@FLORA CONSTANTINE & KIERAN HALSTEAD ⊹⊹⊹ some days i’m almost there, back to the beginning of time. some days it all goes quiet and there you are, on my mind.

(c) leave & tinkerbellcreations. 

(WEST END, DEATH BEFORE DECAF).
C’est foutu, il ne dormira pas de la nuit.

Kieran en est à sa troisième tasse de café depuis qu’il est entré au Death Before Decaf, il y a un peu plus de deux heures. Aussi familier que pouvait être l’endroit il y a encore quelques mois, celui-ci lui semble désormais étranger. Quelques éléments du menu ont changé, il peut déjà apercevoir un serveur qu’il n’a jamais vu auparavant et la décoration à côté de l’entrée n’était pas là la dernière fois. Surtout, la table isolée au fond du café qu’il a pris l’habitude d’occuper n’est pas libre et ne semble pas prête à l’être, à en croire les cafés qui s’accumulent dans l’attente que le groupe d’amis qui rit aux éclats daigne la quitter pour qu’il puisse prendre leur place. Il pourrait revenir un autre jour, c’est certain. Il pourrait aussi gribouiller sur une serviette avant d’aller la glisser plus tard. Mais Kieran n’est pas sûr d’en avoir le courage, pas alors qu’il a déjà mis plus de deux mois depuis sa sortie d’hôpital pour se décider à revenir ici. Ce n’est pas tant que le lieu est connoté à un drame ; non, pour une fois celui-ci s’est souvent avéré une bulle de sécurité et d’air qu’il n’avait aucune envie de quitter pour retrouver son quotidien difficile. Pourtant, il l’a fait précipitamment le jour où il a avalé ce cocktail de médicaments qui l’a envoyé aux soins intensifs, puis en psychiatrie pendant près de trois mois. Trois mois durant lesquels il a coupé la correspondance particulière qu’il entretenait avec cette femme dont, finalement, il ignore tout. Tout ce qu’il sait, à ce stade, c’est qu’elle lui a manqué, et que durant son retrait, il songeait régulièrement à elle. Des pensées mélancoliques, d’abord légères ; elles l’aidaient à tenir à l’idée de supporter ce séjour à l’hôpital. Puis, progressivement, elles sont devenues plus lourdes, plus honteuses, plus désagréables, quand le séjour s’est éternisé et qu’il a réalisé que ses chances de reprendre cette correspondance là où il l’avait laissé s’amenuisaient. Probablement qu’elle ne prenait plus le temps de regarder au travers de la pile de serviettes, après tout ce temps. Sûrement qu’elle s’en est totalement désintéressée ; et qu’il a été oublié avec la facilité avec laquelle les gens finissent toujours par l’ignorer. Il n’a pas de peine à imaginer qu’elle soit passée à autre chose, là où il ne fait que d’y penser – que de le regretter serait plus juste. Il aurait voulu lui donner des nouvelles ; mais c’est là toute la spécificité de leur relation alors qu’il n’a aucun moyen de la contacter. Et il ne s’est jamais autant maudit de ne pas aller vers les autres, sans quoi il aurait sans doute fait le premier pas pour que cette relation ne soit plus limitée à leurs seuls dessins.

C’est parce que l’anxiété ne cesse de monter en lui que Kieran sait qu’il ne peut pas rater sa chance du jour. Il se dégonflera le lendemain venu, considérant que si la table n’était pas libre, il ne s’agit que d’un signe supplémentaire pour qu’il cesse de croire que les choses peuvent redevenir comme elles l’étaient avant qu’il n’explose. Mais Kieran a envie d’y croire, même un tout petit peu, pour se remémorer le temps où tout allait bien ou, à défaut, il semblait conserver le contrôle de sa personne. Aujourd’hui, les personnes qui s’adressent à lui ne manquent pas de prendre une voix mielleuse pour ne pas risquer de le brusquer, autant qu’ils font glisser un regard de pitié qui traduit de l’inquiétude qu’il suscite désormais pour eux. Au final, cette correspondance est ce qui s’apparente le plus à un échange normal, un de ceux dont il a terriblement besoin pour ne pas continuer à se sentir plus désarmé qu’il ne l’est déjà. Alors il enchaîne les cafés à s’en donner mal à l’estomac, il ne quitte pas le groupe des yeux à les en rendre secs. Et quand ils daignent se lever pour mettre leur veste, il n’attend pas qu’il ait franchi la porte ni que la table ait été débarrassée pour déjà se glisser sur la banquette avec sa tasse dans une main, son stylo dans l’autre.

