Il était encore tôt quand Gaïa avait finalement quitté sa chambre d’hôtel. Les draps trop vite froids après le départ de Vittorio pour ses propres aventures italiennes, la jeune femme ne s’était pas attardée plus longtemps dans le lit, préférant aller prendre une douche dès que son compatriote avait passé la porte pour sortir après un dernier baiser. Il était convenu depuis le début que Vittorio s’absenterait une journée, pour régler des affaires personnelles en territoire italien, où il n’avait plus mis les pieds depuis des années. Bien que curieuse, la journaliste s’était pour le moment abstenu de tout commentaire, préférant éviter de potentiellement relancer un sujet qui restait finalement très sensible pour eux deux ; leur exil à l’autre bout de la planète, et ce qui y avait mené. Alors l’italienne l’avait laissé partir pour la journée, bien décidée à lui faire passer une soirée mémorable dès qu’il serait de retour, à lui qui lui avait demandé de lui faire visiter la ville où elle avait passé ses jeunes années, curieux de voir dans quel environnement elle avait évolué. Et bien qu’il avait semblé plutôt mal à l’aise pendant le mariage de la vieille, l’air vaguement perdu dans l’opulence de la cérémonie et de tout ce qui avait suivi. Bien au courant de ce qu’avait été son enfance à lui, Gaïa comprenait bien la situation, et faisait son possible pour le détendre dès qu’elle remarquait chez lui l’attitude de quelqu’un qui perdait pied. Cette journée off pour lui, c’était sûrement un mal pour un bien : il pourrait souffler quelques heures loin de la famille de sa compagne, alors qu’elle, avait prévu d’aller directement se jeter dans la fosse aux lions. Un déjeuner de famille, avec ses parents, la fratrie au complet ou presque, les quelques rejetons de ses frangins, et c’était tout. Il n’y avait pas besoin de plus, c’était déjà largement suffisant pour qu’elle ait la gorge nouée au moment de quitter à son tour la chambre d’hôtel qui avait été leur cocon ces derniers jours.
Il faisait encore beau, alors que l’automne venait à peine de commencer. L’air n’était pas spécialement chaud, mais le soleil qui réchauffait sa peau était plus qu’agréable. Lorsqu’elle était arrivée dans la cour qui bordait la maison principale, la jeune femme était en train de songer au temps qu’il pouvait bien faire à Brisbane. Là-bas, c’était le début du printemps, et il faisait certainement un peu plus chaud, sûrement un peu plus humide. Remerciant le chauffeur du taxi qu’elle avait emprunté, et le payant par la même occasion, la journaliste s’était finalement extirpée de la voiture, ses escarpins crissant dans les graviers à la seconde où elle avait mis les pieds par terre. Prenant une inspiration, elle était restée un instant immobile, observant la bâtisse aux couleurs chaudes qui se dressait sur son chemin, se préparant mentalement à ce qui l’attendait à l’intérieur. Un père qui ne lui adresserait pas la parole et à peine un regard, comme à son habitude, un grand frère déçu qui emploierait un ton courtois mais sans chaleur, une cadette qui prendrait certainement un malin plaisir à lui envoyer des piques quant à l’absence de Vittorio. Un véritable bonheur… Exhalant un soupir, elle s’était finalement décidée à entrer, accueillie dans la seconde par sa nièce qui s’était précipitée dans ses jambes en hurlant joyeusement. « Ziaaaaaa ! » La journaliste avait esquissé un sourire. Au moins, il y en avait une qui était heureuse de la voir… Réceptionnant la petite de quatre ans pour la faire décoller du sol, Gaïa avait avancé dans le couloir avec son précieux paquet dans les bras, tandis que cette dernière roucoulait en italien sur combien elle était contente de voir sa tante qui habitait si loin. C’était innocent de la part de Luisa, évidemment, mais la journaliste aurait mis sa main au feu qu’elle ne faisait que répéter ce qu’elle entendait de la part de son père ou sa grand-mère. Quand elle avait débarqué dans le salon, immense pièce à vivre, elle avait immédiatement attiré l’attention de ceux qui y étaient installés. Ainsi, son frère Paolo avait été le premier à se lever pour la rejoindre et lui offrir une accolade chaleureuse, rapidement suivi par sa toute nouvelle épouse, qui elle non plus ne feignait pas d’être contente de la voir là. Sa nièce toujours dans les bras, elle avait aperçu du coin de l’œil son père, installé dans un fauteuil, absorbé par le journal qu’il avait entre les mains. Elle le savait, depuis le temps, qu’il ne lui accorderait pas la moindre attention, ça ne faisait pas moins mal pour autant. « Mamma ! Gaïa est arrivée ! » Du bruit dans la cuisine, et bientôt sa mère était arrivée dans le salon, grand sourire aux lèvres, Milo et sa femme sur les talons, les bras chargés de plateaux qui serviraient à coup sûr pour l’apéritif. Sa mère faisait partie des rares qui ne lui en voulaient plus pour ses choix de vie, l’italienne le savait bien. La matriarche avait cessé de tenter de raisonner son mari quant à la situation, mais ne se retenait plus de manifester sa joie quand elle avait l’occasion de voir sa fille aînée. C’était bien, ça rendait tout ça un peu plus supportable. Comme elle s’y attendait, Milo lui avait adressé un sourire poli. « Bien dormi ? » « Parfaitement. » C’était presque douloureux de voir son frère aussi distant, quand ils avaient été si proches étant enfants. Se tournant vers sa belle-sœur, la journaliste avait désigné la petite Lu qui s’accrochait toujours à son cou. « Val, je crois que j’ai quelque chose qui t’appartiens. » Cette dernière était venue récupérer sa fille, hilare pour un rien, posant au passage une main compatissant sur l’épaule de Gaïa, alors que la matriarche, débarrassée de ses plateaux, était venue à son tour claquer une bise sur la joue de sa première fille, avant de la détailler de la tête aux pieds. L’approbation dans ses yeux, la blonde avait eu la certitude d’avoir choisi la parfaite tenue pour l’occasion. « Tu es superbe. Vittorio n’est pas avec toi ? » Immédiatement, la journaliste s’était raidie et son sourire s’était quelque peu figé face à la remarque. « Mamma, il ne pouvait pas être là aujourd’hui, elle te l’a déjà dit hier. » C’était vrai, merci à Enzo qui venait de le souligner en entrant à son tour dans la pièce. Levant les yeux au ciel, Antonella s’était détournée d’eux pour rejoindre sa cuisine. Connaissant sa mère, elle devait encore avoir plein de choses sur le feu. « Je suis content de te voir, sœurette. Ça faisait un bail. » « N’exagère pas Enzo, tu m’as vue hier. » Et il pourrait profiter de sa présence encore toute une journée. Quelle aubaine. « Tu sais ce que je veux dire. » Bien sûr qu’elle savait. Et Dieu savait qu’elle aurait droit à ce genre de remarque tout au long de la journée. Celle-ci, provenant d’un de ses frères plus jeunes, serait certainement la plus agréable à ses oreilles, d’ailleurs. « Tu veux boire quelque chose ? J’ai fait des mimosas. » Nina était la gentillesse incarnée, et elle était reconnaissante que son frère soit tombée sur une femme comme elle. « Ce serait parfait. » Sa belle-sœur quittant la pièce après avoir fait le tour des personnes présentes quant à ce qu’ils voulaient, Gaïa avait parcouru le salon des yeux. Son père était toujours silencieux dans son fauteuil, Milo discutait avec Paolo, Enzo jouait avec Luisa sous le regard attendri de la belle blonde qu’était Valeria. Il ne manquait que son neveu, sûrement occupé à courir après un ballon dans le jardin et… Mila. Qui venait de faire son apparition dans le salon, son regard acéré se dardant immédiatement sur son aînée. A cet instant précis, Massimo lui avait manqué plus que de raison. C’était lui qui avait toujours su trouver les mots pour l’apaiser face à sa sœur, face à tout. Mais il n’était plus là. On ne prononçait même plus son nom, à vrai dire. Quelle tristesse.
