Le portable de la rousse s’alluma, ce qui attira de façon immédiate son attention. Elle l’ouvrit et vit un appel manqué de sa mère, qui lui avait laissé un message vocal, qu’elle n’avait même pas besoin d’ouvrir parce qu’elle savait ce qu’il raconterait : elle voulait qu’elle vienne manger à la maison, en compagnie de Weston & Selina. La Cavanagh ne détestait plus son beau-père, mais son allergie envers la blonde était toujours aussi forte, sans compter que celle-ci se décuplait lorsqu’elles étaient également en présence de Brianna, qui regardait toujours sa belle-fille avec une certaine tendresse. Berk, cette simple pensée lui donnait envie de vomir, elle allait donc une nouvelle fois user d’excuses pour retarder de nouveau ce moment. Chelsea n’hésitait pas à dire et redire qu’elle était débordée, alors qu’elle savait se dégager du temps quand elle en avait vraiment envie, elle avait su le prouver acceptant de déjeuner dans un restaurant avec sa tante ce midi. Elle espéra que celle-ci allait tenir sa langue ou sa mère allait se montrer de plus en plus insistante, en plus de lui faire un remontage de bretelles dont elle n’avait pas besoin. Tout ce dont elle avait besoin, c’était de savourer un bon repas dans un cadre esthétique, pour cela elle avait réservé des places en extérieur, dans un établissement donnant sur l’un des plus beaux parcs de la ville. Un parc dont elle connaissait chaque recoin, elle pensait en avoir photographié l’intégralité, il n’avait plus de secret pour elle. Elle pouvait donc le traverser sans marquer le moindre arrêt, du moins c’était ce qu’elle pensait jusqu’à ce qu’elle ne tombe sur une bande d’enfants. Chelsea se trouvait à quelques mètres d’eux, elle avait été prise du fort pressentiment que cette scène n’était pas banale, l’un d’entre eux était à l’écart. Les yeux bleus ne le quittaient plus, la tristesse qu’elle percevait sur son visage lui rappela celle qu’elle avait elle-même ressenti durant son enfance, beaucoup trop de fois. Elle ne pouvait pas intervenir, pour leur demander d’inclure ce petit garçon, parce qu’elle n’en avait pas la légitimité, elle était sur le point de reprendre sa marche quand elle cru entendre un injure. Pouilleux, son esprit lui jouait-il des tours en faisant un peu trop le rapprochement avec son propre vécu ? Le doute se dissipa lorsqu’elle vit un enfant le pousser.
Les souvenirs remontèrent à la surface de façon fracassante, en la projetant treize ans en arrière. Elle était une fillette heureuse d’être invitée à un anniversaire, qui pensait qu’elle allait enfin s’intégrer en fréquentant pour la première fois plusieurs camarades de classe à l’extérieur de l’école. Brianna lui avait laissé enfilé sa plus belle robe même si elle risquait fortement de la tâcher, la fête se tenant dans un gigantesque jardin, elle avait voulu lui faire plaisir et cela se faisait de plus en plus rare au fur et à mesure qu’elle grandissait. Elle avait été déposée devant la maison de celle qui l’avait invité, elle était la première arrivée, ce qui lui avait permis de partager des moments de complicité avec la star de la journée. Une enfant qu’elle vit s’éloigner d’elle progressivement dès que les invités se firent plus nombreux, ce qui lui semblait plutôt normal au début, jusqu’à ce qu’elle n’entende des messes basses. Pourquoi t’as invité poil de carotte ? Qu’elle avait entendu en premier lieu. Elle pue, prononça un autre enfant. Ses lèvres s’étaient pincées, elle ne devait pas répliquer, sinon elle ne ferait que démontrer qu’elle avait un mauvais caractère, qui justifiait le fait qu’elle soit mal aimée. Se faire violence ne lui avait servi à rien, strictement à rien, elle n’était pas inclue dans les conversations, encore moins dans les jeux collectifs. Elle était devenue si transparente que personne ne remarquera qu’elle était partie en courant, se réfugier au fond du jardin. Chelsea y avait trouvé un chêne fendu, dans lequel elle trouva suffisamment d’espace pour se cacher afin d’y déverser ses larmes. Pourquoi le rejet était encore quelque chose de banal ? Pourquoi donner de l’espoir à un enfant pour se mettre à le brimer ? Le chagrin se dissipa pour laisser place à la colère. Elle ne pouvait pas laisser passer ça, quitte à paraître folle auprès des passants.
