some things are meant to be
Spencer Blackwell & @Mac Sutherland

(05.04.2023) Prendre des décisions et t’y tenir, ça a jamais été ton fort. Encore que, dès qu’il s’agit de se foutre dans des emmerdes ou ruiner tes chances, t’es plutôt balèze, mais pour le reste c’est pas trop ça. Et pourtant quand tu vois ta situation d’aujourd’hui, tu te dis que finalement t’as pas tout foiré. C’est pas parfait, bien loin de là, même, mais quand tu compares à ta vie d’avant, c’est franchement pas si mal que ça. C’est même carrément mieux. Première fois depuis tes quatorze ans que t’es ni bourrée ni défoncée pour ton anniversaire. Première fois surtout, que t’as pas envie de te mettre minable pour oublier tout ce qui t’entoure et éviter de penser à tout ce qui ne va pas. C’est inespéré d’en être arrivée là, vraiment. Y a encore deux ans, t’étais au fond du trou, rien à quoi te raccrocher pour remonter, aucune idée de quoi faire ou comment le faire, rien n’avait d’importance sinon la poudre qui finissait dans tes narines. Ça a été compliqué, d’arriver jusqu’à tes vingt-sept ans. Un putain de parcours du combattant et t’en as chié plus que de raison en refusant systématiquement les rares mains tendues qui t’étaient proposées. Il était plus que temps que ça change. Tout ce qu’il a fallu, c’est retrouver ta meilleure amie slash crush d’ado slash amour de ta vie slash plus grand regret ; qu’importe le terme que tu pouvais lui attribuer au moment où t’es revenue dans sa vie. Pour elle, ça vaut le coup d’essayer et de donner le meilleur de toi-même. Ça vaut le coup pour la voir sourire, pour la sentir frissonner sous tes baisers, pour l’entendre te dire qu’elle t’aime et tous les autres petits détails. Et voilà, ce soir c’est le grand soir, la suite presque logique de votre relation pour le moins chaotique. Y a eu un sacré paquet de faux pas et d’erreurs de parcours, mais c’est rien en comparaison de tous les bons moments et de tout ce que t’as accompli grâce à elle. La demande que tu comptes faire ce soir, t’y as longuement réfléchi et t’es sûre de toi. T’as même acheté une foutue bague bradée à un pawn shop de quartier parce que t’as pas tellement les moyens de viser plus haut pour le moment. T’as fait particulièrement attention à ce que le bijou ne soit pas gravé au prénom d’une autre, même si t’es sûre que c’est le genre de connerie qui la ferait rire. Promis, quand t’auras de la thune de côté, tu lui en offriras une digne de ce nom. T’as joué tous les scénarios possibles et imaginables dans ta tête depuis le début de semaine et t’espères juste qu’elle se doute de rien ou qu’elle ne va pas s’imaginer que tu caches quelque chose d’autre.
Le plan est simple ; prendre un uber, aller au resto puis direction la chapelle dans une rue adjacente, faire ta demande et surtout surtout ne pas oublier de respirer dans le procédé. Le plus dur dans tout ça, c’est d’avoir dû se dépêtrer de ses bras après avoir profité comme il se doit de sa surprise à elle. Des comme ça, elle en fait tous les jours si elle veut ; promis tu te plaindras jamais de la voir parader en petite lingerie et tout ce qui va avec. Les deux premières parties de ton plan foireux se sont déroulées sans accroc, et même pour toi c’était difficile de foirer ça. La partie facile passée, t’as senti ton stress grimper en flèche quand t’as attrapé sa main à la sortie du resto pour l’emmener vers la dernière étape. Merde, t’as le coeur qui se serre à l’idée d’un potentiel rejet et en même temps, tu le sens qui s’emballe comme jamais si elle accepte. Le but du jeu maintenant, c’est de pas faire un arrêt cardiaque avant la fin de la soirée. « Hé, attends. » Tu dis doucement en serrant ses doigts pour l’arrêter avant que vous ne soyez totalement arrivées à l’intersection de la rue. Là, juste derrière, y a la Elvis Chapel que t’as repérée y a des semaines de ça et peut-être même qu’elle sait déjà que ça existe et que c’est là, que finalement elle a deviné où tu l’emmènes depuis bien longtemps mais qu’elle a rien dit pour te faire plaisir. C'est pas Vegas, pas encore, mais ça fera le travail pour une cérémonie de faux mariage en attendant le vrai. « Avant qu’on avance j’voulais- » T’as déjà oublié ce que tu voulais dire, parce que la véritable raison c’est que plus vous vous rapprochez de l’échéance du moment, plus t’as envie de temporiser. Peut-être que finalement c’est le bon moment pour annuler la mission et faire marche arrière, rentrer à l’appart pour terminer la nuit sous les draps et remettre ta demande à un autre jour. Et pourtant lorsque tu croises son regard curieux, tu peux pas t’empêcher de sourire comme une idiote et d’aller l’embrasser pour te donner un peu de courage. « T’es belle. » Tu lui répètes pour la énième fois depuis le début de la journée. « Tu- T’es prête ? Parce qu’on est presque arrivées et heu- Putain tu vas te foutre de ma gueule c’est sûr. » Un rire nerveux s’échappe alors que tu te rends compte à quel point toute la situation est aussi niaise que grotesque. Tant pis, plus question de faire marche arrière maintenant.

