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Au premier abord, la table semble lentement disparaître sous un tas de feuilles volantes n’ayant aucun rapport les unes avec les autres si ce n’est la même écriture qui se griffonne dans les marges tantôt à l'encre noire, bien souvent à l’encre rouge. En réalité, tout est véritablement organisé, dans le bordel certes, mais avec une logique qui se voue à donner un peu plus de sens au fil de mes idées. Sur la gauche s’entassent les différentes recherches effectuées par Damon, toutes en rapport avec le thème de mon roman, certaines poussées à l’extrême, mais toujours accueillies avec une curiosité nouvelle. La pile des feuillets manuscrits à l'encre noire est le résultat de mes heures d’insomnie, les idées se couchant sur le papier dans un rythme désordonné sur lequel j’ai toujours un peu plus de mal à me pencher et que je finis par donner à Damon, un sourire aux lèvres, le défiant de trouver une quelconque logique dans tout ce qui pouvait parfois fourmiller dans mon esprit. Pour que tout cela finisse à nouveau sous mon nez, pour une relecture à laquelle je n’arrive pas à m’adonner aujourd’hui. J’ai l’impression de relire la même phrase pour la quatrième fois sans jamais pleinement en comprendre le sens. Quelque chose ne me convient pas dans la tournure de phrases, mais mon esprit ne cesse de divaguer ailleurs. D’abord sur le retard évident de Damon, mais surtout sur tout ce qui se traîne en dehors de cette pièce : ma mère qui doit avoir rendez-vous avec son médecin demain, Rosalie qui aura son échographie le lendemain. J’aurais probablement dû annuler la rencontre d’aujourd’hui, prétexter une urgence familiale pour me concentrer sur mes proches, mais j’avais le sentiment d’avoir enfin trouvé un semblant d’équilibre avec Damon et je ne voulais pas briser ce rythme.

C’était à se demander si le jeune homme en avait quelque chose à faire de tout ce qui se tramait autour de ce roman et des enjeux que j’avais placés auprès de lui. Un énième coup d’œil à ma montre m’apprend que le temps ne s’est toujours pas figé, les minutes continuant à défiler sans que mon binôme ne se décide à franchir le pas de la porte. Je n’ai pas tant avancé sur mes corrections, toujours bloqué sur ce même paragraphe que j’aimerais pouvoir retravailler avec Damon. L’impatience me gagne petit à petit, une petite voix venant me rappeler que je n’aurais probablement pas dû lui faire confiance aussi facilement. Je ne veux pas me diriger dans ce genre de pensées et me force à m’asseoir de nouveau en face de mes corrections, il faut que j’avance, Jules attend des résultats.

« Te presse pas surtout, on a tout le temps ! » Je grogne dès que Damon entrouvre la porte qui grince sur son passage. A parié, il aurait tant voulu pouvoir se faufiler dans la pièce sans se faire remarquer. Peine perdue pour lui, aujourd’hui ne sera pas une journée placée sous le signe de la patiente. « On a pas mal de choses à revoir ! » que j’annonce tout en laissant glisser les pages dans sa direction. J’avais poursuivi ma relecture de manière maussade, noircissant les marges de commentaires et si j’ai bien pris le temps de relever du positif dans son travail, je n’ai fini par retenir que les points sur lesquels j’ai dû revenir plusieurs fois.

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Il était en retard. Il n’y avait pas à chercher d’excuse, ou d’explication supplémentaire qui pourrait donner un nouvel angle de vue sur cette information, ces derniers n’existaient aucunement. Damon était en retard, et ce n’était pas dans ses habitudes d’ordinaire; autant parce-qu’il avait été éduqué mieux que cela - même si parfois, il était toujours complexe d’apparenter les deux personnes qui s’étaient chargés de cette affaire au jeune homme aux cheveux blonds comme les blés qui courrait comme un dératé dans la faculté -, que parce-qu’il ne supportait pas rien qu’à l’idée d’arriver quelque peu part en ne respectant pas l’heure de rendez-vous qui avait été fixé. Presque pourtant, le retard qu’il tentait au maximum de minimiser en courant lorsque cela lui était possible n’était pas réellement de sa faute, pour au moins lui retirer cette partie là de l’équation qu’il ne méritait pas de porter sur le dos: leur professeur à l’université ne les avait pas prévenu que c’était la journée des présentations, et la plupart des élèves avaient du bucher plus tard que prévu sur les sujets qui leur avaient été assignés. Damon, qui passait la plupart du temps entre la MHI et les éléments que lui fournissaient Wyatt à corriger, éditer et compléter, en avait complètement oublié que ses cours n’étaient techniquement pas terminés et donc qu’il se devait de faire encore une poignée d’efforts pour réussir à clôturer correctement sa dernière année. C’était surtout, et également, que les cours ne l’intéressaient plus du tout et qu’il les poursuivait simplement pour ne pas avoir passé autant d’années à bucher pour rien, et au moins ressortir de toute cette histoire avec son diplôme en poche. Si ce n’était que lui, il aurait surement abandonné; mais Megan avait raison sur bien des points sur ce sujet, et il se devait de donner la dernière impulsion avant d’être complètement libéré de cette vie qu’il n’avait pas choisi.

Ce fut avec toute la discrétion du monde qu’il tenta de pousser la porte du bureau dans lequel ils se réunissaient, Wyatt et lui, ces dernières semaines en ayant l’espoir que ce dernier ne soit pas encore arrivé, ou occupé ailleurs - et surtout qu’il n’ait pas tout à fait remarqué le retard de son coéquipier. « Te presse pas surtout, on a tout le temps ! » S’arrêtant dans son élan, la main crispée sur la poignée et les lèvres pincées, Damon finit son mouvement pour entrer dans la pièce, laissant la porte se refermer derrière lui. Passer pour discret était donc apparemment hors de portée, alors que Wyatt semblait avoir parfaitement vu que l’heure qu’ils s’étaient fixés pour le rendez-vous d’aujourd'hui était largement dépassée. Et vu le ton qu’il appliquait à ses paroles, le sarcasme était de mise - mais surtout la mauvaise humeur allait de paire avec. « On a pas mal de choses à revoir ! » Il n’avait qu’à peine eu le temps de poser son sac et de s’approcher de la grande table où mille et unes feuilles s’étalaient que déjà, Parker lui faisait parvenir ce sur quoi ils devaient plancher aujourd’hui. S’il était resté silencieux jusqu’alors, il était clair que Damon ne pouvait se murer dans ce silence bien plus longtemps - mais surtout, cela voulait dire qu’il allait devoir affronter sa culpabilité de ne pas avoir su se présenter à l’heure qui avait convenue, et ce bien des jours plus tôt. Les deux hommes ne se voyaient pas toujours aux mêmes heures, pas toujours les mêmes jours de la semaine, mais jusqu’alors l’italien avait toujours respecté le moindre critère à la lettre. Aujourd’hui, il y avait eu un léger grain de sable dans la machine mais ce dernier l’avait fait dérailler comme il ne se le serait pas permis d’ordinaire. Grattant légèrement sa nuque d’une main, il retira sa veste également qu’il posa sur le dossier de l’une des chaises. « Je sais, je suis désolé. » Oh, Wyatt était encore un peu épargné jusque maintenant des excuses incessantes de Williams, les deux ne s’étant pas encore trop retrouvés dans des situations où il sortait ses plus plates excuses pour tout et pour rien. « J’ai pas vu l’heure, on a eu des rendus qu’étaient pas prévus pour aujourd’hui en cours, j’ai voulu régler ça au plus vite mais faut croire que c’est loupé… » Il se pencha légèrement pour attraper en vitesse les feuilles que Parker lui avait fait glisser, n’osant même pas relever son regard vers lui: il pouvait ressentir son agacement, et Damon n’était pas de ceux supportant le mieux l’autorité. On se demandait plus pourquoi, plus réellement du moins. « Je voulais pas arriver en retard, vraiment désolé, je vais plancher de suite sur ça. » Il avait déjà son stylo dans la main - mais les annotations de part et d’autres de la feuille faites par la main de Wyatt, par dessus parfois certaines de ses propres annotations, montrait qu’il avait déjà revu une bonne partie des pages qu’il lui avait apporté la dernière fois. Damon fronça les sourcils. « Je… Je suis déjà passé sur ces pages là. » Et ce n’était pas pour saper sa confiance en lui, mais cette dernière avait déjà fait ses bagages à partir du moment où il avait reconnu ses propres pattes de mouche sur le papier. Cela voulait-il dire que Wyatt avait des remarques - des reproches, aussi et surtout - à faire sur ce qu’il avait écrit ? Ce ne serait pas là une grande surprise, après tout ils bossaient sur l’idée de Parker, sur son futur bouquin et Damon était là simplement pour lui donner un coup de main et l’aider pour débloquer ses idées; tel était l’accord de base qu’ils avaient passé. En revanche, jusqu’alors, le brun à ses côtés n’avait eu que peu de remarques et reproches à lui faire, et il était vrai que l’italien s’y était habitué et aurait bien continué sur cette lancée aussi longtemps que possible.

