(bayside → emerald hotel) Il est extatique. Evidemment qu’il l’est. Comment ne pas ressentir une profonde joie et fierté lorsqu’on vient vous annoncer qu’un livre retraçant votre vie a attiré l'œil et s’apprête à être adapté au cinéma ? Il n’y a pas d’entre-deux ou de juste milieu dans une telle situation: l’ego de Rhett a du mal à tenir en place et plus aucun contenant n’est assez grand pour l’y ranger. Sa vie intéresse au point de la diffuser dans les salles de cinéma du monde entier, voilà tout ce qu’il y a à retenir de cette histoire, et voilà tout ce qu’il a eu envie de retenir, n’en ayant pas grand chose à faire de sa part de royalties ou des papiers à signer. On lui a dit que ce serait pire après, il s’est dit un instant qu’il devrait peut-être demander conseil à Evelyn au moment de signer puisqu’elle s’y connaît bien mieux que lui. Mais la seconde d’après, déjà, il se plaisait à rêver tapis rouges et festivals pour présenter le film, loin du centre de cure Suisse, loin du jugement dans le regard de sa famille et de ses proches.

Aujourd’hui, le producteur a tenu à ce qu’il rencontre le casting. Ou tout du moins, le premier et seul personnage casté à l’heure actuelle: lui-même. Pour que l’avis ait été aussi unanime, Rhett pense déjà que l’homme en question est son portrait craché et déjà une grande star du cinéma, le genre de personne qu’on ne recale pas lors d’un test écran - a-t-il même eu un test écran ? Sûrement pas, non. La curiosité de l’ancien sportif est à son comble, lui qui n’a aucune idée de comment fonctionne la création d’un film et qui a pourtant à coeur d’aider, non sur tout l’aspect pratique mais au moins sur ce qui sera relatif au rugby. Il n’en oubliera jamais les règles ni même la façon de jouer, et il peut au moins s’assurer que tout soit rendu crédible derrière la caméra. Outre mesure, il sait qu’il ne sera pas une présence gênante sur le plateau, sans doute parce qu’il sait aussi qu’il ne sera justement pas toujours sur le plateau, véritable enfant lassé rapidement. Les choix scénaristiques réécriront sans doute certaines parties de sa vie qu’il n’a pas à cœur de voir jouées d’une autre façon, et d’autres qui resteront fidèles à la réalité sans que cela ne lui procure aucune joie. Ce seront sans doute des questions et appréhensions pour le Rhett d’un futur proche, celui du présent poussant simplement la porte de la salle de réunion dans le but de rencontrer son alter ego d’un autre monde.

Et pourtant, alors qu’on lui avait dit qu’il serait déjà présent, ce n’est que l’assistante qui semble se trouver là, à discuter avec le producteur, lequel annonce rapidement les laisser après avoir rencontré le regard de Garrett. Ce dernier observe la scène sans rien dire, la trouvant étrange sans pour autant être capable de mettre un mot sur la situation, ou même sur ce petit quelque chose qui rend l’ambiance pesante. Mais il est de bonne foi et il le jure, comme le prouve sa tentative de ne pas laisser un silence trop grand s’installer, raison pour laquelle il reprend. “Vous êtes l’assistante de qui, au juste ?” Et sans doute que tout était bien plus poli dans son esprit, alors qu’il jure faire simplement l’effort de s’intéresser à elle et à sa vie. Peut-être qu’il aurait dû commencer plus simplement et lui demander son prénom plutôt que de déjà l’imaginer assistante de.

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Megan Williams & @Rhett Hartfield ☆ crédit/ssoveia

C’est certainement une idée de merde. Joséphine ne l’a pas dit, mais Joséphine le pense certainement, Charlie ne connait pas toute l’histoire et Damon… Et bien Damon est Damon, je suppose qu’il me soutiendra quoi que j’entreprenne. La pilule Scott a certainement du mal à passer, mais il n’a pas le moindre souci à se faire : je méprise mon ex-amant. Je le vois enfin tel qu’il est et je vois aussi notre "relation" telle qu’elle était : un divertissement pour un homme marié qui s’ennuyait, vouée à flatter son égo et assouvir ses besoins et fantasmes. Moi, je ne comptais pas à ses yeux ou, plutôt, je comptais autant que n’importe quelle autre possession. J’étais comme la montre hors de prix qu’il affichait à son poignet, comme la voiture puissante que certains achètent lorsque vient la crise de la quarantaine, comme les stylos Mont Blanc et la ville avec piscine : une possession qui lui donnait l’air d’être important, désirable, sûrement plus jeune et encore rempli de vigueur. J’étais la jolie maîtresse, la bombe au bras de laquelle il adorait s’accrochait quand bien même il ne pouvait pas réellement le faire en public. Il ne compte plus, donc. Plus depuis que j’ai pris la décision de le sortir de ma vie, d’arrêter d’être utilisée, et certainement plus depuis que Damon m’a ouvert son cœur et que nous avons entamé une relation. Puis Damon m’aime, il me l’a dit. Et personne ne m’avait aimée avant.

