa carrière. La liste des membres de sa cour lui arracha néanmoins un sourire fier. « Bienvenue dans mon monde. Bientôt tu ne sauras même plus comment allumer une cafetière. » En ce qui le concernait, Micah n'avait jamais su. On ne lui avait pas appris les bases de la survie, mais plutôt à compter sur les compétences des autres afin de préserver les siennes. Des compétences supérieures, plus nobles, qu'il mettait lui aussi au service des autres. Quoique déconnecté des réalités de la vie, Micah savait tout de même admettre la valeur des personnes qui l'entouraient et l'assistaient chaque jour. Gary, son assistant, était une extension de son esprit. Son absence suffisait à bouleverser l'équilibre de son quotidien. « Tu devrais pas te contenter d'une pseudo-assistante, son rôle est presque plus important que celui de ton agent. J'ai rarement l'air reconnaissant, mais le mien sait qu'il me sauve littéralement la vie un jour sur deux. » lui avait-il conseillé. « C'est ton attaché de presse qui t'a conseillé de t'éloigner des réseaux sociaux ? » avait-il demandé, ignorant encore si cette idée était bonne ou simplement une première manifestation d'un paternalisme duquel Jo faisait semblant d'être épargnée. La principale qualité de Micah dans ce business, c'était d'être un homme. Jo avait elle aussi l'air satisfaite de cette consécration. L'entourage grandissait avec l'influence, et ces quelques métiers qui gravitaient autour d'elle étaient la preuve qu'elle devenait importante dans son milieu. Perspicace, Jo avait rapidement compris que sa vie sentimentale – parfois davantage que sa musique – allait commencer à intéresser les gens. Un moyen de communication comme un autre que Micah maniait à la perfection. Il leva les yeux au ciel face à la fausse incrédulité de son amie. « Tu sais très bien avec qui on va avoir envie de te caser. Je sais pas ce que j'en pense, je le connais pas. Mais par contre je te connais assez pour savoir que t'as pas grand chose à foutre de mon avis sur la question. » D'un point de vue purement marketing, cette idylle avec Midas était logique, voire nécessaire. Mais Micah avait passé le stade où il considérait Jo comme un objet. Elle aurait assez de gens dans sa vie pour le faire à sa place désormais. Au bout du compte, elle pouvait très bien faire parler d'elle en assumant son célibat et sa position de femme indépendante et déterminée.

Micah fut le premier surpris de la tournure que prenait cet entretien. Jo s'était certainement attendue à plus de légèreté et moins d'apitoiement. Flirtant d'ordinaire avec l'arrogance, Micah se montrait rarement vulnérable. Cette maison, et surtout cette découverte mystérieuse sur l'ordinateur de son père, le mettaient dans un état dépressif. En réclamant à Jo de lâcher les chevaux, il s'était préparé au pire. La jeune femme n'était pas réputée pour sa complaisance. Il l'écouta attentivement, sans l'interrompre, enchainant les expressions médusées, flattées, songeuses, comme si c'était un casting durant lequel on lui demandait de dérouler sa palette d'acteur. « Wouah, beaucoup d'infos » conclut-il, le souffle coupé. Habitué à retenir ses textes, Micah avait pris note de tous les points énoncés par Jo. « De un, fais pas comme si t'avais jamais été amoureuse de moi. » Une petite blague pour désamorçer la gravité, et surtout la pertinence de ses critiques. « De deux, est-ce que tu viens de dire que je suis plus beau que Midas ? » Cette opposition entre les privilèges et le garçon modeste, consciente ou non, n'était pas anodine. Si Micah n'avait jamais eu de réelle conversation avec Midas, il connaissait cependant l'origine de son succès, car elle était aux antipodes de la sienne. « Et de trois, je pensais pas que c'était une mauvaise chose de vouloir valoriser gens. » Enfin il aborda le véritable problème. Jo avait raison d'une façon inespérée. Il n'avait pas anticipé à quel point son jugement pouvait être si fin alors que leurs chemins s'étaient séparés depuis longtemps. « Mais ok, même si ça me fait mal de l'admettre, ton analyse est plutôt juste. » avait-il consenti en opinant du chef, les yeux fermés. « J'ai peut-être fini par intérioriser que les gens m'aiment forcément plus pour ce que j'ai que pour ce que je suis. Et que je leur dois quelque chose. » Micah n'était pas dupe. Les hommes comme lui attiraient leur lot d'opportunistes. Des gens malhonnêtes qui prétendaient tenir à lui pour profiter de son influence et de ses privilèges. De façon tacite, il avait fini par accepter ce contrat. La rançon de la gloire, en quelque sorte. L'argent avait le don de tout corrompre, même l'amitié. « J'achète tout le monde. Avec des cadeaux, de l'attention, des belles paroles. C'est ce qu'on m'a toujours appris. Que je suis forcé de donner, même sans rien recevoir en retour. Juste parce que c'est ce qu'attendent les gens qui gravitent autour de moi. » Micah n'avait jamais rien connu d'autre que l'opulence et la célébrité. Finalement, elles étaient ses plus beaux atours. « Sans ça, qu'est-ce qu'il me reste ? Ma belle gueule nourrie au caviar ? » avait-il demandé naïvement. La question n'était pas rhétorique, ni même destinée à se faire mousser. Hormis son père, ses films, ses interviews ou ses réseaux sociaux, rien ne le passionnait véritablement. Il éluda l'allusion à Lena. Il aurait aimé confier la nature de sa relation à Jo, mais il craignait au fond qu'admettre que tout était faux serait renoncer à ce que ce soit vrai un jour.

