From the concrete to the coast
Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell ☆ crédit/harley

Raelyn
Avec plaisir Spencer. Mais je choisis le restaurant.

Elle remonte, la dernière fois que Spencer m’a proposé de faire quelque chose en dehors du travail, une activité pour tisser un lien, peut-être pas aussi fort que celui que les normes et diktats voudraient que nous partagions puisque nous partageons une partie de notre génome, mais pour être plus qu’une boss implacable et l’une de ses employées. La blonde n’est pas que ça et, pourtant, je peine toujours à la considérer comme un membre de ma famille à part entière. Cette dernière, elle n’est composée que de deux personnes, deux personnes autres que moi, puisque seuls Amos et Micah détiennent ce privilège. Je me moque de savoir ce que sont devenus ma mère et mon frère. Je me moque de savoir quel genre d’homme il est devenu et s’il a fait toute une flanquée de gosses à son amour d’enfance. Spencer elle, possède un statut à part. Nous n’avons pas grandi ensemble, mais c’est peut-être une moindre peine : elle n’aurait pas eu le droit à un regard de ma part en débarquant, si ça avait été le cas. Elle ne fait pas partie de mes proches non plus puisqu’encore une fois, je n’ai jamais été du genre à m’entourer : je n’entretiens que des relations superficielles avec les quidams. Mais elle représente tout de même quelque chose, une envie inexplicable de l’aider, un besoin de savoir que je peux être cette personne qui lui tend la main quand elle en a besoin, puisque j’en ai eu besoin aussi, il y a des années et plus récemment.

Elle remonte à loin donc, la dernière fois, mais je n’ai pas oublié qu’elle a jugé que j’étais le genre de personne susceptible de m’intéresser à des activités qui ne m’ont guère séduite. Maladroite, la jeune femme a organisé une expérience surprise consistant à tenter de s’enfuir d’une prison pour le plaisir – je n’ai toujours pas saisi l’intérêt que cela peut présenter pour les foules – dans le but de me remercier et de nous rapprocher. Cette fois, elle s’y prend certes mieux, mais je ne prends aucun risque inconsidéré : alors qu’elle me propose un restaurant, je prends les devants concernant le lieu. J’impose de contrôler ce facteur, et réserve dans l’un des restaurant les plus sélectif de la ville. Elle n’aura pas à se soucier du montant de la note, la petite blonde : elle pourrait manger pour une semaine que cela passerait inaperçus sur le montant total de mon compte en banque.

Je la retrouve à l’heure – je ne fais pas partie de ces femmes qui estiment qu’il faut se faire désirer, je considère que je n’ai jamais eu besoin de ça pour ça – et constate qu’elle a fait un effort, Spence. Je compte sur les doigts d’une main le nombre de fois où j’ai vu ma demi-sœur en robe et si on ajoute à ça le maquillage, je crois qu’il doit s’agit d’une première. Certains pourraient la qualifier d’adorable : moi, je note seulement qu’elle ne connait pas les couleurs qui pourraient la mettre le mieux en valeur. Bien sûr, je fais tout ça en silence et, lorsque je m’avance vers elle, apprêtée de la tête aux pieds, c’est avec un grand sourire sur les lèvres. « Et bien, j’ai l’impression d’avoir une personne entièrement différent en face de moi. » Les uniformes de l’Octopus sont classes et de bons goûts – je les ai personnellement choisis – mais n’ont rien de glamour. Là, elle a essayé. « Tu avais ça dans tes tiroirs ou tu l’as volé à quelqu’un ? » C’est une blague évidemment, je ne suis pas en train d’accuser ma benjamine d’être coupable d’un larcin. Et quand bien-même, tant qu’elle ne me vole pas moi, je m’en moque parfaitement.

Un employé arrive à notre niveau, nous accueille professionnellement et, bien vite, nous sommes installées à notre table. « Je t’invite. Et avant que tu protestes, ce n’est rien pour moi. » Et elle n’a pas les moyens de dîner ici ou, en tout cas, j’en doute. « J’ai choisi l’endroit, alors ce n’est pas négociable. »

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Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell ☆ crédit/harley

On ne peut pas vraiment dire qu’elles aient une relation conventionnelle, les soeurs Blackwell. Elles ne sont pas ce qu’on pourrait qualifier de proches, et pourtant elles partagent des secrets qui pourraient s’avérer lourds de conséquence s’ils venaient à tomber dans les mauvaises mains. En un sens, Raelyn en sait plus sur Spencer et ses déboires que la personne qui partage sa vie, c’est dire à quel point ça va loin.
Quoi qu’elle en dise ou qu’elle laisse paraître, c’est important pour la jeune femme, ce genre d’interlude hors du casino. Elle a lancé l’idée auprès de Raelyn, n’attendant pas forcément quoi que ce soit en retour mais se retrouve agréablement surprise lorsque la réponse positive lui parvient. Elle aurait compris toute forme de refus de la part de la boss, elle a bien d’autres choses à faire et à gérer que de traîner avec sa demie-soeur slash employée. Un casino à faire tourner, un empire secret à gérer, sans parler de sa vie de famille qui doit trouver une place au milieu de tout ça. Il faut bien avouer que la cadette est particulièrement admirative de la capacité de son aînée à mener cette double vie avec autant d’aisance. Bien entendu, elle n’est pas au fait de tout ce qui se passe, manque probablement son lot de crises de nerfs ou de remises en questions et c’est sans doute pas plus mal. Ce n’est pas le genre de pression qu’elle a envie d’avoir à gérer, Spencer. Déjà qu’elle s’est impliquée dans l’histoire plus que de raison, inutile d’en rajouter une couche si ça peut être évité.
L’adresse choisie par Raelyn a doucement fait grimacer la responsable de l’invitation, mais elle n’a pas jugé nécessaire de protester pour autant. A quoi bon, toute tentative de négocier pour un établissement plus modeste se solderait probablement par un échec, alors ok, autant jouer le jeu et aviser le moment venu. La dernière fois que Spencer a mis les pieds dans un restaurant réputé et surtout hors de prix, c’était à l’époque où elle réussissait à se faire inviter par des types plein aux as et bien trop idiots pour se rendre compte de la supercherie avant qu’il ne soit trop tard. Pas ses heures les plus glorieuses, mais paraît-il que la faim justifie les moyens (à un mot près, quoi.)
Pour l’heure, Spencer est juste contente à l’idée de passer un moment avec sa soeur, le tout dans un cadre moins formel qu’à l’accoutumée. Ca sera également l’occasion d’aborder plusieurs sujets plus personnels qui lui tiennent suffisamment à cœur pour qu’elle ait envie de les partager. Pour l’occasion elle a fait des efforts non négligeables sur sa tenue vestimentaire, juste histoire de ne pas trop dénoter dans un endroit comme ça. Il ne lui faut pas patienter longtemps avant d’être rejointe par Raelyn, sûrement conduite par Callum qui patientera dans la voiture ou qui restera dans les parages le temps que la soirée se termine. « Et bien, j’ai l’impression d’avoir une personne entièrement différent en face de moi. » Un sourire amusé se dessine sur les lèvres de Spencer tandis qu’elle se contente de hausser les épaules. « Tu avais ça dans tes tiroirs ou tu l’as volé à quelqu’un ? » Elle souffle un rire léger en se contentant de secouer la tête à la remarque. « Avoir un toit sur la tête ça aide pas mal à pouvoir stocker des vêtements. » Entre autres, quoi.
Bien vite, elles sont menées et installées à une table et Spencer n’a même pas le temps de dire quoi que ce soit que déjà, « Je t’invite. Et avant que tu protestes, ce n’est rien pour moi. J’ai choisi l’endroit, alors ce n’est pas négociable. » De toute manière ce n’est pas comme si elle avait l’argent pour payer plus qu’un quignon de pain dans ce genre d’établissement. « Ok, si t’insistes. » Qu’elle répond doucement sans avoir trop le choix, de toute façon. « Ça me fait plaisir que t’aies bien voulu venir, ce soir. » Surtout en sachant qu’elle n’a absolument aucune obligation de le faire, mais ça, inutile de le préciser. Le fait est que le geste touche la jeune femme et c’est suffisant pour que ça soit le genre de geste qui compte. « Si j’suis tout à fait honnête, y avait certaines choses dont j’avais envie de parler avec toi, du coup… » C’est le bon moment, quoi. « Rien à voir avec le boulot, hein. J’ai dis que j’demandais plus rien. » Qu’elle ricane, histoire de tout de suite éviter que l’autre croit à un nouveau traquenard ou qu’elle a encore besoin de quelque chose.

