@GRETA MOORE & KIERAN HALSTEAD ⊹⊹⊹ and ooh-woo, I keep a picture of you here in my head, and ooh-woo, I breathe a little deeper with every breath. But hope for the future got me on my knees And ooh-woo, I keep a picture of you here in my head.

(c) leave & drvgonqueen. 

tw : dépression

(SPRING HILL, LOGEMENTS). Les conseils de son psychiatre ont une valeur égale aux petits caractères en fin de chaque contrat ; Kieran a prétendu prendre connaissance des termes et conditions – mais tout le monde sait qu’il se fout ouvertement du monde. Quand bien même ; ils auraient été écrits en caractère d’imprimerie qu’il aurait feinté l’aveuglement.

Beaucoup de sommeil. Le plus évident ; le plus manquant, surtout. Les cernes qui ont pris des allures de tranchées sous ses yeux vont de pair avec le teint gris de sa peau. Dans la guerre déclarée par son propre esprit, Kieran est un soldat qui a choisi la désertion. Être un lâche face à un combat perdu d’avance est une posture compliquée, mais confortable. Les jours se suivent ; les nuits se ressemblent, alors qu’il parvient difficilement à tomber dans les bras de Morphée, malgré toute l’aide artificielle dont il est supposément assommé. Paradoxal, pour un type qui a trafiqué sa propre médication dans le but d’en finir. Ça l’est moins quand on doit lui reconnaître un certain effort pour se tenir éloigné de tout substitut au bien-être, non pas par goût de l’autodestruction, mais par crainte de perdre le contrôle comme il a désormais conscience d’en être capable. L’ordonnance abandonnée sur le comptoir, ses nuits sont mauvaises, mais la tentation d’une solution de facilité le serait encore plus.

Manger correctement et régulièrement. D’aussi loin qu’il s’en souvienne, ‘’correct’’ n’a jamais été un terme qu’il associe à l’alimentation et les nombreuses boîtes en carton qui s’entassent dans son frigo, vidées à peine du quart, en témoignent. Les quelques kilos perdus à la suite de son hospitalisation n’ont pas encore été repris, mais du haut de son mètre quatre-vingt-seize, la différence est vite perceptible malgré un style vestimentaire qui ne l’a jamais vraiment mis en valeur. Une chance qu’il n’ait jamais bénéficié d’un charisme remarquable, sans quoi il aurait pu se maudire d’être aussi insignifiant.

Accepter ses pensées négatives. Ne pas chercher à leur prêter du crédit ni à les disputer ; seulement les accepter pour mieux les laisser repartir. Sauf que Kieran n’a jamais aimé les adieux, pas même avec ses côtés les plus sombres ; alors évidemment qu’il attrape chacune d’entre elles pour mieux les intégrer dans son esprit. Les voix qui continuent de le traiter de minable sont toujours celles qu’il écoute le plus, parce qu’elles sont les plus régulières, les plus habituelles et surtout les plus craintes si elles venaient à disparaître – cela impliquerait de se qualifier d’une tout autre manière, et c’est une question à laquelle Kieran n’a pas encore réfléchi. De toute évidence, l’inconnu lui a toujours fait peur.

Aux yeux de Kieran, les efforts sont abandonnés avant même d’être réellement mis en place. Il faut croire que l’échec est tellement prédominant qu’il n’a plus goût à rien d’autre, et qu’il n’arrive pas à se régaler de toutes les autres saveurs de la vie – c’est là que j’entre en action.

Mettre le nez dehors. À première vue, son appartement est devenu une tanière désorganisée, dont l’ordre n’est remis que ponctuellement lorsqu’Albane annonce son arrivée. Le reste du temps, les efforts sont partagés avec Eliot, mais dès lors que l’on pousse la porte de sa chambre, on jurerait qu’il n’a pas mis un pied dehors depuis des mois. Pourtant, Kieran n’a jamais autant fui son appartement que depuis qu’il le partage avec Eliot, même si le monde extérieur prend encore des allures de menace. Mais il sort. S’il juge qu’il erre sans but précis, je conteste en mettant en évidence le fait qu’il essaie, au moins. Il sort, il voit du monde, il retrouve sa place. L’agent de sécurité du supermarché qui lui demande des nouvelles, l’employée du cinéma où il se rend tous les mardis qui quémande son verdict à l’issue de la séance, le gamin qui scrute avec attention son arrivée au parc pour jouer avec Waterproof et sa mère qui lui sourit pour le remercier de son autorisation. S’il a l’impression que son monde s’est arrêté de tourner, celui des autres n’a jamais cessé de le faire et il a toujours une place, même d’observateur, au sein de celui-ci ; j’imagine que c’est la première étape avant que le sien se remette à fonctionner.

Trouver un loisir. Il n’a pas été difficile d’identifier ce qui saurait lui faire du bien, même si la frontière entre occupation personnelle et vie professionnelle est mince et peut être risquée. Je crois qu’on peut dire qu’en vue de la situation, l’évaluation du risque prend une tout autre signification, n’est-ce pas ? Kieran a passé son après-midi à l’Institute of Modern Art, comme il le fait régulièrement depuis sa sortie d’hôpital. Pas spécifiquement ce musée-là, mais la liste de ceux qu’il écume devient conséquente et forme une boucle qu’il prend plaisir à revivre, encore et encore. Peu importe s’il a déjà vu deux fois la même exposition ; c’est la beauté de l’Art et des nombreuses significations qu’une même œuvre peut prendre, lui donnant l’impression d’être à chaque fois inédite. Il a délaissé ses crayons voilà quelques mois, et sans être confiant sur ses capacités, il reprend quelque peu goût à l’envie d’essayer. C’est un bon début, même si à son goût ce n’est pas assez – mais comme j’aime le lui souligner, Kieran n’a jamais été très tendre avec lui-même. Et peut-on réellement considérer qu’il s’agit d’un début quand on se projette comme il le fait ? Quand il songe à ses élans de créativités, aux projets abandonnés, à ceux qu’il aimerait reprendre ?

Faire confiance à quelqu’un. N’importe qui ; pas les mêmes personnes, pas pour les mêmes raisons. Et j’aime particulièrement ce point. À défaut de se faire confiance à lui-même, il peut au moins tenter de l’accorder aux autres. Le problème avec Kieran, c’est qu’il la confie entièrement aux autres et reste impassible quand ils la froissent, et c’est bien là que j’interviens. La confiance, ça va, ça vient ; il a le droit de l’accorder pour une heure, pour un jour, pour une situation, et de la reprendre par la suite. De l’évaluer, de reprendre le contrôle pour ne plus risquer la déception. Kieran identifie la personne qui en bénéficiera aujourd’hui ; alors qu’il est à une vingtaine de minutes de son appartement vers lequel ses pas l’emmènent une fois sorti du musée. Greta.

Il n’a plus pensé à elle depuis un certain temps et, par extension, moi non plus, mais maintenant qu’il songe à elle, je lui déroule la rétrospective de leurs souvenirs communs, et de l’amitié qu’il lui portait avant de soudainement disparaître. À moins que ce ne soit elle qui l’ait fait ? Pas de visite, pas de coup de téléphone, pas de curiosité déplacée et c’est probablement la raison pour laquelle c’est à elle qu’il s’accroche aujourd’hui – parce qu’il y aura des non-dits, sans doute, mais que ceux-ci lui feront du bien. Prétendre que rien n’a changé entre eux, qu’il est toujours le même que six mois auparavant, et reprendre le cours d’une vie qui, pourtant, n’a plus rien de normal. Il espère qu’elle n’a pas changé d’adresse, et lorsqu’il finit par rejoindre le quartier de Spring Hill, qu’il retrouve sa maison, l’instant d’hésitation qu’il ressent à l’idée de la déranger est effacé par mon impulsion. Quelques coups, un discours pas préparé, et un malaise perceptible au moment où elle ouvre la porte. « Hé, salut, je... » Le rouge lui monte déjà aux joues. Désolé, Kieran, moi j’agis sur ce qu’il se passe dans ton esprit et non pas sur tes réactions physiques. « Je passais dans le coin et je… je sais pas, j’me suis dit que je… pouvais venir te saluer ? » Et déjà, il regrette son grand élan de courage – et d’intérêt, disons-le clairement, alors que c’est loin d’être détestable quand on sait qu’il n’arrive jamais à s’affirmer, et qu’il s’agit-là d’un effort conséquent pour lui que d’avoir des intentions. « Ce que je viens de faire, là, du coup... » Il souligne en riant nerveusement. « Mais euh, disons alors que je veux prendre des nouvelles ? » Ce qui est vrai, en quelque sorte. « Pardon, c’est déplacé, n’est-ce pas ? J’aurais dû m’annoncer, désolé. » Ah, Kieran, si tu mettais un billet de côté à chaque fois que tu t’excuses, Jeff Bezos serait pauvre en comparaison.