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Malheureusement pour lui, Damon ne semblait pas avoir développé des dons d’invincibilité depuis notre dernière rencontre. Je ne sais pas vraiment ce qu’il imaginait en poussant cette porte, mais s’il rêvait d’une arrivée discrète, il s’était mis le doigt dans l’œil. Ce qui aurait pu n’être qu’un moyen de le taquiner sur le respect des horaires, devient en réalité quelque chose qui m’agace profondément. Il ne le sait pas encore, mais avec son retard, Damon m’a bien trop laisser le temps de ruminer sur toute cette collaboration. Je m’étais lancé dans l’inconnu avec lui, décidant de faire à nouveau confiance à quelqu’un au sujet de mes écrits et laissant alors renaître des faiblesses sur lesquelles je n’ai jamais pris le temps de travailler. Ma confiance n’est pas un acquis après quelques séances qui se sont plutôt bien déroulées et Damon allait l’apprendre à ses dépens. « Je sais, je suis désolé. » Je m’abstiens de faire la moindre remarque, pouvant déjà ressentir toute l’agitation émanant du jeune homme. « J’ai pas vu l’heure, on a eu des rendus qu’étaient pas prévus pour aujourd’hui en cours, j’ai voulu régler ça au plus vite, mais faut croire que c’est loupé… » Relevant la tête, je peux clairement voir à quel point Damon serait capable de débiter pendant des heures pour présenter toutes les excuses du monde. Ce n’est pas quelque chose qui semble fonctionner sur mon humeur cependant. Je me fiche bien de ses excuses et doit plutôt avouer que ces dernières m’interpellent. « Tu m’avais pourtant assuré que tes cours ne seraient pas un problème. » N’était-ce pas ce même jeune homme qui m’avait affirmé n’en avoir plus rien à faire de son parcours scolaire ? Était-il du genre à jouer les premiers de la classe malgré tout ? Il en a tout le statut, c’est certains, de ceux qui ne savent pas jongler avec tout, mais tende à vouloir satisfaire tout leur entourage. Dans quoi je me suis embarqué avec celui-là ?

« Je voulais pas arriver en retard, vraiment désolé, je vais plancher de suite sur ça. » Il balbutie tout en bataillant avec son stylo et manquant de s’étaler par terre dans sa précipitation de vouloir tirer une chaise à lui. « Et du coup, t’a perdu mon numéro sur le chemin ? » La réplique se veut emplie de sarcasme, mais le ton n’est plus vraiment à la plaisanterie. Dans un coin de ma tête, je peux entendre des reproches formuler par la voix de Rosalie, tendant à me rappeler que Damon n’est en rien responsable de tout ce qui s’accumule dans ma vie privée. Il ne devrait pas en payer le prix, mais la fatigue et les nerfs ne m’aident en rien à y voir plus clair. Je n’ai pas le temps de lui rappeler que j’ai également des impératifs en dehors d’ici. Le visage de Damon se décompose à mesure que son regard parcourt les feuilles que je viens de lui donner. « Je… Je suis déjà passé sur ces pages là. » Haussant un sourcil, j’attends une autre remarque de sa part qui ne viendra jamais tant, il paraît décontenancé par sa découverte. « Oh… Donc c’est forcément parfait ?! » Je ne devrais pas être autant direct dans mon approche, mais mes paroles m’échappent avant que je ne prenne le temps de réfléchir à quoi que ce soit. Grimaçant quelque peu, je prends une seconde pour souffler avant de reprendre la parole d’une manière que je tente d’amener comme plus posée. « J’ai eu du temps pour relire. » Il s’en doutait désormais que je n’avais pas passé mon temps à l’entendre les bras croisés. « Quelque chose ne sonne pas juste dans ce paragraphe. » Damon n’avait encore aucune connaissance de mon plus grand paradoxe, un écrivain si peu doué à formuler ses pensées au travers de paroles intelligibles, sans que cela ne parte forcément sur un ton agressif. « Il faut que l’on revoie la tournure des phrases, c’est un passage important. Je veux que ce soit à ce moment-là que le lecteur prenne conscience de tout ce qui repose sur les épaules d’Elias. » Mon personnage principal, je l’ai travaillé des années durant. Elias Walsh, jeune policier qui cherche à s’affranchir de son nom de famille. « La première interaction avec le journaliste, c’est tout ce que l’on doit retenir de ce chapitre. On n’y est pas encore. » Les détails prennent trop de place ou pas assez, je suis pas pleinement satisfait et peut-être que mon idée se veut trop arrêter, mais je n’ai pas l’intention d’en changer. « Faut que tu te mettes à sa place. T’es jeune, tu viens d’entrer dans la police, ton père est le commissaire le plus important du comté et c’est sur toi que tombe l’affaire sordide d’un meurtre qu’un taré veut s’approprier en envoyant des messages codés aux journalistes. » Le tout est brièvement résumé, mais j’estime lui avoir assez rabâché les oreilles à ce sujet depuis le temps. « Il est forcément un peu paumé, mais Elias est un malin. C’est ça qui doit transparaître. Tu vois ?! » Est-ce que l’on va encore avoir d’en parler ? Je ne pourrais probablement jamais me taire à ce sujet tant, cette idée me suit de partout depuis des années. Damon doit en saisir toute la profondeur et surtout, il doit trouver la volonté de revenir plusieurs fois sur les mêmes passages.  

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Damon avait un problème avec l’autorité: ce n’était pas là une grande nouvelle, cela avait toujours été le cas et qu’importe la personne qui pourrait se trouver face à lui. Si au début, il savait montrer un quelconque répondant dans les discussions et conversations, à partir du moment où il perdait l’avantage et l’ascendant dans ces dernières, il ne savait plus faire trop autre chose qu’opiner du chef et obtempérer tout en s’excusant pendant de longues minutes. Il avait toujours agi de la sorte, il avait toujours été habitué surtout à courber l’échine de cette façon et à ne pas se révolter lorsque quelqu’un face à lui prenait la position dominante dans une conversation. Ou s’il fallait être un brin plus précis: il avait toujours été habitué à agir de la sorte lorsqu’un homme plus âgé que lui se trouvait en face et prenait les rênes de la discussion. C’était là le comportement que Saül lui avait inculqué avec les années, qui lui avait ancré dans le crâne et l’esprit et c’était contre ça que celui qui ne restait au fond que Cosimo tentait de se battre désormais jour après jour. Il était loin d’y arriver bien sur, mais promis il faisait des efforts. Aujourd’hui, il ne s’était pas attendu à ce que la moindre conversation ne tourne pas en sa faveur - ou plutôt, tourne ne sa défaveur -, si bien qu’il était pris de court et qu’il n’arriverait certainement pas à garder la moindre tête haute face à Wyatt. C’était quelque-chose qui l’embêtait, promis que c’était le cas; mais il ne pouvait rien y faire: il n’avait pas encore une force de caractère assez développée pour se permettre de relever rien que le regard en cet instant. Un jour, promis il y arriverait parce-qu’il se serait entrainé pour que ce soit le cas; ce jour là n’était pas encore arrivé. « Tu m’avais pourtant assuré que tes cours ne seraient pas un problème. » - « Ce… c’est pas un problème non. » Il ne s’était simplement pas attendu à se laisser emporter par le temps de la sorte. Il n’aurait en tous cas pas de lui-même eu l’intention de planifier un exercice scolaire en sachant pertinemment que cela pouvait le mettre en retard pour son rendez-vous avec Wyatt. « J’ai pas vu le temps passer, et on était lancé dans l’exercice, quand j’ai relevé la tête j’ai vu que le temps avait filé… » Oh, bien sur que cela s’apparentait à des excuses, qu’importe les mots qu’il pouvait mettre dans la situation.

