@channing walker

”Réunion de célibataires.” Il l’annonce à la porte, pas même un sourire sur le visage, mais le pack de bières relevé pour prouver sa bonne foi, ou tout du moins le fait qu’il n’a pas fait tout ce chemin les mains vides. Aux dernières nouvelles, Channing avait foutu en l’air son couple, et Rhett est très bien placé pour savoir qu’il en a fait plus ou moins de même. Ils sont en break, et il n’abandonne certainement pas l’idée de retrouver Evelyn en tant que petite-amie dès qu’il ira lui-même mieux, mais cela ne peut pas le faire oublier à quel point il lui a fait mal, non seulement à elle mais aussi à sa nièce, maintenant. “Je viens même pas chialer contre ton t-shirt, salue l’effort.” Et cette fois-ci, Rhett et son teint à une pâleur à en faire peur se permettent un mince sourire, pour souligner la blague. Il ne compte pas pleurer, il a dépassé ce stade là. Aujourd’hui, il en est seulement au point où il ne dort pas, ne mange pas, et passe ses journées entières à avoir des sueurs froides ou des courbatures paralysantes. Et ça, c’est évidemment quand il arrive à se lever de son lit (ou du canapé), quand ses maux de tête ne l’y clouent pas. Mais il ne pleure pas. Et il a réussi à aller acheter des bières. Et à se lever. C’est forcément un bon départ, n’est-ce pas ?

Après une expiration et un sérieux de repris, il replace le pack le long de son corps, et son bras avec, son regard désormais posé dans les yeux de son ami de longue date. Rhett affiche une mine plus sérieuse, plus adulte aussi. Channing n’observera qu’un peu mieux ses cernes, comme ça - il n’y a plus aucun maquilleur prêt à lui courir après pour éponger son front et parfaire son teint, désormais. “On fait un break, Evie et moi. Le temps que je me soigne. Je crois qu’on a des choses à rattraper.” Il veut le tenir au courant de sa vie, il veut lui faire part de ce qu’il s’y déroule, mais il veut aussi et surtout avoir de ses nouvelles à lui aussi, en retour. Tout s’est enchaîné bien trop rapidement dans son quotidien pour qu’il puisse prendre le temps de penser à ses proches, mais la mort de Joanne lui a appris que personne n’est éternel et que l’instant présent a une valeur incommensurable. Alors, pour les beaux yeux bleus du Walker, il fait tous les efforts physiques du monde pour surpasser ses symptômes du manque et ainsi se rendre jusqu’à chez lui, le tout pour mimer que tout est parfaitement normal, dans leurs vies à l’un comme à l’autre. Et s’ils font l’effort de s’en persuader en même temps, peut-être que l’illusion réussira à perdurer.

« Oh - j'ai enfin mes chances ? » Le rire de Rhett est bien plus indélicat qu’à son habitude, surtout depuis l’épisode Mickey. L’humour a toujours été présent auprès de Channing, il sonne simplement différemment aujourd’hui. Cela ne l’empêche pas d’afficher un sourire, et surtout de présenter le pack de bière telle une offrande pour s’assurer son passage sur le seuil de la porte, ce qu’il arrive effectivement à faire pour mieux rentrer dans le loft du Walker. « Il n'y avait pas de soleil en Suisse pour que tu sois si pâle ? » - “Pas vraiment leur plus grande qualité, non.” Disons qu’ils avaient du soleil, oui, mais que c’était à peine comparable à l’été australien. De toute façon, et surtout de toute évidence, Rhett n’a aucune envie de s’appesantir sur le sujet, que ce soit celui de sa cure en Suisse ou celui de ses cernes qui ne sont qu’un des milliers d’effets secondaires de sa tentative de sevrage.

