La jolie mexicaine au sourire ravageur qu’était sa mère avait perdu de sa superbe, ses yeux étaient bien moins éclatants et quiconque la connaissait pouvait y lire cette pointe de désespoir qui ne la quittait plus. Diego se sentait impuissant face à cette vision, incapable de réellement reconnaître la femme forte qui l’avait élevé. Maritza avait surmonté des montagnes, elle avait toujours été une battante et son fils savait combien il était important pour ses sœurs d’avoir un tel repère et il lui était reconnaissant, d’un sens, d’être restée une constante dans leur vie malgré tout.

Mama
Urgence à la maison ! Je suis en train de me noyer !

Son sursaut l’avait tiré du canapé et il en avait presque renversé son café avant de réaliser que, si sa mère était réellement en train de se noyer, elle n’aurait pas été capable d’envoyer un message. Il avait secoué la tête en réalisant l’excentricité dont elle avait fait preuve mais s’était tout de même hâté, attrapant une veste pour sortir de son appartement et arriver au plus vite au foyer des Gutiérrez.  « Didi ! Je suis dans la buanderie ! » avait-il entendu sa mère crier à peine avait-il franchi la porte d’entrée. Sans prendre le temps d’enlever sa veste, il s’était dirigée vers la buanderie, se doutant de ce qui était en train de se passer, faisant le lien entre le lieu et le message reçu. Malgré cela, Diego s’était aventuré trop proche des dégâts et ses chaussures trempaient déjà dans l’eau ce qui l’avait fait grimacer. « Coño… » avait-il lancé en constatant l’ampleur des dégats avant de reporter son attention sur sa mère qui semblait dans une situation bien pire que la sienne. « Je sais que je gère bien le stress, mais tout de même, Mama ? » lui avait-il dit en la regardant avec cet air un tantinet amusé, incapable de ressentir autre chose qu’un amour inconditionnel lorsqu’il faisait face à sa mère. Elle-même lui avait lancé un regard désolé parce qu’il était évident que la situation l’avait mise en difficulté et que la panique avait pris le dessus. Il aimait savoir qu’il était toujours le premier que sa mère appelait lorsqu’elle avait besoin d’aide mais se surprenait à voir la maison désespérément vide. « Ils sont passés où, tous ? » avait-il lancé, réalisant lui-même la négligence dont il faisait preuve, incapable de réellement savoir l’emploi du temps de sa fratrie. Alejandro était à l’école mais c’était bien l’unique enfant dont il parvenait encore à suivre les étapes de vie. « Me regarde pas comme ça... Fais quelque chose... » Son fou rire était communicatif et le coeur de Diego s’était serré en l’entendant rire. Attrapant la main de Maritza pour l’aider à se relever, Diego avait ensuite appuyé sur un seul et unique bouton “stop” pour arrêter l’arrivée de la mousse. « Tu as mis la lessive dans le mauvais bac… » L’anecdote aurait pu être amusante si elle ne venait pas souligner l’état de fatigue dans lequel se trouvait sa mère et c’est un sourire désolé qui était venu orner le visage de Diego qui s’était rapidement ressaisi, se refusant à appesantir l’atmosphère et à lui faire perdre ce sourire devenu si rare. Il avait attrapé une épaisse couche de mousse pour souffler dessus en direction du visage de sa mère avant de tenter de se cacher derrière la porte de la salle de bain.