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T’as passé la soirée - non, la semaine à être nerveuse et j’ai pas su à quoi l’imputer, au début, avant d’être quasiment sûre de moi en reliant ton état à ton anniversaire approchant. T’as mentionné ta fameuse surprise sans jamais m’en dire plus, me laissant craindre de faire doublon sur le cadeau que je voulais te faire - alors j’ai retenu la leçon, j’ai sagement monté mon plan dans mon coin en prévoyant le moins possible : juste nous deux, dans notre nouveau chez-nous, avec un cadeau que tu pouvais retirer directement sur moi. Mais même après, t’es restée incroyablement mystérieuse, voire mutique ; tout le long du repas, t’as eu l’air d’une gamine qui a repeint le mur des toilettes avec de la play-doh bien collante : prête à rien dire, même sous la torture.

Alors je m’attends à tout, et quand tu commences à me guider dans les ruelles je me prête au jeu, faisant mine de regarder partout sauf en face, le nez en l’air à regarder les enseignes de magasins fermés depuis des heures. Quand tu nous arrêtes, il n’y a autour de nous que qu’une épicerie de nuit, des habitations aux portes drôlement peu robustes et un tattoo shop à la devanture brisée par plusieurs coups de contondants - ou de balles, qu’en sais-je. L’espace d’un instant, tu nous arrêtes d’une pression sur ma main et je me demande si tu comptes nous emmener nous tatouer quelque chose en commun, et je trouve rien de plus con que sortir « on va me faire tatouer ton prénom sur l’underboob, c’est ça ? » d’une voix un peu tremblante. C’est plus fort que moi, l’anxiété me gagne un peu plus à mesure que le temps file et si je l’ai consignée soigneusement jusqu’au repas, j’ai de plus en plus de mal à la tenir en laisse.

Mais tu dis rien, tu te perds dans ta phrase et tes pensées et je crois déceler un quart de secondes d’hésitation avant que ton sourire ne reprenne le dessus et envahisse jusqu’à tes yeux. « Euh, j’suis sûre que j’étais mieux en soutif tout à l’heure, mais merci. » C’est toujours pas très stable et le rire est nerveux, mais je te souris tout aussi sincèrement et je presse ta main à mon tour, comme pour t’encourager, te glisser le message que allez, merde, je vais imploser si je dois encore attendre cinq minutes. Je sais pas si le message passe, alors je hoche vivement la tête à ta question pour pousser l’évidence jusqu’au bout : oui, je suis prête, promis, et il y a moyen que mon coeur me lâche si on passe pas au plat de résistance là, tout de suite. « Putain, c’était sûr. Avoue, c’est le prénom sur l’underboob », que j’ajoute même histoire de rayer complètement l’option. Alors je te laisse me guider dans une nouvelle ruelle sur notre gauche, et cette fois je n’essaie pas de cacher le fait que mes yeux vaquent un peu partout - jusqu’à se glisser sur une devanture en pierre tout aussi pourrave que les autres, mais décorées d’une espèce de croix à l’envers. Les yeux glissent sur le reste, s’attardent sur l’architecture de bâtiment désaffecté, puis sur le néon à la con qui entoure la croix, et sur le nom de la chapelle devant laquelle on est à ça de s’arrêter. C’est moi, qui nous arrête, parce que j’ai peur d’avoir compris, puis je suis contente de l’avoir fait, puis j’ai encore plus peur de me tromper. « Spence ? » je demande, manifestement perdue, trop inquiète de me faire la mauvaise idée. C’est plus mon coeur qui bat à en craquer, c’est tout mon corps, et j’ai besoin que tu me sortes de cette attente constante avant que je finisse par en clamser sur le trottoir d’une Elvis chapel à moitié sataniste.

