Je peux sentir mon rythme cardiaque s’accélérer tandis que je remonte la rue qui me sépare de la maison qu’August partageait autrefois avec Yara. Si mon cœur s’emballe, ce n’est pas à cause d’un mauvais cardio, mais parce que je hais cette maison. Je hais tout ce qu’elle représente, tout ce qu’elle a causé et les dégâts qu’elle continue d’infliger au Constantine. Il a attendu tellement longtemps avant de la mettre en vente, une attente qui me tenait en haleine moi aussi. Pourquoi ne tournait-il pas la page après ce qu’elle a osé lui faire ? Espérait-il vraiment qu’elle revienne et que tout s’arrange, comme si rien ne s’était passé entre eux ? Il y a une différence entre une dispute de couple et littéralement laisser quelqu’un devant l’autel. Les souvenirs remontent à la surface et je fronce le nez, comme à chaque fois que j’y repense. Son visage mortifié, ses yeux remplis de larmes et la distance que j’ai ressentie entre nous ce jour-là. L’eau a coulé sous les ponts depuis, mais cet instant reste indéniablement présent chez tous ceux qui étaient présents à ce mariage et je sais d’avance que revenir ici doit lui être douloureux. C’est sans doute pour ça qu’il m’a demandé de venir, à cette heure où personne n’est supposé emballer les fragments d’une relation brisée dans des cartons de déménagement. La lumière des lampadaires éclaire le sol que je foule d’un pas rapide, ne sachant à quoi m’attendre en pénétrant dans cette maison que j’espérais ne plus jamais voir. La porte d’entrée n’est pas fermée et je ne prends pas la peine de m’annoncer puisque c’est August qui a souhaité que je vienne l’aider. « Salut l’étranger. » Je lance, par automatisme, tout en déposant ma veste et mon sac dans un coin de la pièce. Je prends une inspiration avant de découvrir ce qui m’attends ; des affaires en vrac, des cartons dans tous les sens et un August immobile au milieu du carnage. Il était temps que j’arrive. « T’es supposé ranger, pas rajouter du bordel. » Vaine tentative de lui arracher un sourire et d’effacer la tension qui réside dans la pièce. Mon regard s’arrête sur une bouteille à moitié vide, sur le bar, avant de revenir au principal intéressé. « Dis-moi ce que je peux faire. » J’ignore s’il a besoin de moi en tant que témoin silencieux de cette étape supplémentaire dans sa rupture avec Yara, s’il veut que je m’attelle à la tâche avec lui ou s’il désire simplement que je lui remonte le moral. A ce stade, il pourrait même me demander de faire le clown sur la table que je le ferais probablement ; je déteste le voir dans cet état. Peu de personne dans ma vie ont été capable de me donner un tel sentiment de haine, mais Yara a le mérite de faire partie de cette courte liste. A l’instant où August me l’a présentée, j’ai su qu’elle n’était pas faite pour lui. Une intuition que j’ai gardée pour moi, d’autant qu’il semblait éperdument amoureux d’elle et que je ne voulais pas créer de tensions inutiles entre nous. Notre relation a toujours été spéciale, une amitié comme aucune autre à laquelle je tiens plus que tout. Depuis son retour de Melbourne, j’ai du mal à savoir comment me comporter ; quoi dire, quoi faire. Tout pour effacer cette souffrance qu’elle a laissé derrière elle, même si je ne m’autorise pas vraiment à agir comme si notre complicité d’autrefois était bel et bien présente. Parfois je la ressens, parfois j’ai l’impression que notre lien appartient à une autre vie. A deux autres personnes qui n’auraient pas encore été écorchés par la vie.
Mars 2023. Il n’a pas la tête à ça et pourtant, il doit s’y résoudre. Il a mis sa maison en vente, celle qu’il partageait avec Yara depuis des années et dans laquelle il vivait seule depuis la fuite de celle qui devrait aujourd’hui avoir accolé à son prénom le nom de Constantine. Il ne tient plus entre ces murs, bien qu’ils soient les derniers souvenirs qui le raccrochent à son ex-fiancée et à ce mince espoir de la revoir un jour passer le pas de la porte, avec des regrets de l’avoir laissé seul devant l’autel. Il est naïf à cause de ses sentiments, pense encore et toujours qu’elle finira par lui revenir et si ce n’est au moins pour le reconquérir, au moins pour lui donner cette explication qu’il n’a jamais eu. Celle qui éclairerait sa lanterne, celle restée éteinte et endommagée qui ne fait que l’entraîner chaque jour un peu plus vers les bas-fonds. D’ailleurs, cette bouteille d’alcool déjà bien entamée et dont il se sert un verre de plus traduit là à quel point l’exercice est difficile pour lui aujourd’hui alors qu’il se noie autant dans l’alcool que sous les cartons. Il commence d’un côté, s’affaire d’un autre l’instant suivant sans même avoir fini le premier. Chaque pièce, chaque objet, chaque bibelot a un souvenir rattaché et c’est ainsi qu’il peine à avancer. Il se perd dans ses pensées, oublie ce pour quoi il est revenu dans cette maison ce soir alors qu’il vient enfin de quitter l’endroit pour vivre en colocation, le temps qu’elle trouve preneur. Il est certain que, dans l’état où elle se trouve à l’instantané – et lui de même – n’aiderait en rien à convaincre un futur acheteur qui viendrait à y faire une visite impromptue pour l’acquérir. Heureusement, la personne qui vient à pénétrer dans l’habitation n’est autre qu’une proche amie à lui, venue lui donner un petit coup de main alors qu’il ne sait plus où donner de la tête « Salut l’étranger. » Il relève doucement la tête alors qu’il est assis au milieu du salon, un cadre à la main dans lequel est entreposé une photo de Yara et lui. Un sourire s’affiche furtivement sur ses lèvres alors que son regard tombe sur la silhouette d’Andrea « Hey, Drea. Merci d’être venue ». Il est reconnaissant qu’elle ait accepté de lui venir en aide, surtout à une heure où elle a sûrement mieux à faire – ne serait-ce que se reposer après une longue journée. « T’es supposé ranger, pas rajouter du bordel. » Il dépose le cadre délicatement dans le carton et son regard traîne ensuite sur l’environnement qui les entoure. Il y en a de partout, du papier à bulle traîne à droite à gauche, des cartons sont pour certains à peine remplis quand d’autres débordent. Rien n’est ordonné et cela illustre à la perfection l’état d’esprit du Constantine « Ouais je sais… » il se gratte l’arrière du crâne et se lève en choppant au passage son verre de whisky. Il titube légèrement, plus parce qu’il s’est relevé trop vite qu’à cause des verres qu’il a enchaîné depuis quelques heures, il vous dira. « Dis-moi ce que je peux faire. » Il pousse un soupir, regardant d’un côté puis de l’autre, en réfléchissant quelle tâche il pourrait donner à Andrea jusqu’à ce que son regard s’arrête au même moment que ses pas qui le mènent vers cet endroit qu’il s’est arrêté de ranger un peu plus tôt « C’est tout ce qui reste des préparatifs du mariage » Il désigne l’étagère en question, se saisissant d’un magazine de mariage qu’il laisse tomber à l’intérieur du carton avant de venir se saisir d’une petit écrin qu’il a négligemment laissé ici. Elle ne renferme pas n’importe quel bijou, il s’agit bel et bien de la bague qu’il comptait passer au doigt de Yara le jour J mais il en a eu nullement l’occasion. Il reste de marbre devant celle-ci, ouvrant l’instant suivant la boite d’un geste lent « Je sais pas quoi en faire… Je veux pas m’en séparer » Parce qu’elle a une valeur sentimentale, parce qu’il y a toujours un mince espoir stupide en lui qui pense que Yara va lui revenir. Il est pathétique à voir, son regard rivé sur la bague scintillante à la lumière artificielle, son verre à la main qu’il porte à ses lèvres, comme si ce geste de plus allait l’aider à apaiser sa peine ou à prendre une décision quant à cette bague qui ne servira plus jamais.