Mais Scott a des relations, Scott a un métier tape à l’œil et moi, et bien je tiens Scott par les bijoux de famille. Je n’ai jamais conservé les preuves de notre liaison pour le faire chanter. Mais puisqu’elles sont là, et bien autant qu’elles servent non ? C’est pas un ancien contact, un "indic" que j’ai appris que la biographie à succès de Rhett Hartfield, best-seller de ce début d’année, allait être adapté au cinéma. Mon contact s’est dit que cela intéresserait la paparazzi en moi. C’était faux mais, en revanche, la femme au foyer désœuvrée et bien trop jeune pour accepter ce statut l’a été. Dès que j’ai appris l’identité du réalisateur pressenti, j’y ai vu une chance de briller. Le faire chanter n’a guère été compliqué : Scott tient trop à Anouch pour risquer de la perdre. Et puisque la seule façon de garder sa femme à ses côtés était de céder à mes demandes, il l’a fait. Lorsqu’il a tenté de me reléguer au second plan et de me confier un rôle mineur, je lui tenu tête en lui disant que je voulais être la star de son film ou rien d’autre. A partir de là, il a été inventif : il n’avait pas réellement le choix.

Bien sûr, les producteurs m’adorent. Ils m’adorent parce que je suis jolie, solaire et sociable. Ils m’adorent parce que j’ai un physique à crever l’écran. Parce que je suis fantasme sur pattes, je sais qu’ils le pensent, même s’ils ne le formulent pas comme ça. Alors ils ont cédé aux modifications conseillées par mon ancien amant. Rhett Hartfield sera une femme, et il n’a pas réellement le choix. Il passe d’ailleurs la porte alors que je suis en grande conversation avec le producteur du film, un cinquantenaire qui louche sur mon décolleté. Il n’oublie pas de poser une main sur mon bras pour me saluer avant de prendre congé mais j’y suis habituée : depuis que je suis devenue femme ou que j’en ai l’apparence, les hommes de traitent presque tous de la même façon. Hartfield m’aborde avec une suffisance dégoulinante. « Vous êtes l’assistante de qui, au juste ? » Je ne me démords pas de mon sourire. « De personne. » Jusque-là, son attitude ne me déstabilise pas parce que j’y suis habituée, à ça aussi. « Ils sont vaches de m’avoir laissé la surprise. » Ce que j’entends là, c’est que personne n’a dit à l’ancien rugbyman qu’il serait joué par une femme, de toute évidence. « Megan Williams. C’est moi qui vous incarnerai à l’écran et je suis enchantée de faire votre connaissance. » Avec toujours un sourire chaleureux sur les lèvres, je tends une main dans sa direction.

« De personne. » Et puisqu’elle n’est l’assistante de personne, il part du principe qu’elle est donc la stagiaire, puisque seul un choix binaire s’offre à lui. Elle est jeune, alors cela résume tout le reste: elle ne peut pas être un grand nom dans ce milieu. Ce n’est pas qu’il pense que c’est impossible, seulement que ce n’est pas la possibilité la plus évidente à ses yeux, ni même une qu’il peut sérieusement envisager. « Ils sont vaches de m’avoir laissé la surprise. » Le genre particulier de café qu’elle s’apprête à leur servir toute la journée, peut-être. Il la regarde avec curiosité, incapable de deviner les bases de sa remarque, se disant déjà qu’elle ne parle sans doute pas à lui. Son regard parcourt la pièce à la recherche d’une autre paire d’yeux à accrocher pour s’évader de cette discussion qu’il ne comprend pas et, de toute évidence, qu’il n’a pas envie d’avoir.