Il avait encore quelques souvenirs de leur vie d’avant, avant que Sergio ne les abandonne, avant que Rudy ne soit incarcéré puis disparaisse, avant que la famille Gutiérrez ne ressemble plus vraiment à ce que l’on appelait une famille. Il n’était encore qu’un enfant et si tout cela était flou, il savait que ses parents s’étaient aimés un temps et que les éclats de rire de Maritza avaient été un jour bien plus sincères. Puis le destin s’était acharné et après lui avoir enlevé son mari, il lui avait pris un fils, puis une fille et Diego comprenait l’importance d’être présent pour sa mère tout en appréciant lui aussi de garder un pilier dans sa vie. Alors malgré la fatigue et son interrogation quant au côté alarmant de son message, il n’avait pas hésité à la rejoindre et ne s’était pas attendu à un tel scénario. Il était bien placé pour savoir qu’il fallait garder le moral en toutes circonstances et même si son côté optimiste était en train de s’égrainer au fil des jours, ce n’était pas devant sa mère qu’il le montrerait. Acceptant le silence qui avait suivi sa question sur les allers et venus de sa fratrie, il avait mis fin au supplice de Maritza avec une simple pression sur le bouton le plus évident de la machine. « Non, c'est impossible... » Il avait affiché une mine désolée pour confirmer que si, c’était bel et bien possible. Il la voyait flancher et prendre l’événement trop à cœur alors il avait initié une bataille d’eau, le geste venant lui rappeler de doux souvenirs d’enfance. « Didi... » Il avait eu un léger rire face à son air sérieux et à la façon dont elle avait voulu tenter de le gronder. « Tu crois que je n'ai que ça à faire » « T’as le droit de te détendre un peu toi aussi, tu sais ? » Son air était grave et sérieux jusqu’à ce qu’il réalise, au bruit des pas de Maritza qui pataugeait dans ce désastre, qu’elle n’avait pas attendu son conseil pour passer à l’action et il s’était retrouvé coincé. « On attaque pas une femme en détresse ! » Il avait ouvert la bouche dans un air faussement choqué avant de se laisser faire recouvrir le visage de mousse puis chatouiller, sa mère, il en était convaincu, appréciant de pouvoir le traîter comme rien d’autre que son fils.

Le calme était revenu et ils s’étaient fixés un long moment avant de baisser la tête et c’était lui qui avait décidé de briser le silence qui dénotait avec leurs éclats de rire précédents. « Je sais que c’est pas ton genre de perdre pieds comme ça alors je me demande si je devrais m’inquiéter. » Il avait planté son regard sombre dans le sien et tentait de le soutenir malgré les tentatives de Maritza pour l’éviter. « Et t’en fais pas pour tout ça, je peux m’en charger » avait-il affirmé avec un sourire rassurant alors qu’il se mettait déjà à la tâche. Ses journées étaient chargées parce que les horaires étaient décalés et démesurés mais aussi parce que la charge émotionnelle de son métier était extrêmement difficile à gérer. Pourtant, la fatigue qu’il ressentait ne l’empêchait pas de l’aider avec plaisir parce que l’idée d’être une épaule sur laquelle sa mère pouvait se reposer lui faisait oublier toute la difficulté de sa carrière de médecin. S’il ne pouvait plus avancer pour Maria, il honorait sa mémoire en poursuivant et Maritza était définitivement son deuxième moteur. « Par contre, fais moi la discussion parce que c’est loin d’être passionnant comme mission. » Il continuait à lui parler avec cette même bonne humeur dont il était sûr qu’elle avait besoin. « Alors, c’est quoi les nouvelles ici ? » Parce qu’une autre chose qui était nécessaire à Maritza était la possibilité de se confier et de se défouler sur une oreille attentive sur un quotidien bien mouvementé. Et, de cette façon, lui aussi se tenait informé parce que les relations avec les uns et les autres n’étaient plus ce qu’elles étaient.

