Le gala a égratigné plus d'une personne, autant littéralement qu'au figuré. Nous sommes tous arrivés avec toute notre naïveté entre les mains. Nous en sommes repartis les bras ballant, nous demandant ce qu'il s'était passé, pourquoi, comment, et surtout : et maintenant ? Le mieux était de laisser le temps faire son œuvre. Attendre. J'avoue que je ne me sens pas prêt à assumer mes actes auprès de James, que je n'ai toujours pas revu. Lui avoir dit que je regrettais, sur le moment, n'est bien évidemment pas suffisant. Il faudra bien, un jour, que je le confronte pour présenter de réelles excuses, espérer sauver notre amitié. S'il reste quoi que ce soit à sauver. Si son corps s'est relevé suite à tous les coups qu'il a encaissé, qu'en est-il du lien qui nous unissait ? Cette amitié vieille de plusieurs années, à la fois si superficielle par moments, et si profonde et significative à d'autres. C'est une relation étrange que nous avons, lui et moi, dans le fond. Une amitié tempétueuse qui ne nous laisse jamais deviner sur quel pied danser. Mais je sens que je tiens à James. Que j'aimerais me racheter. Seulement, pas tout de suite. Pas avant que le temps ait terminé de me donner, jour après jour, un peu plus de courage. Dans les grands gâchis, il faut également compter mon amitié avec Hannah. Un lien encore si fragile, si nouveau, qui n'a pas été épargné. Notre confrontation, la semaine dernière, n'a rien arrangé. Tant de choses ont été dites, tant de vérités et de paroles empruntes de colère. Ce baiser si insensé. Je crois que la comédienne ne veut plus de moi dans sa vie, si tant est qu'elle ait voulu de moi un jour. Peut-être serons-nous bien mieux l'un sans l'autre. Elle sans l'humanité que je lui inspire et qui la révulse, et moi sans cette folie perdue qu'elle souhaitait me faire retrouver, si longtemps après avoir perdu Oliver ainsi que mes raisons de rire de ma condition, cet esprit rebelle que j'avais violemment étouffé. Penser à elle me laisse un goût amer et me ramène toujours à ce fichu baiser. J'ai prié pour qu'aucun de ces photographes qui s'étaient amusés à nous suivre depuis que nous avons commencé à nous côtoyer, et mettant tout en œuvre pour nous faire passer pour un couple aux yeux du grand public, ne se trouve dans les parages pour prendre la bonne photo au bon moment. Cette preuve ultime qui manquait cruellement à l'article à notre sujet dans le magasine comme quoi Hannah et moi sommes amants. J'ai guetté les unes des tabloïds de la semaine. Rien. Je les scruterais de la même manière la semaine prochaine. Certains ont évoqué mon annonce de la grossesse de Joanne à la radio. Déjà quelques personnes l'ont reconnue dans la rue. Cela me laisse loin d'être l'esprit tranquille. Etrangement, je crois que ma relation avec Joanne est celle ayant été le moins impactée par l'altercation avec James. Je me doute que le pardon n'est pas acquis, mais apprendre qu'elle est enceinte a constitué mon salut, cette incroyable nouvelle prenant le dessus sur les événements passés. Nous n'en avons pas reparlé depuis cette entrevue chez la psychologue. J'espère que cet épisode finira tout simplement oublié. Contre toute attente, c'est ma relation avec Gabriella qui s'en est le mieux sortie. Je ne sais pas par quelle magie cet événement nous a finalement rapprochés plus que jamais. Mais elle non plus, je n'osais pas la revoir. Ce n'est qu'aujourd'hui, après le travail, que je me décide à prendre le chemin de la librairie de ma sœur. Ce fut assez soudain ; sortant plus tôt de la radio, comme je m'efforce de le faire depuis que Joanne est au repos forcé à la maison pour toute la durée de sa grossesse, je me suis installé au volant de ma voiture, et l'idée m'est venue de nulle part. Un murmure insistant pour que j'aille la voir, car le moment était venu. J'ai alors envoyé un message à ma fiancée pour l'avertir, sachant qu'elle ne me tiendrait pas rigueur de rentrer tard ce soir en sachant qu'il est question de Gaby. Puis j'ai pris la direction du quartier de Logan City, là où se trouve la boutique. Je me rends compte, non sans honte, que je n'y ai jamais mis les pieds. Pas une seule fois. J'en ai vu la devanture, je suis passé devant bon nombre de fois. Mais je ne me suis jamais installé sur l'un des canapés ou des fauteuils, je n'ai jamais parcouru les rayons, ni laissé l'occasion à la jeune femme de me balader d'ouvrage en ouvrage en laissant sa passion s'exprimer au grand jour. Quel frère pitoyable je fais. Je me gare juste en face de la librairie, et prend une ou deux minutes avant de descendre de la voiture, hésitant encore un peu, sentant mon courage se dérober comme l'oxygène dans l'air à chaque inspiration nerveuse que je prends dans l'habitacle. Enfin, je pose mes pieds sur le trottoir et ferme l'Audi. Il est relativement tard, et il ne reste qu'une seule faible lumière au fond de la boutique me laissant espérant que Gabriella est encore là. J'hésite à frapper à la porte, mais je me risque à appuyer sur la poignée et pousser la porte, espérant qu'elle soit ouverte. Et c'est le cas. J'effectue quelques pas silencieux dans la pièce, tandis que ma présence a déjà été signalée par la clochette au-dessus de l'entrée. Mon regard glisse sur les assises, les étagères, toutes les couleurs quelque peu baroques, la chaleur qui se dégage du lieu et qui, il y a quelques temps, ne m'auraient pas semblé si ressemblante à Gaby. Enfin elle apparaît, devant moi. Je reste quelques longues secondes sans rien dire, le coeur accélérant peu à peu. Parle, Jamie, dis n'importe quoi ; plus tu attends, plus les mots partiront hors de ta portée. J'hausse les épaules ; là, me voilà, comme un idiot ne sachant pas comment faire le premier pas, les mains dans les poches, intimidé. Je finis par sourire, sans trop savoir pourquoi -sûrement à cause du ridicule que je m'inspire. « Tu comptes rester plantée là ou tu vas accueillir ton frère comme il se doit ? » Avec un câlin, de préférence.