La jeune femme semble aspirer à une discussion toute différente, cependant, et c’est un regard immensément étonné qu’il repose sur sa silhouette. « Megan Williams. C’est moi qui vous incarnerai à l’écran et je suis enchantée de faire votre connaissance. » Il répond à sa main tendue par seule politesse mais ne peut s’empêcher de se montrer suspicieux, la consternation faisant rapidement place à l’amusement alors qu’il émet un rire bref. “Qui a eu l’idée de la blague ? Joseph ? Andrea ? Toi-même ?” Sa main relâche la sienne après une poignée réglementaire et il plonge ses mains de ses poches, faisant face à la petite blonde avec une certaine empathie. Cette blague représente sans doute l’apex de sa journée, après tout, alors il ne peut pas lui en vouloir de trop. Son sourire est assuré, il essaie de se montrer un brin paternaliste peut-être, ou avenant au minimum. Il n’en sait trop rien, mais il jure qu’il essaie et il fait du mieux qu’il peut. Son regard la détaille alors qu’il ne voit en elle qu’une enfant, ce qui ne l’empêche pas de pouvoir nourrir de grandes ambitions. Grand bien lui fasse, sans doute. Deux décennies plus tôt, il nourrissait ce même genre de rêves, et cela a fini par payer. “Sans vouloir te vexer, on est loin d’avoir le même physique.” Parce qu’elle est une femme, déjà, de toute évidence, mais aussi parce qu’elle n’a rien d’une rugbyman. Rhett lui-même est déjà considéré comme un poids léger dans ce milieu, raison pour laquelle il a été le numéro neuf toute sa carrière, mais en ce qui concerne Megan Williams, elle se serait littéralement fait marcher dessus dans des conditions réelles. “Mais je salue l’effort, c’est au moins une blague que j’aurais pas pu anticiper.” Cela prouve bien qu’elle s’y connaît dans le milieu, non ? Pour savoir quelle genre de blague faire sans que personne ne s’y attende, il faut au moins ça. Après tout, qui aurait pu prévoir qu’une jeune femme ayant tout pour faire la couverture de Playboy pourrait jouer son rôle dans un film au cinéma. C’est parfaitement stupide, tout autant que c’est impossible.

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Megan Williams & @Rhett Hartfield ☆ crédit/ssoveia

Je n’ai pas lu le livre. Qui se donne la peine de lire la biographie d’un joueur de rugby qui s’imagine assez important pour l’histoire ou assez intéressant qu’il juge qu’il est nécessaire que tout le monde se souvienne de lui et qui fait écrire un livre pour ce faire ? Rhett Hartfield et sa biographie ne sont qu’une occasion, une opportunité que j’ai saisie pas parce que je suis l’une de ses plus grandes fans, mais parce que je m’ennuie, que je suis en manque de reconnaissance et de sensation et que pourrir la vie de Scott est la cerise sur le gâteau. Pour une raison que je ne m’explique pas, j’ai entendu dire du livre que c’était un succès mondial et c’est tout ce que j’ai besoin de savoir. Du reste, je m’attendais à me trouver face à un bellâtre, et je me trouve face à un bellâtre. Il est assez séduisant pour que cela explique au moins une partie du phénomène, je suppose.  

