she holds my guitar as i pluck out a melody
Midas Sterling & @Jo Carter ☆ crédit/ssoveiagifs

Midas
La chanson arrivera. On prévoit pas de date de sortie tant qu’elle est pas là.

La chanson arrivera. La seule qu’il manque pour que nous puissions tous – moi et les équipes qui travaillons depuis plusieurs mois maintenant sur Yours – nous projeter sur une date de sortie. Au sein du label, mes interlocuteurs sont fébriles et pour cause : je n’avais pas envoyé la moindre ligne depuis trois ans, et voilà qu’ils ont reçu treize chansons, treize chansons que je fignole encore, mais qui ne sont plus au stade d’idées ou de mots jeté sur un carnet sans chercher à mettre de l’ordre et de la cohérence dans mes idées. Au sein du studio d’enregistrement situé dans ma ville, j’ai travaillé sur les textes, les mélodies pour offrir à Universal Music et, le mois de juin, je l’ai passé à Sydney pour enregistrer les version studio de ces titres au sein même des locaux du label.

Mais il manque une chanson.

Un duo, un duo que Jo m’a promis à la fin de l’hiver dernier et bien que l’ayant libéré de cette promesse, je nourris toujours l’espoir qu’elle me l’offre. Je ne rêve pas de cette chanson comme un adieu, un trait définitif sur ce que nous sommes, ce que nous avons été et ce que nous aurions pu être, mais comme le début de quelque chose de nouveau, de plus apaisé. J’ignore si elle en est là, Jo. Les messages qu’elle m’a envoyé depuis l’autre bout du monde traduisent un besoin de ne pas perdre le contact, mais elle l’a dit elle-même : elle ne sait toujours pas comment me faire confiance. Alors, comme une âme en peine, je patiente et, à défaut de pouvoir la tenir contre moi, j’écris des chansons à son sujet. Trop certainement. Toutes, même si pour pouvoir écrire un album entier, il faut transformer la réalité, la distorde et l’adapter sur certains titres. Mais les sentiments, tout ce que je ressens est là.

Et elle a dit qu’elle viendrait. Sans donner de jour, sans donner d’heure ou même d’indication susceptible de m’indiquer si elle viendrait dès qu’elle rentrerait des Etats Unis ou bien si j’aurais à attendre plusieurs semaines avant d’avoir la chance de voir son joli minois s’afficher sur l’écran de l’interphone. Ma villa est hautement sécurisée et gardée nuit et jour. En revanche, les agents à l’entrée ont pour consigne de laisser passer Jo sans l’importuner une seule seconde et de me prévenir à l’instant où elle s’engagerait dans la longue allée qui mène jusqu’à la porte d’entrée de la demeure. Et il y a quelques secondes à peine, alors que j’étais enfermé dans mon studio d’enregistrement à tenter d’arracher à ma guitare une mélodie pour aller avec mes quelques idées pour notre duo, j’ai reçu l’information de l’agent de sécurité posté à l’entrée du domaine. Sans réfléchir, j’ai tout laissé en plan pour rejoindre à la hâte mon dressing, enfiler une chemise blanche par-dessus le pantalon en lin beige que je portais déjà, et pour rejoindre la porte d’entrée pour accueillir Jo. Jo que je n’attendais pas vraiment. Jo qui avait dit qu’elle passerait sans que je ne m’autorise pour autant à l’attendre, pour que mon cœur ne se brise pas si d’aventure elle changeait d’avis. Jetant un dernier coup d’œil au miroir accroché au-dessus du meuble d’entrée, je passe une main dans mes cheveux pour leur insuffler un mouvement les rendant présentables. Et avant même qu’elle n’ait le temps de sonner à la porte, je l’ouvre pour l’accueillir. Mon sourire est aussi sincère qu’il est maladroit. Je ne sais pas où mettre mes mains, si je dois adresser à Jo une accolade, un baiser sur la joue ou me contenter d’un geste de la main. A défaut, je dépose ma main sur la tranche de la porte d’entrée, et une autre à l’arrière de ma nuque. « Je suis content de te voir, entre. » Elle ne pourra le faire que si tu t’écartes de l’embrasure, idiot. Je m’exécute en baragouinant des excuses, avant de refermer la porte derrière elle. « La sécurité t’a pas emmerdée ? T’es entrée facilement ? Je leur avais donné des consignes à ce sujet. » Alors que les yeux de la brune se posent un peu partout autour d’elle, je réalise qu’elle n’est jamais venue ici. Que pensera-t-elle de mon chez moi ? Que je suis dans la surenchère ? Que tout ceci est bien trop luxueux, trop grand et trop tape à l’œil ? Tout ça, je l’ai pensé avant elle mais, à défaut de pouvoir me rendre au cinéma, à la piscine, au spa ou à la salle de sport sans être poursuivi et importuné tous les mètres, j’ai tout ce qu’il faut aussi. Je suis coupé du monde certes, et ça, je ne l’ai pas choisi.

she holds my guitar as i pluck out a melody
@Midas Sterling ☆ crédit/harley

Jo avait dit à Midas qu’elle rentrerait en fin de semaine suivant leur échange de textos. Elle ne lui avait pas donné de plan détaillé du moment où elle se rendrait chez lui pour travailler, préférant se laisser une marge d’action au cas-où un regain de mauvaises ondes ternirait ses efforts. Pourtant elle n’avait pas attendu le lendemain de son retour pour honorer ses engagements. Après presque 15 heures de vol, juste le temps de rentrer chez Ava pour l’embrasser et lui raconter ce qui s’était passé à Los Angeles, elle s’était déchargée de la pression du voyage avec une douche chaude dans l’optique de se faire conduire à l’adresse de Midas. Sans le prévenir, parce que c’était son truc, que même dans la gêne et la honte qu’elle trainait depuis la dernière fois, elle tenait à créer la surprise.

Un long sifflement lui parvint du côté conducteur de la voiture "T’as toujours eu un don pour choisir tes amis." "C’est pas mon ami." Voilà ce qu’elle répondit à son père lorsque sa voiture passa le point sécurité de la propriété de Midas. Il n’avait même pas attendu cinq secondes avant de lui imposer sa présence alors que jusqu’à maintenant, même sans n’avoir jamais passé le permis de conduire, elle avait toujours su se rendre d’un point A à un point B "Tes petits amis alors." S’il l’ajouta avec un sourire carnassier, s’attendant probablement à ce que Jo lui réponde quelque chose pour se défendre, la déception de la voir se murer dans le silence pour observer son environnement avec curiosité fit monter quelque chose en lui qui lui donna l’impulsion de lui demander d’un ton presque doux, qu’elle savait influencé par son besoin maladif de souffler le chaud et le froid "Ça te rappelle pas de bons souvenirs que je te conduise comme ça ?" Absolument pas, ce n’était pas la peine qu’il se lance sur ce terrain-là. D’ailleurs l’apparition de la devanture de la sublime maison de celui à qui elle rendait visite se dressant devant leurs yeux, elle n’eut même pas besoin de lui demander d’arrêter de jouer au daron de l’année.
Elle détacha aussitôt sa ceinture de sécurité pour lui échapper et s’élancer vers sa portière. Mais il lui attrapa brusquement le poignet,  assez fort pour qu’elle sente ses os se rétracter sous sa fermeté. Le regard de Jo trouva le sien pour y voir la mise en garde qu’elle s’attendait à recevoir non sans que ça ne fasse tomber son coeur dans son ventre. Elle n’avait plus 12 ans, c’est ce qu’elle garda à l’esprit pour avoir le courage de soutenir ses yeux "Tu reviens d’un long voyage, reste pas toute la nuit." Il faut que tu dormes, c’est important pour ta voix. Elle ne l’écouta pas, et d’un coup aussi sec, elle ramassa son sac pour ouvrir la portière dans la foulée "Tu veux parier ?" Elle n’eut pas le temps de connaître sa réponse puisqu’elle referma la portière, tournant le dos à la voiture et se dirigea vers un endroit duquel elle bifurqua pour se figurer d’où était  vraiment cette putain de porte d’entrée.

La réputation de gars simple de Midas, elle en prenait un coup à cause de son choix de lieu de vie. Si Jo avait tendance à ne pas se laisser impressionner, elle devait admettre que sur le coup, tout paraissait trop grand pour son petit gabarit ; davantage parce qu’elle n’avait pas fait de chichis, départie de ses talons, dans une petite robe sans prétention, une veste en jean beaucoup trop large pour elle qu’elle avait même pris le temps d’enfiler correctement, ne laissant pas un carré de peau exposé. Elle trouvait ça nécessaire de rester soft après leur soirée de la dernière fois, et c’était ce souvenir-là qui la tendait, pas tellement l’environnement dans lequel elle allait entrer pour de bon, laissant son taré de père derrière elle et s’apprêtant à s’annoncer en sonnant à la porte.
Sans en avoir le temps, cette dernière s’ouvrant sur Midas à qui elle adressa d’abord un regard surprit, puis un sourire en ne sachant pas non plus où mettre ses mains. Après avoir resserré l’élastique de sa queue de cheval, puis remonté son sac sur son épaule, elle les joignit devant elle, presque comme une enfant sage qui vient vendre des biscuits à son voisin pour une cause bidon dans l’espoir d’alimenter son crush. Son invitation à rentrer la faisant se heurter à la façon dont il resta campé dans l’embrasure de sa porte, ça la fit retenir son pas vers lui en lui disant en même temps "Je rentrerai si tu… ouais." Il bougea et s’excusa en même temps. Elle, elle entra en déroulant un chapelet d’insultes silencieuses contre elle-même tant elle se sentait conne d’être aussi gauche, retenant très brièvement sa respiration, confrontée à la démesure.

Ses yeux se posèrent un peu partout autour d’elle pour finalement s’arrêter sur Midas. Ses lèvres restèrent légèrement entrouvertes, mais ses paupières se plissèrent sous l’effort qu’elle faisait pour garder son sérieux "Est-ce qu’il y a des sentinelles qui veillent depuis ton jardin ? Pardon, depuis ton terrain de foot." Toupillant sur elle-même pour marcher à reculons, le regard en l’air, elle continua en même temps "Parce que j’ai oublié mon gilet pare-balles, et je veux savoir si je risque rien. Je suis venue en paix je le jure, ça devrait compter pour un truc." Elle l’affirma en hochant la tête avant de lui répondre enfin à propos des potentiels soucis qu’elle avait pu rencontrer avec son service de sécurité "Je suis devant toi, tu seras pas obligé de virer qui que ce soit." Retrouvant le sens de la marche, elle le bouscula par un léger coup de hanche une seconde après ; elle était venue en paix, c’était un aveu de bonne foi fait sous le ton de la rigolade, mais qui partait d’une vérité sincère.
Encore que la sale gosse qu’elle était avait très envie de continuer à moquer de lui. Elle le fit à moitié en laissant un autre sourire filer, sa tête se levant de nouveau histoire de mesurer la hauteur de plafond "Tu sais je veux pas avoir l’air de me foutre de toi, mais t’as conscience que ton image de mec simple, elle s’annule à cause de cette baraque ?" Sûrement. Ce n’était qu’un moyen made in Carter de briser la glace et d’éviter de s’arrêter trop longtemps sur le fait qu’elle aussi, elle était contente de le voir.

she holds my guitar as i pluck out a melody
Midas Sterling & @Jo Carter ☆ crédit/ssoveiagifs

J’ouvre la porte trop tard pour apercevoir la voiture s’arrêter, mais pas assez pour ne pas trouver l’interaction entre Jo et le conducteur étrange. Bien sûr, de là où je suis, je n’entends pas plus ce qu’ils se disent que je n’aperçois réellement les traits de l’homme derrière le volant. Ce que je n’ai pas de mal à constater, c’est l’agacement sur les traits de la brune, et une certaine tension entre eux. C’est difficile à expliquer mais je me sens mal à l’aise, comme si mes tripes comprenaient avant mon cerveau que quelque chose cloche. Malheureusement, ce dernier est plutôt long à la détente et, alors que Jo s’approche de la porte et agit comme si rien ne s’était passé, je tente de me convaincre que j’ai rêvé. Malgré tout et parce que je suis un garçon poli, j’adresse un signe de la main au chauffeur juste avant qu’il ne démarre et ne fasse un demi-tour pour quitter la propriété. Quelque chose – appelons ça l’instinct – me pousse à suivre la voiture du regarde pour m’assurer que c’est bien ce que l’homme fait et, aussitôt que j’en ai le cœur net, il n’y a plus que Jo qui compte à mes yeux.

Je réalise que la dernière fois que nous nous sommes parlés de vive voix, c’était à cette putain de soirée qui n’aurait pas pu tourner de façon aussi bizarre que déchirante. Je réalise que la dernière fois toujours, elle m’a affirmé que nous devrions couper les ponts et abandonner nos projets professionnels mutuels. Elle semble revenir une fois de plus sur ce qu’elle a annoncé sans que je n’envisage de m’en plaindre. « Je rentrerai si tu… ouais. » Je me pousse finalement, mal à l’aise, pour que Jo puisse pénétrer à l’intérieur. C’est étrange de la voir ici. Elle y serait à sa place et comme chez elle, si les choses s’étaient déroulées comme je le voulais mais, à la place, elle n’a pas l’air guère plus à l’aise que moi. « Est-ce qu’il y a des sentinelles qui veillent depuis ton jardin ? Pardon, depuis ton terrain de foot. » - « C’est un court de tennis, ne confonds pas. » Je lui adresse un clin d’œil, de bonne humeur et rentrant dans son jeu plutôt que de m’offusquer du sous-entendu évident : elle pointe du doigt un potentiel manque d’humilité. Je sais que le domaine fait cet effet-là. Peut-être qu’un jour, elle réalisera elle aussi qu’il vaut mieux tout avoir chez soi quand on ne peut plus mettre un pied dehors sans être suivi par une horde de photographes. Je le lui souhaite – puisque cela voudrait dire qu’elle a réussi – sans le lui souhaiter pour autant : c’est une vie solitaire, et ce malgré les gens qui vous touchent et vous demandent des photos à longueur de journée. « Parce que j’ai oublié mon gilet pare-balles, et je veux savoir si je risque rien. Je suis venue en paix je le jure, ça devrait compter pour un truc. » Je réponds à sa plaisanterie par un rire sincère. « Non juste des snipers sur le toit. Avec moi tu ne risques rien, mais surtout évite de te perde dans la maison, on ne sait jamais. » Des agents de sécurité à l’entrée, c’est déjà bien assez et pourtant nécessaire. « Je suis devant toi, tu seras pas obligé de virer qui que ce soit. » - « Je suis pas ce genre de patron. » Je lui adresse un clin d’œil, avant de la guider jusqu’au salon – l’un des salons disons, le plus utilisé – et d’ajouter. « Si y’a bien une dépense qui sera jamais trop excessive, c’est la sécurité, si je peux te donner un conseil. » Des idiots qui tentent d’escalader les murs de la propriété, il y en a des tas. Heureusement, pas d’accident à déplorer jusque-là. « Je préfèrerais me tromper, mais mon instinct me dit que tu le découvriras bien assez vite. » Et si personne ne lui a donné ce conseil là avant-moi, alors il me semble nécessaire. « Tu veux boire quelque chose ? » Que j’ajoute, mal à l’aise et sans oser m’asseoir.