« Ne t'en fais pas, je suis juste un peu fatiguée. »
« Je vais faire comme si je te croyais. Mais tu sais que je suis plus un enfant, je peux t’écouter. »

Ces mots avaient été posés là, avec pudeur, Diego n’ayant ni l’envie de brusquer sa mère ni de la forcer à évoquer avec l’un de ses fils des problèmes qui pourraient ne pas le concerner. Avec les années, leur relation avait évolué, la mère n’ayant plus ce rôle d’éducatrice auprès de lui qui avait réussi à suivre un chemin à priori sans embuches mais cela ne signifiait pas qu’ils devenaient le genre d’amis à qui l’on confiait tout. « Non mais je... » Il ne lui avait pas laissé le temps de finir, il s’était déplacé pour cette catastrophe et maintenant que sa tentative de retrouver un peu de sommeil avait échoué, il devait rester actif. Et aider sa mère n’était jamais réellement une corvée, passer la serpillère semblait un jeu d’enfant quand son fils aurait tant aimé pouvoir l’aider sur tant d’autres points plus importants. Mais pour cela, il avait besoin de connaître un peu plus en détails ce qu’il se passait sous le toit Gutiérrez. « Ton petit frère commence à faire sa crise d'adolescence. Il passe son temps à jouer à Fortnite et déteste les maths. L'autre jour il a tout fait pour ne pas arriver à l'heure pour un contrôle. » Diego avait levé un sourcil et avait regardé Maritza d’un air amusé. « Au moins, Ale te permet de rester à la page parce que tu viens de parler de Fortnite, là, quand même ? » Il adorait voir ce regard sévère transformer son visage quand il lui lançait une pique, c’était presque devenu un jeu et il s’en servait allègrement pour leur permettre à tous les deux de remettre un peu d’étincelle dans cette vie devenue trop fade. « Oh et l'autre jour j'ai eu le droit à un surprenant spectacle... » avait-elle repris, non sans avoir poussé un soupir face à l’arrogance de son fils. « Sergio et Cesar, dans le salon, chacun avec le visage fracassé... » L’effroi sur son visage devait être facile à lire parce que sa mère avait directement enchaîné. « Ils ne se sont pas battus ensemble ! Mais chacun de leur côté, comme deux parfaits idiots. » Il avait secoué la tête. Il avait soupiré. Il n’était qu’à moitié étonné et c’était surtout l’idée de savoir qu’elle avait du gérer cela qui l’ennuyait. « Sergio l’avait certainement mérité, Cesar l’avait probablement cherché. » Sergio avait bâti un empire, c’était indéniable, tout le monde pouvait lui accorder cela. En revanche, beaucoup s'accorderaient à dire que ses méthodes pour y arriver n’avaient absolument rien de celles du bon père de famille et Diego ne pouvait pas s’étonner que celui-ci se soit pris un poing dans la figure. Cesar lui avait déjà reproché son côté moralisateur et son frère avait fait de son mieux pour se tenir en dehors de ses choix de vie, pourtant, le voir ressembler un peu trop à Rudy lui donnait un sentiment d’impuissance et de tristesse qu’il ne contrôlait pas. Son constat était rude mais honnête et il avait parlé avec un peu trop de spontanéité avant de retrouver les yeux accusateurs de sa mère. Ce n’était pas la réponse qu’elle attendait, alors il avait ajouté. « Lo siento, mamá » Il avait ajouté un léger sourire à ces excuses qui, prononcées dans la langue maternelle de sa mère, pesaient toujours un peu plus lourd dans la balance. « J’aimerais tellement te dire que je vais t’aider, mais tu sais que je n’ai plus vraiment mon mot à dire auprès de Cesar. »  Inutile de mentionner Sergio. Un sourire triste avait étiré ses lèvres alors que  son regard avait retrouvé celui de sa mère. Ils se comprenaient, comme depuis toujours, et leurs yeux réussissaient à dire tout ce qu’ils enfouissaient. Et même s’ils avaient eu la relation idéale depuis toujours, il était toujours difficile pour un grand frère de faire entendre raison à sa fratrie alors Diego ne souhaitait pas s’attarder sur ce sujet, sa mère ayant déjà bien assez de choses pouvant la contrarier. « Tu as réussi à savoir ce qu’il s’était passé ? » Le ménage se terminait doucement et Diego avait pris la direction de la cuisine pour faire du rangement là également, prétendant préparer un thé à Maritza pour ne pas qu’elle s’offusque.  « Je vois Alma ce week-end, je sais pas si tu l’as mise au courant ? » Mieux valait toujours s’assurer d’accorder ses violons dans une famille si nombreuse.

