@greta moore

Il n’est pas du genre à annuler à la dernière minute. Il a beaucoup de défauts, oui, mais il sait comment se comporter sur les plateaux. Il sait que l’image compte, devant les caméras comme derrière, et il sait qu’il ne vient pas de se faire une faveur en annonçant le jour même ne pas venir à l’émission. Pourtant, Rhett ne l’a pas fait de gaieté de cœur, et il a même tenté de se persuader qu’il n’allait pas si mal et qu’il pouvait tout de même faire l’effort, pour trente minutes à peine. Mais sans doute que son corps a jugé bon de le ramener sur Terre l’instant suivant, quand même son café a été renvoyé dans les toilettes, près desquelles il est resté assis durant de longues minutes, pas certain qu’il allait trouver le moyen de se relever sans vomir Dieu sait quoi encore. C’est à cet instant même qu’il a envoyé un message en annonçant être trop malade pour se présenter, son visage livide au point où n’importe quel fond de teint miracle n’aurait su le sauver. Et s’il l’a annoncé à la chaîne, il ne l’a lâchement pas dit à Greta, parce qu’il n’avait pas le coeur à devoir se battre avec elle, ni même lui expliquer dans de plus amples détails les raisons du pourquoi du comment. Tout le monde sait qu’il a fait une cure de désintox, mais tout le monde pense surtout qu’il est aujourd’hui miraculeusement soigné. Qu’ils continuent de le penser, cela lui fait de belles jambes.

Ce n’est que le soir venu qu’il a jugé bon d’allumer la télévision, pour au moins assister à l’arrivée de Greta sur les plateaux, elle dont il n’aurait jamais douté qu’elle soit parfaitement capable de se débrouiller seule. Et elle l’a été. Elle a ça dans le sang, les faux sourires qui ont l’air vrai et les questions auxquelles elle ne répond absolument pas, sans que personne ne s’en rende compte. Elle lui a même arraché un sourire ou deux, à lui qui a fini par fermer les yeux parce que la lumière de la télévision lui donnait mal au crâne ; et oui, évidemment que ne pas se présenter devant les caméras était une terriblement bonne idée. Pour autant, il n’en ressent pas moins les remords, ce qui le pousse finalement à envoyer quelques messages à sa biographe devenue amie. Il s’excuse à sa façon, il lui dit être encore en vie, il lui dit surtout qu’elle a été parfaite. Tout ça en des mots qui n’ont aucun rapport avec le sujet principal, et il attend d’elle qu’elle lise entre les lignes.

Il n’avait initialement pas pour intention de l’inviter chez lui mais puisque Ethel est sortie avec des amies (il insiste sur le féminin du terme, incapable de croire que sa petite soeur fréquente des hommes, et encore moins qu’il puisse se passer des choses avec eux) et qu’il ne touchera pas à son immense plat de lasagnes, il cherche à combler le vide et le silence de l’appartement. Il a besoin d’être surveillé pour ne pas faire de conneries, à l’image d’un putain d’enfant de deux. Et au moins, les enfants sont mignons. Lui, il n’est plus que l’ombre de lui-même, et il a même eu pour idée de couvrir les miroirs pendant un temps. Il a abandonné l’idée, jusqu’à demain sans doute.

“Hey, tu connais le chemin.” Il annonce à l’interphone, après avoir déverrouillé la porte d’entrée de l’immeuble. La porte de son propre appartement n’est pas fermée à clé, et il laisse Greta la pousser sans plus lui donner d’explications, ce qui pour lui représente un effort de moins à faire. “Je me disais que t’avais pas mangé avant d’y aller, et maintenant il est tard. C’est presque un drive, au final.” Elle prend à manger, et elle peut repartir quand cela lui chante. C’est l’idée, non ? Cela suffit à tirer un maigre sourire sur le visage de Rhett qui, reposé dans son canapé, bascule sa tête en arrière pour poser son regard sur la jeune femme. “Il a été bien moins entreprenant que Mike, tout a paru simple. Je me trompe ?” Mike, il a rêvé de lui coller son poing à la figure, et il ne l’a pas caché à Greta. “Sers toi. Les assiettes et les couverts sont dans le coin.” D’un geste de la main, il désigne le reste de la cuisine, l’invitant donc à faire comme chez elle et ouvrir autant de tiroirs que nécessaire. Après tout, cela représente bien le cadet de ses soucis.