A choisir, j’aurais préféré qu’il soit au courant de ce dans quoi il s’embarquait. Bien sûr, on me l’a affirmé à plusieurs reprises, le blond n’a pas le moindre pouvoir décisionnaire. Ceux qui devaient donner leur accord l’ont fait, je suppose que mon ex a écouté mon conseil : être créatif s’il voulait conserver son mariage intact. « Qui a eu l’idée de la blague ? Joseph ? Andrea ? Toi-même ? » J’ignore à quels visages ou poste appartiennent ces prénoms mais, comptant sur mon naturel avenant et mon immense sourire chaleureux pour ne pas me laisser désarçonner je secoue la tête. « J’ai pas la moindre idée de qui sont ces gens. Pour l’instant, Scott ne m’a présentée qu’aux producteurs. » Il appelle les gens par leur prénom, il n’y aura rien de suspect à ce que je fasse la même chose. « Sans vouloir te vexer, on est loin d’avoir le même physique. » Mon sourire se transforme en doux rire et, au terme d’une grimace amusée, je hausse les épaules. « Je suis… Blonde ? C’est déjà ça. » Je plisse le nez avant de retrouver mon sourire. « Je suis un entrainement assez exigeant depuis l’instant où on a su que j’avais obtenu le rôle. Le coach du tournage me laisse pas une minute de répit.  » C’est vrai, au demeurant. Pendant que Damon est au boulot, j’ai le droit à un programme et à un accompagnement sur mesure pour être le plus crédible dans le rôle du jeune homme. J’ai toujours fait du sport, mais là, c’est une toute autre dimension. « Mais je salue l’effort, c’est au moins une blague que j’aurais pas pu anticiper. » Je reste silencieuse un moment, cherchant comment lui faire comprendre que rien de ce ci n’est fait dans le but de le faire tourner en bourrique, qu’il n’y a pas de caméra cachée et qu’il a bel et bien face à lui la star du film qui adaptera librement son autobiographie. « Scott et les deux producteurs ont jugé que l’histoire toucherait plus de monde si elle était vécue au travers des yeux d’une femme. » C’est ce qu’on m’a dit, je ne connais pas l’histoire en question. « Que ça permettrait de montrer plus de vulnérabilité et de fragilité à l’écran. » Peut-être aurais-je du me pencher sur la réputation de Rhett Hartfield. La plupart de ses fraques ne sont devenues publiques qu’après que je raccroche mes gants de paparazzi et, à l’instant où je l’ai fait, j’ai cessé de m’intéresser à la vie des célébrités quelle qu’elles soient. « Je… Je pensais qu’on vous l’aurait dit. Pas mal de jeunes actrices voulaient ce rôle, je suis vraiment honorée de l’avoir décroché. » Ca, ce sont de toutes évidences des foutaises puisqu’aucune autre femme n’a bien évidemment été castée.

C’est une blague. Cela ne peut être qu’une blague, de toute façon, puisque toute l’immensité de la plaisanterie ne fait pas aucun sens: on ne peut pas confier à une gamine la rôle d’une vie de Rhett. Non pas qu’il s’attendait à retrouver une star internationale à être appelée par son prénom devant les caméras, mais il s’attendait au moins à ce que la personne soit genrée au masculin. Ce n’était pas même une demande, mais bien une nécessité. Il est un homme sans la moindre contestation ou questionnement outre mesure ; il aurait dû en être de même pour son acteur. « J’ai pas la moindre idée de qui sont ces gens. Pour l’instant, Scott ne m’a présentée qu’aux producteurs. » Déjà, la blague ne l’amuse plus et il n’aime pas l’idée qu’elle continue de marquer sa position bien qu’il lui a déjà dit avoir découvert le pot aux roses. « Je suis… Blonde ? C’est déjà ça. » Est-ce qu’elle pense que la teinte brune de ses cheveux est une coloration, au juste ? Oh, elle n’a pas intérêt à penser qu’il cache des cheveux gris, elle le lui pardonnerait encore moins que l’idée de le penser blond.

Malgré les remarques et autres reproches, de Rhett, la jeune femme ne se laisse pas démonter, et peut-être qu’il salue au moins son caractère. A défaut de le faire avec quoi que ce soit d’autre. « Je suis un entrainement assez exigeant depuis l’instant où on a su que j’avais obtenu le rôle. Le coach du tournage me laisse pas une minute de répit.  » Elle n’a pas la carrure d’un rugbyman et cela ne changera pas, peu importe son entraînement. Elle ne gagnera pas les centimètres qui lui manquent et elle ne bernera pas qui que ce soit, bien plus ressemblante à une bimbo qu’à une sportive. Il ne juge pas, ou du moins il ne pense pas le faire: Rhett se contente d’observer franchement la silhouette qui se tient devant lui, et il ne retrouve rien de semblable à ses anciennes collègues du genre féminin. La supercherie est pathétique, et même son entraîneur doit en être conscient. “Cela ne fera pas de miracle.” Il souffle simplement. Le brun n’a pas vocation à être cassant mais lui qui n’a jamais été doué pour faire dans la dentelle ne saurait faire exception en cet instant. « Scott et les deux producteurs ont jugé que l’histoire toucherait plus de monde si elle était vécue au travers des yeux d’une femme. Que ça permettrait de montrer plus de vulnérabilité et de fragilité à l’écran. » Rhett commence peu à peu à s’énerver, son rire nerveux étant une première étape alors que sa position flanche et que ses muscles se détendent, pour mieux brièvement lever les bras en l’air en signe d’exaspération. Quelle connerie. Voilà ce qu’il en pense. Il est pour l’égalité des sexes et tout ce qui s’ensuit, mais il est contre l’idée de le remplacer par une femme à cause de la première excuse à la con venue, voilà tout. “Tu vas vomir des putains de paillettes pour l’overdose ? Et tomber gracieusement après le choc de l’accident ?” Et il ne parle même pas du terrain. Ils n’ont pas intérêt à lui mettre un maillot rose, ou à changer le numéro neuf pour n’importe quel autre nombre ayant une signification à la con dans un pays ou une croyance à la con. L’histoire a déjà été écrite, ils n’ont pas le droit de la changer pour faire ce qui leur plaît. “Ils ont de la merde dans les yeux, si tu veux mon avis.” Elle ne le veut sûrement pas, mais il n’en a plus rien à faire, au point où il en est. Il n’est pas en colère contre la jeune femme face à lui qui s’est sans doute contentée de saisir une opportunité, mais elle lui sert de catalyseur.