N’importe qui de sensé aurait déménagé à l’instant même où la situation a fait un virage à quatre-vingt dix degrés. Se faire abandonner devant l’autel n’a rien d’anodin et en général, c’est assez significatif de la suite des évènements. Et puisque Yara n’a même pas daigné lui offrir une explication, ou même un signe de vie, la rupture s’est actée d’elle-même. Pourtant, August a continué à traîné dans cet endroit, telle une âme en peine, presque comme s’il s’attendait à la voir franchir le pas de la porte en rentrant d’une journée de travail. Cet espoir qu’il nourrit le détruit à petit feu et cette vision m’est insupportable, d’autant que j’ai l’impression de ne rien pouvoir dire, ou faire, pour l’aider à traverser cette épreuve. Peut-être que mon sentiment d’impuissance se fera moindre ce soir, puisqu’il s’est enfin décidé à me demander de l’aide. Je n’ai jamais voulu m’imposer mais j’ai toujours fait en sorte qu’il sache que je suis là pour lui, peu importe à quel moment. Je ne m’attendais pas à ce que ça soit pour vider cette maison, mais si ma présence peut l’aider à supporter cette étape supplémentaire, il paraît évident que je ne peux pas la lui refuser. Mon cœur se serre lorsque mon regard se pose sur lui ; il n’est plus que l’ombre de lui-même et je n’ai pas besoin de m’approcher pour comprendre qu’il a déjà commencé à anesthésier sa peine avec le contenu de la bouteille posée sur le bar. Je m’abstiens cependant de faire le moindre commentaire, ne sachant trop comment me comporter avec lui en ce moment. Notre proximité d’autrefois a pris un sacré coup lorsqu’il a commencé à sortir avec Yara et si à certains moments j’ai l’impression de retrouver l’August d’autrefois, notre lien n’est plus vraiment le même. « Hey, Drea. Merci d’être venue. ». Il m’accorde un sourire auquel je réponds avec spontanéité avant de faire un rapide état des lieux que je ne manque pas de commenter avec humour ; le tri n’est décidément pas son fort. « Ouais je sais… » Le brun se relève et attrape son verre sous mon regard inquisiteur. Il titube et je me mords la lèvre, retenant le flot de paroles que j’ai envie de lui lancer – l’heure n’est pas aux reproches. Je me concentre donc sur la pièce, cherchant un endroit où je pourrais commencer sans trop savoir où mettre les pieds. Tout ici rappelle sa relation avec Yara ; des photos, des souvenirs. Autant d’éléments qui me nouent l’estomac et me donnent envie de tourner les talons pour ne plus jamais revenir. Ma présence ici est une torture qu’il ne soupçonne même pas, mais ce soir, ce n’est pas à propos de moi. Je hausse un sourcil et lui demande ce qu’il attend de moi exactement, décidée à me montrer aussi utile que possible. « C’est tout ce qui reste des préparatifs du mariage. » Il désigne une étagère et s’empare d’un magazine sur lequel il jette à peine un regard avant de le balancer dans un carton vide. Je ne m’attendais pas à ce qu’il fasse aussi vite allusion au mariage mais apparemment, rester seul ici a tout fait remonter à la surface ; pas étonnant qu’il en soit déjà à son cinquième verre, si j’en crois l’état de la bouteille de whisky qui se tient non loin du Constantine. « Je sais pas quoi en faire… Je veux pas m’en séparer. » August semble hypnotisé par le contenu de l’écrin qu’il tient entre ses doigts et même si je suis toujours à une distance respectable, je n’ai pas besoin d’être devin pour comprendre ce qu’elle contient. La bague. Je mords ma lèvre sans même m’en rendre compte, ne sachant quoi lui répondre. Si ça ne tenait qu’à moi, je lui proposerais de la jeter dans la benne à ordures au coin de la rue. « Je ne suis pas certaine que t’y accrocher soit une très bonne idée, August. » J’en suis certaine, en fait. Je marche sur des œufs et à ce stade, la moindre parole malheureuse risquerait de le faire vriller. Je le sens au plus profond de moi-même et surtout, je le connais depuis assez longtemps pour reconnaître quand il est instable. Mélanger l’alcool et les souvenirs douloureux, c’est la recette d’un cocktail qui n’augure rien de bon. « Il faut que tu avances. Et garder quoique ce soit lié à Yara t’empêchera de le faire. » J’aurais souhaité qu’il fasse son deuil plus vite, que cette période d’agonie ne traîne pas autant. Egoïstement, j’espérais qu’il se remettrait rapidement. Ça m’aurait prouvé que j’avais raison, que cette relation ne représentait peut-être pas autant pour lui qu’il voulait bien le faire croire. « Elle te méritait pas, tout comme elle mérite pas que tu te mettes dans cet état pour elle. » Les mots s’échappent avant que je ne puisse les retenir ; la vérité, abrupte. Ce que je pense d’elle se ressent au ton de ma voix et je secoue la tête avant de m’emparer d’un carton pour tenter d’organiser un peu mieux l’espace. « Ça fait des mois… » Que je rappelle, comme pour l’obliger à faire face à la réalité. Le temps a suivi son cours et pour autant qu’on sache, Yara a refait sa vie sans se préoccuper des dégâts qu’elle a laissé derrière elle. Cette perspective m’irrite encore davantage et je ne peux retenir cette tension qui se distingue dans chacun de mes gestes, presque comme si c’était moi qui avait hâte d’en finir pour de bon avec cette relation, cette maison, cette fille. D’ailleurs, c’est peut-être bien le cas.
