J'appuie sur le bouton pour envoyer le SMS que je viens d'écrire à Kaecy avant de ranger mon téléphone dans la poche intérieure de ma veste. Dans mon message, je la préviens que j'arrive dans deux minutes et qu'elle a intérêt d'être toujours dans son bureau, alors que normalement elle est censée avoir terminée depuis cinq minutes. Mais je suis comme ça, je prends rarement rendez-vous avec elle et je me pointe quand bon me semble, en espérant qu'elle soit disponible pour moi. Kaecy et moi nous sommes rencontrés il y a un peu plus d'un mois, début septembre. J'avais alors rédigé la moitié de mon livre, et je commençais à chercher des éditeurs qui seraient intéressés par celui-ci. J'avoue avoir pensé que cela serait plus facile, que ma notoriété m'ouvrirait plus facilement certaines portes. Mais ça n'avait pas été le cas, et je n'avais reçu aucune réponse en retour. Excepté une, celle de Kaecy justement. Elle se disait intéressée par mon projet et souhaitait me rencontrer dans les plus brefs délais. Le lendemain, j'étais dans son bureau et nous avions passé presque toutes l'après-midi à discuter. En sortant de son bureau, je savais que c'était elle qu'il me fallait. Le feeling est tout de suite passé entre nous, la jeune femme dégage quelque chose de très chaleureux et de très doux. Sous certains aspects, j'ai l'impression de retrouver Emma en elle. Mais il n'y a aucune ambiguïté entre nous, j'ai de toute façon l'esprit et le cœur bien trop préoccupés par Gabriella pour me tourner vers d'autres femmes. Au cours de nos rendez-vous, l'éditrice est rapidement devenue mon soutient le plus important et même une amie. C'est la raison pour laquelle je me permets d'être si familier avec elle par SMS, ou encore de débarquer à cette heure-ci sur le lieu de son travail. D'ailleurs, j'arrive devant la porte de son bâtiment et y entre sans perdre plus de temps.
En me dirigeant vers son bureau, je passe devant un miroir qui me rappelle à quel point mon visage est encore amoché par cette soirée au gala, et à quel point aussi ce n'est rien à côté de ce à quoi je ressemblais à l'hôpital durant la nuit. Mon œil a dégonflé, ma lèvre n'est plus ouverte, ma pommette va mieux. Il ne me reste que des bleus et des égratignures, mais rien de très grave. J'espère juste que Kaecy ne va pas me faire subir un interrogatoire, je n'ai plus très envie de reparler de cet événement. D'ailleurs, c'est l'une des premières fois que je sors depuis. Mais j'avais envoyé un mail contenant la dernière version de mon histoire avant le gala, et il fallait que je vienne voir Kaecy pour savoir ce qu'elle en pense vu que madame ne répond pas à mon mail. Peut-être parce qu'il manque la fin, et qu'elle attendait que je me pointe à son bureau justement. En tout cas, venir ici me permet de voir un peu de monde et de me changer les idées, et c'est pas plus mal parce que ça commence à devenir dur de passer mes journées à broyer du noir. Enfin, j'arrive devant sa porte et toque par politesse avant d'entrer sans attendre son autorisation. De toute façon si elle a éteint son appareil auditif, je peux toquer pendant 20 minutes sans qu'elle ne le sache. C'est d'ailleurs arrivé une fois, enfin quelque chose de similaire. J'étais entré dans son bureau sans toquer et avais commencé à lui parler, sauf qu'elle me tournait le dos et prenais sa pause. Son appareil était éteint et j'avais parlé dans le vie pendant deux bonnes minutes avant de comprendre ce qu'il se passait. C'était plutôt drôle en fin de compte. Une fois entré, mon regard capte automatiquement le sien. Ravi de voir que tu es toujours là. J'avais vraiment peur de m'être déplacé pour rien. souris-je narquoisement. Je m'approche d'elle pour déposer un baiser sur sa joue en guise de salutations, puis je me laisse tomber sur le premier fauteuil que j'ai à portée de fesses. Un rapide coup d’œil me permet de voir que ses affaires ne sont pas encore rangées, signe qu'elle n'était pas en instance de départ. Encore des heures supp' hein ? Tu t'arrêtes jamais. Et je ne m'en plains pas puisque sans ça peut-être que nous ne travaillerions pas ensemble. Alors comme ça, on ne répond plus à mes mails ? finis-je par demander, l'air faussement vexé. Même si j'imagine qu'elle a une bonne raison, que j'ai hâte de connaître d'ailleurs.