Gabriella avait du mal encore à comprendre et à digérer tout ce qui s'était passé durant ce gala. Se retrouver face à cette femme que James avait plus désiré qu'elle. Cette dernière qui pour ne pas compliquer la chose, était une proche amie de son frère Jamie. Qui ne lui parlait plus depuis cette horrible dispute. Il y avait aussi cette insupportable image de James, le visage ensanglanté par les coups de son frère. Elle avait vu ce soir-là de quoi était capable Jamie sous un excès de colère. La rage que la sœur vit dans ses yeux lui glaça le sang. La meurtrie. Gaby essayait de ne plus y penser, de passer à autre chose, mais comment oublier tout cela ? Elle qui se sentait totalement coupable. Car oui, si Gabriella n'avait pas craché son venin au visage du français, la soirée aurait put être des plus agréables. Non, c'était impensable. Jamais l'anglaise n'aurait put rester de marbre en voyant James aux cotés de cette femme.
Pourtant, il y avait une belle note à retenir lors de cette soirée. Sa presque réconciliation avec son demi-frère. Un éclat de tendresse dans une déferlante de rage. Ce frère qu'elle aimait. À qui elle avoua sa profonde affection par les trois mots les plus durs qu'il y avait à formuler dans une vie et pourtant si facile à prononcer. Je t'aime. Mais Gabriella ne pouvait plus contenir cet aveu qu'elle rêvait de lui confesser. Ils avaient beau se hurler dessus, se chamailler, ces deux-là s'aimaient. D'une profonde affection fraternelle qui les dépassait certainement. Gabriella la première. Il faut avouer que Gaby ressemblait étrangement à cette moitié de grand-frère. Le même caractère explosif, difficilement contrôlable cachant derrière tout cela une fragilité certaine. Cette facilité à pouvoir blesser l'autre… Il n'y avait que lui pour l'intimider. Sachant pertinemment comment la détruire par de simples mots. Le seul qui arrivait à dominer la tempête brune. Ce soir-là, Jamie cherchait à défendre sa sœur, lui rendre justice face aux tromperies de James. Il avait su déceler son chagrin. Lui, mieux que personne savait décrypter le visage de Gaby.
L'Anglaise n'était pas au top de sa forme. Marius faisait son possible pour revoir son Darcy sourire, mais il était encore trop tôt. Elle trouvait refuge dans sa libraire. Son antre qu'elle aimait plus que tout. Voilà pourquoi Gaby restait toujours quelques heures après la fermeture. Rangeant les livres qui traînaient, laver les tasses vides. Il y avait aussi Adam qui venait tous les jours dans sa boutique. Cet étrange petit garçon qui aimait autant qu'elle les livres. Chose assez inhabituelle chez un enfant de treize ans. Elle aimait passer du temps avec lui afin de lui montrer certains livres, tout en mangeant des cookies trempés dans un bon verre de lait. C'était ses petits bonheurs qui lui faisaient tenir le coup. L'Anglaise se laissait bercer par une douce mélodie qui résonnait dans toute la librairie. Ces musiques d'un autre temps qui prouvait que Gabriella savait être romantique, un brin mélancolique. Toujours en train de ranger encore et encore. Mais à sa grande surprise, la clochette de la porte retentit. « Qui ça peut bien être ? » La brune s'avança vers l'entrée. «Désolée, nous sommes fer... » Elle se stoppa net. Les yeux écarquillés comme jamais. Voilà la dernière personne à laquelle Gaby s'attendait. Pourtant si présente dans ses pensées. Son frère. Sous le choc, la sœur resta sans rien dire, les deux pieds plantés dans le sol, complètement immobile. Jamie avait l'air aussi intimidé qu'elle. Je dois dire quoi là ? Faire quoi ? Gabriella était complètement déstabilisée par sa venue. Mais son frère finit par dire quelque chose. Il lui demandait un câlin, à la manière Jamie Keynes. Le légendaire tact familial. Et l'impossible arriva, Gabriella souriait. Face à son frère qui avait sûrement pris énormément sur lui pour venir jusqu'ici. La sœur se jeta dans ses bras. Bien trop émue. Le serrant contre elle le plus fort possible. « Jamie... » Elle était sur la pointe des pieds, touchant presque plus le sol. « Tu m'as manqué… » C'était sincère. La brune s'écarta pour observer son frère. « Tu peux pas savoir à quel point ça me fait plaisir de te voir ici. » Dit-elle en montrant avec ses mains sa librairie. Cet endroit si important à ses yeux. « Ça te dit de prendre un thé et de parler avec ton adorable petite sœur ? » Son sourire cachait un brin de malice dont elle avait le secret. Celui qui la rendait totalement irrésistible. Il était impossible de lui refuser quelque chose. Allez dis oui.
