Il se noyait dans le travail, comme si se rapprocher toujours un peu plus du burn out allait lui donner le sentiment de se raccrocher à sa carrière. Il savait qu’il avait pris la bonne décision et qu’il était en train d’accomplir des tas de grandes choses pour des parents malheureux, pourtant, le parallèle avec Maria était de plus en plus difficile à accepter et les seules personnes avec qui il aurait pu en parler n’étaient pas disposées à l’écouter. Ils étaient de toute façon plus jeunes, il ne pouvait pas leur imposer ce fardeau qu’il devait porter seul et qui participait à l’épuiser. Il rentrait d’une garde de nuit et, assis sur le bord de son lit, il se massait les tempes pour chasser la migraine avant de s’allonger pour s’endormir et espérer que son sommeil soit réparateur. Un dernier coup d’oeil à son téléphone l’avait surpris parce que le nom de Cesar s’affichait sur l’écran. Il avait ouvert le message sans attendre malgré la fatigue parce que si son petit frère prenait le temps de le contacter, c’était sûrement pour quelque chose d’important. Il repensait à ce jour où il avait du faire le choix de qui appeler en premier pour la terrible nouvelle, et voir n’importe lequel de leur nom s’afficher sur son écran le ramenait toujours à ce moment seul face à son téléphone avant d’appeler Sara.

Il s’imaginait à peu près tout alors qu’il avait sorti un t-shirt blanc de son placard pour se rhabiller. Diego ne pouvait pas refuser à son frère de l’aider parce qu’il était arrivé à un point où il avait de plus en plus de mal à gérer de ne plus entretenir de vraies relations. Et puis, ils pouvaient bien le tenir responsable de tout et ne plus le considérer comme un grand frère, lui serait toujours là pour sa fratrie parce qu’il avait vu le mal que pouvait créer un abandon. Il avait à peine eu le temps de sortir de sa chambre que Cesar sonnait déjà à la porte et le son strident répété à plusieurs reprises était venu jouer sur son mal de tête et le faire grimacer. En ouvrant la porte, le médecin avait ouvert grands les yeux.  “Salut j’ai vraiment besoin de toi. Je l’ai trouvé sur le bord de la route, il va vraiment pas bien faut que tu l’aides s’il te plaît. Sa première réaction avait été un profond agacement, comme s'il avait le temps pour ça. « Je sais qu’on se parle pas des masses mais t’es au courant que je suis pas vétérinaire, rassure-moi ? » était la seule chose qu’il avait réussi à répondre, laissant son frère entrer avec l'animal pour refermer la porte derrière lui. Cesar l’avait posé délicatement sur le sol et le chien n’avait pas fière allure et un rapide coup d’oeil suffisait à réaliser que ce n’était qu’un chiot. Diego avait soupiré en plaçant une main sur son front, il n’avait absolument rien anticipé alors la surprise et la fatigue l’avaient destabilisé. « Il a sûrement une puce ou autre, pourquoi tu l’as pas emmené chez un vétérinaire pour vérifier ? Son maître doit le chercher et… » Il faisait les cent pas au milieu du salon face au spectacle peu réjouissant et le regard sombre et déçu de Cesar était venu trouver le sien, ce qui avait eu l’effet d’un électrochoc. « Excuse moi, Cesar. Tu as bien fait de venir. Je suis juste fatigué. » Et la pauvre bête avait réuni toutes ses forces pour donner un léger coup de truffe sur le mollet du mexicain qui s’était attendri instantanément et avait enfin réalisé l’ampleur du désastre. « Il est dans un sale état, joder ! » Il se sentait démuni et l’idée que quelqu’un ait pu blesser ce pauvre chien le rendait nerveux. « On va désinfecter ses plaies, essaie de le rassurer, ok ? » Et il n’aurait pas cru que son retour dans le rôle du grand frère pour Cesar aurait eu lieu au travers d’un animal en détresse.