Mars 2023. Sept mois. Sept foutus mois qu’elle s’est barrée, sept foutus mois où elle a brisé son rêve, celui de construire une famille à ses côtés. Elle était à ses yeux sa personne, celle qu’il aimait plus que tout au monde et pour qui il aurait été capable de décrocher la lune. Imbécile qu’il est, il en serait encore capable, tant il n’arrive plus à voir clair dans ses sentiments. Depuis son non-mariage, August s’est enfermé dans une bulle, celle qui l’empêche de voir le monde autour de lui continuer à évoluer. A avancer surtout, une démarche qu’il serait temps qu’il entreprenne pour lui-même mais il en est tout bonnement incapable. A la place, il préfère noyer son chagrin dans l’alcool et si ça l’aide à anesthésier sa peine, cela ne fait toutefois qu’assombrir un peu plus ses pensées. Comme à cet instant où il n’arrive plus à y voir clair, fixant cette bague qui devrait, pour l’heure, et dans un monde idéal, être au doigt de celle qu’il aime. Ou qu’il aimait. Il ne sait plus. « Je ne suis pas certaine que t’y accrocher soit une très bonne idée, August. » Andréa a sûrement raison mais la raison est quelque chose qui ne fait plus partie de son vocabulaire et de ses principes, ces derniers temps. Il n’arrive plus à déceler ce qui est bien ou ne l’est pas, et tend même à faire les mauvais choix. Se débarrasser de cette bague ne fait donc pas parti de ses plans et ses sourcils se froncent à l’évocation de cette possibilité par la brune qui n’est pas une solution qu’il souhaite envisager « Il faut que tu avances. Et garder quoique ce soit lié à Yara t’empêchera de le faire. » Elle ne lui apprend rien de ce qu’il ne sait déjà, théoriquement parlant. Dans la pratique, il ne peut pas, se raccroche aux moindres petits bibelots, aux moindres souvenirs de ou avec Yara, dans l’espoir peut-être que cela la fasse revenir. « C’est plus facile à dire qu’à faire, Dréa » C’est avec regrets qu’il en fait le constat, son ton toujours calme alors que son regard est toujours posé sur la bague, celle dont l’écrin est encore logé dans le creux de sa main. « Elle te méritait pas, tout comme elle mérite pas que tu te mettes dans cet état pour elle. » Il soupire fortement, August, ses épaules s'affaissant alors qu’il daigne enfin relever ses yeux pour croiser ceux de la brune qui évolue dans l’espace en se saisissant d’un carton « Ça fait des mois… ». « Je sais ! » qu’il prononce sur un ton agacé, assez fortement à vrai dire, dénotant avec le calme ambiant qui régnait jusqu’alors dans l’habitation en parlant fort comme il le fait. Il soupire à nouveau, referme l’écrin qu’il dépose à sa place initiale, se pivotant de sorte à faire face à Andréa « C’est pas pour ça que je t’ai appelé » Il ne parle pas du carton qu’elle commence à remplir mais des conseils qu’elle tente de lui prodiguer, ceux qu’il n’est clairement pas prêt à entendre « Tu ne peux pas comprendre, de toute façon. » Le voilà qu’il se victimise, encore et toujours, estimant que personne ne peut le comprendre quand il est le seul – toujours selon lui – à avoir vécu une rupture aussi abrupte. Il ne voit pas plus loin que le bout de son nez, et ça depuis des mois, incapable d’accepter l’aide et la main tendue de quiconque, si ce n’est de sa sœur jumelle. Ce soir, s’il a fait venir Andréa, c’est uniquement pour qu’elle l’aide à emballer les affaires restantes, qu’elle se charge du plus pénible ou soit un soutien pour lui, et non pas pour qu’elle le juge ou joue les donneuses de leçons. C’est la dernière chose dont il a besoin, surtout venant d’elle et non pas parce qu’elle n’est pas apte à le faire, mais parce qu’il espère retrouver un peu de légèreté en sa présence. August la regarde faire alors qu’il est toujours prostré au même endroit, illustrant à la perfection qu’il ne fait rien pour avancer – que ce soit ce déménagement ou sa vie actuelle.