Retrouver Channing lui permet aussi de retrouver ses repères ainsi qu’un endroit qu’il connaît bien, comme en témoigne sa capacité à trouver place dans le fauteuil sans avoir à chercher le salon, ni même à se demander s’il a le droit de le faire. De son côté, son ami fait le tri entre les nouvelles bières et celles qu’il semblait avoir gardé au frais. “T’attendais du monde ?” L’ancien sportif demande avec curiosité, attrapant néanmoins la bière au passage, une seconde avant de directement la porter à ses lèvres sans plus de cérémonie. Il ne buvait pour ainsi dire pas quand il consommait de l’Oxycodone, mais aujourd’hui la donne a changé du tout au tout. En réalité, la boisson lui donne surtout le courage de dire ce qu’il gardait sur le cœur, c’est-à-dire la pause que lui et Evelyn sont en train de vivre. Il insiste pour la qualifier de pause, incapable de penser qu’il s’agirait de quelque chose de plus durable: il l’aime, et aussi naïf et simpliste que cela puisse paraître, cela suffit à lui faire penser qu’ils ne peuvent pas vivre séparés. « On s'est dit sensiblement la même chose avec Gabrielle. » Les yeux d’Hartfield restent sur le profil de son ami de longue date. “A quelles nuances près ?” Il dit sensiblement, et c’est sur cette partie de sa phrase que Rhett s’interroge le plus, surtout alors qu’il sait très bien à quoi ressemble un couple en pause, maintenant. « Je suis désolé pour Evelyn et toi. » Rhett l’est aussi, au point où il peine lui-même à le cacher. Il n’a rien à ajouter sur le sujet et se contente de boire une gorgée de plus pour faire passer la pilule.

Fort heureusement, Channing enchaîne par lui-même. « C'était à ce point un échec la cure ? Tu as replongé aussi vite - enfin, si tu as sorti la tête de l'eau ? » Le sujet ne l’enchante pas, pour un bon millier de raisons différentes, mais il sait qu’il doit passer par là et surtout qu’il est redevable d’une certaine vérité à Channing. “Je crevais juste d’envie de rentrer pour reprendre, si tu veux tout savoir.” Et c’est ce qu’il a fait, sans la moindre cérémonie. Il s’est littéralement défoncé, et il n’en retient aucune sorte de fierté. “Je suis plus que jamais sur les nerfs, j’ai aucune envie d’imposer ça à Evie.” Il lui passe les détails, autant parce que cela n’importe pas pour leur discussion que parce qu’il n’a pas lui-même envie de revenir dessus et surtout de se les remémorer. Les faits restent les faits, peu importe l’intensité des détails qu’il décide d’y ajouter ou non. “Pourquoi est-ce que tu merdes ton couple, toi ?” Il aurait pu prendre quelques pincettes, mais de tortue évidence il n’a même pas essayé de tendre en ce sens.

« On se voit encore. De temps en temps, en tant qu’amis. » Rhett fronce le bout de son nez. C’est plus fort que lui, il sent à quel point l’idée est mauvaise sous tous les points, aussi mauvaise que l’était celle de faire une pause avec Evie. « C’est une idée de merde d’ailleurs, si tu te poses la question. » - “Ça en a tout l’air, oui.” Il ne mentira pas à ce sujet: c’est une idée de merde, et cela se voit comme le nez au milieu de la figure. Ils n’ont pas besoin d’être vraiment doué en relations amoureuses pour deviner une telle chose. “Qui l’a proposé ?” Il veut savoir s’il l’aime encore et il veut savoir à quel point c’est difficile de la retrouver en tant qu’amie, mais il aussi aussi qu’il ne serait pas à sa place en osant de telles questions, alors il préfère les résumer au strict minimum, par pudeur autant que par respect pour son ami.

« Tu l’as fais ? »
“Oui.”