Il n’avait pas voulu lui donner l’impression de ne pas être le bienvenue, c’était tout le contraire, et pourtant, il venait de faire encore un pas de plus en arrière. Diego s’en voulait mais il n’avait pas réussi à contrôler sa réaction - la fatigue, les doutes, tout se mêlait en lui pour le faire devenir l’inverse de ce qu’il aurait voulu être. Le grand frère chez qui l’on venait pour le moindre soucis. C’était étonnant de voir Cesar se résigner à se tourner vers lui et plutôt que d’accueillir son frère à bras ouverts pour lui montrer qu’il était présent, il venait de faire tout l’inverse.  “T’es quand même médecin”   Evidemment, Cesar ne l’avait pas choisi par gaieté de coeur ou comme première option, simplement parce que cela avait semblé être la meilleure solution pour le chiot. Il avait raison et le voir se comporter en adulte responsable avait rendu le sourire à un Diego qui restait conscient de l’avoir déçu, une nouvelle fois. “Parce que…” Il l’avait interrompu, si certaines personnes de la fille avait un mal fou à prononcer des excuses, Diego n’avait aucun mal à le faire lorsqu’il savait avoir mal agi. Et c’était exactement ce qu’il était en train de faire, aboyant sur son petit frère qui cherchait de l’aide, qui plus est pour une cause extrêmement louable et l’état de l’animal l’avait fait réaliser l’irrationalité de sa réaction. Il était tard, très tard, les vétérinaires étaient fermés et même si Cesar n’avait pas eu le bon réflexe, cela n’enlevait rien à la bonne action qu’il s’efforçait de faire. “C’est pas grave.” Ca l’était et ils le savaient tous les deux, mais malgré les rancoeurs et la difficulté de communiquer de ces deux-là, ce lien familial les empêchait de tirer un trait l’un sur l’autre complètement. Diego ne devait cependant pas utiliser ça comme une excuse pour mal se comporter et faire subir à sa fratrie le poids d’une carrière qu’il avait choisie et qui avait été le début de tous ces problèmes. « Non vraiment. Je suis médecin, ouais, mais un médecin fatigué par son métier et qui n’assure pas. » Ses tentatives pour détendre l'atmosphère étaient vaines, malgré le rire ajouté après cette phrase, Cesar et son regard sombre ne se désolidarisaient absolument pas l'un de l'autre. Ils avaient reporté leur attention sur le chiot, parce que se plaindre n’arrangerait pas non plus la situation. Diego avait tenté de prendre les choses en main bien que peu convaincu de sa capacité à soigner un animal blessé. “Ok on fait ça.” Et ils avaient fait au mieux jusqu’à ce que les petits cris de détresse du chiot ne cessent et qu’il commence à s’endormir. “Merci de t’être occupé de lui.” Diego avait tenté de chercher le regard de son petit frère pour lui sourire mais malgré la situation, il n’avait pas encore totalement baissé la garde. « C’est normal. Merci d’avoir pensé à moi pour t’aider. » Difficile de résister à cette boule de poils et même si le serment passé concernait les humains, Diego n’avait aucun mal à l’appliquer aux animaux également. “Tu penses qu’il va s’en sortir ?” Son sourire avait disparu, son regard s’était reposé sur l’animal endormi. « C’est difficile à dire, je pense que le mieux serait de l’emmener chez le vétérinaire demain pour s’en assurer. Mais il a l’air bien parti pour la nuit en tout cas, on va le laisser dormir. » Le veinard, pensait-il, alors que la fatigue le reprenait d’assaut après ce moment où l’adrénaline l’avait aidé à tenir. « Tu crois que c’est quelle race ? » avait-il demandé en arquant un sourcil, accroupi à côté du chien endormi et ne pouvant s’empêcher de le caresser délicatement. Il était aisé de s’attacher au chiot mais ils se devaient de vérifier s’il appartenait à quelqu’un, au cas où. Diego avait jeté un oeil à sa montre avant de reprendre la parole. « T’as dîné ?  » avait-il demandé en se relevant du chevet du chien, gardant tout de même un oeil sur lui. « Je veux dire, si tu veux qu’on veille sur lui jusqu’à demain, je peux nous commander un truc à manger ? » La question semblait périlleuse alors que le mexicain ne faisait que proposer à son petit frère de dîner avec lui - une demande pour le moins banale.