Dans sa salle de bains à l’étage, au sein de la demeure familiale, Mila s’empresse de finir de se maquiller. Elle est en retard, et elle le sait. Elle entend déjà les voix de sa famille s’élever du salon, reconnaitrait les cris de son neveu et de sa nièce entre mille. Elle n’était rentrée que ce matin, discrètement, sa paire d’escarpins à la main pour ne pas réveiller le reste de la maison, après avoir passé une nuit torride chez un des serveurs du mariage. L’italienne s’était bien amusée et avait pu oublier le temps de quelques heures qu’elle était une éternelle seconde. Dans les bras de ce jeune homme, dont le prénom lui échappait déjà, elle était l’unique, la seule qu’il désirait, la seule qu’il vénérait. Personne n’était venu lui faire de l’ombre, et c’était un sentiment grisant qui l’avait tenu éveillée une grande partie de la nuit. Mila est en retard et pourtant, elle s’applique pour terminer de tracer son trait de crayon et prend le temps de vérifier sa tenue. Aujourd’hui, elle a opté pour une robe courte aux couleurs automnales, un choix plus décontracté que celui de la veille. Après tout, ce n’était aujourd’hui qu’un innocent déjeuner de famille, même si leurs déjeuners n’avaient en réalité plus rien d’innocent depuis des années. Les membres de la fratrie Salvatori ont grandi, les enfants sont devenus des adultes, et leurs responsabilités ont grandi avec eux, de même que leurs soucis. L’attente de leurs parents et leur fierté ont guidé leurs chemins. Et s’ils ont tous les six été élevés par Dino et Antonella, aucun n’a finalement eu les mêmes parents, leur éducation variant en fonction de leur caractère, de leur place dans la fratrie et des objectifs qui leur avaient été fixés. Milo a toujours été l’aîné responsable, celui destiné à reprendre le flambeau et à assumer sans ciller l’héritage familial. Massimo a quant à lui fui la pression pour aller vivre ses rêves d’aventure à l’autre bout du monde. Gaïa, l’ancienne fille parfaite, a tracé sa propre voie, choisissant le journalisme au détriment de la vigne, causant la déception du père. Peu sensible aux attentes des uns et des autres, un brin rêveur et sans doute trop optimiste, Paolo a épousé la veille l’amour de sa vie. Enzo, le plus jeune fils, n’a jamais cessé de faire des bêtises en grandissant : seules leur importance et leur gravité ont évolué. Quant à Mila, élevée dans l’ombre de sa sœur, la fille parfaite aux mille réussites, elle a toujours tout fait pour attirer l’attention des autres, y compris participer aux pires actions entreprises par Enzo. Chacun a suivi sa propre route, dictée par des codes différents. La jeune femme est en retard, elle le sait, mais elle prend tout le même le temps de vérifier sa coiffure et de secouer ses cheveux détachés qui ondulent. Elle est en retard, mais elle sait aussi très bien qu’aujourd’hui, leur père ne lui fera aucun reproche, trop occupé à serrer les dents et à juger Gaïa. Les escarpins de Mila claquent sur les marches en bois des escaliers, mais personne ne semble l’entendre, la cacophonie des conversations couvrant le bruit des pas de la brunette. L’italienne en profite pour observer la pièce depuis l’embrasure de la porte, s’accotant au cadre en bois blanc et croisant les bras contre sa poitrine. Elle voit Nina s’affairer à distribuer les boissons, observe ses frères discuter, pose un regard tendre sur Enzo qui joue avec Luisa sur le sol du salon. Elle entend aussi sa mère s’affairer en cuisine. Ses yeux bleus se dardent ensuite sur sa sœur, alors qu’un sourire mauvais étire un instant ses lèvres. Son air de peste s’évanouit cependant rapidement et Mila enfile son masque de fille parfaite, s’asseyant sur l’accoudoir du fauteuil de Dino et déposant sur la tempe de son père un tendre baiser.
« Mon petit papa ! Tu as bien dormi ? »
Au crédit de Dino, l’on peut certainement mettre sa capacité à ne pas dévisager Mila avec curiosité, trop absorbé dans la lecture d’un article qui semble le passionner. Tapotant la main de sa fille de la sienne d’un air légèrement absent, il répond pourtant.
« Très bien, merci ma chérie. »
Un sourire victorieux illumine le visage de la brunette qui plonge ses prunelles bleutées dans celles de sa sœur, prétendant se rendre compte de sa présence à cet instant.
« Gaïa ! C’est gentil de nous faire l’honneur de ta présence ! Tout le monde doit être ravi ! »
Les hostilités commencent déjà, avant même que l’apéritif ne soit servi. Mila fait référence au départ de Gaïa pour l’Australie, à sa défection, bien décidée à remuer le couteau dans la plaie, et à souligner le fait que leur père ne voit pas d’un bon œil son retour, même pour le mariage d’un de ses fils. Le regard de Mila parcourt la pièce, comme étant à la recherche de quelqu’un, s’efforçant de masquer son sourire mesquin. Affichant finalement un air déçu, se disant vaguement qu’elle devrait se lancer dans le théâtre pour que l’on puisse louer ses prouesses, elle se retourne à nouveau sa sœur. Elle avait parfaitement entendu, la veille, que Vittorio ne serait pas à ce déjeuner de famille et, franchement, elle ne pouvait que le féliciter pour sa sagesse. Il avait eu la présence d’esprit de fuir pour échapper au carnage, et était peut-être plus malin qu’il en avait l’air. Mais son absence était une chance pour la brunette qui n’allait pas manquer de la souligner.