La maladie de son père rythmait sa vie depuis près de 3 ans. Micah avait perdu le compte des personnes à qui il s'était confié avant les révélations de la presse. Des personnes qui lui demandaient régulièrement des nouvelles, ou s'enquérait de son état, comme si lui aussi était finalement réduit à ce rôle de témoin impuissant. Avec Jo, il voulait que tout soit facile. Comme avant. « Je sais, je suis con d'avoir rien dit. Je crois qu'au fond je voulais juste que quelqu'un continue à me voir comme le Micah d'avant. Quand rien de tout ça n'était arrivé. » Cette épée de Damoclès le suivait constamment. Sur les plateaux de tournage, dans l'avion qui le conduisait bien trop loin de la mémoire de son père, dans le lit qu'il partageait parfois avec des inconnues. Au fond, il se demandait s'il ne devait pas être soulagé que le couperet soit enfin tombé. « Je me sens débile Jo. J'y arrive pas tout seul. Tout ce temps j'ai fait comme si ça allait jamais arriver. Comme s'il allait être l'exception. Sauf que c'est pas le cas, et quand je l'ai vu ce matin il m'a pas reconnu. » Son regard relevé était grave, triste. Il ne parvenait pourtant pas à pleurer. Pas devant Jo. Devant personne. Elle le rassura comme personne d'autre n'avait su le faire avant. Non seulement avec compassion, mais avec fermeté. Il se ressaisit à l'annonce de ses dernières paroles. A quel moment allait-il finir de parler de lui ? « De quoi ? Ta grand-mère est malade ? »

your smile, my ghost, i fell to my knees
@Micah Tomlinson ☆ crédit/ssoveia

Jo, elle avait rêvé d’être une star toute sa vie. Seulement, était-elle taillée pour le devenir ? Son manque de patience, son besoin de contrôle, son caractère difficile et le reste, ça se rappellerait bientôt à son bon souvenir. L’idée-même de ne plus être maîtresse de sa vie, ça finirait sûrement par lui peser plus lourd sur sa conscience que celle même d’être enfin devenue quelqu’un. Pas pour l’heure, et c’était tant mieux, elle avait d’autres sortes de problèmes à gérer, étant tout de même consciente qu’elle avait perdue sa capacité d’agir librement puisqu’on lui rappelait plus souvent qu’à son tour que toutes ses paroles, toutes ses actions avaient une influence sur son entourage, qu’elle devait apprendre, écouter et agir en conséquence. Elle se demandait si Midas avait eu droit à ce discours à l’époque, et quand bien même, il avait semblé en faire son affaire à la fin étant donné qu’aujourd’hui, il se permettait de jouer avec la providence pour la faire tourner selon ses désirs, se fichant des répercussions, ou du moins les traitant avec une négligence induite par son statut de superstar. C’était ironique quand on savait que c’était elle qui était traitée comme une bombe à retardement, lui s’attirant les faveurs de sa cour qui voyait en lui un innocent petit agneau qui amassait assez de fric pour peser lourd et attirer les foules. Elle n’aimait pas penser à lui de cette manière, cependant il fallait peut-être qu’elle commence à arrêter de l’idéaliser comme elle l’avait fait durant toutes ces années ; elle aimait encore moins croire qu’il était un manipulateur, le genre à cacher ses travers sous sa belle gueule. Mais la vérité, c’était qu’elle avait la sensation affreuse de s’être fait berner.