Greta ne savait pas dire si cela avait été mieux ou pire que son tout premier passage pour promouvoir le livre chez ABC. Mieux, peut-être, dans le sens où les questions étaient beaucoup moins personnelles et axées sur le livre. Pire parce qu’elle avait du mener l’interview à bien seule, Rhett ayant décliné l’invitation au dernier moment, sans même prendre la peine de la prévenir elle. Greta avait eu l’information par un assistant de la chaîne juste avant d’être jetée dans l'arène sans même avoir le temps de choisir si elle souhaitait ou non poursuivre sans le principal intéressé.  C’était cette façon de faire qui l’avait embêtée bien plus que son absence mais elle le savait, l’état du garçon ne lui permettait pas d’être vif et de prendre les bonnes décisions au bon moment alors elle avait assuré ses arrières. Du moins, elle l’avait espéré et le message qu’il lui avait envoyé semblait aller dans ce sens à son plus grand soulagement. Pourtant, ses mains moites et la grande inspiration qu’elle avait prise avant de sonner à la porte du sportif témoignaient de son angoisse - comme un enfant convoqué dans le bureau de son professeur. Elle ne savait pas à quelle sauce elle allait être mangée mais elle doutait que celle-ci soit aussi savoureuse que celle à la tomate des lasagnes d’Ethel.

“Hey, tu connais le chemin.” Et heureusement parce qu’elle n’avait pas eu le temps de répondre que le bruit de l’interphone avait retenti, lui signalant que son deuxième passage dans l’arène était imminent. La blonde ne traînait pas les pieds mais il n’était pas impossible qu’elle se soit murmuré quelques phrases d’encouragement et qu’elle se soit répété de surtout faire comme si tout était normal. « Tu as… bonne mine ? »  Greta aurait pu le prendre dans ses bras si la pudeur n’était pas de mise entre ces deux-là, il lui inspirait forcément beaucoup de peine tant la scène était peu réjouissante à regarder mais, elle savait. Il n’était pas du genre à tolérer qu’on le regarde de la sorte alors elle avait agit naturellement, sur un ton léger, acceptant que le sevrage soit devenu un élément à part entière de la personnalité de Rhett, au même titre que son dandysme ou son sarcasme. Elle lui avait lancé un sourire légèrement provocateur qui suffisait à lui seul à lui dire tu l’as bien cherché. “Je me disais que t’avais pas mangé avant d’y aller, et maintenant il est tard. C’est presque un drive, au final.” Elle avait haussé les épaules puis acquiesé.  « Même si j’avais mangé j’aurais estimé avoir mérité des lasagnes. Mais tu commences à me connaître, faut croire. »  Parce que son estomac noué ne lui avait évidemment pas permis de se mettre quelque chose sous la dent avant son passage qui lui ne laissait absolument pas penser que Greta Moore ait été nerveuse. “Il a été bien moins entreprenant que Mike, tout a paru simple. Je me trompe ?” Tout aurait été plus simple à deux, Rhett, mais ce faciès blanchâtre n’était pas prêt à recevoir cette remarque. « Tu crois que c’est possible de faire pire que Mike ? Non parce que là je me dis vraiment que tout paraîtra simple après ce fiasco. »  Il ne lui avait fallu que quelques minutes pour insinuer que Rhett et Greta avaient couché ensemble et cela était probablement un exploit. “Sers toi. Les assiettes et les couverts sont dans le coin.”  Elle s’était exécutée sans broncher parce que même si chez n’importe qui d’autre elle aurait trouvé normal de se faire servir, Rhett, lui, n’était clairement pas en état de faire quoique ce soit de plus que d’ouvrir la porte. « On a pas vu le désarroi sur mon visage au début de l’émission ? Je devrais peut-être être actrice. » avait-elle lancé nonchalamment en s’installant à la table face au canapé où Rhett s’était échoué et en commençant à manger. « Ta sœur est incroyable, faudra lui dire. »  Sa fourchette désignait le plat de lasagnes, ses yeux désignaient l’appartement qu’elle entretenait, ce frère qu’elle maintenant sur pieds.