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Elle stresse autant que toi, c’est sûr. Peut-être même plus et t’aimerai bien connaître les théories qu’elle a pu faire. Elle en balance une première quand tu t’arrêtes juste devant un tattoo shop et t’avais même pas fait gaffe à l’endroit. Tu souris en haussant les épaules, jouant une fois de plus l’air mystérieux avant de tâter le terrain, pourtant presque à deux doigts de rentrer en courant. « Tu l’es tout le temps. » Même si y a quand même un truc en plus de la voir en Victoria’s Secret, forcément. Voilà, tu flattes pour ne pas paniquer, tu retardes l’échéance et t’as presque l’impression que t’es à deux doigts de lui annoncer un truc grave ou qui va la mettre en colère ou la rendre triste. C’est pas le cas, en principe. De nouveau, tu ris légèrement lorsqu’elle reparle du tatouage. « Même si j’suis sûre que ça t’irait super bien, c'est pas ce que j'avais prévu, non. Mais garde l’idée pour plus tard, j'aime bien. » Peut-être qu’elle aurait préféré ça, genre matching tattoo ou n’importe quel geste moins engageant mais tout aussi symbolique. Alors oui, elle est prête et t’as plus qu’à faire semblant de gérer ton trop-plein d’émotions maintenant que vous tournez dans la bonne rue.
Et le voilà, le moment fatidique, celui où elle pose les yeux sur la devanture un poil miteuse mais qui ne laisse pas place au doute sur le genre d’endroit que vous vous apprêtez à visiter. Toi, stressée comme jamais, tu la quittes pas du regard, tu guettes la moindre de ses réactions et tu retiens ta respiration comme si ça allait aider en quoi que ce soit. Ton prénom quitte ses lèvres, à la recherche d’une réponse ou d’une confirmation quelconque et tu te retiens de lâcher un “tadaaaa” parce que t’es à peu près sûre que ta voix va dérailler dès la première note. « Franchement ça avait l’air moins craignos sur leur site, mais c’est même pas si mal noté que ça et apparemment ils sont sympas. » Tu désamorces comme tu peux, tu fais au mieux pour pas avoir l’air d’une cinglée à bout de souffle et pour masquer toute l’anxiété qui continue de remonter. Merde, c’est sûr que ton coeur va lâcher à ce rythme là, c’est normal ces palpitations, là ? « Tu sais comme on a souvent fait la blague, et bon c’est pas Vegas mais j’me suis dit que c’était- Que ça pourrait être marrant, d’le faire là, tu vois ? Genre pour de faux, parce que du coup j’pouvais pas leur filer toute la paperasse comme ça. » Et que si t’avais commencé à planifier un vrai mariage sans la mettre au courant, ça aurait été compliqué de le faire sans de lui demander tous ses papiers d’état civil et tout le fatras. Là les gars avaient juste besoin de son prénom et de son nom en plus du tien, de savoir si vous comptiez louer des costumes ou si juste le sosie d’Elvis c’était suffisant. « Et un jour, on pourrait vraiment- Enfin peut-être. Si t’as envie, quoi. » Mais dis le clairement à la fin, faire durer le suspense ne mènera à rien d’autre qu’encore plus de stress. « Pardon tu m’rends nerveuse. » Tu ricanes en soufflant un peu, ton regard se posant furtivement sur ses traits alors que tu t’éclaircis la gorge pour reprendre. Pourquoi c’est plus dur que ce que tu t’étais imaginé ? « Je sais que ça a été une année… Bizarre. Qu’on a eu des moments compliqués et tout, mais ça change rien au fait que j’t’aime comme une dingue et que- » Encore une fois, tu vas partout sauf droit au but, mais t’y peux rien. Okay, allez. T’aurais bien gardé sa main dans la tienne pour te donner encore un peu de courage, mais difficile d’aller fouiller ta veste avec ton plâtre. Alors tu la lâches doucement, juste le temps de saisir le boîtier et de le serrer dans ton poing. « C’que j’essaie de dire, c’est- » T’ouvres les doigts pour lui dévoiler l’écrin, et tu te rappelais pas que ça pesait si lourd que ça, t’as l’impression de soulever un bijou d’une tonne tant il te pèse. « Épouse moi ? Même si- Même si c’est juste pour une nuit. » Ca y est, la bombe est lâchée, tu te sens déjà soulagée et en même temps t’en morte de trouille pour la suite. Dans deux secondes ton cerveau grille, c’est sûr. C’est là que t’attends tous les contre-arguments qu’elle va sortir pour te dire que c’est pas une bonne idée, que c’est beaucoup trop tôt, qu’elle est pas prête ou qu’elle te fait toujours pas assez confiance pour sauter cette étape là avec toi, c’est pas les raisons qui manquent. Promis, si elle refuse tu le prendras pas mal, ça te conviendra tout aussi bien d’aller te marier pour de faux dans cinq minutes et de faire comme si de rien n’était. Ça sera dur à encaisser, mais tu t’en remettras, vous avez affronté pire que ça. Elle a le droit d’avoir des réserves et peut-être même qu’elle le devrait.

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On se poste sans plus bouger devant la chapelle, et je cherche désespérément une confirmation ou un signe quelconque dans tes yeux qui me signifierait qu’on est au bon endroit. Mon regard fait la navette entre la devanture un peu glauque et ton regard qui s’est fixé dans le mien, me faisant comprendre que t’es tout aussi anxieuse que moi, sinon plus ; tu me réponds avec des banalités confuses qui ne me sont d’aucune aide et je ne suis pas plus avancée sur ce que tu veux qu’on fasse ici qu’à la base. Toujours, mon rythme cardiaque monte en flèche alors que les implications de notre présence s’épaississent et commencent à faire sens ; j’ai peur de m’avancer, pourtant, ah oui, la blague, super, c’est un bon clin d’oeil, mais c’est pour de faux, je comprends pas tout mais je déchante, c’est les montagnes russes sur un trottoir recouvert de chewing-gums collés et de crachats, pile ce qu’il faut pour penser qu’on se fait demander en mariage alors que non.
Le positif dans tout ça, c’est que t’as l’air de savoir autant que moi ce que tu racontes et je te vois pédaler pour réussir à avoir un minimum de sens entre tes phrases sans y arriver pour autant. C’est grammaticalement correct mais c’est à peu près tout. « Hein ? » J’interjecte en riant tout aussi bêtement quand tu t’excuses du peu de sens que tu fais, mais mon rire à moi est davantage nerveux et un poil effrayé. J’ai désespérément besoin d’un point final, d’une conclusion à tes phrases qui s’enchaînent sans rien éclaircir du tout, et toi, tu trébuches sur tous tes mots avant de me lâcher pour aller récupérer un truc avec une main tout aussi nerveuse.