Pinçant les lèvres à ce que disait Micah, Jo haussa les épaules "J’ai pas choisi qui devait m’entourer, c’est un package qui vient avec la victoire. C’est comme les repas dans les avions : c’est peut-être dégueulasse, mais c’est compris dans le tarif, alors on avale, et avec le sourire." Elle ne ferait pas de blague douteuse sur sa rhétorique, Micah y verrait l’analogie qu’il voudrait.
Elle ne se contenterait pas du moins bien Jo, c’était bien pour ça qu’il fallait voir en son inaction une certitude tenace : celle que ceux qui la suivaient depuis la fin de l’émission étaient compétents. C’était le cas "Catherine, la nana qui me suit, elle le faisait déjà à l’époque de la première émission. Elle me connait, je suppose que c’est pour ça qu’ils ont misé sur elle pour s’occuper de moi maintenant." De toute façon, qu’elle marge avait-elle pour faire des choix en étant devenue le jouet d’un système pourri jusqu’à la moelle ? Elle affirma son haussement d’épaules en tournant la tête vers Micah qui la questionnait sur son absence des réseaux sociaux pendant un temps. Lui répondre non, c’est Midas qui m’a fait une scène à cause de nos échanges, j’ai préféré calmer le jeu parce que je tiens à lui , c’était exclu, et ce n’était qu’une partie de la vérité qui plus est. L’autre elle la lui donna "C’est la prod. À cause du truc avec Laurie." Qu’elle espérait en train de crever la bouche ouverte quelque part dans Sydney — pas étonnant qu’il lui tombait des tuiles sur la gueule, il n’y avait qu’à voir le genre de pensées qu’elle alimentait à coup de rancoeur "Je suis beaucoup trop vieille pour Leo DiCaprio." rétorqua-t-elle quand Micah souligna la potentielle romance qu’on voudrait lui coller sur le dos, sachant très bien au fond de qui il voulait parler, mais ne se sentant pas d’attaque à mentionner Midas de cette façon — leur relation ne deviendrait jamais un coup de pub "Remarque t’as raison sur un point, j’en ai rien à foutre de ce que tu penses. Mais c’était bien essayé, continue, t’auras peut-être une chance que ça fonctionne un jour." Elle ne pouvait pas s’empêcher de penser que Micah avait une dent contre Midas, comme Midas avait une dent contre Micah, uniquement parce qu’ils tenaient tous les deux à elle, d’une façon différente, mais le sentiment restait le même quelque part. Ils partaient tous les deux avec des à priori basés sur une jalousie plus intense chez l’un que chez l’autre. Elle avait déjà fait le tour de la question avec le plus jaloux d’entre eux, elle était persuadée que battre des cils pour le convaincre que c’était de l’histoire ancienne avec Micah avait fonctionné seulement pour un temps limité, que ça lui aurait claqué de nouveau à la tronche à un moment donné parce que si elle faisait des efforts, ça n’aurait sûrement pas été assez, partisante du moindre. Mais ça n’avait plus d’importance maintenant de toute façon.