Et pourtant ; c’est la panne. La serviette posée sur un coin de table propre, il est incapable de faire danser son stylo sur le papier pour l’encrer. Ce n’est pas qu’il ne sait pas quoi dire, c’est qu’il ne sait pas comment le dire. Il a envie de formuler des excuses sans rentrer dans les détails, tout en s’assurant qu’elle saura lui pardonner. Il y a mille façons de le faire, et pourtant aucune ne lui semble correcte. C’est stupide, qu’il finit par songer, quant au fait de se soucier autant de l’avis d’une illustre inconnue. Sauf qu’avec le temps ce terme ne semble plus lui correspondre et que c’est pour cette raison que la mission lui tient à cœur. Après de sempiternelles hésitations, le trentenaire finit par céder à une impulsion ; il dessine quatre carrés les uns à la suite des autres. Le premier reste vide, le second accueille une épaule et un bras qui entrent peu à peu dans le cadre. La troisième laisse encore plus de place à cette silhouette qui s’invite, la révélant à moitié, tandis que dans la dernière, elle est pleinement présente, main levée, paume en avant et doigts tendus, tandis que Kieran ajoute quelques traits autour de celle-ci pour signifier un léger mouvement. La serviette se perd au milieu des autres avant qu’il ne se décide à quitter le café pour aujourd’hui. Une salutation timide, quelques cases qui n’excusent rien, mais ont le mérite de se rappeler à son bon souvenir – si elle le veut bien.

C’en est presque paradoxal, la manière dont Kieran est incapable de mettre de l’ordre dans ses pensées alors même qu’il a l’opportunité de les exprimer de la manière qui lui est la plus facile. D’aussi loin qu’il s’en souvienne, Kieran a toujours eu plus de facilité à s’exprimer par le biais de l’art. Il s’était réfugié dans cette façon de faire quand il n’était encore qu’un enfant ; et à défaut d’écouter ce qu’il avait à dire, par ce biais-là il échappait au moins aux réprimandes qui allaient de pair avec ses tentatives de s’exprimer. Alors il avait appris à communiquer de cette façon, souvent sans réellement avoir de destinataire, se contentant de se satisfaire de se sentir un peu plus léger sans toutefois comprendre le mécanisme derrière ce sentiment. Il n’avait jamais été doué pour s’exprimer parce qu’on ne lui donnait pas l’occasion de croire qu’il avait quelque chose de pertinent à dire ; et en ce sens sa créativité lui avait souvent sauvé la mise pour ne pas que ce trop-plein de choses gardées en lui ne finisse par exploser. Oh, ça a fini par se faire, sans quoi il n’aurait pas subitement mis un terme à cette communication, pour autant il avait gagné quelques années de répit - c’était une façon de voir les choses, même si ce n’est pas le terme qu’il utiliserait. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui que vient l’heure de rendre des comptes à sa correspondante, Kieran réalise qu’il n’a aucune idée de la manière dont s’y prendre, alors même qu’elle semblait toute indiquée. Ce n’est pas tant son habituelle réserve qui l’empêche de s’épancher sur la vérité (bien qu’il aurait omis de nombreux détails par pudeur), puisque cette femme a eu l’avantage d’obtenir bien plus de confessions de sa part que certains de ses proches. Car la manière de s’y prendre, justement, lui permettait suffisamment de recul et d’aisance pour se sentir en confiance. Bien que sa curiosité se soit développée avec le temps quant à l’identité de cette personne, ce n’est pas pour autant qu’il a osé franchir le pas ; non, au contraire, malgré sa curiosité il sait pertinemment que ce ne serait sans doute pas une bonne idée - il tend à avoir un certain talent pour gâcher ses relations, de tout ordre (professionnelle, sentimentale, familiale, amicale). Surtout, il sait qu’il serait sans doute mortifié d’avoir à se découvrir - physiquement, cette fois-ci, après tous leurs échanges.