Il était difficile pour lui de trouver le juste milieu entre ses sentiments, Diego devant faire au mieux pour être un pilier pour sa mère et lui redonner le sourire tout en ne donnant pas l’impression de jouer un rôle. Il voulait rester léger, tenter de les tirer tous les deux vers le haut mais forcer la joie et les éclats de rire pouvait également rapidement donner l’impression de manquer de respect à Maria. Le deuil était quelque chose de difficile, il avait été abattu pendant les premiers jours, incapable de prononcer un mot ou de quitter son appartement et il avait été soulagé que le travail lui laisse prendre quelques jours de repos. Puis il avait été en colère, contre le monde entier mais premièrement contre lui-même parce qu’il était persuadé que l’hostilité de Sara - toujours présente malgré leurs efforts mutuels - avait quelque chose à voir avec cet appel. Et aujourd’hui, il tentait d’accepter, un chemin bien plus compliqué à cause de son métier. Alors le médecin prenait toutes les opportunités qui lui étaient données pour se changer les idées et agacer sa mère participait à le sortir de son chagrin. « Je sais pas ce que vous avez tous, Cesar m'a fait la même remarque... » Les points communs entre Cesar et Diego étaient si rares qu’entendre sa mère en soulevait un aussi infime était-il avait permis à ses lèvres de se lever légèrement en un maigre sourire. Mais, alors que Diego avait tenté d’obtenir les dernières nouvelles de la famille Gutiérrez, c’était de nouveau le prénom de Cesar qui avait été prononcé par Maritza et cette fois-ci, aucun sourire ne l’avait suivi. « J'veux pas qu'il finisse comme Rudy. » Les mots de Diego à l’évocation des soucis de Cesar avaient été durs, pourtant, il était convaincu que ceux de sa mère l’étaient encore plus. « Je peux pas te laisser dire ça, mamá » Maritza n’était pas habitué à ce que ce fils là lui tienne tête et il était vrai qu’ils étaient proches et d’accord sur la plupart des sujets. Mais pas celui-là, parce que si Diego avait longtemps reproché à Cesar d’être attaché à son frère aîné et de vouloir lui ressembler, il était convaincu que son cadet aurait un avenir meilleur. Il s’en assurerait, d’une manière ou d’une autre, de près ou de loin, comme il le ferait pour chaque membre de sa fratrie maintenant que Rudy lui avait laissé la place d’aîné. « Cesar est et sera un mec bien, il est juste perdu, comme on l’est tous. » Il n’était pas sûr de ce qu’il avançait, mais il était au moins au courant des ambitions de son petit frère et cela suffisait à penser qu'il s’épargnerait un chemin qui le ménerait en prison, une idée que Diego refusait de garder dans son esprit et il espérait que sa mère en fasse de même. Il avait repris la parole pour demander plus de détails sur les événements et, surtout, pour prendre la température concernant Alma qu’il verrait quelques jours après. « Non j'ai pas osé lui raconter... Mais ne te prive pas pour le faire. » « C’est déjà assez difficile avec tout le monde, je vais éviter de me mêler de leurs histoires. » avait-il répondu avec un sourire triste, il aurait aimé rester le grand frère à qui ils se confiaient et qui servaient de médiateur mais son départ sur le campus n’avait pas été perçu de la bonne manière. « Pour ton frère, il a dragué la mauvaise fille. Apparemment elle n'était pas célibataire... » Maritza avait commencé ses explications et la situation de Cesar associé au visage décomposé de sa mère l’avait à nouveau fait rire. « Un vrai don juan… »  Ce n’était pas si grave et, cela venait appuyer son point concernant la façon dont sa mère craignait pour l’avenir de son frère. « Pour ton père... » Il n’était pas sûr de vouloir connaître la suite de la phrase, surtout en constatant l’hésitation de Maritza. « Pour Sergio, il s'est pris un coup de poing qui ne lui était pas destiné. C'est fou ce manque de chance dans cette famille. » Il avait arqué un sourcil, bien peu convaincu. « Incroyable, oui. » avait-il répondu, sa curiosité concernant sa famille s'arrêtant à ceux qui ne l'avaient