"Bitch, you wish." qu’elle fit d’emblée au jeune homme qui énumérait sa sentence point par point, revenant d’abord sur sa confession à propos du fait qu’elle n’avait jamais été amoureuse de lui. Ce qu’il ajouta ensuite, ça la fit lâcher un léger rire et secouer la tête en même temps. Cette bataille d’ego entre Micah et Midas alors qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés, ça avait quelque chose d’hilarant en vérité. Ses sourcils se haussèrent, signe évident de son amusement "T’entends ce que t’as envie d’entendre. C’est pas ce que j’ai dit. Tu l’as bien regardé ?" Micah était probablement le seul sur terre à prétendre que Jo pouvait le préférer à Midas. Sans rien officialiser, c’était une certitude universelle qu’il avait ses faveurs rien qu’en plongeant ses grands yeux bleus dans les siens, chose qu’elle crut bon de mentionner selon un vocabulaire précis, se refusant se palabrer à voix haute sur la profondeur du bleu de ses yeux ou la longueur de ses cils qu’elle jalousait avec admiration comme l’amoureuse timide qu’elle était — elle en faisait peut-être même une obsession, allez savoir "Tu l’as clairement jamais rencontré. Tu devrais, ça te mettrait face à un truc que tu connais pas. Tu sais : l’humilité ?" C’était gentil comme pique, elle avait fait pire. Preuve était : le petit discours qu’elle venait de lui tenir et qui semblait avoir touché quelque chose chez le jeune homme "C’est pas ce que j’ai dit non plus. C’est bien de valoriser les gens, c’est encore mieux de le faire parce que t’y crois et pas parce que tu t’y sens obligé à cause de l’image que tu renvois." On pouvait douter de la capacité de Josephine à se montrer juste dans ses analyses, plutôt du genre à les faire sous le coup de l’impulsion, mais sa perspicacité était aiguisée, ça la sauvait des mauvaises interprétations "Putain, j’ai jamais eu droit à tout ça moi." fit-elle remarquer avec fausse déception, la cachant sous une grimace de circonstance, lorsqu’il se désola d’acheter son entourage avec des cadeaux, de l’attention et des belles paroles "T’es pas irrécupérable. Tu peux encore apprendre à donner de l’importance à ceux qui le méritent vraiment. Je t’interdis de pas me compter dans le lot, j’ai trop misé sur toi pour que tu me rétrogrades à la place de ceux à qui tu veux plaire par obligation." Lui donnant de nouveau un coup d’épaule, un nouveau rire s’échappa de ses lèvres quand, à sa façon, elle voulut le réconforter un peu plus. Finalement, un de ses bras se tendit pour se poser sur ses épaules et le serrer brièvement contre elle. Jo ajouta "Micah, stop. T’es drôle, t’es malin, et je veux pas que tu crois que je pense qu’aux apparences alors je vais pas parler de ta belle gueule, promis." Mais quand même, ça ne gâchait rien "Tu gagnes à être connu en dehors de la Une des magazines. Laisse les gens s’en rendre compte avant de faire de moves à la con pour acheter leur affection, laisse le choix à ceux qui t’entourent de se faire une opinion sur toi avant d’essayer de leur imposer la version de toi que tu veux bien leur donner." Merde. Encore un peu, et elle deviendrait philosophe la Josephine.