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Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell ☆ crédit/harley

« Avoir un toit sur la tête ça aide pas mal à pouvoir stocker des vêtements. » - « Sois tranquille, j’avais de toute façon pas l’intention de te dénoncer aux flics. » Un sourire étire le coin gauche de ma lèvre à la suite de cette réflexion. Ce serait l’hôpital qui se moque de la charité, de m’offusquer qu’elle puisse se livrer à des délits mineurs du genre. Elle peut voler qui elle veut et tant qu’elle veut, tant qu’elle ne me vole pas moi, le Club ou le Casino. Mais elle sait déjà tout ça, comme elle sait qu’elle n’a pas besoin de se faire plus blanche colombe qu’elle ne l’est me concernant. Ce sont après tout ses fêlures qui l’ont aidée à se faire une place dans ma vie : c’est grâce à elles et parce qu’elles résonnaient et résonnent toujours en moi que je ne me moque pas de ce qui peut lui arriver, contrairement à 99.9[…]9% de la population. Sur sa robe, je ne fais pas d’autres commentaires : je n’ai jamais été une hypocrite ou, en tout cas, que lorsque j’avais quelque chose à y gagner.

« Ok, si t’insistes. » - « J’insiste. Tu devrais m’emprunter de quoi payer l’addition de toute façon. » Ou en tout cas, elle prendrait la somme sur celles qu’elle me verse tous les mois pour tenter de rembourser sa dette que, soyons honnêtes, elle ne recouvrira peut-être jamais et je m’en moque. Je ne lui ai pas prêté cet argent en me faisant la moindre illusion sur le fait que j’en reverrai la couleur un jour. « Ça me fait plaisir que t’aies bien voulu venir, ce soir. » - « Et je suis ravie que tu aies proposés. Les choses ont été… Tendues, ces derniers temps. » Micah est rentrée au loft et tout est revenu à la normale mais cela n’efface pas d’un coup les angoisse, la nervosité et ne rend pas caduc le fait que, en effet, pendant plusieurs semaines, Amos et moi n’avons pas pris le moindre temps pour nous, et encore moins une soirée entière pour manger au restaurant. C’est avec lui que je préfère être en tête à tête, de toute évidence, mais cela ne me dérange pas d’accorder cette soirée-là à Spencer. « Si j’suis tout à fait honnête, y avait certaines choses dont j’avais envie de parler avec toi, du coup… » Et je m’en doutais : avec Spencer, nous n’avons pas réellement de gestes spontanés tels que celui-là l’une envers l’autre, le résultat d’une vie entière sans se connaître qui nous pousse aujourd’hui à ne pas trop savoir comment nous conduire avec quelqu’un qui, pourtant, partage en partie notre sang. Est-ce que j’envisage déjà qu’elle va me demander un service ou de l’argent ? Ce serait mentir que d’affirmer que non et le clamer haut et fort. Toutefois, je la sens différent et nerveuse d’une autre manière, si bien que je la laisse venir à moi sans émettre à voix haute la moindre supposition. « Rien à voir avec le boulot, hein. J’ai dis que j’demandais plus rien. » Je laisse échapper un bref rire amusé. « Ouf, j’ai cru que tu allais me dire que tu convoitais ma place maintenant. » Un trait d’humour sur une ambition que la petite blonde ne possède pas ne peut faire de mal à personne.

Le serveur interrompt un début de conversation qui pique ma curiosité pour prendre commande de nos boissons et, si je commande pour moi un verre de leur meilleure bouteille de vin, je laisse la demoiselle choisir pour elle. Après une cure, même si l’alcool n’est pas son poison, je préfère la laisser libre de choisir quelque chose qui ne contienne pas la moindre substance capable d’altérer son jugement. Le jeune homme se retire poliment et, curieuse, je croise mes bras et dépose mes coudes sur la table pour pencher un peu plus dans sa direction. « Je suis toute ouïe. Qu’est ce que tu voulais me dire ? » A ce stade, force est d’admettre que même en tentant de décrypter le langage corporel de ma demi-sœur, je n’en ai pas la moindre idée.

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Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell ☆ crédit/harley

« Sois tranquille, j’avais de toute façon pas l’intention de te dénoncer aux flics. » « Trop aimable. » Ce genre de renvoi de balle est toujours amusant, surtout dans la mesure où chacune sait que c’est le genre de sujet qui est tout à fait possible et envisageable. C’est probablement encore plus drôle de le faire dans ce genre d’établissement bien sous tous rapports. « J’insiste. Tu devrais m’emprunter de quoi payer l’addition de toute façon. » Très juste. Dans un cas comme l’autre, elle n’est pas en position de s’opposer de toute façon, alors elle se résigne à accepter son sort. « Et je suis ravie que tu aies proposés. Les choses ont été… Tendues, ces derniers temps. » « Il s’est passé quelque chose ? » Qu’elle demande, curieuse et peut-être un poil inquiète sur le moment. Probablement rien qui la concerne et encore moins quelque chose qu’elle pourra régler, mais la curiosité l’emporte. De toute façon, si Raelyn ne tient pas à partager l’info, elle ne poussera pas. « Ouf, j’ai cru que tu allais me dire que tu convoitais ma place maintenant. » Elle ne peut pas s’empêcher de rire, la blonde. Bien sûr, et puis quoi d’autre ? Même dit sur le ton de la plaisanterie c’est grotesque, l’une comme l’autre sont parfaitement au courant que la plus jeune n’a absolument pas l’ambition et encore moins les épaules pour un rôle pareil. Et puis très clairement, elle n’en voudrait pas, même servi sur un plateau d’argent. Rester une petite frappe, ça lui convient parfaitement. « Ouais, nan, les responsabilités et tout ça, t’as l’air de mieux gérer que moi. » Et pas qu’un peu, c’est une certitude. Dans le meilleur des cas, Spencer peut en revanche prétendre être un élément loyal sur qui elle pourra compter en cas de coup dur ; enfin dans la limite de ses moyens quoi. C’est peu, mais c’est tout ce qu’elle peut offrir en retour.