La rousse s’avança suffisamment pour pouvoir s’interposer entre lui et les autres, elle fusilla du regard celui qui l’avait poussé. Les mots lui restaient en travers de la gorge, little piece of shit, pourquoi avait-elle encore la décence de ne pas se montrer vulgaire ? Il la regardait avec mépris et lui demanda ce qu’elle faisait là. « Je t’empêche de faire quelque chose que tu vas regretter. » Rétorqua-t-elle. « Exclure un petit garçon est une chose, mais lui faire du mal en est une autre, encore moins acceptable. » Depuis quand était-elle devenue aussi pédagogue avec les enfants ? Amy lui répondrait depuis que sa fille existait. Un rire moqueur éclata avant qu’il ne réponde à son tour. « Je fais ce que je veux moi, bouge. » L’insolence du bourreau en herbe l’échauffa au point de rendre son visage rouge. « Tu ne me parles pas sur ce ton, petit con. » Deux mots qui suffirent à détourner les têtes des adultes vers elle et choquer les autres bambins. « Tu sais pas qui je suis. » Cette phrase avait tout l’air sorti d’un disque rayé, elle ne pensait pas qu’elle l’entendrait de nouveau depuis qu’elle avait quitté l’établissement scolaire privé qu’elle fréquentait. « I don’t fucking care, excuse-toi auprès de lui. » Le ton de la Cavanagh s’était haussé, elle ne partirait pas avant d’avoir eu le dernier mot. Elle ne prêtait plus attention à la victime, qui était tétanisée derrière elle.
PRETTYGIRL
Dernière édition par Chelsea Cavanagh le Mar 30 Mai 2023 - 22:43, édité 1 fois
Lucy arriva à la terrasse du restaurant choisi par Chelsea plus de dix minutes après l’heure fixée. Sa respiration s’était accélérée avec la marche rapide qu’elle avait adopté pour tenter de limiter son retard. La ponctualité n’était pas son fort, mais sa nièce, elle, était en général à l’heure pour leurs rendez-vous. Pourtant, lorsque que Lucy arriva à la hauteur du restaurant et qu’elle scanna la terrasse des yeux, elle ne vit aucune chevelure rousse flamboyante. Sortant son téléphone, la Cavanagh vérifia d’abord que sa nièce n’avait pas essayé de l’appeler pour la prévenir d’un éventuel contretemps, puis elle revérifia les messages qu’elles s’étaient échangés : nous étions bien le bon jour, à la bonne heure, et devant le bon établissement. Fronçant les sourcils, Lucy rangea son téléphone dans son sac à mains et s’adressa au serveur pour donner le nom de la réservation. Elle suivit ensuite ce dernier et s’installa à la table désignée, en bordure du parc. Un nouveau coup d’œil à sa montre lui indiqua que Chelsea avait maintenant plus de quinze minutes de retard, un fait particulièrement inhabituel pour la jeune fille. La détective hésita un instant, ne souhaitant pas passer pour une harceleuse quelconque, alors qu’elle-même n’était pas douée pour faire preuve de ponctualité. L’inquiétude la gagnait cependant, et c’est à contrecœur qu’elle se résigna à téléphoner à Chelsea. Son appel demeura cependant sans réponse. Pianotant sur la table, ne cachant pas l’inquiétude qui commençait à l’envahir, elle laissa son regard dériver vers le parc qui bordait le restaurant. Des couples se baladaient main dans la main. Des maîtres promenaient leur chien, leur lançant des balles sur les grandes étendues d’herbe. Des enfants couraient après un ballon. Et au milieu d’un groupe d’autres enfants se tenait une chevelure rousse qui attirait le regard. Fronçant les sourcils, Lucy arrêta ses prunelles sur ce regroupement. A cette distance, la Cavanagh n’était pas certaine de reconnaître sa nièce. La silhouette lui semblait pourtant familière, la manière de se tenir également. Un dernier coup d’œil à son téléphone lui confirma qu’elle n’avait aucune nouvelle de Chelsea. Voyant finalement des adultes se rapprocher du groupe au milieu duquel se tenait la petite rousse, Lucy se leva d’un bond.
« Je reviens de suite », lança-t-elle à l’intention du serveur sans détourner le regard du regroupement.
Ses pas s’accélérèrent quand, gommant les mètres qui la séparaient de la rouquine, elle reconnut formellement sa nièce. Des adultes rejoignaient le groupe, et Lucy entendit une femme interpeler Chelsea, d’un ton supérieur et agressif.