Puis c’est là. Même dans le noir, je devine l’espèce d’écrin, encore serré dans une main tremblante qui n’ose pas tout à fait le révéler. Mon coeur s’arrête, ou explose ; je saurais pas te dire de quelle manière il a abandonné la bataille, sinon qu’il l’a fait d’une manière ou d’une autre. « Oui », je m’empresse de répondre d’une voix quasi inconnue, j’attends à peine la fin de ta phrase et il se peut que je t’aie coupée sur la partie la plus importante, mais sur le coup je suis trop fière de moi sur le fait de ne pas pleurer pour le remarquer. « Mais, attends, euh », lâché-je avec le même air ahuri, sous les battements de mon coeur qui m’étourdissent mais me confirment que malgré les trois attaques, le pauvre vieux a toujours l’air de marcher, « tu me proposes pour ce soir et après on rentre, tranquille, ou…? » J’ai la bouche pâteuse et les neurones en boule, et il faut que je retienne la déception, l’espoir, la hâte et la confusion qui menacent de prendre le dessus d’une seconde à l’autre. Mon regard reste quant à lui vissé sur l’écrin, comme pour le transpercer et voir l’intérieur ; je sais même pas s’il y a quelque chose de tangible, là-dedans, s’il y a une vraie demande de ta part, si je me fais des idées. Je comprends pas, non plus, à quel moment t’as pu aller chercher et trouver une bague, qu’elle soit en toc ou faite avec le petit ruban plastique autour des sachets de pain de mie ; je me demande même pas si ça a de l’importance, parce que t’es là et tu me fixes avec une nervosité grandissante, mais aussi beaucoup d’amour, et je m’en sens envahie. « Je comprends pas trop, en fait, je crois. » Je dois m’éclaircir la gorge pour rester compréhensible mais je suis bien consciente, déjà, d’avoir perdu toute contenance et allure. Je viens attraper ta main dans laquelle l’écrin est toujours serré et verrouillé, juste pour avoir ton contact alors que l’autre saisit délicatement ton plâtre recouvert de zobs pour caresser la résine qui entoure ton bras. « Tu me demandes si je veux t’épouser pour de vrai ? » Les mots sont étrangers quand je les prononce ; je pensais pas être confrontée à ça, un jour, pas si tôt, pas de ta part. Et ça me remplit le coeur d’une espèce de chaleur dont je ne sais plus bien quoi faire. « Parce que oui. Pas que pour une nuit. » Les chances que je me trompe sont à peu près de 70%, vu tes élucubrations, mais je décide de me fier aux 30 restantes. Et au pire, même si c’est pas ce que tu demandais, j’aurais fait ma demande en rebondissant sur la tienne. Autant profiter d’un infarctus pour tous les enchaîner.

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Tu l’as complètement perdue, à force de traîner en longueur et de prendre des détours inutiles. T’as essayé, pourtant, d’être directe et concise, mais c’est comme si ta bouche avait sa volonté propre et décidait d’elle-même de déblatérer tout et n’importe quoi pour évacuer le surplus d’anxiété. Et finalement ça sort, plus mal que bien, mais ça sort. Sa main attrape la tienne et à tout instant, tu t’attends à ce qu’elle commence à expliquer en long en large et en travers pourquoi c’est une mauvaise idée, que vous êtes bien comme ça et qu’il n’y a pas besoin de changer tout ça. Tu déglutis alors que les quelques secondes de flottement qui suivent paraissent interminables, ça dure une éternité et t’es pas sûre de comment l’appréhender réellement. Cette fois, elle te demande confirmation verbalement, juste histoire de s'assurer qu'elle a bien compris et que c'est une demande légitime et pas juste une connerie orchestrée pour aller voir le sosie du King dans cinq minutes. Toi, t'as tout donné juste avant et t'es plus capable d'aligner deux simples mots, la seule chose que tu peux faire pour lui répondre, c'est hocher la tête comme une enfant. Tu lui confirmes que c’est bien une vraie demande, un truc sérieux. Parce que oui, qu'elle te répond, et pas que pour ce soir. Tu jures que ça te fait un truc au cœur, d'entendre ça, même qu’il rate probablement quinze battements, repart tout aussi fort comme pour signaler à ton cerveau qu'il est temps de réagir et c’est presque assourdissant.
D’un coup d’un seul, c’est toute la pression qui retombe et qui s’évacue dans un énième rire secoué de nervosité alors que tu réalises pas encore tout à fait qu’elle a dit oui et que t’as pas juste imaginé sa réponse. Il faut quelques secondes à l’information pour monter jusqu’à ton cerveau et procéder ses mots. « C’est vrai ? » Tu demandes d’une toute petite voix étranglée par le surplus d’émotion et bordel que ça fait du bien, d’avoir envie de pleurer pour quelque chose de bien. Ça change de toutes les autres fois, c’est un tout autre niveau d’investissement émotionnel et tu sais pas comment tu fais pour rester suffisamment composée pour garder la face. Ton visage se fend d’un sourire et ça y est tu tiens plus, tu l’embrasses une fois, deux, trois, tu marmonnes des "je t'aime" contre ses lèvres et tu fais au mieux pour te maîtriser et en rester là pour l’instant. Tes doigts encore fébriles manœuvrent pour ouvrir l’écrin sans le faire tomber et en sortir la bague qu’il contient, un rire nerveux t’échappe alors que tu la glisses à son annulaire. Elle a accepté, tu te le répètes sans trop savoir si t’y crois, si c’est pas ton esprit qui a pété un câble et qui a imaginé tout ça pour faire le deuil du rejet ou tu sais pas. Pourtant quand tu caresses sa main et que ton pouce s’attarde sur l’anneau, tu peux pas t’empêcher de sourire comme une demeurée. A nouveau, tu trouves ses lèvres et t’y attardes un instant avant de poser ton front contre le sien. « J'suis désolée c'était pas super compréhensible, comme demande. » Mais maintenant c’est fait et t’as l’impression qu’on t’a retiré un poids de l’estomac ça fait un bien fou. « On est supposées avoir rendez-vous dans la chapelle dans genre… Cinq minutes. Et heu c’est pas un vrai truc ce soir, hein. Enfin c'est pour s'amuser, quoi. » C’est sans doute utile de préciser que tu l’as pas emmenée dans un traquenard à la con et que vous allez pas réellement rentrer ce soir en étant réellement unies pour la vie. Quand vous en arriverez là, tu veux que ça soit un truc sérieux, avec ses proches et les gens qui comptent vraiment. « Mais heu- On est pas obligées d’y aller, hein. Genre on peut rentrer et célébrer ça juste nous deux. » Tu souffles sans oser faire le moindre mouvement de peur de briser l’instant où de te retrouver face à un brutal retour à la réalité. « Sauf si tu veux vraiment voir le King. » T'es pas sûre que ça soit au même niveau qu'un vrai truc à Vegas, mais c'est l'intention qui compte.