hope for the future
ft  @Kieran Halstead

Il y avait d’abord eu Arthur. L’amour de sa vie qui s’était évaporé au milieu d’une spirale infernale et cela l’avait fait réaliser combien l’élite londonienne et ses excès pouvaient détruire les gens. Elle s’en était éloignée mais cherchait encore à voir le positif dans tout ça. Isaac. Se noyer dans l’alcool et se retrouver sous les draps ne leur avaient pas permis de réparer leur cœur brisé et si elle avait réussi à avancer et à garder un certain équilibre, lui avait sombré. Au plus profond des abysses, et il avait pris la pire décision de sa vie, celle qui aurait pu l’empêcher d’être le père de famille qu’il était devenu et de vivre cette histoire avec Penny. C’était quelques jours après qu’ils se soient vus et ce sentiment d’impuissance ne l’avait plus quitté. Puis Rhett et son passage en cure de désintoxication, un élément qui aurait dû être anecdotique pour la biographe mais qui ne l’était pas. Et ensuite Lucas. Son accident d’abord, ces jours d’attente avant d’aller le voir à l’hôpital parce que déjà là elle rechignait à voir ces murs d’un blanc immaculé et à sentir cette odeur si particulière. Et son addiction aux anti-douleurs - le dernier élément d’une longue liste qui avait ancré ses doutes encore un peu plus profondément. Ils avaient été nombreux dans son entourage à connaître les addictions et à devoir passer à un moment ou un autre par le sevrage ou l’hôpital et Kieran avait eu comme seul tort de passer après tous les autres. Greta savait combien elle avait été égoïste et c’était probablement la raison pour laquelle elle était restée silencieuse, laissant Kieran se rétablir, prenant de ses nouvelles via leurs amis communs plutôt que de renouer le contact avec un ami qu’elle avait eu le sentiment d’abandonner. La vérité, c’était que la jeune femme n’était plus en mesure de passer les portes de l’hôpital parce qu’elle avait le sentiment que chaque personne qu’elle côtoyait finissait par connaître une période sombre. Oh, elle était consciente que rien de tout ça n’était lié à sa personne, que le monde ne tournait pas autour d’elle, mais elle n’était plus en mesure de gérer. De chercher les mots. De contrôler ses larmes. D’adresser des sourires incroyablement faux aux personnes qui comptaient.

« Hé, salut, je... » La jeune femme n’avait pas prévu de faire quoique ce soit ce jour-là, son jogging et ses cheveux dans un chignon négligé comme témoins. En ouvrant la porte, son air agacé d’avoir été dérangée s’était évaporé en une fraction de seconde en découvrant qui se tenait là. « Je passais dans le coin et je… je sais pas, j’me suis dit que je… pouvais venir te saluer ? »  Kieran. Comme si elle se regardait dans un miroir, ses joues à elle avaient pris la même couleur que les siennes, la gêne étant encore plus intense chez elle parce qu’elle possédait tous les torts. « Ce que je viens de faire, là, du coup... » La blonde se tenait là, le fixait, le laissant trouver les mots, cherchant à s’assurer qu’il ne regretterait pas son choix à la seconde où elle prendrait la parole. « Pardon, c’est déplacé, n’est-ce pas ? J’aurais dû m’annoncer, désolé. » Un léger sourire s’était emparé de son visage alors qu’il montrait toujours ce même manque d’assurance. « Je suis tellement contente de te voir… » Le voir devant sa porte lui apportait tout un tas de sentiments qui se mélangeaient, l’empêchant de trouver la bonne façon de réagir. Greta était étonnée, d’abord, parce qu’elle pensait qu’il l’avait oubliée et que ce serait à elle de faire le premier pas lorsqu’elle se sentirait prête. Elle bouillonnait d’une joie intense, de le voir faire l’effort, de le voir se tenir là, tout simplement. Mais le sentiment qui les dominait tous était cette extrême culpabilité - son ami allait mal et elle n’avait pas trouvé le courage d’être présente pour lui. « Entre, entre ! » avait-elle finalement demandé, brisant le silence gênant qui commençait à s’installer, en lui indiquant l’intérieur du loft. Kieran était comme un enfant, le sourire de l’écrivaine se dessinant alors qu’elle le voyait redécouvrir l’endroit comme si c’était la première fois. « Je suis désolée, pour ce que ça vaut… » De ne pas avoir été présente au moment où il en avait le plus besoin. Eliot lui en voudrait probablement bien plus que le principal intéressé à ce sujet, mais elle se devait de présenter ses excuses. S’asseyant sur les chaises hautes de sa cuisine comme si cela allait lui permettre de remettre de l’ordre dans ses idées, Greta tentait de trouver les bons mots alors qu’il était totalement exclu de lui demander s’il allait bien. « J’imagine que si tu es venu, c’est que tu m’en veux pas trop ? » avait-elle demandé, s’efforçant de maintenir un ton léger pour la discussion. Elle avait finalement secoué la tête pour changer de sujet parce qu’elle s’était rapidement rendue compte combien, une nouvelle fois et sans le vouloir, elle avait à nouveau reporté le sujet sur sa personne. C’était maladroit, Greta devait réfléchir avant de parler, s’assurer que ces retrouvailles se passent au mieux et qu’elles soient une source de positivité pour un Kieran qui en manquait cruellement. « Je t’avais déjà dit que tu serais toujours le bienvenue. Je t’offre un truc à boire ? A manger, même.  » Greta faisait de grands gestes avec les bras qui allaient de pair avec l'opulence du loft dont les placards n’étaient jamais vides, toujours trop pleins. Préciser lui offrir à manger n’était pas assez subtil, il était évident qu’elle avait remarqué la perte de poids de son ami, mais même sans cela, offrir quelque chose à ses invités était la première étape de la politesse alors elle espérait qu’il ne s’en offusquerait pas. « J’imagine que t’as pas mal de choses à me dire. J’espère, même. » Et elle avait enfin daigné le regarder dans les yeux et au croisement de leurs regards, un sourire sincère s’était automatiquement dessiné sur ses lèvres, le voir la rendait extrêmement heureuse parce que la fois d’avant aurait bien pu être la dernière.

Sa venue ici lui semble terriblement malvenue, alors que Greta aurait toutes les raisons du monde de lui demander de faire demi-tour. À commencer par le fait qu’il ne soit pas annoncé au préalable avant de se pointer à sa porte ; et outre l’effet de surprise, peut-être que sa seule présence la rend mal à l’aise. Il n’est pas dupe, Kieran, il a bien vu que son entourage ne savait plus comment se comporter avec lui et s’il a jugé que Greta ne serait pas concernée par cette question puisqu’elle n’a pas été là, il réalise à présent qu’il y a peut-être une raison spécifique pour laquelle elle a soudainement disparu de son quotidien. Après ce qu’il s’est passé, alors qu’il semble devoir mener une campagne de rédemption auprès de ses proches pour obtenir leur pardon, il ignore où se positionne Greta par rapport à tout ça. Pour ça, il aurait fallu qu’elle lui envoie ne serait-ce qu’un message ; mais la jeune femme a préféré faire vœu de silence et même si Kieran n’est pas rancunier, il n’en va pas de même pour moi. C’est en partie parce qu’il n’en pouvait plus de se sentir si seul qu’il a commis ce geste ; parce que sa solitude lui semblait insoutenable, parce qu’il ne savait plus comment gérer son sentiment d’être un fardeau pour ses proches. Si certains d’entre eux se sont montrés présents, d’autres ont déserté ; Greta appartient à cette catégorie et même si je sais que Kieran s’accroche à elle en partie pour ne pas avoir l’impression d’être une petite chose fragile comme il semble l’être pour Autumn et Eliot, je n’arrive pas encore à déterminer si c’est une bonne chose ou non. Se sentir à nouveau normal, aux côtés de quelqu’un qui ne va sans doute pas appuyer sur ses failles a tout d’une attitude réconfortante dans laquelle il pourrait se perdre plus que de raison. Ce sera agréable un temps, mais je reste fixe sur mes positions ; et je doute sincèrement qu’à terme, le déni dont il fait exagérément preuve puisse réellement lui être utile. Pour autant, je sais aussi que cette fois-ci il n’est pas question que de ça ; et avant de se remettre à vivre, il est question de se remettre à exister ; par le biais d’activités, de projets ou de n’importe quoi susceptible de lui occuper l’esprit avant qu’il n’en trouve un vrai plaisir. Sa venue est intéressée, et c’est probablement ce qui me pousse à accepter qu’il prenne le risque de se confronter à Greta.