« Mais pour qui est-ce que vous vous prenez ? »
« Parler comme ça à des enfants ?! C’est à vous de vous excuser ! », renchérit une autre maman.
C’est à ce moment-là que Lucy arriva enfin à hauteur du groupe.
« Chelsea ?! »
Attirant l’attention de sa nièce, elle interrogea cette dernière du regard, comme pour tenter de comprendre ce qu’il se passait ici. Dans les yeux de sa nièce, elle lisait la colère, accompagnée d’une pointe de tristesse. Et dans cette tristesse, elle semblait déceler des fantômes du passé, un retour en arrière, sans doute suscité par cet attroupement d’enfants. Lucy connaissait les démons de sa nièce, elle connaissait sa souffrance, le harcèlement subi lorsqu’elle était petite, la peine qui en avait découlé. Et si elle était incapable de saisir totalement la situation rien qu’en observant les personnes présentes, la détective usa de ses talents et de sa connaissance de sa Chelsea pour supputer. Le petit garçon pétrifié derrière la rousse ne faisait que conforter la première idée de l’enquêtrice, qui voulait en avoir confirmation. Se plaçant au milieu du cercle qui s’était formé, prenant le rôle de bouclier humain, Lucy s’arrêta entre les parents qui s’étaient rapprochés et sa nièce. Son instinct protecteur avait pris le dessus, et elle levait les mains en signe d’apaisement face à la colère des adultes qui les entouraient.
« Du calme … Il se passe quoi ici ? »
La première maman reprit d’un ton hystérique.
« Cette petite écervelée a insulté mon fils ! »
Lucy cilla, tous les muscles de son corps se tendant alors que sa mâchoire se crispait. Elle se força à rester calme, pour Chelsea, pour les enfants présents, pour réussir à désamorcer cette situation qui s’envenimait à vue d’œil. Pourtant, lorsqu’elle reprit la parole, sa voix était plus rauque et crispée, et toute sa tension était palpable.
« Cette jeune femme que vous venez d’insulter devant votre fils -bel exemple d’ailleurs- est ma nièce, alors vous allez redescendre d’un ton et surveiller votre vocabulaire. Puis on pourra discuter. »
Les yeux de Lucy lançaient des éclairs, et elle était à deux doigts de se jeter sur cette harpie. Il lui fallait toute la bonne volonté du monde pour calmer ses nerfs et oublier la sensation divine que lui procurerait son poing s’écrasant sur le nez refait de cette bonne femme. Tournant légèrement sa tête vers sa nièce sans lâcher des yeux la mère hystérique, Lucy s’adressa à la rouquine.
« Chelsea ? »
En dire plus était inutile : elle voulait une explication de sa nièce pour comprendre ce qu’il s’était passé. Et maintenant.
Combien de fois lui avait-on dit de se tenir à l’écart des problèmes ? Il lui faudrait plus que deux mains pour les compter, une bonne preuve qu’elle n’était pas très perméable à ce genre de conseil. Le collègue devenu le colocataire de l’étudiante en photographie en avait été le témoin, elle était prête à en venir aux mains pour venir secourir un inconnu en détresse, pourtant suffisamment âgé pour se défendre tout seul. Alors pourquoi ignorerait-elle une situation similaire chez des enfants ? Parce qu'enfants devait rimer avec innocent ? Elle ne voyait pourtant pas de naïveté dans le regard de celui qui avait tout l’air d’être le leader. La rousse risquait encore moins en voir la moindre lueur maintenant qu’elle l’avait entendu parler, il n’y avait pas une once de regret chez lui. La Cavanagh était prête à le fixer jusqu’à ce qu’il ne lui cède, mais la rescousse débarqua suffisamment vite pour que la tentative d’intimidation cesse. Quelle ironie, les deux pimbêches qui ne jetaient pas un seul regard aux enfants - trop occupées à parler de futilités - se mettaient subitement à s’intéresser au sort de leurs bambins. Les réactions de celles-ci furent sans appel, elle était en tort, elle devait se remettre en question. Si les deux femmes croyaient que leur alliance serait suffisante pour lui faire clouer le bec, elles ne savaient clairement pas à qui elle avait à faire, comme pouvait le dire l’avorton. Elle s’apprêtait à leur répondre, quand une autre voix féminine se fit entendre, une voix qu’elle reconnaîtrait entre mille, celle de Lucy. Les yeux de lynx de sa tante n’avait pas manqué de remarquer la scène et de les rejoindre. L’aptitude d’analyse de la détective privé devait lui permettre de comprendre ce qu’il se passait, sans qu’elle ne lui dise le moindre mot. Il n’y avait nul doute qu’elle était intervenue à un moment critique, Chelsea ne savait pas quels mots se seraient échappés de sa bouche si elle n’avait pas été là, mais ils n’auraient certainement pas été gracieux.