Il ne s’attendait pas à voir son petit frère sonner chez lui, encore moins avec un chiot blessé sous le bras. C’était peut-être ce qu’il devait faire, attendre les opportunités sans essayer de les créer parce que de cette façon, Cesar n’avait pas besoin d’être sur la défensive. Il n’en était pourtant pas moins encore légèrement réservé, restant silencieux devant les excuses de Diego, une réaction normale parce qu’elles ne justifiaient en rien son comportement. Il se rendait compte que son comportement n’était pas idéal et que passer ses nerfs sur son entourage ne résoudrait absolument rien et mettait en péril son envie de se rapprocher de sa fratrie, mais c’était plus fort que lui. “Tu t’en es bien sorti.” Il avait lancé un sourire à Cesar en haussant tout de même un sourcil inquiet. « J’espère, ouais. » Il ne serait réellement rassuré que lorsque l’animal aura vu le vétérinaire, il était bien placé pour savoir que chaque métier avait ses spécificités et il laissait volontiers le don de soigner les animaux aux autres. Lui se contentait des humains et c’était déjà un immense challenge qui puisait toute l’énergie dont il disposait. “On verra demain oui, mais le véto ça coûte un bras, t’as pas des amis vétérinaires par hasard ?” Accroupi face au chien, Diego avait laissé ses doigts caresser son pelage.  « T’en fais pas pour ça, je m’en occupe, mais je veux bien que tu viennes avec moi. » Il ne savait pas réellement pourquoi mais il préférait que Cesar soit présent au cas où les nouvelles seraient mauvaises, ou tout simplement pour soutenir un chiot qui n’avait eu que lui comme repère depuis son accident. Devant la boule de poils, Diego se sentait légèrement apaisé, se concentrant sur lui plutôt que sur ses problèmes. Il était tellement attendri qu’il s’était soudain inquiété de la race de l’animal. “J’en sais rien, c’est un peut-être un croisement. Mais ça ressemble un peu à un berger allemand tu trouves pas ?” Il aimait les chiens mais cela ne faisait pas de lui un expert et il était plus difficile de définir la race d’un chien aussi jeune. « Ouais, je sais pas trop dire. On demandera au véto. D’ailleurs, s’il n’a pas de propriétaires et que tu ne peux pas le garder … » Diego avait levé les yeux vers son frère et si celui-ci avait montré un visage fermé depuis son arrivée, il affichait cette fois un léger sourire en coin et malgré le fossé qui s’était creusé entre eux, il arrivait encore à le lire. « J’imagine qu’on aura un chien alors. » Qui vivra chez lui, pour éviter à Maritza encore un peu plus de soucis qu’elle n’en avait déjà. Diego n’avait pas discuté, n’avait pas cherché à négocier, et si cela pouvait étonner Cesar, c’était simplement dû au fait que l’animal lui faisait déjà beaucoup de bien et qu’il n’avait pas la force d’entamer une nouvelle bataille avec son frère. « Faudra juste que je puisse compter sur toi pour venir le sortir, avec le boulot il va très vite s’ennuyer… » Il s’était arrêté au milieu de sa phrase. « Joder je suis déjà en train de m’y attacher, on va attendre la visite chez le vétérinaire. » Et il avait changé de sujet, laissant le chiot se reposer et rejoignant la cuisine où il avait proposé à son frère de rester pour la nuit pour veiller sur lui.  “On peut faire ça oui. Je vais prévenir maman sinon elle va criser si elle me voit pas rentrer.” Diego avait lancé un petit rire. « Tu sais que rester chez moi sonne comme la pire excuse ? » Maritza aurait probablement du mal à croire que Cesar ait décidé de passer la soirée chez son grand frère, pourtant, le chien serait un alibi parfait pour qu’elle se décide à le croire. “Si t’as pas envie de commander tu me dis et je nous cuisine un truc.” Il avait envie, il le voyait si peu qu’il pouvait au moins lui offrir à dîner mais il savait que s’il proposait de cuisiner, c’est qu’il le faisait de bon coeur et voyait là une façon de le remercier alors il ne pouvait qu’accepter. « Je vais pas refuser vu l’heure, fais comme chez toi ! » Il avait sorti une bière qu’il lui avait lancée et s’était servi un verre de soda. « Tu pourras dormir dans la chambre d’amis, si on dort. » Il s’était retenu de dire qu’elle ne servait que très peu ces temps-ci. Il était déjà tard, et les connaissant, ils passeraient sûrement la nuit dans le salon à veiller sur le chien. « Qu’est ce que tu comptes nous cuisiner alors ? » Il ne connaissait pas les talents de cuisinier de son frère et se souvenait justement que lorsqu’il prenait les commandes des repas quand ils vivaient tous sous le même toit, cela se terminait le plus souvent en catastrophe. Mais il s’en fichait, l’important était de partager un moment avec lui. « Faudrait lui trouver un nom… » Il avait dit qu’il ne devait pas s’attacher ni trop s’avancer avant le rendez-vous chez le vétérinaire et pourtant, la petite masse brune allongée dans un coin avait toute son attention.