Il ne faut pas longtemps pour qu’un serveur se pointe histoire de demander s’il faut des rafraîchissements ; Spencer, engoncée dans ses nouvelles habitudes et peu tentée par un quelconque alcool de toute manière, se contente d’une bête eau pétillante tandis que son aînée porte son choix sur un verre de vin, rien d’extravagant en soit. L’employé acquiesce et s’éloigne, laissant les deux frangines reprendre le cours de la conversation. « Je suis toute ouïe. Qu’est ce que tu voulais me dire ? » « Une ou deux choses, rien de bien méchant. » Trois fois rien, juste le genre de nouvelle qui, sur le papier, est susceptible de changer le cours d’une vie. Spencer marque une légère pause et s’éclaircit la gorge en farfouillant un instant dans son sac. « Déjà j’voulais te rendre ça, » dit-elle en faisant glisser une clé sur la table. Pas besoin d’être un génie pour savoir de laquelle il s’agit, néanmoins, la jeune femme s’explique sur les raisons qui la poussent à la redonner. « Ca faisait déjà un moment que j’y allais quasiment plus, de toute manière. » Des mois que l’appartement gracieusement prêté est quasiment vide de toute vie, n’étant utilisé que pour de brefs passages ici et là, mais rien qui justifie de prétendre rester là ad vitam. « On a pris un appart, alors… Plus tellement besoin de le garder. » Autant qu’ils récupèrent leur bien, ses deux bienfaiteurs. Ils pourront sûrement le mettre à profit d’une manière ou d’une autre, inutile de faire de la rétention de matériel quoi. « Et heu- On va se marier, aussi. » Un jour prochain, quand une date aura été décidée. Pour l’instant, elles sont encore un peu dans l’euphorie du moment, les préparatifs pour l’évènement sont encore bien loin de leurs préoccupations quotidiennes. « T’es la première à qui je le dis, ça me fait encore un peu bizarre d’en parler. » A côté de ça, elle n’a pas non plus trente-six personnes à prévenir, Spencer. Que ça soit les proches ou la famille, ils se comptent sur les doigts de la main ceux avec qui elle compte partager la nouvelle. « Je sais que je le dis à chaque fois, mais merci. Parce que rien de tout ça serait arrivé si t’étais pas intervenue. » Que ça soit pour le logement ou pour le séjour en clinique, le job et elle en passe encore, ce ne sont pas les raisons qui manquent.

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Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell ☆ crédit/harley

« Il s’est passé quelque chose ? » Il s’est passé tant de chose que la petite blonde ne soupçonne certainement pas, et c’est très bien ainsi. Bien sûr, même au sein du Club court la rumeur que la reine des abeilles a disparu. Ce genre d’information circule vite dans des milieux comme le nôtre mais, pour autant, je m’arrange pour sembler au-dessus de tout soupçons. Je hoche les épaules lorsqu’un de mes dealeurs me rapporte ce qu’il a entendu, ou l’un de mes petits oiseaux ce qu’il a entendu. Cecily m’a interrogée à ce sujet mais, comme tous les autres, elle n’a eu le droit qu’à une réponse évasive du type : "elle reviendra, la vermine dans son genre finit toujours par revenir." Personne ne doit savoir et personne ne saura jamais : je sais garder un secret. « Oui. Deux trois petites choses, mais c’est réglé désormais. » Je traite le sujet avec une banalité effrayante lorsque l’on sait qu’il est question de menaces et de meurtre. Trois fois rien, donc. Un sujet balayé d’un geste de la main pour signifier à Spencer que les détails ne servant à rien, elle ne les obtiendra pas. « Ouais, nan, les responsabilités et tout ça, t’as l’air de mieux gérer que moi. » Le regard pensif et perdu dans le vide – sur un autre table, l’étiquette d’une bouteille ou que sais-je – j’esquisse un sourire avant tourner ma tête dans sa direction et de poser à nouveau mes yeux sur elle. « Il y a trois ans encore, je n’en voulais pas non plus. » J’étais satisfaite de ma place. Ambitieuse mais loyale et baignant déjà dans le luxe, je n’aurais pas envisagé d’en bouger sans la traîtrise de Mitchell couplée au fait que j’ai ouvert les yeux sur son incompétence croissante. « Mais je le méritais. » Je le méritais plus que quiconque. Et si je ne le précise pas, il n’y a pourtant pas de place au doute : il n’est pas question de ma place au sein de l’Octopus. C’est bien de l’organisation criminelle dont il est question.
 
« Une ou deux choses, rien de bien méchant. Déjà j’voulais te rendre ça. » Les doigts de Spencer font glisser un objet métallique sur la table et, dans un premier temps, je n’y jette un coup d’œil que pour confirmer qu’il s’agit des clés de l’appartement que nous lui prêtons, Amos et moi. J’esquisse un sourire en coin et l’observe avec curiosité, sans m’emparer du trousseau pour l’instant. « Ça faisait déjà un moment que j’y allais quasiment plus, de toute manière. » J’aurais pu tenir le même discours à l’époque où Amos et moi vivions ensemble mais séparément, dormant toujours dans le même lit sans pour autant vivre officiellement ensemble. Il ne m’est donc guère difficile de comprendre où la jeune femme veut en venir. « On a pris un appart, alors… Plus tellement besoin de le garder. » Mes doigts glissent jusqu’au trousseau de clés, se referment dessus et je le rapproche de moi. « Je vois. » Du reste, je ne connais pas la jeune femme qu’elle fréquente, ma demi-sœur. Je n’ai eu qu’un bref échange avec elle lors de l’overdose de notre "connaissance" commune. Mais elle est restée avec elle, elle l’a attendue à la sortie et ça vaut ce que ça vaut. « Félicitations, je suppose ? » Si c’est une bonne chose, alors je suis ravie pour elle. Du reste, je ne suis pas une sentimentale. Je ne le suis pas plus lorsqu’elle enchaine et m’annonce la suite. « Et heu- On va se marier, aussi. » Mes yeux s’écarquillent légèrement de surprise, mais c’est là la seule réaction physique qu’elle reçoit. Pas de chaleureuses embrassades. Pas d’explosion de joie. A nouveau, je suis heureuse pour elle, en partie surprise, mais pas du genre à m’extasier devant ce qui ne me concerne pas moi ou pas famille. « T’es la première à qui je le dis, ça me fait encore un peu bizarre d’en parler. » Elle est nerveuse, ma sœur. Elle n’est pas bien douée pour le cacher ; ses ongles rongés en témoignent. Elle n’a pas commandé d’alcool malgré la nouvelle propice à porter un toast, ça aussi, je l’ai remarqué. « Je sais que je le dis à chaque fois, mais merci. Parce que rien de tout ça serait arrivé si t’étais pas intervenue. » - « Je crois que je n’ai plus besoin de poser la question cette fois : toutes mes félicitations Spencer. » Je ne suis pas sa mère, et je ne suis pas du genre moralisatrice. Elle n’entendra pas de ma bouche que cela me semble tôt, un "tu es sûre de toi" ou ce genre de chose. Ce sont ses choix, bons comme mauvais. « Le moins que l’on puisse dire, c’est que vous ne perdez pas de temps. Quand est-ce que ça sera ? » Le seul mariage auquel j’ai mis les pied a fini en divorce moins d’un an après. A ma jeune demi-sœur, je souhaite de faire mieux que Saül et Ariane. « Je suis contente pour toi que le vent tourne. Sincèrement. » J’esquisse un sourire avant de ranger définitivement les clés du studio : elle n’en aura plus besoin, j’en ai à présent la certitude. « Et c’est autant grâce à toi que grâce à moi. » Ou plutôt, grâce à mon argent. « Je t’ai finance une cure, mais t’es celle qui a choisi d’y aller et de le faire sérieusement. T’es celle qui a combattu l’addiction, pas moi. » Enfin si, mais pas la sienne. « Alors je ne vais pas te proposer de commander une bouteille pour fêter ça… » Ce serait insultant et je n’ai pas le moindre intérêt à l’être avec elle. « Mais tu peux prendre tout ce que tu veux. C’est jour de fête. »

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Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell ☆ crédit/harley