La rouquine campait sur sa position, elle ne voulait pas bouger d’un centimètre, parce qu’elle sentait que sa présence était rassurante pour le garçon qui était derrière elle. Un enfant qui ne suscitait pas la moindre empathie chez les personnes qui devaient le surveiller, sûrement parce qu’aucune d’entre elles ne devait avoir de lien de parenté avec lui. Il avait été confié à des adultes qui n’étaient pas dignes de confiance, elle en était navrée pour lui, elle s’était déjà trouvée dans cette position lorsque sa mère baissait sa garde ou n’avait personne pour la dépanner. Chelsea n’en voulait aucunement aux parents de la victime, les seuls coupables étaient les deux femmes, plus particulièrement la génitrice du bourreau qu’elle laissait agir en toute impunité. Elle était bouillonnante de rage, au point de la laisser déborder en se mettant à l’insulter. Les sourcils de l’étudiante en photographie se froncèrent, les chiens ne faisaient définitivement pas des chats. Elle se serait bien chargée de lui répondre, mais elle savait qu’il serait plus sage de laisser Lucy le faire, parce qu’elle ferait preuve de plus de diplomatie qu’elle, malgré sa colère perceptible à des kilomètres. La tante de la rousse semblait avoir trouvé les bons mots pour instaurer un semblant de calme. Chelsea soupira un bon coup, elle n’avait pas peur de devoir s’expliquer, elle était au contraire presque soulagée que quelqu’un se soit mis entre elles. « Elles ne remplissent pas leur rôle de garantes de la sécurité de tous les enfants. » Dit-elle en leur jetant un regard noir. « C’est insupportable de voir autant d’indifférence. » Elles n’étaient pas en pleine virée shopping, mais dans une sortie familiale qui nécessitait qu’elles soient un minimum attentives. « Ce petit n’est pas venu ici pour souffrir. » Elle se tourna vers lui et lui demanda son prénom. « Colin. » Répondit il timidement. Chelsea se mit à sa hauteur et déposa une main sur son épaule. « Je suis désolée pour toi, Colin. » Recevoir des excuses lui apporterait peut-être ne serait-ce qu’un maigre réconfort, même si elles ne provenaient pas de la bonne personne.
Elle vit une première larme s’écouler sur sa joue, elle ouvrit instinctivement ses bras et le garçon se rapprocha d’elle pour s’y réfugier. « It’s gonna be alright. » Qu’elle lui murmura. Chelsea leva ses yeux en direction de Lucy avant de s’exclamer. « Il doit retourner chez lui. » Il en avait besoin, elle le sentait au fond d’elle. Il devait retrouver la chaleur de son foyer, les personnes qui l’aimaient le plus au monde pour panser ses plaies, comme sa tante avait su le faire lorsqu’elle avait été dans cette position. Après deux longues minutes passées à l’enlacer, l’étudiante en photographie se releva et observa la seconde mère. « Vous pouvez l’aider. » Elle avait l’espoir qu’elle ne serait pas aussi idiote que sa compère, qui avait l’air tout bonnement irrécupérable. « Si vous avez un cœur... » Si vous imaginiez une seule seconde que votre enfant était à la place de Colin, vous n’hésiteriez pas un seul instant.
Son instinct ne semblait pas avoir trompé Lucy : sa nièce avait des ennuis. Elle ne savait pas exactement de quoi il retournait, bien évidemment, mais la détective connaissait très bien Chelsea, et avait un bon esprit de déduction. Elle savait les démons de sa nièce, savait à quel point elle avait pu souffrir par le passé. Et la voir ainsi au milieu d’un groupe d’enfants, alors que l’un d’eux se cachait derrière la rouquine, ne faisait que conforter sa première intuition : Chelsea avait dû intervenir pour défendre cet enfant, sans doute victime de moqueries, ou pire. L’intervention de deux femmes, deux mères, probablement, dont l’une insulte Chelsea, fait hérisser les poils de la détective. Dans sa tête, elle lui écrase son poing sur son nez refait. Mais elle tente d’inspirer calmement pour ne pas envenimer la situation. Quel exemple cela donnerait-il à sa nièce ou aux enfants présents ? Même si la violence est tentante, même si Lucy peut y avoir recours trop souvent, elle n’est pourtant pour la solution idéale. Après une nouvelle grande inspiration, la brune se tourne donc vers la plus jeune des Cavanagh pour obtenir des explications sur la situation.