Il avait besoin de repos dès que ses horaires le permettaient mais prendre un peu de temps avec sa famille était finalement parfois plus efficace qu’une simple nuit de sommeil. C’était ce qu’il s’était dit après avoir accueilli Cesar de la pire des façons. Alors lorsque celui-ci s’était inquiété des frais vétérinaires, Diego l’avait rassuré de suite, lui demandant simplement de l’accompagner. “Merci, je serai là t’en fais pas.” Si Diego pouvait parfois avoir bien du mal à communiquer avec son petit frère, il savait qu’il était quelqu'un de bien et prenait toujours sa défense. C’était plus simple lorsqu’il n’était pas là pour en témoigner, lui qui prenait un malin plaisir à tourner tout ce qu’il faisait en dérision. Le médecin n’en voulait pas à Cesar qui n’était qu’un gamin un peu paumé et qui avait la pire des circonstances atténuantes et, ce soir, en arrivant avec ce pauvre chiot qu’il souhaitait à tout prix aider, au point de venir le voir lui pour qui il avait encore tout un tas de rancoeur, prouvait bien sa vraie nature.  ​​“J’aurai pas le cœur de le mettre à la fourrière non plus t’en fais pas.”  Il avait jeté un coup d’oeil en coin à la boule de poils qui s’était maintenant étalée de tout son long, ses petites pattes complètement étirées vers l’avant et il avait ri.« Sur ça, on est d’accord… » Diego avait un air attendri qui ne le quittait plus et il devait bien admettre que le hasard avait parfois du bon. Bien malgré lui, le médecin s’imaginait déjà toute une organisation avec l’animal comme s’il était déjà un peu à lui, et, après avoir mis autant de temps à s’en occuper et à peut-être - il l’espérait sincèrement - le tirer d’affaire, il lui était impossible d’imaginer renoncer à lui. “On est même pas allés chez le veto que tu veux déjà que je sois ton dogsitter ? Tu perds pas de temps.”  Son regard s’était de nouveau posé sur Cesar et il avait croisé les bras sur sa poitrine, s’adossant au meuble derrière lui. « J’ai des horaires de dingue, Cesar. Je suis content de t’aider mais si il n’a pas de maître et qu’on doit l’assumer, je pourrais pas le faire tout seul… » C’était devenu leur secret à tous les deux jusqu’à ce que Maritza l’apprenne et fasse une crise et mieux valait anticiper ce dont il aurait besoin s’il devenait officiellement le chien de Diego. « Et dis-toi que si t’étais allé voir Sara, le chien aurait déjà sa page sur les réseaux sociaux. » avait-il continué avec un petit rire. Il savait combien son frère était proche de sa soeur et il n’y voyait aucun inconvénient alors il avait tenté une touche d’humour pour éviter que Cesar ne s’énerve ou se vexe à nouveau. A la place, il avait prévenu leur mère de la soirée improvisée qu’ils passaient à deux. “Mais non, ça lui fera plaisir, je parlerai juste pas du chien”  Il n’avait pas tort, elle serait sûrement ravie de savoir qu’ils resserraient les liens, le fait que cela passe par un sac à puces n’était qu’un détail qu’elle n’avait pas besoin de connaître tout de suite. « Non s’il te plait sinon on est morts. » Ils avaient échangé un rire et pendant un court instant, la discussion ressemblait à n’importe quelle discussion entre deux frères et cela avait fait du bien au médecin surmené.