Ils devenaient trop sérieux, et ça promettait de ne pas aller en s’arrangeant "Ouais, t’es con." Bon, elle aurait sans doute dut être plus délicate dans la présente sauf que le choc de l’annonce faite par Micah était un coup dur à encaisser pour Jo. Il n’avait rien d’un ennemi à ses yeux, c’était tout le contraire, alors lui souhaiter qu’il connaisse un jour ce qui lui pendait elle-même au nez, ça remuait quelque chose en elle qu’elle savait qu’elle ne pourrait pas bien gérer. Ses mains serrant ceux du jeune homme, elle prit une profonde inspiration à la seconde où il lui avoua que son père ne l’avait pas reconnu ce matin-même "Je suis désolée." lui dit-elle avec une sincérité palpable dans le son de sa voix, son coeur se serrant, sachant très bien ce que ça voulait dire dans le fond.
Le diagnostique de cette maladie promettait des jours douloureux. C’était une dégénérescence longue et pénible qui ne trouvait pas d’atténuation avec le temps. Chacun s’y préparait comme il le pouvait, Jo elle avait eu tendance à le garder à l’esprit pendant les cinq années qu’elle avait passé avec sa grand-mère, espérant peut-être retarder l’échéance en la stimulant avec beaucoup de volonté, leur complicité l’aidant à le faire sans que ça ne devienne une corvée. Mais c’était épuisant. Elle avait de la chance, sa maladie évoluait plutôt lentement en comparaison à celle de Joel, néanmoins ça restait une fatalité à laquelle elle ne pouvait que se référer et pas pour se rassurer : ça la transissait de peur, et c’était pour ça qu’elle avait tant hésité à accepter la proposition de Midas à l’époque, se disant que son absence temporaire au sein de leur petit foyer finirait par effacer son souvenir de la mémoire de sa grand-mère.
Il y avait eu des moments d’hésitation lorsqu’elle revenait la voir toutes les semaines, faisant aller-retour pour ne pas l’abandonner, et ça avait brisé quelque chose en elle, mais sur sa lancée, elle n’avait pas trouvé le courage de tout abandonner pour revenir à ses côtés. C’était trop tard désormais, et Ava lui avait dit  lorsqu’elles avaient discuté de tout ça avant que Jo ne dise oui : il fallait qu’elle pense à elle, et elle l’avait fait égoïstement. Ce que Micah lui disait, ça remettait en avant l’idée qu’elle l’avait abandonnée, et évidemment, ça la toucha bien plus qu’elle ne pourrait jamais l’expliquer à qui que ce soit — jusqu’à aujourd’hui du moins. Elle répondit à Micah, lâchant ses mains, et se rasseyant doucement à ses côtés, ses gestes paraissant difficiles à exécuter tant elle se sentait engourdie par cette nouvelle "Depuis cinq ans. Elle est relativement lucide, ça évolue lentement. Mais j’ai eu droit à des visites au poste de police pour la récupérer en pleine nuit, et depuis que je suis rentrée, elle a tendance à faire des pauses quand elle me voit arriver. Je sais que ça me pend au nez." Elle fronça les sourcils, ajoutant dans la foulée en tournant la tête de son côté "Dis pas que t’y arrives pas seul. Ça voudrait dire que j’y arriverais pas non plus, et c’est pas une option viable maintenant qu’il m’arrive tout ça."

Jo était-elle résignée ou satisfaite de l'équipe dont on l'avait affublée ? Connaissant ses rêves de victoire, et surtout à quel point la vie l'avait fait languir, elle faisait au moins des efforts de gratitude. Faire la fine bouche au début de sa carrière n'était pas la stratégie la plus recommandée, au risque de passer pour une personne revêche avec qui il ne valait mieux pas travailler. Le qualificatif de diva se méritait. « Ah merde, et tu dois subir ça combien de temps ? » Jo restait polie face à la production, pas parce qu'elle était docile mais simplement parce qu'elle maitrisait déjà les arcanes du métier. Si l'envie lui venait de vider son sac, Micah lui devait bien cette perche. Cette Catherine, il s'en souvenait. A défaut d'être conciliante, elle était qualifiée. C'est à leur opiniatreté qu'on distinguait les personnes dignes de confiance. Si Donna, son agent, ne recadrait pas parfois ses délires égocentriques, Micah l'aurait trouvée louche et intéressée, voire totalement délirante. « Je vois, celle qui te lâchait pas d'une semelle dans les coulisses. On peut au moins lui accorder qu'elle est impliquée. » Ou qu'elle tenait à son salaire. Peu importaient ses motivations finalement, tant que le résultat était en faveur de tout le monde. « Faut vraiment lire les petites lignes dans les contrats, ça peut nous suivre pendant des années. J'ai jamais rien compris à tout ça, mais mon père était intraitable. » avait-il avisé, surpris lui-même de parler de son père au passé, comme si ce qui le caractérisait autrefois n'était plus qu'un souvenir nostalgique. Signer pour une saga, c'était s'assurer une rente mais aussi s'enchainer des années à un rôle voué à décrépir. Micah aurait aimé être assez intelligent pour dire qu'il n'avait jamais fait cette erreur, mais il ne gardait pas un souvenir innocent de son expérience avec Netflix. « Tu restes donc miss X Factor jusqu'à nouvel ordre. Au moins tu auras l'occasion d'apprendre ce qui te convient ou pas avant de pouvoir choisir de qui t'entourer. » Une conclusion à laquelle elle était certainement venue sans son aide.