Elle saute dans mes bras, me serre de toutes ses forces. L'enlaçant tendrement, je cale ma tête au creux de son cou, murmurant ; « Tu m'as manqué aussi... » Je pourrais la garder ainsi pendant des heures, et m'excuser en long et en large pour mon attitude, pour ma colère, pour l'avoir jeté de chez moi, avoir coupé les ponts, puis frappé l'élu de son coeur. Entre autres actions indignes d'un frère que j'ai accumulées en quelques temps. « Je suis désolé de ne pas être venu avant. » Je ne dirais pas que le manque de temps est une excuse valable. Je n'avais pas envie de venir, de la voir, de lui faire ce plaisir. J'étais heureux qu'elle réalise son rêve, et heureux qu'elle le réalise loin de moi. « Je fais un piètre frère en ce moment. » j'ajoute avec un sourire triste, haussant les épaules. Ce qui est fait et fait, il faut passer à autre chose. Se souvenir que nous pouvons compter l'un sur l'autre, s'épauler, se comprendre mieux que personne -car le côté de la famille d'où elle tient son sale caractère ne laisse aucun doute. Mais ce soir, elle est douce comme jamais. « Avec plaisir ! » je m'exclame, ravi à l'idée de passer quelques heures avec elle -chose qui semble étrange après avoir passé des semaines sans la voir et en être très heureux. Autant de temps à rattraper désormais. Ce qui promet des heures de discussion et des litres, des dizaines de litres de thé. Mon sourire est large et sincère. Je préfère largement quand nous nous comportons comme une famille, et non comme des ennemis. Je ne m'attends pas à ce que nous nous comprenions et nous entendions à la perfection du jour au lendemain, comme par magie. Mais je pense qu'après les événements de ces derniers jours, nous sommes capables, et surtout nous avons envie de faire des efforts l'un pour l'autre. Nous avons montré notre affection l'un pour l'autre chacun à sa manière l'autre soir, il ne reste plus qu'à appliquer cela en dehors des temps de crise. « Et l'adorable sœur arrive bientôt ? » j'ajoute pour la taquiner, regardant par-dessus son épaule, un peu partout à travers elle comme s'il s'agissait de quelqu'un d'autre. Je vais sûrement me prendre un poing de mouche sur le bras pour me punir de cette vilaine boutade. « Je plaisante ! » Je lui tire la langue, comme un gosse. Puis j'attrape son bras, très solennellement, en lui faisant faire un demi-tour sur elle-même, et avance de quelques pas dans la librairie en direction de l'arrière boutique où elle se terrait avant mon arrivée -et là où doit se cacher le thé promis. « Fais-moi faire le tour du propriétaire, tu veux ? » Je sais, la visite d'une librairie est vite faite. A droite, des livres. A gauche, des livres. Au fond du couloir, des livres aussi. Mais de la part de la propriétaire des lieux, je m'attends plutôt à une description de la manière dont elle voit son royaume de pages noircies et de reliures multicolores. Quels genres elle privilégie, quels auteurs, qui a-t-elle laissé au fond d'une étagère pour qu'il prenne la poussière. Toute la manière dont elle a imaginé ce lieu. « Joanne m'a dit qu'elle t'avait appelé pour t'annoncer la bonne nouvelle, sa grossesse. » dis-je au bout d'un moment, toujours souriant. La première échographie est passée et nous sommes si heureux, si excités. Nous arrivons à peine à croire qu'il est bien là, ce petit bout, que nous serons parents, pour de vrai. Je pensais qu'il faudrait des années et pas mal de larmes avant d'en arriver là. Et pourtant, cela nous est tombé dessus. Même si nous ne nous y attendions pas, cette nouvelle est la plus belle qui soit. Le monde a plus de couleurs, et moi, encore plus d'optimisme que d'habitude. « Hâte d'être tata ? » Je n'en doute pas. Joanne m'a dit que Gabriella était ravie, je ne la vois pas me sermonner en disant qu'il est beaucoup trop tôt pour nous pour envisager d'être parents si peu de temps après nos fiançailles -qui semblent, elles-mêmes, précipitées. Elle sait à quel point je l'aime, à quel point tout ceci est une évidence pour moi. Et je crois pouvoir dire que nous avons la fibre familiale particulièrement développée chez nous, entre Keynes, Beauregard et Rhodes. Un neveu est un neveu, et il sera forcément parfait et adoré. Je me dis que l'avantage d'avoir finalement de la famille sur Brisbane -bien plus que prévu, mais je suis loin de m'en plaindre- c'est que cela fait autant de bras auxquels confier le bébé lorsque Joanne et moi aurons besoin d'une pause. Et bous ferons pareil avec les enfants des autres. Tous ces liens, toute cette synergie. C'est exaltant. Je me dis que cela peut-être un jour le tour de Gaby quand mes pensées bifurquent vers James. Je ne savais rien de leur relation, à quel point ils en étaient, la valeur qu'il avait aux yeux de ma sœur. Est-ce qu'elle pensait avoir trouvé le bon ? Est-ce qu'elle n'avait pas tant d'importance que ça pour lui ? J'ai une montagne de questions à ce sujet, mais je ne veux pas tourner le couteau dans la plaie. « Est-ce que… tu as des nouvelles de James ? » je me permets de demander néanmoins, puisque moi, je n'ai pas entendu parler de lui depuis le gala.
Il y avait quelque chose de fort entre eux. Jamie et Gabriella avaient beau se hurler dessus sans arrêt, de toujours se dire les quatre vérités avec un manque de tact défiant toute concurrence, ils s'aimaient. Jamie était son frère. Ils se connaissaient depuis peu de temps, mais pour la jeune femme, c'était comme si cet homme avait toujours fait partie de sa vie. Mais Gabriella s'en voulait encore. Se sentant coupable d'avoir tout fait pour lui sous tirer des informations qui ne la regardait pas et avoir, une fois de plus fourré son nez là où il ne fallait pas. La libraire revoyait encore et encore son visage emplit de colère. La rage qui émanait de ses yeux. Gabriella se comportait comme un idiote, c'était bien connue. Mais depuis quelques mois, la jeune femme pourrait mériter la palme de l'absurdité.