“Merci.”  avait-il dit en attrapant la bière, Diego réalisait ne même pas être certain de ce qu’aimait son frère ou non. “J’ai l’habitude t’en fais pas.” Le chiot semblait calme mais la douleur pouvait revenir, ou il pouvait tout simplement avoir envie de faire ses besoins et donc de descendre en bas de la résidence. La nuit serait probablement courte. Un bon repas et ils devraient se mettre rapidement au lit. “Excellente question, faudrait que tu fasses quelques courses demain je pense.” Il avait raison mais Diego n’avait pas répondu, ses priorités étaient difficilement compréhensibles ces jours-ci. “Je vais faire un genre de wok, ce sera prêt vite normalement.” Il lui était reconnaissant. « Merci, Cesar. » avait-il simplement dit alors que son frère s’activait déjà. De son côté, Diego n’avait de cesse de penser à sa nouvelle vie avec un chien alors que tout était encore à voir le lendemain. “Il lui faut un nom cool.”  Ce qui n'est pas évident à trouver. “Un truc qui claque pas du genre Etna. Sérieux qui donne à son chien le nom d’un volcan”  Diego avait éclaté de rire, il avait presque oublié l’humour piquant de son frère. Il s’était arrêté un instant pour songer qu’à défaut de certains de ses enfants, il avait au moins eu la patience d’éduquer sa chienne et l’ironie lui avait fait froncer les sourcils. « Un truc mexicain, genre fajitas ? » La cuillère en bois dans la main, Cesar s’était arrêté de remuer la préparation pour tourner un oeil accusateur vers lui. « Ca va, ça va, je rigole ! » Lui aussi savait rire, parfois, lorsque le chagrin et le surmenage ne le mordaient pas au cou. « Y a quoi comme ville au Mexique ? Cancùn ? Mérida ? Tulum ? Tulum ! » Et parce que Diego avait crié un peu plus fort cette dernière ville, le chiot avait levé une oreille qui n’était jamais retombée, les faisant rire et s’émerveiller en même temps. Il avait réagi au ton plus fort emprunté par Diego mais celui-ci préférait y voir un signe. « Je crois que ce sera Tulum et j’ai hâte qu’il mette la pâtée à Etna. » Il s’était arrêté en réalisant qu’il imaginait les deux chiens ensemble, un pas peut-être un peu trop précipité, que ce soit pour l’adoption du chien ou un éventuel rapprochement avec leur père, un sujet trop sensible. « Tu bosses demain ? Si t’as besoin de te reposer, je peux gérer. » Il prenait en compte sa remarque précédente, même si Cesar lui avait amené le chien, c’était son rôle de grand frère de veiller sur lui et non pas l’inverse.

« Sur ça, on est d’accord… » Ce n’est même pas mon chien et je n’imagine même pas le mettre à la fourrière alors que je n’ai clairement pas de quoi le garder. Alors je n’arrive vraiment pas à comprendre comment les gens qui abandonnent leur animal pour partir en vacances ou qui se lassent. On parle d’une vie, pas d’une peluche ou d’une plante verte quand même. J’ai du mal à me projeter plus loin que demain et la visite au vétérinaire mais Diego lui pense déjà loin, très loin. Trop loin en fait. Il commence à me parler de devenir son dogsitter attitré alors qu’on ne sait même pas si ce chien est seul ou simplement perdu. Je lui fais remarquer gentiment qu’il abuse déjà en me refilant tout le sale boulot. « J’ai des horaires de dingue, Cesar. Je suis content de t’aider mais si il n’a pas de maître et qu’on doit l’assumer, je pourrais pas le faire tout seul… » Il a raison. Il est hors de question de prendre un chien pour au final ne jamais s’en occuper et que ça devienne de la maltraitance. Il ne peut pas y arriver seul, je ne peux pas le faire non plus sinon je crois que mama me déshérite, alors je ne vois qu’une solution : on va devoir s’entraider. “Alors ça ce sera un travail d’équipe, on trouvera des solutions.” Chacun de nous devra s’investir pour que ça fonctionne, Diego comme il pourra avec ses horaires et de mon côté entre le boulot, des commissions, mes