Loin d’être dans les vraies confidences, Spencer n’est toujours au courant que de ce qui gratte la surface et c’est sûrement mieux ainsi. Elle en sait déjà beaucoup, plus que ce qu’elle est supposée, mais maintenant c’est trop tard pour faire marche arrière et simplement oublier les informations en trop. Alors forcément, quand il y a des soucis plus ou moins liés aux petits secrets du casino dont elle n’a pas connaissance, Spencer s’interroge. « Oui. Deux trois petites choses, mais c’est réglé désormais. » « Ok, tant mieux alors. » Comme promis à sa petite voix intérieure, elle ne pousse pas le sujet, ne pose pas de question indiscrète et n’insiste pas malgré la curiosité qui pourrait l’y pousser. Ca ne la regarde pas et ce n’est pas son problème non plus. « Il y a trois ans encore, je n’en voulais pas non plus. Mais je le méritais. » Encore une fois, il lui manque une paire d’informations pour pouvoir tout comprendre, aussi préfère-t-elle la prudence en se contentant de questions larges. « Tu regrettes parfois ? D’avoir cette place là, je veux dire. » Pas celle de simple patronne de casino, elle l’aura compris. « J’veux dire… Parfois t’aspires pas à quelque chose de plus… Simple ? » Ou de moins dangereux, surtout maintenant qu’il y a la petite Micah. La jeune femme a beau ne pas être au courant de tous les dangers qui rôdent autour de Raelyn, ce n’est pas pour autant qu’elle ne se doute pas de ce qu’être à la tête d’un empire pareil peut impliquer.

Encore une fois, elle se contentera des réponses qu’on lui donnera et restera à sa place si on le lui demande. Pour ce soir, elle est là pour annoncer des bonnes nouvelles et faire part des progrès depuis qu’elle a arrêté de consommer. Première étape, les clés. « Je vois. Félicitations, je suppose ? » C’est l’idée, oui. Mais c’est loin d’être la “grande nouvelle” de ce soir. C’est un début, un avancement par rapport à une situation qui se devait d’évoluer et de bouger. Si l’idée d’avoir un refuge rien qu’à elle lui plaisait plutôt bien, il est plus que temps de le rendre à qui de droit. Et puis pour les moments où elle aura besoin d’espace, elles ont appris à communiquer et à se laisser respirer quand bien même ça peut parfois s’avérer compliqué. Pour cette raison et bien d’autres encore passées sous silence, elle lâche enfin l’annonce de ses fiançailles. Bien évidemment, elle ne s’attendait pas à ce que Raelyn explose de joie et lui saute dans les bras, elle est bien plus nuancée que ça, mais ça reste tout de même difficile pour elle de cacher sa surprise. « Je crois que je n’ai plus besoin de poser la question cette fois : toutes mes félicitations Spencer. » « Merci, » répond doucement Spencer encore une fois. « Le moins que l’on puisse dire, c’est que vous ne perdez pas de temps. Quand est-ce que ça sera ? » La blonde souffle un rire et hausse légèrement les épaules. « Tu sais, on se connaît depuis qu’on a genre… Treize ans. C’est… On en a assez perdu, du temps. » Jusqu’à maintenant, elle n’a pas tellement eu l’occasion de partager grand chose de sa vie d’avant ; Raelyn connaît les grandes lignes, celles qui l’ont plus ou moins menées à la rue, inutile de l’assommer avec des détails inutiles et inintéressants pour elle. « Y a pas de date pour le moment. On verra ça en temps voulu, on est pas pressées. » Enfin si, mais pas au détriment de faire les choses bien pour une fois. Et s’il y a bien une chose que Spencer ne veut pas foirer, c’est cette relation là. « A vrai dire je sais même pas encore si on fait quelque chose juste elle et moi ou si on part sur quelque chose de plus classique.  » Avec liste d’invités et tout le bordel. Et connaissant Mackenzie et sa proximité avec sa famille, ça sera sûrement la seconde option qui sera retenue. « Enfin je te tiendrai au courant. » Qu’elle acquiesce doucement. « Je suis contente pour toi que le vent tourne. Sincèrement.  » « Merci, vraiment. » Ca fait à peine cinq minutes qu’elles sont là et c’est à peu près le cinquantième remerciement qui sort. « Et c’est autant grâce à toi que grâce à moi. Je t’ai financé une cure, mais t’es celle qui a choisi d’y aller et de le faire sérieusement. T’es celle qui a combattu l’addiction, pas moi. » « C’est juste que sans ça et tout le reste, j’aurai pas vraiment eu de raison de le faire. » L’Effet Papillon, qu’ils appellent ça. « Alors je ne vais pas te proposer de commander une bouteille pour fêter ça… Mais tu peux prendre tout ce que tu veux. C’est jour de fête. » C’est amusant parce que la dernière fois que Spencer a mis les pieds dans un restaurant de luxe, c’est à peu près ce qu’elle a fait et là non plus, elle n’a pas payé la note. C’est le pauvre boug de l’autre côté de la table qui s’en est chargé pour elle dans le vague espoir d’obtenir ses faveurs pour la soirée. Ici, rien n’est attendu en retour et c’est un changement plus qu’appréciable, il faut être honnête. « Même si c’est très tentant juste pour te prendre au mot, je ne compte pas abuser non plus. » Et ce n’est même pas tant une question d’argent dû ou quoi que ce soit du genre, elle n’a jamais été très extravagante dans ses choix de nourriture. « Mais heu, voilà, maintenant tu sais. » Et ça fait du bien de partager avec quelqu’un. Non pas que c’est supposé rester un secret ou quoi. « Ca fait combien de temps, Amos et toi ? » Elle a remarqué les alliances aux doigts de Raelyn et de son partenaire, et en vérité c’est très récent comme constat, aussi est-elle incapable de dire depuis quand les anneaux sont vissés là.

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Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell ☆ crédit/harley

« Tu regrettes parfois ? D’avoir cette place-là, je veux dire. » La question de Spencer serait surprenante, si je ne prenais pas en compte le fait que nous ne nous connaissons pas réellement. Elle ignore tout de la gamine que j’ai été, de la jeune femme que je suis devenue, d’abord perdue dans une ville bien trop grande pour elle, de celle qui, comprenant un rouage à la fois, s’est hissé au sommet à la force de ses bras et à la sueur de son front. Cette vie, c’est ce que je voulais. Peut-être pas dans le moindre détail, mais je n’envisage pas les choses autrement. « J’veux dire… Parfois t’aspires pas à quelque chose de plus… Simple ? » J’esquisse un sourire, avant de secouer la tête. « J’avais quelque chose de plus simple. » A Charleville, où j’aurais pu me contenter d’un boulot de serveuse sous payé et de vivre au crochet d’un mari que j’aurais épousé sans conviction et sans amour. « Et je me suis barrée parce que c’était pas ce que je voulais. Et la perspective de retourner là-bas, ou dans tout autre endroit similaire, me fait bien plus peur que les risques de mon quotidien. » Il faut le vivre pour le comprendre. A Charleville, le sable et la terre rouge vous donnent l’impression de vous coller à la peau, aux cheveux, et de vous étouffer. « J’aime penser que j’ai fait des choix. Que je n’ai rien subi. Et toi, qu’en est-il pour toi ? » Regrette-t-elle d’avoir commencé à se droguer, d’avoir été entrainée par la coke dans la misère et, plus tard, vers moi et l’illégalité ? Moi, sans ça, je n’aurais pas Amos, pas Micah, pas le pouvoir et l’argent : il n’est guère surprenant que je n’imagine aucun autre avenir. Mais elle ?