« Hé bien, ton cavalier t’a déjà délaissé ? L’abandon des siens, c’est un truc de couple ? »
Lui aussi avait-il pour habitude de déserter ? Comme Gaïa, fuyait-il ses obligations et responsabilités ? L’absence de Vittorio était une perche tendue à Mila, une opportunité trop importante pour qu’elle ne s’en saisisse pas. Milo claque de la langue, son regard froid se posant sur la benjamine de la fratrie qui tente d’afficher un air innocent. Il n’aime pas jouer les arbitres entre ses sœurs mais, en raison de la défection de Dino, il se sent l’homme de la situation. Mais alors qu’il s’apprête à remettre Mila à sa place, la matriarche fait son entrée dans le salon, les bras chargés de victuailles.
« Mila, tu es là ! On peut commencer l’apéritif alors. Tout le monde a un verre ? »
Comme les autres, la jeune femme s’empare d’une coupe et la lève, imitant sa mère.
« A la famille ! »
Mila réprime un rire alors qu’elle répète les mots de sa mère, « à la famille », en souriant à Gaïa. Ce déjeuner s’annonçait particulièrement amusant.
S'il y avait bien quelque chose chez sa soeur qui impressionnait Gaïa, c'était sa capacité à jouer au caméléon, à jouer des rôles, à feindre des émotions. Elle venait d'en avoir la démonstration à l'instant, alors même que l'air mauvais qui animait les traits de sa cadette - qui lui était d'ailleurs personnellement adressé - s'était mué en une mimique plus douce alors qu'elle rejoignait leur paternel. « Mon petit papa ! Tu as bien dormi ? » Un baiser plaqué sur sa tempe n'avait pas été suffisant pour détourner l'attention de leur père de son journal, pour autant, le ton mielleux de Mila avait hérissé la journaliste, si facilement que c'en était presque vexant. « Très bien, merci ma chérie. » Un point pour la réponse obtenue, la brune venait de prendre l'avantage sur leur duel puéril entre soeurs, et elle l'avait parfaitement compris. Et comme pour prouver que pour elle, le retour de sa soeur n'était pas un évènement plus important qu'à l'autre, Mila l'avait apostrophé. « Gaïa ! C’est gentil de nous faire l’honneur de ta présence ! Tout le monde doit être ravi ! » Garce. Tout le monde était ravi de son retour, et tout se passait merveilleusement bien jusqu'à ce que la brune ne daigne descendre pour les honorer de sa présence. Enfin, tout le monde, sauf Dino. Et Milo, car même s'il restait moins hostile que leur paternel, ne débordait pas vraiment de chaleur humaine. Peu importe. Bien évidemment, ça la rendait triste de voir leur complicité d'antan évaporée, mais cela faisait longtemps qu'elle avait cessé d'essayer. La rancune de son frère finirait probablement par s'atténuer, en tout cas, elle l'espérait. Un sourire qui sonnait faux plaqué sur les lèvres, Gaïa avait prit la peine de répondre à sa cadette. « C'est le cas. Est-ce que tu as dormi la nuit dernière? Tu as une mine affreuse. » C'était faux. Sa soeur avait le teint frais, était joliment maquillée. Elle était charmante, charmeuse, comme à son habitude, et si elle avait des cernes, ces dernières étaient bien camouflées. La remarque était faite pour agacer Mila, attaquer son physique, la chose dont elle était le plus fière, et le simple fait de la voir tressaillir aurait fait plaisir à la journaliste. Les hostilités était déjà lancées, et apparemment, la plus jeune fille des Salvatori était inspirée. L'air désappointé, cette dernière avait balayé la pièce des yeux, comme si elle cherchait quelque chose - ou quelqu'un. Puis, son attention était revenue vers son aînée. « Hé bien, ton cavalier t’a déjà délaissé ? L’abandon des siens, c’est un truc de couple ? » Elle s'attendait à une pique de ce genre là. D'ailleurs, elle l'avait même prédit à Vittorio la veille, lorsqu'ils étaient encore enlacés entre les draps, le sommeil les fuyant après leur bain de minuit. Oui, elle s'y attendait, et pourtant, l'allusion à l'absence de l'Italien l'avait fait frémir, alors qu'elle bouillonnait intérieurement. Elle s'apprêtait à la remettre sèchement à sa place, la sale peste, quand Milo était intervenu. D'un claquement de langue agacé, l'aîné de la fratrie les avait réduites au silence, pour le moment, du moins. Et s'il semblait sur le point de faire une remarque à la plus jeune - qu'elle allait trop loin, par exemple -, il avait abandonné l'idée à l'arrivée de la matriarche dans le salon. « Mila, tu es là ! On peut commencer l’apéritif alors. Tout le monde a un verre ? » Chacun avait levé sa coupe, en seule réponse. « A la famille ! » Le regard de Mila n'avait pas échappé à la journaliste, mais cette dernière avait feint l'ignorance. La jeune femme ne perdait rien pour attendre, le déjeuner serait probablement long, comme toute réunion de famille qui se respecte.