« Tu as… bonne mine ? »
“Et toi tu mens mal.”

Il ne lui en veut pas d’essayer, mais il ne compte pas mimer de la suivre dans ce mensonge. Il n’a certainement pas bonne mine et il le sait très bien, cela ne sert à rien d’inventer l’impossible autour de ce sujet. « Même si j’avais mangé j’aurais estimé avoir mérité des lasagnes. Mais tu commences à me connaître, faut croire. » A son tour d’hausser les épaules. La proposition serait restée la même même si elle avait fait un concours de nourriture juste avant: il avait besoin d’une excuse à la con pour l’inviter et les lasagnes sont tout ce qui lui est venu à l’esprit, alors elle doit désormais composer avec et il espère qu’elle saura avaler les portions généreuses de sa soeur qui n’a jamais su rester raisonnable. Pourtant, il ne reste jamais bien loin du véritable sujet qui l’intéresse, et cela se retrouve prouvé une fois de plus alors qu’il redirige la conversation vers l’interview plutôt que de parler de la pluie et du beau temps. « Tu crois que c’est possible de faire pire que Mike ? Non parce que là je me dis vraiment que tout paraîtra simple après ce fiasco. » Tout n’était pas si pire avec Mike, en réalité. Rhett avait simplement ressenti l’immense envie de lui coller son poing dans la figure, mais il n’y a rien de véritablement nouveau là-dedans: il en avait déjà envie lorsqu’ils étaient des collègues. “Faire pire que lui, non, ça serait difficile. Mais l’interview s’était bien passée.” Ils avaient donné le change, tout en ayant détesté chaque seconde. Les spectateurs n’ont rien vu de cela, et c’est tout ce qui importe. « On a pas vu le désarroi sur mon visage au début de l’émission ? Je devrais peut-être être actrice. » Rhett esquisse un sourire, à défaut de véritablement avoir le cœur à en rire. “Tu ferais de nouveau la tournure des plateaux pour faire les promotions, j’espère que t’as hâte.” Il ne lui dit pas qu’elle n’est pas une aussi bonne actrice que ce qu’elle tente de se convaincre l’être, mais il la voit aussi comme un enfant à qui on ne doit pas dire toutes les vérités en face. Alors il donne le change, à sa façon.

Il retrouve place sur le canapé, elle s’assoit à table, et Mike dirait qu’ils ont tout d’un vieux couple. « Ta sœur est incroyable, faudra lui dire. » Elle a beau pointer le plat pour souligner ses propos, il sait que ce n’est pas ce à quoi elle résume Ethel. “J’sais, ouais.” Il le sait depuis toujours, il n’est simplement pas doué pour lui faire comprendre. “T’as un frère, non ? Il te fait pas des lasagnes ?” Elle le connaît par coeur, elle a littéralement écrit sa vie, et pourtant en retour il n’a jamais fait l’effort d’en savoir plus à son sujet. Il était un peu trop occupé à raconter sa vie, il faut dire, et il mentirait s’il disait qu’il en ressent le moindre remord. “Elle vit avec moi pour le moment.” Il en revient déjà au sujet d’Ethel, occupé à souligner une fois de plus, et à sa façon, comment il se fait qu’elle est une sœur aussi incroyable. Elle n’a pas hésité un seul instant à accepter de vivre avec lui et ses sautes d’humeur, et ce pour le temps dont il aura besoin. “Tu la croiseras peut-être. Elle rentre pas tard.” Ethel est partie sortir avec des amis, alors il se peut qu’elle rendre avant que Greta ne soit repartie. Elles feront peut-être même un relais entre elles pour prendre soin du Hartfield, quelque chose comme ça.