Mais ce soir, tout semblait plus simple. Comme si ses bras avaient le pouvoir de remonter le temps. Alors elle le serra plus fort que jamais. Lui avouant à quel point il lui avait manqué. Sa réponse la toucha profondément, ce qui la fit resserrer encore un peu plus son étreinte. Le réconfort de son frère, voilà ce dont elle avait besoin. Gaby voulait se sentir protéger. Enfouir sa tête dans le creux de son épaule, comme une petite sœur qui demandait qu'à être cajolé. La jeune femme qui avait pour habitude de toujours montrer sa carapace de femme tornade, montrait ce soir une autre toute facette de sa personnalité. Une Gabriella plus douce et vulnérable. Le responsable de ce changement, de ce virage à quatre-vingts dix degrés, c'était James. Le français avait laissé une trace indélébile, une cicatrice béante sur le cœur de sa sœur. Aux côtés de Jamie, Gabriella avait déjà l'impression d'aller mieux. « Ça me fait tellement du bien de te revoir ! » La brune serra une dernière fois Jamie avant de le relâcher. Elle soupira en l'entendant parler ainsi. Se jugeant bien trop vite de piètre frère. « Arrête de dire des bêtises Jamie ! » Son regard était bienveillant et son sourire voulait lui prouver à quel point c'était faux. Et elle ? Gabriella aussi ne se sentait pas du tout à la hauteur. Avec aucun de ses frères. Que ce soit avec Jamie ou Charlie. Gaby avait tout foiré. Mais la brune ne voulait pas penser à tout cela. Ce soir, Jay était là, auprès d'elle. La brune bouillonnait d'impatience à l'idée de passer ces quelques heures avec lui. La jeune femme tapota des mains et des pieds en entendant son frère accepter. Sa petite question la fit immédiatement bouder. Sa frimousse se retroussa, mais elle explosa de rire la seconde d'après. « Vilain va ! » Et un tirage de langue aussi. Deux vrais gamins. Lorsque Jamie lui fit faire un demi-tour sur elle-même, Gabriella attrapa son bras et marcha comme une vraie comme une vraie lady ! « Je vais de ce pas chercher du thé ! » Pour la jeune femme, rien ne valait un bon thé. Froid, chaud, sucré, amer, Gabriella n'était pas anglaise pour rien. La brune disparue quelques secondes pour réapparaître avec un plateau entre les mains qu'elle posa sur une table.
Ses yeux s'illuminèrent lorsque son frère lui demanda de visiter sa boutique. Gabriella adorait expliquer comment elle avait agencé son petit coin de paradis. Elle lui fit un plus grand sourire et acquiesça d'un signe de tête. Alors Gabriella commença à lui expliquer comment elle avait classé les livres par thème. Allant du fantastique aux plus grands classiques. Gaby était fière de sa collection de thé qui trônait sur des étagères derrière le comptoir. Ou encore son chef d’œuvre épistolaire, sa bibliothèque dédiée à Jane Austen. La seule qui avait des étagères violettes. Où reposaient tous les romans de l'auteur. La sœur lui montra son bien le plus cher qu'elle gardait précieusement à l’abri des regards, cette fabuleuse édition d’orgueil et préjugés début vingtième. Elle n'était pas en parfaite état, mais c'était le saint Graal pour la jeune femme. L'Anglaise lui expliqua pourquoi elle avait choisi ces couleurs. Les petites lanternes multicolores qui illuminaient chaque pièce. Gabriella lui confia que ce n'était pas qu'une simple librairie, elle cherchait à créer un havre de paix. Où on pouvait se reposer, tout oublier et partir dans un autre univers. Elle lui montrait le coin pour les enfants, avec toutes une déco sur le thème de Peter Pan, ou encore pour les futures ou jeunes mamans. Tout en faisant un sourire en coin lorsque ses pensées se tournèrent vers Joanne. Ce qui était aussi le cas de son frère. « Oh oui, plus que hâte même ! Je suis tellement heureuse pour vous ! » Son sourire était à son apogée. « Alors, ça fait quoi de devenir papa ? » Dit-elle en le bousculant avec son épaule. « Assez parlé de ma librairie, allons nous asseoir ! » Gaby s'installa en face de lui, dans un fauteuil bien confortable.