Je me rappelle chaque détail de cette journée, celle qui était supposée marquer un tournant indélébile dans la vie du Constantine. Je me souviens de son regard impatient alors qu’il guettait l’arrivée de la mariée et je me souviens également de chaque battement que mon cœur effectuait péniblement tandis que je m’apprêtais à le voir se lier définitivement à une autre. J’ai longtemps mis cette sensation sur le compte de mon mauvais pressentiment concernant Yara – qui n’a pas tardé à se vérifier d’ailleurs – mais le soulagement que j’ai ressenti ce jour-là me hante encore. August s’est désintégré sous mes yeux et cette microseconde de joie qui a envahi mon corps avant la colère et la tristesse est, encore aujourd’hui, une source de culpabilité. Comment ai-je pu éprouver un sentiment positif alors que la vie de mon ami de toujours s’écroulait, là sous mes yeux ? La réponse semble évidente et me taraude depuis sept mois, bien qu’une large part de déni m’empêche d’y faire réellement face. A la place, je positionne comme l’amie que j’ai toujours été et que je serai toujours pour lui. Mon soutien demeure indéfectible, comme le prouve ma présence dans cet endroit rempli d’énergie négative et de souvenirs déchirants. Tout comme on peut parfois sentir quand quelque chose de terrible est arrivé quelque part, cette maison transpire le désespoir et la tristesse. J’ai hâte qu’il déménage et qu’il ferme définitivement cette porte à clé ; il est plus que temps de clore ce chapitre infernal de son existence. Et s’il en a lui aussi conscience, le Constantine s’accroche pourtant à tout ce qui lui rappelle son ex-fiancée ; magazines de mariage, serviettes brodées à leurs initiales et enfin, cette foutue bague qu’il n’a jamais eu l’opportunité de lui passer au doigt. Je cherche à comprendre, à me mettre à sa place, mais mon envie de le voir sortir de sa spirale de désespoir m’oblige à le secouer plutôt qu’à me montrer simplement compréhensive. « C’est plus facile à dire qu’à faire, Dréa. » Je me retiens de rouler des yeux et me concentre sur les cartons qui jonchent le sol, dépitée par son manque de réactivité. Il vaut mieux que ça, il serait temps qu’il le comprenne lui aussi. Je suis persuadée de ne pas être la seule à lui servir ce laïus. Que ça soit ses amis ou sa famille ; tous s’accordent à dire qu’il mérite mieux. « Peut-être que tu pourrais les entreposer quelque part. Comme ça tu ne prends pas un nouveau départ avec des cartons plein de souvenirs, mais tu ne t’en débarrasses pas non plus… » S’il ne parvient pas à faire un tri correct, cette solution me paraît la plus adaptée. « On fait trois piles ; ce que tu gardes, ce que tu es prêt à jeter et ce que tu ne veux pas voir disparaître. » Genre cette bague. Je conçois le côté « irrémédiable » de la chose ; jeter voudrait dire qu’il est prêt à avancer et ce n’est pas le cas, apparemment. Ce constat me fait mal, son visage dévasté me brise le cœur et je finis par lui parler avec davantage de franchise, sans penser à y mettre les formes cette fois. « Je sais ! » Je me fige alors qu’il hausse le ton et laisse tomber le carton que j’ai entre les mains pour lui faire face, tandis qu’il en fait de même avec son foutu écrin. « C’est pas pour ça que je t’ai appelé. » « Alors dis moi ce que je fais là, August ? » Je me braque, sachant pertinemment que j’ai affaire à un animal blessé – et ivre, de surcroît. Le bon sens voudrait que j’apaise la tension qui s’accumule dans la pièce, mais j’ai le sang chaud et mon impulsivité fait partie intégrante de ma personne. « Pour faire les choses à ta place pendant que tu vides une bouteille en pleurant sur une fille qui n’en a rien à faire de toi ? » Je le connais depuis assez longtemps pour savoir que cette discussion risque de mal tourner, mais j’ai besoin de le piquer, le provoquer, tout pour le sortir de la léthargie dans laquelle il se complait depuis trop longtemps. « Tu ne peux pas comprendre, de toute façon. » Quoi ? Je secoue la tête et retiens un sourire sarcastique ; s’il savait par quoi j’en suis passée, il s’abstiendrait de me balancer ça au visage. « C’est vrai. T’es probablement la seule personne sur terre à avoir eu le cœur brisé, qui suis-je pour oser comprendre ce que tu traverses. » J’aimerais réussir à retrouver mon calme pour lui en insuffler un peu, l’aider à retrouver la légèreté dont il a probablement besoin. Mais je nage dans le chaos depuis des années et le voir s’éteindre à petit feu pour cette fille me rend dingue et provoque une colère que je peux difficilement contrôler ; il est entouré de tellement d’amour et il est incapable de s’en rendre compte. Il se perd lui-même et rejette ceux qui sont là pour lui. Et au nom de quoi exactement ? D’un mariage avorté ? Il en a déjà bavé avant ça et je refuse de croire qu’il n’arrivera pas à surmonter cette nouvelle épreuve, impossible.
Mars 2023. Il n’arrive pas à tirer un trait définitif sur ce mariage avorté. Il n’arrive pas à oublier Yara, il n’arrive pas à se dire que cette relation est définitivement derrière lui et tout ça parce qu’il vit encore dans le passé. Il vit encore dans cette maison qu’ils ont partagé ensemble pendant plusieurs années, il vit encore avec les souvenirs qu’ils ont créés ici et les objets matériels qui le raccrochent un peu plus à Yara. La majorité de ce qu’il reste et lui rappelle sa présence passée entre ces murs sont tout ce qui concerne le mariage et qui a trait aux préparatifs de celui-ci. Le reste, pour l’infime minorité restante, sont des photos restées entreposées dans des cadres qui ornaient leur salon et des petites choses oubliées dans la précipitation par la brune. Il ne peut pas avancer en gardant tout ça, il le sait, et pourtant, il est incapable de mettre quoi que ce soit sous carton, encore moins de prendre la décision de s’en séparer définitivement. « Peut-être que tu pourrais les entreposer quelque part. Comme ça tu ne prends pas un nouveau départ avec des cartons plein de souvenirs, mais tu ne t’en débarrasses pas non plus… » « Tu te portes volontaire pour me les garder chez toi ? » fait-t-il avec un léger sourire sur les lèvres, taquinant au passage Andréa qui est venue ce soir le rejoindre pour l’aider à faire le tri. « On fait trois piles ; ce que tu gardes, ce que tu es prêt à jeter et ce que tu ne veux pas voir disparaître. » Il jette un regard autour de lui et hausse mollement les épaules « Ok, on peut faire ça » Il n’est pas convaincu, non pas par la méthode, mais par sa propre efficacité, pas certain d’être capable de prendre une quelconque décision alors qu’il tourne en rond depuis des heures en tentant de faire du tri et de terminer ses cartons.