L'apéritif avait été plutôt calme. Malgré l'envie évidente de Mila de lui pourrir le moment, la journaliste était restée aussi loin que possible d'elle, ne lui lançant des regards acérés que lorsque leurs yeux venaient à se croiser - pas du fait de l'aînée. Chacune à un bout de la pièce, et les choses étaient presque civilisées. Un peu tendue, Gaïa avait malgré tout pris grand plaisir à discuter avec les jeunes mariés, ses belles soeurs, avait même réussi à glisser un mot à sa mère quand cette dernière n'avait pas eu les bras chargés. Tout le monde discutait joyeusement, et Gaïa en aurait presque oublié l'hostilité de sa soeur, et l'ignorance de son père. Presque. « On a de la chance de vous avoir encore aujourd'hui. Quand est-ce que vous partez en lune de miel? » L'Italienne savait parfaitement que c'était prévu, mais ignorait tout du fameux voyage. Le visage de Nina s'était illuminé, alors que Paolo lui avait embrassé le front, un bras passé autour des épaules de sa toute nouvelle femme. « Dès demain! On a longtemps hésité sur la destination, tu sais. On pensait à quelque chose d'exotique, pour changer. On a même pensé à l'Australie pendant un moment, pour venir te voir. » A l'autre bout de la pièce, Dino avait laissé échapper un grognement réprobateur, camouflé dans une toux forcée. Faisant son possible pour rester impassible, Gaïa s'était cependant mordu l'intérieur des joues. Nina avait eu un sourire ennuyé. « Finalement, on s'est décidés pour les Seychelles. On viendra te voir une autre fois, dès que l'occasion se présentera. » Le sourire de la journaliste avait fait écho à celui de sa belle-soeur. « N'hésitez pas, ça nous ferait très plaisir. » Parce qu'évidemment, elle incluait Vittorio dans le lot, qu'il soit d'accord ou non avec ça. A l'évocation de son cavalier, son regard avait dévié vers Mila, croisant immédiatement le sien. De toute évidence, sa cadette n'avait pas perdu une miette de la conversation, quand bien même elle était engagée dans une autre. « Alors c'est du sérieux, entre Vittorio et toi? » La question l'avait un peu prise au dépourvu. Elle-même ne savait pas trop bien où ils en étaient. Leur relation était fragile, et les ombres du passé planaient toujours au dessus d'eux. Pourtant... « Oui. Oui, c'est sérieux. » Après tout, il avait accepté de l'accompagner en Italie, de s'immerger au milieu de sa famille malgré son malaise apparent face à l'opulence du mariage. Elle connaissait son passé, et l'effort que ça avait été pour lui. Mais il l'avait fait, pour elle. Et puisque Mila n'était pas la seule qui avait des oreilles partout, sa mère s'était rapprochée, rayonnante. « Est-ce qu'on doit se préparer à un second mariage? » Verre au bord des lèvres, l'italienne avait failli avaler de travers, ce qui lui avait valu un regard amusé de la part des jeunes mariés. « C'est encore un peu tôt pour parler de ça, Maman. C'est sérieux entre nous, mais... C'est trop tôt. » Baissant les yeux sur son mimosa, la journaliste en avait bu une gorgée, sans manquer de s'étouffer, cette fois. Un regard en coin vers sa soeur lui avait appris que cette dernière les observait toujours. Et Gaïa y avait vu une occasion. « Et toi, Mila, qu'est-ce que tu deviens? Toujours célibataire, à courir après les hommes des autres? » La jeune femme avait toujours eu cette mauvaise habitude, de courir après les copains de sa soeur, et après ceux de dieu savait qui d'autre. Ses oeillades à Vittorio la veille ne lui avait pas échappé, et le moins qu'on puisse dire, c'est que la journaliste n'avait pas apprécié, bien que ce dernier n'ait eu d'yeux que pour sa compagne.
Elle a beau être en retard, Mila prend son temps pour se pomponner et se faire belle. Elle s’applique en apposant son trait de crayon pour souligner ses yeux bleus, elle se coiffe avec minutie, et ce n’est que lorsqu’elle estime que son reflet lui renvoie une image de perfection qu’elle rejoint le salon, grouillant de membres de la famille. Elle est belle, elle le sait, c’est bien d’ailleurs là le seul domaine dans lequel elle pense pouvoir battre sa sœur aînée : le physique. Gaïa est plus intelligente, Gaïa est plus gentille, Gaïa est plus altruiste, Gaïa est plus parfaite, en somme ! Mais Mila est magnifique, aujourd’hui comme les autres jours. Pourtant, les mots de sa sœur la font tressaillir.
« C’est le cas. Est-ce que tu as dormi la nuit dernière ? Tu as une mine affreuse. »
Dans les yeux couleur océan de Mila se déclenche une tempête, et la brunette fusille du regard sa sœur. Elle a démarré les hostilités, et ne devrait être surprise de se prendre un retour de bâton. Pourtant, elle est légèrement impressionnée par la répartie de Gaïa, qui se souvient décidément bien de ses points faibles, et sait taper où ça fait mal. Mais la plus jeune des Salvatori n’est pas du genre à se laisser faire, et elle contrattaque immédiatement, en questionnant sa sœur sur l’absence de Vittorio, en profitant pour glisser une remarque sur le départ d’Italie de l’aînée. Un sourire mauvais illumine le visage de la brunette alors qu’elle observe sa sœur frémir, comprenant la colère qui l’habite. Leur joute verbale est cependant interrompue par un claquement de langue de Milo et par l’arrivée de la matriarche, qui les fait tous trinquer à la famille, une valeur qui semble avoir autant de définitions qu’il existe de membres de la famille Salvatori.
L’apéritif est plutôt calme, Gaïa semblant éviter sa sœur alors que la plus jeune est accaparée par son frère Enzo, son neveu et sa nièce. Mila ne serait pas contre un nouveau round avec son aînée, même si c’est elle qui a eu le dernier mot. Mais elle préfère, pour l’instant, se concentrer sur les siens, ceux qui importent. Cependant, lorsque le déjeuner commence, Gaïa a beau s’asseoir à l’autre bout de la table, le plus loin possible de sa benjamine, cette dernière ne manque rien des échanges qui se déroulent à quelques mètres d’elle. Si l’une de ses oreilles écoute la discussion entre Enzo et le patriarche, et si elle acquiesce de temps en temps, son autre oreille est concentrée sur les paroles échangées entre Gaïa, Pablo, Nina et leur mère. Elle n’en loupe pas une miette, pas lorsque Gaïa est, une nouvelle fois, le sujet même de la conversation : elle et son couple avec Vittorio, elle et son bonheur et, aux yeux de la matriarche, elle et son futur mariage.
« Est-ce qu’on doit se préparer à un second mariage ? »
Au grand damne de la brunette, Gaïa n’est pas la seule à s’étouffer dans son verre. Mila tente de reprendre contenance alors qu’elle tousse de manière inélégante, le vin rouge du domaine Salvatori lui brûlant sa gorge irritée. Elle imagine mal son aînée exposer ainsi son bonheur au monde. Elle n’a pas envie de l’imaginer, cette seule pensée étant insupportable. Un bref instant, pour reprendre le dessus, et chasser de sa tête les images des tourtereaux filant le parfait amour, elle envisage de révéler son propre mariage. Pour une fois, elle a devancé sa sœur, l’a battu, en épousant un homme avant elle. Mais elle se ravise rapidement. Sa famille ne comprendrait pas comment elle a pu se marier en leur absence, ni même pourquoi elle ne vit pas avec cet homme. Rien n’aurait de sens à leurs yeux, alors que Mila n’avait accepté d’épouser Kai que pour l’aider avec ses propres parents, et relever un défi stupide. Elle se mord la langue pour réfréner son envie de tout déballer et fait semblant de se concentrer sur ses pâtes.
« C’est encore un peu tôt pour parler de ça, Maman. C’est sérieux entre nous, mais … C’est trop tôt. »
Elle crierait presque victoire, de savoir que sa sœur n’était pas prête d’épouser son bel italien.