« Je… Je pensais qu’on vous l’aurait dit. Pas mal de jeunes actrices voulaient ce rôle, je suis vraiment honorée de l’avoir décroché. » Tout dans son visage traduit un meh prouvant qu’il ne risque pas de changer d’avis avant un moment au sujet de toute la bêtise entourant le casting de sa propre personne pour l’autobiographie. “C’est pas à toi que j’en veux, Megan.” Elle a l’air désolée et il la croit, et puisqu’elle semble avoir l’âge de Margot il se sent un peu plus concerné par sa détresse qu’il ne l’aurait été en temps normal. Il n’a pas à coeur de blesser qui que ce soit, mais il avait cependant à cœur de flatter son ego. “Dis moi au moins qu’ils comptent caster un homme pour Jenna, du coup ?” Manquerait plus qu’on lui colle une romance LGBTQ+ pour contenter davantage encore les foules et ce serait assuré que Rhett finirait à l’hôpital avec un sérieux stress à gérer - ce qui, au moins, changerait des overdoses et des bagarres ayant mal tournées.

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Megan Williams & @Rhett Hartfield ☆ crédit/ssoveia

« Cela ne fera pas de miracle. » Mon ego en prend un coup, mais je suppose que le sien est celui qui souffre le plus de cette rencontre. Il me couve d’un regard qui en dit long sur ce qu’il m’estime capable d’être crédible dans son rôle, et peut-être même pas uniquement parce que je suis une femme. « Ouais et bien, Maria Sharapova était pas disponible, il paraît. » Maria Sharapova n’aurait certainement pas été contactée de toute façon, je doute que Scott couche avec elle. Certes, elle est bien plus proche de son âge que moi, mais n’est-ce pas ce qu’il recherchait à mes côtés, jeunesse et volupté ? Et bien c’est ce à quoi le film aura droit également et Rhett peut s’estimer heureux : je suis au moins une sportive. « Je suis sportive. » Je ne rajouterai pas que je n’ai pas l’air : que croît-il ? Est-il comme tous ces hommes qui, parce qu’il leur pousse des abdos dès qu’il se rendent une fois à la salle, pendant que toutes les femmes me ressemblent sans avoir à fournir le moindre effort ? « Et je suis pas idiote. » Jouer au rugby, ou en tout cas être assez convaincante pour laisser penser que je joue parfaitement, cela n’a pas l’air de demander un diplôme d’ingénieur non plus. « On dit jouer la comédie pour une raison. » Et puisque j’ai toujours été plutôt douée dans ce domaine-là, il n’y a pas de raison de douter de mon talent une fois devant les caméras et projecteurs, non ?

« Tu vas vomir des putains de paillettes pour l’overdose ? Et tomber gracieusement après le choc de l’accident ? » L’overdose. Mon visage se ferme, et mon esprit également à la mention de ce passage de l’histoire de Rhett Hartfield que je ne connais visiblement pas. J’aurais dû lire ce putain de livre, voilà ce que je me dis. Il est encore temps d’en discuter avec Scott ou les scénaristes, des coupes doivent-être possible dans l’œuvre, elle ne peut pas être aussi connue que ça juste parce qu’elle raconte l’histoire d’un toxico, non ? De toute façon, il n’est pas décisionnaire alors je n'ai pas à en débattre avec lui. « Je sais ce qu’est une putain d’overdose. » Je respire par le nez en m’imposant de garder mon calme pour ne pas dévoiler à l’ancienne star du ballon ovale qu’il vient de mettre le doigt sur l’une de mes failles. « Ils ont de la merde dans les yeux, si tu veux mon avis. » Je lève les deux sourcils, visée par ce genre de remarque pour ce qui est la première fois de ma vie. On ne parle pas des filles qui me ressemblent dans ces termes-là, généralement. « Il y a des femmes qui jouent à votre niveau vous savez. » Et des femmes à un niveau bien plus avancé que le sien, je me retiens d’ajouter. De ce que j’en sais – peu donc – il n’est qu’une star déchue suite à une blessure survenue trop tôt dans sa carrière. Loin de moi l’idée de lui servir des conneries féministes, il demandera des comptes à la production s’il a du temps à perdre.