Il l’annonce sans la moindre fierté. Il a besoin de lui dire la vérité, tout simplement, et ce peu importe à quel point elle n’a rien de reluisante à confier. Il a repris, il s’est miné, il s’est presque tué une fois de plus. Il est allé bien plus loin qu’il n’avait osé le faire jusqu’alors, sans doute aussi parce qu’il s’était déjà persuadé que ce serait sa dernière fois, jusqu’au restant de ses jours. “Mais j’ai arrêté. Ça fait trois semaines. Je sais que ça a pas l’air énorme comme ça, mais… Ouais, ça l’est.” Il doit bien commencer quelque part, qui plus est, et ces trois semaines sont un véritable bon début pour la suite. Elles lui donnent l’espoir et surtout elles réussissent à lui faire penser qu’il est capable de bonnes choses, à commencer par se surpasser ; et surpasser son addiction. « Elle l’a pris comment ? » Il rafermit la pression sur ses lèvres et s’octroie une seconde de réflexion, ses paroles introduites par un souffle de sa part. “Elle est soulagée, je crois.” Il n’en sait trop rien, mais c’est ce qu’il veut croire. Il est rapidement devenu un poids mort bien plus qu’autre chose dans sa vie, et il veut croire qu’elle se sent un peu plus libre en son absence, sans avoir à éternellement s’occuper et s’inquiéter de lui. Rhett s’obstine à penser que cette décision était la meilleure à prendre, bien qu’il n’était pas du même avis le soir où ils en ont discuté, les larmes aux yeux dans l’enceinte pathétique d’un hôpital qu’il ne peut plus approcher sans frémir. Il a du recul sur la situation, maintenant, et il sait qu’ils ont fait ce qu’il y avait de mieux malgré le contexte.

« Je suis incapable de la laisser m’aimer. Encore moins de l’aimer comme elle le mérite - maintenant qu’elle est prête à prendre ce qu’on a à s’offrir, c’est moi qui ne suis plus en mesure de le lui donner. » Channing boit sa bière, il a l’air de répéter un discours digne d’un film Hollywoodien. Dans ce genre de films, les deux héros finiraient ensemble, évidemment. C’est tout ce qu’il lui souhaite, parce qu’il ne peut que constater l’étendue des dégâts causés par l’absence de Gabrielle. “Non, me dis pas des conneries toutes cuites. Qu’est-ce qu’il s’est vraiment passé ?” S’ils s’aiment alors ils peuvent être ensemble. S’ils se comprennent, alors ils peuvent être ensemble. Et si tel n’est pas le cas, ils peuvent chacun faire leur chemin de leur côté et s’appeler des amis ou bien se détester. « Je cherche pas à la retenir - j’ai trop de respect pour elle. Mais elle ne part pas, et j’ai pas le courage de la faire me détester. » Ils restent dans un entre-deux qui semble faire bien plus de dégâts que quoi que ce soit, donc. “Si elle part pas, remettez vous ensemble. Arrêtez de jouer aux cons.” Il a déjà failli mourir une fois, qu’est-ce qu’ils ont besoin de plus pour se rendre compte que la vie ne tient parfois qu’à un fil et qu’ils ne sont absolument pas maître de ses aléas ? Ils peuvent au moins choisir d’être ensemble plutôt que de perdre du temps avec de fausses bonnes idées. “Sérieusement, pourquoi vous vous compliquez la vie comme ça ?” Il est le seul élément qui flingue sa relation avec Evelyn de son côté et il en est au moins au courant, mais en ce qui concerne Channing et Gabrielle, Rhett doit bien avouer qu’il n’arrive pas à cerner leur façon de faire et leur propension à tout compliquer sous couvert de faire au mieux. Ils ne font pas au mieux, loin de là.

Rhett a des défauts mais, au moins, il n’est jamais faux. Il statue la vérité (ou ce qu’il pense être la vérité) en tout temps, sans jamais se retrouver à se demander s’il vaut mieux dire les faits tels qu’ils sont. Il manque de tact, il manque de retenue, mais au moins il ne ment pas. Alors, quand Channing lui annonce avoir à son tour décidé de faire une pause avec sa bien-aimée, il ne sait faire autre chose que grimacer, surtout alors qu’il précise bien qu’ils continuent de se voir en tant qu’amis. Pour le vivre lui-même avec Evelyn, pour des raisons différentes et avec une façon sans doute différente aussi, il ne peut que penser que cette idée leur cause bien plus de douleur qu’autre chose. C’est ce qu’il ressent de son côté, du moins: de la douleur, mêlée à de la peine et à de la nostalgie, le tout saupoudré d’immenses regrets. « Moi. Nous deux. J'en sais rien vraiment, Rhett. » L’idée est venue à la volée, sans doute. Il ne veut pas croire que son ami tente de lui cacher la vérité, alors il en arrive à une conclusion simple qui concilie tous les partis: ils ont été bêtes d’un commun accord. « Je pense qu'on a vu ça tous les deux comme la seule solution. » Sans doute qu’ils le regrettent tous deux, maintenant, mais cela ne saurait de toute façon pas changer le passé. Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, Rhett hoche la tête.