cours d’art et mes responsabilités à la maison. Je ne suis peut-être pas médecin mais entre tout j’ai un emploi du temps chargé. « Et dis-toi que si t’étais allé voir Sara, le chien aurait déjà sa page sur les réseaux sociaux. » Il n’a pas tort et ça me fait rire aussi. Sara et les réseaux sociaux c’est une grande histoire d’amour et la connaissant elle n’aurait pas résisté face à la bouille du petit chiot. Je l’imagine déjà faire des vidéos débiles, des montages photos et se proposer pour le balader et lui faire un shooting photo au passage. “Ah ce serait déjà une star d’instagram c’est sûr.” Je profite de ce moment plus calme pour prévenir mama que je ne rentrerai pas. Je justifie ça par le fait que je passe la soirée avec Diego, ce qui n’est même pas un mensonge, en revanche je passe sous silence la mission sauvetage de chiot en détresse. « Non s’il te plait sinon on est morts. » Diego aussi a entendu de trop nombreuses fois mama râler à cause d’animaux. A cause des chiens des voisins qui aboient, des chiens qui ne sont pas tenus en laisse dans la rue. Ou plus globalement sur chaque chien qui existe, elle trouve toujours quelque chose qui la dérange avec les animaux. Je sais pas d’où ça lui vient, un trauma d’enfance sûrement, j’en sais rien mais c’est pénible. A la maison on a tous toujours voulu des animaux mais c’est toujours elle qui met son veto, chien, chat, tortue, poisson rouge, rien en fait exception.

Je propose ensuite de cuisiner quelque chose. Cuisiner c’est plutôt simple, cuisiner avec rien comme c’est le cas chez Diego c’est déjà plus difficile. Je vais quand même essayer de me débrouiller pour nous concocter quelque chose, comme je le fais à la maison quand on doit faire les fins de placards à la fin du mois. « Merci, Cesar. » Pendant que je m’affaire en cuisine Diego pose une question importante : quel nom le petit chiot doit-il avoir ? Je suis super nul pour donner des noms alors je n’ai aucune inspiration. J’essaie de penser aux noms que les chiens que je connais ont, mais je ne pense qu’à Etna, ses grandes oreilles et son nom que je trouve complètement naze. Notre chiot doit avoir un nom plus stylé que ça quand même. « Un truc mexicain, genre fajitas ? » Il est sérieux ? Je me retourne pour le fusiller du regard. Vraiment c’est pas drôle. Je secoue la tête en signe de désapprobation. « Ca va, ça va, je rigole ! » Diego qui rigole et qui me fait des blagues, c’est pas commun ça. “J’espère bien que tu rigoles, c’est super nul comme nom.” On est pas dans une série américaine stéréotypée quand même. « Y a quoi comme ville au Mexique ? Cancùn ? Mérida ? Tulum ? Tulum ! » Le chiot s’est réveillé en entendant le nom de notre ville d’origine. Une coïncidence qui nous fait bien rire, comme s’il avait choisi lui-même son nom. « Je crois que ce sera Tulum et j’ai hâte qu’il mette la pâtée à Etna. »  Je suis à peu près sûr qu’Etna est aussi coincée que son maître et qu’elle n’aura aucune envie de jouer avec un bébé. Etna est à l’image de notre père, sérieuse et peu affectueuse. “Il va falloir que Tulum prenne des forces alors s’il veut mettre la pâtée à Etna.” Je fais une petite pause dans mon atelier cuisine pour caresser le chien avec un petit sourire. “Tulum ça lui va bien. On dirait qu’il va déjà un peu mieux en plus.” Je me relève ensuite et après m’être lavé les mains je m’attaque à la découpe des oignons. « Tu bosses demain ? Si t’as besoin de te reposer, je peux gérer. » Les oignons me piquent les yeux au point de me faire rapidement pleurer. “Putain mais c’est pas possible.” Je cligne des yeux et j’essaie de ne surtout pas me gratter les yeux. “ça brûle ces machins là.” J’essuie mes larmes d’un revers du bras avant de me tourner vers Diego. “Désolé. Je bosse oui mais t’en fais pas, je peux rester debout. Je commence à 7h mais ça va aller. Tu bosses quand demain toi ?”