« Et toi, Mila, qu’est-ce que tu deviens ? Toujours célibataire, à courir après les hommes des autres ? »
Ses yeux se plissent, son front se fronce, alors que la colère se lit sur son joli minois. Elle sent la main d’Enzo se poser sur sa cuisse, un moyen à la fois de la réconforter et de l’empêcher de répondre. Pourtant, il connaît trop bien sa sœur pour penser qu’un simple geste pourrait l’arrêter, et elle darde son regard bleuté sur Gaïa. Un sourire se dessine sur son visage, alors qu’elle s’efforce de prendre un air détaché pour dissimuler sa rage intérieure.
« Je me contente de leur rendre service. Pourquoi devraient-ils se contenter d’une Fiat quand ils pourraient avoir une Ferrari ? J’essaie juste de le leur faire comprendre. »
Elle avale une gorgée de vin puis repose son verre, un nouveau sourire illuminant ses traits.
« D’ailleurs, tu penses que Vitto a compris ? »
Elle fait la moue, semblant réfléchir un instant, laissant le silence s’installer.
« Quoique … un procureur reconverti en coach sportif … Finalement, je ne sais pas lequel de vous tire l’autre vers le bas. »
Mila lance à sa sœur un regard empli de tristesse et de compassion, deux émotions qu’elle n’est pas habituée à ressentir. Elle ne fait d’ailleurs que simuler. Et si la matriarche était jusqu’à présent restée imperméable aux échanges houleux entre ses filles, elle ne peut cependant en tolérer davantage.
« Basta ! Toutes les deux ! Nous sommes là pour fêter entre nous le mariage de votre frère, un peu de décence ! »
La plus jeune ne répond pas au sermon de sa mère : elle a raison, et Pablo devrait importer plus que tout aujourd’hui. Mila a cependant tendance à se laisser aveugler par son envie de vengeance, quand Gaïa leur fait le plaisir d’un retour aux sources. Alors, si elle reste muette, consciente de son comportement déplacé, elle ne peut cependant lâcher sa sœur des yeux, son regard exprimant tout son mépris et toute sa colère : des émotions qu’elle ressentait plus facilement.
Sa soeur faisait ressortir ses mauvais côtés si facilement. Gaïa l'avait réalisé une fois de plus quand elle avait attaqué Mila sur son physique, n'hésitant pas une seconde à lancer une pique qui allait à coup sûr blesser la brune. Et la journaliste ne s'était pas sentie coupable pour un sou quand elle avait effectivement vu cette dernière se renfrogner, pour mieux la fusiller du regard une demi seconde plus tard. La vengeance n'avait pas tardé, et Gaïa avait pu l'observer à loisir minauder autour de leur père, rappelant à la moindre occasion à son aînée qu'elle n'avait plus la moindre importance aux yeux de son père, comme il aimait le faire comprendre à tout le monde en l'ignorant royalement depuis qu'elle était arrivait. Il tolérait à peine sa présence, et comme toujours, ça avait écorché l'italienne un peu plus. Les deux soeurs se chamaillant à la moindre occasion, même si de manière bien moins enfantine que dans le passé, leur petit manège avait finalement agacé l'aîné de la fratrie, Milo, qui les avait remises au pas d'un claquement sec de la langue. Il avait toujours été l'arbitre le plus fréquent de leurs joutes verbales, et devait désespérer de voir que le temps n'avait absolument rien amélioré entre elles, au contraire. Gaïa avait tenu sa langue pendant un certain temps après ça, malgré son envie évidente de rebondir sur presque chaque phrase de la benjamine pour la remettre à sa place. Si bien que quand leur mère avait débarqué à nouveau dans le salon avec la ferme intention de tous les faire trinquer à la famille, la journaliste n'avait pu que lever son verre, fin sourire un peu crispé sur les lèvres, ignorant avec plus ou moins de facilité le regard de Mila qui lui avait brûlé la peau. Elle ne perdait rien pour attendre.
L'apéritif avait été relativement calme, quand on considérait la façon dont avec commencé cette petite réunion de famille. Pour s'éviter une tentation, l'aînée était allée s'installer aussi loin que possible de sa soeur, qui avait semblé presque déçue par ce choix. Déçue parce qu'en étant aussi loin, il lui serait plus difficile se fourrer son nez partout, de donner son avis sur n'importe quoi, et de tenter de faire enrager sa soeur à la moindre occasion. Gaïa, elle, avait apprécié cette petite pause tant qu'elle avait duré. Entourée de sa mère, de Paolo, de Nina, ces personnes qui faisaient partie des rares qui n'avaient rien contre elle. Les discussions étaient légères, sans prise de tête, ça parlait de tout et de rien, de voyage de noces, de projets futurs. Dino n'avait pas pu s'empêcher de manifester son mécontentement quand les deux nouveaux mariés avaient évoqué avoir hésité sur l'Australie pour leur prochaine destination. Probablement pour changer de sujet rapidement, chassant au loin ce fameux sujet qui semblait tant énerver leur père, Paolo avait évoqué la relation de sa soeur avec son compagnon, cherchant à déterminer si leur relation avait un avenir, ou s'il s'agissait simplement d'une amourette. Un peu prise au dépourvu, elle avait cependant répondu dans la foulée, après une très courte réflexion. Oui, c'était sérieux entre eux, bien que le passé plane encore régulièrement au dessus d'eux, un détail que la journaliste avait évidemment passé sous silence. Le seul qui était au courant de leur passé commun à Rome, c'était Massimo. Personne d'autre n'avait besoin de connaître leurs petits secrets, la façon dont elle l'avait trahi une première fois, la vengeance de Nino qui l'avait envoyée à l'hôpital, leurs retrouvailles houleuses à Brisbane. Massimo, et c'était tout. Et au final, même ce dernier n'était même pas au courant de toute l'histoire, puisque s'il connaissait le fameux Vittorio de Rome, il était loin de se douter que l'actuel compagnon de sa petite soeur était cette même personne, et la jeune femme s'était bien abstenue de le lui dire.