« Elles ne remplissent pas leur rôle de garantes de la sécurité de tous les enfants. C’est insupportable de voir autant d’indifférence. Ce petit n’est pas venu ici pour souffrir. »
Laissant échapper un rire dédaigneux, la mère de famille répond d’un air outré.
« Nous sommes venus au parc pour l’anniversaire de mon fils, et nous devons surveiller à nous deux huit enfants ! Ce n’est pas rien, quand même … »
Lucy lève les yeux au ciel : elle n’en a que faire de ces justifications qui ne tiennent pas la route.
« Et pourtant, c’est votre décision, sans aucun doute, non ? Venir ici pour fêter l’anniversaire de votre fils, avec ses amis ? Alors assumez un peu. »
La détective n’a pas haussé la voix, par égard pour les enfants, faisant preuve d’une maîtrise qui l’impressionne elle-même. Pour autant, son ton est ferme et sans appel. Cette mère s’est mise elle-même dans cette situation, alors à elle de l’assumer. Les copains de son fils n’étaient pas venus ici pour souffrir, comme l’avait si bien dit Chelsea. Du point de vue de Lucy, tout a été dit : ces femmes ont été averties qu’il y avait un problème, et qu’elles devaient être plus vigilantes. Elle se tourne alors vers sa nièce afin de l’inviter à la suivre jusqu’au restaurant. Pourtant, lorsqu’elle oriente son regard bleuté vers Chelsea, elle y voit le garçon blotti dans ses bras, en train de pleurer. La détective réprime un soupire, voyant son déjeuner avec sa nièce et sa pause bien méritée s’éloigner. Elle adorait Chelsea, elle aimait que sa nièce n’ait pas sa langue dans sa poche, qu’elle ose dire ce qu’elle pense et défende les plus faibles. Parfois, pourtant, elle estimait que la rouquine fourrait son nez où il ne le fallait pas. Et ce n’était pas rien comme impression pour une détective dont le métier était de fourrer son nez partout.
« Il doit retourner chez lui. »
Chelsea s’adresse à sa tante avant de se retourner vers les deux mères.
« Vous pouvez l’aider. Si vous avez un cœur … »
A ces mots, Lucy tressaille, et fait barrage devant le petit.
« Wow wow wow, stop. Hors de question. »
Elle se retourne à nouveau vers Chelsea et lui murmure à l’oreille.
« Je ne le laisserai pas repartir avec ces femmes, qui risquent de ne pas être plus sympa avec lui que leurs gamins. On va appeler sa mère, et on va voir ce qu’elle en dit. D’ici là, tu as voulu t’en occuper ? Alors tu le lâches pas ! »
On dirait que Lucy parle d’un hamster que sa nièce aurait voulu adopter et dont elle devrait maintenant s’occuper. La brunette s’agenouille devant l’enfant et reprend d’une voix douce.
« Tu connais le numéro de ta maman ? »
Quand le petit secoue la tête, Lucy interroge les deux mères qui, à contre-cœur, finissent par lui remettre le numéro de portable de la maman du petit Colin. La détective s’éloigne pour lui téléphoner et lui résumer rapidement la situation, et l’envie de son fils de rentrer à la maison. Affolée, la maman promet d’arriver d’ici une vingtaine de minutes. Après avoir raccroché, Lucy rejoint le petit groupe.
« Elle arrive d’ici vingt minutes. On va attendre avec vous. »
Elle n’allait pas leur laisser l’enfant comme ça, et son ton laisse transparaître tout son mépris à l’égard des deux bonnes femmes. Lucy sourit à Colin et reprend avec entrain, son ton totalement différent.
« Tu veux jouer ? Je suis certaine que tu peux courir plus vite que Chelsea et qu’elle n’arrivera pas à t’attraper ! »
Elle lance un clin d’œil à sa nièce pour l’inciter à distraire l’enfant, espérant tout de même que ce ne soit pas elle qui ait à courir.