Et bien sur que c’était de cette façon là qu’il aurait continué de s’exprimer tout du long du reste de la journée s’il ne s’était pas seul freiné dans ce processus. Damon savait qu’il se devait d’arrêter de s’excuser en long, en large - Megan n’arrêtait pas de lui répéter à longueur de temps qu’il se devait d’arrêter de s’excuser même lorsqu’il n’était pas responsable des conséquences de certains agissements. Il glissa là une dernière fois qu’il était désolé, et abandonnant toutes ces affaires de côtés, il se mit en tête de s’affairer le plus rapidement possible pour rattraper le temps qu’il n’avait pas passé auprès de Wyatt. « Et du coup, t’as perdu mon numéro sur le chemin ? » Oh bien sur que le rouge monta aux joues de l’italien en cet instant. « Non, je… » Bien sur que non il n’avait pas perdu le numéro de Wyatt: il s’était simplement et de façon un peu idiote dit que s’il ne faisait pas remarquer qu’il était en retard, cela pourrait put-être passer inaperçu. Cela n’allait jamais arriver bien sur, mais sur un malentendu… « Je voulais pas souligner mon retard si finalement c’était pas un problème. C’était idiot, ça n’arrivera plus non plus. » Et le problème de Damon, c’était également qu’il était trop honnête: alors qu’il aurait pu inventer n’importe quelle excuse pour se sortir de cette situation, il préféra prendre le parti de dire la véritable raison qui l’avait poussé à ne pas prévenir Wyatt. Comme pour le retard qu’il ne souhaitait plus voir arriver non plus désormais, la prochaine fois qu’un imprévu pointait le bout de son nez il ferait en sorte de prévenir Parker plutôt que de fermer les yeux en pensant que cela aiderait à ne pas voir le problème.

« Oh… Donc c’est forcément parfait ?! » Non. Ce n’était en rien ce que Damon était en train de dire, alors que la surprise le prenait de court et qu’il ne comprenait pas où Wyatt voulait en venir en lui donnant dans les mains des feuilles sur lesquelles sa propre écriture était déjà appliquée. Ce qu’il voulait dire par là, c’était qu’étant donné qu’il avait déjà rédigé suite aux écrits de Parker son avis et les corrections que lui aurait apporté, il ne comprenait pas pourquoi ces pages là lui revenait à lui et ne restaient pas entre les mains de l’auteur. Il avait fait sa part du marché, il ne pouvait pas aller plus loin que cela pour le moment tant que Wyatt ne lui donnait pas son avis sur la question. Après tout, c’était aussi l’accord qu’ils avaient mis en place entre eux: l’ainé avait des choses à apprendre au novice, mais il fallait qu’il les lui montre pour qu’il puisse les apprendre justement. C’était la première fois que Damon travaillait avec quelqu’un dans le domaine de l’écriture, il n’avait fait que noircir des pages pour lui-même jusque maintenant et pendant des années; il y avait forcément donc des codes et des astuces qu’il ne pouvait connaitre, qu’il ne pouvait deviner. Et là, en l’occurence, il se retrouvait incapable de comprendre ce qu’il pouvait apporter de nouveau sans au moins une indication de la part de Wyatt. « Non, c’est pas parfait, c’est… Juste que… » Entre ses mains, les feuilles se seraient mises à trembler s’il ne s’était pas concentré pour ne pas que ce soit justement le cas.

Il ne savait pas si c’était de le voir réagir de la sorte ou si c’était Wyatt lui-même qui avait décidé de mettre de l’eau dans son vin, mais l’instant suivant ce dernier avait déjà opté pour une voix différente lorsqu’il s’adressa au jeune homme. « J’ai eu du temps pour relire. » Il ne broncha pas un seul instant de la remarque envoyée. « Quelque chose ne sonne pas juste dans ce paragraphe. » Là, déjà, Damon pouvait mieux comprendre ce qu’il attendrait de cette discussion, de cette situation, de lui même à travers tout ça. Comme s’il avait eu peur de le faire jusque maintenant, ce ne fut qu’à ce moment là que Damon s’approcha réellement de Wyatt pour pouvoir poser ses yeux sur le paragraphe qu’il mentionnait justement. « Il faut que l’on revoie la tournure des phrases, c’est un passage important. Je veux que ce soit à ce moment-là que le lecteur prenne conscience de tout ce qui repose sur les épaules d’Elias. » Oh, si ce n’était pas déjà le cas du lecteur, c’était le cas de Williams en tous cas: il était on ne pouvait plus mieux placé pour comprendre la position du personnage principal du futur livre en cours d’écriture sous leurs yeux. « La première interaction avec le journaliste, c’est tout ce que l’on doit retenir de ce chapitre. On n’y est pas encore. » Lentement, mais pour montrer que bien sur il suivait ce qu’il était en train de lui expliquer, Damon hocha la tête. Il entendait, il comprenait; maintenant il lui restait à trouver comme faire pour que cela soit retranscris dans les écrits. « Faut que tu te mettes à sa place. T’es jeune, tu viens d’entrer dans la police, ton père est le commissaire le plus important du comté et c’est sur toi que tombe l’affaire sordide d’un meurtre qu’un taré veut s’approprier en envoyant des messages codés aux journalistes. » S’il n’était pas encore en train de se remettre de la façon dont cette conversation avait démarré, Damon aurait laissé échapper un petit rire sarcastique: bien sur qu’il se mettait à la place du personnage, et ce sans même s’en apercevoir.

« Il est forcément un peu paumé, mais Elias est un malin. C’est ça qui doit transparaître. Tu vois ?! » - « Oui oui, je vois. » Sa voix avait retourné un brin de contenance, et ses yeux étaient déjà en train de parcourir les lignes qu’ils avaient tous deux sous leurs yeux. Il voyait, mais il savait aussi qu’il avait tendance à prendre tout un peu trop à coeur - et c’était peut-être un quelque-chose qui avait manqué ici pendant qu’il faisait les corrections des pages que Wyatt lui avait donné. Réfléchissant un instant, jouant nerveusement du bout des dents avec sa lèvre inférieur, il finit dans un semi-soupire par poser une question qu’il n’osait à peine formuler dans son esprit jusque maintenant; mais il se dit qu’il était aussi là pour apprendre, et que c’était en posant des questions et en se montrant curieux qu’il réussirait à évoluer davantage. « Quand t’écris… Tu utilises souvent ton expérience personnelle pour te servir d’exemple ? » Parce-que c’était exactement ce que Damon avait tenté de ne pas faire, mais c’était au contraire peut-être ce qu’il se devait d’exercer comme travail en cet instant. Pour tous les écrits qu’il avait chez lui, il s’était servi de son expérience personnelle parce-que ces pages avaient vocation à n’être lues par personne d’autre que lui-même. Ecrire un livre était bien différent. Alors, enfin et après de longues et de longues minutes à ne pas avoir réussi à le faire, il remonta son regard intimidé vers Parker. « Je veux dire, tu t’autorises à te servir de ce que t’as vécu pour le remettre dans tes livres ? » N’avait-il pas peur que les autres puissent lire ce qu’il ressentait vraiment, comprennent ce qu’il avait vécu ? Le jeune italien avait tellement eu pour habitude d’être observé par le monde et jugé par le ce dernier qu’il n’osait plus parfois se montrer tel qu’il était réellement à ceux qui pourraient se servir de ça comme d’un point pour se moquer, pour juger; comme d’un point de levier également aussi, malheureusement. Etait-ce également le cas our Wyatt, ou ce type de choses se trouvait-il inconnu du reste du monde lorsqu’il s’agissait de coucher sur papier des aventures ?