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Je m’attendais à tout, sauf à ça, et je devrais flotter, mais tout ce que j’arrive à faire, c’est d’attendre jusqu’à ce que tu le reprennes, que tu te ravises d’un non, en fait, je sais pas ce que je dis avec ton rire nerveux qui demande des excuses sans trop savoir comment. Je t’en voudrais même pas, je pense : c’est énorme, ce que tu me dis là. C’est plus gros que moi ou que nous deux, c’était pas un truc dont on a parlé jusqu’à présent parce que tout était encore fragile et embryonnaire, et franchement, c’était pas du tout dans ma timeline. J’ai toujours été le genre de meufs à en avoir une, pourtant ; mariage à 28 ans, achat à 30, premier gamin à 32 maximum, mes parents étaient réglés comme du papier à musique avant que tout ne se foute en l’air et j’ai cherché à rattraper un peu de stabilité en m’enfonçant à mon tour dans un plan à la con. Je l’ai abandonné sans même y penser, en entamant une relation avec toi, parce que je me foutais soudain du mariage, des possessions et des mioches tant que je t’avais toi, en bonne santé et heureuse. T’avoir et prendre les choses un jour à la fois, ça m’a fait remettre tout ça en question pour mieux me rendre compte qu’au fond, je m’en foutais.
Et puis là tu me fais ta demande et j’ai la sensation que tout en moi explose jusqu’au bout des doigts, je te dis oui mais je sais pas à quoi je dis oui exactement, est-ce que tu me demandes vraiment ou est-ce qu’on est sur une blague mal calibrée. Tant pis pour la prudence : autant te dire que oui, je veux t’épouser, tant pis si c’est que pour ce soir, mais préférablement long-terme ; bien sûr, que j’ai envisagé de t'épouser, mais pas avant plusieurs années pour pas te faire peur.

A mon tour de hocher la tête quand tu demandes confirmation ; je me laisse engouffrer dans tes bras et les miens se nouent automatiquement autour de ta taille pour te garder contre moi alors que nos lèvres se retrouvent. Je souris contre les tiennes ; je les sens à peine sous les battements de mon coeur, c’était trop beau d’espérer et ça l’est peut-être toujours, mais pour l’instant je m’y noie avec plaisir, mon coeur part en marathon quand je sens un anneau vêtir mon doigt gauche et ça y est, putain : mes joues sont trempées, mais d’un mélange un peu saugrenu de soulagement, de joie et de redescente d’un stress que j’ignorais contenir à ce point. C’est compliqué de relâcher tes lèvres ; je grogne presque quand tu nous sépares et que tu poses ton front contre le mien, j’ai l’impression que je vais exploser sans toi. « J’sais pas trop, on m’a jamais demandée en mariage donc j’ai pas de point de comparaison. » Je respire tellement fort que ça me rend effroyablement gênée, mais je sais que si je me régule je risque de crever d’un manque d’apport en oxygène. « Putain, tu prévois ça depuis combien de temps ? » Tant pis pour la contenance : je t’embrasse à nouveau. C’est très, très tentant de rentrer tout de suite et de laisser le monde continuer sans nous pendant la nuit, mais je me raisonne : « T’as préparé le truc entier, si tu crois que j’compte pas en profiter tu te fourres le bras dans l’oeil. » Le vrai du vrai, au fond, c’est que je me fous du King, ou de la chapelle, ou d’un mariage pour de faux ; on peut le faire nous deux à la maison toutes nues, ce sera pas officiel non plus mais ce sera vrai, rien que pour nous et entre nous. Mais je veux faire honneur à ce que t’as prévu, jusqu’au bout - puis ça va prendre, quoi, cinq minutes ? Je te tire à ma suite, main gauche verrouillée dans la tienne, plus lourde maintenant qu’elle est ornée d’une bague. « Tu crois qu’ils vendent des bagues là-bas, ils ont une boutique ou un truc ? Je me sens trop conne de rien avoir pour toi, enfin j’aurais pas pu prévoir, mais bon, j’me disais bien qu’il y avait un truc, et genre- » Je m’interromps quand l’avant de ma chaussure me fait trébucher contre une dalle mal enfoncée, et je me rattrape de justesse, à temps pour récupérer mon cerveau. « Je pensais pas que tu voudrais ça avec moi. » Je le dis de manière beaucoup trop détendue pour quelqu’un qui est toujours débordée par l’émotion. On en a déjà parlé, mais jamais sérieusement, ou pas à ce point. « Ça fait longtemps que t’y penses ? » Je suis trop curieuse pour avancer rapidement ; on est sûrement déjà un peu en retard, mais je n’arrive pas à me concentrer sur ce qui arrive : mon esprit est toujours sur la bague, sur ta demande maladroite, sur mon coeur qui se remet pas et mes yeux qui fuient toujours comme un tuyau de chiottes mal relié. Si bien que lorsqu’on arrive devant, je me plante face à la porte sans l’ouvrir, je me sens foutrement sous-apprêtée, même pour un truc “pour de faux” : « Mais j’ai même pas de discours, et on a pas de témoins, putain j’suis sous-préparée, une honte. »

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Spencer Blackwell & @Mac Sutherland