« C’est pas à toi que j’en veux, Megan. » S’il connaissait les dessous de cette histoire, il le ferait. Mais je ne suis pas arrivée à décrocher ce rôle en ignorant comme faire pour avoir l’air parfaitement candide et innocente. « Dis-moi au moins qu’ils comptent caster un homme pour Jenna, du coup ? » Je hoche la tête. Il n’était pas question de modifier les choses plus que ce que je l’exigeais pour Scott, de toute façon. « Oui, j’ai entendu parler de Micah Tomlinson. » Avec lequel je n’ai encore pas échangé, soucieuse de ne pas compromettre ma place si toutefois mon implication était censée rester secrète encore quelques temps. « Je ne sais pas s’il a répondu. Mais c’est le premier choix je crois. » Pour l’instant, je sais pas grand-chose de plus. J’ai mis toute l’équipe en branle-bas de combat avec mon intervention, ils agissent dans l’urgence et cherchent à pallier à ce qu’ils prennent pour une lubie de mon ancien amant.

« Ouais et bien, Maria Sharapova était pas disponible, il paraît. » Maria Sharapova non plus n’aurait pu faire aucun miracle. Rhett est un homme et il attend donc un homme pour le représenter dans sa biographie. Cela ne semble pourtant couler de source que pour lui, malheureusement, et il se demande si le reste du monde est stupide ou bien s’ils continuent de lui faire la blague d’une caméra cachée qui n’a que bien trop durée. « Je suis sportive. » Elle ne fait que se répéter sans que cela puisse chasser les doutes de l’esprit de Rhett. Elle a l’allure d’une mannequin, pas d’une joueuse de rugby, et ce n’est pas parce qu’elle fait quelques squats par semaine qu’elle pourrait berner l’audience. « Et je suis pas idiote. On dit jouer la comédie pour une raison. » - « Hm, hm. » Elle n’est pas un homme, pas assez taillé pour le rugby non plus, et beaucoup trop jeune, alors oui, en effet, il espère au moins qu’elle est une bonne actrice parce que cela représente la seule corde restante à son arc. Cette dernière a intérêt à être solide, bon sang.

« Je sais ce qu’est une putain d’overdose. »
« Evidemment, oui. »

Elle est sportive, elle n’est pas idiote et elle sait même ce qu’est une overdose. Serait-elle finalement le parfait choix pour ce rôle ? L’ironie s’entend parfaitement au travers des mots de Rhett, lequel ne prend même pas la peine de feindre être de son côté. Elle est bien trop lisse et parfaite pour savoir à quoi ressemble une overdose. « Il y a des femmes qui jouent à votre niveau vous savez. » Il ne remet pas en question la capacité du sexe opposé à jouer au rugby et est agacé qu’elle tente de l’attaquer sur ce terrain là. Il est borné mais a très bien vécu le passage aux vingt-et-unième siècle et l’évolution des mœurs. « Je remets pas en question la capacité des femmes à jouer au rugby, seulement la tienne. » Il aurait pu trouver une alternative moins blessante pour préciser ses pensées mais il ne juge pas avoir de temps à perdre avec des pincettes.