Et ce n’est effectivement pas en restant planté comme il le fait, son regard fixé sur cette bague qu’ils parviendront à avancer. Andréa se risque alors à lui dire ce qu’elle pense de tout ça, de cet état léthargique dans lequel il se trouve pour Yara qui ne le méritait pas, alors que plusieurs mois se sont écoulés depuis. Il n’en faut pas plus pour que August s’emporte, usant d’un ton désagréable à l’encontre de la brune « Alors dis moi ce que je fais là, August ? » Il soupire fortement, ne dissimulant pas son agacement « Pour faire les choses à ta place pendant que tu vides une bouteille en pleurant sur une fille qui n’en a rien à faire de toi ? » « Pour que tu m’aides mais pas pour que tu me donnes ton opinion sur Yara ou sur ma façon de gérer les choses ! » Il n’a pas besoin qu’on lui rabâche encore et toujours les mêmes choses, alors qu’il a déjà Flora qui s’en charge au quotidien, entre autres. « Et si tu es là pour ça, tu es en droit de partir, Andréa ». Il peut paraître dur en usant de tels mots à son encontre, mais il ne fait là que lui proposer une porte de sortie avant que les choses ne dérapent et qu’autant l’un que l'autre ne prononce les mots de trop. Il ne cherche pas à la blesser et c’est pour cette raison qu’il enchaîne assez rapidement en disant qu’elle ne peut pas comprendre, comme si cette excuse était suffisante pour lui pardonner son comportement « C’est vrai. T’es probablement la seule personne sur terre à avoir eu le cœur brisé, qui suis-je pour oser comprendre ce que tu traverses. » « Putain, Andréa ! » lâche-t-il, agacé par son entêtement, alors qu’il se tourne enfin vers elle et s’en approche « J’ai jamais dit ça ! ». Il bat l’air de sa main droite, soupirant une nouvelle fois « Je sais que personne ne comprend pourquoi je suis dans un tel état. Et je ne te demande pas de le faire. Tant mieux si tu as plus de facilité à tourner la page de ton côté. Ce n’est pas mon cas » Il ramasse la bouteille qui se trouve encore au sol, celle qu’il a laissé planter là et qui lui tenait compagnie jusqu’à l’arrivée d’Andréa, portant le goulot à ses lèvres « Laisse moi gérer ça comme je l’entends, c’est tout ce que je te demandes ». Son ton de voix est toujours neutre alors qu’il la désigne avec sa bouteille à la main. Il est pathétique à voir, ne s’en rend même plus compte et c’est sûrement ce qui est le plus triste dans l’histoire.
A défaut de lui faire entendre raison, je m’applique à trouver une solution qui pourrait éventuellement l’aider à faire un pas en avant sans avoir l’impression de se couper un membre. S’il estime ne rien pouvoir jeter de peur de le regretter, peut-être pourrait-il s’en débarrasser en entreposant certaines affaires quelque part ? De cette façon, il ne les aurait plus sous les yeux et n’aurait plus à se confronter involontairement à ces souvenirs. Loin des yeux, loin du cœur. August est la preuve vivante que cet adage n’est pas toujours véridique. Après tout, Yara a pris la tangente depuis un moment – sans donner la moindre nouvelle – et pourtant, le Constantine est abattu comme au premier jour. Cette sorcière lui a jeté un mauvais sort, je ne vois pas d’autre explication. Je retiens un soupir et lui expose mon idée, espérant apporter un peu de concret à cette séance de tri qui prend une tournure assez désagréable. « Tu te portes volontaire pour me les garder chez toi ? » Je fronce le nez alors que lui me sourit, insensible au désarroi dans lequel me plongent ses paroles. Persuadée au fond de moi-même que chacun de ces objets doit forcément porter malheur, je secoue la tête en me forçant à exécuter une grimace supposée ressembler à un sourire. « Aliyah serait pas ravie à cette idée. » Elle a bon dos ma sœur mais je préfère me cacher derrière son prétendu côté maniaque que d’avouer ce que m’inspirent ces cartons – à savoir, des instincts pyromanes que je ne me connaissais pas. « Ok, on peut faire ça. » Le brun n’a pas l’air motivé, ni convaincu, mais il s’approche tout de même alors que je m’empare de la première boîte. « Ici j’ai… Une veste, des brochures, des photos de vous deux… » Nouvelle grimace. « … et une farde remplie de paperasse. » Je lève un sourcil interrogateur dans sa direction, en attente des directives ; on jette, on garde ou on entrepose en espérant que ça tombe dans l’oubli ?
Mon irritation rencontre sa peine et sans surprise, les étincelles se joignent à notre discussion. Il ne supporte pas qu’on lui dise ce qu’il sait déjà et à ce stade, ma compassion s’est envolée au profit de l’agacement. J’aimerais l’aider, retrouver l’ancien August, effacer son air sombre et revoir enfin le sourire qu’il me lançait spontanément dès que nos regards se croisaient. J’ai du mal à le reconnaître et si je continue de blâmer Yara, le Constantine ne fait rien pour se sortir du gouffre dans lequel il semble se complaire. « Pour que tu m’aides mais pas pour que tu me donnes ton opinion sur Yara ou sur ma façon de gérer les choses ! » « Il faut bien que quelqu’un le fasse pourtant. » Je n’ai aucun doute sur le fait que Flora, ou Mickey, le bassinent également à ce sujet mais au vu de son état, ça n’a pas l’air suffisant. J’estime avoir gardé le silence assez longtemps et sa réaction me pousse à m’emporter à mon tour, bien consciente de la tension qui augmente entre nous. « Et si tu es là pour ça, tu es en droit de partir, Andréa. » « Je suis pas venue pour ça tu le sais bien. Mais comment veux-tu que je réagisse ? » Ma main droite englobe la pièce, sa bouteille largement entamée, avant de revenir sur lui. « Dans le cas inverse, tu réagirais comment ? Tu me laisserais m’enfoncer sans rien dire, sans rien faire ? » Je le fixe sans ciller ; je connais la réponse, mais je me demande s’il est prêt à avouer que dans une situation similaire, il ferait exactement la même chose. Le brun remet en doute ma capacité de compréhension et je me sens heurtée par sa réflexion, y répondant d’un ton acerbe pour camoufler mon amertume. « Putain, Andréa ! » Je me fige, surprise qu’il hausse ainsi le ton en ma présence. « J’ai jamais dit ça ! Je sais que personne ne comprend pourquoi je suis dans un tel état. Et je ne te demande pas de le faire. Tant mieux si tu as plus de facilité à tourner la page de ton côté. Ce n’est pas mon cas. » « Tu comprends vraiment rien. » Je lâche, prête à rendre les armes tout en l’observant se diriger vers cette bouteille qui semble capable de lui apporter le réconfort donc il a besoin et que je suis bien incapable de lui procurer. « Laisse moi gérer ça comme je l’entends, c’est tout ce que je te demandes ». Je sens les larmes me monter aux yeux, non pas par tristesse mais de colère. Ce sentiment d’impuissance me frustre au plus haut point et surtout, je fais face à un être au moins aussi entêté que moi. Je détourne le regard afin qu’il ne remarque pas mon émotion et me dirige vers le sac que j’ai abandonné à l’entrée en arrivant. « Tu sais quoi August, je pense que t’as trouvé une meilleure compagnie que la mienne pour gérer ton bordel. » Je désigne le liquide alcoolisé qu’il tient encore entre ses mains avant de hausser les épaules. « Tes prières sont exaucées, fais comme bon te semble. J’en ai ma claque de te voir te détruire à petit feu. » Je pose le sac sur mon épaule et me dirige vers la porte, la mort dans l’âme.