Je me demande s’il convient de l’inviter à nous diriger vers le studio ou si c’est trop présomptueux de ma part. Pour l’instant, je préfère me taire et la traiter en invitée de marque. « Je te jure que ça, je sais où la femme de ménage le range. » J’en fais des tonnes, même s’il reste vrai que je ne fais plus mes courses moi-même depuis longtemps, comme tout ce qui a trait à l’entretient de tels espaces. Mais elle le sait certainement : l’endroit a l’air immaculé, et elle m’a déjà vu à l’œuvre, lorsqu’on me laisse seul m’étaler et étaler mon bordel avec moi. « Tu sais je veux pas avoir l’air de me foutre de toi, mais t’as conscience que ton image de mec simple, elle s’annule à cause de cette baraque ? » Je hausse les épaules, toujours amusé. « On m’a conseillé d’investir dans l’immobilier. » L’excuse est bancale, la vérité c’est que lorsqu’on a de l’argent à ne plus savoir qu’en faire, pourquoi se priver ? « Je peux plus aller au cinema, au SPA ou dans un bar en ville. Pourquoi pas tout avoir ici ? » Et au moins, Olive en profite depuis qu’elle vit avec moi. Posy aussi, lorsqu’elle vient me rendre visite. Elle a d’ailleurs à l’étage une chambre digne d’un membre de la royauté. J’achète tout ce qu’elle me demande, le moindre jouet, costume ou la moindre poupée ou peluche. « Si tu trouves que j’en fais trop, tu devrais aller jeter un œil à la chambre de ma fille. Une vraie petite princesse, je te promets. » Parce que je ne sais pas dire non, évidemment. Je marque une pause, gêné, avant d’ajouter. « Le type dans la voiture, c’était ton père ? » L’homme avait l’air âgé, alors c’est une intuition, mais peut-être que je me trompe. Peut-être était-ce son manager : que je ne lui en connaisse pas ne veut pas dire qu’elle n’en a pas, cela doit être le cas maintenant que sa carrière décolle.

she holds my guitar as i pluck out a melody
@Midas Sterling ☆ crédit/harley

"Tu joues même pas au tennis." La dissociation était un mécanisme de défense commode. Il permettait à Jo d’oublier qui l’avait conduite jusqu’ici et ce qui s’était passé avant même qu’elle ne se présente à la porte de Midas. Secouant la tête, son menton levé pour admirer la hauteur de plafond, elle ne perdit pas son sourire même si elle trouvait cette interaction un peu bizarre "Si j’avais su que je risquais ma vie en venant ici, j’y aurais réfléchi à deux fois." A d’autres. Elle ne lui dirait pas qu’elle n’avait même pas pris le temps de dormir avant de se pointer "Mais merci du conseil. Je vais pas te lâcher d’une semelle." Elle ne se perdrait pas dans cette maison de toute façon. Elle l’impressionnait, lui laissant la sensation d’être un éléphant dans un magasin de porcelaine. Elle était connue pour faire preuve de délicatesse que lorsqu’elle avait un micro entre les mains Jo. Dans d’autres circonstances aussi, mais ça c’était privé : là elle n’était pas très à l’aise, son regard vadrouillant le long des murs, n’osant pas tendre les mains, qu’elle gardait jointes devant elle, pour frôler des doigts les matières des meubles ou les enduits des murs. Les retombées de la dernière soirée qu’ils avaient passée ensemble gravitait dans l’espace qui les séparait pendant qu’elle se laissait conduire sans chercher à savoir où il l’emmenait, en confiance, et ça la rendait plus fébrile qu’elle ne l’avait jamais été, bien consciente d’avoir quelque chose à se reprocher.

Elle aurait pu rebondir sur la manière dont il se défendait de ne pas être le genre de patron à virer à tout va en lui rappelant qu’elle était au courant. Si Cassie avait travaillé pour quelqu’un d’autre, elle aurait déjà le derche hors du vaisseau dans lequel ils évoluaient en équipe après qu’elle avait trahi sa confiance pour aller cafter un truc qu’il lui avait demander de garder pour elle. Alors oui, elle savait "Mon père veut s’occuper de ma sécurité. Il a trouvé un consensus avec mon équipe pendant que j’étais en voyage, c’est officiel maintenant." Il s’était passé quelque chose après le Long Sunset Festival, ça n’avait pas été relayé par aucun article et Jo avait demandé à Nicholas de ne pas en parler à Midas. Mais Isaiah avait sauté sur l’occasion pour faire entendre son autorité naturelle sans craindre une seule seconde que quelqu’un ne le mette à l’amende pour ça tant il était difficile de savoir exactement de quoi cet homme était capable. L’agent de sécurité qu’on lui avait assigné après la fin de l’émission avait quant à lui émis l’hypothèse que ce n’était pas idiot étant donné que, grâce à leur proximité, il était le plus à même d’anticiper le danger autour de sa fille. Jo n’avait pas réussi à lui dire que c’était une connerie — et maintenant il veillait comme les sentinelles imaginaires de Midas, prêt à s’octroyer les mérites du sauvetage de Jo si un malheur arrivait, attiré par l'auréole comme les abeilles étaient attirées le miel.

Entrant dans le salon avant Midas, Jo fit un tour sur elle-même pour en évaluer la superficie. Elle lui lança un regard par-dessous tout en gardant un léger sourire, preuve que sa pensée n’était pas aussi acerbe que ça "J’ai besoin de rien." refusa-t-elle lorsqu’il lui demanda si elle voulait quelques à boire. De rien, juste d’un moment pour faire le point sur ses émotions, sur le reste de l’environnement qu’elle découvrait timidement sans penser totalement ce qu’elle disait quand elle l’accusait d’être prétentieux. Elle n’osa même pas poser son sac ni enlever sa veste en jean, la refermant au contraire en balayant sa rangée de dents du haut avec sa langue tout en posant son regard sur lui plus longtemps que nécessaire. Ils ne s’étaient pas vus depuis des semaines, c’était son excuse pour s’autoriser ce premier vrai regard ; qu’elle roula dans ses orbites en l’entendant parler de femme de ménage "Si tu me dis que t’emploies aussi un chef, je vais être obligée de m’en aller." Elle l’affirma en levant les mains devant elle, risquant un pas vers le canapé sans s’y asseoir, s’y arrêtant juste à proximité pour enregistrer ce qu’il lui disait et qu’elle accueillit en plissant les paupières "C’est là que je dois sortir les violons ? Maintenant que je sais que t’as un spa et un cinéma chez toi, je peux pas avoir de compassion." Elle en avait pourtant. Parce que c’était lui, qu’elle savait qu’il souffrait souvent de sa notoriété et encore plus de ce que ça l’empêchait de faire avec sa fille qui ne tarda pas à être mentionnée. Elle faillit lui demander si elle allait bien, mais elle n’était pas certaine d’en avoir la légitimité "Elle a le genre de lit à baldaquin qui fait plusieurs mètres de haut et dans lequel on peut dormir à dix ? Non-non-non attends : un tipi en plein milieu de sa chambre ? Ça, ça me rendrait vraiment jalouse." Pas le spa ni le cinéma. Rien à foutre de ça.

Elle aurait pu continuer de noyer le poisson un moment. Sauf que la question de Midas fit dériver son regard du sien "C’était le sugar daddy que je me suis trouvée à Los Angeles. J’ai décidé de vivre dans une chanson de Lana Del Rey et de viser la catégorie d’âge deux fois au-dessus —" de la tienne, qu’elle s’interdit de lui balancer. Putain de sarcasme, jamais ça ne s’éteignait cette connerie. Inclinant la tête juste après, ses yeux roulèrent une nouvelle fois quand elle redevint sérieuse pour de bon cette fois, même si elle garda un léger sourire "C’était mon père." Pour éviter un silence, elle continua "Il est très impressionné par ta propriété d’ailleurs, c’est plutôt un bon point puisque c’est l’homme le moins susceptible d’être impressionné que je connaisse." Elle en parlait presque avec tendresse alors qu’elle rêvait de dégueuler toute sa rancoeur, encore plus chaque fois qu’elle pensait qu’elle était assez conne d’accepter que lui et sa mère refasse partie de sa vie. Mais il y avait Ava. Est-ce qu’elle avait besoin d’être plus explicite que ça ? Non, et elle ne le serait pas.
Lui demandant l’autorisation du regard pour s’asseoir, elle posa son sac sur la table basse en même temps. Elle tira sur le bas de sa robe, joignit les genoux pour y déposer ses mains, et pour ne pas laisser au silence l’opportunité de s’installer de nouveau, elle lui demanda avec une pointe de suspicion dans la voix, cette dernière se faisant murmure "T’as une pièce secrète où tu gardes toutes tes récompenses et où tu t’enfermes des heures pour te convaincre que c’est toi le meilleur ? Dis-moi que oui, je me sentirais moins mégalo de projeter de faire la même chose quand ce sera mon tour." Elle en rit un court instant pour embrayer fissa, le pointant de sa main qu’elle dénoua de l’autre posée sur ses propres genoux "Félicitations au fait." Elle était certaine que, lors de leur dernière soirée, elle avait lancé les hostilités exactement dans ces termes. C’était assez gênant pour lui faire ajouter dans la précipitation, ses yeux se fermant rapidement en secouant la tête en même temps "Pour ta chanson. J’ai entendu dire que ça avait démarré fort." Elle l’avait déjà félicité par texto, mais elle tenait à le faire de vive voix parce qu’elle était heureuse pour lui, c’était aussi simple que ça.

she holds my guitar as i pluck out a melody
Midas Sterling & @Jo Carter ☆ crédit/ssoveiagifs

« Tu joues même pas au tennis. » - « Je pourrais. Au moins, je me ferme pas de porte. » Je ne joue pas plus au football que je manie parfaitement une raquette de tennis d’ailleurs, pour ce que ça vaut. « Il venait avec la propriété quand je l’ai achetée. Je suis pas mégalo au point de l’avoir fait construire. » Je n’aurais pas mis mon argent dans quelque chose d’aussi inutile. J’aurais bien trouvé autre chose pour occuper tout cet espace, après tout. Sur ces quelques plaisanterie et après avoir rassuré Jo sur le fait qu’elle peut pénétrer à l’intérieur sans risque sans vie – ou de se perdre et de ne ressortir de ce labyrinthe que plusieurs années plus tard – je m’efface pour qu’elle puisse rentrer et, alors que nous cheminons vers le salon, j’abord un sujet qui me préoccupe certainement plus que de raison, mais je suis bien incapable de m’en empêcher. Jo, je la rêve à l’abri de tout ce qui la menace dehors. Je la rêve intouchable, et je voudrais qu’elle puisse profiter des avantages de la célébrité sans ses inconvénients. Mais je n’ai réussi à trouver de solution miracle ni pour moi ni lorsqu’il a été question de révéler l’existence de Posy ou pas, alors je sais que c’est vain. « Mon père veut s’occuper de ma sécurité. Il a trouvé un consensus avec mon équipe pendant que j’étais en voyage, c’est officiel maintenant. » Pour tout un tas de raison, le choix me semble peu judicieux et la surprise s’affiche dans mon regard, je ne tente même pas de la dissimuler. « Ton père ? » Ne m’a-t-elle pas confié que personne ne l’aidait avec Ava et que toute sa famille l’avait laissée tomber ? Ne m’a-t-elle pas partagé sa rancœur, ai-je mal compris lorsque j’ai supposé que ses parents ne faisaient plus du tout partie de sa vie ? Je suis naïf peut-être, mais grâce à mon expérience – j’ai quelques années d’avance sur Jo à ce niveau – je sais que lorsque l’on commence à devenir quelqu’un, les vautour et rats en tout genre affluent. Au-delà de ça, personne de sensé n’aurait proposé ce genre d’arrangement puisqu’il est compliqué de veiller sur la vie et la sécurité de quelqu’un avec lequel on est émotionnellement engagé. Et puis merde, l’histoire Britney ne lui a rien appris ? « Et c’est supposé être une bonne chose ? » En est-ce une à ses yeux ? Je connais assez la brune pour être capable d’émettre de gros doutes à ce sujet, mais je connais aussi sa susceptibilité et ne veut pas la braquer. « Je crois que c’est mieux de bosser avec des inconnus sur ce plan-là. Moins de complications potentielles. » Moins d’engagement émotionnel. « Il bosse dans la sécurité au moins ? » Garde du corps, c’est un métier, il ne suffit pas d’arborer des muscles saillants.

« J’ai besoin de rien. » Pas de verre d’eau, pas de canette de soda et me revoilà les bras ballant, comme un idiot, incapable de savoir si j’ai le droit d’effacer la distance qui nous sépare elle et moi. « Si tu me dis que t’emploies aussi un chef, je vais être obligée de m’en aller. » - « Je te le dirai pas alors. » J’esquisse un sourire amusé. « Mais me demande pas de te cuisiner quelque chose là maintenant tout de suite, je serais démasqué. » En soi, je n’ai rien d’un mauvais cuisinier. Je ne suis pas un cordon bleu, mais je me débrouille. Non, je serais surtout parfaitement incapable de retrouver les différents ustensiles dans ma cuisine tant je ne m’utilise jamais. « C’est là que je dois sortir les violons ? Maintenant que je sais que t’as un spa et un cinéma chez toi, je peux pas avoir de compassion. » Je pose une main sur mon cœur, prétendant être meurtri par sa remarque. Finalement, je secoue la tête et prend place face à elle, sur le fauteuil en cuir du salon. « Y’a des moments où j’ai vraiment envie de tout foutre en l’air pour aller vivre au ranch de mon oncle et ma tante, tu sais. » Mais autour de moi, tout le monde ne cesse de me répéter à quel point j’ai de la chance. « Ils désespèrent qu’aucun de mes cousins ne donne l’impression d’avoir pour ambition de reprendre l’affaire familiale. » Dans une autre vie, j’aurais été heureux de le faire pour eux. Dans une autre vie, j’aurais eu tout ce dont j’aurais eu besoin si j’avais vécu ce genre d’existence simple. Je voulais la musique, le reste est arrivé sans que je ne le prémédite. « Elle a le genre de lit à baldaquin qui fait plusieurs mètres de haut et dans lequel on peut dormir à dix ? Non-non-non attends : un tipi en plein milieu de sa chambre ? Ça, ça me rendrait vraiment jalouse. » - « Elle a un tipi. Et tous les Playmobil qu’un gamin peut rêver d’avoir. » Si ma princesse me demande la maison géante qui coute cinq cents euros ? Elle l’a. Elle a ce qui se fait de mieux et cela me semble être la chose la plus naturelle du monde. Tant pis si Posy devient une diva : si mon argent ne lui sert pas à elle, alors il n’a pas le moindre intérêt à mes yeux.