Inconsciemment, ça te soulage un peu d’être la première à passer par là et à faire ta demande. T’imagines qu’elle te l’aurait dit, si Margot avait fait la sienne et t’aurais fait genre “ah ouais, tranquille” alors que dans le fond, c’est le genre d’info qui te fais grincer des dents pour aucune raison. « J’ai pas vraiment compté. Un moment, quoi. » Quelques mois, un an, y a pas tant de différence. Si t’as encore un peu le sentiment de brûler les étapes, il est trop tard maintenant pour faire marche arrière et quand bien même, t’es pas certaine qu’elle te laisserait faire. Et puis, t’en as pas franchement envie, de toute façon.
Tu sais pas si c’est l’émotion ou la mauvaise configuration du sol ou un mélange de tout, mais elle manque de se casser la figure et toi tu vois toute ta vie défiler devant tes yeux. Le moment de panique passé, tu lâches un « hé, reste avec moi » en l’aidant au mieux à se redresser. C’est pas le moment qu’elle aussi se pète un bras ou se foule une cheville, encore que, un faux mariage à la sauvette à l’arrière d’une ambulance ça peut rajouter un truc. Faudra juste penser à embarquer le Elvis et ça peut se jouer, mais autant éviter dans la mesure du possible. « J’crois qu’ils prévoient des bagues en toc, genre c’est compris dans la presta. » Et si jamais c’est pas le cas tant pis, vous irez en acheter une paire chez Claire’s demain et ça ira tout aussi bien. Pour ce soir vous pouvez très clairement vous en passer, le plus important étant clairement l’anneau que tu viens de lui passer au doigt. « Bein… Ca a jamais vraiment été dans mon programme jusqu’à- » Jusqu’à elle, jusqu’à vous, jusqu’à une sobriété et un cadre de vie suffisamment stable pour que t’envisages de te projeter après tant de temps à te contenter d’une existence passive. Tout n’est pas encore forcément très clair, t’as encore beaucoup de zones d’ombres sur lesquelles il te faut travailler, mais t’as enfin la sensation de pouvoir avancer et ça change tout. « Et ça pouvait être qu’avec toi. » Avec n’importe qui d’autre t’en veux pas, de toute façon. Tu l’as probablement déjà exprimé avant, pas forcément en ces termes là ou même concernant le mariage en particulier, mais elle aura saisi l’idée. T’es presque honteuse de l’avouer, dans un sens ça te désespère d’être incapable de voir que par elle et de t’appuyer sur sa présence à ce point. Dans un autre, tu t’en fous un peu et t’es on ne peut plus sérieuse et sincère dans tes mots pourtant encore un peu hésitants, toujours effrayée que ça soit trop tôt ou pas assez réfléchi de son côté. Pour toi c’est tout vu, ça fait des mois que tu te tortures l’esprit pour trouver quand faire ta demande, comment, où et tous les autres petits détails auxquels t’as pas forcément pensé en amont. « Un peu ? » Longtemps, oui et non. C’était qu’une vague idée pendant un moment, un souhait silencieux sans que t’oses réellement espérer le voir se concrétiser de si tôt. Tes relations amoureuses ont toujours été désastreuses, t’as jamais été suffisamment investie pour imaginer en arriver là un jour et, de toute manière, tu pensais pas non plus mériter un happy ending pareil. Et pourtant. « J’avais plus envie que ça soit juste une blague lancée comme ça. » Si à l’aube de votre relation t’étais pas certaine de la direction vers laquelle vous vous dirigiez, c’est plus du tout le cas aujourd’hui. D’une certaine façon, c’est aussi ta manière à toi de lui confirmer une fois de plus que tu comptes aller nulle part sans elle. Tandis que vous vous arrêtez devant la porte, tu peux pas t’empêcher de jeter un coup d’oeil dans sa direction en lâchant un léger rire amusé. « Ouais, bein, j’avais préparé un truc mais j’ai un peu tout oublié alors… » Alors vous êtes plus ou moins au même niveau puisqu’il vous faudra improviser. Une nouvelle fois, ta main valide quitte la sienne pour disparaître dans ta poche l’espace de quelques instants. Pas de surprise supplémentaire, mais un simple paquet de mouchoirs que tu lui tends avant d’entrer. Forcément que t’as prévu le coup, tu la connais suffisamment pour savoir qu’elle risquait de lâcher quelques larmes au cours de la soirée, et si c’était pas pour elle, ça aurait été pour toi, au cas où tout ne se serait pas passé comme prévu. Pour le coup, tu te gardes bien de la taquiner sur sa sensibilité, autant garder ça pour un moment où vous serez toutes les deux remises de vos émotions. Pour l’heure, tu récupères sa main que tu viens embrasser tendrement avant de jeter un oeil dans sa direction, histoire de t’assurer une dernière fois qu’elle a bien envie d’entrer là-dedans.
Le hall d’accueil est presque aussi miteux que la devanture et mériterait clairement un coup de peinture fraîche, mais globalement ça reste propre et moins pire que ce à quoi tu t’attendais. A peu de choses près tu pourrais croire que tu t'es trompé d'endroit, mais entre Burning Love qui joue en fond sonore et le grand type chauve à moitié habillé en Elvis, le doute n’est plus permis. Tu devines sans mal que ce qui ressemble à un rat mort sur le comptoir est tout ce qui manque pour parfaire sa tenue. Il tourne la tête vers vous, jauge un instant avant de se fendre d’un sourire en récupérant sa perruque. Sans perdre de temps, il vous invite à le rejoindre, vérifie quelques derniers détails fournis en amont et s’éclipse un instant histoire d’aller terminer quelques derniers préparatifs pendant que vous patientez encore un peu. « Okay, j’crois qu’on y est. » Tu marmonnes en serrant doucement la main de ta partenaire. « Merci de bien vouloir faire ça, même si c’est sûrement un peu débile et qu’on a pas de témoins. » Le pire dans tout ça, c’est que ça te donne vraiment envie de prendre des billets pour Vegas et d’aller faire ça en là-bas. En attendant t’as tout le loisir de déjà stresser pour une cérémonie qui est juste supposée être pour le fun, ça va donner le jour où ça sera officiel, tiens.