Mais finalement, il prend sur lui pour ne pas se montrer davantage désagréable. Megan n’est pas celle qui doit recevoir sa colère, il le sait bien. Elle est une actrice qui a besoin d’un travail et elle a profité de répondre oui lorsque cette offre lui est parvenue. Il en aurait fait de même, si les rôles avaient été échangés et qu’il avait eu à jouer le rôle d’une femme pour tout de même recevoir un beau cachet. Dans une tentative maladroite de se rattraper, et surtout de savoir un peu mieux à quoi s’attendre, il demande ce qu’il en est du reste du casting et notamment de celui de Jenna. « Oui, j’ai entendu parler de Micah Tomlinson. Je ne sais pas s’il a répondu. Mais c’est le premier choix je crois. » Il hoche la tête, le nom lui rappelant effectivement un visage connu. En réalité, il est surtout rassuré que ce soit bel et bien un homme et qu’ils n’aient pas eu pour idée de se montrer trop ouvert d’esprit au sujet de son film. D’un hochement de tête, il la remercie de lui avoir partagé cette information, même si elle n’est pas certaine de la finalité. « Tu veux mon numéro ? Je sais pas comment tu prépares un rôle, ou si c’est un terme que vous employez juste pour les interviews mais… au cas où. » Si elle a des questions à lui poser, des zones d’ombre à éclaircir, ou même des questions pratiques sur le rugby, il pourra toujours lui répondre. Il en profitera pour s’excuser de son attitude au passage, aussi.

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Megan Williams & @Rhett Hartfield ☆ crédit/ssoveia

« Evidemment, oui. » Il ne me croit pas et si j’étais rationnelle et réfléchissais en oubliant l’agacement qu’il provoque chez moi, j’en serais satisfaite. Je n’ai pas l’air de quelqu’un qui sait ce qu’est une putain d’overdose parce que j’ai passé ma vie entière à tenter de m’extraire de ma condition et à devenir quelqu’un d’autre. Je n’ai pas l’air de savoir ce que c’est qu’une overdose, parce que j’ai passé ma vie à ressembler à une femme bien trop belle, classe et bien trop lisse pour savoir ce qu’est une overdose. Objectif atteint, donc. De toute façon, que je régurgite le contenu de mon estomac ou des paillettes sera un choix de Scott, alors le bellâtre peut bien penser ce qu’il veut. « Je remets pas en question la capacité des femmes à jouer au rugby, seulement la tienne. » - « Bon c’est bon, t’as fini de pleurnicher parce que t’aurais préféré que Schwarzenegger joue ton rôle plutôt qu’une fille ? » Je lève les yeux au ciel, pas touchée dans mon orgueil non, mais agacée d’entendre un homme adulte – je risquerais même mature – se plaigne comme une adolescente de quinze ans. Il a vendu ses droits à la production, il n’est ici qu’à titre honorifique et ce n’est pas comme si le réalisateur du film pouvait écouter ses plaintes et prendre en compte son opinion. Scott est pieds et poings liés, même si je suis la seule à en avoir conscience.

« Tu veux mon numéro ? Je sais pas comment tu prépares un rôle, ou si c’est un terme que vous employez juste pour les interviews mais… au cas où. » Il se radoucit de façon perceptible et si j’ignore ce qui est à l’origine de ce changement d’attitude, je le remercie silencieusement. J’ai beau m’être engagée là-dedans uniquement pour des mauvaises raisons, j’ai malgré tout à cœur de bien faire les choses, ou du mieux que je peux. Et je suis persuadée que je peux au moins être crédible et sembler authentique, même si je ne suis pas née avec le bon genre à la naissance. « Oui, bien sûr. » Je me retiens de lui préciser que je ne sais pas plus que lui comment on prépare un rôle puisqu’il s’agit également d’une première pour moi. Plus tard, chaque information en son temps. J’ai dit "jeune actrice" mais il ne se doute certainement pas que ma carrière ne comporte pas la moindre petite intervention dans une publicité ridicule. Rien ; je ne sais pas jouer la comédie. « Je vais avoir besoin de passer un peu de temps avec toi, pour te poser des questions. » Je lui dit ce qu’il semble vouloir entendre, que j’ai l’intention de préparer ce rôle, mais ça n’en reste pas moins vrai. « J’ai lu le script. Pas encore le roman, mais je prévois de le faire, et je pense qu’à ce moment-là, j’aurais besoin de comprendre tes motivations, d’aller un peu plus loin que ce qu’il y a écrit dans le bouquin pour pouvoir être juste, tu vois ce que je veux dire ? » Je déverrouille mon téléphone et le lui tends pour qu’il puisse ajouter son contact dans mon répertoire. « J’ai pas vraiment d’agent, ou de publiciste. Je prendrai directement contact avec toi. » Sans intermédiaire, c’est peut-être le mieux.

rp terminé