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@Jackson Mills ☆ crédit gif/charlievvesley

Il fallut de la patience à Yasmine pour supporter le regard de merlan frit de l’interne qui s’était posé face à elle pour lui relater sa énième bévue au cours de son service. D’habitude, elle aurait pris les choses de la façon la plus pédagogique qui était, assurant avec un petit sourire maternel qu’il n’y avait pas d’erreurs ou de questions stupides, et prenant le temps d’envisager la formation du futur médecin qu’elle avait devant elle avec la bienveillance qui était la sienne. Mais d’habitude, elle n’avait pas les hormones en ébullition, et l’impression d’être devenue un incubateur sur pattes.
On disait ce qu’on voulait, mais une fois enceinte, le regard de votre entourage change, et pas toujours pour le meilleur. Déjà très couvée d’ordinaire, Yasmine l’était encore davantage ces derniers temps, ça avait tendance à lui peser, ne sachant où situer ses sentiments sur le spectre prédéfini de la future maman de base. Elle était heureuse évidemment, mais pas assez selon les codes, et puis Edge qui lui rabâchait tout le temps qu’il fallait qu’elle lève le pied, à croire que c’était une maladie d’enfanter. Il fallait qu’elle fasse attention c’était une évidence que ses antécédents de fausse-couche ne faisaient pas mentir, mais de là à la mettre sous cloche, il ne fallait tout de même pas exagérer.
Alors c’était vrai, qu’elle était particulièrement de mauvais poil, et que la majorité de ses collègues en faisaient les frais. La rumeur courrait, et elle courrait vite. Encore quelques secondes, elle supporta les yeux du jeune homme en face d’elle avant de décider, ses yeux se fermant sous le coup de la réalisation subite, que c’était le moment de sa pause, et qu’il n’avait qu’à voir avec la relève pour cette fois. Elle toupilla sur la semelle de ses baskets qui crissèrent sous sa grâce, et ne regardant pas derrière elle, elle s’engouffra dans la salle de pause avec la ferme intention de se couper du monde le temps de quelques minutes salutaires, histoire de faire la paix avec le sentiment de culpabilité qui se présentait à elle lorsqu’elle prenait conscience, après coup, qu’elle était devenue odieuse, le cliché parfait de la femme enceinte lunatique, qui campe sur l’excuse des hormones pour être invivable.

Prenant une très profonde inspiration, elle posa une main sur le renflement de son ventre qu’elle sentait grossir de jour en jour, son cinquième mois de grossesse bien entamé étant maintenant visible à quiconque ayant déjà eu l’occasion de confronter sa taille de guêpe. D'un geste tendre, elle rassura la petite chose qu’il y avait à l’intérieur, nourrissant pour lui des sentiments aussi mitigés que pour les autres, mais taisant pour l’heure ce que ça lui faisait de ne pas se sentir en phase avec ce qui grandissait dans son ventre. Ça viendrait, c’était une certitude sur laquelle elle se reposait, même si elle la chagrinait puisqu’elle savait combien c’était inné chez les autres femmes. Pas chez elle visiblement, et c’était pénible pour elle qui avait toujours cru qu’avoir un bébé lui serait aussi instinctif que le reste. Ça ne l’était pas autant que ça, et ce même si elle se surprenait à l’imaginer autrement qu’en noir et blanc, cet enfant, se demandant s’il aurait ses yeux verts, ou la peau sombre d’Edgerton.
Postée devant le coin boissons chaudes de la salle de pause, le mouvement qu’il y eut derrière elle, il la fit se retourner doucement, puis constater avec un agacement relatif — ses yeux roulant même, une nouveauté chez elle — que c’était Jackson qui se montrait avec un présent qu’elle ne refusa pas, s’emparant de la boîte de chocolats surmontée d’un noeud qu’il lui tendit avec l’air penaud de ceux qui ne savent pas à quoi s’attendre. N’attendant pas qu’il entre pour de bon pour s’asseoir à la table ronde disposée non loin, elle se laissa tomber sur une chaise en faisant glisser le couvercle de la boîte de chocolat pour en entamer un, et dire à l’agent "Je suis pas si horrible que ça. On a des titulaires qui ont même pas l’excuse de la grossesse pour agir comme des despotes."

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Maman. Le mot était lâché, le regard de Yasmine se posa presque agressivement sur Jackson sans qu’elle ne sache au fond si elle cherchait à le fusiller sur place où à s’attendrir un peu qu’il tourne autant la situation en dérision. Le laissant s’asseoir près d’elle, elle décida de lui laisser la vie sauve, chamboulée certes par ses hormones, mais pas assez hardie pour ne pas garder la bienveillance qui faisait sa réputation d’ordinaire et qui pointa sur l’instant, se défaisant de la boîte de chocolats qu’il venait de lui apporter comme offrande "Prends. C’est la moindre des choses." qu’elle lui fit en lui tendant la boîte, le laissant décider si oui ou non c’était une bonne idée de retirer une sucrerie de la bouche d’une femme dans son état.