« Vous savez que je ne peux pas tout deviner, tout inventer et tout écrire pour vous, monsieur Lopez ? Oui ? Alors quand vous m'appelez, la prochaine fois, faites en sorte de me présenter quelque-chose qui vaille mon temps. [...] Vous me trouvez dure ? Je sais. Mais rappelez vous que si vous venez à être publié, ce sera grâce à moi. Alors faites votre boulot, et laissez-moi m'occuper du mien. A la prochaine fois, monsieur Lopez. »
Appuyant nerveusement sur la touche du téléphone, Kaecy raccrocha. C'était toujours pareil, avec ce client là. Monsieur voulait absolument publier un nouveau livre, le premier ayant bien marché. Il avait une bonne plume aussi, il fallait le reconnaître. Cependant, il était tellement insupportable que plus personne ne voulait le publier. Sauf Kaecy, comme à chaque fois. Elle avait, contrairement à énormément d'éditeurs, une patience de fer ce qu'il faisait qu'elle arrivait à gérer les énergumènes comme monsieur Lopez. Et comme elle savait qu'il ne pouvait pas partir voir ailleurs, elle se permettait de remettre les points sur les i avec lui. Elle finit donc par soupirer, fermer les yeux et se caler dans le fond de son fauteuil de bureau pour retrouver son calme complet. Elle savait que ça ne servait à rien de s'énerver, et elle allait donc ne pas le faire. De toutes façons, elle n'aurait pas réellement eu le temps car son portable vibra quelques-secondes plus tard, lui annonçant l'arrivée d'un nouveau sms. Elle rouvrit donc les yeux, attrapant son téléphone. Le prénom de James s'afficha sur l'écran, et déjà un petit sourire commença à s'étirer sur son visage. Et ce sourire s'agrandit d'avantage lorsqu'elle eut lu le sms. James était, de base, un client comme un autre à qui elle voulait donner une chance. Et le courant étant bien passé entre eux, dès les premiers instants, elle pouvait maintenant même dire qu'ils étaient amis. Du moins, c'était le seul client à pouvoir lui dire qu'il arrivait dans deux minutes alors qu'elle était censée avoir débauché sans que ça la dérange. Il avait un statut particulier. En attendant que le jeune homme se pointe donc, Kaecy se permit de continuer les papiers qu'elle avait commencé avant de recevoir l'appel de monsieur Lopez. De toutes façons, James connaissait le chemin jusqu'à son bureau. Il apparut donc, presque comme par magie, quelques minutes plus tard comme il avait dit. Avec lui, ce qui était bien, c'est qu'il était ponctuel dans les horaires qu'il donnait. Et Kaecy et le retard, que ce soit quand elle était en retard ou quand les autres étaient en retard, ça faisait deux.