« C’était le sugar daddy que je me suis trouvée à Los Angeles. J’ai décidé de vivre dans une chanson de Lana Del Rey et de viser la catégorie d’âge deux fois au-dessus — » Oh bien sûr que j’entends le sarcasme dans sa voix. Bien sûr que je sais qu’elle me pique, qu’elle plaisante ou que sais-je et si je sais qu’elle raconte des salades, je n’ai pas envie de rire ne serait-ce qu’en imaginant cette éventualité. Je lui adresse un sourire qui se veut amusé mais distrait, et c’est le mieux que j’ai en stock. « C’était mon père. Il est très impressionné par ta propriété d’ailleurs, c’est plutôt un bon point puisque c’est l’homme le moins susceptible d’être impressionné que je connaisse. » Ah, toujours son père donc, et cette fois, j’ai plus de mal encore à camoufler ma grimace. « Je croyais que t’étais seule avec Ava ? Que c’était toi et elle ? » Et que le reste de sa famille les avait laissées tomber ? Est-ce uniquement lorsqu’il s’agit de moi que la brune est rancunière ? Ai-je fait pire qu’un père qui abandonne sa mère et sa fille ? Je suis dérouté par ce nouvel élément dans sa vie. Dérouté, et suspicieux.

« T’as une pièce secrète où tu gardes toutes tes récompenses et où tu t’enfermes des heures pour te convaincre que c’est toi le meilleur ? Dis-moi que oui, je me sentirais moins mégalo de projeter de faire la même chose quand ce sera mon tour. » - « Elle s’appelle la pièce de musique. Au moins, avec un piano, une guitare et un ampli, je me sens moins coupable. » La pièce n’est plus une pièce de récompense mais une pièce de musique au moins, tout est dans l’intitulé. « Félicitations au fait. Pour ta chanson. J’ai entendu dire que ça avait démarré fort. » - « Oui, merci. » Je me gratte l’arrière de la nuque, pourtant jamais gêné de recevoir des compliment sur mon art sauf lorsqu’il s’agit d’elle. « Je suis content. C’est une bonne chanson, en toute objectivité. » Je suis assez dur avec mon travail pour ne pas sembler prétentieux. « Une que je suis contente d’avoir écrite, en tout cas. » Et pour laquelle je suis heureux de récolter un accueil positif. C’est angoissant, de sortir un titre après tant de temps sans rien partager avec mon public. « J’ai travaillé sur quelques accords à la guitare que j’aimerais te montrer. » Je ne mentionne pas directement notre duo, je ne m’aventure pas dans cette direction avant de savoir si elle souhaite à nouveau l’emprunter. Des accords de guitares, ça n’engage à rien, ce n’est pas trop présomptueux, si ?

she holds my guitar as i pluck out a melody
@Midas Sterling ☆ crédit/harley

"J’ai pas eu mon mot à dire Midas, j’étais à plusieurs milliers de kilomètres d’ici." Le sourire qu’elle lui donna, il était aussi faux que celui qu’il lui servirait quelques instants plus tard quand elle mentionnerait une rencontre à Los Angeles. Elle haussa les épaules, marquant son point en le regardant s’asseoir en face d’elle, la table basse les séparant "On parlemente pas avec mon père de toute façon, moi ou quelqu’un d’autre. On peut le faire jusqu’à un certain point seulement." Après ça partait en vrille, on se retrouvait fait comme un rat à ne pas savoir quoi faire de la main qu’il levait dans votre direction, déterminé à l’abattre à un moment où un autre pour obtenir ce qu’il voulait, plus souvent de force que de gré. C’était comme ça, elle n’était pas la seule à le savoir, ils étaient au moins six à en avoir été victimes. Auprès des autres, il dégageait une certaine énergie, ce n’était pas bien difficile de deviner qu’en effet, la discussion avec lui, ce n’était même pas la peine d’essayer.
Il était mignon Midas, mais il ne l’avait jamais rencontré le père Carter, aussi remettre en cause ce choix de le faire rejoindre les rangs de sa sécurité rapprochée, il pouvait le faire autant qu’il voulait, c’était établi désormais : ça ne changerait que s’il l’avait décidé, autrement elle était vouée à l’avoir dans les pattes jusqu’à ce qu’elle trouve le courage de le congédier soit en le menaçant, soit en l’arrosant de quelques dollars, langage qu’il comprenait encore mieux que la violence. Ceci étant ça ne servait à rien de rentrer dans les détails. Il y avait des sujets auxquels Midas n’avait jamais eu accès, ça ne commencerait pas maintenant qu’ils évoluaient en équilibristes sur une corde beaucoup trop raide, dont elle s’incombait la distension au moins de moitié "Si tu crains qu’il prenne les choses trop à coeur, je te rassure tout de suite : c’est pas ma sécurité qui l’intéresse dans le fond." C’était les flashs qui allaient avec, elle n’était pas assez stupide pour l’ignorer, et parce qu’elle n’avait pas eu son mot à dire justement, elle était piégée. Jo n’était pas encore une pointure comme l’était Midas, ses décisions n’étaient pas vraiment ses décisions, quand bien même elle était capable de caprices. Elle étaient régies par son équipe, elle n’était là que pour donner son assentiment quand tout était déjà mis sur le tapis. C’était ce qu’on gagnait à sortir d’un programme comme le leur, d’autant plus sur une magouille, il était pourtant le mieux placé pour le savoir. Elle secoua la tête, ne défaisant pas son visage du sourire légèrement narquois qu’elle avait sur le visage "Il s’occupait déjà de ça pour mes frères et moi quand j’étais plus jeune. Je suppose que c’est comme le vélo, les habitudes doivent revenir vite." Son ton manquait de conviction, il serait le premier à s’en rendre compte. C’est pour ça qu’elle compléta dans la continuité de ses derniers mots "T’en fais pas pour moi, il se lassera au bout de quelques mois." Elle le manifestait à voix haute, c’était tout ce qu’elle pouvait faire pour que ce voeu-ci se réalise le plus rapidement possible.

Ça la tendait toujours un peu de parler de son père, ça la tendit davantage puisque qu’elle n’était déjà pas tout à fait à l’aise. Elle essayait de faire de l’humour, elle essayait d’engager l’ancienne dynamique qu’ils avaient tous les deux, mais c’était tellement différent qu’elle se demanda si elle ressortirait satisfaite de cette visite, ou si elle ne se sentirait pas plus malheureuse et coupable. Triturant l’arrondi de ses ongles plus courts que d’habitude avec la pulpe de ses doigts, elle glissa sa langue sur sa rangée de dents du haut lorsqu’il lui avoua quelque chose qui lui fit froncer les sourcils, puis relever la tête dans sa direction "Tu devrais le faire." Un haussement d’épaules plus tard, ses doigts se nouant entre eux, et elle explicita, décidant de relâcher un peu le haut de son corps pour enfoncer son dos dans le canapé sur lequel elle s’était assise "Prendre du recul sur ta carrière et faire ce que t’as envie de faire. Personne te le reprochera." En fait si, son équipe le maudirait sur plusieurs générations "En vrai, c’est badass de tout envoyer balader alors que t’es à l’apogée de ta carrière. C’est un coup à ce que personne t’oublies jamais." Mais il serait malheureux à ne plus faire de musique, à ne plus écrire, composer, enregistrer, tourner. Elle n’avait plus tellement le droit de dire ce genre de choses, mais si elle le pouvait toujours, elle aurait ajouté que tant qu’il était heureux dans son ranch, elle l’encouragerait autant que faire se peut, bien dans le fond, elle trouverait ça dommage qu'il raccroche sa guitare.
Tout un paradoxe, restait qu’elle pensait ce qu’elle lui disait en le regardant plus longtemps qu’à son arrivée "Et puis tu sais, on est en Australie. Le délire cow-boy solitaire, c’est un truc qui plaît à la ménagère. Tu serais même pas obligé de tout foutre en l’air, tu pourrais te mettre à la musique country. Y a un fil à tirer, tu devrais y penser." Ça, elle le dit avec une pointe de moquerie, évitant de lui parler de tous les clichés entourant le mythe du cow-boy — comme s'il avait besoin de nouvelle fanfiction le mettant en scène, tiens. Elle comprenait tout de même que c’était une idée qui le taraudait. Peut-être pour ses vieux jours ? Il avait une vie saine Midas. Sa retraite de star interplanétaire, il pourrait la vivre sans souci dans un environnement dans lequel il se sentirait bien, pas comme ses idoles qui avaient passé l’arme à gauche avant même d’atteindre son âge. Il pourrait même le faire avec sa fille qui était déjà bien équipée.

Faisant mine de ne plus en pouvoir d’être noyée sous les détails de la vie rêvée d’une gamine de cinq ans, elle roula des yeux lorsqu’il lui confirma pour le tipi, faussement dérangée de se dire que Posy aurait toujours une existence bien meilleure que la sienne, qu’importe le nombre d’albums qu’elle vendrait. Mais visiblement, la conversation était vouée à ne tourner qu’autour d’une personne : son père "Lui et ma mère ont pris une maison pas loin de la nôtre depuis la fin de l’émission. Il veut essayer de passer de plus de temps avec Ava tant qu’il en a encore l’occasion." Ce qui n’était qu’une excuse bidon puisqu’il venait donc de se trouver une occupation à temps plein, de quoi l’exempter de prendre soin de sa mère. Non, il laissera son épouse s’en charger, ce lâche appâté par la gloire des autres "Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Je dois être dans la phase de ma vie où je laisse des secondes chances, il paraît que c’est bon pour chasser la rancoeur et l’amertume." Sans envie d’en dire davantage à ce sujet, elle se redressa dans le canapé pour instiller une nouvelle bouffée de légèreté à leur discussion.

Mais c’était tellement froid dans le fond, que quand il lui dit qu'il avait une salle de musique au lieu d’une salle de trophées, Jo lui dit "Et tu me proposes même pas de me la montrer ? Les choses changent tellement vite." Et la dernière portion de sa phrase, elle la murmura presque pour elle-même, laissant son regard se perdre quelques longues secondes supplémentaires sur lui en se disant qu’au fond, c’était peine perdue : qu’il lui quémandait des efforts, qu’elle en faisait pour de vrai, mais que rien ne serait jamais comme avant — pas même quand ils parlaient musique "T’as tiré du bon de quelque chose qu’il l’est pas, c’est presque de la magie." Être content d’avoir écrit sur leur rupture, c’était tout de même particulier. Elle décida de ne pas le prendre comme un affront, bien placée pour savoir que l’inspiration venait parfois du malheur, consciente que ce n’était sans doute que de la maladresse d’expliquer les choses de cette façon. Pour ce que ça valait, elle était d’accord avec lui de toute façon : sa chanson était bonne, elle restait en tête. Dans la sienne en tout cas, et pas uniquement parce qu’elle l’avait écoutée beaucoup trop de fois.
Ayant baissé les yeux un instant, Jo les remonta aussitôt quand il mentionna les quelques accords sur lesquels il avait travaillé ; elle aurait dû le garder à l’esprit dans le fond, qu’elle n’était là que pour ça, s’étant sûrement trop enthousiasmée sur des retrouvailles timides quand il était évident que sa présence n’était requise que pour le business. Reste professionnelle Jo, elle l’entendait encore le lui dire le jour du lancement du Revival après qu’elle avait pété un plomb quelques instants avant de rentrer sur scène à ses côtés pour la première fois en six ans. Ravalant sa fierté en même temps que sa salive, elle détourna son regard du sien pour mieux se lever après avoir tiré sur l’ourlet de sa robe trop courte, et remontée sa veste sur ses épaules "Ouais, je suis là pour ça de toute façon. J’ai ramené mon carnet avec moi, si ça se trouve y aura des trucs que j’ai griffonné qui colleront bien à ta mélodie." lui fit-elle en se penchant pour pêcher son si précieux carnet dans son sac. S’il fallait parler travail, elle parlerait travail. Pointant du doigt un endroit au hasard, elle ponctua en se redressant en même temps "Je te suis."

she holds my guitar as i pluck out a melody
Midas Sterling & @Jo Carter ☆ crédit/ssoveiagifs

« J’ai pas eu mon mot à dire Midas, j’étais à plusieurs milliers de kilomètres d’ici. » Cette histoire sent le roussi et chaque phrase que Jo rassure n’est pas particulièrement faite pour me rassurer. Elle peut avoir son mot à dire pour ce genre de chose, c’est son argent qui payer les différents membres de son équipe, et en l’occurrence c’est son argent qui va entrer directement dans la poche de son père. Est-elle seulement en accord avec ça ? « On parlemente pas avec mon père de toute façon, moi ou quelqu’un d’autre. On peut le faire jusqu’à un certain point seulement. » Le visage fermé, les sourcils toujours aussi froncés, je la dévisage sans trop savoir ce que j’ai le droit de dire ou de ne pas dire. Je ne suis plus son petit ami. Et quand bien même, Jo est un électron libre et je n’ai jamais eu la prétention de dire que je pouvais l’influencer ou la pousser à voir et faire les choses à ma façon. « Jo.. C’est ton argent. Bien sûr que tu peux dire et décider exactement ce que tu veux. » Comment les choses se sont-elles passées ? Son manager a-t-il décrété qu’il s’agissait d’une excellente idée où son paternel n’a-t-il laissé le choix à personne, au fond ? « Ton manager il en pense quoi ? Me dit pas que y’a encore de idiots dans le business qui pensent que bosser avec sa famille c’est une bonne idée ? » Mes mots sont peut-être durs, mais puisque la demoiselle a l’air mal à l’aise d’aborder se sujet, n’est-ce pas une raison de plus pour être alarmé ? Pour cherche à creuser et à comprendre comment les choses se sont faites sans qu’elle n’ait son mot à dire ? « Si tu crains qu’il prenne les choses trop à cœur, je te rassure tout de suite : c’est pas ma sécurité qui l’intéresse dans le fond. » Je secoue la tête, signe que je ne craignais pas du tout ce genre de chose, non. « Il s’occupait déjà de ça pour mes frères et moi quand j’étais plus jeune. Je suppose que c’est comme le vélo, les habitudes doivent revenir vite. » - « C’est différent. Tu chantes plus dans des mariages dans un groupe amateur… » Loin de moi l’idée de lui manquer de respect, mais la notoriété qu’elle avait à l’époque n’a pas grand-chose à voir avec l’effervescence que son nom provoque depuis la fin de l’émission, et qu’il provoquera à la sortie de son album et, si elle est chanceuse, jusqu’à la fin de sa vie. « Putain pourquoi que j’ai un post de garde avec un agent qui vérifie l’identité de tout le monde à l’entrée ? » Pourquoi croit-elle que d’immenses murs entourent la propriété ? Parce que je préfère le béton aux jolies clôtures faites d’arbustes ? « T’en fais pas pour moi, il se lassera au bout de quelques mois. » J’ai l’impression que je marche sur des œufs, et que Jo est aussi fermée qu’une huître. Alors, au terme d’un grommèlement inintelligible, je lâche l’affaire, comme elle semble le vouloir sans oser le formuler.