Le sujet de Laurie l'avait peut-être échaudée, mais si Jo sortait les griffes, c'était comme toujours pour sauver la dignité de Midas et de leur prétendu couple. « Pas la peine d'être sur la défensive. Est-ce qu'il y aurait de l'eau dans le gaz ? » n'avait-il pu s'empêcher de rétorquer, pas peu fier de la provoquer sur ce terrain sensible. Il s'était de toute façon tiré une balle dans le pied en soulignant l'insignifiance de son avis sur la question. Micah n'était certainement pas objectif, et n'avait pas la prétention de l'être. Elle pouvait bien balayer ses affirmations d'un hochement de tête dédaigneux, il n'avait aucun complexe vis-à-vis du chanteur. « Non, pourquoi je l'aurais regardé ? » répondit-il en feignant l'incompréhension. Sur ce terrain, Midas lui volait dans les plumes. Jo avait néanmoins raison sur un point, la fausse modestie de l'un le rendait plus attirant encore aux yeux des femmes. Lui n'achetait pas son numéro d'honnête campagnard. C'était l'image qu'avait voulu lui coller sa maison de disque pour mieux faire mouiller dans les chaumières. « L'humi-quoi ? C'est quoi, une technique pour parquer les moutons ? » tacla-t-il en fronçant les sourcils. Il roula des yeux quand Jo osa sous-entendre que ses agissements manquaient de sincérité. Elle prenait peut-être quelques raccourcis dans son analyse psychologique. « Tu te trompes si tu crois que je fais tout par obligeance. C'est peut-être une chose pour laquelle on m'a conditionné, mais je pense pas que ce soit malhonnête. » La question méritait d'être posée. C'était un peu sa dernière chance de se raccrocher aux rideaux. « Avec toi je me suis jamais senti obligé. Mais est-ce que j'en fais trop ? » Bien-sûr qu'il en faisait trop. Il le savait, la démesure c'était son credo. Personne ne s'en était pourtant plaint jusqu'ici. Comme quoi, la liste de ses amis méritait d'être revue. Micah n'aurait pas parié sur Jo pour se laisser amadouer par son numéro d'apitoiement. Elle le connaissait certainement assez pour savoir qu'ils étaient assez rares pour être sincères. « Je sais Jo. Mais on m'a jamais donné le temps de vraiment me découvrir moi-même. Ce qui me plait vraiment, ce que je peux apporter aux autres. Toute ma vie a été dictée par ma carrière. » Micah s'était perdu dans ses rôles. Toute une vie à jouer quelqu'un d'autre ne l'avait pas aidé à se forger lui-même. En devenant Micah Tomlinson, il avait cédé sa personnalité à tout le monde et s'était conformé à l'opinion qu'on se faisait de lui.

Son corps se détendit au contact des mains de Jo. Si ses mots étaient abrupts, ses gestes étaient tendres. Qu'avait-il à répondre pour sa défense ? Il avait été idiot de croire qu'il pouvait tromper le temps. Depuis l'annonce de la maladie de son père, le compte à rebours s'était enclenché sans qu'il ne puisse avoir la moindre indication du temps qui lui restait. Les premiers mois, il s'était même surpris à croire que le diagnostic était réversible. Ils avaient travaillé comme si de rien n'était jusqu'à ce que les médecins les rappellent à la réalité. Parfois, Micah se demandait si écarter son père de sa carrière, pour le préserver du stress, n'avait pas finalement enfoncé le clou. S'il ne s'était pas laissé dériver à partir de cet instant, comme si toute sa vie et la relation qu'il entretenait avec son fils se résumaient à cette dynamique. Il n'y avait jamais eu de frontière entre leur famille et le cinéma. Sans ça, il ne leur restait plus rien. Seulement tout à réinventer. L'histoire de Jo résonnait en lui comme un stigmate encore trop récent. « Je compatis. Je me souviens encore quand j'ai dû récupérer mon père chez les pompiers pour la première fois. C'était un soir de Noël. » s'était-il remémoré les yeux perdus dans le vide. Il releva le regard et le tourna vers Jo, qui s'était installée près de lui. « Elle a quel âge ? » La peine était la même, cela ne faisait pas la moindre différence. Mais Micah aurait pu espérer davantage d'années passées auprès de son père, à rattraper le temps perdu. « T'as raison, il est temps de se ressaisir. Je suis désolé si c'était pas le genre de discussion à laquelle tu t'attendais. J'aurais largement préféré l'option piscine sans prise de tête. » Le sourire qu'il esquissa n'était qu'un masque duquel Jo ne se laisserait plus duper. Il s'éloigna du bureau pour lui faire face et redonner un élan plus joyeux à leurs échanges. « Tu veux que je te fasse le tour du propriétaire ? J'ai l'impression d'étouffer dans ce bureau. » Ce serait sans doute la dernière fois qu'il ferait le tour de cette maison.