Sur le moment, Yasmine ne comprit pas ce que Jackson lui disait et ça dut se lire sur son visage froncé par la réflexion dans laquelle elle se plongea un instant. Ses yeux clairs trouvèrent ceux du jeune homme pendant quelques secondes et puis ce qu’il ajouta la remit sur le droit chemin. Le prétexte qu’elle lui donna pour expliquer son absence momentanément s’échappa de suite de ses lèvres "Oh, oui. Désolée, pregnancy brain." Elle accumulait les clichés comme d’autres accumulaient les conquêtes pour le coup, et ce n’était sûrement pas une mauvaise chose, elle qui craignait ne pas s’inscrire dans un schéma normal durant sa grossesse et redoutait d’être à part, pas conditionnée pour réagir comme toutes les mamans qu’elle connaissait. Elle n’avait pas encore assez de recul pour se dire qu’elle exagérait, contrariée par la connexion qu’elle ne sentait pas se faire avec son bébé.
Du moins, c’était ce qu’elle pensait, mais pendant qu’elle répondait à Jackson, sa main trouva naturellement la courbe arrondie de son abdomen en même temps qu’elle basculait en arrière pour appuyer son dos contre le dossier de sa chaise "J’ai pas essuyé un trop gros choc après la quarantaine, mais je sais que c’est pas le cas de tout le monde." Est-ce que ses séances de thérapie l’avaient définitivement guérie de sa nervosité lors des situations de stress intense ? Certainement. Ça et l’idée qu’elle avait aussi retrouvé des automatismes rapidement après son retour dans le service des urgences où l’adrénaline était le carburant préféré des soignants. S’intéressant davantage à Jackson, elle passa le bout de sa langue sur sa rangée de dents du haut pour chasser les restes de chocolat qu’elle avait ingurgité en espérant ne pas donner une image trop pathétique d’elle, et l’observa la tête penchée avant d’oser lui demander en retour "Comment ça se passe pour toi depuis ?" Elle savait à peu près ce qu'il allait lui répondre, c’est pourquoi elle ajouta en levant la main posée sur son ventre devant son nez en signe de négociation anticipée, mais pas de capitulation ; elle n’en donnait pas l’air, mais elle était tenace l’infirmière. Elle se faisait du souci pour Jackson "Me regarde pas comme ça. Tu fais ton inspection, mais qui se charge de la faire te concernant ?" En d’autres termes qui s’intéressait à ce qu'il avait à dire à propos de tout ça exactement ?

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Le silence de Jackson en disait beaucoup plus qu’un discours structuré. Elle avait appris à les décrypter, ces moments où il se perdait dans un mutisme prolongé, l’agent faisant partie de ceux qui pensaient sûrement que l’économie de mots était une façon correcte de s’exprimer quand, parfois, ça laissait juste son interlocuteur au prise de la volonté d’en savoir davantage. Yasmine n’insistait jamais, elle attendait qu’il en vienne à la conclusion qu'il était dans un espace sécurisé et sécuritaire, se contentant de l’observer non comme une bête curieuse, mais comme un cas d’étude qui lui demandait certes du fil à retordre et de nombreux efforts, qui n’en était pas moins fascinant sur certains aspects.

Là encore, elle fit preuve de patience, étonnant pour elle qui avait tendance à suréagir ces derniers temps. Néanmoins, ses efforts payèrent sur le moment puisque lui admettant qu’il avait eu peur, Yasmine inclina la tête pour le regarder sous un angle différent, induit par le mouvement qu’il fit avec sa chaise qu’il bascula en arrière, et lui faire "C’est bien de l’admettre." Pinçant les lèvres pour rassembler ses esprits, ne le lâchant pas des yeux, elle ajouta "J’ai entendu dire que t’étais avec Sofia à ce moment-là. Comment elle va ?" Il évitait son regard, elle s’obstinait à vouloir le confronter, tenant à ce qu’il se rappelle qu’il pouvait y trouver tout ce dont il avait besoin, qu’il ne devait pas craindre le jugement parce que Yasmine avait des défauts, prendre de haut des gens pour qui elle avait de l’affection n’en faisant par partie, les traitant comme des humains capables du pire comme du meilleur. Le meilleur restait sa seule véritable option, du reste elle apprenait à faire avec les déceptions.

Pause "Attends, quoi ?" La surprise était réelle, son expression suivant en conséquence, sa bouche s’ouvrant doucement et ses sourcils se fronçant tandis que la main qui caressait son ventre s’en décolla pour se dresser en avant dans l’idée de repousser quelque chose qui venait de lui être enfoncé de force dans le gosier. Le regardant avec des yeux ronds, la jeune femme resta un moment interdite, ses pupilles dérivant de quelques millimètres à peine pour se figurer d’un détail qu’elle avait su, mais qui n’existait même pas dans sa mémoire puisqu’elle en était sûre : elle ne connaissait pas de partenaire fixe à Jackson "J’ai raté un épisode ? Tu peux pas lancer ce genre d’infos en t’attendant à ce que je ne rebondisse pas dessus. Des détails peut-être ?" Tout bien considéré, elle compléta, démontrant une certaine impatience qui lui fit rouler des yeux cette fois parce que Jackson était fait du même bois qu’Edge et qu’ils avaient le même humour. De fait, il valait mieux être précis sur ses requêtes "Pas ce genre de détails, Mills. Je sais comment on fait les bébés." Sans blague, Khadji "Tu crois que t’as fait un transfert, c’est ce que tu veux dire ?" rebondit-elle tout de suite après la mention de Judy.

Sa bouche marqua un assentiment, se courbant vers le bas alors que son expression semblait dire quelque chose du genre ça fait sens ; et encore une fois, sa main trouva son ventre pour le caresser pendant qu’elle sentait la détresse de Jackson poindre, son front trouvant la surface de la table lorsqu’il se retrouva de nouveau correctement assit sur sa chaise. Affectant une mine compatissante, la main libre de Yasmine vint se tendre vers lui pour flatter l’espace qu’il y avait entre ses omoplates tout en muscles, et lui dire avec une exagération dans sa façon de mouvoir ses lèvres lorsqu’elle parla "Bienvenue au club, Jackson." Elle attendit qu’il la regarda de nouveau, ne retirant pas sa main qui continua de faire des mouvements de va et vient entre ses omoplates "Je suis certainement pas la plus indiquée pour t’aider tu sais, mais si tu commençais déjà à me raconter comment t’en es venu à te retrouver dans cette situation, je pourrais au moins t’écouter."