L’assurance dont il a su faire preuve en se rendant jusqu’ici disparaît aussitôt la porte ouverte ; et Kieran perd ses moyens quand il bafouille pour justifier de sa présence. Il voulait lui dire bonjour, il l’a fait, il peut sans doute retourner d’où il vient pour simplifier la vie de tout le monde. « Je suis tellement contente de te voir… » Ces quelques mots ont le don de le rassurer alors qu’il commençait à douter de lui, et la sincérité sur le visage de Greta me fait réviser mon jugement. « Moi aussi. » Elle n’a pas un mauvais fond, la blonde. Elle a sûrement des circonstances atténuantes pour expliquer son silence. « Entre, entre ! » Obéissant aux ordres de son ami, il fait quelques pas pour s’immiscer à l’intérieur du loft qu’il guette pour ne pas avoir à reposer tout de suite son regard sur Greta. « Je suis désolée, pour ce que ça vaut… » Ah, nous y voilà. Secouant la tête de gauche à droite par la négative pour lui faire comprendre qu’il n’y a pas de mal, Kieran mêle les mots à sa pensée : « T’en fais pas. J’avais besoin d’être seul, de toute façon. » Et ce n’était sûrement pas une bonne idée que de rester avec ses pensées et la culpabilité de son geste, mais cela lui a permis de prendre le temps avant de se confronter à nouveau au monde extérieur qui, je le perçois, continue de le terroriser. C’est parce qu’il ne pensait ne plus y avoir sa place que Kieran en est arrivé-là ; elle sera difficile à retrouver. « Je pensais pas que les nouvelles allaient aussi vite. » Il se permet néanmoins de souligner, car Greta appuie sur sa plus grande crainte ; et le fait de ne pas savoir quels sont les détails en la possession de chacun. Avançant dans l’appartement en étant le bienvenu, mais sans s’oser à être trop à l’aise, il reste à bonne distance alors qu’il l’observe prendre place sur une chaise. « J’imagine que si tu es venu, c’est que tu m’en veux pas trop ? » - « Mais non, je t’en veux pas Greta, absolument pas. » C’est moi qui lui en veux. Un peu, je crois – il semblerait que Kieran arrive de plus en plus à s’affirmer et à m’imposer ses opinions, ce qui est très exactement la raison pour laquelle je suis apparu en premier lieu. On avance, il faut croire. « Je t’avais déjà dit que tu serais toujours le bienvenue. Je t’offre un truc à boire ? A manger, même.  » -  « Juste un verre d’eau, ça me va très bien, merci. » Il a appris à renoncer à l’alcool compte tenu du mauvais coup d’œil qu’il recevait à chaque fois qu’il quémandait une bière – à croire qu’il a détruit son foie à l’alcool et non pas aux médocs. « J’imagine que t’as pas mal de choses à me dire. J’espère, même. » Le rire qu’il étouffe traduit du sarcasme avec lequel il accueille les paroles de la jeune femme. Un instant, il est tenté de préciser qu’il vient de passer plus de trois mois en psychiatrie et que les seules choses qu’il peut lui détailler est l’ordre dans lequel il devait prendre ses médicaments ou la sécurité poussée dont sa chambre faisait l’objet, mais je l’en empêche – t’as déjà bien assez de peine à garder tes proches sans leur faire peur, Halstead. « Euh... à vrai dire, je pensais plutôt que toi, t’aurais des choses à me dire. » Elle, elle a sûrement continué le cours de sa vie ; celle-ci ne s’est pas mise sur pause parce qu’elle était enfermée dans un hôpital. « Enfin, j’veux dire, je voulais prendre des nouvelles quoi, je... je me demandais ce qu’il y avait de nouveau pour toi ? Au boulot, ou... ou autre chose, je sais pas. » Se reprenant tout de suite par peur que ses mots puissent paraître accusateurs, il a l’impression de s’enfoncer sans oser en venir au fait, mêlant les gestes à son malaise quand ses mains disparaissent dans les poches de son pantalon.

@Greta Moore

hope for the future
ft  @Kieran Halstead

Greta le connaissait assez bien pour imaginer les émotions contraires qui se bousculaient dans sa tête depuis qu’il avait décidé de sonner chez elle et pourtant, elle avait bien du mal à trouver le bon comportement à adopter. Ne pas minimiser tout en ne focalisant pas sur le sujet, la balance allait être difficile à maintenir en équilibre. Alors elle s’était comportée du mieux qu’elle pouvait le faire, continuant à s’efforcer de rester naturelle et de ne pas laisser paraître combien elle était chamboulée par les événements. Après tout, elle n’était même pas supposée être au courant mais il se doutait que quelqu’un lui aurait fait part des nouvelles. C’était la moindre des choses et même si la situation la mettait dans un état particulier et l’empêchait d’agir comme une réelle amie, Greta était rassurée de savoir. « Moi aussi. » Il ne semblait que très peu enthousiaste mais cela était un trait de caractère qui ne l’avait jamais quitté, la blonde aimant s’entourer de personnes différentes d’elle pour pouvoir sans cesse se remettre en question. Ce sentiment était pourtant beaucoup trop décuplé à ce moment précis et l’embarras de l’écrivaine était impossible à cacher. Le faisant entrer, elle s’était excusée parce que cela était la chose la plus évidente mais surtout la plus simple à faire. « T’en fais pas. J’avais besoin d’être seul, de toute façon. » Son front s’était plissé, elle n’était pas convaincue que rester seule après avoir attenté à ses jours soit le choix le plus judicieux mais elle ne relèverait pas, lui seul contrôlant ses réactions face à la seconde chance qu’il s’accordait. « Je pensais pas que les nouvelles allaient aussi vite. » Son soupir l’avait prise au dépourvue mais elle se doutait qu’il y aurait des questionnements, la blonde n’avait pas donné de nouvelles et venait de lui prouver qu’elle était au courant. Parce qu’elle ne prenait pas le temps de peser la portée de chacun de ses mots, elle s’était autorisée une remarque qui semblait banale pour elle. « J’espère que ça t’a permis de réaliser que t’étais important. » Pour plusieurs personnes et elle éviterait de tenter de quantifier le nombre de ses amis pour qu’il ne trouve pas là un moyen de venir contredire ses paroles. Greta pouvait au moins parler pour Eliot et elle-même et donner grâce à ce premier un peu plus de consistance à ses paroles même si elle y croyait fermement. Il n’était pas seul, et même s’il l’était, son existence n’avait pas moins d’importance que celle de quiconque et elle se serait battue pour qu’il le comprenne. Elle se serait battue avant son geste mais après qu’il ait eu franchi cette étape, la blonde était restée impuissante et en retrait et c’était ce qui justifiait la tristesse qui ne quittait ni son regard ni son sourire. « C’était important pour moi d’être au courant, Kieran. » Et le paradoxe de ses paroles était venu la frapper de plein fouet. « Je n’ai pas su comment réagir, ça ne veut pas dire que je ne me sens pas concernée. » Seul son regard l’aidait à témoigner de sa sincérité, elle oscillait entre l’envie de justifier son absence et le besoin de chasser ce souvenir là pour lui donner ce qu’il était venu chercher en venant ici selon elle, une distraction et une façon de reprendre le cours de sa vie. L’écrivaine connaissait l’importance de rester positive et de ne pas donner l’impression à Kieran d’avoir un impact négatif sur son humeur. Ce n’était pas le cas, bien au contraire. « Mais non, je t’en veux pas Greta, absolument pas. » Son regard s’était posé un temps sur lui, cherchant à jauger la sincérité de son affirmation et seule la bienveillance se lisait dans son regard.« Je pense que j’aurais moins culpabilisé si tu m’en avais voulu, en fait. » Kieran venait encore une fois lui prouver combien elle avait eu tort de ne pas être présente pour lui quand il en avait le plus besoin, sa gentillesse l’empêchant de lui reprocher quoique ce soit. Qu’il s’agisse de ce qu’il pensait réellement ou simplement de politesse, Greta aurait préféré qu’il exprime ce qu’il ressentait réellement comme pour venir lui donner la possibilité de se justifier. Mais il n’avait pas besoin de se retrouver confronté à ses propres états d’âme, ses sentiments à elle n’étaient pas importants pour la simple et bonne raison que l’écrivaine était capable de vivre avec ce qui était un défi bien plus compliqué pour Kieran.