your smile, my ghost, i fell to my knees
@Micah Tomlinson ☆ crédit/ssoveia

"Le temps de défoncer des portes et de prouver que je peux faire mes choix par moi-même." Sa réponse était toute prête, comme si elle l’avait répétée devant son miroir à l’image de son discours de remerciements pour les Grammys qu’elle répétait inlassablement depuis ses huit ans, sa bouteille de shampoing à la main. Elle lui laissa néanmoins un arrière-goût qu’elle ne se laissa pas le temps de trouver écoeurant, enchaînant sur la suite des paroles de Micah "Je suis même tentée de dire qu’elle m’aime bien. Mais je suis pas assez naïve pour y croire. Elle est bien payée, ça doit l’aider à m’apprécier." Catherine savait garder des secrets cependant, ça restait un point important qui leur avait permis, à elle et Midas, d’avoir la paix quand ils se soustrayaient aux obligations induits par leur statut de candidats de télé-crochet pour aller batifoler où bon leur semblait. Elle n’avait jamais rien moufté à ce sujet, pas même pour la faire filer droit. Jo la soupçonnait même de les trouver mignons "Je suis pas une bonne élève avec tout ces trucs. J’ai des progrès à faire, c’est clair." Elle prenait les conseils quand on lui en donnait, c’était nouveau. Elle ne ferait plus les erreurs qu’elle avait faites lors de son passage remarqué dans les médias il y avait plus de six ans de ça maintenant. Ce n’était pas facile, ça ne le deviendrait sans doute pas avec le temps étant donné son caractère de cochon, seulement elle savait parfaitement qu’elle avait tout à apprendre. Elle n’était pas aussi butée que ça à ce sujet, et ceux de Micah, de conseils, ils étaient précieux tant il avait réussi et qu’elle savait qu’elle pouvait s’en remettre à son expérience dans ce milieu qu’était le show-business. C’était drôle cette manie qu’elle avait de s’entourer d’hommes qui savaient mieux qu’elle, et à qui elle quémandait des conseils sans en avoir l’air. Du moins, ce serait drôle si elle ne savait pas d’où ça lui venait exactement. Mais ne tenant pas à y penser trop fort, elle opina sans faire davantage dans le détail. Elle grimaça tout de même quand il l’affubla du surnom Miss X Factor. Ça lui collerait à la peau longtemps, c'était aussi pour ça qu’elle devait cartonner : elle était bien plus que Miss X Factor putain.