Gaby lui servit une tasse de thé qu'elle posa sur la table avant de s'affaler à nouveau dans le fauteuil, une tasse à la main. Alors que Gabriella s'apprêtait à boire une gorgée, la question de Jamie la surprit. Ses yeux restèrent fixés sur ceux de son frère pendant quelques instants et dans le plus grand silence. «Euh… » Gaby ne savait pas par où commencer, ni quoi lui répondre. Elle savait très bien que son frère cherchait à savoir ce qu'il se passait entre eux. « Non, je n'ai aucune nouvelle. Le soir du gala je l'ai rattrapé pour m'assurer qu'il monte dans cette fichue ambulance… Et pour lui dire le fond de ma pensée, une fois de plus. » Oui Gabriella était une experte pour exploser à tout bout de champ. « Disons que c'est compliqué entre nous, très compliqué… Je pensais qu'il y avait quelque chose de sérieux entre nous, mais je pense que je me suis trompée… Enfin j'en sais rien. » Gaby regardait son frère. Ses yeux exprimaient à quel point elle était perdue. « Je le connais depuis Londres… C'était un ami de Charlie et je le détestais ! Chose qui a, d'une manière totalement incompréhensible, foncièrement changé ! » Elle soupira avant de reprendre. « Tu le connais depuis longtemps c'est ça ? Vous êtes amis ? »
C'est dans un silence religieux que je suis Gabriella dans chacun des rayons de sa librairie. J'écoute attentivement ses explications, autant sur l'aménagement de la boutique que les ouvrages qui se trouvent sur les étagères, la multitude de tranches dont j'ai à peine le temps de lire les titres en travers et qui donnent presque le tournis, ainsi que l'ambiance de tous les petits univers qu'elle a délimités, les détails qui les composent. Je ne peux pas m'empêcher de rire en voyant la collection de thé de ma décidément foncièrement britannique de sœur. J'admire, un sourire en coin, son adorable regard pétillant quand elle me présente sa collection d'oeuvres de Jane Austen avec une passion et une dévotion à peine dissimulés. Dès que je pose mon regard sur elle, tandis qu'elle ne cesse de me présenter son have de paix dans le détail, tout sourire, je ne peux pas m'empêcher de toujours déceler en elle ces quelques traits de famille qui rendent impossible tout doute quant à la moitié Keynes de son sang -malheureusement pour elle. Il y a plus qu'une simple chevelure sombre. Il y a le menton volontaire, les pommettes hautes, et tout le sale caractère que l'on peut deviner dans le regard à la fois doux et farouche. C'est parfois perturbant de retrouver autant de caractéristiques connues sur son visage. D'autant plus sur un visage de femme, dans une famille d'hommes. J'espère ajouter une représentante de la gente féminine à l'arbre généalogique avec le petit bout que nous attendons, avec Joanne. Mais je ne serais pas étonné de voir un nouveau garçon pointer le bout de son nez. « Ca fait… drôle. » je réponds au sujet de ma paternité. Moi qui ne me voyait pas avoir d'enfants, qui me l'interdisait fermement, prêt à vivre et mourir seul s'il le fallait. Je suis finalement des plus heureux depuis que ma fiancée m'a annoncé être enceinte. « J'essaye de ne pas trop me poser de questions. Sinon, je sais que je paniquerai. » Je suis loin, très loin de me voir comme un potentiel bon père. Bien au contraire. L'ombre de mon propre paternel plane au-dessus de ma tête, et il me semble impossible de lui échapper. « Et Joanne se fait bien assez de souci pour nous deux. Elle a besoin de pouvoir s'appuyer sur moi. Rien qu'une échographie la rend malade. » Il fallait la voir, si tremblante et morte de peur qu'elle en refusait de lever les yeux sur le moniteur lui montrant les images de son enfant, les grosses larmes roulant sur ses joues. « De le voir et l'entendre, c'était quelque chose. » dis-je en me remémorant ma propre émotion à ce moment là. « Je ne pensais pas qu'il aurait un coeur aussi vite, et il bat à une vitesse... » C'est sûrement un son qui marque à jamais, non ? Le galop des battements de son premier enfant. Premier, le précédent n'ayant pas eu la chance de vivre jusque là. C'est étrange comme lui aussi reste en mémoire. Je sors de mes pensées pour me laisser guider par Gaby jusqu'au petit coin de salon aménagé et le thé qu'elle avait préparé un peu plus tôt. L'anglais en moi est absolument ravi de tenir la tasse chaude entre ses mains et de pouvoir sentir l'odeur exquise les feuilles qui infusent. Soufflant sur la surface de l'eau encore trop chaude, j'écoute ma sœur m'expliquer qu'elle n'a plus de nouvelles de James, le mannequin avec qui, visiblement, elle espérait débuter une belle histoire. Lui n'y était peut-être pas prêt, et l'a bien fait comprendre. Je suis étonné d'apprendre qu'ils se connaissaient de Londres, lui, elle et Charlie. Un de ces détails qui prouvent que nous sommes tous où nous devons être, pour de bonnes raisons. Avant, ils se détestaient. Aujourd'hui, tout a changé. « C'est peut-être vous, qui avez changé. » dis-je doucement avant de tenter de prendre une gorgée de thé. Encore un peu chaud, mais l'envie est trop forte pour s'en priver encore à cause d'un ou deux degrés. A mon tour, je dois expliquer d'où moi et James nous connaissons. Et cela est bien moins simple que cela en a l'air. « Amis… C'est difficile à dire, en ce moment. C'est même difficile d'affirmer que nous l'avons vraiment été. C'est tellement compliqué... » L'expliquer me décourage d'avance, d'autant plus que je suis complètement à blâmer dans tout ceci. Je pourrais donner une version courte et succincte à Gabriella, mais sans les détails elle ne comprendrait pas la scène qui s'est déroulée au gala. Notre passé en Angleterre donne quelques éclairages qui seront sûrement les bienvenus. « Je le connais de Londres aussi. Nous étions à l'université ensemble. Tu sais, pour guider les nouveaux, il y a