« Tu devrais le faire. » Amusé et surpris, je la dévisage un sourire en coin. « Faire quoi ? Allez m’occuper des chevaux de mon oncle ? » En serais-je réellement capable, après m’être habitué à ce mode vie, à l’effervescence des concerts, à ces putain de sensations qu’on ne peut pas ressentir autrement, je suis prêt à parier là-dessus. « Prendre du recul sur ta carrière et faire ce que t’as envie de faire. Personne te le reprochera. » - « J’ai pris du recul pendant trois ans. Mon équipe te dirait que c’était déjà bien assez. » Le label ferait tout pour me convaincre de ne pas prendre ce genre de décision, et ils ont de la ressource. Mais c’est une excuse au fond, non ? On s’habitue à ce mode de vie et, putain, la musique représente toute la vienne. Je vis musique, je pense musique et je respire musique. Je ne crois pas être capable de tourner la page. « En vrai, c’est badass de tout envoyer balader alors que t’es à l’apogée de ta carrière. C’est un coup à ce que personne t’oublies jamais. Et puis tu sais, on est en Australie. Le délire cow-boy solitaire, c’est un truc qui plaît à la ménagère. Tu serais même pas obligé de tout foutre en l’air, tu pourrais te mettre à la musique country. Y a un fil à tirer, tu devrais y penser. » - « Ouais. Si tu m’achète le Stetson qui va avec, je veux bien tenter ma chance. » Je secoue la tête, un sourire sur les lèvres. « Je sais pas. On s’habitue vite à tout ça, tu verras. » Parce que nul doute que son tour est venu. Et même si j’ai fait ce que j’ai fait, je crois que je suis incapable de dire que je le regrette : Jo mérite le succès qu’elle obtient enfin.  

« Lui et ma mère ont pris une maison pas loin de la nôtre depuis la fin de l’émission. Il veut essayer de passer de plus de temps avec Ava tant qu’il en a encore l’occasion. » Le sujet de ses parents s’invite à nouveau, et il me plait toujours aussi peu. « Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Je dois être dans la phase de ma vie où je laisse des secondes chances, il paraît que c’est bon pour chasser la rancœur et l’amertume. » Je pousse un soupir, frustré qu’elle me renvoie à nous, à notre situation, parce que c’est ce qu’elle est en train de faire et que je ne suis pas idiot. « Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a un sens du timing impeccable. » Un sens du timing que, même-moi, pourtant grand naïf, je suis incapable de ne pas interpréter d’une autre façon. Lorsqu’on a de l’argent et du succès, les gens nous tournent autour sans que cela ne soit sincère. Je l’ai appris à mes dépends et Jo l’apprendra aussi. Je crois même qu’elle s’en doute : elle a toujours plusieurs coups d’avance, la brune, et elle a toujours compris ce milieu bien mieux que moi. Pourquoi n’est-il pas capable de clairvoyance concernant son père, dans ce cas ? Parce qu’elle est aveuglée par les liens du sang ? Autre chose ?

« Et tu me proposes même pas de me la montrer ? Les choses changent tellement vite. » - « Vu ta reaction, je m’étais dit que tu préfèrerais voir le tipi de la chambre de Posy, mais on peut changer de plans. » Je m’amuse de sa réaction qui, si elle semble être teintée d’humour, n’en reste pas moins épidermique. Les choses ont changées parce que tu veux qu’elles changent Jo… Moi, je les aimais comme elles étaient, moi, je voudrais pouvoir revenir en arrière, respirer son parfum et sentir la douceur de sa peau sous la pulpe de mes doigts. « T’as tiré du bon de quelque chose qu’il l’est pas, c’est presque de la magie. » - « Je sais pas si on peut vraiment dire que c’est de la magie. » C’est mon second langage plutôt. C’est ma façon de lui dire les choses que je ne sais pas formuler autrement. L’a-t-elle entendu et compris, mon appel à l’aide ? Est-ce pour ça qu’elle est là ? « Je fais que dire les choses comme j’aimerais les dire. » Les mains dans les poches, gêné, je hausse les épaules. « Ouais, je suis là pour ça de toute façon. J’ai ramené mon carnet avec moi, si ça se trouve y aura des trucs que j’ai griffonné qui colleront bien à ta mélodie. » Elle semble déçu, et je ne suis pas certain de comprendre pourquoi. Parce que j’ai évoqué – même de façon détournée – notre duo et qu’elle ne voulait pas en parler ? Parce qu’elle n’était pas là pour ça ? J’ai l’impression de l’avoir perdue – ou en tout cas d’avoir brisé une bulle de normalité pour nous replonger dans notre réalité complexe et torturée. « Je te suis. » Gêné, je ne bouge pas tout de suite. « Tu sais, ça t’engage à rien. Je voulais juste te les faire écouter. » Parce qu’elle a l’instinct pour ça, parce que son avis compte et parce que j’ai envie qu’elle la chante avec moi cette putain de chanson. Pas parce qu’elle me l’a promis, pas parce que notre association enflammera les fans et les tabloïds, mais parce qu’il n’y a qu’avec elle que je ressens cette putain d’intensité indescriptible quand je chante en duo. Parce que j’ai envie de passer du temps avec elle aussi, et que je n’ose pas le lui demander sans prétexte pratique : elle m’a demandé de garder mes distances, je ne sais pas le faire. Je peux au moins prétendre que je n’ai pas d’arrières pensées, non ? « Si tu veux pas, c’est pas grave non plus… » J’hésite, avant de désigner un long couleur de la main. « C’est par là. »

Pendant que nous cheminons vers la salle de musique, je me demande ce que j’ai pu dire de mal, ce qu’elle a mal interprété. Elle est compliquée Jo, et la situation l’est tout autant. Lorsque je referme la porte derrière nous, son regard est happé par mes récompenses et je suis aussi gêné que je suis fier. « J’aimerais bien ajouter un second Grammy sur l’étagère. » Depuis le premier que j’ai obtenu comme meilleur nouvel artiste, je n’ai obtenu que des nominations. De quoi rester sur ma fin malgré la fierté d’avoir gagné d’autres récompenses. « Qui sait, peut-être avec le nouvel album. » Qui sait, peut-être même avec cette chanson. « Si je te mettais au défi d’écrire avec moi une chanson qui gagnerait un putain de Grammy award, tu dirais quoi ? » Une légère lueur de défi brille dans le fond de mes yeux. Jo est une femme de challenges.

she holds my guitar as i pluck out a melody
@Midas Sterling ☆ crédit/harley

"T’as pas compris quoi quand je t’ai dit que j’étais pas là quand ça a été décidé ?" Il en fallait peu à Jo pour monter dans les tours, mais elle était calme ici. Son ton était même doux, fatiguée par le jetlag autant que par l’obstination de Midas à lui parler comme si elle avait l’âge de sa gamine. Son regard restait néanmoins assez noir pour qu’il comprenne qu’il dépassait une limite. Elle estimait que son agacement n’était pas injustifié, il insistait pour aborder un sujet tabou, pas prête à avouer à qui que ce soit qu’elle avait peur qu’un rejet de la décision prise à sa place alimenterait la colère de son père. Elle n’avait plus 12 ans, elle restait une cible, l’incident de tout à l’heure le prouvant "Il est venu me chercher à l’aéroport en tant que membre de ma sécurité. Il m’a conduite chez nana, j’ai pris une douche et il m’a conduite ici. On a pas eu de conversation en dehors de ce qu’il m’a dit sur tout ça." Tout ça étant désigné par un geste circulaire de sa main. Englobant l’ensemble de la propriété de Midas à qui elle accorda un regard fixe pendant que ses dents se serrèrent lorsqu’il continua pourtant, elle finit par l’arrêter. Sa main changea d’intention en se plaçant devant elle pour mettre l’emphase sur son envie qu’il passe à autre chose "Je suis pas venue pour me disputer, mais Midas ? Gère ton équipe avant de m’apprendre à gérer la mienne." Est-ce qu’il avait besoin qu’elle explique ce que ça voulait dire ? Est-ce qu’elle devait lui demander s'il comptait virer Cassie ?

Elle ne lui ferait pas cet affront, et passa à autre chose non sans sentir son coeur accélérer la cadence parce qu’au fond, si leur histoire ne s’était pas arrêtée en cours de route, elle lui aurait parlé de tout ça difficilement peut-être, sans se braquer sûrement. Même l’interlude sur les chevaux de son oncle était curieuse à aborder, manquant de conviction d’un côté comme de l’autre. Si elle n’avait pas eu envie de passer du temps avec lui, ça aurait été le moment qu’elle aurait choisi pour fuir. Elle craignait ne rien tirer de bon des efforts qu’ils faisaient chacun de leur côté, c’était même un peu douloureux d’y songer quand elle le regardait faire de l’humour, acquiesçant en ne sachant quoi dire parce qu’elle n’était pas dans une position où elle pouvait lui donner des conseils ; tout comme il n’était pas en position de le faire non plus, alors quand le sujet de ses parents s’invita de nouveau et qu’il salua le timing impeccable de son père, elle se contenta de hausser les sourcils un air de dire qu’il ne lui apprenait rien, mais garda le silence pour ne pas lui donner une raison supplémentaire d’en parler et de lui faire regretter de ne pas avoir assez de cran pour le renvoyer de là où il venait comme il l’avait fait à l’époque de sa foirade avec son premier projet.

"T’es jaloux que je m’intéresse pas plus que ça à la tienne ?" De chambre. Si elle avait beau de ne pas être à l’aise, Jo n’en restait pas moins elle pour autant. La provoc, c’était son mode de communication, celui qui lui apportait sans doute plus de problèmes que de bienfaits. Il lui tendait une perche, et si ça pouvait la détendre de renouer avec sa répartie à double-sens, elle sauta sur l’occasion. L’un de ses sourcils se arqua, son embarras permuta en sourire en coin qu’il serait probablement déchiffrer "T’as quoi à me proposer de plus fun qu’un tipi ? Une balançoire ?" Rien de tout ça à dire vrai, il était plus sérieux et factuel que ça, Midas. C’était un peu décevant, mais elle l’avait cherché après tout, et si là encore, elle se braqua lorsqu’il souleva leur duo sans vraiment le faire, elle prit le temps d’abord de rebondir sur le message qu’il lui faisait passer à propos de sa chanson en n’osant plus affronter ses yeux sur l’instant, baissant les siens sur ses doigts pour replacer la bague de phalange qu’elle avait à l’index "Personne t’empêche de les dire. Tu te mets des barrières tout seul." Sur tout un tas de choses, et c’était elle qu'il accusait de jouer avec le rôle qu’elle voulait se donner ? Elle n’avait pas de mensonges au compteur à son contraire, alors lequel d’eux deux étaient le moins enclin à partager ? Elle ne lui posa pas la question, se préparant déjà à faire ce pourquoi elle était là étant donné que c’était visiblement ce qu’il attendait d’elle. Harponnant son carnet, elle lui dit seulement "Et je suis venue pour ça." Quand il lui rappela que ça ne l’engageait à rien, qu’il voulait juste lui faire écouter ses trouvailles, et ignora royalement la porte de sortie qu’il lui proposait en soulignant que si elle n’avait pas envie d’écouter quoi que ce soit, ce ne serait pas grave. Peut-être, mais elle en avait envie, elle n’avait juste pas l’intention de le lui dire pour qu’il en tire une satisfaction quelconque, pas après qu’il lui eut donné l’impression de n’attendre d’elle que du travail.

"Un second ? Tu comptes vraiment t’arrêter à deux ?" S’il y avait un peu de goguenardise dans sa voix, elle ne pouvait pas cacher la bouffée d’admiration qu’elle ressentit à son égard lorsqu’elle entra dans sa fameuse salle de musique, et qu’elle se prit l’éclat de ses récompenses en plein visage. Elle s’arrêta sur son Grammy, le but ultime de tout artiste dans leur genre qui se respectait assez pour y croire, et adressa un regard à Midas qui se voulait moins scrutateur qu’impressionné finalement. Elle ne l’avait jamais sous-estimé, pas même lors de leur première rencontre, mais elle avait tendance à oublier qui il était parce qu’il était humble, pas du genre à rappeler à qui que ce soit ce qu’il avait accompli ; beaucoup, plus que tout ce qu’elle, elle avait accompli dans sa vie malgré ses rêves et sa passion. Si elle était encline à la jalousie, Jo n’en ressentait aucune à ce moment-là, plus fière de lui qu’envieuse de son succès.
Elle détourna les yeux de son visage toutefois, craignant un instant de se laisser submerger par quelque chose de trop fort, et pointa du doigt la récompense en question en lui demandant dans un murmure presque enfantin "Je peux le toucher ?" Elle anticipa la réaction de Midas "Ça va, te moque pas. Je suis pas superstitieuse, mais c’est peut-être un bon présage, je veux pas passer à côté de ma chance." Elle n’était pas superstitieuse non, elle ne croyait pas en ces conneries de bonne femme. Mais quand même, quand elle eut son assentiment et qu’elle frôla avec son index la plaque gravée au nom du jeune homme, elle sentit un frisson la parcourir, et sa rhétorique suivit sans qu’elle ne puisse pas l’enrober d’un double-sens comme à son habitude "C’est la première fois que j’en vois un en vrai, je suis très impressionnée, alors imagine ce que ça me fait de le toucher." Si elle ne s’était pas un instant laissé happée par ses propres rêves une fois que son regard se détourna de celui de Midas, peut-être qu’elle aurait mené la comédie plus loin, mais il y avait des fois où Jo savait la boucler, et parce qu’elle était soufflée par ses récompenses, par celle-ci en particulier, elle resta un  long moment à ne pas parler.

Levant le menton à intervalles réguliers pour lire ce qu’il y avait sur certaines plaques, s’avançant presque timidement le long de la rangée des étagères qui s’étalaient sous la pulpe de ses doigts qu’elle avait tendu pour effleurer chaque plaque sur son passage, elle ne s’arrêta que quand il lui adressa de nouveau la parole, et que se tournant vers lui pour mieux lever la tête et la regarder, elle l’inclina pour prendre toute la mesure de ce qu’il était en train de lui demander. Qu’il attende une réponse de sa part, c’était un fait commode qui lui permit de le dévisager sans craindre d’abuser un peu, même si clairement, elle ne faisait pas que sonder son âme en affrontant ses yeux aussi frontalement. Finalement, elle consentit à cligner les siens pour lui dire dans un sourire en demi-teinte "Je dirais que tu sais trop bien comment me parler, c’est flippant." Pourquoi dire OK quand on pouvait faire un peu d’esprit ? Jo n’était pas une femme facile à comprendre, c’était d’autant plus vrai qu’elle aimait soigner ses sorties, et qu’accorder des réponses sans les enrober dans un peu de sarcasme, ça n’était pas son truc. Dans un sourire plus franc celui-ci, elle se détourna des étagères pour s’enfoncer un peu plus dans la pièce et rejoindre le piano qui trônait non loin de là, méditant sa prochaine question en essayant, celle-ci, de l’enrober d’autre chose ; d’un peu de délicatesse quand dans le fond de sa voix, on pouvait aussi déceler un soupçon de crainte "T’as pas peur qu’on soit plus capable de travailler ensemble ? Si on compte, ça commence à faire longtemps." Sous-entendu qu’ils n’avaient même pas fait de musique tous les deux, qu’ils n’avaient même pas chanté ensemble. Cinq mois, c’était toujours moins que six ans, alors dans le fond, sachant comme les choses avaient vite repris après ce long délai-ci, elle n’avait pas à redouter grand-chose. Mais elle devait admettre que les circonstances étaient différentes maintenant : cette fois ils ne s’étaient pas quittés sur un baiser chaste et des regrets — encore que pour les regrets, rien n’était moins sûr, mais qui savait ? Leur alchimie était peut-être morte et enterrée, est-ce qu’il y pensait ?

she holds my guitar as i pluck out a melody
Midas Sterling & @Jo Carter ☆ crédit/ssoveiagifs

« T’as pas compris quoi quand je t’ai dit que j’étais pas là quand ça a été décidé ? » Je n’ai pas besoin de dire grand-chose pour que Jo se mette sur la défensive et hausse le ton et je mentirais si je prétendais que cela ne me chagrinait pas. M’inquiéter pour elle est naturel – une seconde nature certains diraient – et je ne suis animé par aucune mauvaise intention. Je n’ai pas envie de lui faire la leçon ou de lui donner l’impression que je sais mieux qu’elle ce qui est bon pour elle. J’ai mal au cœur donc, mais je ne lui en veux toutefois pas : j’ai perdu le droit d’aborder la sphère privée de sa vie en même temps que je l’ai perdue elle.  « Il est venu me chercher à l’aéroport en tant que membre de ma sécurité. Il m’a conduite chez nana, j’ai pris une douche et il m’a conduite ici. On a pas eu de conversation en dehors de ce qu’il m’a dit sur tout ça. » J’ai du mal à croire qu’elle puisse accepter si facilement le fait de ne pas avoir de prise sur un pan entier de son existence – et un pan à mes yeux important, et je continue à froncer les sourcils à me créer une ride du lion avant l’heure. « Tu vas faire quelque chose à propos de ça ? » Elle a l’air d’être résignée, et je n’aime pas la voir comme ça, alors je me risque au moins à poser cette question, même si j’outrepasse mes droits. « Je suis pas venue pour me disputer, mais Midas ? Gère ton équipe avant de m’apprendre à gérer la mienne. » Ma gorge se noue, et bien que je l’ai mérité – et Cassandra aussi, de toute évidence – j’accueille la remarque en serrant la mâchoire. « Ok. Je ne dis plus rien. » Puisqu’aborder le sujet, c’est risquer de la voir monter dans les tours où me passer la balle en abordant le sujet de Cassie. Mais elle ne me rassure pas : au contraire, le fait qu’elle soit à ce point sur la défensive me laisse penser que ma méfiance n’a rien d’infondée.