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« Ce… c’est pas un problème non. » Haussant un sourcil, j’observe Damon qui paraît sautiller sur la pointe de ses pieds, forcément mal à l’aise face à mes remarques. Tel un enfant pris la main dans le sac, il semble vouloir se justifier de tout sans être réellement certain de ce qui pourrait bel et bien le sauver. « J’ai pas vu le temps passer, et on était lancé dans l’exercice, quand j’ai relevé la tête j’ai vu que le temps avait filé… » En soi, je me fiche bien qu’il se soit fait rattraper par le temps. Je ne vais pas jouer les hypocrites et prétendre que cela ne m’est jamais arriver par le passé, ce serait un mensonge éhonté. Il n’a pas vu le temps défilé et il est en retard, c’est un fait. Je me devais de lui faire une remarque afin de lui rappeler que tout cela ne tient que sur l’idée d’une parfaite collaboration et que je n’ai pas décidé de faire du bénévolat en lui demandant son aide. Autant remettre les choses aux clairs rapidement avant qu’il ne se décompose complètement sous mon regard. « Non, je… Je voulais pas souligner mon retard si finalement c’était pas un problème. C’était idiot, ça n’arrivera plus non plus. » Il me faudra une seconde pour me retenir de lui rappeler qu’il n’était pas simplement en retard de quelques minutes et qu’il aurait été complexe de faire passer tout cela inaperçu. J’ai comme la sensation que Damon a parfaitement compris où je voulais en venir et que ce n’est pas quelque chose qui pourrait se reproduire. « Je comprends que tu te soit fait avoir par le temps, mais la prochaine fois envoi moi un message. » J’ai bien d’autres choses à gérer de mon côté également pour perdre du temps à l’attendre de manière inutile. « Ça évitera que je devienne désagréable. » Le pauvre ne connaît encore rien de mon véritable caractère et risque d’être quelque peu surpris au fur et à mesure de notre collaboration. Malgré tout, je lui adresse un semblant de sourire. Je n’ai pas l’intention de lui passer un savon pour le reste de la journée, on a bien d’autre chose à faire.

Il nous faut absolument reprendre le dernier chapitre qui n’a toujours pas atteint le niveau souhaité. On s’approche d’un résultat qui pourrait me convenir, mais j’ai encore besoin que l’on travaille certains points. « Non, c’est pas parfait, c’est… Juste que… » J’attends quelques secondes, mais Damon paraît incapable de terminer le cours de sa pensée. Ce qui me permet de rebondir sur l’idée que je souhaite lui transmettre depuis le départ. J’ai conscience d’avoir ruminé ce sujet pendant des années au point que tout me paraisse faire sens sans explication, mais que ce n’est clairement pas le cas pour Damon. Une fois encore, je cherche à lui démontrer la direction vers laquelle je souhaite que l’on se dirige et les sensations qui se doivent de transparaître au travers de nos lignes. Si j’ai été quelque peu excéder par son retard, je dois au moins avouer que Damon s’est empressé de m’accorder toute son attention. « Oui oui, je vois. » Ce n’était pas une affirmation dans le simple but de me faire plaisir, je peux voir dans son regard et dans la manière dont il est déjà en train de relire les feuilles entre ses doigts que Damon a compris quelque chose. Le déclic est là, il s’agit désormais de ne pas perdre la flamme et de travailler au corps les idées qui fusent à tout va. C’est ce genre de dynamique dont j’avais désespérément besoin, des échanges qui mène à quelque chose de construit et surtout un intérêt sans faille de la part de mon interlocuteur.

Tirant ma chaise, je finis par reprendre place au bureau pour coucher sur le papier quelques informations supplémentaires qui me paraissent importantes, mais Damon me coupe dans mon élan. « Quand t’écris… Tu utilises souvent ton expérience personnelle pour te servir d’exemple ? » Surpris par la question, je relève les yeux vers Damon qui s’entête à fixer la table plutôt que de me regarder. Son interrogation me paraît un peu sortie de nulle part et pourtant, la question a le mérite d’être pertinente surtout que mon opinion n’a eu de cesse d’évoluer sur ce sujet précis au fil des années. « Je veux dire, tu t’autorises à te servir de ce que t’as vécu pour le remettre dans tes livres ? » Si je le trouvais quelque peu stresser auparavant, Damon me paraît encore plus nerveux lorsque son regard hésitant finis par croiser le mien. « Il y a quelques années de cela, je t’aurais répondu qu’il ne fallait surtout pas mettre de soi dans nos personnages. » C’était la ligne de conduite que je m’étais efforcé à suivre durant des années, ne pas laisser ma colère et mes reproches se noyer dans mes écrits, j’aurais eu l’impression de ternir mon travail. « Puis j’ai fait publier mon dernier livre… » L’histoire de Jules, un personnage inventé pour beaucoup, une personne réelle à mes yeux. « Je ne parle pas vraiment de moi dans cette histoire, mais de quelqu’un que je connais, on a transformé son histoire, on s'était donné le droit de rêver au travers des mots dans une période qui n’était pas facile. » Ginny m’avait demandé de la faire voyager, j’avais tout essayé pour transposer à l’écrit ses rêves ternis par les obligations. « Parfois, je me dis que c’est ça qui a fait le succès de mon livre, cette franchise non déguisée, inspirée de véritable épreuve et d’une sincérité qui se voulait un peu thérapeutique à l’époque. » On avait pris notre temps, j’avais laissé le manuscrit dormir pendant longtemps avant de lui demander l’autorisation de publier ce carnet si intime. Elle m’avait donné l’autorisation de jeter l’oiseau hors du nid et sans elle, je ne serais probablement jamais revenu sur le devant de la scène. « Je crois que même en prenant toutes les précautions du monde, on finit toujours par laisser un peu de soi dans nos personnages. » Après tout, chacun de mes personnages masculins semble avoir un problème avec l’autorité naturelle ou des relations tendus avec leur paternel, ce n’est pas juste un hasard. Si je n’ai pas fait relire le passage relatant de l’incarcération d’un de mes personnages à Damon, c’est bien parce que j’ai vécu les choses de l’intérieur et qu’en quelques paragraphes, j’avais décidé de laisser tout cela derrière moi, un dernier témoignage d’un passé qui ne me correspond plus. « Tu peux t’inspirer de ton vécu, mettre un peu de toi dans une expérience vécu par ton personnage, mais je crois qu’il existe une limite dans ce que l’on peut s’autoriser. » La haine de l’autorité paternelle est un sujet vaste, viser spécifiquement mon père en était tout un autre. « Il faut faire la part des choses, sinon revoit ton plan et écris tes mémoires. » que je finis par conclure en laissant s’échapper un éclat de rire. « Pourquoi tu me demandes ça ? » La question ne pouvait être anodine après tout ce que je venais de dire pour lui décrire à nouveau mon personnage principal.

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« Je comprends que tu te soit fait avoir par le temps, mais la prochaine fois envoi moi un message. » La première partie de la réponse de Wyatt l’étonna quelque-peu: il s’était attendu à ce que l’homme lui remonte encore davantage les bretelles, et ne soit pas apte à passer au dessus de son retard. Peut-être alors qu’il échappa un léger soupire, ne s’apercevant pas qu’il retenait avec tant de véhémence ce dernier. « Ça évitera que je devienne désagréable. » Pinçant les lèvres, Damon hocha vivement la tête comme un enfant qui répondrait à une remontrance de la part de l’un de ses parents. « J’y penserai. » Même s’il savait déjà à ce moment là que c’était quelque-chose qui ne se reproduirait plus: il n’aimait pas se faire sermonner de la sorte, et surtout par quelqu’un qu’il tentait tant bien que mal d’impressionner. La prochaine fois, il partirait en courant de l’amphithéâtre de l’université s’il le fallait pour arriver à leur du rendez-vous donné par Parker.