Alors non, ce n’est pas tant sa timidité que le seul fait qu’il ne sache pas par où commencer. Il y a beaucoup de choses à dire et tout autant qui se doivent de rester sous silence ; pour autant il a conscience que son excuse devra être suffisante pour prétendre au pardon. À cette pensée, Kieran réalise qu’il a sans doute pris tout ceci pour acquis en supposant qu’elle voudrait bien lui répondre. Il a bien songé au fait qu’elle ne vérifie sans doute plus les piles de serviettes ou qu’elle s’est désintéressée de tout ceci. Mais il n’a pas sérieusement pensé au fait qu’elle lui en veuille et que pire que le silence, elle se mette en tête de lui faire passer un sale quart d’heure. Il ne doute pas qu’elle y arriverait à travers la précision de ses traits et qu’il se sentirait tout aussi mal que si elle s’époumonait face à lui. Mais… mais non, ce n’est pas une perspective à laquelle il a sérieusement pris le temps de réfléchir. Et celle-ci l’angoisse à la minute même où il quitte le café après avoir glissé sa tentative de réconciliation dans la pile, craignant déjà d’avoir perdu ce qui s’approche de sa seule bouffée d’oxygène dans ce quotidien qui l’étouffe.

Pourtant, la réponse ne tarde pas ; Kieran n’a pas résisté à se rendre dans le café dès le lendemain à la recherche de ce drapeau blanc qu’il espère tant. Et si dans un premier temps son estomac se noue face aux traits réprobateurs qu’elle se prête, c’est un large sourire qui finit par étirer ses lèvres quand le signe de paix est là, sous ses yeux, sous la forme d’une étreinte qui n’a peut-être rien de réel, mais qui lui fait tout autant de bien que si cela était le cas. Il en a même un pincement au cœur pour tout dire, alors que cette esquisse lui rappelle à quel point ce geste d’apparence anodine manque cruellement à son quotidien. Ainsi, son premier réflexe est de simplement reproduire le dessin de la jeune femme en s’illustrant en train d’accueillir ce geste en passant ses bras autour de la silhouette, pour lui signifier qu’il apprécie cette sollicitude de sa part, sans même qu’elle ne puisse se rendre compte d’à quel point. Il reste interdit par la suite alors qu’il peut lire son écriture ; « whatever it is, its okay and you got this », quelques mots encourageants et appréciables, auxquels il ne sait en réalité que répondre. Il pourrait sans doute lui dire la vérité, poussé par un besoin de parler autant qu’aidé par le fait de ne pas avoir à le faire de vive voix, mais ce ne sont pas des choses qui se racontent à une inconnue - même si elle n’a plus vraiment ce statut, même si ce n’est pas quelque chose qui a pu le retenir par le passé. Surtout, il n’a pas envie que les choses changent comme elles changent avec ses proches, tandis que son geste a modifié les dynamiques qu’il pouvait avoir avec eux. Il sait qu’il pourrait ne pas se donner la peine d’expliquer quoi que ce soit, mais cela impliquerait que ses excuses ne soient pas à la hauteur et ce n’est pas ainsi qu’il imagine les choses. Ainsi, sans rentrer dans les détails, il finit par esquisser un croquis de sa silhouette prostré dans un lit d’hôpital, qui dort profondément, comme l’indique les ZzZ qu’il ajoute dans une bulle à côté de son visage. De cette manière, elle comprendra que l’absence n’est pas volontaire ; et qu’il n’avait pas vraiment le choix de prendre ses distances. Et parce qu’il est persuadé qu’elle a bien plus de choses à raconter que lui, dans le coin de la même serviette, il se dessine à nouveau. Cette fois-ci, il est à une table, une tasse de café dans la main, dans une tentative de lui faire comprendre qu’il a tout son temps, un air serein qu’il essaie de transmettre sur les traits qui forment son visage, au côté duquel il écrit ces quelques mots : what’s new ?