pas quittée. « Mais toi, comment ça se passe le boulot ? Raconte-moi tout ! » Ses yeux s’étaient détournés d’elle parce qu’il le savait, s’il commençait à parler sincèrement, ils finiraient par le trahir. Pour l’épargner, il avait affiché un sourire incroyablement bien travaillé. « C’est très, très prenant. Mais je prends de plus en plus confiance et c’est gratifiant. » Tout cela était vrai, il ne mentait pas, il aimait l’évolution entre ses premiers jours en tant qu’interne où il était terrifié par chacune de ses actions - par l’idée de poser un mauvais diagnostic, de voir ses tuteurs corriger ses prescriptions ou par la simple idée d’être confronté aux parents de ses patients - et sa position actuelle où il était pratiquement totalement autonome. « Mais globalement, tout se passe bien. » avait-il répondu en remplissant leurs deux tasses d’eau bouillante pour éviter son regard parce que cette fois-ci, il avait menti. Il ne lui avait pas dit combien il était difficile de voir des patients partir alors qu’il était encore en train de gérer son propre deuil, combien l’idée de tout abandonner lui avait éfleuré cent fois l’esprit. Elle n’avait pas besoin de ça. « Donc tu as vu Sergio pour discuter de Cesar ? » avait-il finalement demandé pour détourner l’attention, réalisant que sa mère ne parlait que très peu de sa relation avec son père, elle aussi restant incroyablement prudente quant aux sujets évoqués avec ses enfants. Il s’était appuyé contre le meuble de la cuisine après avoir servi déposé le thé de sa mère devant elle, curieux de savoir si les relations entre ces deux-là restaient purement lié à l’éducation des enfants, intrigué que cela puisse être le cas parce qu’elle l’avait toujours parfaitement gérée seule. Mais il avait juste besoin de trouver une manière plus subtile de lui demander ¿Qué carajo estaba haciendo aquí?

Il acceptait tout venant de sa mère, c’était peut-être cliché mais elle était celle qui l’avait mis au monde et surtout celle qui lui avait tout appris. Seule, sans l’aide de personne, et l’ensemble de ses valeurs, c’était à elle qu’il les devait. Impossible de ne pas être reconnaissant, il l’aurait été peu importe la situation mais la dérive de son mariage et la perte de son enfant rendait l’exploit qu’elle avait accompli encore plus impressionnant. Alors oui, il pouvait être qualifié de fils à maman mais il n’en avait que faire. Malgré son admiration pour la femme qu’elle était, cependant, c’était la valeur de la famille qui revenait toujours chez Maritza qui faisait de ses enfants sa priorité. C’était la raison pour laquelle il ne pouvait pas la laisser avoir des propos négatifs, défaitistes, sur l’un de ses frères. Alors il avait défendu Cesar, venant à demi-mots évoquer combien il cherchait encore lui-même. à sortir la tête de l’eau. Malgré cela, s’il essayait de comprendre ce qu’il se passait parmi une famille toujours légèrement survoltée, loin de lui l’idée de s’immiscer et de se laisser tenter par l’envie d’entamer les même discussions qu’il avait avec sa mère avec les autres membres.  « Tu as sans doute raison oui. » Et il sentait tout le poids des mots qu’elle venait de prononcer, cette mère déçue de voir ses progénitures ne pas réussir à passer outre leurs désaccords. Au fond de lui, Diego espérait simplement qu’elle ne se sentait pas coupable de la situation qui s’était définitivement installée après le décès de Maria mais qui avait commencé à prendre racine avec le départ de Sergio. Tout était compliqué, et il ne pouvait qu’imaginer la position que se donnait Maritza. Alors encore une fois, il avait tenté de détourner la discussion par l’humour en définissant son frère comme un vrai tombeur. L’idée était de dédramatiser une situation sur laquelle sa mère n’avait plus aucune possibilité d’agir. « Ce n'est pas drôle » « Non c’est sûr mais tu sais ce qu’on dit, il faut que jeunesse se fasse. » Et à cette expression extrêmement datée et qui sonnait totalement fausse dans sa bouche, la mère et le fils avaient de nouveau échangé un rire.