Proposer quelque chose à boire ou à manger, une autre étape simple que Greta maîtrisait à perfection. « Juste un verre d’eau, ça me va très bien, merci. » Un petit rire amusé s’était échappé de ses lèvres et elle lui avait servi le verre d’eau avant de lui demander ce qui l’amenait là, espérant que sa visite lui apporterait quelques informations sur une amélioration de son état. « Euh... à vrai dire, je pensais plutôt que toi, t’aurais des choses à me dire. »  C’était probablement maladroit, cependant, ils ne s’étaient pas vus depuis quelque temps et la blonde osait espérer qu’il avait déjà réussi à reprendre sa vie là où il avait souhaité l’abandonner. « Enfin, j’veux dire, je voulais prendre des nouvelles quoi, je... je me demandais ce qu’il y avait de nouveau pour toi ? Au boulot, ou... ou autre chose, je sais pas. » Greta s’était installée sur le fauteuil de son salon et l’avait invité à faire de même. « Détends-toi, Kieran. » avait-elle proposé avec un sourire encourageant. Il avait toujours été à part, jamais si vulnérable. « T’as plus besoin d’être gêné avec moi depuis un certain temps maintenant » avait-elle tenté avec humour, le renvoyant à ce rendez-vous raté qui s’était terminé en fou rire plutôt qu’en histoire d’amour. Et c’était tant mieux, l’amitié lui réussissait bien plus que l’amour même si sur ce sujet là aussi elle avait de gros progrès à faire. « Il paraît que je vais devenir biographe pour Rhett Hartfield. » Son haussement d’épaule venait donner une sorte de banalité à l’information. C’était difficile, particulier, de se voir ainsi faire le récit de sa vie et appuyer subtilement sur un succès alors qu’elle s’adressait à lui. « Comme quoi les miracles existent encore, hin » avait-elle ajouté, dirigeant ses propos vers un sentiment d’espoir car elle détesterait qu’il ait l’impression de la voir se vanter. Ce n’était pas le cas, parce que pour elle, elle était encore très loin de l’objectif qu’elle s’était fixé en venant ici. Kieran ne savait rien de son passé et une pointe de regret venait la tirailler maintenant que ce rendez-vous tinder avait pris une place bien plus importante dans son quotidien. C’était un ami, et l’annonce avait eu pour effet de lui faire réaliser à quel point il comptait. « Tu dessines quoi en ce moment ? » Une nouvelle tentative d’utiliser correctement chaque mot, posant la question sans laisser penser qu’il avait abandonné sa passion et sans lui donner le sentiment d’avoir échoué s’il n’avait rien à lui montrer aujourd’hui. Pas à pas, elle ferait de son mieux pour revenir dans sa vie et participer à lui montrer qu’elle en valait la peine.

S’il s’est présenté à la porte de Greta avec une idée derrière la tête – encore difficilement assumée – se retrouver face à elle lui démontre qu’il y a peut-être plus qu’une intention déguisée quant à sa visite. Le malaise qu’il ressent face à elle n’est rien par rapport à celui qu’il peut ressentir quand il est confronté à ses sœurs ou à ses collègues ; en ce sens, c’est plutôt un premier pas en douceur quant à la campagne de justifications qu’il est supposé mené et qu’il ne cesse de repousser. Greta m’excusera, mais même s’il la considère avec beaucoup d’estime et d’affection, elle ne fait sans doute pas partie des personnes qui lui sont le plus proche au quotidien, et en ce sens se retrouver face à elle est effectivement un premier pas vers ce qui l’angoisse depuis des semaines. Et, peut-être qu’il s’agit d’une certaine forme de sadisme qu’il ne se connaissait pas, mais il choisit le plus facile des cobayes – là aussi, Greta me pardonnera l’affront – celle dont le silence peut être considéré comme une faute ; et qui n’osera probablement pas s’offusquer de son petit plan. J’ai toujours été pour l’affirmation de Kieran, jamais pour qu’il se serve des autres, mais… mais je ne peux pas nier que son idée, aussi foireuse qu’elle puisse être, est peut-être la moins pire depuis longtemps. Je lui ai toujours dit d’aller à son rythme, et si à cet instant Greta peut l’aider, qu’il en soit ainsi. Le déni a duré suffisamment longtemps pour qu’il s’essaie désormais à une forme de vérité – pas totale, car Kieran est encore bien loin de pouvoir verbaliser les raisons l’ayant poussé à commettre ce geste. Ce n’est pas tant qu’il n'a pas réussi à les identifier – elles t’accompagnent encore quotidiennement, Halstead – mais il n’ose pas encore les souligner auprès de ses proches, conscient que leur point de vue sur lui a déjà changé sans qu’il n’en rajoute une couche en pointant du doigt la solitude qu’il ressent toujours. Et pourtant, il avait besoin d’être seul, oui. Ce n’est pas une bonne idée et c’est sans doute la raison qui m’a amené à le pousser à reprendre le cours de sa vie, mais je sais aussi que le confronter à ses amis ne l’aurait pas aidé à entreprendre le chemin qu’il essaie de parcourir aujourd’hui. À défaut d’aller bien et prendre le risque de ne pas supporter la pression d’un tel objectif, Kieran essaie au moins de se convaincre qu’il peut aller mieux. « J’espère que ça t’a permis de réaliser que t’étais important. » C’est là que tu te trompes, Greta. À cause de gens comme toi, ça lui donne surtout l’impression de ne pas l’être, et qu’il a raison de douter de sa place dans le monde. Et il sait qu’il ne doit pas associer sa valeur au nombre de personnes qui se sont précipitées – ou non – à son chevet, mais il ne peut s’empêcher de croire que certains ont accueilli la nouvelle avec un soulagement, compte tenu de leur silence. Alors non, ce détail ne fait pas vraiment partie de ceux qui l’apaisent, pas alors que, depuis sa sortie d’hôpital, il a toujours l’impression d’être invisible, et qu’il ne sait pas comment faire pour changer les choses. N’allez pas croire qu’il a besoin de sentir la lumière sur lui et que son geste n’est qu’une volonté de se rendre intéressant, non, s’il est vrai que Kieran a le désir d’être vu, c’est surtout parce qu’il veut se sentir aimé ; ou apprendre à le faire lui-même. Il a gardé le silence sur son geste auprès d’un certain nombre de personnes pour éviter d’être perçu avec une pitié qui lui est insupportable, mais dans le fond cela ne l’a pas aidé à mieux supporter ses souffrances. Il hausse les épaules, préférant se concentrer sur la suite de ses paroles. « C’était important pour moi d’être au courant, Kieran. » Pas tant que ça, qu’il songe avant de s’en vouloir d’être aussi dur, alors même qu’il ne devrait pas s’encombrer l’esprit avec d’autres pensées que celles avec lesquelles il continue de se débattre. « Je n’ai pas su comment réagir, ça ne veut pas dire que je ne me sens pas concernée. » - « Je t’en veux pas, je t’ai dit, j’ai fréquenté assez les hôpitaux pour comprendre qu’on les évite. » Il préfère minimiser, tourner l’événement en dérision, quand bien même il n’y a rien de léger dans tout ça. De la même manière qu’il se surprend à admettre que ce n’est de loin pas la première fois qu’il s’est retrouvé entre ces murs-là. « Et l’aile psychiatrique, pouah, je suis surpris que t’aies pas carrément fui le pays. » Il ajoute, tentative d’humour qui ne fait rire personne ; à commencer par moi. C’est inapproprié, Kieran, et je crois que tu t’en rends bien compte. « Ouais désolé, j’ai jamais été drôle et c’est encore pire depuis que c’est un… mécanisme de défense. » Il dit en mimant les guillemets pour accompagner ses paroles, pinçant les lèvres en un sourire désolé de lui imposer sa maladresse qui est d’autant plus déplorable depuis les récents événements. « Je pense que j’aurais moins culpabilisé si tu m’en avais voulu, en fait. » - « Je peux faire semblant si tu préfères. » Il dit en levant se redressant, levant le menton tout en croisant les bras pour afficher un air sévère sur le visage. « J’suis pas content, Greta. » Il reste sérieux un instant avant d’éclater de rire, qui ne sonne pas aussi vrai qu’il le voudrait, d’ailleurs. Il serait peut-être de comprendre, Kieran, qu’après autant de temps à faire semblant, si ça ne marche toujours pas, il faudrait peut-être appréhender les choses différemment, non ?

S’emparant du verre d’eau tendu par Greta, il y plonge ses lèvres en tenant de reprendre contenance en expliquant la raison de sa visite, sans pour autant se montrer parfaitement sincère. S’il est vrai qu’il est dans ses habitudes de ne pas se montrer honnête, c’est beaucoup moins habituel de le faire par intérêt et je perçois à quel point il est mal à l’aise. Greta aussi, visiblement. « Détends-toi, Kieran. » - « Ouais, pardon. » Ah, par contre ce n’est pas aujourd’hui qu’il cesse les excuses. Prenant place sur le canapé, son verre d’eau à la maison, Greta ne tarde pas à ajouter : « T’as plus besoin d’être gêné avec moi depuis un certain temps maintenant » - « Outch, merci de me rappeler mes meilleurs exploits. » dit-il en portant sa main libre sur son cœur, d’une façon presque théâtrale. « Il paraît que je vais devenir biographe pour Rhett Hartfield. » - « Rhett Hartfield ? » Il fronce les sourcils un instant, avant d’ajouter : « Faut que tu m’aides là parce que si c’est pas un cosplayeur ou un artiste, je suis vite largué. » Ce qui est un peu étonnant, si vous voulez mon avis, compte tenu des heures qu’il passe sur internet. « Comme quoi les miracles existent encore, hin » - « Hm, si tu veux dire que le miracle s’appelle le talent, eh bien je suis pas surpris. » Il lui assure avec un sourire, sincère cette fois. Il n’a aucun doute quant au talent de la jeune femme, bien qu’il n’ait jamais eu l’occasion d’en profiter. « Je suis content pour toi. Tu le mérites vraiment. » Il lui dit, en gardant son sourire aux lèvres. « Tu dessines quoi en ce moment ? » Et son sourire disparaît bien vite. C’est vrai ça, Kieran, tu dessines quoi en ce moment ? On ne peut pas dire que l’inspiration l’envahisse à présent, et c’est sans doute la raison pour laquelle il a besoin d’un… ouais, disons-le clairement, un coup de pied au cul. « Euh pas grand-chose en vrai. » Et à la rigueur, quand il arrive à se concentrer suffisamment longtemps, on ne peut pas dire que ses dessins brillent par leur optimisme. « Et euh, je t’avoue que, peut-être, je suis venu… chercher l’inspiration ? » Il souligne avec hésitation, butant sur ses mots avant de reprendre rapidement, comme pour se justifier : « enfin, genre, je me souviens qu’on avait discuté de… trucs, ensemble, et je me demandais si… enfin, peut-être qu’on pouvait en reparler, tu vois ? » Non, Kieran, sans doute qu’elle ne voit pas, et qu’il serait temps, en tant qu’adulte je te rappelle, de parler avec de vrais mots et non pas des syllabes mises ensemble sous seul prétexte qu’elles sonnent bien plus qu’elles ne veulent dire quelque chose.