C’était peut-être un signe du destin, ce chiot abandonné et blessé qui sortait de nul part et que lui avait amené Cesar. L’occasion idéale de l’obliger à prendre un peu de recul par rapport à son travail, parce que si l’animal s’avérait être seul, il deviendrait le sien et il y aurait tout un tas de choses à gérer s’il l’adoptait. Diego, comme à son habitude, envisageait chaque issue possible de cet évènement, s’imaginant déjà propriétaire du chiot et cherchant la moindre solution à des problèmes qui n’étaient pourtant pas encore les siens. Cela avait le don d’agacer son petit frère et il pouvait le voir, et lui faire la morale sur la façon dont ils devaient prendre leurs responsabilités était encore une fois maladroit. Pourtant, il n’éméttait aucun jugement et n’essayait pas de s’afficher comme un modèle auprès de Cesar, non, il prenait simplement à coeur cette mission qui lui tombait dessus comme toutes celles qu’il avait pu avoir notamment pendant ses études et sa carrière. “Alors ça ce sera un travail d’équipe, on trouvera des solutions.” Un léger sourire avait étendues ses lèvres, l’idée de faire équipe avec son petit frère l’enchantait probablement plus lui que ce dernier. Après tout, si Diego souffrait de cette distance qui s’était installée entre eux, ce n’était pas le cadet de son cadet qui n’avait de cesse de lui rappeler toutes les fois où il avait échoué dans son rôle d’aîné. Et il avait montré encore une fois ses failles ce soir, l’accueillant avec une animosité qui ne lui ressemblait normalement pas. Il pensait s’être rattrapé, mais il n’en était pas sûr alors il n’avait pas fait plus de commentaire. A la place, il était venu se moquer gentiment de leur soeur. “Ah ce serait déjà une star d’instagram c’est sûr.” Ils riaient ensemble, et s’il savait combien Sara aurait râlé de les voir se moquer d’elle, une part de lui espérait qu’elle se serait réjouie que cela soit pour la bonne cause. Le mexicain avait continué sur le ton de l’humour en proposant des noms extrêmement ridicules pour le chiot qui, encore une fois, semblait déjà faire partie de la famille alors qu’ils n’avaient aucune idée de ce qu’il se passerait le lendemain. “J’espère bien que tu rigoles, c’est super nul comme nom.” « Tu te doutes bien que je vais choisir un nom qui fera classe quand je l'appellerai dehors. » Il faisait attention à son image et ce dans les moindres détails. “Il va falloir que Tulum prenne des forces alors s’il veut mettre la pâtée à Etna.” Il avait regardé Cesar quitter la préparation de son plat pour aller caresser le chiot. “Tulum ça lui va bien. On dirait qu’il va déjà un peu mieux en plus.” A en juger par les petits bruits qu’il faisait durant son sommeil, c’était sûrement le cas. « J’espère qu’on aura de bonnes nouvelles demain. » Cesar s’était remis aux préparatifs du dîner et soudain ses yeux s’étaient couverts de quelques larmes. “Putain mais c’est pas possible.” Appuyé contre le comptoir de la cuisine, Diego dissimulait le rire nerveux qui le gagnait. “ça brûle ces machins là.” « Laisse je vais m’en occuper, occupe toi du reste » avait-il proposé parce que s’il n’était pas capable d’élaborer de grands plats, il savait au moins couper un oignon sans que l’ingrédient ne vienne le faire pleurer toutes les larmes de son corps. “Désolé. Je bosse oui mais t’en fais pas, je peux rester debout. Je commence à 7h mais ça va aller. Tu bosses quand demain toi ?” Ses horaires étaient plutôt bien adaptés à ce bouleversement de dernière minute. « Je m’occupe de l’hospitalisation de jour demain, je prends mon service à quatorze heures, tout va bien. » Et même s’il avait commencé plus tôt pour ses patients en hospitalisation longue, il aurait tout de même était disponible aussi longtemps que Cesar en avait eu besoin, il était de toute façon habitué à jongler entre les urgences, les consultations de jour et les recherches.