« T’es jaloux que je m’intéresse pas plus que ça à la tienne ? » - « Non, la mienne a pas d’intérêt. Aussi impersonnelle qu’une chambre d’hôtel. » Je mime le fait de chasser l’idée d’un geste de la main en secouant la tête mais, en plaisantant, je me tire une balle dans le pied : c’est dans une chambre d’hôtel que notre histoire a pris un nouvel tournant. C’est à ça que nous avons été habitués et il m’est douloureux de penser à tout ce que nous avons été, à ce que nous aurions pu être. Elle devrait être ici, avec moi, pour tout un tas d’autre raisons. « T’as quoi à me proposer de plus fun qu’un tipi ? Une balançoire ? » - « Si le court de tennis ou le spa à domiciles t’impressionnent pas, j’ai peur d’être à court d’arguments. » Si je rentre dans son jeu, c’est parce qu’il est tellement facile de faire tomber toutes les barrières entre nous, d’oublier que nous ne sommes plus un couple et que nous sommes plus censés flirter entre humour et jeux de séductions. Mais elle est celle qui met toutes les barrières si bien que, de mon côté, je me laisse mener par le bout du nez. « Personne t’empêche de les dire. Tu te mets des barrières tout seul. Et je suis venue pour ça. » Pourtant, j’ai l’impression que l’instant de grâce est terminé. J’ai dit ou fait quelque chose qui lui a déplu : je n’ai beau pas savoir quoi, je sais lire son langage corporel. Et sur l’instant, il me dit qu’elle se referme comme une huitre et je crains de ne plus pouvoir l’atteindre, alors j’enchaîne maladroitement sur la suite, sur la raison pour laquelle nous sommes réunis ici tous les deux. N’est-elle pas là que pour ça ?

« Un second ? Tu comptes vraiment t’arrêter à deux ? » Mal à l’aise, je l’observe inspecter la pièce et toutes mes récompenses. Bien sûr, je suis rempli de fierté, mais je me sens aussi terriblement coupable. Se dit-elle en posant les yeux sur le petit mégaphone doré qu’il aurait dû être sien si les choses s’étaient déroulées selon les règles ? Que je la lui ai volée, cette victoire comme "révélation musicale" de l’année 2017 ? J’ose à peine respirer, je me contente de l’observer dans un silence religieux. « Je peux le toucher ? Ça va, te moque pas. Je suis pas superstitieuse, mais c’est peut-être un bon présage, je veux pas passer à côté de ma chance. » Un léger sourire étire mes lèvres, et je hoche la tête. « Oui bien sûr, vas-y. » Mon nom gravé sur le socle, le remplace-t-elle par le sien dans son esprit ? « Je trouve pas ça ridicule du tout. Au contraire. Il est restée sur ma table de nuit pendant six bons mois au début. » Quand j’avais encore du mal à réaliser que tout ça m’était arrivé, que j’étais devenu quelqu’un dans le monde de la musique et que les gens écoutaient ce que j’avais à dire tant que je posais mes paroles sur une mélodie entraînante. « C’est la première fois que j’en vois un en vrai, je suis très impressionnée, alors imagine ce que ça me fait de le toucher. » - « T’auras le tiens un jour. » Je n’en démords pas. Son talent ne demande qu’à être exposé. J’aimerais être celui non pas qui le lui offre, mais qui l’aide à l’obtenir. Le défi que je lui lance est en adéquation avec ça et je le fais presque sans réfléchir, en m’imaginant monter les marches vers la scène pour accepter la récompense à deux, mes doigts noués à ceux de Jo, et le besoin de voir cette projection se réaliser me fait autant de mal qu’il m’excite. Je crains de ne plus réussir à tirer un trait dessus, maintenant. « Je dirais que tu sais trop bien comment me parler, c’est flippant. » C’est certainement son rêve depuis qu’elle n’est qu’une gamine, alors je suppose que ce n’était pas si compliqué que ça à deviner. « T’as pas peur qu’on soit plus capable de travailler ensemble ? Si on compte, ça commence à faire longtemps. » J’esquisse un sourire, avant de secouer la tête. « C’est comme si tu me demandais si j’ai pas peur de plus savoir chanter ou respirer. » Puisque les deux me sont aussi nécessaires. Aussi nécessaires que sa présence, ajouterais-je si j’étais un romantique né et doué avec les grandes déclarations. Sans un mot de plus, je tends mes doigts vers la récompense pour la déloger de son étagère et je l’observe un instant, caressant à mon tour du bout des doigts mon nom gravé sur la plaque, avant de la tendre à Jo. « Tiens. Tu me le rendras quand t’en auras un à ton nom. » Une que nous aurons gagnée ensemble, si possible. Si pas, je serai malgré tout heureux pour elle. « Refuse pas, ça me fait plaisir. T’as qu’à voir ça comme un délire de type superstitieux. » Bien qu’elle n’ait pas besoin de chance pour voir un jour son nom gravé à son tour sur un trophée identique.

Finalement, je m’éloigne de l’étagère, attrape ma guitare, passe la lanière autour de mon épaule, avant de me hisser sur un tabouret. J’accroche mes pieds sur le premier barreau du pied de l’assise, avant de relever les yeux vers elle. « Je vais te faire écouter comment j’entends ça. C’est mieux que de te montrer sur un bout de papier. » Et avant d’obtenir une quelconque forme de consentement, je joue les quelques accords de ce refrain que j’ai imaginé, et les quelques bribes de paroles qui me sont venues en réfléchissant à un morceau pour nous deux. Sans que mes doigts ne cessent des glisser sur les cordes, je relève les yeux vers elle pour réfléchir à voix haute. « Je vois vraiment ça comme une conversation. Tu vois le truc ? »

she holds my guitar as i pluck out a melody
@Midas Sterling ☆ crédit/harley

Tu vas faire quelque chose à propos de ça ? Le gros soupir par le nez qu’elle lui accorda en regardant en l’air et en se laissant lourdement basculer en arrière était un début de réponse qu’elle consolida quelques instants plus tard sans un mot pourtant, se contentant d’affronter ses yeux, la tête penchée sur le côté, avec la force de l’habitude, pas décidée à lui céder le droit d’être apaisé à propos de son père puisque ça serait admettre plusieurs choses dont elle ne voulait pas parler. Midas, sous ses allures de demi-dieu adulé par le commun des mortels, avait la tête aussi dure qu’elle parfois — souvent —, et elle mentirait si elle disait que ce n’était pas ce qu’il lui fallait, que c’était même nécessaire pour la cadrer ne serait-ce qu’un peu. Seulement, à certains moments, elle aurait presque préféré qu’il soit du genre à dire amen à tout ce qu’elle disait pour qu’elle s’évite la putain de corvée de l’envoyer sur les roses alors que se disputer avec lui, c’était tout ce qu’elle ne voulait pas aujourd’hui. Elle se contraignit à la tempérance lorsqu’elle lui demanda de s’occuper de ses oignons, de son équipe en l’occurence, et ce sans agressivité, mais la pique était acérée. On ne changeait pas les bonnes habitudes, et pour se protéger, Jo était capable de faire un virage à 180°.

Elle ne fit pas finalement. Mais la suite de la conversation teintée d’une très légère dose d’ambiguïté par sa faute mit en route une succession de flashbacks qu’elle dut très rapidement repousser pour ne pas être accusée d’être une allumeuse. Elle ne put toutefois pas s’empêcher de rétorquer pour tenter de contrôler là encore un tant soi peu les choses "J’ai jamais rien eu contre les chambres d’hôtel. Toi non plus, dans mon souvenir." Mais là elle n’osa pas maintenir le contact visuel, et c’était nouveau ça. A la place, elle roula juste un peu les yeux quand il lista de nouveau les fonctionnalités de sa propriété qui avait plus des allures de village-vacance qu’autre chose. Il devait se sentir bien seul ici, voilà ce à quoi elle songea pendant le trajet jusqu’à sa salle de musique.

Mais l’éclat de ses récompenses devait rendre les choses moins pesantes "Sur ta table de nuit ? Tu peux me dire que t’as dormi avec comme un doudou, je le raconterais à personne." Elle se payerait seulement sa tête jusqu’à la fin des temps. Et encore, ce n’était pas évident parce qu’à ce moment-là, elle prenait la mesure de qui était Midas Sterling dont elle effleurait le nom avec ses doigts pour mieux ressentir quelque chose qu’elle ne serait jamais capable de décrire assez bien pour lui faire justice. Elle l’avait toujours su, mais c’était sous une autre couture qu’elle voyait le costume qu’il avait accepté de porter toutes ces années ; il ne l’avait pas volé, elle aurait aimé être capable de le lui dire maintenant, de lui assurer que c’était inscrit dans les étoiles dans tous les cas, mais elle avait peur de ce qu’elle ressentirait si elle lui disait dans la foulée qu’il y avait des moments, elle réussissait à oublier qu’il lui avait menti, le manque de lui devenant plus fort que sa manie à prendre comme affront toutes les bonnes choses qu’on faisait pour elle.
Peut-être que plus tard ce serait plus simple à envisager, peut-être que plus tard elle se sentirait plus en paix avec cette histoire qui la taraudait depuis qu’on lui avait balancé la vérité sans ménagement. Là, elle n’avait pas envie de gâcher l’instant, de camper sur le sentiment de trahison qu’elle ressentait parfois inopinément, tellement que ça devenait douloureux, en songeant que tout ce qu’il y avait d’exposé dans la pièce était son dû. Ça l’était, mais pas forcément parce que Midas le lui avait volé, c’était ça qu’elle pensait. Si elle avait vu les choses de cette façon aussi binaire, ça aurait sans doute été plus facile de tourner la page et d’avancer, mais il y avait trop de nuances à prendre en compte au sujet de tout ça que non, elle n’avait pas envie d’y penser là. Elle lui accorda alors un sourire qui se termina en coin quand il lui assura qu’elle aurait le sien à jour, de Grammy, et parce qu’elle était comme ça, bien que ça manquait certainement d’un peu de conviction pour une fois, les mois précédents n’ayant pas été bénéfiques pour sa confiance en elle qui paraissait inébranlable, mais qui en avait pris un sacré coup dans l’aile, elle lui répondit "J’y compte bien." Avec ou sans lui, elle n’avait pas terminé de vouloir remplir l’inventaire de ses trophées.

Ce qu’elle ne pouvait pas tellement assurer en revanche, c’était si oui ou non, ils réussiraient à travailler ensemble "C’est exactement à cause de ça que tu fais tomber les gens amoureux de toi." Putain de beau parleur, voilà ce qu’elle pensa avec amusement. Sans parler d’elle, encore qu’elle pouvait se compter dans le lot, mais là n’était pas le sujet : elle parlait de son public, de personne d’autre, et il le comprendrait. Midas savait dire les choses d’une façon particulière, accordé à ses putains de yeux bleu bordés de cils qu’elle lui enviait plus que ses trophées, il pouvait faire avaler toutes les couleuvres de la planète à qui était sensible à l’attention qu’il accordait à ses semblables, lui qui avait le don de vous faire sentir spécial en une simple oeillade, si attentif à son entourage que ça en devenait intimidant — ou en quelques mots qu’il pensait qui plus est. C’était bien ça le problème, elle n’avait même pas besoin de se pencher davantage sur ce qu’il lui disait maintenant pour savoir qu’il prêtait à leur alchimie une fonction essentielle à sa survie et qu’il n’exagérait même pas un peu. C’était peut-être aussi parce qu’elle ressentait les choses de la même façon et qu’au cours des derniers mois, sa crainte de ne plus être capable d’y puiser ce dont elle avait besoin pour fonctionner correctement lui avait fait trop de mal pour qu’elle ne veuille pas qu’il la rassure ; il venait de le faire, et si elle avait toutes les raisons du monde de ne pas y croire, elle décida que ça lui suffisait pour relever le défi qu’il lui lançait.
Le voyant manipuler son Grammy pour le lui tendre, elle ne comprit pas tout de suite ce qu’il faisait "Ça m’est égal que ça te fasse plaisir, j’en veux pas." Sans absolument aucune agressivité, avec un léger sourire au contraire, sa tête se secouant doucement en même temps, elle refusa de le prendre, déjà partie rejoindre le piano sur lequel elle posa le carnet qu’elle avait emmené avec elle. Elle retira sa veste juste après en annonçant bêtement "J’enlève ma veste." Parce que là encore, elle ne voulait pas qu’il croit que c’était une tactique de déstabilisation quand elle avait juste un peu chaud. Continuant en s’installant sur le siège du piano, elle remonta les bretelles de sa robe pour la forme et continua "C’est le tien, et tu l’as pas démérité. Si tu veux vraiment qu’on puisse partager une récompense, fais-moi écouter ce que t’as en tête." Elle n’avait jamais été aussi polie pour refuser un cadeau, mais puisque ça avait des airs de déjà-vu pénible, elle préférait encore l’inciter à se lancer que rester trop longtemps enfoncée dans cette impression qui ne ferait ressortir que du mauvais.