“Et toi tu mens mal.” Greta savait que venir chez lui ne constituerait pas une soirée conviviale et que la conversation serait mentalement très lourde. L’écrivaine n’aurait pas les réponses qu’elle attendait tout simplement parce qu’elle ne se hasarderait pas à poser les questions qui y étaient liées. Rhett avait été son allié en lui proposant d’écrire son histoire, elle serait le sien en lui évitant n’importe quel fardeau supplémentaire parce qu’elle savait que sa présence n’était pas dûe à une envie du sportif de faire son mea culpa mais à une tentative de ne pas sombrer. De ce constat, Greta ne tirait aucune satisfaction, s’inquiétait plutôt de savoir le nombre de personnes ayant peut-être refusé de le soutenir pour que ce soit elle qui sonne à sa porte ce soir-là. « Si même mon sarcasme à moi te passe au-dessus, je suis contente que tu ne sois pas venu. » Parce que la promotion du livre nécessitait de capter chaque intention des journalistes et que le sarcasme était comme un langage à part entière chez certains. Greta avait posé ses yeux sur Rhett et avait ravalé sa salive avec difficulté. Son rapport à la drogue avait été celui d’une gamine aveuglée par la somme d’argent qu’elle pouvait y consacrer à l’époque, sa consommation n’ayant continué qu’à cause d’une relation probablement aussi toxique que la cocaïne. C'était autre chose qui avait coulé dans les veines du sportif et elle était bien incapable d'en citer les similitudes et les différences. Elle savait le manque que les substances pouvaient causer mais en le voyant là, livide, le front légèrement humide et les yeux hagards, Greta découvrait ce à quoi la dépendance pouvait mener. “Faire pire que lui, non, ça serait difficile. Mais l’interview s’était bien passée.” L’entendre prononcer ces mots lui avait amené un sourire bien que le contexte ne s’y prêtait absolument pas. « Et ça, c’est parce qu’on est super doués. » Malgré la difficulté, la blonde s’efforçait de maintenir le cap et de se convaincre que l’humour suffirait, au moins pour ce soir, à apaiser un peu ses maux. « Surtout moi. » avait-elle ajouté avec un sourire assuré, avant de s’installer et de tenter de subtilement indiquer à Rhett qu’il lui avait été difficile de rentrer en plateau sans lui. “Tu ferais de nouveau la tournure des plateaux pour faire les promotions, j’espère que t’as hâte.” Elle avait secoué la tête en riant, ravie de le voir se détendre.

“J’sais, ouais.” Ne s’inquiétant pas de la quantité de sauce tomate ornant probablement déjà ses lèvres, Greta avait félicité Ethel. De cuisiner comme personne et d’être présente pour lui, à à demi-mots.  “T’as un frère, non ? Il te fait pas des lasagnes ?” « Me coupe pas l’appétit, s’il te plait. Mon frère est génial et je suis sa première fan mais pour cuisiner, il faut des ingrédients, des ustensiles et rien que les trouver c’est difficile pour un Sighbury. » Carmine était un cliché à lui seul mais cela participait largement à son charme. La cadette, elle, parlait trop, elle ne comptait pas ses mots et ils servaient à masquer qu’elle n’était pas totalement à l’aise comme elle s’efforçait de l'en convaincre. A en juger par la nonchalance du garçon qui lui faisait face dans le canapé et de son état, il n’avait que faire des états d’âme de sa biographe et son égoïsme était légitime : la seule personne à laquelle il devait penser actuellement était lui-même. “Elle vit avec moi pour le moment.” Greta avait posé sa fourchette pour écouter. “Tu la croiseras peut-être. Elle rentre pas tard.” « C’est bien la seule personne citée dans la biographie que je n’aurais pas trop honte de rencontrer. Même si au final j’ai déjà rencontré Mabel, Evelyn et R… Non, c’est tout. » Son visage s’était plongé dans l’assiette de lasagnes et Greta aurait adoré disparaître. Heureusement pour elle, l’état de Rhett ne semblait pas l’autoriser à relever l’humour, le sarcasme et les maladresses de sa biographe. Le moment était mal choisi pour lui indiquer avoir interviewé Ruben - ses subtiles ajouts n'ayant pour le moment pas attisé la curiosité de l'aîné. « C’est bien qu’elle soit avec toi. Tu vois du monde, à part Ethel ? » Et sa biographe, mais cela allait de soi et Greta commençait à réaliser qu’il était peut-être temps de cesser avec ses tentatives d’humour. L’écrivaine s’était plutôt attelée à trouver toutes ces questions détournées pour s’inquiéter pour lui sans que cela ne soit trop évident, pour éviter à tout prix de lui demander comment il allait. Il avait vécu assez de scandales et elle aurait détesté ajouter “a jeté sa biographe à la porte avec un plat de lasagnes” à la liste des faits lui étant reprochés. Alors elle restait vigilante, au cas où.