souvent des parrainages entre première et dernière année. Donc, je m'occupais de James. » Ce statut d'aîné, de guide, de parrain, ne m'a jamais vraiment quitté. Ce n'est pas un enfant, et il n'a plus besoin que qui que ce soit lui tienne la main depuis longtemps. Pourtant, il m'arrive d'encore me sentir en charge de lui. « On s'entendait bien. Très bien même. On était relativement proches, sans pour autant être toujours fourrés l'un avec l'autre. » Nous apprécions passer du temps ensemble, nous croiser dans les couloirs, partager un déjeuner, boire un verre de temps en temps. A croire qu'il n'y avait rien de vraiment fort entre lui et moi. Ce qui nous lie reste compliqué à expliquer. « Et puis, il y a eu Emma, et… Tout a changé. J'ai coupé les ponts, comme ça. » dis-je en claquant des doigts pour illustrer mes dires. Du jour au lendemain, plus un appel, plus un message, plus un signe de vie. Rien. A cette période de ma vie, j'en étais parfaitement capable. C'était aussi simple que de couper un fil avec un ciseau. « Il a eu une sale période, il allait vraiment mal, et c'est le moment que j'ai choisi pour le laisser tomber. » J'imagine que ni lui, ni moi, ne serons capables de complètement me le pardonner un jour, quoi qu'on en dise. James aura, sûrement, toujours cette crainte que je puisse de nouveau lui tourner le dos au pire moment, le laissant penser qu'il ne peut pas compter sur moi. A moins qu'il ne comprenne que je n'ai plus rien à voir avec la personne qu'il a connu à Londres. « J'étais… très différent, à l'époque. Vraiment. Différent, et infiniment plus complexe. » Vous me direz que je ne suis toujours pas le cas le plus simple à gérer. Pourtant, il y a un fossé entre le Jamie anglais, et l'australien. « Au final, ce n'est que des années plus tard, en se retrouvant tous les deux très loin de la maison, qu'on peut dire que nous apprenons réellement à nous connaître. » J'hausse les épaules et reprends un peu de thé. « Et… Il y a des hauts et des bas. Ca fait un peu mal, parfois. » j'ajoute en indiquant mes phalanges avec un sourire amusé, histoire de dédramatiser. Mais je soupire finalement, vraiment attristé par tout ceci. Je n'aurais pas tout perdu dans cette histoire, et si ce gala désastreux était nécessaire pour que je me réconcilie avec Gabriella, alors je suis même reconnaissant que les choses se soient déroulées ainsi alors qu'elles auraient pu être bien pires. Je reste silencieux un instant, le regard dans mon thé. Que de gâchis en une seule soirée, quand même. « Tu l'aimes ? » je demande finalement en relevant mes yeux sur Gaby. Cela n'aurait aucune logique. Mais s'il y a bien quelque chose que les sentiments ne sont pas, c'est logiques.
Voir Jamie ici la remplissait de bonheur. Elle se sentait comme une petite fille à ses côtés. Gabriella avait l'impression d'être en sécurité, mais aussi de pouvoir se faire gronder à la moindre bêtise. Il était certainement le seul à avoir un peu de pouvoir sur la tornade. Mais ce soir, sa sœur était plus douce que jamais. Gaby lui expliquait, des étoiles pleins les yeux comment elle avait organisé sa librairie. Les couleurs, les meubles ou les auteurs qui lui tenaient tant à cœur… Sa frimousse fut d'autant plus rayonnante lorsqu'elle demanda à son frère ce que ça faisait de devenir papa. Sa réponse ne fit qu'élargir son sourire. Voir un homme devenir père était une chose plus que touchante. L'anxiété de ne pas être à la hauteur ou d'appréhender la difficulté que ce sera de fonder une famille, mais l'amour était là. Et grâce à cela, tout était possible. Rien n'était insurmontable. Gabriella posa une main réconfortante sur son épaule. « Ne t'inquiète… Tu seras un excellent père Jay et je suis sincère...» Elle se doutait que son frère avait peur de commettre les mêmes erreurs que leur père. C'était compréhensible, mais Jamie n'avait rien à voir avec l'homme qu'elle avait entraperçu. La brune avait compris depuis longtemps à quel point Joanne pouvait se montrer anxieuse. « Il est normal de s'inquiéter… Enfin, je pense ! » Son rire résonna dans la pièce. Après tout, Gaby n'y connaissait strictement rien en la matière. « Et puis les hormones tout ça… ! » Dit-elle en faisant de grands gestes avec ses mains. Essayant de faire rire son frère. L'Anglaise était touchée de voir autant d'émotions dans son regard. Elle le laissa repenser à tout cela pendant quelques secondes. L'observant dans le plus grand silence. La brune finit par l'accompagner à une table où était déposé de quoi boire un bon thé. C'était à croire que Gabriella était incapable de discuter sans une bonne tasse de thé entre les mains.
Il était temps de parler de James. Elle savait que son frère allait un jour ou l'autre lui demander des explications. Il devait se poser des questions, certaines restant certainement sans réponse pour la jeune femme. Mais soit, Gaby était prête à tout lui expliquer. On voyait de l'incertitude dans son regard, ainsi qu'une profonde tristesse. Le visage du français était à jamais gravé dans son cœur. Gabriella vit son étonnement lorsqu'elle lui expliqua qu'ils se connaissaient depuis Londres. « Oui, le monde est terriblement petit…» La libraire ne comprenait toujours pas comment tout avait pu autant changer. Passer de la haine à l'amour en l'espace d'une soirée. Jamie supposa que c'était peut-être eux qui avaient changé. Ce qui était loin d'être bête. « Oui aussi, certainement… » Gabriella avait l'air songeuse, les lèvres pincées autour de la tasse. « Je pense que j'ai changé depuis mon arrivée en Australie…. » Elle en était persuadée. « Je ne sais pas si c'est en mal ou en bien…… Mais je pense que oui, j'ai changé… » La brune avait aussi des questions. Elle voulait savoir comment ils s'étaient rencontrés ou qu'est-ce qui les liait, tout simplement.