Elle s’en tire bien de son côté aussi, si j’en crois son annonce. La petite blonde va se marier, et je ne peux pas nier que je suis surprise. Mon expérience devrait m’avoir apprise qu’une vie chaotique laisse plus de place à la construction que ce que l’on pourrait croire, mais il n’en reste pas moins vrai que, depuis que je connais Spencer, je n’ai jamais cessé de la voir comme une gamine paumée. Je n’ai pas de problème à admettre que, dans le cas présent, j’étais de toute évidence dans l’erreur. « Tu sais, on se connaît depuis qu’on a genre… Treize ans. C’est… On en a assez perdu, du temps. » Il n’était pas question de jugement, de toute façon. « C’est une bonne raison, en effet. » Spencer est plus déterminé et confiante que jamais, il y a quelque chose de différent chez elle, maintenant que j’y prête attention. « Y a pas de date pour le moment. On verra ça en temps voulu, on est pas pressées. » Je hoche la tête, peu intéressée par les détails d’un événement qui, au fond, ne m’intéresse que par affection pour ma demi-sœur. Je suis heureuse pour elle : mais je me moque bien de connaître la coupe de sa robe ou le choix du traiteur pour les petits fours. « A vrai dire je sais même pas encore si on fait quelque chose juste elle et moi ou si on part sur quelque chose de plus classique. Enfin je te tiendrai au courant. » - « Tu peux respirer. Je me moque de savoir si je veux être invitée ou pas. » Ma remarque étant peut-être un peu dure, et d’humeur à me modérer pour ne pas entamer l’enthousiasme de la blonde, j’ajoute. « Je viendrai si c’est le cas. Mais si vous choisissez de le faire tous les deux, je n’en ferai certainement pas une maladie. » Après tout, n’est-ce pas ce que nous avons fait, Amos et moi ? Est-il surprenant de noter qu’une fois de plus, ma demi-sœur me ressemble au moins un peu ? « Merci, vraiment. » J’accueille un remerciement de plus d’un simplement hochement de la tête : je ne suis pas douée pour les effusions de nobles sentiments. « C’est juste que sans ça et tout le reste, j’aurai pas vraiment eu de raison de le faire. » - « T’es plus solide que tu le crois Spence. Accorde-toi un peu de crédit. » L’humilité n’amène nulle part. Certes, il est plus judicieux de ne pas souffrir d’excès de confiance mais, dans le cas présent, nous en sommes loin. « Même si c’est très tentant juste pour te prendre au mot, je ne compte pas abuser non plus. » - « Fais toi plaisir, c’est jour de fête pour toi. » Pour elle, c’était certainement plutôt lorsque sa compagne a dit oui, ou lorsqu’elle lui a fait sa demande, puisque j’ignore comme les choses se sont passées.

« Mais heu, voilà, maintenant tu sais. » Oui, je sais. « Ça fait combien de temps, Amos et toi ? » La curiosité de la demoiselle ne me dérange pas. Si je suis pudique et secrète, mon histoire, notre histoire mérite d’être racontée. Je m’interroge sur la nature de sa question, et remarque que son regard dévie sur mon alliance et ma bague de fiançailles qui trônent toutes deux fièrement sur mon annulaire gauche. « Que nous sommes mariés, ça fait un an. » Et plus encore qu’Amos a formulé sa première demande. Je l’ai fait recommencer, et plusieurs fois. « Que nous sommes ensemble, plus de trois. » Aucun de nous deux n’a jamais su à partir de quand il convenait de compter, puisque l’étiquette de couple m’a fait peur pendant de long mois avant que je n’accepte que c’était ce que nous étions. « Nous aussi, on l’a fait uniquement tous les deux. » Parce qu’aucune date n’était fixée mais qu’un matin, je me suis réveillée avec le besoin de le faire dans la minute, dans la journée tout au plus et sans aucune autre personne que mon complice à mes côtés. « Je la lui ai faite recommencer plusieurs fois, sa demande. Et toi, c’est elle qui t’a demandé ? » L’inverse est possible, mais aurait de quoi me surprendre, étant donnée la maladresse et le manque d’assurance de ma demi-sœur.

From the concrete to the coast
Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell ☆ crédit/harley

« J’avais quelque chose de plus simple. Et je me suis barrée parce que c’était pas ce que je voulais. Et la perspective de retourner là-bas, ou dans tout autre endroit similaire, me fait bien plus peur que les risques de mon quotidien. » Elle a bien du mal à comprendre ce qu’il y a de si terrifiant, dans un endroit comme Charleville. Effectivement, en comparaison à Brisbane ça doit avoir bien triste allure, mais de là à absolument vouloir tout quitter du jour au lendemain alors qu’elle y avait amis et famille -du moins elle imagine-, c’est un choix qu’elle envisage difficilement. Sans doute Spencer a-t-elle passé bien trop de temps à chercher une place dans sa propre vie pour réellement avoir une chance de se mettre dans la peau de son aînée sur ce point-là. « J’aime penser que j’ai fait des choix. Que je n’ai rien subi. Et toi, qu’en est-il pour toi ? » Une légère grimace se dessine au coin de sa bouche et elle hausse les épaules. « Peut-être que j’aurai fait pareil, si j’avais eu le choix et l’opportunité de le faire, » effectivement, peut-être qu’en grandissant dans un endroit aussi vide et inintéressant que la ville natale de Raelyn, elle aurait cherché à trouver sa voie ailleurs, « Je savais pas comment trouver ma place, j’étais en colère contre tout le monde et le seul truc qui me faisait du bien c’est ce qui m’a foutue dans la merde ensuite. » Le cercle vicieux qui se dessine autour de la drogue n’est ni nouveau, ni surprenant. Toujours est-il qu’aujourd’hui, elle a enfin réussi à sortir la tête de l’eau et que pour la première fois, elle a envie d’y rester.

Ca commence par des relations plus saines qu’avant, par prendre soin des gens qui comptent et surtout par apprendre à s’appuyer sur les bonnes personnes. « C’est une bonne raison, en effet. » Elle acquiesce doucement, se garde de partager les détails qui risqueraient d’assommer son aînée et qui sont de toute manière loin de tous être glorieux. A la place, elle se perd sur les préparatifs qui sont encore loin d’être une priorité, sur des peut-être et des incertitudes sur le déroulé. « Tu peux respirer. Je me moque de savoir si je veux être invitée ou pas. Je viendrai si c’est le cas. Mais si vous choisissez de le faire tous les deux, je n’en ferai certainement pas une maladie. » A aucun moment elle ne peut prétendre être surprise et encore moins vexée de l’intérêt moindre porté à ces détails au final sans importance pour le moment. C’est juste Spencer qui essaie systématiquement de se justifier sans autre prétexte que de se justifier, encore une fois, rien de neuf. « T’es plus solide que tu le crois Spence. Accorde-toi un peu de crédit. » Blackwell souffle un léger rire aussi amer qu’amusé. « C’est marrant, elle m’a dit exactement la même chose y a pas si longtemps. » Là aussi, Spencer a balayé l’affirmation d’un revers de la main, ayant bien du mal à croire ce genre de chose. Elle reste persuadée que si elle était réellement aussi solide ou forte que ça, elle n’aurait pas plongé la tête la première dans le chaos de la drogue. Elle aurait fait face à ses problèmes plutôt que de les fuir, aurait attrapé les mains tendues plus tôt au lieu de systématiquement les repousser.  « Fais toi plaisir, c’est jour de fête pour toi. » Sans la contredire elle acquiesce, de toute façon, quel que soit le plat présenté sur la carte, c’est le genre qui fait dans tous les cas sortir un gros billet.