Gaïa s'était permise d'espérer qu'une fois qu'elle aurait répondu, ils enchaîneraient sur un tout autre sujet. Mais sa mère, qui était absente depuis quelques minutes alors qu'elle avait disparu en cuisine, avait choisi ce moment précis pour réapparaître, et rebondir, rayonnante. Est-ce que la famille devait se préparer à célébrer un second mariage d'ici peu de temps? La journaliste avait menacé de s'étouffer avec une gorgée de mimosa, amusant au passage les jeunes mariés à ses côtés. Presque rougissante, la jeune femme avait avoué à sa mère qu'il était encore trop tôt pour parler de mariage entre eux, alors qu'elle entendait vaguement quelqu'un d'autre tousser à l'autre bout de la table. Pas besoin de tourner la tête pour savoir qu'il s'agissait de Mila, probablement à deux doigts d'un coma puisqu'on venait encore étaler le bonheur de son aînée à tout va. C'est le moment que Gaïa avait choisi pour relancer les hostilités. « Et toi, Mila, qu’est-ce que tu deviens ? Toujours célibataire, à courir après les hommes des autres ? » La réaction de la benjamine ne s'était pas faite attendre. Immédiatement, la journaliste avait vu cette dernière fulminer, et se préparer à une contre attaque, quand la première jubilait d'avoir une fois de plus réussi à l'atteindre. Mila semblait déjà plus calme quand ses prunelles bleues avaient heurtées celles plus sombres de son aînée. Une belle façade, selon cette dernière. « Je me contente de leur rendre service. Pourquoi devraient-ils se contenter d’une Fiat quand ils pourraient avoir une Ferrari ? J’essaie juste de le leur faire comprendre. » Chose étrange que de se comparer à une voiture, mais de toute façon l'aînée n'avait jamais vraiment compris l'intérêt de la plus jeune pour la mécanique. « D’ailleurs, tu penses que Vitto a compris ? » Garce. Elle avait donc bien raison, et n'avait pas rêvé l'intérêt mal placé que sa soeur semblait avoir pour son compagnon. La journaliste aurait été prête à parier que sa cadette aurait été bien moins intéressée par l'homme s'il ne lui avait pas été lié. Forte de la colère qu'elle avait vu naître dans les opales sombres de sa soeur, Mila avait continué sur sa lancée rapidement, coupant cette dernière dans son élan pour répliquer. « Quoique … un procureur reconverti en coach sportif … Finalement, je ne sais pas lequel de vous tire l’autre vers le bas. » Gaïa avait perdu de sa superbe. Elle ne savait pas du tout à quel moment sa soeur avait appris pour le métier de Vittorio, ou plutôt, pour son changement de métier, mais puisqu'ils avaient été séparés pendant une partie de la soirée, ce n'était pas impossible qu'il l'ait évoqué au détour d'une conversation, sans qu'elle en ait eu vent. Pendant une seconde, elle avait craint que Mila n'en sache trop et soit d'humeur à créer un nouveau scandale familial, mais elle n'avait pas continué. Discrètement, Gaïa avait exhalé un soupir. Elle aurait dû s'en douter, pourtant. Ce n'était pas le genre de sa moitié d'étaler sa vie privée, surtout quand il s'agissait de choses aussi sensibles que leur passé commun. « C'est vrai que toi t'as une grosse préférence pour les types pleins aux as, qui n'hésitent pas à se séparer d'un billet ou deux à chaque fois que t'enlèves ton t-shirt... » La limite avait été franchie, et leur mère, ne supportant plus ce petit manège, était finalement sortie de ses gonds. « Basta ! Toutes les deux ! Nous sommes là pour fêter entre nous le mariage de votre frère, un peu de décence ! » L'une comme l'autre s'étaient tues, sans pour autant se lâcher du regard. L'une comme l'autre étaient blessées par ces paroles tranchantes qu'elles se lançaient à la figure depuis le début, et leurs colères se faisaient écho. Pourtant, Gaïa comme Mila étaient restées silencieuses après l'intervention de la matriarche, l'aînée plus que vaguement honteuse s'était murée dans le silence pendant un long moment, se contentant de sourires crispés quant aux différentes conversations qui se déroulaient de son côté de la table.
Le déjeuner s'était étiré sur une bonne partie de l'après midi, et sur cette fin de repas un peu longue, que les enfants avaient déserté au plus tôt pour aller courir un peu partout, les deux soeurs s'étaient tenues tranquilles. Il aurait été franchement suicidaire de tenter quoique ce soit quand leur mère et Milo les observaient à tour de rôle, veillant à ce qu'elles restent calmes, et stoppent les échanges assassins, pour le moment en tout cas. Le repas finalement terminé, la journaliste en aurait soupiré de soulagement, alors qu'elle avait aidé sa mère à débarrasser la table, apportant les plats et les assiettes en cuisine, où Enzo et Paolo avaient été commis d'office à la vaisselle. Puis elle s'était éclipsée jusqu'à la piscine pour retrouver un peu de calme, après avoir volé une cigarette à Valeria et avoir rempli son verre de vin. Mila avait un don inné pour faire exploser le seul de stress de sa soeur, et si elle ne fumait plus régulièrement depuis quelques années, l'envie d'une fumée salvatrice l'avait prise à la gorge à la seconde où elle était sortie de table. Pieds nus sur la terrasse qui bordait le bassin, la jeune femme s'était finalement assise sur le bois pour laisser tremper ses mollets dans l'eau fraiche, l'air encore chaud pour la saison mettant un peu de désordre dans ses cheveux. La journaliste n'avait pas cramé la moitié de sa cigarette quand elle avait entendu des pas arriver dans son dos. « Qu'est-ce que tu veux, Mila? » Parce qu'elle n'avait aucun doute sur l'identité de celle qui venait de débarquer sur la terrasse. Sans se retourner pour autant, la blonde avait cependant incliné légèrement la tête. « Je te préviens, ici t'auras pas maman pour te défendre. » Ici, pas de matriarche pour mettre fin à leurs échanges tranchants, personne pour modérer leurs propos ou les retenir au cas où elles en viendraient aux mains. C'était rare bien sûr, mais si sa cadette s'approchait trop de la piscine, Gaïa ne résisterait probablement pas à l'envie de la précipiter dans l'eau si elle le méritait.
Mila avait toujours été une véritable peste. Elle avait toujours été égoïste, concentrée sur elle-même et sur son propre intérêt. Elle voulait briller, elle voulait être remarquée, insatisfaite de toujours être l’éternelle seconde, celle qui passait toujours après sa sœur. Pour autant, Mila avait toujours été maline. Devant tout le monde, la brunette savait montrer un tout autre visage. Elle avait beaucoup d’amis, était très entourée, car elle savait prétendre être douée d’empathie. Devant tous, elle était une jeune femme agréable et très appréciée. Pourtant, en compagnie de sa sœur, elle redevenait l’enfant jalouse qu’elle avait toujours été. Et les deux femmes avaient beau ne pas s’être revues depuis longtemps, leur éloignement ne semblait pas avoir amenui la colère et le ressentiment. Mila était dévorée par l’envie et, dès son arrivée dans le salon, elle avait attaqué sa sœur et commencé à la faire enrager. Après un apéritif plutôt calme, sous la surveillance de Milo, le déjeuner avait permis aux deux sœurs de reprendre leurs querelles. Et lorsque Gaïa s’était enquis des affaires de cœur de la benjamine, lui demandant si elle volait toujours les copains des autres, Mila n’avait pas hésité à répondre. Elle en avait profité pour attaquer son aînée sur sa relation avec Vittorio et sur le métier de ce dernier, loin d’être un travail qui pouvait correspondre au standing des Salvatori. Même Mila aurait reconnu, devant tout le monde sauf Gaïa, bien évidemment, que cette dernière aurait pu trouver mieux. Mais visiblement sa pique avait fait mouche, puisque sa sœur perdit patience.