La sœur l'écouta dans le plus grand silence. Hochant la tête par moment pour acquiescer. Vint le moment où Emma rentra en scène. Son cœur se serra un peu. Non pas par jalousie, mais juste en repensant à cette jeune femme qu'elle avait croisée à plusieurs reprises. Elle était belle et très gentille. La jeune Gaby était d'ailleurs persuadée qu'Emma était trop bien pour le français. Gabriella baissa les yeux. Repensant à James… Ce qu'il a dû ressentir et traverser après son accident. Jamie l'avait laissé tomber, chose qui lui fit redresser sa tête. L'air interloqué. « Oh… » Elle se disait que son frère devait avoir de bonnes raisons. « Plus complexe que maintenant ? J'ose à peine imaginer ! » Dit-elle en battant des cils, l'air mutin. Il fallait bien un peu l'embêter. Gabriella souriait lorsque son frère lui montra ses phalanges. Elle comprit que son frère parlait de son passage à tabac lors du gala. « J'ai vu ça oui ! » La brune se laissa emporter par ses pensées. Se revoyant au gala en train de hurler sur Jamie, de le supplier d'arrêter de frapper le mannequin.
« Tu l'aimes ? » Quoi ? Cette question la fit presque sursauter sur place et avaler de travers. C'est ce qu'on appelle ne pas passer par quatre-chemins. Gaby était scotchée. Pensant que la pudeur de son frère ne lui permettrait pas de lui poser cette question plus qu'embarrassante. Elle reprit ses esprits et regarda son frère droit dans les yeux. « Je… Euh… » Gabriella n'était pas du genre à s'ouvrir aussi facilement lorsqu'on parlait d'amour et encore moins quand il s'agit de James. L'amour a toujours été un sujet très sensible à ses yeux. La brune passa nerveusement une main dans ses cheveux et prit une profonde inspiration. « Oui... » Dit-elle, l'air toute gênée. Sentant que cette réponse n'allait pas lui plaire. « Je sais, je sais… Je ne devrais pas.» Il est vrai qu'aimer un homme qui vous a tant blessé pourrait paraître complètement stupide, mais il est parfois difficile de comprendre les cris de son cœur. « Il a beau avoir fait ce qu'il a fait… Je l'aime encore. Ma colère envers lui a totalement disparu depuis le soir où tu as perdu la moitié de tes phalanges sur son si beau visage. » La fin de cette phrase était presque dite sous le ton de la rigolade. « Ce n'est pas quelqu'un de méchant… J'en suis certaine et personne ne me fera changer d'avis. » Elle en était foncièrement persuadée. « Je ne sais pas si un jour nos chemins se recroiseront, mais je l'espère de tout cœur… » Oui, Gabriella espérait le revoir. Qu'ils arrivent à surpasser tout cela et fonder quelque chose de sérieux avec cet homme. « Jamie… Ne lui tourne pas le dos à nouveau. Je pense que James a besoin de toi… Et je ne parle pas de baston. » Elle avait un sourire en coin, mais son regard était étrangement sérieux. « Tu as bien su me pardonner mes erreurs. » Gabriella baissa son regard en repensant à quel point elle fut idiote. « Moi aussi je me suis montrée plus que stupide… Excuse-moi encore de t'avoir blessé Jamie... C'est pas ce que je voulais. »
Bien sûr qu'elle l'aime. La réponse était évidente. Je la regarde bredouiller sa réponse comme si elle devait demander pardon pour ses sentiments, alors que mes yeux sont sans reproches. Gabriella semblait tant le détester au gala. La voilà plus amoureuse qu'avant. « Si j'ai pu être utile en quoi que ce soit... » dis-je tout bas, haussant les épaules avec un sourire ironique. J'ai peut-être fait plus de dégâts qu'il n'est possible d'en faire qu'avec des poings, mais au moins, certaines choses rentrent dans l'ordre, d'autres de débloquent, ou reprennent la place qu'ils auraient toujours du avoir. « Il n'est pas méchant, non. Juste perdu. » Il ne s'est jamais vraiment retrouvé depuis la mort d'Emma, en réalité. Il vogue en eaux troubles, à l'aveuglette, sans personne pour le guider. Malheureusement, il fait partie de ces personnes qui ont besoin d'avoir un phare dans leur vie. « Je suppose qu'il aurait bien besoin de quelqu'un comme toi pour le secouer un peu, le remettre en place, et lui indiquer le chemin. » j'ajoute en regardant le fond de ma tasse. C'est étrange de devoir me dire que ma sœur aime quelqu'un que je connais depuis l'université. Qui sait si nous aurions pu nous connaître plus tôt à travers lui. C'est aussi difficile de devoir m'avouer qu'elle et James ont une alchimie. Peut-être qu'ils sont faits l'un pour l'autre. Peut-être qu'il la blessera de nouveau. Comme Joanne, Gabriella me demande de faire un pas vers le mannequin. Mais c'est bien plus facile à dire qu'à faire. Dans le fond, cette soirée a aussi donné un sacré coup à ma fierté, ainsi qu'à ma propre estime. Aucun débordement depuis des mois, et voilà que j'avais de nouveau explosé, sur mon propre ami. Il n'est pas question de lui pardonner ses erreurs en fait, mais bien les miennes. « Je ne sais pas… Je le ferai, un jour, mais je n'y suis pas encore prêt. A chaque fois que je le vois, ça a tendance à me rappeler mes propres erreurs, et j'en ai ajouté une sur la liste en agissant comme ça au gala. » J'ai été faux avec lu, comme je l'ai été avec tout le monde. Je l'ai abandonné quand il avait besoin de moi. Je l'ai déçu. Et maintenant, je l'ai fait saigner de mes propres mains, finissant cette suite de blessures invisibles par quelques dommages bien physiques et palpables. « Ce n'est plus tellement contre lui, si je garde mes distances. C'est contre moi. Contrairement à toi, je… Je crois que