@Flora Constantine

Plus à l’aise lorsqu’il vit son existence dans une routine bien établie, l’arrêt forcé de cette correspondance par la faute de son séjour à l’hôpital n’a pas été agréable pour Kieran. Il aime ses habitudes, il aime que son quotidien ne laisse place à aucune improvisation, pas plus qu’à de désagréables surprises. Ce n’est pas tant qu’il aime le contrôle que le fait qu’il se retrouve apaisé quand il peut estimer le déroulement de sa journée, et en ce sens l’interruption de leurs échanges a été un moment difficile pour le dessinateur. Sans pour autant qu’elle ne puisse être nommée autrement que comme « l’inconnue », cette jeune femme est devenue une part importante de sa vie, essentielle, même, au cours des mois qui ont précédé son passage à l’acte, alors qu’il s’agissait d’un semblant de normalité et de légèreté auxquels il s’accrochait plus que de raison. Il n’était jamais entré dans des confessions détaillées, pour autant elle possède de nombreux éléments qu’il n’a pas pris soin de révéler à d’autres, y compris à ceux qui peuvent se vanter de faire partie de son entourage proche. Il ne s’attendait certainement pas à ce lien épistolaire quand il a gribouillé sur une serviette de ce café pour la première fois, se représentant en train de saluer la personne qui tomberait dessus. Il n’espérait aucune réponse et pourtant elle est arrivée, et petit à petit, c’en est devenu une habitude de s’asseoir à cette table du fond, de passer en revue le distributeur de serviettes pour mieux poursuivre leurs échanges. Il y a trouvé une certaine forme de sérénité de pouvoir raconter ses tracas du quotidien autant que d’évoquer, de manière superficielle, certaines blessures plus profondes, sans sentir un regard de pitié ou de jugement posé sur lui. Dans la version qu’il lui offre au travers de ses dessins, Kieran peut être qui il veut. Et, étonnamment, il est souvent resté fidèle à lui-même alors que dans le monde réel, celui où on ne communique pas avec les autres par le biais de serviettes en papier, il tend à se distordre au point où lui-même se perd dans son mensonge. Mais pas avec elle, pas alors que son seul méfait est peut-être d’avoir caché certains aspects de sa vie ; il ne lui doit rien, pourtant. Pour le reste, il s’est montré d’une étonnante (et reposante) sincérité, sans avoir à s’inquiéter de ce qu’elle pourrait bien penser de lui. Il n’a jamais été très doué avec les mots, Kieran, pesant toujours le pour et le contre de chacun d’entre eux, s’abstenant de tout commentaire pouvait faire croire à une opinion et se maudissant à chaque méprise qu’il surinterprète, rendant ses interactions souvent délicates et bancales.

Alors oui, à sa façon, cette fille lui a manqué durant les trois mois de silence qui ont été les siens, et sans doute que ça n’aurait pas été autant le cas si elle existait de manière plus concrète, sous la forme d’une amie qu’il aurait appris à apprécier à chacun de ses passages au DBD. Il a mis un peu de temps à se convaincre de revenir ici et de tenter de s’inviter à nouveau dans son quotidien à elle, conscient qu’il serait difficile de justifier un tel silence et, surtout, conscient qu’elle aurait toutes les raisons de l’avoir oublié. Ce n’est pas parce qu’il a beaucoup investi cette relation que, de son côté, elle ne considère pas tout ceci comme une simple distraction, dont la fin saurait lui être supportable. Et si la première représentation de la jeune femme, réprobatrice, aurait pu l’inquiéter, il est nettement soulagé quand elle accueille son retour d’une manière qu’il n’aurait pas cru possible, même au travers de quelques coups de stylo. Une étreinte qu’il ne ressent pas, mais qui n'en est pas moins réelle. Kieran s’en saisit sans se faire prier. Il y aurait eu bien d’autres façons de s’annoncer à nouveau que de rester aussi évasif qu’il ne l’a été, se contentant d’une représentation qui indique où il est passé pendant ces quelques semaines, sans pour autant l’expliquer en détail – mais ne se privant pas de lui en demander de son côté quand il s’agit de rattraper ce qu’il est susceptible d’avoir manqué. Elle aurait pu lui en vouloir, d’exiger autant d’elle sans qu’il n’offre rien de lui, mais les traits qui sont les siens le rassure sur ce point-là ; elle l’aurait visité si elle l’avait pu. Il ne sait pas s’il aurait accepté qu’elle le voie dans l’état dans lequel il était il y a quelques mois, mais la considération lui réchauffe le cœur, d’autant plus quand il se met à rêver de toutes les pâtisseries possibles et inimaginables qu’elle aurait apportées avec elle. En guise de réponse, pour souligner que ce geste l’aurait malgré tout touché, Kieran se dessine à nouveau dans cette chambre d’hôpital, cette fois-ci avec le sachet qu’elle a apporté sur les genoux, et ses deux mains portées à son cœur, dans un remerciement silencieux de ce soutien qui lui aurait sans doute fait du bien.