Et même si cela voulait dire qu’il allait lui faire de nouveaux reproches sur les pages qu’il avait corrigé quelques jours plus tôt, alors que pourtant Damon était plutôt fier de son travail. Mais Wyatt l’avait dit, ou sous-entendu de façon à ce que Damon comprenne ce qu’il voulait dire: le voir arriver en retard l’avait rendu de mauvais humeur, et il allait devoir en payer les frais tant qu’ils se trouveraient tous deux dans la même pièce. Le jeune italien était pourtant déterminé à lui montrer que ce n’était pas là de la mauvaise foi de sa part, loin de là même, alors que toute son attention était déjà entièrement focalisée sur les dires de l’écrivain, et même sur ce qu’il avait à lui reprocher. Ses corrections n’étaient pas parfaites: il notait, reprenait déjà les pages en mains, parcourait les annotations qu’avait pu mettre ici et là dans les marges Wyatt à côté de celles qu’il avait déjà griffonné lui. Damon avait déjà un crayon de papier à la main, prêt à repartir de plus belle tête baissée sans hésiter un seul instant. Parce-que lorsqu’il disait à Parker qu’il voyait de quoi il parlait, il ne faisait pas semblant: il était même plutôt un brin trop bien placé pour comprendre de quoi en ressortait les ambitions de son personnage principal.

Ce qui le fit s’interroger sur un point pour lequel seule l’expérience devait pouvoir répondre correctement: à quel point Wyatt se laissait-il inspirer par son quotidien, par sa vie à lui, pour coucher ses idées sur papier ? S’autorisait-il seulement à le faire ? « Il y a quelques années de cela, je t’aurais répondu qu’il ne fallait surtout pas mettre de soi dans nos personnages. Puis j’ai fait publier mon dernier livre… » Un sourcil se haussa légèrement sur le visage de Damon: son avis avait évolué pendant l’exercice. Surtout que Williams avait lu le livre et savait donc de quoi il parlait. « Je ne parle pas vraiment de moi dans cette histoire, mais de quelqu’un que je connais, on a transformé son histoire, on s'était donné le droit de rêver au travers des mots dans une période qui n’était pas facile. Parfois, je me dis que c’est ça qui a fait le succès de mon livre, cette franchise non déguisée, inspirée de véritable épreuve et d’une sincérité qui se voulait un peu thérapeutique à l’époque. Je crois que même en prenant toutes les précautions du monde, on finit toujours par laisser un peu de soi dans nos personnages. » Lentement, il avait hoché la tête au fur et à mesure des paroles du brun face à lui. Oh, il entendait chaque détail qu’il lui précisait là, réussissait à s’identifier dans chaque hésitation aussi. Damon faisait partie de ces personnes qui pensaient que la sincérité et l’honnête était ce qui fonctionnait le mieux malgré tout dans le monde - même si pour cela, le coeur risquait d’être blessé.

« Tu peux t’inspirer de ton vécu, mettre un peu de toi dans une expérience vécu par ton personnage, mais je crois qu’il existe une limite dans ce que l’on peut s’autoriser. » Et lorsque cela le concernait lui, Damon savait pertinemment que mettre et respecter des limites n’était pas son fort; il aurait réussi à éviter pas mal de situations, sinon, s'il avait excellé dans ce domaine. « Il faut faire la part des choses, sinon revoit ton plan et écris tes mémoires. » Wyatt se permit un rire franc à ce moment là, alors en détournant le regard quelque peu Damon esquissa un sourire. Il ne voulait pas le contredire ou le froisser, mais il était vrai qu’un problème allait peut-être finalement rapidement se rencontrer pour l’italien: il n’était pas très doué à faire la part des choses. « Pourquoi tu me demandes ça ? » Remontant un instant seulement son regard vers Wyatt, Damon dévia de nouveau ce dernier rapidement pour le recentrer sur les feuilles avec lesquelles ses mains jouaient nerveusement. Oh, bien sur qu’il se sentait présentement idiot alors que pourtant, ce n’était pas quelque-chose qui était nécessaire en cet instant. S’il s’était lancé dans une telle aventure aux côté de quelqu’un qui avait déjà publié, c’était justement pour apprendre les ficelles du métier et écouter les conseils qu’il pouvait lui donner. Inspirant un peu plus longuement qu’à l’accoutumé, Damon plissa le bout de son nez. « Parce-que je démontre mes émotions trop facilement, que j’ai souvent du mal à faire la part des choses. » Il parlait à voix basse tout de même. « Et que je pense que ça se ressent dans mes écrits. » Il commençait déjà par cette partie là, celle où il était à peu près sur que Wyatt l’avait déjà compris.

Pour la suite, en revanche… « Et parce-qu’à lire Elias à travers tes mots, et à les revoir à travers les miens, je… m’identifie pas mal à lui. » Mollement, il avait haussé les épaules presque comme si de rien n’était, comme s’il expédiait là quelques broutilles - alors qu’il savait pertinemment que cela pouvait poser soucis dans le processus créatif dans sa globalité. « Et du coup c’est pour savoir jusqu’à quelle limite je peux me permettre d’ajouter des détails de mon vécu à moi dans les mots qui décrivent Elias. » Peut-être qu'il préfèrerait peut-être que Wyatt lui réponde qu’il ne pouvait absolument pas faire ça - au moins, il n’aurait plus tant cette impression d’avoir assez régulièrement un miroir dépeint à travers des mots sous son nez.

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Je n’avais aucune idée de ce que cette collaboration allait bien pouvoir donner en proposant le poste, si on peut dire ainsi, à Damon. Ce n’était qu’une idée folle qui me trottait dans la tête depuis bien trop longtemps et qui avait voulu se concrétiser en lisant les écrits du jeune homme. Je m’étais préparé à des échanges musclés, mais jusqu’à présent, il fallait avouer qu’un certain équilibre, c’était mis en place. Damon n’était clairement pas là pour voler la vedette à qui que ce soit, bien au contraire. De nature discrète et d’une timidité parfois effrayante, il cherchait simplement à bien faire. Parfois trop même. Mais de temps à autre, comme aujourd’hui, il venait de poser une question qui me rappelait pourquoi j’avais choisi quelqu’un de plutôt inexpérimenté dans le milieu. Ce n’est pas lui qui allait m’apprendre quelque chose, mais plutôt l’inverse. Loin de moi l’envie de prétendre à une quelconque maîtrise parfaite de notre métier, mais son regard neuf venait se coupler à merveille avec mes années d’expérience dans un milieu qui se veut parfois cruel. Damon a toute la curiosité d’un débutant et les questions qui vont avec. Depuis combien de temps est-ce que je ne m’étais pas demandé où se trouvait la limite entre mes personnages et ce qu’ils pouvaient dépeindre de ma personnalité ? C’est un sujet sur lequel aucun auteur ne sera réellement d’accord et c’est bien pour cela que je me lance dans une explication quelque peu confuse et qui doit lui paraître si bancal. Mais il avait demandé et je voulais voir jusqu’où la conversation pouvait bien aller.