je ne suis pas capable de lui apporter quoi que ce soit de bien. Il n'a vraiment pas besoin de moi dans sa vie. Qui a besoin d'un ami pareil, hein ? » Personne. Je me suis toujours trouvé loin d'être doué pour l'amitié. J'ai toujours laissé les gens se prendre d'affection pour moi, se dire ami avec moi, sans vraiment y réfléchir moi-même, et souvent sans leur donner d'estime ou d'attention en retour. J'étais entouré de gens qui n’importaient pas à mes yeux, et je leur donnais le loisir de ma compagnie si cela pouvait leur faire plaisir ou les faire briller en société. Quand je m'attache à quelqu'un, quand c'est à moi de me comporter en ami, de montrer mon affection, on ne fait pas plus maladroit et incohérent. Gaby revient sur le jour de notre propre dispute, s'excusant à nouveau. Je n'aime pas me souvenir de la colère noire dans laquelle elle m'avait plongé. Revoir la manière dont je lui ai parlé. « Tu ne pouvais pas savoir. » dis-je en haussant les épaules. C'est passé, c'est oublié. « Je t'aimerais toujours, malgré tes erreurs. » Mais je suis loin d'être tout blanc dans cette histoire. Je l'ai traitée comme une moins que rien. Elle ne méritait pas cela. « Et puis, je me laisse terriblement vite emporter par mes émotions quand ça concerne Oliver. » C'est rien de le dire. Que ce soit les larmes ou la colère, mes sentiments deviennent incontrôlables lorsqu'il s'agit de lui. Joanne est persuadée qu'il est la seule personne que je peux encore aimer plus qu'elle. Je ne saurais pas dire si elle a tort ou non. Je sais juste que son souvenir fait partie de ce que j'ai de plus précieux au monde. « Il aurait adoré ta boutique. C'était un insatiable dévoreur de bouquins. » dis-je avant de reprendre une gorgée de thé. Il passait des heures à fumer au bord de sa fenêtre, un livre en main. Le détail triste étant peut-être qu'il tenait déjà cette cigarette à quinze ans. « Il achetait toujours ceux avec de larges marges sur les bords des pages, pour pouvoir y dessiner des illustrations. Et il adorait Dickens. » Je ne sais pas trop pourquoi je dis cela. Je me souviens de la volonté de Gabriella d'en savoir plus sur cet autre frère qu'elle ne connaîtra jamais.
Un vent de confidences s'engouffra dans la librairie de mademoiselle Rhodes. L'Anglaise était assise en face de ce frère pour qui elle avait tant d'admirations et de respect. Peu de personnes arrivaient à canaliser ou à intimider la tempête qu'était la jolie brune, mais Jamie avait le don pour trouver les bons mots. Tant pour l'écouter que pour la blesser. Gabriella ne savait pas quelle serait la réaction de son demi-frère face à l'évocation de ses sentiments envers James. La libraire lui sourit tout en secouant la tête face sa réponse. « Ce fut un vrai électrochoc je dois dire ! Même si ce n'est pas moi qui fut foudroyé par tes coups. » Dit-elle tout en imitant son petit sourire. Son frère était d'accord avec Gaby. James n'était pas quelqu'un de méchant, loin de là. Il pensait que son ami avait besoin d'une personne comme l'Anglaise pour pouvoir le guider, l'aider à remettre de l'ordre dans sa vie. Chose qui toucha la jeune femme. Pour le moment, elle avait toujours envie de lui hurler des injures au visage, mais Gabriella savait que ça n'allait plus durer longtemps. Jamie aussi n'était pas encore prêt à avoir une discussion sérieuse avec le français. « On fait tous des erreurs Jamie… » Son regard était bienveillant. Personne n'était parfait, loin de là. « Je te trouve bien trop sévère envers toi-même… James se laisse difficilement aider. C'est surtout ça le problème !» Ses doigts se recroquevillèrent sur la tasse en porcelaine. Gaby s'excusa encore pour ses maladresses envers son grand-frère. Non, elle ne savait rien de ce frère qui était parti bien trop tôt. Jamie ne lui en voulait pas. Son pardon et ses aveux touchèrent la jeune libraire. « Je t'aimerai toujours mon Jamie... » Ses yeux étaient presque humides. « Même si nous sommes deux tempêtes incontrôlables. » Elle lui souriait tendrement. « C'est normal que ce soit un sujet sensible pour toi… C'est difficile de perdre une personne que l'on aime... » Gaby pensait à sa mère ou à la fois où elle faillit perdre Charlie dans un accident de voiture. Elle ne lui en voulait pas du tout. La rage que la sœur avait subie ce jour-là n'était pas vraiment tournée contre elle, mais plutôt contre l'injustice d'avoir perdu ce frère qu'il avait tant aimé.
Jamie parla d'Oliver. Ce qui laissa Gabriella sans voix. Lui aussi aimait les livres. Gaby aurait aimé le connaître. Elle s'était attachée à cette nouvelle famille. À Jay, à sa belle-sœur ou encore à tous ses cousins dont elle avait encore du mal à connaître tous les prénoms. « Ma mère m'hurlait dessus quand je m'amusais à dessiner des fleurs ou les citassions qui m'avait marqué... » Gabriella buvait une gorgée de son thé en repensant à tout cela. La sœur se disait qu'elle se serait bien entendue avec lui. Il y avait encore des zones d'ombre dans son histoire, mais elle savait qu'il était difficile pour son frère d'en parler. « Dickens… Comment ne pas l'aimer ? Surtout quand on s'appelle Oliver... » Son sourire était sincère et rêveur. « Oliver Twist… À la fois si mélodramatique, poétique et fantastique… » Rien ne pouvait gâcher ce si bon moment. Jay et Gabriella étaient unis plus que jamais. La petite sœur n'espérait qu'une chose, revivre encore et encore des moments comme celui-ci avec son grand-frère.