A dire vrai, il préférait égoïstement continuer à parler des problèmes de couple entre Channing et Gabrielle plutôt que de son addiction, qu’il soigne pourtant pas à pas, fêtant ses anniversaires de sobriété un à un. Il avance trop lentement à son goût, mais au moins il a le mérite d’avancer, et c’est ce à quoi il se raccroche. « Pour ce que ça vaut, je suis fier de toi. » La plaisanterie s’estompe un temps pour une confession lourde de signification, à laquelle il répond par un maigre sourire. En réalité, tout ce qu’il sait, c’est que son ami n’aurait jamais dû avoir à se montrer fier de lui, parce que Rhett aurait dû commencer par ne jamais consommer quoi que ce soit. Maintenant, il jongle avec les conséquences, l’une d’entre elles étant que sa petite-amie en vienne à être soulagée qu’ils fassent une pause. « Et toi ? » - “Ça me fait chier.” Ce qui, dans le langage de Rhett, signifie qu’il est triste. Une part de lui est soulagée de savoir Evelyn au loin, parce que comme ça au moins il ne peut pas lui faire de mal, mais tout le reste de son esprit n’a de cesse de penser qu’elle lui manque et qu’il est complètement stupide d’avoir tout foutu en l’air.

« Peu importe ce qu'il s'est passé Rhett, quelle importance ? On se fait plus de mal que de bien, c'est tout ce qu'il y a à savoir. C'est- J'enchaîne les conneries. et elle mérite pas ça, et j'arrive plus à la regarder dans les yeux. » Il croyait dur comme fer que l’idée d’une pause entre les deux ne serait qu’une passade. Il y croyait, parce que cela le laissait espérer qu’Evelyn et lui allaient se retrouver à leur tour, comme s’il n’y avait rien de plus normal en ce monde. Pour ça, il continue de l’espérer, même si les indices tendent dans l’autre sens. Pour son ami de toujours, il espère qu’il est dans le tort, uniquement parce que l’esquisse qu’il fait de l’avenir n’a rien de plaisante. L’australien souffle à son tour, incapable de trouver quelque chose à ajouter. Il voudrait avoir les mots justes pour le soutenir, mais il ne comprend pas comment des paroles pourraient être l’égales de la réalité. Il ne comprend pas comment elles pourraient amoindrir la peine, cette fois-ci bien réelle, de l’impactante réalité des faits. “Et elle ? Elle en pense quoi ?” Channing lui avait posé cette même question au sujet d’Evelyn, alors il se permet de lui renvoyer la balle, sans doute parce qu’il espère que Gabrielle accepte un peu moins la situation que lui. De son côté, elle ne rêve sans doute que de l’observer dans les yeux. « Je ne sais pas si ces conneries sont faites pour moi - et ne me reproche pas de jouer les grands sages, je le pense sincèrement. » - “Quoi, tu vas finir nonne ? Arrête tes conneries.” Il ne le pense pas grand sage, il le pense grand con. “Donne toi du temps. Et à Gabrielle aussi. Ça fera pas de miracle mais… je sais pas, vous aurez peut-être le temps de réfléchir à la situation chacun de votre côté, comme ça.” Et ils se rendront compte de l’utilité de cette dernière. Peut-être bonne, peut-être mauvaise. Il souffle une nouvelle fois, bois une gorgée de sa bière, et s’enfonce dans le canapé. Ils ont fait le tour de la question, ils devraient se contenter de parler de n’importe quoi d’autre, maintenant. En parler n’arrangerait pas leur situation, de toute façon, et certainement pas leur propension à tout foutre en l’air avec une habileté remarquable.