Pas encore face au piano, assise une jambe de chaque côté du siège, Jo plissa les paupières en le regardant s’équiper et s’asseoir à quelques mètres à peine, et dégagea ses épaules de sa queue de cheval haute divisée et répandue dessus pour la faire se rejoindre entre ses omoplates dans une posture de concentration qui se craquela juste un peu par un sourire lorsqu’il s’interrompit. Elle tendit la main vers le clavier pour reproduire les accords qu’elle avait entendus sans donner l’impression que ce soit compliqué — ça l’était pour autre chose, mais pas quand la musique était impliquée, et elle répéta les notes plusieurs fois d’affilé en se repassant en boucle ce qu’il venait de fredonner sans que ça ne la laisse indifférente au demeurant.
Elle se recentra, c’était important. Elle passa rapidement sa langue sur ses lèvres et abandonna le clavier pour retourner la tête vers lui "OK, donc c’est une chanson de rupture." Evidemment "J’aime bien l’idée de la conversation." Elle se perdit juste un instant dans ses pensées pour en sortir en opinant inlassablement la tête, ses yeux trouvant les siens à distance "Tu sais, explorer les trucs que tu peux pas dire sans passer pour celui qui s’accroche alors qu’il n’y a plus rien à sauver." Elle ne s’arrêta pas sur l’idée que ça lui parlerait forcément, elle poursuivit juste, changeant de ligne en levant la main devant elle "Attends, non. Tu crois qu’il n’y a plus rien à sauver, mais l’autre pense exactement la même chose au même moment. Ça devient juste une histoire de communication rompue." C’était désarmant tant c’était facile, même elle se laissa avoir sans pour autant s’y appesantir, consciente que ça partait de leur histoire commune et que s’en servir était à double-tranchant — mais prendre un peu de hauteur sur tout ça n’était pas une mauvaise chose finalement, alors même si elle sentit son coeur manquer un battement, elle haussa juste les épaules avec un petit sourire en pointant de cette même-main la guitare silencieuse de Midas "Je veux dire We Don’t Talk Anymore, c’est ce que tu dis dans ton refrain." Et c’était plus ou moins vrai en ce qui les concernait, toutes les occasions étant bonnes pour parler de tout, mais plus vraiment d’eux. Elle pinça les lèvres pour en chasser le picotement qu’elle y ressentit soudainement, l’excitation se mêlant à autre chose de beaucoup plus dense quand elle s’autorisa un moment d’observation du visage de Midas avant de se détourner. Elle se releva très brièvement pour empoigner son carnet, fermer le couvercle du clavier du piano, se rasseoir dans le bon sens, et le poser dessus pour l’ouvrir sur une page vierge en lui demandant dans la foulée, faisant cliquer le stylo qu’elle délogea de sa rainure "T’as quelque chose pour les couplets ?"

she holds my guitar as i pluck out a melody
Midas Sterling & @Jo Carter ☆ crédit/ssoveiagifs

Je n’ai rien contre les chambres d’hôtel, elle n’a rien contre les chambres d’hôtel mais j’aurais toutefois préféré qu’elle s’abstienne de faire ce genre de remarque lourde de sens et de sous-entendus à peine – si pas – voilés. Quel plaisir retire-t-elle du faire de remuer le couteau dans la plaie ? Est-il sadique, ou bien plus noble et animé par la nostalgie, un besoin de ne pas tourner la page et une façon pour elle de s’accrocher aux beaux souvenirs plutôt qu’aux plus horribles d’entre eux ? Elle m’a dit qu’elle essayait Jo, qu’elle voulait réussir à voir au-delà de ma trahison et qu’elle œuvrait en ce sens, mais elle n’a pas promis qu’elle y parviendra : elle ne peut pas promettre ce genre de chose. Mais dans le même temps, j’aurais voulu que ses actes et paroles soient moins ambigus. J’aurais voulu qu’elle m’aide à savoir sur quel pied danser puisque sur l’heure, j’ignore de quelle façon je dois m’adresser à elle : comme à une complice, ou comme à une ex ? Je n’ai pas envie de la considérer comme ça, mais je crains de plus en plus que ce soit ce que je suis dans son esprit. Alors je me contente d’un sourire en guise de réponse, en espérant qu’elle ne me titillera pas plus à ce sujet, qu’elle comprendra que c’est douloureux pour moi, cette sensation que tous ses sous-entendus nous ramènent à ce que nous avons été sans savoir si et quand nous le serons à nouveau. Je me tais parce que mes ressentis ne sont guère nouveaux, et que je n’ai pas envie qu’elle ait à me répéter qu’elle essaie, mais que me pardonner est trop dur et qu’elle n’y parvient pas. Elle l’a trop fait. La dernière chose que je souhaite, c’est qu’elle se lasse de mon attitude ou abandonne parce qu’elle ressent trop de poids sur ses épaules. Alors j’encaisse avec un sourire teinté d’amertume sur les lèvres.

« C’est exactement à cause de ça que tu fais tomber les gens amoureux de toi. » Mes yeux fixés sur elle plutôt que sur les trophées qu’elle regarde, je l’observe en tentant de déterminer si la déclaration renferme un sous-entendu. Je préfèrerais qu’il s’agisse d’un aveu, mais j’ai peur de me trouver bien con si toutefois il y avait méprise. Elle n’a pas parlé d’elle mon grand, elle a parlé des gens. Le coin gauche de ma lèvre se retrousse en un sourire un peu idiot, et je hausse les épaules. « C’était pas des salades. » Pour ce que ça vaut. Elle m’est indispensable lorsqu’il est question de créer, Jo. Même pendant toutes ces années, j’ai écrit à propos d’elle. Alors non, je ne crains pas que notre alchimie se soit fanée en quelques mois. Ce que je crains, c’est qu’elle finisse par se lasser et abandonner mais notre association est tellement évidente – tant qu’il est question de musique – qu’une part de moi espère qu’écrire ce duo la raccrochera à moi.

« Ça m’est égal que ça te fasse plaisir, j’en veux pas. » Je reste un peu idiot, la statuette entre les doigts, la bouche ouverte et les yeux ronds. Ce n’était pas un geste de beau parleur. Je ne lui ai pas offert de lui prêter la récompense jusqu’à ce qu’elle ait la sienne à poser sur une étagère pour me la mettre dans la poche et de préférence dans mon lit juste après. C’était sincère, un geste non réfléchi et je ne m’attendais pas à ce qu’elle refuse. J’aurais dû pourtant : Jo ne fait jamais rien comme les autres et ce trait de caractère que j’aime tant chez elle est aussi ce qui fais souvent d’elle une énigme, même pour moi. Surtout pour moi. Je l’observe s’écarter et retirer sa veste, un air certainement un peu bête sur le visage. « J’enlève ma veste. » Je me reprends, me secoue les puces et repose le Grammy sur son étagère. « Je vois ça. » J’ignore pourquoi elle a jugé bon de le préciser. Moi, elle m’offre au moins l’occasion de me reprendre. « C’est le tien, et tu l’as pas démérité. Si tu veux vraiment qu’on puisse partager une récompense, fais-moi écouter ce que t’as en tête. » - « C’était un prêt. » Pas un cadeau, parce que ce genre de cadeau aurait été empoisonné et elle mérite mieux. « Mais c’est pas grave. » Non, dans le fond, ça ne l’est pas. Je suis un peu froissé que ma noble intention ait été repoussée, mais elle était en droit de le faire. Elle a mordu à l’hameçon, elle est prête à relever le défi que je lui ai lancé et n’était-ce pas tout ce qui compte ? Si, alors je m’exécute. Je tente d’oublier à quel point l’avoir dans mon champ de vision me trouble, à quel point j’ai l’impression de n’être plus qu’un adolescent maladroit lorsqu’elle étire ses doigts avant de les faire glisser sur le piano. Lorsque je termine, je ne crains pas qu’elle me dise que c’est médiocre : il y a des domaines où je ne manque pas de confiance en moi, et j’aime ces quelques phrases que j’ai écrites, même si elles méritent certainement d’être retravaillées.

« OK, donc c’est une chanson de rupture. » Je fais la grimace, penche la tête à droite, puis à gauche, l’air de chercher mes mots. « Pas tout à fait. » Ou plutôt. « Ça peut être interprété comme ça, ouais. Mais je voyais aussi un genre d’appel à l’aide, des deux côtés. Même ça ils le comprennent pas. » Je tente d’ignorer l’éléphant au milieu de la pièce : tout le monde sait de qui il est question. Tout le monde sait que notre relation est et restera certainement ma plus grande source d’inspiration. « J’aime bien l’idée de la conversation. » Je relève la tête et un sourire satisfait étire mes lèvres. Je lis sur le visage de Jo que son esprit est entré en mode création et qu’elle se projette. « Tu sais, explorer les trucs que tu peux pas dire sans passer pour celui qui s’accroche alors qu’il n’y a plus rien à sauver. » La façon dont moi je le fais, dont je l’ai fait pendant des années, c’était à travers ma musique. De toute évidence, je ne suis pas profond et compliqué à cerner. « Attends, non. Tu crois qu’il n’y a plus rien à sauver, mais l’autre pense exactement la même chose au même moment. Ça devient juste une histoire de communication rompue. » Je hoche la tête, un sourire un peu plus franc sur les lèvres. « Je veux dire We Don’t Talk Anymore, c’est ce que tu dis dans ton refrain. » - « C’est ça. T’as compris. » Ce n’est peut-être pas subtil, mais la musique n’a pas besoin de l’être pour parler aux masses. Mon public est simple : il veut se projeter, il veut s’identifier et qui n’a pas connu une situation où il est compliqué de tirer un trait ? « Les deux essaient de se convaincre de passer à autre chose, qu’il n’y a plus rien à sauver. Mais en se disant ces choses-là directement, ils réaliseraient que l’autre non plus a pas envie de passer à autre chose. » C’est simple, c’est une histoire d’amour, de blessure amoureuse et ça parlera à tout le monde. « T’as quelque chose pour les couplets ? » - « Des bribes de phrases, surtout pour la partie de l’homme. Pour qu’elle soit plus réaliste, qu’elle prenne plus aux tripes je voulais que la partie de la femme soit écrite par… Et bien par une femme. » Par elle. Par aucune autre femme qu’elle, si ce n’était pas encore clair. En m’étirant, j’attrape mon carnet de note sur le piano que je lui tends après l’avoir ouvert à la bonne page. « Tiens dis-moi ce que t’en penses. »  Des quelques bribes que j’ai réussi à attraper à temps pour les noter sur ces quelques feuilles de papier. « Je voyais un rythme pop, mais rien de plus que la voix, une guitare et un piano. Ou peut-être un beat derrière, mais discret. » Je rejoue les accords en en tapant sur ma guitare en rythme pour qu’elle se projette. « Y’a rien qui est gravé dans le marbre. Je veux que ça ressemble à quelque chose que t’aimeras chanter devant un stade entier. » Parce que je me projette aussi loin, oui.  

she holds my guitar as i pluck out a melody
@Midas Sterling ☆ crédit/harley

Midas voulait travailler, ça se sentait dans sa façon se repousser les perches qu’elle lui tendait pour tenter d’alléger un peu l’atmosphère. C’était probablement sa manière de ne pas se laisser atteindre, de rester dans le cadre pour que ça ne dérape d’aucune manière et que les choses finissent sur une bonne note, pas sur une dispute. Elle pouvait le comprendre, elle accepterait de s’y plier même si ça lui faisait du mal de voir ses tentatives de retrouver une certaine normalité être repoussées avec politesse certes, non sans détermination cependant. Elle se souvenait de lui avoir dit qu’il serait mieux pour eux de revenir à un comme avant, mais lequel exactement ? Il y en avait plusieurs, et puisque le comme avant qu’elle avait soulevé la dernière fois qu’ils s’étaient vus n’était pas envisageable pour lui parce qu’il impliquerait de ne même pas se donner l’heure, le comme avant d’avant celui-ci n’était-il pas le plus opportun finalement ? L’entre-deux dans lequel ils avaient flotté longtemps, celui où elle se montrait un peu malicieuse, donnant l’impression de savoir exactement ce qui se passait entre eux, en jouant sans en avoir l’air, alors qu’elle n’en savait rien du tout dans le fond, celui où il acceptait de jouer au benêt qui se fait mener par le bout du nez tout en étant autant, si ce n’était plus, moins innocent qu’elle, devenant le courageux qui initiait un premier baiser ? Ce n’était pas envisageable non plus visiblement, il fallait qu’ils composent avec cette nouvelle étiquette que leur conférait leur courte relation. Jo refuserait de l’appeler mon ex comme elle avait toujours refusé de l’appeler mon ami ; ils n’étaient rien de tout ça, c’était un au-delà qui dépassait sa propre compréhension. Ils étaient quoi maintenant, alors ? C’était un casse-tête auquel ils auraient pu échapper si elle avait été plus facile à convaincre, moins rancunière aussi, et bien sûr que ça faisait peser sur elle une culpabilité qui comblait douloureusement l’espace laissé vide par la décision qu’elle avait prise en lui disant que c’était terminé.

Ecrire sur eux sans véritablement l’avouer, ce serait cathartique à un moment donné, c’était bien pour ça que l’enthousiasme était réel, et à qu’à défaut de tout résoudre, ça les aiderait peut-être à avancer. Ou le cas échéant, le blessure se refermant, à tourner la page parce qu’elle n’était pas idiote Jo, et Midas lui avait dit de ne pas être un surhomme. Elle savait ce qu’elle encourait à ne pas savoir exactement quoi faire de sa rancune, et même si ça lui était insupportable, le fiasco de leur dernière soirée en restant la preuve la plus concrète, elle n’ignorait pas qu’il finirait par arrêter d’y croire et se détournerait d’elle pour faire ce qu’il avait déjà fait avec une autre : faire sa vie sans elle. Mais ce n’était pas le sujet, ça ne faisait que tourner en boucle à l’arrière de son crâne comme une mélodie entêtante ; celle qu’il venait d’instiller dans son esprit, mettant en route la machine d’une collaboration qu’ils voulaient fructueuse, la promesse d’une récompense faisant prendre à tout ça des allures de défi qu’elle voulait relever, trop fière pour ne pas se laisser charmer.

"Donc on écrit du point de vue de deux idiots." Elle marqua son assentiment par plusieurs hochements de tête, ne pouvant s’empêcher d’en sourire un peu parce que vraiment, il ne pouvait y avoir que des demeurés pour ne pas comprendre un appel à l’aide aussi limpide. Quitte à ignorer l’éléphant dans la pièce, autant le faire gaiement, et l’humour restait l’un des mécanismes de défense préféré de Jo. C’était toujours mieux que de se braquer en accusant Midas de vouloir se servir de leur vie privée pour briller, ce qu’elle ne ferait jamais au demeurant, son inspiration récente découlant elle aussi de ce qu’ils avaient vécu, de ce qu’elle ressentait pour personne d’autre que lui. Qui plus est, elle n’était pas sans savoir qu’il avait beaucoup écrit à son sujet, et toujours assez délicatement pour qu’elle reconnaisse son talent, pour qu’elle apprécie aussi d’être sa muse alors que la partie orgueilleuse d’elle avait toujours rêvé d’être la diva. Elle ne craignait pas qu’il s’accapare ce qu’ils vivaient, en fait elle l’encourageait même à sa hauteur, les dizaines et dizaines d’écoutes de son dernier titre recensées dans son application de streaming en étant la preuve concrète "C’était plutôt clair, mais merci de pas me juger aussi idiote que ces deux-là." lui rétorqua-t-elle avec une pointe de malice dans le ton, son doigt pointant ces deux-là sans oser passer d’elle à lui, le faisant seulement sans cible particulière, se dédouanant momentanément d’être stupide alors que vraiment, elle l’était autant que lui.
Les lèvres bien serrées entre elles, elle recentra son attention sur le piano, puis sur le carnet qu’elle venait d’ouvrir sur le couvercle du clavier pendant qu’elle l’écoutait lui dérouler la manière dont il voyait les choses et qui lui rappelèrent leur dernier échange de SMS auquel il n’avait finalement plus répondu. Les deux essaient de se convaincre de passer à autre chose ; elle retourna la tête dans sa direction pour le dévisager juste une seconde de trop, se retenant de lui demander s’il essayait de s’en convaincre finalement parce qu’elle, comme elle lui avait dit enfin clairement, elle ne comptait pas passer à autre chose. Seulement, elle ne voulait pas faire de cette séance de travail une occasion de soulever des choses, alors elle se contenta d’opiner à nouveau, s’apaisant presque toute seule grâce à la fin de sa phrase qu’elle réceptionna en lui disant "Ils savent pas vraiment se parler, ils restent butés sur des fausses impressions à cause de leurs problèmes de communication. C’est la première fois qu’ils osent se dire ces choses-là parce qu’ils y croient vraiment dans le fond et que ça compte pour eux de réussir à… comment on dit déjà, remettre l’église au milieu du village ?" Côtoyer le club du troisième âge, ça la faisait parler comme eux visiblement.