Juste histoire d’en savoir plus sur comment ça fonctionne entre Raelyn et son complice, elle se permet de lancer une question relativement anodine. « Que nous sommes mariés, ça fait un an. » C’est donc relativement récent. « Que nous sommes ensemble, plus de trois. » Et ça aussi, en fait. Inconsciemment, Spencer s’imaginait que ça faisait bien plus longtemps que ça qu’ils se fréquentaient. Après, qui sait depuis quand ils se côtoient et à partir de quel moment ça a changé en quelque chose de plus. « Nous aussi, on l’a fait uniquement tous les deux. » D’une certaine façon, ça lui confirme que c’est bien aussi, l’intimité pour ce genre d’événement. « Je la lui ai faite recommencer plusieurs fois, sa demande. Et toi, c’est elle qui t’a demandé ? » « Sérieux ? Il a dû s’y reprendre à combien de fois ? » Ca l’amuse autant que ça la mortifie d’imaginer ce pauvre Amos recommencer encore et encore jusqu’à ce que le moment soit bon ou que la façon de faire soit satisfaisante. Pendant combien de temps il a dû trimer, aussi, pour enfin avoir sa réponse positive ? Forcément, elle se met sans aucun mal à la place de son patron et, même s’il est sûrement du genre bien plus posé et bien moins facilement ébranlable qu’elle, elle ne peut qu’imaginer la joie qu’il a ressenti quand il a finalement eu ce qu’il voulait. « C’était quoi, question de timing ou juste tu te sentais pas prête à passer ce cap là ? » Raelyn en a trop dit, il faut des détails maintenant. « Et heu, c’est moi, qui ai demandé. » Sans doute difficile à imaginer quand on la voit aussi souvent bégayer ou chercher ses mots, elle qui a toujours bien du mal à s’affirmer ou à masquer sa nervosité dès qu’un sujet lui tient un peu à coeur. C’est marrant, cette dualité qui fait qu’elle n’est jamais aussi à l’aise que lorsqu’elle ment ; à croire qu’interpréter un personnage lui est bien plus simple que d’être elle-même. « Elle était aussi surprise de l’entendre que moi de réussir à sortir quelque chose. » La blonde ricane. Dans les faits, elle a surtout beaucoup hyperventilé et eu du mal à sortir plus de deux phrases réellement cohérentes, mais dans l’ensemble, le message a tout de même réussi à passer.

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Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell ☆ crédit/harley

« Peut-être que j’aurai fait pareil, si j’avais eu le choix et l’opportunité de le faire. » Elle a subi donc, on en tout cas c’est ce qu’elle veut sous-entendre. Peut-être manquait-elle d’audace, ma petite sœur, ou bien peut-être n’est-elle pas née avec la même force de caractère que moi. J’aime penser que nous avons des points communs, mais nous avons également des différences et, si j’ignore de qui j’ai hérité ma force, peut-être qu’elle n’a pas eu la chance d’en hériter à son tour. « Tu peux toujours en faire. » Elle n’a même pas trente ans, Spence. Elle n’a peut-être pas été la plus douée pour prendre ses décisions et torde le cou au destin jusque-là, mais est-ce que ça la condamne à subit jusqu’à la fin de ses jours ? Elle est sevrée à présent. La drogue n’empoisonne plus son esprit. Ne tient qu’à elle à présent d’arriver à mener sa barque sans subir la houle. « Je savais pas comment trouver ma place, j’étais en colère contre tout le monde et le seul truc qui me faisait du bien c’est ce qui m’a foutue dans la merde ensuite. » Je hoche la tête parce que je comprends. Qui sait comment aurais-je tourné – ou plutôt fini – si je n’avais pas rencontré les bonnes personne et reçu l’aide que j’ai reçue ? Je n’aurais sûrement pas vu mon vingt-cinquième anniversaire, peut-être même le compteur serait-il resté éternellement à vingt. « Je comprends. » Et elle le sait. Elle sait que de tout son entourage, je suis certainement celle qui comprend même le mieux. « Mais ça change rien au fait que ça peut changer. » Pensive, je fais tourner mon verre de vin entre mes doigts. « Tu l’es toujurs, en colère contre le monde entier ? » Je n’ai pas l’impression : je trouve au contraire la blonde plutôt apaisée.

L’annonce d’un mariage me surprend, mais pas au point que je m’exclame ou l’enlace : il y a des limites que ma nature ne m’autorise pas à franchir. Toutefois, je suis sincèrement contente pour elle. J’ai juste mes manières de mettre en évidence mes ressentis : avec pudeur. « C’est marrant, elle m’a dit exactement la même chose y a pas si longtemps. » - « C’est peut-être parce que j’ai raison. » Et c’est surtout peut-être signe qu’elle choisit la bonne personne, aussi. La discussion est interrompue par le serveur qui vient prendre la commande des plats, je choisis pour moi sans regarder une seule fois les prix – je ne me préoccupe plus des montants que je dépense depuis des années – avant de laisser Spencer décider pour elle-même. Lorsque le jeune homme repart, c’est un pan de mon histoire que je partage avec Spencer. « Sérieux ? Il a dû s’y reprendre à combien de fois ? » - « Quelques-unes. C’est difficile de compter : ça dépend de ce que tu considères comme une demande. » Puisque pour moi, c’était là que le bât blessait : je voulais qu’il se jette à l’eau. Je voulais qu’il me prouve qu’il n’avait pas peur de me faire confiance, qu’il montre qu’il pouvait ferme les yeux, croiser les bras, et se laisser tomber en arrière tout en sachant que je le rattraperai. « C’était quoi, question de timing ou juste tu te sentais pas prête à passer ce cap-là ? » - « C’était une question de demande. Il s’y est pris comme un manche jusqu’à comprendre ce que j’attendais. » Amos est pudique et n’osait pas faire de grande déclaration. « Je n’avais pas besoin d’un genou à terre. Je voulais qu’il demande sans détour. » Les détails ne regardent que nous. « Et heu, c’est moi, qui ai demandé. » A nouveau, je suis sincèrement surprise. Elle a donc pris une décision, une vraie, et ce n’est pas le genre de chose que l’on attend d’elle. Peut-être a-t-elle grandi depuis notre rencontre – certes, relativement récente sur l’échelle d’une vie. « Elle était aussi surprise de l’entendre que moi de réussir à sortir quelque chose. » - « Pourquoi, tu n'avais pas prévu de le faire ? » Ou bien a-t-elle eu peur une fois le moment venu de se jeter à l’eau. « Si vous vous connaissez depuis une éternité, qu’est ce qui fait que vous ayez attendu si longtemps ? »

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Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell ☆ crédit/harley

« Tu peux toujours en faire. » Des choix, sûrement. Reste à voir si ça sera les bons et combien de temps ça pourra durer. Spencer sourit légèrement, n’y croyant qu’à moitié. Jusqu’à maintenant, elle n’a presque eu aucun contrôle sur sa vie et les rares décisions qu’elle a pu prendre n’étaient généralement pas les meilleures, loin de là. Mais qui sait, avec le bon entourage et les bonnes opportunités, peut-être que ça pourra finalement changer. « On verra bien, ouais. » Autant ne pas trop s’avancer, elle préfère se montrer prudente et prendre les choses une par une à mesure qu’elles se présentent. « Je comprends. Mais ça change rien au fait que ça peut changer. » De nouveau, elle acquiesce. « Faut encore que je m’ajuste un peu à tout ça et… Ouais, ça viendra j’imagine. » Elle a beau approcher tranquillement de la trentaine, sa vie d’adulte, elle, ne fait finalement que commencer. Elle est enfin en capacité de prendre ses propres décisions et de changer les choses pour le mieux, mais pas trop vite d’un coup ou elle risquerait de se retrouver submergée. Elle a des habitudes à prendre, d’autres à perdre et certaines à retravailler. « Tu l’es toujours, en colère contre le monde entier ? » « Pas vraiment. » Peut-être encore un peu quand même, par moments. C’est que, malgré toutes les avancées qu’elle a faites, Spencer, elle ne s’est toujours pas totalement débarrassée de toutes ses pensées parasites qui reviennent un coup de temps en temps. La seule différence avec avant, c’est que maintenant elle en prend conscience et est moins réticente à chercher de l’aide. « C’est plus contre moi que j’le suis, mais ça passera. » Enfin elle espère. Pour l’heure, elle hausse les épaules et fait semblant d’y croire très fort.