L’absence d’empathie de la part des mères persistaient, l’une d’entre elle essayait pathétiquement de se justifier, en relevant la pseudo difficulté de gérer un groupe d’enfants. Lucy lui retira les mots de la bouche en leur demander d’assumer les responsabilités, qu’elles avaient acceptées de prendre en s’engageant dans cet anniversaire. Chelsea se mit à penser que sa tante méritait infiniment plus d’être mère, parce qu’elle n’aurait jamais laissé passer ça en plus d’avoir du répondant face aux parents. La détective privée réussissait à rester zen, là où elle aurait probablement échoué à sa place, car elle doutait de gagner en patience avec l’âge. Malheureusement aucune solution ne sera mise en place pour résoudre le problème, elle se permit donc de suggérer que l’enfant ferait mieux de rentrer chez lui, elle comptait donc sur elles pour que cela se fasse. Après tout c’était elles qui devaient connaître les coordonnées de ses parents, son adresse, la rousse ne se voyait pas prendre d’elle-même l’enfant et de lui demander de retrouver le chemin menant à sa maison. Lucy refusa de laisser Colin seul avec les deux femmes, craignant qu’elles lui fassent subir davantage de brimades. Elle lui suggéra d’appeler sa mère, l’étudiante en photographie se mit à plisser des yeux, est-ce qu’elle pensait vraiment que leurs interlocutrices allaient obtempérer au point de leur délivrer le numéro ? Elle lui ordonna de ne pas l’abandonner, ce qui n’avait jamais été son attention. Chelsea l’observa se mettre au niveau de l’enfant et lui demander s’il le connaissait, il lui répondit de façon négative, ce qui ne fit que confirmer ses doutes. La jeune femme avait pourtant encore foi en sa tante, qui possédait une expérience qu’elle n’avait pas, ce qu’elle démontra en obtenant l’information voulue. Elle reprit place devant l’enfant, les bras croisés, elle crut comprendre que la mère avait rapidement répondu à l’appel.
Chelsea soupira, soulagée d’entendre Lucy dire qu’elle allait arriver d’ici une vingtaine de minutes, un temps qui allait avoir l’air d’une éternité pour le garçon. Elle tourna le dos à leurs deux interlocutrices et s’approcha de Colin, alors que celui-ci écoutait attentivement sa tante. Elle l’avait plus ou moins engagé dans un jeu avec lui, ce qui ne la dérangeait pas le moins du monde. « Cap d’arriver avant moi au portail qui se trouve tout là-bas ? » Dit-elle en le pointant du doigt, cela ne leur ferait pas mal de s’éloigner le plus loin possible de ces deux vipères et de leurs rejetons. Il se mit à courir, elle le suivit et le divertit par la suite avec des chiens présents dans le parc, avant de rejoindre le groupe une fois qu’elle aperçut une nouvelle silhouette. Elle regarda Colin rejoindre sa mère en criant de joie. « Merci beaucoup d’avoir appelé... » L’étudiante en photographie sourit légèrement, elle n’avait pas l’impression d’avoir jouer le plus grand rôle, alors elle préféra rester silencieuse. Soudainement, le garçon se tourna vers elle et lui posa une question. « Comment tu t’appelles ? » « Chelsea. » « T’es mon héroïne, Chelsea. » Elle était flattée d’être regardée avec autant d’admiration, certains diraient qu’il ne s’agissait que d’un enfant, elle était heureuse d’avoir pu l’aider. La rousse ne regrettait pas de lui en être venue en aide, même si elle pressentait que sa tante allait bientôt changer de discours. Elles finirent par quitter le parc.
La démarche de la jeune femme était lente, parce qu’elle ne voulait pas avoir l’air de donner l’impression qu’elle voulait fuir quelque chose. En réalité, elle préféra prendre les devants. « Je sais ce que tu vas me dire, tata... » Qu’elle ferait mieux de se mêler de ses affaires, qu’elle ne pourra pas venir en aide à tous les malheureux et persécutés de la terre. « Mais c’était plus fort que moi. » Elle le savait pertinemment, cette scène lui avait rappelé ses propres traumatismes, notamment celui d’un anniversaire auquel elle était venue la chercher, à la place de sa mère qui s’était désistée. « Et comme je m’en sors souvent dans des situations plus périlleuses que celle-ci, eh bien je fonce... » Il ne s’agissait peut-être pas du plus judicieux des aveux, mais cette pensée était sortie spontanément. La rousse avait pensé qu’elle ne risquait pas grand-chose, qu’elle ne subirait pas plus que du mépris en intervenant, chose qu’elle se sentait capable d’encaisser. Il lui était arrivé de se tenir prête à prendre des coups, pour ses proches ou même pour un inconnu, qui avait fini par devenir son colocataire. « Ne le dis pas à maman. » Brianna était suffisamment fatigante comme cela, elle n’avait pas besoin de lui faire de nouveaux reproches.