@Greta Moore

hope for the future
ft  @Kieran Halstead

Il y avait des sujets avec lesquels il était récurrent que la plupart des gens soient mal à l’aise. Des comportements, des événements, des faits ou des actions qui mettaient l’autre face à ses propres contradictions ou qui touchaient de près ou de loin à sa propre histoire. Il y avait des positions d’inconfort qu’il était impossible d’éviter, peu importe la grandeur des oeillères que l’on tentait de s’imposer. Et ce retour de Kieran dans sa vie faisait partie de ces moments que Greta redoutait sans pour autant pouvoir les repousser et pour cause, si elle n’était pas à l’aise avec tous les sujets, son point de vue n’était pas aussi tranché lorsqu’il s’agissait de ses amis. Alors peut-être qu’il lui pardonnerait, tout en gardant au plus profond de lui cette blessure d’avoir vu l’une de ses amies se dispenser de quoique ce soit de plus qu’un message. Pas de visite, pas de pas vers lui, et la culpabilité se lisait probablement sur son visage. Ils n’étaient pas les amis les plus proches et le fossé s’était inévitablement encore plus creusé, expliquant la timidité qui régnait dans leurs échanges. Malgré tout, Greta avait bien du mal à entendre une once de sincérité dans la voix de Kieran lorsque celui-ci avait répondu à ses excuses. Des mots qui manquaient d’originalité, et qui n’avaient pas d’autre vocation que d’être le simple réflexe que forçait la politesse. On avait tout appris à la blonde, à poser pour les photographes, à répondre aux questions les plus dangereuses pour la renommée familiale, on lui avait même appris à faire semblant que tout allait bien quand ce n’était pas le cas. Mais devant quelqu’un qui comptait à ses yeux, l’exercice n’était plus aussi aisé et elle aurait souhaité qu’on lui apprenne à désamorcer une situation aussi tendue que celle-ci. Ce n’était pas nouveau, et c’était peut-être également ce point qui venait la contrarier encore un peu plus, ce sentiment qu’elle avait échoué en tant qu’amie pour la seconde fois. Elle avait pourtant essayé, par le biais d’amis communs, et si Kieran avait soulevé la vitesse à laquelle la nouvelle avait circulé, il ne semblait pas accepter que cela souligne son importance. Et le voir lutter pour voir à quel point il l’était était une souffrance à laquelle elle n’avait définitivement pas été préparée. Il était resté silencieux et avait haussé les épaules, l’obligeant à poursuivre. A lui confirmer sa position quant à sa personne, mais le mal était fait et elle pouvait elle-même ressentir à quel point ses mots pouvaient paraître faux. « Je t’en veux pas, je t’ai dit, j’ai fréquenté assez les hôpitaux pour comprendre qu’on les évite. » Les bras de la blonde s’étaient croisés sur sa poitrine comme pour se protéger de mots qu’elle ne souhaitait pas entendre alors qu’elle savait pertinemment que Kieran ne les prononcerait pas. Mais il les pensait si fort que son regard sur elle était difficilement supportable. « Et l’aile psychiatrique, pouah, je suis surpris que t’aies pas carrément fui le pays. » Elle le fixait, montrant bien malgré elle sa désapprobation, elle n’était pas prête à en rire. Il ne l’était pas non plus. « Ouais désolé, j’ai jamais été drôle et c’est encore pire depuis que c’est un… mécanisme de défense. » Un maigre sourire s’était dessiné sur son visage et elle avait baissé la tête, s’autorisant un soupir face à un Kieran qui saurait accepter qu’elle ait besoin de se libérer de quelques tensions. Cette bouffée d’air lui avait permis de reprendre la parole. « Je peux faire semblant si tu préfères. J’suis pas content, Greta. » Le soupir avait été plus long que le précédent. « Très bien alors. Tu m’en veux pas et moi je suis contente de te voir. On peut repartir sur de bonnes bases maintenant ? » Elle avait mis un terme à ce règlement de compte dissimulé, entre deux personnes rongées par la culpabilité, et c’était un premier pas vers lui, aussi maladroit que ses tentatives d’humour.

Ce préambule à ce qui allait suivre avait eu pour effet d’agiter Kieran qui aurait plongé dans son verre d’eau si cela avait été possible. La voix de l’écrivaine s’était faite plus douce, son regard plus amical alors qu’elle lui sommait de se détendre. Une proposition plus qu’un ordre tant elle savait combien cela n’était jamais simple, surtout pour quelqu’un comme lui. Mais il était à l’abri du moindre jugement ici, malgré la difficulté de Greta à se débattre avec les démons de son amie. Elle espérait avoir fait le nécessaire pour que la suite se déroule plus simplement et qu’elle ressemble à une réelle discussion entre deux amis ne s’étant pas vus depuis quelques temps. Une conversation simple, basique, quelque chose visant à raccrocher Kieran à une réalité qui lui avait tant échappé et qui ne nécessiterait aucun effort de sa part - il en avait déjà trop fait en seulement quelques minutes. « Ouais, pardon. » Elle s’était retenue de lever les yeux au ciel en l’écoutant s’excuser à nouveau. Elle s’était retenue de lui proposer de cesser de presque s’excuser d’exister, ne voulant pas lui donner le sentiment de vouloir lui donner des ordres. A la place, elle avait détendu l’atmosphère, s’autorisant une légèreté qui avait été celle insufflant cette amitié entre eux. « Outch, merci de me rappeler mes meilleurs exploits. » Son attitude avait changé et elle avait ri, franchement, et c’était à ce moment-là qu’elle avait réalisé à quel point elle avait eu besoin de se détendre elle aussi, sentant ses muscles se relâcher un à un alors que ses lèvres se refermaient. Elle les avait ouvertes à nouveau pour indiquer où elle se situait. « Rhett Hartfield ? » Lui-même.« Faut que tu m’aides là parce que si c’est pas un cosplayeur ou un artiste, je suis vite largué. » Oh. « Ouais, pardon, j’ai pris la grosse tête depuis le temps et je nous ai donné plus d’importance qu’on en a réellement, Rhett et moi. » avait-elle répondu dans un rire. « C’est un ancien rugbyman qui a du arrêter sa carrière parce qu’il s’est blessé et il s’est reconverti en commentateur… Je vais pas te refaire l’histoire et t’en fais pas je t’en voudrais pas si tu lis pas mon livre, du coup. » Elle ne demanderait à aucun de ses amis de développer un soudain intérêt pour le rugby tout comme elle ne vanterait pas les plot twist que comprenait la vie de Rhett.  « Hm, si tu veux dire que le miracle s’appelle le talent, eh bien je suis pas surpris. » Greta lui avait rendu son sourire, et, finalement, peut-être que Kieran se hasarderait à lire cette fameuse biographie. « Je suis content pour toi. Tu le mérites vraiment. » « Merci, Kieran. » Et retrouver un certain automatisme dans le mouvement de ses lèvres qui se transformait en sourire lui faisait énormément de bien. Greta avait alors dirigé la conversation vers lui, pour ne pas qu’il se sente effacé face à ce qu’il appelait son succès. « Euh pas grand-chose en vrai. » avait-il répondu quand celle-ci l’avait questionné sur ses dessins. Il était courant de dire que les plus grands artistes étaient des êtres torturés et Kieran venait confirmer l’adage avec aplomb. « Et euh, je t’avoue que, peut-être, je suis venu… chercher l’inspiration ? » Greta haussait un sourcil, peu certaine de là où il souhaitait en venir. « enfin, genre, je me souviens qu’on avait discuté de… trucs, ensemble, et je me demandais si… enfin, peut-être qu’on pouvait en reparler, tu vois ? » Son sourcil était resté hissé haut sur son front alors qu’un sourire étirait lentement ses traits et le visage de Kieran lui avait fait réaliser à quel point elle devait être inquiétante, à le regarder comme ça. « Je m’en souviens très bien et tu sais que t’arrives à point nommé ? Enfin, je veux dire, j’ai prévu de faire une pause après la biographie mais j’ai pas envie de prendre le risque de retomber dans le néant. » Kieran connaissait les difficultés de Greta depuis son arrivée sur le sol australien, la biographie étant une étape qui devrait servir de tremplin pour la mener à conclure ses projets. « C’est pas pour rien que je te demandais ce que tu dessinais en ce moment. » avait-elle ajouté, persuadée que se mettre en position de celle ayant donné l'impulsion à la discussion détendrait encore plus son ami. Son regard s’était plongé dans le sien, un enthousiasme nouveau s’emparant d’elle. Malgré cela, Greta tentait de rester calme pour ne pas dérouter Kieran qui faisait déjà de son mieux pour s’autoriser à prendre les devants. « Dans l’immédiat, j’ai pas rebossé sur l’histoire dont je t’avais parlé mais si t’avais des dessins, je pense que ça m’aiderait à avancer. Tu te souviens comment tes personnages m’inspiraient ? » Ils faisaient une bonne équipe, si Greta romançait une histoire, Kieran lui donnait vie au travers de croquis qu’il ébauchait avec une aisance impressionnant et, à l’inverse, s’il dessinait quelque chose, Greta imaginait déjà l’histoire qui accompagnait le tout. « Tu veux qu’on tente un brainstorming, là, maintenant ? » La blonde se laissait dépasser par sa propre excitation à l’idée de pouvoir être stimulée par un art différent et, en même temps, de proposer une échappatoire à un Kieran encore fragile.