L’idée qu’elle sache tout de lui mais que le contraire soit loin d’être vrai n’a rien pour déranger Rhett. Après tout, il est le seul à avoir sorti une biographie sur sa vie, donc il trouve l’idée plutôt normale. Simple que, peut-être, il aurait pu faire l’effort d’en apprendre le minimum à son sujet. Peut-être, oui, mais que voulez-vous ; ce n’est pas comme s’il était réellement intéressé par la vie d’autrui. « Me coupe pas l’appétit, s’il te plait. Mon frère est génial et je suis sa première fan mais pour cuisiner, il faut des ingrédients, des ustensiles et rien que les trouver c’est difficile pour un Sighbury. » Il esquisse un sourire en coin, imaginant déjà son frère être une sorte de copie britannique du sien, à peine plus guindé que Ruben peut parfois l’être, mais tout aussi insupportable. “Plus du genre à se faire cuisiner des homards, donc.” Il ne prend pas la peine de faire de ses mots une question, tout comme il ne prend pas la peine de tenir un jugement sur son frère: il comprend sans mal les différences entre certaines personnes, Rhett n’étant pas à ce point fermé d’esprit. Elle parle de son frère, il parle de sa sœur, et on pourrait presque croire qu’ils sont des mais profitant d’une fin de soirée pour rattraper le temps perdu. Quelle ironie.

« C’est bien la seule personne citée dans la biographie que je n’aurais pas trop honte de rencontrer. Même si au final j’ai déjà rencontré Mabel, Evelyn et R… Non, c’est tout. » Il est en manque, pas totalement con. “T’as parlé à Ruben ?” Il connaît beaucoup de prénoms qui commencent par cette lettre, mais aucun dans son entourage proche dont les confessions auraient pu aider Greta à écrire son livre. En réalité, il aurait dû s’en douter, et il ne fait que souffler longuement, ses doigts posés contre ses tempes qu’il presse. Il mime un crâne de tête, il mime une certaine colère aussi. Les deux cohabitent parfaitement. “J’aurais dû m’en douter.” Evidemment que son frère n’aurait jamais vendu la mèche, ce lâche. « C’est bien qu’elle soit avec toi. Tu vois du monde, à part Ethel ? » - “T’as parlé à Evie, pas vrai ?” Il le dit sans amertume, en réalité, mais il se dit surtout que si elle pose des questions du genre et tente de le materner à son tour, alors cela signifie qu’elle sait quelque chose. Elle sait sans doute qu’il essaie de se sevrer, ou alors elle sait que lui et la Pearson ne sont temporairement plus considérés comme un couple. Peut-être même qu’elle a trouvé le moyen d’avoir les deux informations, parce qu’elle est douée pour faire délier les langues. Après tout, il n’en voudrait pas à Evie d’avoir simplement statué les faits, mais il en voudrait à Greta de faire comme si de rien n’était. “Récemment, je veux dire.” Il sait déjà qu’elle l’a fait avant d’écrire le livre, bien que l’idée ne lui plaise pas, une fois de plus. “Je vais bien, j’ai pas besoin d’un questionnaire pour que t’en arrives à cette conclusion.” Autant faire gagner du temps à tout le monde, voilà simplement ce qu’il se dit, lui et son absence probante de toute forme de patience.