« Ravi de voir que tu es toujours là. J'avais vraiment peur de m'être déplacé pour rien. - J'aurai pu te faire une blague et partir en courant, c'est vrai. Mais je me suis dit que ça serait méchant de faire ça, alors je suis restée. »
Kaecy finit d'écrire la ligne qu'elle avait commencé avant de relever la tête, sourire espiègle accrocher sur le visage, pour regarder James s'avancer vers elle. Elle perdit d'ailleurs assez rapidement son sourire en voyant les marques qu'il portait au visage. Des bleus le parsèment, et on pouvait rapidement deviner qu'ils devaient être dus à une interpellation avec quelqu'un qui lui en voulait. En somme, ce n'était pas forcément bon signe. Elle fronça donc les sourcils au moment où il arriva à sa hauteur et qu'il vint lui déposer un baiser sur la joue. Elle ne disait rien, mais elle espérait surtout que son expression permette à James de comprendre qu'elle avait vu, et que quelques explications seraient les bienvenues. Cependant, le jeune homme se contenta d'aller s'asseoir dans le fauteuil situé à gauche du bureau de Kaecy, avant de prendre la parole pour lui parler de toute autre chose.
« Encore des heures supp' hein ? Tu t'arrêtes jamais. »
Kaecy laissa le silence s'installer pendant quelques secondes quand même avant de répondre, car deux choix s'offraient à elle: soit elle fonçait dans le tas et demandait directement à James ce qu'il s'était passé, soit elle faisait comme si de rien n'était et répondait à sa question, tout simplement. Et vu comment il avait plus ou moins évité avec de l'aborder, elle se dit que ça ne servait à rien de forcer la chose. S'il voulait lui en parler, il pouvait le faire, il le savait.
« Tu sais, on ne peut pas tous gagner des millions en faisant le beau pour des photos comme toi, y'en a qu'on des gosses à nourrir tu sais ! »
Sa voix taquine et douce était revenue. Du Kaecy tout craché, qui préférait faire passer le bien-être des autres avant sa curiosité à elle, lorsqu'il s'agissait de proches.
« Alors comme ça, on ne répond plus à mes mails ? »
Sur ce coup là, elle ne put s'empêcher d'avoir un petit rire. Le jour où James lui avait envoyé ce fameux mail, elle l'avait lu et très bien pris en considération. Cependant, comme il devait s'en douter, elle attendait de son côté une version complète et finie de son écrit pas quelque-chose où il manquait la fin. Et comme il le savait, Kaecy était une acharnée du travail bien fait. Elle n'avait donc pas pris la peine de lui répondre pour lui faire comprendre qu'elle n'était pas satisfaite complètement de son travail.
« De quel mail tu parles ? Celui là ? (elle cliqua deux-trois fois pour retrouver le mail en question sur sa boite mail) Le demi-écrit ? Ca valait vraiment la peine que je réponde ? Eh, mon coco, faut faire son taf correctement si tu veux que je sois gentille avec toi !»
Elle lui fit un petit clin d'oeil avant de se lever de sa chaise, en direction de la cafetière qui se tenait dans un coin de son petit bureau. C'était le réel seul luxe, va t-on dire, qu'elle s'était permise de mettre dans cette petite pièce. En règle générale, le patron de la boite n'est pas trop flexible sur tout ce qui peut-être aménagement des bureaux, ne voulant pas que ça devienne rapidement le foutoir et que les conditions de travail se dégradent. Mais c'était sans compter sur le fait que Kaecy devait être environ deux fois plus têtue que lui, et qu'elle partait du principe où si son travail était irréprochable - et vu le temps qu'elle passait dessus, il pouvait l'être -, elle pouvait se permettre de faire à peu près tout ce qu'elle voulait.