Si Greta représente un entre-deux avant la confrontation avec le monde réel, elle pourrait également être un très bon exercice d’affirmation de soi si Kieran s’en donnait les moyens – aka, le fait de s’autoriser à lui dire ce qu’il pense réellement, et cesser ainsi de se cacher derrière des pardons de façade. Il prétendra qu’il ne ment pas et je peux lui accorder le bénéfice du doute ; il a sincèrement envie de croire qu’il n’est pas touché par le silence de celle qu’il considère comme une amie. Il n’a surtout pas envie d’être vu comme un geignard, abusant d’une situation dont il ne tire aucune fierté et qu’il aimerait relayer au passé au plus vite. Et n’allez pas croire qu’il veut se faire plaindre, Kieran, non, je le connais suffisamment pour ne pas douter de sa sincérité quand il affirme qu’il ne s’agissait pas d’un acte visant à lui apporter une quelque conque visibilité. Il s’en passe volontiers et en ce sens il est honnête ; il a préféré être seul durant un temps, pour se préparer à ce que son quotidien reprenne son cours. Et à aucun moment il n’espère que celui de ses proches a été mis sur pause à ce moment-là ; mais il l’admet, il est largué à l’idée qu’ils aient avancé là où il est resté figé. Ce n’est pas tant pour lui qu’il a besoin de réaliser qu’il est important – comme elle le dit si bien – c’est surtout pour tenter de faire taire cette petite voix (je vous arrête, il ne s’agit pas de la mienne), celle-là même qui l’a poussé à ce geste malheureux, qui visait à la faire taire. Mais elle n’a jamais été aussi bavarde que depuis qu’il s’est réveillé toujours en vie, acculé par la sensation d’avoir tout fait pour que cette souffrance cesse, jusqu’à la dernière option qui, finalement, n’est pas pour autant efficace. Toutes ces pensées sont autant de choses qu’il ne partagera sans doute jamais, ni à elle, ni à qui que ce soit ; et ce sont pourtant toutes ces choses qui expliqueraient sa colère. Elle n’est pas particulièrement dirigée contre une personne – si on fait abstraction de lui-même – mais elle est là, de plus en plus épuisante à force d’être drastiquement contenue. Alors oui, en ce sens, si vous voulez mon avis, Greta pourrait être la destinataire d’une irritabilité violente et agressive qu’il ne sait diriger qu’à son propre égard (pour le résultat qu’on lui connaît). Il l’apprécie, suffisamment pour être venu réclamer de ses nouvelles, peut-être pas assez pour regretter son absence dans sa vie. Oh, et ne pensez pas que je suis trop dur, je n’ai jamais prétendu ménager les autres ; ça, cela relève du domaine de Kieran, pas le mien. Mais peut-être qu’il serait temps de rayer les bonnes vieilles habitudes pour s’en créer de nouvelles, n’est-ce pas ? Afin de prendre au premier sens du terme la « renaissance » dont il est supposé bénéficier selon son psychiatre – et en plus, il est vraiment mort durant quelques instants, quelle chance pour lui ! « Très bien alors. Tu m’en veux pas et moi je suis contente de te voir. On peut repartir sur de bonnes bases maintenant ? » Oh, ce serait le moment idéal, Kieran. Celui où tu lui ris ouvertement au nez, ou tu t’agaces de cette réprimande à peine déguisée, pour lui demander si elle ne se foutrait pas un peu de la gueule du monde, d’être celle qui dispute plutôt que la disputée. Mais la réaction de notre protagoniste est celle de l’enfant grondé qu’il a l’impression d’être, secouant doucement la tête et pinçant les lèvres en signe d’approbation silencieuse. En conclusion ; nous avons encore beaucoup de travail.

Il n’aurait pas dû venir ici et Greta n’a pas mis plus de quelques minutes à le lui faire regretter. Et déjà, ce foutu monstre dans sa tête s’active, soulignant qu’elle est sans doute déçue de le voir debout devant elle, bien vivant, alors qu’il aurait dû quitter l’hôpital les pieds en avant – ça aurait soulagé beaucoup de monde. Je sais qu’il fait de son mieux pour réduire au silence – ou du moins baisser l’impact – de cette voix, mais il est difficile de se défaire de son emprise qui existe d’aussi loin qu’il s’en souvienne. Mais là où Greta a réussi à causer son malaise, elle parvient aussi à changer la donne en étant à l’origine de son aisance, insistant sur un passé bien peu glorieux. Reléguant les sujets susceptibles de mettre à mal leur amitié et, surtout, la raison pour laquelle il est réellement venu jusqu’ici aujourd’hui, évoquer les projets de la jeune femme est plus sécurisant – et pas totalement anodin, aussi. « Ouais, pardon, j’ai pris la grosse tête depuis le temps et je nous ai donné plus d’importance qu’on en a réellement, Rhett et moi. » - « Rhett et moi ? » Insistant sur ce choix intéressant de termes, Kieran se montre curieux, preuve en est un sourcil haussé et un sourire en coin. Il s’est tenu éloigné de la vie des autres et, encore une fois, il n’a pas oublié que leur monde n’a jamais cessé de tourner, contrairement au sien. Il a sûrement quelques chapitres à rattraper, et il ne parle pas uniquement du livre de la jeune femme. « C’est un ancien rugbyman qui a du arrêter sa carrière parce qu’il s’est blessé et il s’est reconverti en commentateur… Je vais pas te refaire l’histoire et t’en fais pas je t’en voudrais pas si tu lis pas mon livre, du coup. » - « Oh, un sportif. » Il dit, avec une moue amusée à peine théâtrale, insistant cette fois-ci sur un mot qui n’appartient pas à son vocabulaire, de toute évidence. « C’est normal que je connaisse pas, du coup. » Ou sans doute qu’il a déjà vu son visage à droite ou à gauche, mais que ses exploits ne l’ont pas suffisamment marqué. « Nan, mais ça veut dire que je suis le parfait lecteur pour ton livre, je connais pas son histoire et je pourrais pas critiquer la façon dont tu la réécris. » Il ne sera pas là pour s’offusquer que certains détails puissent être passés sous silence, ou qu’elle n’ait pas assez insisté sur d’autres. Un regard littéralement neuf sur une histoire qui, visiblement, est déjà connue de beaucoup de gens, mais qui sera d’autant plus agréable à lire grâce au talent de Greta, qui mérite ce qui lui arrive. « Merci, Kieran. » Un pincement de lèvres et un bref signe de la tête en guise de remerciement silencieux, il retrouve son bon vieux malaise quand vient le moment de s’intéresser à ses projets à lui. Mis sur pause pour des raisons évidentes, et relancés pour des raisons tout aussi évidentes. Il doit retrouver sa passion, il doit surtout retrouver de l’intérêt pour quelque chose. « Je m’en souviens très bien et tu sais que t’arrives à point nommé ? Enfin, je veux dire, j’ai prévu de faire une pause après la biographie mais j’ai pas envie de prendre le risque de retomber dans le néant. » Ce qu’il peut tout à fait comprendre ; autant surfer sur le probable succès de ce bouquin. « C’est pas pour rien que je te demandais ce que tu dessinais en ce moment. » Un rire nerveux s’échappe d’entre ses lèvres en réalisant que leurs intentions se sont croisées. Mais pour l’heure, rien ne lui indique que Greta a réellement à cœur de conclure ce projet abordé l’air de rien plusieurs mois plus tôt. « Dans l’immédiat, j’ai pas rebossé sur l’histoire dont je t’avais parlé mais si t’avais des dessins, je pense que ça m’aiderait à avancer. Tu te souviens comment tes personnages m’inspiraient ? » - « Euh, ouais, ouais je crois. » Il bégaie un peu, non pas parce qu’il ne s’en souvient pas, mais parce qu’il ne voudrait pas qu’elle surestime ladite inspiration que ses croquis pouvaient lui procurer. Ils ne sont pas si bien, de toute évidence, puisque ce ne sont que des ébauches et que, contrairement à elle, s’il avait du talent, il aurait déjà percé. « Tu veux qu’on tente un brainstorming, là, maintenant ? » - « Maintenant, genre… maintenant ? » Il questionne, un peu surpris par une excitation qu’il ne voudrait pas découvrir comme feinte. « Tu sais, on est pas obligés, si tu veux prendre une pause, je veux pas t’embêter à venir avec mes projets sous prétexte que je suis prêt et que tu dois te calquer sur mon rythme. » C’est plutôt l’inverse, en général. « Surtout que, euh, comme j’étais pas sûr que tu accepterais, je suis venu les mains vides. J’ai pas mes ébauches et j’ai pas mon matériel. » Il s’en excuse, comme si le coût de celui-ci était représentatif du talent, et qu’il était incapable de se débrouiller avec un simple crayon. Pas à moi, Kieran, pas alors que t’as passé dix ans à n’avoir que ça sous la main et à te perfectionner de la sorte. « Mais euh, sinon, moi je suis partant, oui, surtout que j’ai eu le temps de réfléchir à plein de trucs… » Il s’interrompt, conscient qu’il glisse à nouveau sur le sujet sensible. « Bref, euh oui, on peut brainstormer, si t’as de quoi le faire ? » Du papier et des crayons, ce qui doit être à sa portée, n’est-ce pas ? « Et si j’abuse pas trop de temps, aussi ? Parce que tu sais que je peux vite en perdre la notion, dans ces moments-là. » Il l’avait retenue de longues heures, le jour où l’idée a été évoquée, et si Kieran paraît très silencieux, lorsqu’il s’agit de sa passion, il n’a pas assez de mots pour traduire de celle-ci et il s’égare – beaucoup.