Mars 2023. Il doit se débarrasser de certaines affaires qui ne lui seront plus utiles, celles notamment qui lui rappellent sans cesse le couple qu’il a pu former avec Yara, le bonheur qu’il a pu connaitre à ses côtés par le biais de chacun de ces objets, rendant impensable à ses yeux et encore aujourd’hui que leur couple n’existe plus. Elle a pris la poudre d’escampette de la pire des façons, l’a anéanti comme jamais rien ni personne n’a su le faire auparavant et une tâche qui semble pourtant facile au premier abord, ne l’est en rien présentement. Alors, c’est avec pas mal de toupet qu’il ose demander à Andréa de lui garder certains cartons, ceux qui renferment des souvenirs désormais douloureux et qui, en les léguant à quelqu’un d’autre, l’aiderait potentiellement à avancer « Aliyah serait pas ravie à cette idée. » Il ne peut deviner qu’il a pu blesser Dréa se faisant. S’il avait au moins la capacité de s’en rendre compte, il s’en excuserait platement et peut-être même que, s’il était un peu plus lucide, il n’aurait jamais fait une telle demande, même sur le simple ton de la plaisanterie. A la place, il rit légèrement en imaginant l’ainée des Fernandès Garcia remontée contre August et contre sa sœur surtout d’avoir accéder à une telle requête et cela à au moins le mérite de le faire sourire un tant soit peu. « Ici j’ai… Une veste, des brochures, des photos de vous deux… » Alors qu’elle énumère ses trouvailles, August pose longuement son regard sur la silhouette de la jeune femme, restant bloquée quelques secondes sans même s’en rendre compte sur elle, les pensées lointaines. « … et une farde remplie de paperasse. » Il semble reprendre vie lorsqu’elle reprend la parole, soupirant longuement avant de donner son verdict « On garde » Mauvais choix, mais il trouvera l’excuse de la présence de paperasse qui peut s’avérer importante, au lieu de reconnaitre que c’est la veste qui lui fait prendre cette décision, veste que Yara pourrait lui réclamer et qu’il pourra ainsi, en la gardant sous la main, la lui rendre le moment venu. Quant aux photos d’eux deux, il est certain qu’il est incapable de s’en séparer, nostalgie oblige…
L’atmosphère s’obscurcit cependant entre les deux amis alors que Dréa est confrontée à un August au plus bas, incapable de faire des choix éclairés et incapable de tourner la page pour de bon. « Il faut bien que quelqu’un le fasse pourtant. » Il n’en peut plus des leçons de morale et le ton monte donc assez rapidement entre eux. Et si la belle mexicaine a son caractère, il faut reconnaitre qu’August a su toujours faire preuve de calme et le fait qu’il s’emporte, surtout contre son amie, est plus que surprenant. « Y’en a qui l’ont fait bien avant toi, ça ne sert à rien ! » Ça ne sert à rien et il le reconnait sans honte, montrant ainsi que les mots de la jeune femme ne sont pas les bienvenues. D’ailleurs, il l’invite à partir si c’est ce pour quoi elle est venue jusqu’à chez lui ce soir « Je suis pas venue pour ça tu le sais bien. Mais comment veux-tu que je réagisse ? » Il reste silencieux face à cette interrogation, bien qu’il ait une esquisse de réponse. Il aimerait juste qu’elle s’abstienne, soit là pour le soutenir mais sans prononcer les mots qu’il n’est pas prêt d’entendre. « Dans le cas inverse, tu réagirais comment ? Tu me laisserais m’enfoncer sans rien dire, sans rien faire ? » « Bien sûr que non, Dréa ! » qu’il répond immédiatement, alors que sa main vient gratter l’arrière de son crâne, avant qu’il ne laisse son bras retomber le long de son corps « Mais je ne te jugerai pas pour autant et je ne t’accablerai pas de réagir de la sorte » Sous-entendu, c’est ce qu’elle fait en le jugeant comme elle le fait. Et puis, il ment, en partie, parce que si la jeune femme venait à se retrouver dans un état similaire au sien, jamais il ne le tolèrerait. Jamais il ne supporterait de la voir tomber aussi bas pour quelqu’un qui ne la mérite pas mais se doit aujourd’hui de ne pas partager sa réelle opinion sur la question, sans se trahir. « Je m’y prendrai autrement, sans te faire sentir minable ». Elle n’est pas à sa place et c’est ce qu’il cherche à lui faire comprendre par la suite, estimant qu’il gère les choses à sa façon quand elle semble plus apte à aller de l’avant que lui « Tu comprends vraiment rien. » Cette remarque le laisse pantois quelques secondes, fixant la jeune femme quelques secondes sans rien dire « Qu’est-ce que je devrais comprendre, hein Dréa ? Eclaire ma lanterne ? Que tu as raison et que j’ai tort c’est ça ?! Que tu as toutes les réponses à toutes mes questions ? ». Il la fixe sévèrement, n’attendant pas de réelles réponses de sa part. Il lui demande simplement de le laisser gérer cette passade comme il l’entend et ce sur un ton qui se veut plus calme que précédemment. Le silence qui s’installe soudainement devient lourd, d’autant plus quand Andréa se dirige vers son sac, prête à partir « Tu sais quoi August, je pense que t’as trouvé une meilleure compagnie que la mienne pour gérer ton bordel. » Elle parle de cette bouteille qu’il tient dans sa main, celle qu’il soulève pour l’observer en comprenant ce à quoi elle fait allusion. Il soupire alors, l’air triste « Tes prières sont exaucées, fais comme bon te semble. J’en ai ma claque de te voir te détruire à petit feu. » Dréa s’apprête à partir, plus déterminée que jamais, mais August ne peut le tolérer. Tout en la rattrapant par la main, il laisse échapper un « Ne pars pas, Dréa… S’il te plait », incitant doucement l’instant suivant la jeune femme à se retourner pour lui faire face « Je suis désolé et tu as raison. Je… Je ne sais plus comment gérer tout ça ». Sa gorge se serre et c’est pour cette raison qu’il se racle la gorge. Sa main, tenant toujours celle de la jeune femme, il ajoute « Reste… ». C’est dans un murmure à peine audible qu’il lui en fait la demande, réhaussant son regard pour trouver le sien. Il ne souhaite pas qu’elle tourne les talons, il ne souhaite pas se disputer avec elle, encore moins quand elle est une personne qui compte à ses yeux. Il aimerait lui aussi retrouver sa légèreté d’avant, apprécier chaque instant passé avec ses proches, plutôt qu’à le passer à penser à une personne qui n’en a plus rien à faire de lui. Il ne veut pas gâcher leur soirée non plus et préfère donc faire son mea culpa, tout en laissant la liberté à Andréa de partir ou de rester.