Lorsqu’il entra dans le bureau de l’éditrice, le visage de James s’illumina aussitôt. Il devait l’avouer, voir Kaecy allait lui faire un bien fou. Après être resté autant de temps seul à être en colère et à se morfondre, il avait besoin de voir quelqu’un. Et la brune était la personne parfaite pour ça ! Elle allait lui permettre de sortir de son quotidien, de ses problèmes privés pour parler de son travail et surtout de son livre. Il réalisait son rêve, et c’était grâce à elle. En plus, la jeune femme avait son petit caractère et il ne s’ennuyait jamais avec elle, tant parfois elle se montrait piquante dans ses propos. « J'aurai pu te faire une blague et partir en courant, c'est vrai. Mais je me suis dit que ça serait méchant de faire ça, alors je suis restée. » Cette remarque le fit rire doucement alors qu’il arrivait à sa hauteur pour la saluer. Le pire, c’est qu’il savait qu’elle était capable de lui faire ce genre de coup. Et ce ne serait pas totalement immérité, étant donné la manie qu’il avait de prévenir de son arrivée à la dernière minute. Mais au moins, il était toujours à l’heure – il n’avait pas que des défauts. Si elle l’accueillit avec un sourire rayonnant, celui-ci disparut bien rapidement quand elle vit l’état de son visage. Il déposa tout de même un baiser sur sa joue avant de lui offrir une petite grimace, l’air de dire « ce n’est rien ne t’inquiète pas ». Il alla s’asseoir alors qu’elle fronçait des sourcils, il se doutait bien qu’elle s’inquièterait quand même. Peut-être qu’il lui en parlerait, mais pour l’instant il avait surtout besoin de se changer les idées alors il passa sans plus tarder à un autre sujet. Sauf que, l’éditrice ne semblait pas de cet avis et laissa un petit silence l’installer entre eux. Le français la fixant, essayant de deviner ce à quoi elle pouvait bien penser. Allait-elle refuser de lui parler tant qu’il ne s’était pas expliqué ? Tête de mule qu’elle était, elle en était parfaitement. Mais finalement, ce ne fut pas son choix et cela permit à James de se détendre un petit peu. Au fond, il la remerciait de ne pas lui avoir forcé la main. Elle pouvait être sûr qu’il lui en parlerait, assez rapidement même, mais il avait juste besoin de commencer en parlant d’autre chose. Cela faisait des jours qu’il ne pensait qu’à ça, sa tête allait bientôt exploser si ça continuait. « Pourtant je suis sûr que tu pourrais aussi gagner des millions, avec un si joli minois. » lança-t-il un sourire enjôleur accroché aux lèvres. C’était plus pour la taquiner que lui faire véritablement du charme, cela faisait bien longtemps qu’ils étaient passés au-delà de ça et qu’il n’y avait pas de malentendu entre eux. Mais parfois il aimait la taquiner en faisant le séducteur. Et s’il plaisantait, ses compliments eux étaient toujours sincères. Kaecy était une très belle femme à n’en pas douter. Elle lui rappelait beaucoup Emma d’ailleurs, vraiment beaucoup. Il prit un air offusqué quand elle laissa échapper un rire après qu’il lui parla du mail, avant de prendre une moue boudeuse. « Ce n’est pas drôle. » Encore un peu et il lui tirait la langue. « De quel mail tu parles ? Celui là ? Le demi-écrit ? Ca valait vraiment la peine que je réponde ? Eh, mon coco, faut faire son taf correctement si tu veux que je sois gentille avec toi ! » Alors là, ce n’était pas juste ! Certes il ne lui avait pas envoyé un roman complet, mais il avait quand même envoyé quelque chose. Et il attendait son avis dessus, des indications et pourquoi pas des propositions. « Toi, gentille ? » demanda-t-il avec mauvaise foi pendant qu’elle se dirigeait vers la cafetière qui trainait plus loin. « Tu devrais me traiter un peu mieux si tu ne veux pas que j’aille voir ailleurs. » Son ton était plus amusé qu’autre chose, c’était vraiment pour l’embêter. Car Kaecy avait été la