« C’est vrai que toi t’as une grosse préférence pour les types pleins aux as, qui n’hésitent pas à se séparer d’un billet ou deux à chaque fois que t’enlèves ton t-shirt … »
Choquée, Mila ouvrit la bouche pour répliquer. Est-ce que sa sœur venait sérieusement de la traiter de catin, devant toute la famille ? Décidément, Vittorio devait être un sujet particulièrement sensible, si Gaïa perdait ainsi les pédales et s’abaissait au stade des insultes. Elle ne fut cependant pas assez rapide, que sa mère intervint pour mettre fin à leur querelle. Et si la brunette baissa la tête face à cette réprimande, consciente que cette fête était le moyen de célébrer le mariage de Paolo et Nina, elle ne put que lancer un regard victorieux à Gaïa : elle avait gagné. Malgré l’injure sortie de la bouche de son aînée, Mila sortait victorieuse de cette joute verbale. Parce qu’elle avait été subtile, elle. Parce que c’était Gaïa qui avait dépassé les bornes en l’insultant. Parce que c’était Gaïa qui, en premier lieu, s’était fait disputer comme une enfant de cinq ans. Après un silence de quelques secondes, le déjeuner reprit son cours, Mila n’osant plus tourner la tête vers son aînée de peur qu’on la sermonne. Elle avait suffisamment à faire avec Enzo et son père, profitant de la proximité de ce dernier pour rire avec lui. La jeune italienne n’avait finalement pas besoin de parler à Gaïa ou de la regarder pour la faire enrager. Elle savait que celle-ci devait bouillir de rage en voyant la proximité de Mila et du patriarche, qui riaient ensemble et échangeaient de manière légère.
Enfin, le déjeuner prit fin et, dès qu’il fut possible de se lever sans froisser la matriarche, Mila bondit de sa chaise. Elle avait besoin de se dégourdir les jambes, de respirer. Elle n’était pas du genre à débarrasser la table ou à aider les autres et pourtant, ce fut l’excuse qu’elle choisit pour pouvoir s’éclipser en cuisine quelques instants. Elle proposa même de faire la vaisselle, espérant secrètement que sa sœur aurait mis les voiles lorsqu’elle aurait fini sa tâche, mais leur mère en décida autrement : Enzo et Paolo seraient de corvée. Laissant échapper un soupire théâtral – pour une fois qu’elle voulait aider, on l’en empêchait – elle quitta la maison pour prendre l’air. Elle ne fut pas surprise de voir Gaïa assise au bord de la piscine, les pieds dans l’eau. A bien y réfléchir, les deux sœurs avaient de nombreux points communs, et après un tel affrontement, il était normal que l’aînée ait eu besoin, comme la plus jeune, de s’aérer pour reprendre des forces.
« Qu’est-ce que tu veux, Mila ? »
La brunette se contenta un instant de l’observer, restant à quelques pas, en retrait.
« Papa sait que tu fumes ? »
Le sous-entendu était très clair : une raison de plus pour le patriarche d’être déçu de sa chère fille.
« Je te préviens, ici t’auras pas maman pour te défendre. »
Mila laissa échapper un rire sans joie.
« De quoi ? De tes insultes ? Tu comptes encore me traiter de pute et tu espères me voir pleurer ? »
La jeune femme n’avait jamais couché pour de l’argent. Elle aimait séduire, certes. Elle n’aimait pas les relations sérieuses, certes. Pour autant, cela ne faisait pas d’elle une prostituée. Et si l’insulte de sa sœur l’avait choqué, proférée ainsi devant toute la famille, elle ne l’avait pour autant pas blessé.
« Tu m’avais habitué à mieux, Gaïa. C’est bas, même venant de toi. »
Elle se ramollissait. A l’époque, sa répartie était plus aiguisée, sans qu’elle n’ait besoin de recourir aux insultes. Mila en était presque déçue, d’avoir gagné de cette manière. Elle aurait aimé une joute verbale d’un niveau plus élevé, un échange plus long, plus subtil. Doucement, elle s’approcha du bord de l’eau, observant le soleil qui s’y reflétait.
« Ca m’étonne que tu sois encore là. Je pense que tout le monde t’a tout dit, et ce n’est pas Papa qui viendra te dire au revoir. »
Elle pouvait s’en aller, et revenir dans plusieurs années : ce serait largement suffisamment pour la benjamine, qui n’était pas impatiente de revoir sa sœur. En l’absence de Gaïa, elle n’avait pas à vivre dans son ombre. En l’absence de Gaïa, elle était enfin le soleil.
« Ciao, Gaïa ! »
En une fraction de seconde, Mila était à côté de son aînée, qu’elle poussa dans la piscine.
WIN – Gaïa n’eut pas le temps de réagir, et elle finit dans l’eau. Mila était hilare et s’éloigna rapidement pour éviter toute idée de représailles. Elle rejoignit discrètement la maison, espérant échapper aux foudres maternelles.
SO CLOSE – Gaïa attira Mila dans sa chute. Les deux sœurs finirent trempées. La plus jeune jeta un regard courroucé à son aînée et sauta sur elle pour tenter de lui mettre la tête sous l’eau. Enzo et Paolo accoururent pour séparer les deux furies et les sortir de la piscine.
FAIL – Gaïa évita l’attaque de Mila et c’est cette dernière qui finit à l’eau, seule. Elle était vexée comme un pou que son plan ait été déjoué, tenta d’arroser son aînée et sortit rapidement de l’eau, frissonnante. Elle rejoignit la maison, claquant la porte derrière elle avant d’aller s’enfermer dans sa chambre.