Et dans tout ça, le vote de confiance de la part de Raelyn la fait doucement grimacer. C’est qu’elle ne s’est jamais considérée comme quelqu’un de fort, Spencer. C’est le genre de personne qui se laisse entraîner puis dépasser par les événements, c’est le genre de meuf qui prend les chemins les plus simples et qui fuit face aux difficultés. Elle encaisse et reste à peu près debout malgré tout, mais ce n’est pas tellement ce qu’elle appelle être solide. « C’est peut-être parce que j’ai raison. » C’est difficile pour la jeune femme de dire ce qu’elle en pense vraiment, mais admettons. « Peut-être, ouais. » De toute façon elles ne sont pas ici pour parler de ses insécurités et la basse opinion qu’elle a de sa propre personne, tout ça, c’est réservé à son psy. Du coup, elle préfère nettement essayer d’en savoir plus sur Amos et sa fameuse demande. « Quelques-unes. C’est difficile de compter : ça dépend de ce que tu considères comme une demande. » Effectivement. Sans contexte précis, difficile d’imaginer comment Amos a pu s’y reprendre à plusieurs fois. Est-ce que ça se faisait à coups de sous-entendus à peine voilés ? Ou alors peut-être que Raelyn était juste exigeante sur ce qu’elle voulait de sa part. « C’était une question de demande. Il s’y est pris comme un manche jusqu’à comprendre ce que j’attendais. Je n’avais pas besoin d’un genou à terre. Je voulais qu’il demande sans détour. » Un peu malgré elle, Spencer interroge sa vis à vis du regard, ne pressant pourtant pas plus que nécessaire. S’il y a des détails à partager, Raelyn le fera, si non, tant pis, elle s’en remettra.  
Lorsqu’elle avoue être l’instigatrice de la demande, difficile de manquer la surprise sur les traits de son aînée. Forcément, elle avoue l’avoir été tout autant quand elle a réussi à sortir ses mots. « Pourquoi, tu n'avais pas prévu de le faire ? » « Si, j’ai prévu ça pendant des mois, même. » Le problème avec Spencer, c’est qu’une fois qu’elle a une idée en tête ça reste là, ça prend toute la place jusqu’à ce qu’elle fasse quelque chose. « Le truc c’est qu’une fois le moment arrivé, j’ai juste… J’sais pas, j’ai un peu perdu mes moyens. » Elle a complètement paniqué, ouais. Ses vieilles habitudes sont revenues au grand galop, prêtes à tout emporter et à foutre en l’air toutes ses bonnes résolutions. Jamais ô grand jamais son coeur ne s’était emballé de la sorte, c’en était même difficile de respirer tellement elle s’est pris une vague d’émotions en plein dans la tronche. Et pourtant quand on connaît le résultat et la réponse tout sauf hésitante de sa partenaire, c’est stupide d’avoir seulement imaginé tout ça. « J’avais peur qu’elle dise non, qu’elle trouve ça trop tôt ou qu’elle veuille pas passer ce cap là avec moi. Et peu importe combien de temps j’ai passé à me convaincre que ça allait bien se passer avant, c’était juste... » Juste là, dans un coin de son crâne. Comme à chaque fois qu’il lui faut prendre une décision et que tous les scénarios possibles et imaginables se jouent à l’avance, c’est toujours les pires qui sont sur le dessus de la liste. « Si vous vous connaissez depuis une éternité, qu’est ce qui fait que vous ayez attendu si longtemps ? » Alors ça. Spencer laisse échapper un léger rire en haussant les épaules. Comment on admet sa lâcheté face à quelqu’un qui est si sûre d’elle ? « On était pas ensemble, avant. C’était… On était proches, mais je voulais pas admettre que j’attendais plus que ça. » Ca impliquait trop de choses, c’était prendre le risque de perdre cette seule stabilité et cet unique point d’ancrage qui la gardait à peu près à flots. « C’était pas le bon moment pour se lancer dans une relation, non plus. » Nouveau haussement d’épaules, elle préfère ne pas évoquer toutes les problématiques qui faisaient que le timing était tout sauf bon pour se lancer à corps perdus dans une histoire qui risquait de capoter au moindre obstacle. « C’est vraiment super cliché, j’me rends compte, » qu’elle ricane en secouant la tête. « Enfin voilà, on rattrape le temps perdu, tout ça. » Quelques (gros) détails mis à part, ça ressemblerait presque à une de ces rom com que sa fiancée aime tant.

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Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell ☆ crédit/harley

« Faut encore que je m’ajuste un peu à tout ça et… Ouais, ça viendra j’imagine. » J’adresse à la petite blonde un sourire de composition. Si je suis douée pour les situations sociales, il n’en reste pas moins vrai qu’il en fait beaucoup pour que j’en vienne à me sentir impliquée émotionnellement. Je crois l’être lorsqu’il est question des addictions de Spencer et des questions de vie ou de mort, mais pour ce qui est de ses tribulations et de ses états d’âme, je ne suis pas la bonne personne pour lui l’écouter, compatir et lui donner les meilleurs conseils. C’est vers une personne disposant de bien plus d’empathie que moi qu’il faudrait qu’elle se tourne. Je suis toujours plein de choses : intriguée, curieuse, amusée, stimulée par une conversation, mais rarement peinée et touchée par des choses qui ne me concernent pas directement ou qui ne concernent pas ma famille. « Pas vraiment. C’est plus contre moi que j’le suis, mais ça passera. » - « En colère pour ? Tes mauvaises décisions ? » Elle se pardonnera, si c’est le cas. Elle se pardonnera lorsqu’elle réalisera qu’elle a reconstruit sa vie et que c’est grâce à tous ses mauvais choix qu’elle est plus forte, plus opiniâtre et bien mieux armée pour le monde dans lequel elle gravite. Ou bien est-ce de moi qu’il est question, lorsque je songe ce genre de chose ? « Souviens-toi de cette colère le jour où tu seras tentée de replonger. » Parce qu’il arrivera, ce jour, j’en suis persuadée. Pour moi, il a mis plus de quinze ans et il vaut mieux s’y préparer, quitte à ce que cela se révèle être inutile. Mais je n’ai jamais été une optimiste de nature.

« Si, j’ai prévu ça pendant des mois, même. » Et je ne doute pas qu’une fois devant sa compagne, elle s’est retrouvée aussi démunie que si elle se jetait à l’eau de façon spontanée et improvisait. « Le truc c’est qu’une fois le moment arrivé, j’ai juste… J’sais pas, j’ai un peu perdu mes moyens. » - « Elle a dit oui, c’est tout ce qui compte non ? » Et peut-être qu’elles auront au moins de quoi en parler pendant des années, qu’elles en riront après une vie ensemble et que le souvenir sera bien plus doux que si tout s’était passé comme Spencer l’avait prévu. « J’avais peur qu’elle dise non, qu’elle trouve ça trop tôt ou qu’elle veuille pas passer ce cap là avec moi. Et peu importe combien de temps j’ai passé à me convaincre que ça allait bien se passer avant, c’était juste... » C’est étrange à mes yeux, de s’engager avec quelqu’un pour quelque chose d’aussi fort en ayant ce genre de doute. C’est étrange et je ne le comprends pas forcément, moi qui ai fait attendre Amos mais qui ait toujours nourri la certitude que nos sentiments étaient parfaitement et entièrement réciproques. Il est fait pour moi et je suis faite pour lui, et je n’aurais jamais envisagé de construire tant de choses avec lui si je n’étais pas certaine qu’il voyait et voit toujours les choses de la même façon que moi. Les choses sont certainement différentes pour une personne qui manque cruellement de confiance en elle – et c’est le cas de Spencer – mais je ne le conçois pas tout à fait. Le couple que je forme avec Amos est inébranlable : à quoi bon dépenser autant d’énergie que la petite blonde le fait si elle n’a même pas cette certitude ?