Peut-être qu’il sera amené à se montrer plus sincère par la suite, mais pour l’heure, Kieran ne préfère pas s’épancher. Il le voudrait, en réalité ; pour la première fois depuis des mois il semble capable de mettre des mots – ou plutôt, des dessins – sur une situation qu’il continue de passer sous silence quand il s’agit de l’expliquer. Parce qu’il ne sait pas exactement comment décrire tout ce qui se passe dans sa tête, mais qu’il sait l’illustrer. Pour autant, bien qu’il lui fasse confiance, il sait aussi que c’est un sujet sensible qui peut vite être la source d’un jugement qui, dans ce cas précis, lui serait intolérable. Alors il est plus aisé de reporter l’attention sur elle, et sur ce qu’elle est devenue durant ce laps de temps, en espérant que les nouvelles soient meilleures que le concernant. Et il ne peut pas dissimuler sa moue quand il réalise que cela ne semble pas être le cas. De toute évidence, elle travaille toujours ici, mais pour ce qui est de son autre activité – celle qui semblait la passionner nettement plus – ça n’a plus l’air d’être d’actualité, et Kieran ne peut s’empêcher d’avoir un pincement au cœur quand il comprend les traits qu’elle lui adresse. Ainsi, sur la serviette sur laquelle il commence à griffonner en guise de réponse, c’est à son tour de dessiner en train de lui offrir une étreinte, essayant de reproduire au mieux les traits qu’elle se prête. Il en est désolé, mais puisqu’elle a respecté le peu de détails qu’il a concédé à lui offrir, il ne sait pas s’il peut s’oser à en demander, de son côté. Néanmoins, cette histoire l’intrigue, presque autant que cette tortue qu’elle a dans les mains. Il doit reconnaître ne pas réussir à tout saisir, ce qu’il traduit quand il se reproduit avec des sourcils froncés, pointant du doigt la tortue et, à côté de lui, le chat qu’elle a pris l’habitude de nourrir sans qu’il ne soit le sien. Est-ce qu’elle a adopté cette tortue ? Le choix est original, mais pas mauvais – bien qu’on ne lui demande pas son avis. Son autre hypothèse est ensuite formulée, alors qu’il dessine une ampoule au-dessus de la tête de la jeune femme, dans une bulle, à côté de laquelle se trouvent divers animaux reproduits avec application. Un chat, un chien, une tortue, donc, mais également un oiseau et même un lion, dans une vaine tentative de lui demander s’il s’agit-là d’une envie subite de reconversion, ce qu’il accentue en lui prêtant un badge sur lequel est écrit « centre vétérinaire », et au-dessus de lui, un autre où l’on peut lire « zoo ». Est-ce que l’une de ses deux options est cohérente ? Sur le dos de la serviette, car il manque de place, il s’arrête un instant pour tenter de se remémorer les dessins passés de la jeune femme et, ainsi, reproduire au mieux certains détails qui sauront lui faire comprendre qu’il évoque son appartement. Il la représente assise devant une machine à coudre, l’air parfaitement concentré et appliqué – elle tire même le bout de la langue tant elle est impliquée dans sa tâche. Au bout de l’appareil, du tissu retombe sur le sol, au côté duquel Kieran se contente ensuite d’un simple point d’interrogation, tentant de savoir si, à défaut de continuer à travailler là-dedans, elle s’attèle encore à cette passion dans le cadre privé.

@Flora Constantine