Ce n’était pas ainsi que Lucy imaginait son déjeuner avec sa nièce. Certes, un repas avec Chelsea n’était jamais de tout repos. La rouquine était expressive, bavarde, et pleine de convictions. Elle se laissait facilement emporter, en fonction du sujet abordé. Néanmoins, Lucy n’avait jamais participé à une telle intervention au milieu d’un parc. Elle n’avait pour autant pas oublié les démons du passé de Chelsea, les blessures de son enfance qui avaient fait d’elle la jeune femme pleine d’empathie qu’elle était à l’heure actuelle. La détective fut cependant soulagée d’être intervenue à temps. A son arrivée, le ton commençait à monter, et sa nièce aurait certainement souffert du discours des deux mères irresponsables qui se trouvaient là. Lucy ne doute pas que la jeune photographe ne se serait pas laissée faire : elle aurait répliqué, sans aucun doute, avec plus ou moins de politesse. Mais l’intervention d’une adulte avait réussi à calmer les deux mères, qui avaient baissé le ton face à la fermeté de Lucy. Finalement, après que cette dernière ait contacté la maman du petit Colin, celle-ci vint le chercher et la brune la prit un instant à l’écart pour lui expliquer la situation, loin des oreilles de l’enfant, occupé à s’amuser comme un fou avec Chelsea.
« T’es mon héroïne, Chelsea. »
La détective ne peut s’empêcher de ressentir sur le moment de l’admiration pour sa nièce, qui n’a pas eu peur de tenir tête aux autres pour défendre un plus faible. C’était notamment pour lutter contre des injustices, telles que celles-ci ou beaucoup plus graves, que Lucy avait initialement rejoint l’école de police, il y a plusieurs années. Alors, regardant Colin et sa mère s’éloigner, la brunette frotte doucement le dos de sa nièce avant de se mettre en marche. Pourtant, alors qu’elles quittent le parc, Lucy laisse le silence s’installer. Elle était encore en train de réfléchir au discours qu’elle allait sortir à Chelsea quand cette dernière brisa le silence.
« Je sais ce que tu vas me dire, tata … »
Ha oui ? Qu’elle l’éclaire, alors, parce qu’elle était partagée entre deux positions antagonistes : la féliciter pour avoir lutter contre l’injustice, ou l’engueuler parce qu’elle s’est mêlée de ce qui ne la regardait pas et qu’elle aurait pu se mettre en danger ?
« Mais c’était plus fort que moi. »
Lucy secoue la tête en esquissant un petit sourire, passant son bras sous celui de sa nièce.
« Et comme je m’en sors souvent dans des situations plus périlleuses que celle-ci, eh bien je fonce … »
A ces mots, Lucy s’arrête net. Elle bat des paupières, fixant ses yeux bleutés sur Chelsea, qu’elle dévisage d’un air inquiet.
« Attends … quoi ? »
Chelsea poursuit.
« Ne le dis pas à maman. »
La détective laisse échapper un soupire et se remet à marcher. Pendant deux ou trois minutes, le silence règne, Lucy semblant choisir ses mots et tenter de tempérer ses angoisses et sa colère.
« Tu sais très bien que je ne dirais rien à ta mère … »
Lucy et Brianna, ce n’était pas le grand amour, et Lucy avait toujours prit le parti de sa nièce, l’avait défendu et protégé à de multiples reprises. Ce n’était sans doute pas pour appeler sa sœur aînée maintenant et lui rapporter le comportement de sa fille.
« Une partie de moi est fière de toi, parce que c’est bien de se battre pour ses convictions et de défendre les autres … »
Nouveau soupire, qui laisse le temps à Lucy de réfléchir à la suite.
« Mais bon sang, Chelsea, tu devrais faire plus attention ! J’ai vu une partie de la scène de loin, d’abord il n’y avait que des enfants, puis les mères se sont rapprochées … Si ça avait été cinq pères alcoolisés et ayant envie de déballer toute leur testostérone ? »
La brunette secoue la tête en continuant à marcher.