Lorsqu’il me demande de conserver ses affaires, mon sang ne fait qu’un tour. J’essaie de me persuader qu’il s’agit d’une réaction normale, compte tenu de la situation. Pourtant, une part de moi est presque blessée qu’il fasse cette demande avec tant de nonchalance. Je prends sur moi et utilise le prétexte de ma sœur afin de me sortir de cette situation sans lui dire ce que j’en pense avec mon éternel manque de tact. Ma réponse le fait rire et je lève les yeux au ciel en me dirigeant vers les premiers cartons, espérant toutefois l’aider à y voir plus clair dans son tri. J’annonce son contenu à voix haute et relève le nez vers lui, en attente du verdict. J’intercepte son regard sur moi et hausse un sourcil perplexe dans sa direction. « A quoi tu penses ? » Probablement à tout ce que ces objets lui inspirent. August à l’air de se raccrocher avec nostalgie à une époque pourtant révolue, comme si tout ce qu’elle a fait ne suffisait pas à ternir l’image de leur relation. Si c’était moi, tout irait à la poubelle. Mais j’anticipe la suite et ne suis même pas surprise lorsqu’il finit par me lancer un : « On garde » Je hoche la tête tout en m’interrogeant sur le bienfondé de toute cette histoire, persuadée qu’il sera incapable de jeter quoique ce soit ce soir. Je réalise qu’il a encore de l’espoir et c’est probablement ce qui le retient dans le passé et l’empêche d’avancer dans le présent.
Son air défait, son comportement et son manque de réaction commencent à peser sur ma propre sérénité et très vite, je perds mon calme. Il rejette mes conseils et me fait comprendre que ce n’est pas ce qu’il a envie d’entendre. Le sous-entendu est clair ; il a juste besoin d’un soutien silencieux, ce que je suis bien incapable de lui apporter. Plus maintenant. L’eau a coulé sous les ponts et lui se raccroche à de vieux souvenirs – qu’il idéalise très probablement – en s’empêchant d’être heureux à nouveau, presque comme s’il était lui-même responsable de la fuite de Yara. Je n’ai jamais eu le fin mot de l’histoire, trop choquée pour lui poser la question et bien trop triste de le voir dans cet état. Jamais je n’aurais pensé qu’il en soit encore au même stade, des mois plus tard. « Y’en a qui l’ont fait bien avant toi, ça ne sert à rien ! » « Excuse-nous de vouloir t’aider à avancer. » Je parle au nom de tout le monde, j’en suis consciente, mais je ne pense pas que mon discours diffère du leur. Heurtée par le ton de sa voix, je me ferme à mon tour et perd l’ombre du sourire qui planait sur mes lèvres. J’aimerais qu’il se rende compte de ce à quoi ses proches sont confrontés en le voyant sombrer de la sorte, incapable de sortir de la spirale dans laquelle il s’est lui-même enfermé. Alors je lui demande d’imaginer la situation inverse, de se mettre à ma place et de réfléchir aux réactions qu’il aurait si c’était moi qui agissais de la sorte. « Bien sûr que non, Dréa ! » Sa réponse est instantanée et ça me rassure, bien que je reste persuadée que ça ne servira pas à lui faire prendre conscience de son attitude. « Mais je ne te jugerai pas pour autant et je ne t’accablerai pas de réagir de la sorte. Je m’y prendrai autrement, sans te faire sentir minable ». Mon sourcil se relève en entendant son interprétation de la situation. Est-ce vraiment ainsi qu’il le ressent ? Je me mords l’intérieur de la joue et secoue la tête en posant mes mains sur mes hanches, dépitée de faire face à un mur de déni. « Ce que tu prends pour du jugement et des reproches, c’est simplement ma façon de te soutenir et d’essayer de te faire sortir la tête hors de l’eau. » Jamais je n’ai fait en sorte de le faire se sentir comme un minable ; je ne suis pas responsable de ses émotions, ni de la façon dont il les gère. Tout ce que je peux faire, c’est être là pour lui en lui donnant un électrochoc. Avant qu’il ne soit trop tard pour remonter à la surface. « Qu’est-ce que je devrais comprendre, hein Dréa ? Eclaire ma lanterne ? Que tu as raison et que j’ai tort c’est ça ?! Que tu as toutes les réponses à toutes mes questions ? ». « Laisse tomber. » Je souffle, décidée à couper court à une dispute que je n’ai pas envie d’avoir. Pas avec lui. S’il attend de moi que je reste là sans rien dire en l’observant s’apitoyer sur son triste sort, il me connaît mal. Un silence empreint de tension s’installe dans la pièce et je prends la décision de partir, craignant de dire des choses que je pourrais regretter – ou d’en entendre de sa part, chose que j’aurais bien du mal à accepter. Je lui tourne le dos pour reprendre mon sac et me dirige vers l’entrée, les larmes au bord des yeux, bien plus touchée que je ne le laisse paraître. « Ne pars pas, Dréa… S’il te plait » Sa main glisse sur la mienne et je m’arrête net, surprise de sa réaction. Il ne me lâche pas et me pousse à revenir vers lui, m’obligeant à lui faire face. Je détourne le regard, prise au dépourvu par sa réaction. « Je suis désolé et tu as raison. Je… Je ne sais plus comment gérer tout ça ». Je hoche simplement la tête, incapable de répondre tant ma gorge reste serrée par l’émotion. « Reste… ». Son regard trouve le mien et je finis par me laisser aller dans ses bras, sans trop me poser de question. La distance qui règne entre nous m’est insupportable et je rêve de retrouver notre ancienne relation, celle qui existait avant que Yara ne rentre dans sa vie. Ma tête repose contre lui et je me calme au rythme de sa respiration, chassant toute la colère qui était la mienne quelques secondes auparavant. « Tu sais que je serai toujours là. » Je murmure, sans relever la tête, retrouvant une sensation de sérénité que je n’ai plus connue depuis longtemps.