première – et la seule – à lui donner sa chance, jamais il ne pourrait aller chez quelqu’un d’autre. Il lui faisait entièrement confiance, et il ne voulait personne d’autre pour sortir son livre à présent. « Un sucre, s’il te plaît. » répondit-il, songeur. Peut-être était-il temps de devenir un peu plus sérieux. « J’aurais préféré t’envoyer un roman complet, mais la vérité c’est que je bloque là. Je n’arrive pas à écrire la fin. » avoua-t-il pendant qu’elle se retournait et s’approcher pour lui apporter une tasse de café. « Merci. » Il prit la tasse et la déposa sur le bureau près de lui. « Syndrome de la page blanche, vraiment. Je ne sais pas quoi écrire comme fin. En même temps, je n’ai pas trop la tête à ça en ce moment. » Le regard qu’il lui lança lui fit comprendre qu’il parlait de l’état de son visage. Il attrapa la cuillère du bout des doigts et commença à tourner pour diluer le sucre dans le café. « J’ai eu des problèmes personnels dernièrement. Je… j’ai trahi une fille, et un ami. Ca c’est mal terminé pour moi, c’est pas trop la forme en ce moment. » finit-il ironiquement, un rictus en coin des lèvres. « Mais ne t’en fais pas, c’est l’occasion pour moi de faire le tri dans ma vie. Mais de toute façon, je n’arrivais pas à écrire la fin depuis bien avant ça. Je ne sais pas quoi faire. » Il était complètement perdu. Il ne lui restait que deux-trois chapitres à écrire, mais il ne savait pas où il voulait aller. Puisque son roman était une fiction s’inspirant de son histoire avec Emma, comment tout cela devait-il se terminer ?
Kaecy marchait vers la cafetière lorsque James prit à nouveau la parole, et sa réponse avait du l’offusquer vu le ton rempli de mauvaise foi qu’il prit pour lui répondre. Il ne pouvait pas le voir, mais un sourire rayonnait sur le visage de la jeune femme. C’était ce qu’il y avait de bien avec James, c’était que leur relation était simple et qu’ils pouvaient se permettre de se taquiner sans que l’un ou l’autre ne prenne réellement au sérieux les paroles de l’autre, et inversement. « Toi, gentille ? Tu devrais me traiter un peu mieux si tu ne veux pas que j’aille voir ailleurs. » Elle se retourna vers lui avec un faux sourire offusqué sur le visage. « Tu oserais me faire ça ? Avec tout le travail que j’ai fourni pour toi ? C’est toi qui n’est pas gentil là, James. Je suis outrée de ton attitude. » Elle lui fit une petite moue capricieuse avant de se retourner pour mettre un sucre dans le café du jeune homme et de se prendre une tasse de thé par la même occasion. Elle revint rapidement à son bureau avec les deux tasses, tendant la sienne à James accompagnée de quelques petits gâteaux sur un plateau. Elle devait avouer qu’avec les heures qui filaient plus que rapidement lorsqu’elle était au travail, il lui arrivait d’oublier de temps à autres de se nourrir correctement et que quelques sucreries ne lui feraient pas du mal. Et puis James pouvait lui aussi avoir faim à cette heure là, dans le pire des cas elle mangerait tout et ce serait temps pis pour lui. « J’aurais préféré t’envoyer un roman complet, mais la vérité c’est que je bloque là. Je n’arrive pas à écrire la fin. Syndrome de la page blanche, vraiment. Je ne sais pas quoi écrire comme fin. En même temps, je n’ai pas trop la tête à ça en ce moment. » Kaecy leva un sourcil dans sa direction avant de s’asseoir sur son siège de bureau. « Tu m’étonnes que t’aies pas la tête à ça… » Elle avait parlé d’une voix basse, mais douce, James avait très bien pu entendre ses propos. Mais si elle comprenait bien, il allait satisfaire - malgré elle - sa curiosité quant à son visage plutôt bien amoché. Elle espérait juste qu’il ne s’était pas trop foutu dans une merde pas possible. Elle était forte et savait faire es miracles, mais seulement quand il s’agissait des livres. Elle n’avait pas