@Andréa Fernandèz Garcia

Ambrose connaît l’Emerald par cœur, c’est une évidence, mais il a depuis longtemps perdu l’envie et surtout le temps de s’y rendre aussi souvent qu’il en avait autrefois l’occasion. Il ne tient pas réellement à y retrouver Cristina, et il n’a pas vraiment de points d’appuis parmi les employés de l’hôtel. Il en connaît certains, il les apprécie tous, mais ce n’est pas pour autant qu’il cherche leur présence ou leur discussion. Il a encore moins mis les pieds dans l’établissement depuis qu’il s’y est rendu avec Damon, et que cela a été le sujet favori de discussion de sa belle-sœur des mois durant après coup. Il n’a plus l’âge d’être traité comme un petit garçon, et il est passablement agacé que Cristina pense encore pouvoir avoir un quelconque ascendant sur lui du fait d’un pseudo écart d’âge. Il existe bel et bien, mais Ambrose ne lui accorde aucune sorte d’importance: ni leur écart d’âge, ni le fait qu’elle ait marié celui qu’il considère être comme son frère, et même pris le même nom de famille que lui. Cela n’a aucune importance, parce qu’il l’a décidé ainsi.

Ce soir, pourtant, il a besoin de réfléchir. Il s’apprête à prendre une décision ô combien importante - et ce sans consulter qui que ce soit - et il a l’impression de jouer à l’adulte divorcé et père de trois bambins en ressentant le besoin de faire cette discussion face à un verre de whisky. Il n’aime même pas ça, en réalité, mais peu importe. S’il doit le faire, et puisqu’il doit le faire, Ambrose décide au moins de choisir un endroit familier pour cela, quitte à ce que Cristina s’amuse une fois de plus à retrouver son visage via les caméras de sécurité de l’hôtel - cette fois-ci elle ne verrait personne l’accompagner dans une des chambres, et il y a fort à parier que cela l’amuserait beaucoup moins. “Un whiskey. Avec glace.” Il joue à l’adulte, mais pas au point de le prendre sec. Ses mots suivent finalement son regard, qui se pose sur une silhouette qu’il ne s’attendait pas à voir. Ou disons simplement qu’il s’attendait à une personne en particulier, et ce n’est certainement pas celle de la silhouette de la brune qui se dessine sous ses yeux, dont il n’a pas le temps de tempérer le regard étonné. “Thomas ne travaille plus à ces horaires là ?” Il savait qu’il aurait dû venir vraiment plus souvent prendre de ses nouvelles, et il se maudit surtout de ne pas avoir su plus tôt qu’il avait été remplacé. Son regard se pose sur le profil de l’inconnu alors qu’il se replace sur le siège près du bar sur lequel il a reposé ses coudes. Maintenant, l’affaire Saül Williams sur laquelle il était se poser pour réfléchir est bien le cadet de ses soucis. “Désolé. Bonsoir. J’aurais dû commencer par là.” Il se redresse, il sourit plus simplement. Il en oublie ses bonnes manières, et cela ne ressemble en rien à la façon dont Norman Weatherton l’a élevé. “Thomas n’a jamais vraiment été un bon barman, de toute façon.” Il reprend ses habitudes et un sourire en coin par la même occasion, avant de mimer le faux souci. “Enfin, ma remarque est seulement valable s’il ne travaille plus ici. Sinon, oublie ce que j’ai dit.” Le pire dans tout ça ? Thomas était un très bon barman. Mais Ambrose a besoin de matière pour entamer n’importe quelle sorte de discussion, et il est le parfait combustible.

Ambrose fait la conversation avec des sujets de bas étage. Il le sait très bien et n’en éprouve aucun remords, pas alors que la simplicité lui plaît, pour une fois. Cela lui permet de s’échapper temporairement d’un quotidien de plus en plus stressant, et cela lui permet aussi d’échanger un sourire simple avec la barmaid qu’il découvre pour la première fois. “Pour répondre à ta question, Thomas travaille toujours ici.” - “Il a toujours été particulièrement doué dans son travail.” Ambrose reprend aussitôt pour suivre le cours de sa propre blague et souligner son éternelle répartie, un fin sourire désormais associé à son visage. Il n’arrive pas à dire si elle joue le jeu ou si elle répond avec franchise mais, pour être honnête, cela n’a aucune importance à ses yeux. “Il m’a demandé de le remplacer exceptionnellement ce soir, j’ai accepté.” Il tend donc à croire qu’elle dit la vérité, ce qui le fait simplement hocher la tête sans en venir à la moindre conclusion supplémentaire. Après tout, il n’a pas tissé le moindre lien avec Thomas, comme en témoigne la question sur le fait qu’il travaille encore à l’Emerald ou non. Il se reconnaît pourtant dans les mots de la jeune femme: lui aussi est toujours le premier à accepter de faire des heures supplémentaires, que ce soit lors de jours fériés ou durant la nuit, et l’argent qu’il en tire n’est certainement pas pour répondre aux besoins d’un train de vie plus luxueux que ce qu’il devrait pouvoir se le permettre. Loin de là.