some things are meant to be
@Spencer Blackwell & Mac Sutherland  

Un moment, tu me dis ; ça fait un moment que tu y penses, que tu te poses la question, que tu cherches une bague peut-être et moi j’ai rien vu venir, trop engoncée dans l’idée que si quelque chose comme ça devait arriver, ça ne serait pas avant encore des années. Tout en même temps tu me rappelles que parfois, j’oublie de te connaître ; je pense te savoir par coeur et tu me surprends des façons les plus inattendues. Je t’ai connue récalcitrante et tire-au-flanc, je te redécouvre avec une bague que tu me passes au doigt au travers des larmes qui brouillent ma vision. « Okay », je réponds d’une voix tremblante quand tu te justifies, aussi maladroite que moi. Le plus angoissant est derrière, j’imagine : j’ai arrêté de me demander ce que tu prévoyais, et toi t’as entendu clairement mon oui. J’imagine que je me suis tant bornée à l’idée que tu serais instable et potentiellement fuyante que j’en ai oublié de voir que t’étais peut-être bien, dans ton quotidien avec moi, assez pour que t’aies envie d’y rester et d’en faire quelque chose de concret. Mais cette fois, comparé à toutes les autres, j’ai aucun mal à le croire.

« On sera deux à être nulles, donc. Parfait », je déclare sans maquiller mon soulagement alors que tu me rassures : pas de discours prévus, pas de belles tenues sinon celles qu’on avait au resto, rien de concret, de toute façon c’est pour de faux, pour le fun, un avant-goût de ce qui nous attend. Je t’imagine préparer tout ça, des recherches jusqu’aux prises de contact, je te vois visiter l’adresse pour t’assurer que c’est pas une église de témoins de Jéhovah bien maquillée et passer des heures dans une boutique pour trouver une bague. Tu sors un paquet de mouchoirs que tu me tends et même pour ça, je t’imagine avoir paré le coup ; tu me connais par coeur, sûrement mieux que l’inverse et ça me touche tellement sur l’instant que j’en oublie de pleurer. « Attends », je réclame quand t’embrasses ma main et que tu t’apprêtes à pousser la porte ; mes mains lâchent les tiennes pour se nouer autour de ta taille et je te serre fort contre moi, plus fort que toutes les autres fois, parce que j’ai l'irrépressible besoin de te prouver ma gratitude et mon amour et t’assurer encore que j’en ai envie, de tout ça. Le reste, on s’en démerdera. « Je t’aime », je murmure dans tes cheveux avant de blottir un peu plus ma tête dans ton cou. « Et merci. » D’avoir tout préparé, d’avoir pensé à ça et si bien gardé la surprise. D’être revenue, aussi. T’as bouleversé ma vie de toutes les manières en un an et je me suis pas rendue compte de combien j’en avais besoin avant que tu le fasses.

Et puis on pousse la porte et on rentre dans la cage aux fous. Ce n’est définitivement pas une église de témoins de Jéhovah bien cachée, je songe en saluant le secrétaire drag queen à l’entrée ; Elvis se détourne tranquillement pour remettre sa perruque et me faire comprendre que c’est bien lui, Elvis, qui officiera. On dirait un ensemble de tous les clichés les plus glauques, agencés d’une façon un peu douteuse : pas de doutes, on y est. « C’est pas débile », je te fustige en shootant le bout de ta chaussure avec la mienne, « c’est le plus beau jour de nos vies. » Ou l’un de ceux-là, en tout cas. Elvis revient tout sourires avec quelques papiers entre ses mains et un faux micro à l’ancienne, il nous indique sobrement que ça va commencer si on est prêtes, et je me demande si c’est son job à plein temps et s’ils cherchent à recruter. « Ouais, juste, z’avez des bagues à vendre ou autre ? Juste pour faire un peu officiel, quoi. » Le mec nous brandit deux bagues sous le nez, nous dit même que vous pouvez les garder, les filles, et elles sont en bonbons qui doivent avoir un goût de vieux et de pas terrible, mais ça passe tout de suite mieux avec un clin d’oeil.

« Moi d’abord ? »

J’ai hâte. C’est presque facile, de prendre ta main dans la mienne et de la caresser pour faire durer le suspense tandis que les doigts de ma main droite triturent la bague en bonbon sous l’effet de la nervosité. Je pouffe sans savoir si c’est nerveux, ou une simple réaction au ridicule qui nous entoure. « Tu m’as pas prévenue, donc j’ai rien eu le temps de préparer, mais - je voulais te dire merci, déjà. » Je me dandine d’un pied sur l’autre et je suis sûre que dans trois secondes, l’Elvis va commencer à soupirer parce que je ne respecte pas le timing. « D’être revenue, et d’être restée, et d’être là. Tu m’as prouvé tort sur tous les points, t’as persisté malgré tout, et regarde ce qu’on a construit », la main part dans tous les sens, elle englobe l’appart, nous deux, Marlon et Charlie, et les petits pas qu’on fait pour aller mieux, chacune notre tour mais toujours ensemble. « J’sais que c’est pour de faux, mais surtout que c’est quand même une promesse d’après, et de plein d’autres trucs, et je veux te la faire, moi aussi, cette promesse. Même si c’est pas grand-chose, pour l’instant. Je peux pas être plus heureuse qu’avec toi, et euh, je veux faire pareil pour toi. » Je commence à avancer la bague au niveau de ton annulaire quand le mec inspire vivement et se râcle la gorge : « Et euh- ah, oui. Tu veux, au fait ? »