LE DESTIN
l'omniscient
ÂGE : des milliers d'années, mais je suis bien conservé. STATUT : marié au hasard. MÉTIER : occupé à pimenter vos vies, et à vous rendre fous (a). LOGEMENT : je vis constamment avec vous, dans vos têtes, dans vos esprits, et j'interviens de partout, dans vos relations, dans vos joies, vos peines. POSTS : 31460 POINTS : 350
TW IN RP : nc PETIT PLUS : personne ne sera épargné, c'est promis les chéris.AVATAR : je suis tout le monde. CRÉDITS : harley (avatar), in-love-with-movies (gif) DC : nc PSEUDO : le destin. INSCRIT LE : 15/12/2014
Le repas lui avait paru interminable. D’abord par ses joutes verbales avec Mila, plus violentes que d’habitude elle était prête à l’avouer, mais aussi par les questions un peu trop indiscrètes de sa mère malgré sa bienveillance, par les regards courroucés que lui lançait son père quand il acceptait de regarder dans sa direction, par le malaise par rapport à certains membres de sa famille qui ne savaient plus vraiment s’ils pouvaient s’adresser à elle normalement quand ils risquaient de froisser le patriarche. Oui, si sa mère avait un assez fort caractère pour remettre Dino Salvatori à sa place de temps à autre, tout en lui tenant tête, ce n’était pas le cas de tout le monde. Alors la jeune femme n’avait pas pu empêcher une vague de soulagement coupable l’envahir quand elle avait pu s’éclipser pour retrouver ses esprits. Tout lui semblait bizarre, car tout était familier ici, c’était sa maison d’enfance, sa famille, et pourtant elle se sentait comme une étrangère. Et le sentiment était suffisamment désagréable pour qu’elle renoue avec une mauvaise habitude, allumant la cigarette qu’elle avait emprunté à sa belle sœur. Au bord de la piscine, volutes de fumée envahissant ses poumons, elle avait retrouvé un semblant de calme. Qui avait cependant rapidement faibli quand elle avait entendu des pas qui se rapprochaient. Inutile de se retourner pour deviner de qui il s’agissait. Gaïa avait pris sa sœur de vitesse en lui demandant ce qu’elle faisait là, sans lui laisser le temps d’en placer une. L’hostilité dans sa voix n’était pas feinte. Le bruit de pas avait cessé. « Papa sait que tu fumes? » L’aînée avait laissé échapper un rire mesquin. « S’il n’est pas au courant, ça ne fera qu’un détail de plus à ajouter à sa liste. » La liste de pourquoi il lui en voulait, pourquoi il n’acceptait plus de lui parler, ou même de la regarder. Qu’elle puisse fumer se trouverait probablement parmi les délits les moins graves… La présence de Mila l’incommodait plus que de raison, d’autant que cette dernière n’était pas là par hasard. Mila ne faisait jamais rien par hasard quand il s’agissait de sa sœur. Alors la journaliste l’avait mise en garde; leur mère ne pourrait pas lui sauver la mise ici, en réduisant l’aînée au silence de son autorité naturelle. L’autre avait eu un rictus. « De quoi? De tes insultes? Tu comptes encore me traiter de pute et tu espères me voir pleurer? » La blonde n’avait rien répondu, fixant le reflet de ses pieds dans l’eau fraîche. Elle avait été un peu loin pendant le déjeuner, probablement même beaucoup trop loin. Mais elle aurait préféré se faire arracher la langue plutôt que de l’avouer. Alors elle était restée silencieuse, tout en espérant que sa sœur finirait par déguerpir. Mais c’était trop lui demander. « Tu m’avais habitué à mieux, Gaïa. C’est bas, même venant de toi. » Ce n’était qu’une preuve supplémentaire que sa cadette faisait ressortir ce qu’il y avait de pire en elle. En même temps, elle avait découvert qu’elle devenait encore plus mauvaise en sa présence quand il s’agissait de Vittorio. La blonde ne tolérait pas d’entendre ne serait-ce que le prénom de son amant sur la langue de Mila, bien que cette dernière l’employait uniquement pour faire enrager son aînée. Avec succès. « Faiblesse passagère. Ne t’y habitues pas trop, la prochaine fois je saurais te remettre à ta place proprement. » Sous-entendu, sans la traiter de catin devant toute la famille proche. Avec son venin habituel et ses mots qui visaient effroyablement juste, sa classe naturelle - pour peu qu’on puisse parler de classe quand il s’agissait de rabrouer quelqu’un. Pour la première fois depuis très longtemps, Mila avait gagné une bataille. Mais en ce qui concernait la guerre, elle était sacrément à la traîne. À la surface de l’eau, Gaïa avait vu apparaître le reflet du visage de sa cadette, qui s’était rapprochée du bord. « Ça m’étonne que tu sois encore là. Je pense que tout le monde t’a tout dit, et c’est pas Papa qui viendra te dire au revoir. » Touché. Pour autant, la remarque lui fit moins mal aujourd’hui qu’elle n’aurait été douloureuse quelques années en arrière. La journaliste n’avait même pas esquissé une grimace, restant impassible à la provocation. Mais puisque la pique ne pouvait rester sans réponse, l’italienne avait été sur le point de répliquer. Mais Mila l’avait prise de court, en arrivant à ses côtés d’un mouvement étonnamment rapide. « Ciao, Gaïa! » Cazzo. Elle avait osé. La brune avait osé la pousser, et elle allait terminer dans l’eau. Hors de question qu’elle se laisse faire aussi facilement. Au prix d’un effort, la journaliste était parvenue à attraper le poignet de sa sœur avant que cette dernière n’ait le temps de s’éloigner. Et l’élan de la chute les avait fait basculer toutes les deux dans l’eau. Quand elle avait refait surface une petite seconde plus tard, Gaïa était furieuse, une rage que Mila semblait partager en écho. Cette dernière s’était jetée sur elle, avait vainement tenté de la refaire basculer sous l’eau, tandis que la blonde essayait de lui rendre la politesse. C’était leurs cris qui avaient alerté Enzo et Paolo, débarquant au niveau de la piscine la minute suivante. Le plus jeune n’avait pas hésité une seconde avant de sauter dans l’eau à son tour, ceinturant Mila pour la séparer de son aînée. Après un bref regard en arrière pour la journaliste, Enzo avait entraîné la brune vers la maison sans lui laisser l’opportunité de résister. De l’autre côté, Paolo avait tendu une main pour aider la blonde à sortir de l’eau. Elle était trempée jusqu’aux os, un brun honteuse, mais la satisfaction d’avoir entraîné sa cadette dans sa chute restait supérieure à tout le reste.
Quand elle avait retrouvé Vittorio quelques heures plus tard, dans leur chambre d’hôtel, Gaïa était vidée de toute énergie. Accoudée à la balustrade du petit balcon, perdue dans ses pensées, elle ne l’avait pas entendu arriver, et avait sursauter quand une main avait glissé sur ses reins pour retrouver sa taille. « Comment c’était? » L’italienne avait exhalé un long soupir, s’abandonnant à son étreinte. « Comme un repas de famille. Interminable. » Ce qui aurait dû être un joyeux moment de retrouvailles s’était transformé en mauvais rêve. Elle aurait pu s’en douter, pourtant. Lentement, Gaïa avait pivoté dans le bras de son amant, pour mieux enrouler ses bras autour de son cou. « Embrasse-moi. » L’italien ne s’était pas fait prier, et durant la nuit qui avait suivi, chacun s’était employé à faire oublier à l’autre à quel point leurs journées respectives avaient été mauvaises, par des caresses, des baisers, des étreintes.