de pouvoir magiques pour arranger les situations personnelles, ou alors elle ne l’avait pas encore trouvé. Portant sa tasse doucement à ses lèvres pour ne pas se brûler, elle attendait gentiment que James finit par vider son sac. « J’ai eu des problèmes personnels dernièrement. Je… j’ai trahi une fille, et un ami. Ca c’est mal terminé pour moi, c’est pas trop la forme en ce moment. Mais ne t’en fais pas, c’est l’occasion pour moi de faire le tri dans ma vie. Mais de toute façon, je n’arrivais pas à écrire la fin depuis bien avant ça. Je ne sais pas quoi faire. » Kaecy regarda James avec attention. Des problèmes d’écrivains, elle en avait entendu des milles et des cent. Mais cette fois ci, c’était différent. Elle considérait James plus comme un ami qu’un client, et donc elle avait du mal à passer outre son histoire personnelle et rester dans un contexte professionnel. Après avoir laissé quelques secondes de silence, elle posa sa tasse et croisa ses mains, avant de pencher légèrement la tête et de froncer quelque peu les sourcils d’une façon tout à fait calme et non-agressive. « Des problèmes de page blanche, des milliers d’écrivains ont ça tous les jours, faut pas que tu te concentres là dessus sinon ce sera encore pire. Mais si tu en es arrivé à un point où quelqu’un à du te frapper au visage… Oui, je m’en fais. Peut-être qu’en réparant d’abord tes problèmes personnels, tu aurais l’esprit plus léger et tu pourrais écrire de nouveau correctement. Sinon, si tu n’as pas envie de passer par cette étape maintenant, pourquoi ne pas tenter de te remettre dans les conditions de ton histoire ? Je veux dire, en vrai, parfois c’est en ressentant les choses qu’on écrit les plus belles histoires, crois moi. » Kaecy finit par faire un petit sourire doux à James. Elle avait lu son roman, son histoire, elle savait qu’elle n’était pas rose, mais elle savait aussi que nombreux des best-sellers en avaient été parce-que les écrivains avaient repoussé leur limites de confort et avaient été dans cette zone qui nous brûle le cerveau et vous piétine le coeur, cette zone de notre être contenant nos souvenirs, nos sentiments, toutes ces choses que nous passons la plupart du temps à refouler.
Oui, James pouvait être de mauvaise foi. Et c’était totalement le cas à cet instant précis. Il lui avait rédigé un mail à la va-vite dans lequel il avait joint un travail inachevé, Kaecy n’avait pas tord. Mais il préférait faire son têtu et continuer de la taquiner plutôt que de reconnaître son erreur. Il était James Evans et il le serait jusqu’au bout. « Tu oserais me faire ça ? Avec tout le travail que j’ai fourni pour toi ? C’est toi qui n’es pas gentil là, James. Je suis outrée de ton attitude. » Il la fixa curieusement alors qu’elle faisait la moue, se demandant si elle était sérieuse ou si elle le faisait marcher. Jusqu’à présent ils avaient toujours pu se taquiner en toute liberté, dire à haute voix ce qu’ils pensaient sans avoir peur que l’autre s’en offusque. Mais peut-être que cette fois sa plaisanterie était mal passée. Mais finalement il se rendit compte que son offuscation était feintée et qu’elle le faisait marcher – encore. « Blablabla. Tu sais très bien que je suis ton esclave jusqu’à la fin de mes jours pour tout ce que tu as fait pour moi. » dit-il théâtralement bien qu’il y ait un soupçon de vérité dans ce qu’il disait puisqu’il lui serait à jamais reconnaissant de s’être occupé si bien de lui et de lui avoir donné sa chance. Il attrapa la tasse de café qu’elle lui tendait tout en la remerciant, puis il se mit à tourner la cuillère qu’il y avait dedans. Et en plus elle apportait des gâteaux, elle était vraiment la meilleure. Le français finit par faire amende honorable en avouant qu’il n’était lui non plus pas satisfait de ce qu’il avait envoyé mais qu’il avait fait au