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Pas de discours prévu, donc, ou en tout cas pas vraiment. Si t’avais plus ou moins une idée de ce que t’étais supposée dire une fois face à elle, ce n’est à présent plus le cas. Tant pis, tu vas improviser et ça sera aussi bien, au moins vous jouez à armes égales. Elle demande ton attention juste avant d’entrer et te prend dans ses bras, en retour ta main valide se glisse dans le bas de son dos pour lui rendre l’étreinte. « Je t’aime. » Tu répètes après elle en posant tes lèvres sur sa tempe, profitant quelques secondes de l’avoir là avant de vous engouffrer dans l’inconnu.
Si ça se trouve, vous venez de mettre les pieds dans le QG d’une secte ou tu ne sais quoi, mais finalement la présence d’Elvis te rassure et te fait sourire. Il récupère ses quelques affaires, part se préparer et t’évacues encore un peu de pression en sortant ce qui te passe par la tête. Tu récoltes un coup dans ta chaussure auquel tu lâches un « hé » indigné, avant d’hausser les épaules à son affirmation. « Pour l’instant. » Jusqu’au vrai mariage ou tout autre événement au moins aussi marquant et significatif pour votre vie à deux. Elvis revient, tout pimpant dans son costume blanc et rieur derrière ses lunettes de soleil, il sort même deux bagues en bonbons à la demande de ta partenaire et c’est sans doute encore mieux qu’un truc en plastique.
Elle d’abord, t’acquiesces alors qu’elle prend ta main et commence son speech improvisé. Comme toujours, t’es pendue à ses lèvres et dans d’autres circonstances t’aurais certainement balayé ses remerciements, clamant que c’était la chose normale à faire. Mais tu te tais, t’écoutes, tu la fixes avec ton regard amoureux et tellement mielleux et tu souffles un rire lorsqu’Elvis intervient avant qu’elle ne te passe la bague au doigt. « Je veux. » Et pas qu’un peu, tous les jours même, si elle veut. Le bonbon glisse sur ton annulaire et tu jures que ça te fait un truc au coeur aussi sûrement que si c’était un vrai. « Okay, mon tour ? » Tu souffles à l’attention de l’organisateur. « Je voulais te remercier, aussi. De m’avoir choisie, d’avoir cru en moi et de t’être accrochée à ce point alors que c’était tout sauf facile. » Avant elle, t’étais jamais le premier choix. Pas celui de tes parents, pas celui des adultes qui s’occupaient de toi, pas celui des autres enfants. Avant elle, tu te pensais pas fichue d’accomplir quoi que ce soit et certainement pas capable d’être aimée un jour. Avant elle, t’avais décidé de te plier à l’avis des autres et de rester cette cause perdue qu’on a arrêté d’essayer de sauver. Tu marques une légère pause pendant que du bout des doigts, tu traces l’anneau que t’as glissé au sien avant d’entrer, la vision t’arrache un sourire rêveur tandis que la sensation te prouve que c’est réel. « On en serait pas là, si t’étais pas aussi têtue, et franchement je changerai ça pour rien au monde. » T’ajoutes avec un léger sourire amusé. La pré-ado méfiante que t’étais, pas habituée à être le centre de l’attention et encore moins à recevoir des marques d’affection, a eu du mal à comprendre ce qu’elle voulait, cette autre gamine trop collante et trop tactile. Avec son humour absurde et ses grands yeux expressifs, elle a pris la place la plus importante dans ta vie sans que tu ne contrôles rien. « Je sais pas si tu te rends compte à quel point t’as tout chamboulé, pour moi, et à quel point je suis reconnaissante que tu l’aies fait. Et je te promets de passer le reste de ma vie à te le rendre. » Ca a commencé y a presque quinze ans, dès le moment où elle t’a repérée alors que tu débarquais dans cette nouvelle école avec ton air mauvais qui était là uniquement pour dissuader les autres de s’approcher. Ça n'a pas fonctionné sur elle, jamais, et si au début ça avait tendance à t’irriter au possible, on ne peut pas vraiment dire que c’est toujours le cas aujourd’hui. A ton tour, t’approches la fausse alliance de sa main, lâchant un « tu veux ? » calqué sur le sien, et une fois son accord donné tu lui passes la bague au doigt pour la deuxième fois de la soirée. « Meilleur anniversaire au monde, » tu lâches comme une gamine qui vient d’avoir le cadeau de ses rêves, et c’est même pas si loin de la vérité que ça. Et une déclaration comme ça venant de ta part, ça veut dire beaucoup. Quand il lâche un “vous pouvez embrasser la fausse mariée”, tu te fais pas prier.
Du coin de l’oeil t’aperçois l’assistant se ramener avec un énorme boombox dans lequel il fout une cassette. Une fois que son collègue lui a adressé un signe de tête, il appuie sur play et la bande fatiguée saute brièvement alors que la musique démarre tranquillement. Le sosie prend sa meilleure voix d’Elvis pour commencer à pousser la chansonnette au rythme de Can’t help falling in love, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas particulièrement doué dans l’exercice. Au moins il met du cœur dans son interprétation et c’est tout ce qu’on peut lui demander. C’est à la fois incroyablement cliché, rétro et un peu embarrassant, aussi, mais tous les jours tu signes si c’est pour la voir sourire autant. Ça prend tout ton self control pour ne pas te mettre à rire nerveusement et garder un air un tant soit peu sérieux face à la situation. C’est encore pire quand Elvis se rapproche et place son micro entre vous, quémandant ainsi votre participation à sa chanson sur “take my hand, take my whole life too, for I can’t help falling in love with you”. T’hésites un peu et tu te lances parce que merde, t’as signé pour ça alors autant aller jusqu’au bout et tant pis si tu te sens ridicule. De l’autre côté, l’assistant a même dégainé son appareil photo et t’avais complètement oublié que ça aussi, c’était inclu dans la prestation.