Greta n’était absolument pas étonnée que la discussion élude presque totalement l’absence de Rhett sur le plateau. Des questions, l’écrivaine en avait beaucoup, des reproches encore plus. Pourtant, le voir là, à ne même pas prendre la peine de lui sortir lui-même une assiette alors qu’elle avait passé de longues heures à coucher sur papier l’intégralité de sa vie était l’unique réponse dont elle avait besoin. Du moins, elle s’en contenterait.  “Plus du genre à se faire cuisiner des homards, donc.”  Elle avait eu un léger rire, ne pouvant pas réellement défendre son frère. De toute façon, cette discussion était une distraction, se voulant un peu plus discrète parce qu’elle ne portait pas sur la pluie et le beau temps. “T’as parlé à Ruben ?” Au final, la blonde aurait peut-être dû continuer à parler du snobisme dont Carmine pouvait faire preuve parce que sa maladresse n’avait pas tardé à reprendre le dessus. “J’aurais dû m’en douter.” Elle se souvenait la façon dont elle avait dit à Ruben de ne rien dire et l’ironie aurait pu la faire sourire si le fait de s’être trahie toute seule ne la mettait pas dans une situation si inconfortable. Rhett était tendu, à cause du manque mais également par l’annonce qu’elle venait de faire et elle était restée silencieuse, s’autorisant elle aussi à éluder le sujet.

“T’as parlé à Evie, pas vrai ?” À nouveau et comme à l’accoutumée, Rhett cherchait une raison à son inquiétude, la question étant pourtant anodine. Si la biographe avait compris que le sujet de son addiction était à éviter, il semblait que certains comportements à ne pas avoir lui avaient échappés. « Oui je lui ai parlé et contrairement à Ruben c’est pas un secret ça. » avait-elle commencé avant qu'il n'ajoute. “Récemment, je veux dire.” Le problème était sûrement la, qu’elle soit allée trouver Evelyn alors que celle-ci n’avait plus le même rôle dans sa vie. Au moins, que ce soit petite-amie ou ex, la relation qu’elle avait avec lui avait un nom tandis que celui de la biographie était encore obscur alors qu’elle comprenait encore peu la raison de sa présence ici. Il n’avait demandé aucune justification mais elle en avait avancé une avant qu’il ne parle. « J’avais besoin de conseils, Rhett. » Même dans son état actuel, le sportif était en mesure de comprendre son point de vue, elle en était convaincue et c’est son regard perdu qui avait cherché le sien dans l’espoir qu’il ne s’emporte pas. “Je vais bien, j’ai pas besoin d’un questionnaire pour que t’en arrives à cette conclusion.” Ils avaient réussi à s’entendre pendant environ dix minutes avant que le vent ne tourne à nouveau.  « Alors qu’est ce que je fais là ? » avait-elle demandé, maintenant certaine de ne pas pouvoir envenimer la situation plus qu’elle ne l’avait déjà fait. Le dos collé à sa chaise, les bras croisés, les lasagnes n’avaient pas suffi à l’amadouer. « C’est pas pour t’excuser, pas pour parler de ma prestation et visiblement pas pour dîner avec une amie. Alors je me demande, Rhett, si tu vas bien, pourquoi on est ici à faire la discussion ? » Son regard indiquait qu’elle serait probablement dehors très vite mais elle avait eu assez d’aplomb pour tenter de lui faire enfin avouer qu’être entouré était important, qu’elle était une amie ou quoique ce soit justifiant de se retrouver là avec lui malgré son état quand son rôle dans sa vie était terminé - a en croire les passages à la télévision qu’elle assurait seule.

« Oui je lui ai parlé et contrairement à Ruben c’est pas un secret ça. » Elle creuse sa propre tombe et il devrait lui en être reconnaissant, parce que cela lui fait au moins gagner un peu de temps de son côté. Il a un rire gras, faux et bref. Elle a donc parlé à tout le monde sauf à lui ; c’est toujours bon à savoir, n’est-ce pas ? « J’avais besoin de conseils, Rhett. » - “Pourquoi, Greta ?” Il appuie sur son prénom comme elle a appuyé sur le sien. Il n’y a rien sur quoi elle doive être conseillée, et il n’y a surtout rien qui puisse expliquer qu’elle semble s’entêter à impliquer son entourage au moindre problème. Elle n’a pas à avoir un tel rôle dans sa vie. Pire encore: elle n’a pas à avoir le moindre rôle dans sa vie, et l’idée qu’elle s’en soit auto-attribuée un a de quoi rendre l’ancien sportif parfaitement colérique.