Ça la fit sourire plus doucement, et puis sa bouche marqua une légère vrille vers la droite quand elle se mit à réfléchir plus fort, se penchant sur son carnet en lui demandant ce qu’il prévoyait pour ses couplets "Ça tombe bien que j’en sois une alors." De femme, celle qui complèterait la partie de l’homme qu’il était. Elle releva la tête en le voyant remuer pour lui tendre le sien, se décala d’un bond pour lui laisser une place à ses côtés sans lui proposer de s’asseoir pour autant, lui en laissant le choix sans le lui imposer, et posa ses yeux sur les lignes qu’il avait écrites en réalisant qu’en vérité, il avait déjà une idée précise des choses, que ce n’était pas juste des bribes de phrases "T’as été inspiré ces derniers mois. C’est fou que ton album soit déjà quasiment terminé maintenant." fit-elle remarquer sans partir d’un constat critique, mais bel et bien admiratif tout en contemplant la somme des mots qu'il avait griffonnés, et dont elle pointa une partie du doigt avec les sourcils très légèrement froncés "Ça, on peut le garder pour ma partie. Juste remplacer le kind of dress you’re wearing tonight —" et peut-être qu’en le disant, elle se demanda à quel genre de robe il faisait référence exactement, celle qu’elle portait la dernière fois, et qui avait provoqué le désastre ? Gardant sa composition sans en donner l’air, Jo continua sans s’être interrompue "— par quelque chose qui parlera plus aux femmes. Mais l’idée qu’ils supportent pas que l’autre puisse être avec quelqu’un d’autre et qu'ils se le disent pratiquement au même moment, ça me plaît." Evidemment que ça lui plaisait, en bonne possessive patentée qu’elle était.

Plissant les paupières en murmurant plus pour elle-même que pour Midas "Ce sera un truc à propos du regard." Et si la phrase ne lui vint pas tout de suite, elle nota au moins l’idée sur son propre carnet, sa main gauche s’activant sur son stylo en même temps qu’il lui parlait de la partition "Dans la ligne de ce que tu viens de sortir, pas moins pop que ça ?" C’était la marque de fabrique de Midas, celle dont il ne dérogeait pas malgré ses désirs de rock plus brut, et c’était son album : elle n’avait pas de doléances à apporter à quelque chose qui lui appartenait de droit, mais plus tard, elle lui demanderait s’ils pourraient travailler sur une version plus acoustique parce qu’elle, c’était ce qu’elle aimait faire, et que c’était toujours utile d’en avoir une sous la main pour les prestations un peu plus intimistes. Sauf que Midas ne faisait plus dans l’intimiste depuis bien longtemps comme il le souleva en faisant briller les yeux de Jo avec l’avenir qu’il lui réservait — il ne pouvait pas s’en empêcher, de couver des projets pour elle, mais elle décida de ne pas lui en tenir compte, et surtout de ne pas le prendre de la mauvaise façon, parce qu’au fond, ça avait toujours été lui de projeter ce genre de choses sans véritablement penser à lui dicter quoi faire : il voulait qu’elle réussisse, ça elle l’avait partiellement compris grâce à ses insomnies "Ça veut dire que je suis d’emblée invitée sur toutes tes prochaines dates ? J’ai un album à écrire et à enregistrer, je sais pas si t’es au courant de ça." Elle fronça juste un peu le haut de son nez, chassant très vite ces paroles là pour lui dire sur le ton de la confidence, ce dernier évoluant au fur et à mesure de ses paroles pour terminer sur l’accent pompeux qu’elle prenait quand elle se survendait pour plaisanter "Mais je veux que les gens deviennent dingues en entendant juste les premiers accords de notre chanson, et qu’en me voyant arriver à coté de toi ils se disent rien que pour ça, j’ai bien fait de venir — sans vouloir t’offenser, je vaux carrément le prix du ticket, même si c’est pour une seule chanson." Elle fit tressauter sa queue de cheval pour la replacer dans son axe juste après, finissant par laisser un léger rire lui échapper avant de retrouver son sérieux et de se pencher de nouveau sur le carnet de Midas, faisant glisser le sien pour qu’il se retrouve en parallèle, et fredonna pendant quelques secondes pour se remettre la mélodie en tête, sa main battant la mesure sur sa propre cuisse alors qu’elle s’enfonçait très brièvement dans la réflexion.

she holds my guitar as i pluck out a melody
Midas Sterling & @Jo Carter ☆ crédit/ssoveiagifs

« Donc on écrit du point de vue de deux idiots. » Ouais, j’écris du point de vue de deux idiots. Et j’écris aussi avec deux idiots bien précis en tête alors, gêné, je gratte l’arrière de ma nuque du bout des ongles en souriant. « C’est toi qui l’as dit, pas moi. » Autrement dit : je ne suis pas celle qui a qualifié notre comportement l’un envers l’autre d’idiot. Elle ne l’est pas, Jo. Je suis conscient que je l’ai trahie, que sa rancune va bien au-delà d’une simple dispute que nous aurions pu avoir et que je mérite de ramer pour la récupérer. Toutefois, je ne m’attendais pas à ce qu’elle demeure si pas hermétique – le mot serait mal choisi puisqu’elle ne l’est pas, je l’ai bien compris lors de la dernière soirée – loin de moi si longtemps. « C’était plutôt clair, mais merci de pas me juger aussi idiote que ces deux-là. » Je n’envisage pas une seule seconde que son accusation soit sérieuse et pour cause : elle me pointe du doigt en souriant. Alors, à nouveau, l’air innocent et de le pas y toucher, je hausse les épaules sans me départir de mon sourire. « Encore une fois… » Encore une fois, c’est toi qui l’as dit. Jo n’est pas idiote. Mais elle est bornée et bourrée d’égo et je mentirais si parfois, seulement parfois, je ne me posais pas la question suivante : si elle n’arrive pas à me pardonner, est-ce la faute à la blessure, ou en partie à cause de son orgueil ? « Ils savent pas vraiment se parler, ils restent butés sur des fausses impressions à cause de leurs problèmes de communication. C’est la première fois qu’ils osent se dire ces choses-là parce qu’ils y croient vraiment dans le fond et que ça compte pour eux de réussir à… comment on dit déjà, remettre l’église au milieu du village ? » Tout ne nous concerne pas ou, en tout cas, tout n’est pas une description parfaite de notre relation. Mais comme dans chaque titre de mon œuvre, il y a un morceau d’elle et beaucoup de nous. Mon album entier parle de notre rupture pour qui sait lire entre les lignes, ou en tout cas une immense majorité. « Oui, ça compte pour eux. » Cela compte pour moi en tout cas, et je suis heureux de l’entendre reconfirmer que pour elle aussi, c’est toujours au programme. Parce qu’aucun de nous deux n’est idiot au point de ne pas comprendre qui parle réellement We Don’t Talk Anymore, non ?

« Ça tombe bien que j’en sois une alors. » - « C’est fou hein ? Et la première à qui j’ai pensé en plus de ça. » Le tout n’a rien d’un hasard et il était hors de question de faire ça avec qui que ce soit d’autre, mais Jo semble d’humeur légère et taquine alors je n’ai pas l’intention d’alourdir l’atmosphère. La chanson n’a pas été écrite, puis Jo choisie pour la chanter en duo avec moi : elle sera écrite avec elle et pour elle et je n’aurais pas vu les choses autrement. Si elle avait refusé, il n’y aurait pas eu le moindre duo sur Yours. « Ariana Grande était pas dispo alors je me suis dit que tu serais parfaite. » S’engager dans cette voie là pourrait sembler délicat, mais l’heure est la plaisanterie et elle me connaît assez pour la détecter, non ? « T’as été inspiré ces derniers mois. C’est fou que ton album soit déjà quasiment terminé maintenant. » Je hoche la tête, pensif. « Ouais… J’ai été inspiré. » Que dire de plus ? Que toutes les chansons parlent d’elle ? Rien de nouveau sous mes tropiques, somme toute. Et elle le découvrira bien assez vite, dès la première écoute de l’album lorsqu’il sortira. Jo est maligne, et elle n’a jamais joué les fausses modestes lorsqu’il était question de s’attribuer le rôle de muse de mon œuvre, ce qu’elle est totalement. « J’utiliserai pas tout ce que j’ai écrit pendant le tournage de l’émission. Ce sera pour plus tard, je suppose. » Les chansons, elle le comprendra peut-être, étaient trop pleine d’espoir et de positivité. J’étais raide dingue et heureux avec elle, même dans une chambre d’hôtel et, quand j’ai dû m’atteler à l’écriture, plus rien de tout ça ne semblait juste.

« Ça, on peut le garder pour ma partie. Juste remplacer le kind of dress you’re wearing tonight par quelque chose qui parlera plus aux femmes. Mais l’idée qu’ils supportent pas que l’autre puisse être avec quelqu’un d’autre et qu'ils se le disent pratiquement au même moment, ça me plaît. » Je n’observe pas le cahier, ce qu’elle désigne et ce qu’elle écrit. Je ne la regarde qu’elle, contemplant ses expressions lorsqu’elle se concentre. Son minois se fronce légèrement, et je suis percuté par le constat qu’elle est magnifique – je ne l’ignorais pas – et que je la désire toujours terriblement. « Hum. Et qu’est-ce qui parle aux femmes ? » C’est bien pour ça qu’elle est là : je ne suis pas toujours le plus fin analyste, à ce niveau-là. « Ce sera un truc à propos du regard. » Nos regards se croisent lorsqu’elle me répond, et je suis plus chamboulé encore que je ne l’étais juste avant. Je me demande si elle s’en rend compte. Si elle a conscience de l’effet qu’elle produit sur et en moi. « Dans la ligne de ce que tu viens de sortir, pas moins pop que ça ? » - « Ouais, un peu dans cette lignée. » Chaque combat à la fois : l’inspiration revient après de trop longues années sans la moindre nouveauté et je ne suis pas réellement en position de force vis-à-vis de mon label et du reste des décideurs dont je ne fais pas partie. « Plus doux. Mais pas une ballade : Lady Gaga et Bradley Cooper l’on fait avant nous et je suis pas certain qu’on puisse rivaliser avec le titre le plus titré de l’histoire. » L’album en compte assez comme ça. De plus, je n’ose pas forcément l’avouer mais j’ai besoin d’une note d’espoir nous concernant tous les deux, je crois.

« Ça veut dire que je suis d’emblée invitée sur toutes tes prochaines dates ? J’ai un album à écrire et à enregistrer, je sais pas si t’es au courant de ça. » J’esquisse un sourire, haussant les épaules hésitant entre l’envie de lui dire que pour ma part, je serais heureux si elle venait sur toutes mes dates et l’envie de ne lui mettre aucune pression pour qu’elle gère la chose comme elle l’entend. « Mais je veux que les gens deviennent dingues en entendant juste les premiers accords de notre chanson, et qu’en me voyant arriver à coté de toi ils se disent rien que pour ça, j’ai bien fait de venir — sans vouloir t’offenser, je vaux carrément le prix du ticket, même si c’est pour une seule chanson. » Oh, je n’ai pas besoin de la convaincre de toute évidence. Mon sourire se fait un peu plus franc, un peu plus assuré. « Dans ce cas, faut aussi des paroles faciles à retenir. Un refrain que tout le stade reprendra sans mal. » L’anticipe-t-elle, la sensation que l’on ressent quand des dizaines de millier d’âmes reprennent vos paroles et chantent ensemble ? Je n’ai jamais touché à la moindre drogue, mais je suis sûr que ça ne peut pas être une sensation plus intense que celle-là. « Tu seras invitée à toutes les dates auxquelles t’auras envie de venir. Mais si tu veux, on peut commencer en douceur par la tournée Australienne. » Tournée Australienne il y aura, je l’ai décidé et je crois pouvoir affirmer sans me tromper que j’ai ce pouvoir. « Tu pourras écrire la journée, à l’hôtel, dans le jet, dans les coulisses si ça te chante. » Et moi, j’aurais l’impression qu’elle sera un peu "à moi". Gêné, je baisse les yeux, mordille le stylo qu’elle tenait dans ses mains il y a encore quelques minutes, avant de changer de sujet. « Qu’est-ce que tu penses de "I just heard you found the one you've been looking for, I wish I would have known that wasn't me" pour ouvrir le couplet de l’homme ? J’aime bien la sonorité. » N’est-ce pas une chanson sur deux amants au bord de la rupture ? N’est-ce pas le fardeau de chacun dans ce genre de situation, d’imaginer l’autre avec une autre personne ? Ce qui vous détruit le plus ? Je suis bien placé pour le savoir : j’ai détesté Tomlinson de toute mon âme pour le simple fait d’être celui à ses côtés à l’autre bout du monde, quand ça aurait dû être moi.

Installé d’abord chacun derrière notre instrument, puis sur le sofa de la salle de musique, les minutes s’égrènent sans que je ne le réalise. Quand je m’aperçois qu’elle est là depuis presque deux heures et que la nuit est tombée, je finis par lever la tête de nos gribouillis. « Tu veux que je commande à manger ? » Je n’ai pas envie qu’elle parte, pas encore.

she holds my guitar as i pluck out a melody
@Midas Sterling ☆ crédit/harley

"Je vais pas répondre à ça, je te laisse voir avec mes avocats." La comparaison avec Ariana Grande lui fit emprunter son plus beau masque de diva, mais ce n’était que pour plaisanter. D’ailleurs, il se craquela, un léger sourire fendant sa bouche. Elle accorda de nouveau un regard à Midas lorsqu’il lui apporta un assentiment tiède à propos de l’inspiration dont elle le félicitait, étant venu à bout de sa panne de plusieurs années. Ça lui mit un petit coup au coeur d’imaginer que les textes qu’il avait écrit durant le tournage de l’émission ne lui paraissait pas assez dignes de sortir maintenant selon son point de vue d’homme meurtri par une rupture, mais elle jugea ça inutile de le contredire, se contentant d’un hochement de tête et d’un regard fuyant pour tenter d’oublier à quel point il avait cru en eux.