mieux compte tenu des circonstances actuelles dans sa vie. « Tu m’étonnes que t’aies pas la tête à ça… » Il soupira doucement. Non pas contre elle, mais en se remémorant les derniers événements qui s’étaient produits dans sa vie. Et puis il se dit que Kaecy s’inquiétait pour lui et qu’elle méritait qu’il lui parle, alors c’est ce qu’il fit. Il lui expliqua rapidement ce qu’il s’était passé – il n’entra pas dans les détails par pudeur mais aussi parce que cela ne servirait à rien – pour qu’elle comprenne l’état de son visage mais aussi son incapacité à écrire la suite – et fin – de son roman. Lorsqu’il eut terminé de parler, James fixa quelques instants le liquidé noir sans sa tasse avant de la porter à ses lèvres pour en boire une gorgée. Il ne se brûla pas mais c’était encore un peu trop chaud pour lui, il avait le palais sensible. Ce fut au tour de l’éditrice de prendre la parole, pour tenter de le rassurer et de l’aider comme à son habitude. Il l’écouta avec attention, comme il le faisait à chaque fois. Il ne pouvait le nier : Kaecy était bien plus qu’une éditrice pour lui. C’était son amie. Elle était très attentionnée avec lui et ses conseils étaient toujours justes. Depuis qu’il la connaissait, elle l’avait aidé de bien des manières et il ne pouvait lui être que reconnaissant pour tout ce qu’elle lui apportait de positif. Encore une fois, elle mit le professionnel de côté pour parler de lui et des raisons qui avaient amené à ce qu’il se fasse frapper. Elle s’inquiétait et ne s’en cachait pas. Elle finit tout de même par parler à nouveau de son livre pour lui conseiller de se confronter à tout ce qu’il ressentait, de faire un véritable travail sur lui-même pour pouvoir extérioriser tout ça. Au fond il savait qu’elle avait raison, mais il avait toujours eu peur de le faire. Affronter ses peurs, ses craintes, ses démons. Revivre cet événement, réveiller la douleur. Il se souvenait des premiers mois, de cette sensation d’avoir un trou béant au milieu de la poitrine et d’être à vif. Il ne souhaiterait ça à personne, pas même à son pire ennemi. Mais peut-être qu’il devrait endurer cela pour lui rendre véritablement hommage et rendre son récit le plus sincère et vrai possible. « Je suis désolé de t’inquiéter Kaecy. Ca ira, je t’assure. Je vais me reprendre et réparer mes erreurs. J’ai été confronté à certains de mes choix et je sais maintenant comme avancer. Il me faut juste un peu de temps pour… digérer tout ça. » Il ne pouvait plus se permettre de perdre davantage de temps, Kaecy elle aussi avait des impératifs quant à la sortie de son roman. Il ne pouvait pas la faire attendre indéfiniment pour ne pas lui causer de souci. « Je sais que tu as raison mais… ça me fait peur. Vraiment peur. » Il ne lui apprenait certainement rien, mais il devait le dire à haute voix pour qu’elle comprenne à quel point ça pouvait le paralyser de devoir affronter tout ça. « Mais je vais bosser, sérieusement. Je vais faire tout mon possible, et même plus encore. » Après tout c’était ce qu’elle lui demandait, de se surpasser et de faire plus que ce qu’il se pensait capable de faire. « La prochaine fois que je te vois, mon roman sera terminé. Et j’aurai meilleure mine. » Un léger sourire naquit sur son visage. « J’ai l’impression de te faire perdre mon temps avec mes problèmes personnels… je suis vraiment désolé. Tu as tellement de travail et sûrement tes propres problèmes, tu fais tout pour m’aider et je ne suis pas foutu de faire correctement mon boulot. » Il poussa un soupire en se rendant compte de tout ça, il avait vraiment déconné ces dernières semaines, même avec ceux qu’il ne pensait pas. « Je t’ai déjà dit que tu es la meilleure éditrice du monde et que j’ai de la chance que tu sois assez folle pour t’occuper de mon cas ? » Cette fois il fit un grand et franc sourire.