Il va bien, il le répète, il le souligne, il recommence. Il va bien et, surtout, il n’a pas besoin de son aide à elle. « Alors qu’est ce que je fais là ? » Il lui jette un regard noir et froid, touché au vif, et un peu plus encore énervé à la simple idée qu’elle vise juste, pour une fois. “Je t’ai juste proposé de venir, pas menacée, vois ça avec ta conscience.” Elle aurait très bien pu rentrer chez elle et passer son chemin, cela lui aurait coûté une simple excuse à partager par message, et personne n’aurait cherché plus loin. Les lasagnes auraient attendu le retour d’Ethel et elle aurait soufflé en se rendant compte que Rhett n’a toujours aucun appétit ; et peu importe. Cela ne serait pas allé plus loin que ça. « C’est pas pour t’excuser, pas pour parler de ma prestation et visiblement pas pour dîner avec une amie. Alors je me demande, Rhett, si tu vas bien, pourquoi on est ici à faire la discussion ? » Elle a un foutu plat de nourriture devant les yeux, pourquoi est-ce qu’elle ressent le besoin de creuser plus loin ? Tout pourrait être simple et déjà terminé mais il faut qu’elle s’entête, évidemment. Il faut qu’elle gratte, il faut qu’elle cherche la petite bête, il faut qu’elle tente de faire sa bonne action du jour, de la semaine ou peut-être même du mois. “Tu penses que t’es qui, au juste ? Mon ange gardien ? T’as écrit un livre Greta, c’est tout. Je t’ai dit ce que j’avais à dire, tu l’as mis sur papier, et c’est tout.” Il ne répond pas à ses questions et préfère piquer ailleurs pour l’occuper autrement, simplement parce qu’il est toujours bien plus facile de blesser ses proches plutôt que d’accepter ses propres erreurs. Il n’a de toute façon pas la capacité de se remettre en question en cet instant, ni même la patience d’avoir le genre de discussion qu’elle espère. Greta met la barre trop haute pour l’état qui est aujourd’hui celui de Rhett. “Pense ce que tu veux, dis toi que je voulais peut-être te sauter pour enfin donner du poids à leurs soupçons.” Cela ne pourrait pas être plus éloigné de la vérité, mais il n’est plus à ça près. On lui a inventé des histoires avec Greta, on a trouvé le moyen d’imaginer qu’il en a aussi une avec Channing, et il s’est débrouillé tout seul comme un grand pour foutre en l’air ce qu’il vivait avec Evelyn, ce qui est la seule vérité au milieu de tout le reste. "Apprends à rester à ta place et surtout arrête de mêler mes proches à tout ça, parce que t'as certainement pas le droit de croire que tu fais partie de mon cercle d'amis. Le job est terminé maintenant, alors passe à autre chose." Qu'elle lâche l'affaire, voilà tout ce qu'il lui demande. Qu'elle le laisse tranquille, qu'elle oublie Ruben, qu'elle oublie Evelyn, et qu'elle ne pense pas un seul instant à aussi mêler Ethel à sa susceptibilité et son pseudo grand coeur.