Evidemment, toutes les pensées ne sont pas bonnes à partager et celles-là en font partie, alors je me tais. « On était pas ensemble, avant. C’était… On était proches, mais je voulais pas admettre que j’attendais plus que ça. » Je fronce les sourcils, une lueur aussi amusée que surprise au fond des yeux. Pour quelqu’un comme moi qui me saisis de ce que je veux sans la moindre hésitation, ma demi-sœur est un formidable cas d’étude de la psychologie humaine. « Pourquoi ça ? » Alors, je l’étudie. Je le fais avec la ferme certitude que comprendre la psychologie humaine est la clé du pouvoir et si je ne cherche pas à assoir le mien sur Spencer, la discussion n’en reste pas moins intéressante. « C’était pas le bon moment pour se lancer dans une relation, non plus. » - « Amos était marié, quand lui et moi avons commencé à passer du temps ensemble. » A coucher ensemble de façon rapidement régulière, puisque dans notre cas à nous il n’est pas réellement envisageable de parler de rendez-vous galants. « Tu parles à quelqu’un qui pense qu’il n’y a pas de bon ou de mauvais moment pour chercher à obtenir ce que tu veux. » Je ne m’embarrasse simplement pas de ce genre de considérations. Je vois, je veux, je prends. « C’est vraiment super cliché, j’me rends compte. Enfin voilà, on rattrape le temps perdu, tout ça. » - « Te dire que la vie est trop courte est certainement aussi cliché. » Surtout celle des gens comment nous. « Mais je pense que tu as raison, de t’être jetée à l’eau. »

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Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell ☆ crédit/harley

« En colère pour ? Tes mauvaises décisions ? » « Entre autres. » Pour tellement de choses, en vérité, c’est difficile de savoir par où commencer. « J’m’en veux surtout d’avoir utilisé ça comme un prétexte pour continuer à faire des conneries au lieu de chercher de l’aide. » Alors que clairement, ça crevait les yeux, qu’elle en avait besoin. Mais non, elle esquivait chaque main tendue à coups de “je gère”, “je suis pas addict”, “t’es pas ma mère”, “j’ai pas besoin d’aide”, et autres excuses répétées au moins mille fois chacunes. Elle était la seule à ne pas voir le problème, et quand elle a commencé à le faire, elle a estimé qu’il n’y avait plus rien à faire alors elle est partie en claquant la porte. Aujourd’hui elle s’en veut de ne pas avoir su et surtout elle a peur de recommencer un jour. Forcément, ça la fout en rogne de ne pas savoir se concentrer uniquement sur les meilleurs accomplissements de cette dernière année. « Souviens-toi de cette colère le jour où tu seras tentée de replonger. » Reste à savoir si elle sera suffisante pour la garder à quai, parce que jusqu’à maintenant, ça a plutôt tendance à avoir été une cause parmi les autres.
Et le problème dans tout ça, c’est qu’elle doute constamment de tout, Spencer. De sa propre personne en particulier et c’est épuisant. Chaque minute qui passe, elle analyse tout et n’importe quoi, se fait des films jusqu’à ce que tout se mêle et s’entremêle, jusqu’à ce que ça devienne compliqué de démêler le vrai du faux. Elle n’est pas de nature optimiste, la jeune femme, elle ne l’a jamais été et n’est pas certaine de pouvoir le devenir un jour. C’est ce qui arrive quand on se fait chier dessus par tout et tout le monde dès le plus jeune âge ; la confiance, les rêves, les aspirations, tout ça se retrouve en morceau et c’est compliqué de les rassembler et de construire quelque chose de concret. « Elle a dit oui, c’est tout ce qui compte non ? » Et parfois, pourtant, elle y arrive, la preuve. Un an sobre, un mariage sur les rails, et qui sait, peut-être que c’est tout ce qu’il lui faut. « Ouais. » Malgré tout, ça lui demande encore des efforts de faire fi du négatif pour se concentrer sur le reste, sur ce qui compte réellement.
« Pourquoi ça ? » Elle laisse s’échapper un rire amer, Spencer. Le genre de ricanement qui se moque de sa propre stupidité à ce moment précis de sa vie, le genre qui est plein de regrets et de “ah, si j’avais été moins bête”. Alors elle hausse les épaules, fait mine de ne pas regretter cette période où elle passait son temps à nier toute possibilité de quelque chose de concret. « C’est stupide, vraiment. J’étais stupide. J’étais persuadée que ça serait jamais réciproque et que de toute manière, on serait pas vraiment compatibles. » La blonde lâche un soupire en secouant la tête. Que de temps perdu pour rien, au final. « J’veux dire… Elle traînee dans le même genre de milieu que nous. » Pas besoin de faire un dessin, ici. Mac, c’est une meuf rangée et Dieu sait à quel point elle flipperait si elle avait connaissance du genre d’affaires dans lesquelles treme Spencer. « Je voulais pas qu’elle se retrouve mêlée à toutes mes histoires, surtout. » Et c’est toujours le cas aujourd’hui. « J’lui ai rien dit pour le boulot, et je compte pas le faire. » Même si l’idée de lui mentir et de lui cacher des informations sensibles la peine, il en va de sa sécurité. « Amos était marié, quand lui et moi avons commencé à passer du temps ensemble. » « Ah ouais ? » Là-dessus, elle n’a pas grand chose à dire et n’est pas du tout en position d’émettre le moindre jugement. Elle aussi, a été l’autre femme, le temps que sa partenaire mette un terme à sa relation de cinq ans avec son ex, quoi. Bon, elles n’étaient pas mariées et n’habitaient pas ensemble, leur relation stagnait et battait de l’aile depuis un moment déjà, mais tout de même. Et même sans parler de tromperie, y a tout un tas de couples mariés qui sont officieusement séparés, c’est tout un foutu concept de rester unis pour les papiers. « Tu parles à quelqu’un qui pense qu’il n’y a pas de bon ou de mauvais moment pour chercher à obtenir ce que tu veux. » En d’autres termes, ce que Raelyn veut, Raelyn prend. Dans une certaine mesure, Spencer l’a fait aussi, à une époque. Enfin pour le coup ça se limitait aux biens matériels, le genre d’objets qui ne manquerait foncièrement pas aux victimés mais qui l’aidaient à payer ses consommations et, d’une manière plus générale, à survivre. En ce qui concerne les gens, elle n’est clairement pas une bonne manipulatrice et n’avait de toute manière que peu d’envie de s’interposer entre plusieurs personnes. « Te dire que la vie est trop courte est certainement aussi cliché. Mais je pense que tu as raison, de t’être jetée à l’eau. » Elles le savent, vu les excès dont les gens comme elles sont capables. « Ouais... C’était le bon moment, et j’avais plus envie d’attendre. » Qui sait ce qui se serait passé si elle avait attendu encore. Probablement rien, mais tout est toujours trop imprévisible autour d’elle, alors il est grand temps qu’elle commence à saisir sa chance au moment où elle se présente. « Je l’ai trop fait et il est plus que temps que ça change. » Qu’elle ajoute, l’air de dire qu’elle se sent enfin prête à embrasser le changement.