“Et c’est lui qui m’a formée à mon arrivée, je m’excuse d’avance pour la qualité médiocre du service.” Toujours aussi silencieux, Ambrose repose cette fois-ci son regard sur la jeune femme avec infiniment plus de sérieux, plissant légèrement les yeux comme s’il allait à deviner ses aptitudes à la mixologie uniquement en l’observant - alors que lui-même n’y connaît rien, qui plus est. “Je suis certain que l’élève a dépassé le maître.” Il garde ses yeux posés dans ceux de la jeune femme et se contente d’utiliser la maxime à son avantage, incapable de la laisser se déprécier, même pour le bien d’une simple blague. “Et concernant le whisky… Je veux bien voir une pièce d’identité.” Elle s’accoude et tout dans ses gestes marquent le sérieux de sa question, laquelle a au moins le mérite de faire éclater de rire le Constantine. “... Non, sérieux ?” Il fronce les sourcils, non par colère ou déception, mais simplement par surprise. Il est celui à qui on donne généralement dix ans de plus, ce qui l’arrange dans le milieu dans lequel il évolue. A dire vrai, il ne se souvient pas qu’on lui ait demandé une carte d’identité plus d’une seule fois dans sa vie, et il n’aurait jamais pu s’attendre à ce que cela arrive à l’Emerald, où il a l’impression d’être connu comme le loup blanc, au même titre que le reste de la famille. “J’avais pas prévu un contrôle de police, j’ai pas pris mes papiers.” Il se contente d’avouer simplement, sans chercher à négocier davantage la demande qui, après tout, est pleinement légitime. “J’ai… la moitié d’un papier de don du sang. Faut être majeur pour ça. Ca fait l’affaire, non ?” Il négocie avec ses propres pensées, sûrement plus amusé par la quête de preuves que ce qu’il laisse quiconque le croire. Il a bien une photo de sa carte d’identité autant que de son passeport sur son téléphone, mais il n’a aucune envie de le lui montrer. Après tout, un papier déchiré comportant son prénom, son groupe sanguin et sa tension a sûrement bien plus de valeur, non ? Non, absolument pas, évidemment. “Je devrais gagner un point pour l’originalité.” Il négocie, encore un toujours, mais ne précise pas dans quel but il devrait gagner des points. “Pour ce que ça vaut, moi aussi je devrais demander ta carte d’identité, parce que t’as pas l’air d’être plus que majeur.” Il esquisse une moue, mimant de ne pas croire qu’elle est en âge légal de travailler dans un tel endroit, quand bien même il ne remet évidemment pas en question le processus de recrutement de l’Emerald.

Ambrose est pris de court par la demande d’une pièce d’identité et il ne cherche pas une seule seconde à le cacher, cette question lui ramenant sans doute des souvenirs qu’il n’avait pas vocation à retrouver. Ce soir, il est pourtant bel et bien majeur et sait qu’il n’aurait rien à craindre, si seulement il avait effectivement pris ses papiers d’identité avec lui. Il est comme chez lui à l’Emerald, et pour être honnête l’idée de les prendre ne lui a pas traversé l’esprit un seul instant, même pour lui qui a éternellement à cœur de suivre la loi: ç’aurait été comme penser à amener sa carte d’identité avec lui pour aller jusqu’à son salon. Au lieu de ça, il se retrouve à trouver d’autres solutions, incapable de laisser aller une certaine ironie inhérente à toute cette situation. « Si je sers de l’alcool à un mineur, je risque de perdre mon travail. C’est la première chose que Thomas m’a dite quand je suis arrivée. » Thomas, le running ga nouvellement décrété, et aussi celui qu’Ambrose n’aurait jamais pu imaginer se retourner contre lui. Il esquisse un sourire en coin, encore trop touché que ce soit un fichu contrôle d’identité qui ait révélé son âge à l’époque et lui ait coûté sa relation avec Ruben. “Il donne de bons conseils, ce Thomas.” Il aurait pu être valable pour n’importe qui en ce monde, mais certainement pas Ambrose. Tout de même, il est évident qu’il est en âge de boire ce qu’il désire, non ? “Et personne a envie de se mettre Cristina à dos, hein ?” Elle en tant qu’employée, lui en tant que beau-frère. Même combat.