Mars 2023. « A quoi tu penses ? » Il l’ignore lui-même. Parce que, pour une fois et ce depuis longtemps, ses pensées ne sont pas exclusives à Yara, à cette maison et à la signification de chacun de ses recoins. Celles-ci sont plus vagabondes alors que son regard s’attarde longuement sur la silhouette d’Andréa, le ramenant à des temps plus doux, ceux de leurs souvenirs partagés, bien plus légers. Il ignore ce qui le frappe le plus à cet instant, le fait que son cerveau lui joue des tours pareils ou le fait, qu’au fond de lui, il aimerait retrouver cette simplicité d’antan « Rien » qu’il fait en haussant les épaules, secouant légèrement la tête comme s’il voulait retrouver la raison. Mais celle-ci semble, de toute évidence, l’avoir quitté depuis longtemps et il le montre parfaitement en choisissant de conserver des choses auxquelles il est inutile qu’il se raccroche encore.
Et s’il recherchait un certain apaisement dans la présence d’Andréa ce soir, c’est pourtant un début de tempête qui s’installe entre les deux amis. Elle ne supporte plus de le voir dans cet état, tout comme la majorité de ses proches, et August ne supporte plus, en retour, d’avoir droit à des leçons de morale incessantes, celle qui le font soupirer fortement et lui font perdre patience. « Excuse-nous de vouloir t’aider à avancer. » Il ne veut l’aide de personne, n’ayant jamais jeté de bouteille à la mer pour trouver une quelconque aide auprès de quiconque et si bouteille il y a, c’est uniquement celle qu’il a en main actuellement et qu’il garde précieusement, celle qui ne le juge pas et lui donne un tant soit peu de réconfort quand rien ne va « Ce que tu prends pour du jugement et des reproches, c’est simplement ma façon de te soutenir et d’essayer de te faire sortir la tête hors de l’eau. » Une façon de faire à laquelle il n’adhère pas « On ne voit pas les choses de la même façon, toi et moi » parce qu’à ses yeux, tout ce qu’elle peut lui dire ne fait que l’enfoncer un plus six pieds sous terre et lui renvoyer cette image de minable qui est la sienne depuis qu’il s’est fait plaqué devant l’autel. Il n’arrange rien en agissant comme il le fait, mais n’est pas assez lucide pour s’en rendre compte, incapable d’accepter cette main que Dréa tente de lui tendre ce soir. A la place, les mots s’enchaînent et dépassent plus d’une fois leurs pensées, au point qu’ils ne parviennent plus ni à s’entendre, ni à s’écouter ni à se comprendre « Laisse tomber. ». Il sent qu’il a froissé la jolie brune et il n’y a qu’à la voir tourner les talons pour comprendre que c’est bel et bien le cas. Il le regrette aussitôt, incapable de la voir partir elle aussi et c’est pour cette raison qu’il décide de la rattraper, la suppliant de ne pas partir, s’excusant aussi pour son comportement en reconnaissant ses torts. Son regard trouve le sien, un silence s’installe alors qu’il murmure une dernière fois cette demande qu’il lui fait de rester auprès de lui, et le peu de distance qu’il pouvait encore y avoir est rompue par Dréa qui vient se blottir contre lui. Au contact, il enroule ses bras autour de sa silhouette, la serrant un peu plus fortement contre lui alors que sa tête vient reposer sur le haut de son crâne. « Tu sais que je serai toujours là. ». Son cœur se serre alors qu’elle lui adresse ces mots et, doucement, ses deux mains viennent à glisser de part et d’autre de ses épaules pour la faire légèrement reculer et trouver à nouveau son regard « Merci, Dréa » qu’il souffle, alors qu’une de ses mains vient à trouver sa joue et lui retire subtilement une larme qui roule sur celle-ci, s’en voulant d’en être la cause « Pardon… » qu’il murmure alors que, toujours sa main apposée sur sa joue, il vient à poser son front contre le sien, laissant un silence s’installer entre eux durant quelques secondes. Puis, lentement, il vient déposer un baiser sur son front avant de rompre le contact et de se saisir de son cellulaire « Laissons tomber tout ça pour ce soir. Je nous commande des pizzas et on va aller s’installer dehors ». Un fin sourire apparait sur ses lèvres alors qu’il retrouve son regard « A défaut de voir des étoiles, on pourra observer quelques nuages ». Son air devient un peu plus malicieux, surtout quand il fait allusion à cette particularité qui est la leur. Il tend sa main pour qu’elle s’en saisisse et l’entraîne à l’extérieur, pour qu’ils passent une soirée bien plus apaisée que celle qui s’amorçait quelques minutes plus tôt.