« Un jour, tu vas te mettre dans de sales draps parce que tu auras réagi au quart de tour, à l’instinct, sans étudier la situation. Et ce jour-là, il n’y aura pas forcément quelqu’un pour t’aider, toi ! »
Et elle en connaissait un rayon, en termes d’instinct et de décision impulsive. Lucy était la première à prendre des décisions irréfléchies, à prendre des risques dans son métier, mais elle ne voulait pas que sa nièce suive son chemin.
« Promets-moi de faire attention, c’est tout ce que je demande … »
Parce qu’elle ne pouvait pas lui demander de ne plus intervenir : de toute façon, elle savait que Chelsea ne le ferait pas.
Le jardin secret de Chelsea était occulte à différents degrés selon les proches, bien que Lucy soit incontestablement le membre de sa famille qui en savait le plus sur elle, elle n’était pas non plus au courant d’absolument tout. La rousse s’était bien gardé de lui raconter l’intégralité de ses péripéties, car elle savait que sa tante serait loin de toutes les valider. Elle menait une vie plus trépidante que sa cadette, dans laquelle elle prenait probablement plus de risques qu’elle, mais elle était dotée d’une expérience que la jeune Cavanagh n’avait pas encore. Lucy anticipait mieux le danger, parce qu’elle devait se préparer à toutes les tournures possibles lorsqu’elle menait à bien son travail, lorsque Chelsea se lançait emportée par sa fouge sans forcément penser à ce qui pourrait l’attendre. L’étudiante en photographie ne voulait pas que l’information qu’elle venait de lui donner ne parvienne à sa mère, son interlocutrice lui affirma que cela n’arriverait pas. Elle était d’une fiabilité sans failles, mais une part de la rouquine ne pouvait s’empêcher de penser qu’un jour, lorsqu’elle irait trop loin, les deux sœurs finiraient par avoir un véritable dialogue durant lequel des vérités éclateraient. Lucy lui confia la première partie de ses pensées, qui était plutôt positive puisqu’elle se disait fière d’elle, mais la seconde partie était plus nuancée. Chelsea n’était pas assez précautionneuse à ses yeux et elle n’avait pas tort, elle n’avait pas pris le temps d’observer les alentours avant de partir à la rescousse de cet enfant. La jeune femme baissa légèrement sa tête, elle avait pensé que ces enfants étaient forcément accompagnés de leurs mères et non de leurs pères, mais elle aurait pu avoir une mauvaise surprise si cela n’avait pas été le cas.
Le monde n’était pas aussi binaire que ce qu’elle n’imaginait, Lucy avait raison de le lui rappeler. Elle croisa ses bras et apposa ses mains sur eux, tout en continuant de l’écoutant. Les personnes venant au secours d’autrui, d’autant plus de simples inconnus comme elle étaient rares, elle l’avait suffisamment observé pour y croire, c’est pour cela qu’elle n’avait jamais compté sur l’aide des autres. Il se pourrait pourtant qu’un jour elle en ait besoin, parce qu’elle n’avait pas la plus imposante des figures et parce qu’elle pourrait se retrouver dans une infériorité numérique problématique. Après avoir suffisamment réfléchi à ce qu’elle allait lui répondre, Chelsea regagna son regard. « Je me suis laissée emportée c’est vrai, parce que je connais un peu trop bien ce qu’a vécu cet enfant. » Un affect qui aurait pu la mener à sa perte. « Je n’ai pas réfléchi plus que cela. » La jeune femme ne réagissait pas avec autant d’imprudence habituellement, lorsqu’il s’agissait de contextes qui n’incluaient que des adultes, elle regardait un peu plus ce qu’il se passait autour d’elle. « Mais je te jure que je prends plus de précautions d’habitude. » Si cela n’avait pas été le cas, elle se serait déjà retrouvée à l’hôpital ou même simplement avec des blessures suffisamment visibles pour que cela ne saute aux yeux de son entourage. Chelsea se doutait qu’elle allait devoir faire un travail sur elle-même, pour ne plus réagir au quart de tour lorsqu’elle verra une injustice frappée un enfant, fort heureusement cela ne lui arrivait pas tous les jours. « Je te promets que si une situation similaire arrive, je ferai plus attention. » Dit-elle avant de marquer une pause. « On peut aller au restaurant où on avait prévu d’aller maintenant ? » Il était temps de passer à autre chose.