Non. Elle continue de le noyer de ses grands yeux, ce qui pousse Ambrose à trouver un semblant de preuve, amenant sous le regard de la jeune femme son justificatif de don du sang - regardez à quel point il est un bon citoyen, au passage. « C’est bon, je suis convaincue. » Il sourit plus haut et fort que jamais, tel un gamin à qui on aurait enfin reconnu les mérites de son dessin (juste après avoir dit “qu’est-ce qu’il représente, au juste ?”). Elle joint le geste aux paroles, venant à lui servir le verre de whisky demandé, amenant Ambrose à la remercier d’un signe de tête poli. « Santé. Et si je perds mon travail à cause de toi, sache que je te retrouverai. » - “Avec plaisir.” Il annonce en souriant, son regard ne déviant pas de celui de la jeune femme alors qu’il boit déjà une première gorgée de son verre. Ses lèvres s’étirent de part et d’autre du verre, malicieuses. Il n’est pas du genre à garder pour lui ses pensées lorsqu’il apprécie quelqu’un. Il s’est promis de ne jamais pouvoir être associé à un gros lourd et même à toujours s’en tenir loin, mais pour l’heure il s’octroie encore le droit de dire tout haut ce qu’il pense tout bas, tant que cela ne la met pas mal à l’aise.

« Pour ce que ça vaut, j’y crois pas une seconde. Mais je vais prétendre que c’est le cas et te demander quel âge tu me donnes dans ce cas. » Andréa mime être occupée alors qu’il est le seul client autour du bar, mais il ne cherche pas à mettre à mal ses efforts. Au contraire, c’est un regard éternellement intéressé par toutes choses qu’il pose sur les citrons réduisant de taille à vue d'œil sous la menace du couteau aiguisé. « Un an de trop et tu prends la porte, je te préviens.» Dans la même dans lequel il évolue, il est habitué à minimiser autant que possible les risques, quand il ne prend pas la tangente et saute à deux pieds dans les problèmes, avec l’espoir de faire changer ce qui ne convient pas dans leur pays. “Dix-huit ans ? C’est pas ça ?” Il ne tentera pas de deviner un âge derrière ses traits, non. Ambrose est bien conscient que ce serait une sorte de suicide bien particulière, et il n’a pas le coeur à ça, surtout pas alors que la compagnie de la barmaid a tout pour lui plaire. Elle a parlé de conséquences s’il visait trop haut, pas s’il visait trop bas. “Tu sais que je suis… AB-, maintenant, ça veut dire qu’en retour je peux avoir ton prénom ? C’est juste pour pas avoir à t’appeler “celle que Thomas a formé”, tu vois.” Il a eu besoin de vérifier sur son pitoyable papier quel groupe sanguin était le sien, et maintenant il offre de nouveau à la barmaid un sourire assurément enfantin, éternellement amusé d’un rien. Elle a sûrement pu lire son prénom sur la même feuille, au milieu de toutes les données de tension et de taux de Dieu sait quoi dans son sang - rien d’intéressant, donc. “Je vais finir par te demander ton numéro, au cas où c’était pas évident.” Cette fois-ci, il fanfaronne bien moins, conscient qu’elle a tout à fait le droit de mettre un terme à cette discussion sans que cela ne soit trop osé. Son ton est plus posé, plus sérieux aussi, et il s’humecte rapidement la lèvre inférieure avant de prendre une gorgée de plus. “J’aurais dû demander de la grenadine.” Ambrose désamorce le sérieux qu’il a lui-même imposé dans la discussion et se fend déjà d’un nouveau rire, aussi maladroit que fugace.

« Tu connais Cristina ? »
“Non, pas vraiment.”

Il répond en voyant la lueur de peur dans son regard. Ce n’est pas vraiment un mensonge: il ne connaît pas autant Cristina que devraient naturellement expliquer plusieurs années à avoir grandi auprès d’une même famille, surtout à une époque où Ambrose n’était encore qu’un jeune adolescent. Il la connaît en tant qu’épouse de son cousin, mais rien de plus. Absolument rien de plus, et certainement rien qui mérite de mettre un terme à la simplicité bienvenue de sa discussion avec la barmaid. « Ça c’est ce que j’appelle de la prise de risque. J’espère que tu es plus audacieux dans les autres aspects de ta vie. » - “Je garde mes cartes joker pour d’autres domaines.” Il se contente de répondre, espiègle, ses coudes à son tour quelque peu avancés sur la table pour perpétuer l’idée que tout ceci n’est qu’une confession. Cette fois-ci, il ne ment pas: Ambrose est audacieux et ambitieux au possible, elle n’a pas à s’en faire à ce niveau-là. Mais c’est justement parce qu’il vole parmi des prédateurs qu’il ne peut pas se permettre de perdre quelques plumes dans un bar, encore moins celui dont sa propre famille est propriétaire.