« Parce-que je démontre mes émotions trop facilement, que j’ai souvent du mal à faire la part des choses. » Si je n’avais pas eu toute mon attention diriger vers sa personne, je crois que j’aurais loupé le trois quart de sa phrase tant il marmonne dans son coin. Comme s’il cherchait à me cacher un secret que j’avais déjà largement deviné. Il paraît évident que Damon n’est pas une forte tête qui imposera son point de vue et ses idées. Sur ce point, il est mon extrême opposé. J’en ai eu la preuve dès notre deuxième séance ensemble. Il avait émis, à demi-mot comme toujours, une idée plutôt intéressante, mais que je voulais qu’il défende. Le simple fait que je vienne questionner son opinion l’avait fait se renfermer comme une huître et je n’ai jamais pu le relancer sur ce sujet qui m’avait tout l’air de pouvoir nous amener sur une piste que j’aurais étudiée avec plus d’attention. « Et que je pense que ça se ressent dans mes écrits. » Pour être honnête, je n’ai pas réellement le temps de gérer un émotif. Ce n’est pas ce que je recherche dans tout cela. « Cela se ressent surtout dans le fait que tu n’arrives pas à défendre tes idées. » Je lui avais promis d’être sincère avec lui. Si j’avais laissé couler les premières fois, cette conversation semblait être le moment idéal pour le secouer un peu. « Je sais que ce que je te dis parfois te donne envie d’argumenter et pourtant, tu n’oses jamais aller plus loin que la surface. » Il pourra dire que je me trompe, mais je suis persuadé de l’avoir plutôt bien cerné sur ce point. « Et je crois te l’avoir déjà dit, mais… » J’ajoute un léger sourire pour ne pas l’inquiéter. « Je t’ai pas demandé de travailler avec moi pour approuver tout ce que je dis ou fait. » Au contraire. J’ai besoin que l’on vienne me présenter un challenge, que l’on me tienne tête. Mais je crois que c’est peine perdue avec Damon. Heureusement, Jules sera toujours candidate pour ce genre de rôle là.

Je vois bien qu’il a plus à dire, qu’il cherche ses mots, alors je prends un peu de recul, pour lui laisser le champ libre. « Et parce-qu’à lire Elias à travers tes mots, et à les revoir à travers les miens, je… m’identifie pas mal à lui. » Celle-là, je ne l’avais pas réellement vu venir. « Et du coup, c’est pour savoir jusqu’à quelle limite je peux me permettre d’ajouter des détails de mon vécu à moi dans les mots qui décrivent Elias. » Elias est l’un de mes personnages les plus aboutis. Celui qui traîne dans un coin de ma tête depuis une décennie. Le personnage auquel j’ai le plus pensé, que j’ai le plus voulu travaille au cours de ces dernières années. Dans le fond, que je le veuille ou non, il y a également un peu de moi dans ce personnage. « Je peux te demander en quoi t’as l’impression de t’identifier à lui ? » À m’entendre prononcer ces quelques mots, je réalise à quel point la réponse à ma question peut lui être cruellement personnel. « Enfin, t’es pas obligé de me dire, mais… Je suis curieux, je t’avoue. » Je donnerais ma main à couper que cela à avoir avec la relation père-fils. Je viens tout juste d’insister sur le fait qu’Elias cherche à se détacher de l’image de son père et Damon embraye sur ce sujet précisément. Je suis pas très malin parfois, mais je sais encore lire entre certaines lignes. « Je vais être très honnête avec toi, Damon, ce personnage, il traîne dans mes carnets depuis une dizaine d’année. » J’ai eu le temps de le modifier, de le faire grandir, de l’aider à s’épanouir avant de réellement trouver le courage de coucher son histoire sur le papier. « Je tiens beaucoup à son évolution et a certains messages que je cherche à faire passer au travers de sa personnalité. » En commençant par le simple fait qu’un fils peut s’affranchir de son héritage et réussir par lui-même. « Mais je ne suis pas fermé à tes propositions et à ce que tu souhaiterais amener. » Ce n’est pas un non ferme, mais plutôt une ouverture à l’échange, même si cela vient grignoter sur notre planning. Je veux entendre ce que Damon semble avoir désespérément besoin de dire.

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« Cela se ressent surtout dans le fait que tu n’arrives pas à défendre tes idées. » Il plissa quelque peu le nez: il l’avait autant cherché que cela était une évidence même en réalité. « Je sais que ce que je te dis parfois te donne envie d’argumenter et pourtant, tu n’oses jamais aller plus loin que la surface. » Humectant quelque peu ses lèvres, Damon baissa le regard. « C’est vrai oui. » Il n’allait pas démentir une vérité que Wyatt savait parfaitement vraie: c’était comme écrit en grosses lettres sur son front qu’il avait du mal à s’imposer. Il avait tellement eu l’habitude d’être jugé pour tout et n’importe quoi que lorsqu’il était question de démontrer qu’il pouvait avoir également raison, il y allait avec une trop grande prudence. « Et je crois te l’avoir déjà dit, mais… Je t’ai pas demandé de travailler avec moi pour approuver tout ce que je dis ou fait. » Au moins, Wyatt avait ajouté ce point là avec un petit sourire aux lèvres - ce qui soulignait qu’il n’avait pas besoin de chercher une gravité inexistante dans les mots qu’il lui adressait. « Je sais, je sais. » Il dodelina de la tête un instant ou deux. « Pour ça aussi, ça me demande un peu de temps. » Il était empli de bonnes volontés et de l’envie de réussir, mais il ne connaissait pas encore très bien les codes pour arriver à un tel résultat - si bien qu’il trébuchait de nombreuses fois en cours de route. Il se redressa quelque peu. « Mais promis quand ça arrivera, j’aurais de bonnes idées à apporter. » Quand il arriverait à les défendre - ils n’en étaient pas encore à cette étape là, donc.

En grande partie également parce-que Damon ne s’était pas attendu à avoir tant de points communs avec le personnage principal du roman qu’il était désormais en train de travailler aux côtés de Wyatt. Et que cela le désemparait plus qu’il ne l’aurait souhaité. « Je peux te demander en quoi t’as l’impression de t’identifier à lui ? » Il avait abordé le sujet, il savait dans quoi il se lançait. « Enfin, t’es pas obligé de me dire, mais… Je suis curieux, je t’avoue. » Il n’existait bien sur aucune version de cette situation où le regard de Damon se relevait pour se planter dans celui de l’auteur tant il ne saurait se sentir à sa place en cet instant. Il n’avait aucun mal à exposer ce qu’il ressentait, ce n’était pas pour autant qu’il appréciait discuter de ses faiblesses avec facilité. « Je vais être très honnête avec toi, Damon, ce personnage, il traîne dans mes carnets depuis une dizaine d’année. Je tiens beaucoup à son évolution et a certains messages que je cherche à faire passer au travers de sa personnalité. Mais je ne suis pas fermé à tes propositions et à ce que tu souhaiterais amener. » Soupirant avec douceur, il garda le silence encore un instant pour lui. « Si je suis à tes côtés aujourd’hui, c’est pour moi aussi me défaire de l’image de mon père qui plane au dessus de moi. » Ce n’était pas souvent qu’il faisait volontairement le lien entre Saül et lui à haute voix, mais il se devait d’être un minimum transparent face à son mentor s’il désirait progresser et avancer avec lui. Comme il le soulignait seul dans son coin: il avait ouvert cette porte, il se devait d’assumer les choses qui en ressortiraient aujourd’hui. « Parce-que ce n’est pas pour devenir écrivain qu’il m’a éduqué, mais c’est plus l’image que j’ai envie de renvoyer. »

« Je veux dire: je le fais pour la passion de l’écriture, qu’on soit d’accord sur ce point là. Mais je me suis poussé à sortir de ma zone de confort parce-que si je le fais pas, je resterais dans le moule qu’il a fait pour moi et j’ai pas envie de ça. » Inspirant longuement, il soupira de la même intensité à la suite avant d’hausser les épaules. « Alors peut-être que si je peux me permettre d’apporter quelque-chose, c’est qu’il faudrait peut-être insister un peu plus sur ce que ressent Elias dans tes lignes. » Bien sur que ses joues étaient couleur cramoisie désormais; c’était là un de ses mécanismes de défense, bien qu’il ne soit pas réellement attaqué. Il exposait simplement là une idée qui lui trottait dans la tête depuis quelques temps, celle qu’ils n’exposaient pas assez le ressenti du personnage par rapport aux répercutions qu’avait sa relation avec son père dans son quotidien. « Y’a bien plus que seulement vouloir passer outre l’image du père. » Il explicitait quelque-chose à laquelle il n’avait pas encore trouvé solution - mais peut-être cela pourrait être thérapeutique pour lui aussi, après tout.