Elle aurait pu se défendre de monter sur ses grands chevaux lorsque Midas était mentionné, sauf qu’elle ne ferait pas l’offense à Micah de croire qu’il ne la connaissait pas assez pour savoir qu’elle mentirait. Elle ne lui répondit pas quand il s’amusa d’un potentiel conflit entre eux, ne trouvant pas ça drôle à dire vrai, et haussa juste les sourcils pour le voir batailler avec les piques qu’elle lui avait lancée, le voyant se retrancher derrière sa mauvaise foi et sa fierté pour amenuiser l’effet de l’humilité de Midas sur son audience. La seule chose qu’elle lui dit, roulant des yeux pour faire bonne mesure, c’est "Tu le connais même pas." Un air de dire que c’était facile de fait de le détester, même si elle savait que ce que ressentait Micah pour Midas ne devait pas être aussi critique que ça, qu’il avait tout au mieux de la différence à lui réserver, s’intéressant seulement à lui parce que Jo avait les yeux qui brillaient quand elle parlait de lui. Elle n’avait pas envie de jouer les intermédiaires, de défendre l’un auprès de l’autre, pour autant sa cause était bel et bien acquise, et si elle devait faire du mal à quelqu’un, ce ne serait jamais à Midas.
Elle pinça les lèvres en se réinsérant dans la conversation autour des défauts de Micah et lui accorda un regard par-dessous ses longs cils quand il lui dit qu’elle avait tort "Pourquoi t’es autant sur la défensive alors ?" Un prêté pour un rendu paraissait dire le petit battement de paupières qu’elle lui adressa avec sa mine insolente, à la limite d’être adorable quand elle cumulait des travers de sale gosse "T’en fais définitivement trop. Mais j’aime bien, ça entretient mon ego." S’en voulant peut-être un peu d’avoir été si honnête avec lui alors qu’il était clairement en position de vulnérabilité, elle passa un bras autour de ses épaules. C’était même curieux d’en être le témoin, c’était aussi curieux de tenir le rôle qu’elle tenait maintenant, celui de l’amie qui tente de réconforter. Elle n’était pas bonne pour ça, mais dans la seconde, ça lui venait assez naturellement pour qu’elle ne ressente pas l’impression de s’obliger à être plus magnanime. Fronçant un temps les sourcils, elle rebondit sur ses mots "T’as encore tout le temps, qu’est-ce que tu racontes. Tu parles comme si t’étais au bout de ta vie et que t’avais plus rien à en tirer." Il n’était pas si vieux que ça pourtant "Tu veux savoir qui t’es vraiment ? Fais-le, t’as peur de quoi en vrai ?" De découvrir des choses à son sujet qu’il ignorait encore ? C’était le risque à prendre, non ? Si ça ne lui plaisait pas, il pourrait toujours faire marche-arrière. Sa carrière n’était pas terminée, il aurait tôt fait de redevenir le golden boy qu’on avait voulu qu’il soit.

Elle comprenait en second temps pourquoi soudain, le temps justement paraissait devenir une obsession pour Micah "83. Elle est plus toute jeune, ça commence à jouer aussi." Et elle ne lui apprendrait rien en lui disant que si les pertes de mémoire étaient aléatoires, elles étaient difficilement contournables. Encore une fois, Ava avait de la chance jusque-là, mais son diagnostique posé, les prochaines année seraient un enfer pour elle, et Jo en était péniblement consciente. Le sentant remuer pour se lever, Jo lui attrapa le poignet pour le forcer à camper un instant sur sa position et pouvoir lui faire, ses yeux trouvant les siens avec bienveillance "Hé, c’est bien qu’on en ait discuté. Tu sais que tu peux me parler, de ça ou d’autre chose." lui fit-elle en sentant qu’il lui glissait entre les doigts parce que sa propension à ne pas vouloir s’enfoncer dans le trop sentimental s’était rappelé à eux et qu’elle avait voulu qu’ils cessent de se morfondre sur un sort inéluctable.
Il ne la bernait pas avec son soudain entrain à lui faire visiter les lieux, mais elle ne voulait pas le brusquer ou se laisser elle-même perturber par ce qu’elle ressentit sur le moment. Alors, le lâchant, elle glissa son bras dans le creux du sien. Arborant de nouveau sa mine des grands jours, un sourire en demi-lune faisant graduellement se fendre l’expression sérieuse de son visage, elle lui dit "Tu me fais visiter seulement si tu me laisses jeter un oeil à tes albums de famille. J’ai vraiment envie de voir à quoi ressemblait le mini Micah Tomlinson à l’époque — t’es vraiment un pervers, je parle de toi quand t’étais enfant pas de ton" Ne terminant pas sa phrase, elle se décala de lui pour qu’il ne soit pas tenté de la pousser ou de la pincer, ricanant doucement quand elle fit son allusion douteuse, et sans attendre une quelconque autorisation, elle s’engouffra dans le couloir en laissant leur peine dans le bureau.

rp terminé.