Il démontre les prémices de ses capacités de négociation lorsqu’il en vient à demander la prénom de la femme sous ses yeux. S’il nie être un de ces goujats généralement attablés aux bars, il ne nie pourtant pas qu’il apprécie sa compagnie et qu’il ne serait pas contre l’idée de la conjuguer au pluriel, ou auprès la fin de son service - à cela il n’existe pas de mauvaise réponse, sans doute. « Andréa. Et je suis O-, ça peut toujours servir. » Il hoche la tête, feint que oui, évidemment, connaître son groupe sanguin est aussi nécessaire que cela l’aurait été pour un vampire. Mais il ne peut s’empêcher de réellement noter l’information, trop habitué à accumuler tous les détails possibles. “Donneuse universelle. Tu as un bon coeur, alors.” Il ajoute dans un sourire. Elle ne l’a pas choisi, mais il agit comme tel. Il aime à croire que quiconque aime se rendre utile autant que possible, quand bien même de son côté ses dons du sang sont animés par les transfusions sanguines qui ont maintenu son père en vie après l’accident de voiture.

Lorsqu’elle se penche de nouveau sur le bar, ce n’est plus que pour donner toute son attention à une serviette, sans qu’Ambrose cherche à s’en plaindre un seul instant, surtout alors qu’il l’observe tracer les nombres un à un. « Tu vois, je te facilite la tâche pour une fois. Pas besoin de demander. Enfin, rien ne dit que c’est le vrai. » Elle le fait sourire une fois de plus alors qu’il se saisit du bout de papier et le tourne en sa direction, pour mieux directement noter les chiffres sur son téléphone et appeler ledit numéro. Son coude posé sur la table, il relève son regard en direction d’Andréa, une lueur infiniment amusée au fond de ses prunelles sombres. “Tu devrais décrocher. Je crois qu’un certain Rose veut te demander à quelle heure tu finis ton service.” Il articule, comme si l’autre bout du téléphone allait lui répondre à tout moment et qu’il pouvait risquer d’être pris par surprise. Oh non, Ambrose n’a jamais été doué pour faire perdurer les pseudo suspens, et celui de savoir si elle lui avait donné un faux numéro fait partie de la liste, assurément.

« Des domaines de quel genre? »
“De trop nombreux genres pour en tenir une liste exhaustives.”

Il prend la solution de facilité mais il le fait avec un sourire en coin trahissant son éternelle confiance en lui-même. Simplement, il se contente de penser (et de savoir) qu’elle ne serait pas déçue d’en savoir plus à son sujet, ou au sujet des fameux jokers dont il est question. Ambrose ne la quitte plus des yeux, sans doute autant envoûté par ces derniers que soucieux de prouver qu’il ne craint rien ni personne. Il le prouve d’autant plus lorsqu’il a assez confiance en la véracité du numéro qu’elle lui a donné pour l’appeler aussitôt, un sourire étirant simplement ses lèvres alors qu’il pose son coude sur la table, le téléphone toujours posé contre son oreille. Elle devrait répondre: les appels entrants sont faits pour cela et, il le jure, il serait bien le dernier à aller révéler ses agissements durant ses heures de travail à Cristina.

Après quelques secondes, la barmaid joue le jeu, pour le plus grand plaisir du jeune politicien. « Ici Andréa. On m’a dit qu’un certain Rose avait une question à me poser, mais je n’ai pas bien saisi laquelle. » Le brun pose son second coude sur la table et referme son poing, uniquement pour poser son menton par dessus et observer la brune d’un peu plus près encore. Ses yeux détaillent brièvement les traits de son visage avant qu’il ne reprenne. “A quelle heure est-ce que tu termines, ce soir ?” Il ne cherche pas à l’importuner de trop sur ses heures de travail, quand bien même les clients ne se bousculent pas. Surtout, il cherche à passer un moment différent avec elle, plus loin que le bar de l’hôtel - mais peut-être pas plus loin que l’hôtel tout court, ceci dit, sans que cela ne soit sûrement une surprise à en juger par le manque de discrétion du benjamin. Il la trouve attirante, il ne l’a pas caché un seul instant. “Et est-ce que je pourrai t’offrir un verre à mon tour ?” Un verre que personne ne lui ferra réellement payer, en réalité, et tant mieux puisque cela ne tombe pas réellement dans son budget. Il veut simplement lui rendre la monnaie de sa pièce et, peut-être, envisager la possibilité de passer un temps décent avec elle.