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Comme toujours, dès que la conversation devient sérieuse et surtout, dès que le sujet le concerne, Damon baisse le regard. « C’est vrai oui. » Il arrivait au moins à reconnaître qu’il avait bien du mal à défendre ses propres idées. Il a du mal à s’imposer et parfois, je me demande si c’est parce que j’ai immédiatement laissé ressortir mon fort caractère. Je pense qu’il a compris que je pouvais aller loin pour défendre mon sujet, que je n’étais parfois pas tellement ouvert à la conversation quand bien même je cherche à m’améliorer depuis le début de notre collaboration. Malgré mes tendances autoritaires, je ne voudrais pas qu’il pense que je l’ai choisi uniquement pour qu’il m’obéisse aux doigts et à l’œil. Bien au contraire, j’ai besoin qu’il me dise clairement ce qu’il pense, ce qu’il envisage alors que l’on s’enfonce de plus en plus dans la rédaction de mon roman. « Je sais, je sais. » Un sourire étire mes lèvres alors, qu’une fois encore, il ne cherche pas à me contredire. « Pour ça aussi, ça me demande un peu de temps. » Sa bonne volonté n’arrivait pas encore à prendre le pas sur sa timidité visiblement. « Est-ce qu’il faut que je te bouscule ? » Je ne crois pas que cela serait une solution en soi, mais s’il a besoin d’être perturbé dans ses habitudes, je peux également modifier la façon dont je m’adresse à lui lorsque je cherche à obtenir son avis. « Mais promis quand ça arrivera, j’aurais de bonnes idées à apporter. » Combien de temps cela allait-il lui prendre cependant ? « Donc t’as rien à me dire pour le moment ? » J’ai bien du mal à le croire. Je suis persuadé qu’il a envie de me dire des choses, que son esprit fourmille d’idées en tout genre, mais qu’il n’ose tout simplement pas prendre la parole.

Mais peut-être que l’on venait de toucher un point sensible en abordant le sujet du personnage principal. Je pouvais le voir rien qu’à la façon dont son regard restait river sur la table. J’ai l’impression que si je pousse encore un peu, il allait finir par s’enfuir par la porte sans même se retourner. Je me sens tout de même obliger de lui rappeler que ce personnage n’existe pas au hasard, que j’ai mis un peu de ma personne dans sa construction. Néanmoins, j’ai le sentiment qu’il a cherché à s’exprimer pour une raison et j’aimerais savoir ce qui se trame dans un coin de son esprit. J’insiste sans pour autant le forcer, conscient qu’un petit rien le fera se renfermer comme une huître. « Si je suis à tes côtés aujourd’hui, c’est pour moi aussi me défaire de l’image de mon père qui plane au-dessus de moi. » Je ne m’attendais pas à une telle confession, mais me surprends à être incroyablement plus attentif aux moindres de ses faits et gestes. « Parce que ce n’est pas pour devenir écrivain qu’il m’a éduqué, mais c’est plus l’image que j’ai envie de renvoyer. » Oh. Donc son paternel faisait partie de ceux qui pensent que l’écriture ne peut être qu’une lubie et en rien une véritable profession. Je parie que le mien aurait tenu le même genre de discours si j’avais continué de grandir à ses côtés. Il aurait sûrement cherché à m’envoyer dans une université pour me pousser à poursuivre le business familial. Est-ce que c’était ce que l’on avait imposé à Damon toute sa vie ? « Je veux dire : je le fais pour la passion de l’écriture, qu’on soit d’accord sur ce point-là. » Je hochais la tête simplement dans le but de lui montrer que j’avais parfaitement saisi où il voulait en venir sans pour autant vouloir l’interrompre dans son cheminement. « Mais je me suis poussé à sortir de ma zone de confort parce que si je le fais pas, je resterai dans le moule qu’il a fait pour moi et j’ai pas envie de ça. » Son soupir en disait long sur tout ce qu’il semblait désormais porter sur ses frêles épaules. « Alors peut-être que si je peux me permettre d’apporter quelque chose, c’est qu’il faudrait peut-être insister un peu plus sur ce que ressent Elias dans tes lignes. » Fronçant les sourcils, je finis par reprendre ma place en face de lui. Je voudrais qu’il creuse encore, je crois pas me tromper en pensant qu’il a encore bien plus à dire. Mais ses joues rougissantes laissaient sous-entendre que bientôt Damon allait laisser le silence l’avaler tout entier. Le sentant faiblir, je pris l’incitative de reprendre les pages que j’avais laissé glisser de son côté, laissant mon regard glisser sur ces dernières. « Tu veux dire… Mieux retranscrire la pression qui tombe sur les épaules d’Elias ? » Mon personnage qui veut à tout prix s’affranchir de l’image du père, mais qui se voit quelque peu forcer de marcher dans ses traces. « Tu crois qu’il faudrait changer la profession de son père ? » Est-ce que cela aurait impact différent ? J’en doute, mais j’ai envie de lancer toutes les questions que son aveu m’inspire. Il faut que l’on échange, c’est ce que je cherchais dans cette collaboration, c’est ainsi que j’ai toujours su fonctionner dans mon processus de rédaction. « Y’a bien plus que seulement vouloir passer outre l’image du père. » - « Comme ? » J’allais le pousser jusqu’à ce qu’il m’en veuille s’il le fallait. Je veux comprendre ce qu’il cherche à dire, ce qui semble si difficile pour lui de formuler et qu’il a tout de même eu envie de soulever. « Est-ce que tu veux que je te laisse carte blanche ? » Je ne lui offrais pas une liberté totale, mais juste une carte supplémentaire, celle de me présenter ce qui, selon lui, pourrait mieux correspondre. « T’arriverais mieux à me faire un paragraphe ou je dois continuer à te harceler de questions ? » Le but principal n’étant pas de le faire fuir, je me dois d’être attentif à ce qui serait plus aisé pour lui. « Tu tiens quelque chose et tu as éveillé ma curiosité, je vais pas te lâcher gamin. » Un sourire étire mes lèvres pour lui rappeler que ce n’est en rien un reproche, bien au contraire. Je suis persuadé qu’il cache bien des choses intéressantes à raconter. « C’est comme tu le sens. » Une fois encore, je lui offre l’opportunité de se dérober, malgré tout. « Sinon on reprend cette première rencontre avec le journaliste. » Il allait, de toute façon, devoir reprendre cette partie. « Pour le moment. » que j’ajoute malgré tout, lui rappelant doucement que je n’allais pas oublier de si tôt tout ce qu’il venait de me dire.

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« Est-ce qu’il faut que je te bouscule ? » Plissant quelque peu le bout du nez, il secoua son visage de gauche à droite. « Pas besoin en général. » Et puis même: le bousculer avait tendance à provoquer l’effet inverse et à faire régresser les efforts. Il y arriverait, mais à sa vitesse et en son temps - la motivation pour y parvenir ne bougeait pas pendant ce temps là, ce n’était vraiment pas ce critère là qui était à remettre en cause. C’était uniquement qu’il avait du mal à prendre confiance en lui et que cela ne se faisait voir que s’il avait toute la place et les libertés qui pouvaient lui être données à portée de main. « Donc t’as rien à me dire pour le moment ? » Idem, ce n’était pas non plus ce qu’il disait, puisqu’il en avait des choses à dire et à préciser, à pointer du doigt et à exploiter davantage. Damon n’arrivait cependant pas encore à savoir où s’arrêtaient ses limites, où commençaient celles de Wyatt et ce qu’il pouvait se permettre en tant que support dans cette aventure. Parce-que si l’auteur à ses côtés voulaient qu’ils discutent du personnage principal et de la façon dont ce dernier était dépeint à travers les lignes écrites par Parker, ils pouvaient sans soucis; tant qu’il pouvait apporter des éléments de sa propre expérience, Damon avait des choses à dire. Il savait tout autant qu’Elias ce que c’était de se retrouver sous le courroux de son père et de vouloir s’en extirper. Le personnage ici avait un peu plus d’ardeur qu’il n’en avait jamais eu lui, mais ce n’était pas pour autant qu’il ne le comprenait pas.