L’erreur venait d’elle parce qu’accepter de venir manger des lasagnes chez Rhett alors que la biographie était terminée n’avait aucune logique. Ils étaient collègues, tout au plus, et ne l’étaient même plus vraiment depuis qu’il ne mettait plus aucune volonté à la promotion de la biographie. C’était difficile à entendre, à accepter, parce qu’elle se souvenait de ce dernier effort qu’il avait fait pour s’assurer que tout se passe bien avant de partir en cure. Le fait qu’il ne puisse pas être présent sur les plateaux n’avait rien d’étonnant si l’on prenait en compte son état, mais cela l’était si l’on réfléchissait à la personne qu’était Rhett et à la place qu’occupait ce livre dans sa vie. Certes, le succès était déjà là, mais s’ils ne continuaient pas à ravailler ensemble, tout cela pourrait très bien retomber comme un soufflé. “Pourquoi, Greta ?” Elle avait haussé les épaules, bien moins impressionnée par ce ton paternel qu’il prenait avec elle qu’elle ne l’avait été lors de leurs premiers entretiens. « J’ai pas d’explication. T’as disparu au moment de la publication et ça m’a fait flipper. J’ai été bête de la contacter, mais j’ai pensé à moi avant de penser à toi pour une fois. Je voulais pas être le genre qui surfe sur ça, tu vois ? » Il n’avait pas de réelles réactions à ses explications et sa question était probablement rhétorique car aucune de ses réponses n’auraient permis de la sortir de cette situation. Il s’efforçait de crier au monde entier qu’il allait bien, ce même monde qui lisait la presse et ses frasques en prenant leur petit-déjeuner, les yeux rivés sur leur téléphone avec la joie non dissimulée de pouvoir discuter de la chute du grand Numéro neuf. “Je t’ai juste proposé de venir, pas menacée, vois ça avec ta conscience.” Et c’était à peu près ici que la ligne s’était tracée, le fossé entre eux venant à nouveau se creuser. Greta avait posé sa fourchette réalisant combien elle était ridicule assise à la table d’un homme qui lui montrait tant de mépris. Son regard avait changé à la minute où il avait compris qu’elle tenait un point valide : pourquoi l’avoir invitée s’il allait bien ? Pourquoi l’avoir invitée elle, sa biographe, dont la place lui avait été rappelée de nombreuses fois ? “Tu penses que t’es qui, au juste ? Mon ange gardien ? T’as écrit un livre Greta, c’est tout. Je t’ai dit ce que j’avais à dire, tu l’as mis sur papier, et c’est tout.” Il ne répond pas à ses questions et préfère piquer ailleurs pour l’occuper autrement, simplement parce qu’il est toujours bien plus facile de blesser ses proches plutôt que d’accepter ses propres erreurs. Il n’a de toute façon pas la capacité de se remettre en question en cet instant, ni même la patience d’avoir le genre de discussion qu’elle espère. Greta met la barre trop haute pour l’état qui est aujourd’hui celui de Rhett. “Pense ce que tu veux, dis toi que je voulais peut-être te sauter pour enfin donner du poids à leurs soupçons.” Greta fulminait et si elle avait été un peu plus impulsive, elle lui aurait répondu qu’elle ne couchait pas avec les ratés mais cela n’aurait servi qu’à le blesser et n’aurait pas été totalement honnête compte tenu de sa relation avec Arthur. "Apprends à rester à ta place et surtout arrête de mêler mesproches à tout ça, parce que t'as certainement pas le droit de croire que tu fais partie de mon cercle d'amis. Le job est terminé maintenant, alors passe à autre chose." Les mots continuaient de rebondir contre elle et elle était persuadée que tout cela n’était probablement pas justifié. L’écrivaine tentait de garder une composition et de ne pas exploser parce qu’elle était consciente qu’ils venaient de quelqu’un de malade qui tentait de se reconstruire, pourtant, elle avait probablement déjà excusé déjà bien trop de choses. « T’as raison, débrouille toi. Si t’as pas compris encore que j’avais pas la prétention et encore moins l’envie de faire partie de ton cercle, que j’étais juste sincèrement inquiète ça sert à rien que je reste là. » Debout devant le canapé, elle avait commencé son propre monologue même si elle se sentait bien peu légitime sous le toit du sportif. « J’ai pas décidé de me retrouver dans ce merdier, par contre j’ai décidé de pas t’abandonner une fois les pieds dedans et si pour toi c’est de la pitié ou une façon de gratter une amitié, c’est dommage. » Attrapant son sac à main, prenant le temps de débarrasser son assiette - en se retenant de la briser - parce qu’elle continuait à avoir pour lui cette bienveillance qui lui faisait refuser de le laisser avec une corvée alors qu’il ne s’était même pas levé pour cette discussion. « Mais vu que la gentille Greta s’en prend plein la gueule, elle sera pas là pour assurer tes arrières sur les plateaux la prochaine fois. » C’était peut être celui là d'électrochoc qu’il lui fallait pour avancer et lui donner la réelle volonté de s’en sortir. « Bonne chance, Rhett. » avait-elle lancé en prenant la sortie, lui lançant un regard désolé, sachant pertinemment que leur collaboration devrait continuer. De la chance, il lui en faudrait parce qu’il était pour le moment incapable ne serait-ce que de donner l’impression qu’il souhaitait s’en sortir et, même s’il avait si bien dit qu’elle ne faisait pas partie de son cercle d’amis, même elle ne le reconnaissait plus.