@Greta Moore

hope for the future
ft  @Kieran Halstead

Diverses questions se bousculaient dans sa tête et devaient faire écho chez l’ensemble de l’entourage de Kieran. Des questions simples, à réponses ouvertes, mais qui étaient pourtant impossibles à poser pour quiconque avec un minimum de tact. Pourquoi ? Allait-il recommencer ? Greta taisait ses propres interrogations sans pour autant réussir à maîtriser ce regard qu’elle posait sur lui et qui était empli de sous-entendus. Calmer les doutes de Kieran et le malaise ambiant dont elle était peut-être à l’origine semblait également totalement hors de sa portée et ses tentatives pour désamorcer le tout ne faisaient qu’ajouter de l’huile sur le feu. Mais si elle semblait faire des efforts, ceux qu’entreprenaient Kieran étaient bien plus importants et elle en était consciente, alors elle offrait toutes les échappatoires qu’elle réussissait à trouver. Des questions maladroites, des affirmations logiques pour tous sauf pour l’illustrateur qui avait raté bien trop de choses pour les comprendre. « Rhett et moi ? »  Elle pouvait comprendre de quoi ses dernières paroles pouvaient avoir l’air et la confusion de Kieran était palpable. « Non pas Rhett et moi enfin pas comme ça… » Sa main avait trouvé le côté de son front et devant l’air suspicieux de son ami, Greta s’était mise à rire. « J’ai écrit sa biographie, Kieran. Me fais pas dire ce que j’ai pas dit. » avait-elle ajouté en haussant un sourcil, attitude similaire à la sienne, avant de rire à nouveau. Les journalistes s’étaient déjà occupés de cette partie, celle où Greta et Rhett étaient un couple, et s’ils avaient préféré en rire, l’écrivaine n’avait aucune envie de retomber dans ce genre de rumeurs. Kieran avait besoin de vérité, de choses vraies, et loin d’elle l’idée de lui mentir. A la place, elle avait donné plus d’informations sur ce fameux livre. « Oh, un sportif. » Avec une moue qui s’apprêtait à recevoir les moqueries qui suivaient généralement ce ton là, Greta avait acquiescé. « C’est normal que je connaisse pas, du coup. » Un léger rire s’était échappé des lèvres de la blonde, Kieran n’était effectivement pas le plus grand passionné de sport. « Nan, mais ça veut dire que je suis le parfait lecteur pour ton livre, je connais pas son histoire et je pourrais pas critiquer la façon dont tu la réécris. » « Vu comme ça… » avait-elle répondu avec un sourire.

Contre toute attente, c’était lui qui avait pris les devants venant lier la discussion sur le projet qui venait de se terminer avec les idées qu’ils avaient été forcées d’oublier. L’enthousiasme de Greta s’était immédiatement remis en marche et elle en avait même oublié cette notion de filtre et de contrôle qui lui semblait nécessaire depuis que Kieran avait sonné à sa porte. « Euh, ouais, ouais je crois. » Ils étaient évidemment opposé, depuis toujours, le caractère pétillant et parfois bien trop intense de Greta venant contrebalancer le flegme naturel de son ami. Mais, étrangement, cela avait fonctionné dès leur rencontre - sauf sur un point précis - et retrouver cette dynamique avait quelque chose de rafraîchissant. Au fond d’elle, Greta espérait que son engouement trouve écho chez Kieran. « Maintenant, genre… maintenant ? » L’étonnement avait été la première réponse de l’illustrateur. « Tu sais, on est pas obligés, si tu veux prendre une pause, je veux pas t’embêter à venir avec mes projets sous prétexte que je suis prêt et que tu dois te calquer sur mon rythme. » Et encore une fois, il agissait comme s’il était de trop, sans réaliser à quel point il était le bienvenu surtout lorsqu’il s’agissait d’apporter un renouveau à la carrière de Greta restée trop longtemps en stand-by pour n’être relancée que par le projet qui n’était pas entièrement le sien. « Nan mais c’est différent là, c’est toi, ça ressemble pas à du travail quand on discute ensemble. » Son sourire était certes encourageant mais aussi extrêmement sincère. Aucun surjeu dans son intonation ni aucune tentative de faire miroiter quoique ce soit à Kieran : simplement l’envie de partager à nouveau quelque chose avec un ami qu’elle aurait pu perdre à un sens un peu trop littéral pour que l’idée ne l’oblige pas à marcher sur des oeufs. « Surtout que, euh, comme j’étais pas sûr que tu accepterais, je suis venu les mains vides. J’ai pas mes ébauches et j’ai pas mon matériel. » Le visage de l’écrivaine s’était tourné de gauche à droite frénétiquement. « Oh tu sais que tu t’en tireras pas comme ça … » avait-elle répondu avec un ton malicieux et un regard entendu « Mais euh, sinon, moi je suis partant, oui, surtout que j’ai eu le temps de réfléchir à plein de trucs… » Ce même sourire sur le visage, Greta attendait la suite de son discours et elle espérait qu’il continuerait à tendre vers quelque chose de positif. « Bref, euh oui, on peut brainstormer, si t’as de quoi le faire ? »  Son index s’était levé pour lui indiquer d’attendre avant de disparaître dans le bureau du loft. Elle en était revenue avec une trousse et une ramette de papier qu’elle avait tendus à Kieran avant de s’installer dans le sofa en attrapant un des coussins qu’elle avait serré contre elle. « Voilà, ça devrait faire l’affaire ? » La question était plus que rhétorique parce qu’elle n’accepterait pas autre chose qu’une confirmation. Ses outils d’écrivaine n’étaient probablement pas parfaits pour un illustrateur, mais ils n’en étaient qu’aux prémices de quelque chose et ils seraient largement suffisants. « Et si j’abuse pas trop de temps, aussi ? Parce que tu sais que je peux vite en perdre la notion, dans ces moments-là. » Kieran… aurait-elle eu envie de murmurer avec un hochement de tête. A la place, Greta avait choisi une pointe d’humour. « Le métier d’héritière me laisse pas mal de temps libre, t’en fais pas. » L’auto-dérision était une qualité que Greta possédait mais qui ressortait bien plus facilement aux côtés des amis comme Kieran, ceux qui l’aidaient à garder les pieds sur terre. Une position qu’il était évident que l’illustrateur négligeait, probablemenent incapable de s’autoriser à penser qu’il pouvait être important. « Du coup je te parle un peu de mon héroïne et des péripéties que j’ai imaginées pour elle et tu fais quelques ébauches ? Juste histoire de poser le style qu’on voudrait pour tout ça. » Mettre en vie ces personnages qu’ils avaient évoqués à de nombreuses reprises en se goinfrant de pizza, donner du relief à leur imagination. Greta était optimiste, pour elle comme pour lui. « Ou on peut faire l’inverse, je te laisse dessiner calmement et je vois ce que moi ça m’inspire. » Et elle éviterait à tout prix de repartir dans quelque chose de bien trop romantique et positif alors qu’ils avaient tous deux, à différentes échelles, eu l’occasion de constater à quel point le monde pouvait être merdique.