Il avait apprécié cette discussion avec sa mère jusqu’à ce que le sujet revienne à lui, à son travail. Bien sûr que Maritza lui avait demandé des nouvelles, bien sûr qu’elle s’était inquiétée de comment se passait le résidanat de son fils, c’était logique. Pourtant, cela avait suffi à ce qu’il se referme légèrement, trouvant une réponse toute faite pour contenter sa mère. « Je suis fière de toi. »  Cette affirmation avait permis à Diego d’afficher un sourire sincère. Cependant, il était très vite retombé parce qu’il réalisait que sa mère était fière d’une personne qu’il n’était plus réellement, ce garçon passionné dont l’idée de trouver le meilleur des remèdes pour chacun de ses patients l’aidait à dormir paisiblement la nuit. C’était aujourd’hui tout le contraire, le visage de Maria le hantait à chaque fois que la fatalité prenait le dessus sur la médecine. Baissant les yeux sur sa tasse, Diego avait confirmé que tout allait bien avant de questionner Maritza sur les raisons qui l’avaient poussée à voir Sergio. « Non, il est passé pour voir Ale, mais quand je suis tombée sur lui et Cesar dans le salon… disons qu'on est tous très rapidement montés dans les tours. Moi la première. » Et cela n’avait rien d’étonnant parce qu’une personne arrivant avec le visage tuméfié était déjà préoccupant, mais deux en même temps, c’était nouveau, même pour les Gutiérrez. « Dios mio, cette famille me surprendra toujours » avait-il dit dans un ricanement, rassuré que Sergio soit passé pour rendre visite à Alejandro, ravi que son petit frère puisse bénéficier d’une figure paternelle. Ce n’était probablement pas assez, mais c’était un début. Il pensait s’être tiré d'affaires et avoir refermé le livre de ses mensonges mais son rapide changement de sujet n’était visiblement pas passé inaperçu. « Tu n'as pas besoin de me mentir Didi. Si ça ne va pas tu peux me le dire. » C’était soudain et il avait à peine eu le temps de remarquer que sa mère s’était approchée de lui. A quel moment exactement avait-elle réalisé qu’il ne disait pas totalement la vérité ? A ce moment-là, lui aurait préféré que Maritza ne soit pas une mère si attentionnée, ce qui lui aurait évité de devoir répondre à ses interrogations. Il l’avait laissée continuer. « Si ton métier ne te plaît pas, si c'est trop dur, si... Si ça te rappelle trop Maria... Tu peux arrêter, tu peux changer. Personne ne t'en voudra. » Il appréciait la main qu’elle passait dans ses cheveux et qui, un instant, le plongeait dans cette innocence qu’il avait connue il y a bien longtemps. Il avait poussé un long soupir. « J’ai fait ça pour elle et je continuerai. » avait-il dit et il essayait tant bien que mal de se convaincre, cette phrase résonnant régulièrement dans sa tête. Alors qu’il terminait sa tasse, son biper avait sonné. « Joder… » Et devant les yeux écarquillés de sa mère il avait levé les mains devant lui pour s’excuser de son langage. « Le devoir m’appelle… Mais, merci Mamà, pour ce que tu m’as dit. Tout va bien, mais tes mots sont toujours réconfortants. » Un baiser sur sa tempe, un te quiero et il l’avait laissée là, culpabilisant légèrement de ne l’avoir peut-être pas assez convaincue que tout allait bien.