A ses yeux, ce n’était de toutes façons pas cette partie là qui péchait, mais plutôt tout ce qui touchait au ressenti d’Elias à travers cette situation. « Tu veux dire… Mieux retranscrire la pression qui tombe sur les épaules d’Elias ? Tu crois qu’il faudrait changer la profession de son père ? » Wyatt avait de nouveau pris place face à lui et semblait bien plus calme dans sa façon de parler qu’il avait pu l’être depuis que Williams était arrivé sur place. Peut-être était-il réellement intéressé parce-qu’il avait à dire - peut-être désirait-il trouver un moyen de lui souligner le plus rapidement possible que ses idées étaient ridicules, de faire en sorte que Damon s’en rende compte par lui même aussi vite que possible. Il était déjà couleur coulis de tomate sous le soleil italien, cela ne pouvait pas être pire… sauf si Wyatt prenait la pente qu’il redoutait. Il fit des efforts considérables pour ne pas se concentrer sur tout ce que ses émotions lui indiquaient en cet instant, exercice des plus compliqués pour lui. Il secoua alors quelque peu la tête. « Le métier du père importe pas. Ca changerait pas le reste. » Il pinça ses lèvres; le reste, c’était tout ce qu’Elias pouvait ressentir face à ce qui lui était imposé. « Comme ? » Il retint un soupire. « Comme parler de ce que lui fait ressentir son père, mais pas que par rapport à son métier. » Son regard n’osait plus accrocher celui de Wyatt tant il avait l’impression qu’il allait être tant simple pour lui par la suite d’y voir que c’était là uniquement des suggestions basées sur ce qu’il pouvait lui ressentir.

« Est-ce que tu veux que je te laisse carte blanche ? T’arriverais mieux à me faire un paragraphe ou je dois continuer à te harceler de questions ? » La question - proposition, même - de Parker le décontenança un instant, lui faisait foncer les sourcils, remettre un peu tous ses choix en question aussi par la même occasion. Pourquoi en venir à lui donner carte blanche ? Il remettait tant en permanence en question ce qu’il produisait à l’écrit qu’il ne s’était pas dit que dans leur collaboration un peu particulière, Wyatt pourrait avoir envie de lire quelque-chose de moins cadré à travers ses mots. Mais sa question était légitime: Damon avait ouvert une porte mais refusait d’allumer la lumière, ce qui n’était pas juste - le comportement en réponse à ça de l’homme à ses côtés était nécessaire et justifié. « Désolé. » Bien sur qu’il s’excusait. « Tu tiens quelque chose et tu as éveillé ma curiosité, je vais pas te lâcher gamin. » Il l’aperçut - du coin de l’oeil certes, car il n’arrivait pas à relever complètement son regard vers lui - le sourire de Wyatt; il lui soulignait qu’il n’était pas contre lui dans l’histoire et c’était là encore quelque-chose de presque inédit pour lui. « C’est comme tu le sens. Sinon on reprend cette première rencontre avec le journaliste. Pour le moment. » Après un nouveau moment de silence de sa part, les joues de l’italien commencèrent à reprendre une couleur plus naturelle et ses pensées se remettaient quelque peu en ordre. « Je peux te faire un paragraphe comme j’aurais vu la scène. Pas pour la rencontre avec le journaliste, mais pour l’autre partie où Elias fait face à son père. Et je te l’envoie ce soir quand je rentre chez moi ? » De toutes façons pour aujourd’hui, il ne saurait faire plus: il n’était pas dupe et se connaissait assez pour connaitre ses limites. Qui plus était: il ne voulait pas être aux côtés de Wyatt lorsqu’il lirait ce qu’il pensait des ressentis du personnage dans la situation, alors qu’une grande partie de ces derniers seraient les siens dans les grandes lignes. « Et on bosse sur la rencontre avec le journaliste aujourd’hui ? » Comme ça, ils pouvaient continuer à avancer, lui n’avait pas envie de partir en courant pour s’enterrer loin d’ici et Wyatt n’aurait pas envie de le voir partir rapidement en courant non plus; c’était un entre-deux, un compromis. Ce n’était pas parfait, mais ça leur permettait de continuer la séance du jour sans que Damon ne vienne tout gâcher par ses émotions trop présentes et trop portées sur la réalité qu’ils tentaient à deux de dépeindre à travers les mots. Le jeune italien reprenait de toutes façons déjà les feuilles dont il était mention, les dialogues entre le journaliste et Elias sous ses yeux, accrochant au passage un crayon et s’en servant pour souligner ce qui, à ses yeux, méritait d’être reformulé.

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Aussi étrange que cela semble être pour Damon, je suis sincèrement intéressée par tout ce qu’il a à dire. Ce n’est pas la première fois que je remarque son envie de développer une idée et, pour une fois, je n’ai pas l’intention de le lâcher. Je voudrais pouvoir comprendre ce qui se cache derrière son opinion. Je vois bien qu’il tient quelque chose et qu’il hésite simplement à partager. « Le métier du père importe pas. Ça changerait pas le reste. » Le reste c’est toute la relation non développée avec le paternel. Tout ce que j’ai hésité à mettre en lumière depuis le début. « Comme parlé de ce que lui fait ressentir son père, mais pas que par rapport à son métier. » S’il pouvait disparaître dans un trou, je pense qu’il n’hésiterait pas une seule seconde, alors que son opinion est véritablement intéressante. Il tient quelque chose qui pourrait réellement donner une nouvelle dimension à mon histoire, mais je ne me vois pas non plus lui tirer les vers du nez durant des heures. « J’ai absolument rien contre l’idée de développer la relation d’Elias avec son père. » Bien entendu, il faudra que cela donne une certaine profondeur à l’histoire, mais je ne doute pas que l’on puisse trouver un lien qui fera sens.

Mon souhait n’est pas de le braquer, bien au contraire. Je voudrais que Damon puisse réaliser que je lui fais confiance, que notre association se veut d’être à double sens. Je ne dis pas que tout ce qu’il écrira sera publié comme tel, mais je ne suis pas fermé à ce qu’il puisse proposer des choses, bien au contraire. Je veux voir ce qu’il a dans le bide ce gamin. « Je peux te faire un paragraphe comme j’aurais vu la scène. Pas pour la rencontre avec le journaliste, mais pour l’autre partie où Elias fait face à son père. Et je te l’envoie ce soir quand je rentre chez moi ? » Voilà. C’est ce que je voulais entendre. Je lui adresse un sourire en hochant la tête. « Ça me va. » Et je reprends mes quelques feuilles. « Même si c’est dans quelques jours, ça me convient aussi. » Je ne veux pas qu’il se précipite, j’ai envie qu’il me présente quelque chose qu’il aura pris le temps de laisser mûrir. « Et on bosse sur la rencontre avec le journaliste aujourd’hui ? » Une nouvelle fois, je hoche la tête. « Parfait. » Je reprends mon ordinateur, déterminer à me mettre à la page malgré tout. Je préférerais toujours écrire sur papier, mais Jules va me tuer si je lui amène que des pages volantes. « Je vais déjà reprendre ça. » Je lui montre les pages sur lesquelles on s’était mis d’accord. « Et on peut discuter de ce que l’on peut améliorer. » C’est toujours plus aisé lorsque l’on démarre la conversation comme si ce n’était qu’un simple échange, les idées me viennent bien plus facilement dans cette configuration. Je l’observe souligner quelques phrases et lance la conversation sans lui mettre la pression. « Je voudrais juste que certaines phrases aient un peu plus de mordant, tu vois ? » Et on était parti pour quelques heures rien qu’avec cela. Ce n’était que le début, c’était un peu bancal parfois, mais je sentais bien que j’allais pouvoir tirer quelque chose de cette collaboration. Même s’il est encore timide, je sais que mon choix fut le bon, il suffisait désormais de se faire confiance.