tw : mention de pensées suicidaires et tentative de suicide

Ne pas se demander pourquoi, ni comment. Pas tout de suite, du moins. Comment j’en suis arrivé-là ? Quand est-ce que j’ai définitivement perdu le contrôle ? Pourquoi cela m’a échappé à ce point ? Comment me l’expliquer et comment le justifier auprès des autres ? Pourquoi j’ai l’impression de tout ressentir et rien à la fois ? Son psychiatre a bien insisté sur le fait qu’il avait le temps de trouver des réponses à de telles questions ; après tout, il vient de survivre à une crise majeure touchant à son intégrité corporelle autant que psychique, et il est en droit d’exiger des autres de lui laisser du temps, et de s’imposer à lui-même d’en prendre. Avec le Dr. Elsner, ils ont longuement discuté des stratégies d’adaptation qu’il pourrait mettre en place et qui ne dépendraient pas de la présence des autres ; autant qu’ils ont inventé toutes les conversations possibles face auxquelles il serait susceptible de se retrouver, et comment il pourrait faire pour les éviter. Pour éviter les questionnements, surtout. Mais, dans un cas comme dans l’autre, Kieran réalise que ces heures passées en thérapie n’ont servi à rien. Il continue de se placer son bien-être aux mains des autres et aucun d’entre eux n’en questionne la raison, pas plus que le sujet de son geste n’a été abordé d’une manière ou d’une autre. Et il sait. Il sait qu’il devrait en être rassuré et non pas déçu, parce qu’il s’agit-là de conversations que jamais personne n’a envie d’avoir, et encore moins lui alors que cela l’enverrait directement sur le banc des accusés alors qu’il n’a aucune défense. Kieran le sait, et j’essaie d’appuyer là-dessus. Tu sais, ce n’est pas facile de poser la question, de demander les raisons derrière une telle violence. Peut-être que les signes, qu’il a mis beaucoup d’énergie à dissimuler, l’étaient si bien que jamais personne ne s’est douté de l’ampleur de son mal-être. Peut-être qu’ils ont d’autres choses à penser, ce n’est sans doute inné pour personne de savoir comment réagir face à une telle situation. Peut-être qu’ils l’apprécient suffisamment pour lui laisser le temps, ou pour s’adapter à la manière dont lui réagit à tout ça. Oui, peut-être. Mais peut-être qu’aussi ils ont des familles, des enfants, des métiers prenants, et toutes ces choses qui font qu’ils n’ont pas d’intérêt pour lui – et à raison. Peut-être qu’ils auraient préféré qu’il réussisse, afin de ne plus représenter ce fardeau, cet ami qu’on apprécie à distance, mais qui, parfois, nous donne envie de questionner le sens de notre loyauté tant il dérobe plus d’énergie qu’il n’apporte de bonheur. Peut-être que tout le monde a compris sa fragilité et qu’ils ont si pitié de lui qu’ils n’osent même plus parler en sa présence, se contentant de discussions superficielles qui lui font comprendre à quel point sa seule présence rend les autres mal à l’aise. À quel point il est le problème, et il le sera toujours, à quel point il n’a même pas réussi à mettre fin à celui-ci alors qu’il avait pourtant élaboré un plan qu’il jugeait suffisamment minutieux pour être efficace. Tout ça, ce sont les arguments de Kieran, ceux qu’il se hâte de confronter à toutes mes tentatives de l’apaiser.

Peut-être parce qu’au fond, je sais aussi bien que lui que oui, les autres ne posent pas de questions et n’en poseront sans doute jamais parce qu’ils ont peur, parce qu’ils ont peut-être honte, parce qu’ils lui en veulent autant qu’il s’en veut lui – mais pas pour la même chose, pas pour la même finalité. Parce qu’ils s’en désintéressent, sans quoi il ne se serait jamais senti aussi seul à sa sortie de l’hôpital, hanté par la perspective de recommencer, luttant constamment contre cette envie qui a rejoint les besoins élémentaires, devenant aussi oppressants qu’omniprésents et, surtout, nécessaire. L’attitude de Greta lui fait comprendre qu’il doit faire mieux, sans qu’il ne sache exactement quoi. Il s’est tué à essayer de répondre à cette question – littéralement. Ne parlons pas de lui, parlons d’elle ; et Kieran se rend compte d’à quel point il se fourvoie, sans pour autant le regretter. Les autres ont toujours été plus fascinants que lui, qu’est-ce qu’il espérait, au juste ? « Non pas Rhett et moi enfin pas comme ça… » Le rire de Greta ne le détend pas comme il le souhaiterait, et après un instant à l’observer, il étire ses lèvres de la même manière, avec la même énergie, le même claquement sonore qui sort de sa gorge, mimant minutieusement sa réaction pour décider de la sienne. « J’ai écrit sa biographie, Kieran. Me fais pas dire ce que j’ai pas dit. » Haussant les épaules, levant ses mains à hauteur de celles-ci, Kieran se contente d’afficher un air innocent sur le visage, l’air de se dédouaner quant à ses précédentes paroles, sans pour autant qu’il ne les retire. Greta l’éclaircit alors que lui ne voit que tout ce qu’il a manqué au cours de ces dernières semaines, même si, pour sa défense, il n’aurait probablement jamais identifié ce Rhett. « Vu comme ça… » - « Tu vois ! » Il rétorque, mimant l’enthousiasme, tapant férocement dans ses mains durant un instant avant de pointer son majeur vers elle, signe de victoire. Tu vois, j’ai raison, et elle ne pourra pas dénigrer l’opinion qu’il se fera de ce livre étant donné qu’il part d’un regard parfaitement neuf.

Ne pas opter pour des stratégies d’adaptation qui dépendent de la présence des autres. Pourtant, à défaut de savoir comment se comporter, Kieran renonce à toutes ses belles promesses pour repartir de plus belle dans ses travers, même si je ne peux pas totalement lui en vouloir. Au moins, c’est pour un véritable projet, quelque chose qui pourrait sérieusement lui servir s’il arrive à faire preuve de l’ambition nécessaire pour cela. Mais jamais il ne se serait douté que son idée serait mise aussitôt en place, Greta prête à débarrasser la table pour leur faire la place nécessaire afin de mettre leurs idées en commun. « Nan mais c’est différent là, c’est toi, ça ressemble pas à du travail quand on discute ensemble. » Jamais en mesure d’avoir l’esprit parfaitement rationnel et serein, il ne peut s’empêcher de se demander si c’est là sa façon de lui dire qu’il n’est pas assez sérieux ou crédible pour que la discussion soit axée en ce sens. Prends ce qu’elle t’offre, Kieran, c’est déjà plus que d’autres. « Oh tu sais que tu t’en tireras pas comme ça … » Elle lui rétorque quand il souligne qu’il n’a pas de matériel avec lui, et cette fois-ci, son sourire est certes timide, mais sincère. D’autant qu’il admet avoir plusieurs idées, et il n’en faut pas plus pour que Greta disparaisse quelques instants, avant de revenir avec de quoi faire. « Voilà, ça devrait faire l’affaire ? » - « J’suis pas sûr. » Qu’il marmonne, un regard suspicieux qu’il maintient durant un instant, avant qu’un rictus ne s’affiche sur ses lèvres. « Ça va le faire. » Il se corrige avant qu’elle ne s’agace, tandis qu’il s’inquiète à nouveau d’occuper un temps qu’elle n’aurait peut-être pas envie de lui consacrer. « Le métier d’héritière me laisse pas mal de temps libre, t’en fais pas. » - « Ah. Mes excuses, mon altesse. » Il se moque doucement, tandis qu’il commence déjà à analyser le matériel que la jeune femme lui propose, ouvrant la trousse et disposant le tour sur la table. « Du coup je te parle un peu de mon héroïne et des péripéties que j’ai imaginées pour elle et tu fais quelques ébauches ? Juste histoire de poser le style qu’on voudrait pour tout ça. » - « Hm, hm. » Il marmonne alors qu’il est déjà concentré à choisir ce qui fera l’affaire, même si son oreille reste attentive. « Ou on peut faire l’inverse, je te laisse dessiner calmement et je vois ce que moi ça m’inspire. » - « Faisons les deux. Commence par me parler de ce que tu as en tête pendant que je fais le tri. » Il lui demande, s’asseyant sur une chaise, le regard qui s’attarde un instant sur Greta, tandis qu’un sourire lui est adressé. Le Dr. Elsner a tort, j’ai besoin de me reposer sur les autres.

@Greta Moore