Elle était toujours là, la facilité dont leurs regards s’aimantaient pour ne pas se lâcher, rendant l’espace qui les séparait chargé d’une électricité qui faisait partie intégrante du rapport qu’ils entretenaient, et ce depuis toujours. Qu’elle lui en veuille ou non, c’était immuable, comme la certitude qu’elle avait quelque part que, s’il ne savait pas ce qui parlaient aux femmes, il savait en revanche ce qui lui parlait à elle. Elle ne lui en fit pas la remarque, devenant la première à rompre le contact visuel pour se concentrer de nouveau sur son carnet.
"Pas une ballade, une chanson sur laquelle t’as envie de pleurer tout en dansant jusqu’à en avoir la tête qui tourne. Ça parlera à notre génération." Les millennials, la génération des dépressifs qui refusent de grandir et qui gèrent leur vie sentimentale en abondant dans le sens des médias consommés durant leur enfance. Ça parlerait aussi à la génération Z qui ne mettraient pas beaucoup de temps à faire un trend de tout ça en racontant leur expérience aux travers de leurs réseaux sociaux tout en tortillant des fesses sur leur chanson. Rien qui ne parlaient aux vieilles âmes qu’ils étaient en vérité, mais ils n’étaient pas assez boomers pour arguer que c’était mieux avant.

Il fallait s’adapter "Faut que ce soit des mots de la vie de tous les jours, ceux que t’utilises sur le coup d’une émotion trop forte pour tourner autour du pot. Ils se livrent l’un à l’autre, ça doit être aussi fluide qu’une vraie conversation." S’ils se perdaient dans des rêves de tournée, leur projet restait le centre de leur conversation, se corrélant à la suite du programme de Midas qui savait mieux qu’elle comment fonctionnait l’après-sortie d’un nouvel album.
Elle le regarda la tête légèrement penchée après avoir joué à la prétentieuse de base qu’elle savait être sans se forcer "Tu sais que je suis pas la seule à décider. J’ai déjà un emploi du temps de prêt pour le reste de l’année." Elle partirait en camp d’écriture dès le mois prochain et ceux jusqu’à la fin de l’hiver austral ; elle ferait des apparitions publiques de façon sporadiques pour faire naître l’anticipation, elle enregistrerait aussi, potasserait sur le marketing et la direction artistique de la promotion de son album qui débuterait avec sa première prestation sur le plateau de la nouvelle saison de X-Factor : tout était décidé, carré. Ça ne l’empêcha pas d’ajouter, ses yeux retrouvant vite les siens "Mais ça me plairait de t’accompagner de temps en temps. Tu sais, d’être le cliché de la musicienne qui se prépare en coulisses à débouler dans les charts avec ses propres chansons." Ça la fit sourire doucement, son nez se plissant avec la même intention. Ses épaules se haussèrent ensuite "J’ai rêvé de ça longtemps, je suis sûrement pas très objective sur la question." On verra ? se retint-elle de lui demander. De toute façon, Jo savait qu’elle ferait ce qu’elle pourrait pour vivre ce qu’elle voyait maintenant défiler dans sa tête et qui représentaient son idéal de vie.

Une qu’elle aurait adoré vivre avec lui. Détournant la tête, troublée, elle le remercia secrètement de recentrer le débat autour de leur chanson "Tu chantes, je joue, et on décide." Et on évite de buter sur les mots qu’on écrit pour ne pas en faire une bonne raison de se poser des questions à propos de nous, ça elle le garda pour elle, se retenant en même temps de lui demander si ce qui venait de lui traverser l’esprit collait à ce qu’il s’imaginait être sa façon de vivre leur rupture. Certainement, le débat n’avait pas besoin d’éclater pour qu’elle sache qu’il s’était demandé pourquoi Micah l’avait accompagné à Los Angeles. Il faudrait qu’elle lui explique plus tard, elle le garda en tête le temps de quelques instants.

Avant que ces instants ne deviennent des heures, et que la sérénité qu’elle ressentait chaque fois qu’elle faisait de la musique ne la pousse à se sentir encore mieux là ; avec Midas, à faire ce pourquoi ils étaient faits, et ce qu’elle ne voulait pas arrêter de faire. Ne reste pas toute la nuit, lui avait dit son père. Va te faire foutre, voilà ce qu’elle aurait dû lui répondre "Seulement si on commence par de la glace. Je suis sympa, je te laisse choisir le reste du menu." La pause s’imposait, le léger gémissement qu’elle laissa échapper en se levant du canapé étant la preuve évidente qu’ils avaient besoin de bouger "J’ai besoin de mon téléphone." Elle l’avait laissé dans le salon. C’était juste cas-où, pour vérifier si elle n’avait reçu aucun message à propos de sa grand-mère surtout. Toupillant sur elle-même, elle pointa la porte du doigt, son petit corps se dirigeant de lui-même dans sa direction "Si je suis pas de retour dans dix minutes, envoie un commando pour partir à ma recherche." Histoire de bien se moquer de la taille de sa propriété, et de mettre en avant son sens de l’orientation inexistant, elle le quitta sur ces mots en ricanant.

***

Rejoignant le salon pour récupérer son téléphone, Jo roula des yeux en constatant que son père avait tenté de la joindre. Elle vrilla en ayant le nez collé à son écran pour lui envoyer un texto qui disait qu’elle ne risquait pas grand-chose ici, sûre d’être dans l’endroit le plus sécurisé de la ville. Même sans ça, la seule présence de Midas était l’assurance que, contrairement à d’habitude où personne ne semblait apte à la protéger, lui savait "C’est ridicule, putain." murmura-t-elle en riant et en tournant à un angle de couloir menant à un corridor immense qu’elle ne reconnut pas, égarée dans les dédales de ce château moderne, beaucoup trop grand pour elle. Au petit bonheur, elle finit par pousser une porte sans y croire. Seulement, elle voulait s’y arrêter une seconde pour envoyer un texto à Midas et lui dire de lancer le commando. Elle était définitivement perdue.

Elle ne le fit pas ; simplement à cause de ce sur quoi son regard tomba quand elle s’enfonça dans la pièce restée éclairée. Elle eut le genre d’expression de surprise qui vous fait oublier jusqu’à votre prénom — et Jo aurait pu jurer qu’elle avait oublié le sien, ses pas feutrés la menant d’eux-mêmes jusqu’à la vitrine qui protégeait la robe qu’elle avait mise aux enchères quelques semaines plus tôt pour récolter des fonds au profit d’une association locale. Pas n’importe quelle robe, c’était aussi pour ça que le choc était grand.
Si elle avait eu l’idée de l’objet à céder à la vente aux enchères, elle n’avait pas revu cette pièce faire sur-mesure pour elle depuis sept ans. Elle n’osa même pas bouger davantage : elle se contenta de fixer les strass de cette robe magnifique qui avait été celle dans laquelle ses rêves s’étaient éteints. Se demandant comment elle avait atterri ici, ne réussissant pas à relier les points dans la seconde ni à trouver ça logique, elle fronça les sourcils ; avant qu’un bruit ne la fasse se retourner dans un léger sursaut, ses doigts se refermant fort sur son téléphone pendant qu’elle accueillait l’arrivée de Midas par une question simple, prononcée sur le ton du murmure stupéfait "C’est toi qui as fait la plus grosse mise ? Tu l’as gagnée ?" Pourquoi ? Elle ne réussit pas à lui poser cette question, mais la manière dont ses yeux s’ancrèrent dans les siens l’exprimerait à sa place.

she holds my guitar as i pluck out a melody
Midas Sterling & @Jo Carter ☆ crédit/ssoveiagifs

« Faut que ce soit des mots de la vie de tous les jours, ceux que t’utilises sur le coup d’une émotion trop forte pour tourner autour du pot. Ils se livrent l’un à l’autre, ça doit être aussi fluide qu’une vraie conversation. » Être direct, c’est donc ça le supposé secret révolutionnaire pour percer les mystères de la gent féminine ? J’ai plutôt l’impression que c’est tout le contraire, que rien n’est jamais simple avec des dames et que tout avec elles n’est que sous-entendus et langages codés dont elles sont les seuls à posséder le manuel de traduction. A ce niveau-là, Jo n’est certainement pas l’exception qui confirme la règle tant même moi qui estime la connaître un peu plus en profondeur que la majorité des gens suis encore souvent désarçonné par ses réactions. « Qui a dit que c’était fluide, une conversation, dans le cas de figure dans lequel ils se trouvent ? » Ma main s’arrête de pincer les cordes de ma guitare et mon regard se perd un instant dans le vide, en proie à une profonde réflexion. « Je crois au contraire que c’est bordélique, que c’est bourré de non-dits et d’incompréhension. Sinon, si ils s’aiment, ils seraient pas dans cette situation-là, non ? » C’est cette conversation qui est bourrée de non-dits et de sous-entendus, plutôt.

« Tu sais que je suis pas la seule à décider. J’ai déjà un emploi du temps de prêt pour le reste de l’année. » J’esquisse un sourire, certain qu’elle a déjà terriblement envie de torde le cou au dit emploi du temps pour faire de la place pour moi. « De toute façon, l’album sortira pas avant septembre. » Mais avant le 30 du mois, pour être sur la période d’éligibilité de la cérémonie des Grammy Award qui se tiendra début 2024. Le Label et Cassie ne laissent rien au hasard. « Donc pas de tournée avant l’été. Et je pense qu’on attendra même l’automne, pour enchaîner sur l’été pour l’hémisphère nord. » Les stades américains et européens se rempliront d’autant plus vite si nous visons cette période-là. Le tout n’est qu’un mécanisme bien huilé avec lequel je suis à l’aise maintenant, à défaut d’aimer gérer ces choses là, que je laisse à Cassandra et au reste des équipes. « Posy aurait six ans en février, de toute façon. Et je veux être là pour sa rentrée des classes. » En janvier, ma princesse commencera l’école, la vraie. Et après avoir raté trop d’étapes de sa vie, j’apprends doucement à faire passer mes obligations en tant que star après mes obligations de père. Six ans. Dire que le temps passe vite serait un euphémisme. « Mais ça me plairait de t’accompagner de temps en temps. Tu sais, d’être le cliché de la musicienne qui se prépare en coulisses à débouler dans les charts avec ses propres chansons. » Mon sourire s’agrandit, et je hoche la tête. « J’ai rêvé de ça longtemps, je suis sûrement pas très objective sur la question. » - « C’est une bonne stratégie d’un point de vue marketing, de toute façon. » Ce n’est pas Cassie qui lui dira le contraire : elle me l’a affirmé quand j’avais peur que Jo refuse : c’est une opportunité en or pour une chanteuse qui débute.

« Tu chantes, je joue, et on décide. » Je chante, elle joue, et nous décidons. Les minutes passent et nous, nous parlons la langue que nous maîtrisons le mieux, celle de la musique. J’avais presque oublié comment, en sa présence, les mots me viennent tout seuls, à quel point elle me tire vers le haut, à quel point notre association est une évidence dès lors qu’il est question de musique. On est faits pour écrire ensemble, elle et moi. La voir voler de ses propres ailes me remplira de fierté, mais je sais que je ressentirai toujours une pointe de jalousie à l’idée de la voir s’éloigner de moi.

Seul, j’aurais continué jusqu’au milieu de la nuit puis au petit matin uniquement à l’aide de boissons énergétiques. Sauf que je ne suis pas seul et que les besoins de Jo passent avant le reste. Puis ce serait mentir que de prétendre que je n’ai pas envie de partager avec elle quelque chose qui ne tourne pas autour du travail et de ce duo. Je ne veux pas qu’elle ne me voit plus que comme un partenaire professionnel. Notre relation est trop importante pour se réduire à ça. « Seulement si on commence par de la glace. Je suis sympa, je te laisse choisir le reste du menu. » La aussi, nous sommes parfaitement complémentaires puisque je n’ai pas la dent sucrée. « Je mangerai le plat et toi le dessert. » Le tout sans le moindre sous-entendu d’ordre sexuel. « C’est parfait comme ça. » J’attrape mon téléphone, abandonné sur le piano depuis que nous sommes entrés puisqu’il n’y a qu’elle qui importe lorsque je suis en sa compagnie, et je pianote sur l’écran à la recherche d’une application de livraison. « J’ai besoin de mon téléphone. » - « Hum ? » Je relève mon regard bleuté en direction du sien, mesurant la chance que j’ai qu’elle semble bien disposée, ce soir. J’ai presque l’impression d’être de retour dans ma chambre d’hôtel en janvier, quand nous appelions le room service pour ne pas avoir à en sortir. « Si je suis pas de retour dans dix minutes, envoie un commando pour partir à ma recherche. » - « Fais. Mais si tu te perds, garde en tête qu’il nous faudra certainement plusieurs mois pour te retrouver. Fais comme chez toi entre temps. » Je lui adresse un sourire qui dévoile toutes mes dents, avant de me reconcentrer sur la commande. Une fois la sécurité prévenue – aucun livreur ne met les pieds sur la propriété, il sera réceptionné à l’entrée par mes employés, je quitte mon tabouret pour me laisser tomber sur le sofa de la pièce, mon téléphone à la main. J’attends une, puis cinq minutes, avant de décider de profiter de l’occasion que m’offre l’absence de Jo pour travers le couloir et me rendre dans la salle de bain. Me mettre un peu d’eau sur le visage m’aidera certainement à remettre mes idées en place – je suis perturbé par la présence de Jo, par la proximité avec elle sans pouvoir autant la toucher ou l’embrasser – mais je n’atteins pas la salle d’eau. Au contraire, je suis interpelé sur le chemin par la présence de Jo dans une pièce qui n’est pas celle dans laquelle elle a laissé son téléphone. Au milieu de la pièce réservée à mes costumes de scène, elle observe une vitrine.

Elle est de dos, mais elle me semble tant paralysée que je l’imagine stupéfaire. Elle n’est qu’à quelques centimètres de la vitrine qui renferme un trésor plus précieux à mes yeux que toutes les récompenses que je possède, et je m’approche d’elle à pas feutrés. Mon pub n’est pas de lui faire preuve, mais bien de surprendre sa réaction la plus authentique. Elle n’a pas l’air en colère. Mais je ne me risque pas à parier sur les émotions qui la traversent. « C’est toi qui as fait la plus grosse mise ? Tu l’as gagnée ? » Je quitte Jo des yeux un instant, détaillant la robe qu’elle portait il y a des années de ça, lors de la finale de l’émission, le soir où j’ai gagné et que nos routes se sont séparées. « Tu crois qu’il était envisageable que je laisse quelqu’un d’autre repartir avec ? » Il était question de possessivité, certes, mais pas uniquement. Ce n’était même pas ma principale préoccupation. « Je sais pas si tu l’as mise en vente parce que tu voulais tirer un trait, ou parce qu’elle te rappelle trop de mauvais souvenirs… » C’est envisageable, se rêves se sont brisés alors qu’elle l’avait sur le dos. « Mais… Je sais pas. Ça représente quelque chose. Et pas une chose sur laquelle j’ai envie de tirer un trait ou de te laisser en faire de même. » Je ne voulais pas que vendre cette robe, ce soit sa façon de mettre un point final à notre histoire et à ce que nous avons vécu. Est-ce si idiot que ça ? La robe ? Je l’ai vite quittée des yeux pour détailler Jo et, suspendu à sa respiration, je prie pour qu’elle n’interprète pas mal mon geste.