« Ouais. » - "ça nous fait un demi point en commun." Demi, seulement parce que je ne mettrais jamais ma mère dans le même panier que mon père. Sa seule erreur aura été de confier son cœur aux mains d'un alcoolique qui a tout abandonné pour partir s'exiler loin de sa famille avec nulle autre compagnie que la meilleure amie de celle qui disait aimer. « Si des fois. Mais rare. » C'est qu'il a dû voir que des navets. On ne s'endort pas devant une pépite cinématographique, jamais. « Y’a des scènes cachées après les génériques ? » J'acquiesce de la tête avec beaucoup trop d'entrain, on dirait un gamin. Pas dans tous, mais oui ça existe et c'est aussi ce qui pousse les gens à se taper la liste interminable des noms de ceux sans qui le cinéma n'existerait pas.

« Pour l’instant ça va. Je regrette pas non plus. » Je devrais me sentir soulagé pourtant sa réponse fait naître une certaine pression. 'Pour l'instant', c'est bien, mais ça veut aussi dire que je dois me montrer de meilleur compagnie pour ne pas qu'il change d'avis. Promis, j'arrête de râler. Enfin, je vais essayer. Je transforme ma péripétie avec les fourmis en une histoire loufoque. Préférant en rire, plutôt que de me la jouer fataliste. « Parfait, c’est parti. » Il faut croire que la chance sourit aux optimistes puisqu'on arrive à récolter assez de bois pour nous construire un palace. « Celui qui demandera le moins de ressources ? Je sais pas combien de temps on va mettre à faire tenir tout ça ensemble. » Il est pragmatique et j'aime ça. Je sais pas non plus comment on va faire pour consolider les murs de notre future cabane. On pourrait utiliser les lacets de nos chaussures, mais bon je suis pas sûr que ce soit une idée ingénieuse.  « En plus no offense mais t’es super grand. Faut un truc qui fasse au moins deux mètres de long pour que tu puisses t’allonger tranquille. » - "No offense taken." Je réponds en souriant alors que je me tourne pour observer les alentours. Ils auraient quand même pu nous passer de la corde pour nous faciliter un peu la tâche.  "Après l'avantage c'est que tu seras loin d'y être à l'étroit." J'ajoute en le détaillant de la tête aux pied avant que mes yeux ne s'arrêtent sur une racine.  « On a le meilleur coin de toute la forêt je crois. » C'est vrai qu'on est plutôt bien. La vue est dégagée, mais il y a quand même quelques arbres à proximité et le fleuve ne doit pas être bien loin parce qu'on peut entendre le bruit de l'eau. « Reste plus qu’à bricoler maintenant. » Je tape dans mes mains puis commence à attraper une branche pour l'enfoncer dans la terre. "Qu'est-ce qui faut pas faire pour pouvoir dormir en toute sécurité." Et encore, y'a de grande chance pour que notre cabane s'effondre durant la nuit.

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« C’est… petit.» Je me pince les lèvres pour empêcher un rire. Il n'a pas l'air d'être offensé, je doute d'être le premier à le taquiner sur sa taille. Asher semble y être habitué, un peu comme moi, mais pour des raisons diamétralement opposées. On se met au travail, profitant de la lumière du soleil pour trouver de quoi bâtir une cabane digne de ce nom et de notre binôme hors norme. « Ouais, c’est beau. » J'attrape la visière de ma casquette pour la retourner et essuie mon front avec le dos de ma main. Je plains les ouvriers qui doivent passer la moitié de l'année à construire des bâtiments sous les rayons du soleil. Bon, il ne nous manque plus qu'à trouver de quoi remplacer le ciment.« Ouais ils en ont parlé il me semble. Les racines c’est une bonne idée, faut juste en trouver. » Asher est un élève bien plus studieux que moi. En même temps, c'était son idée donc ça me paraît normal qu'il soit le plus motivé d'entre nous. Moi, je suis juste là pour lui tenir compagnie en bon membre du club anti solitude que je suis. « Ou bien des branches plus fines, ça peut le faire. »   - "Chef, oui, chef !" Je beugle en souriant tout en imitant un salut militaire. J'attrape mon couteau suisse et me mets à quadriller les alentours. « Tu crois qu’on va vraiment devoir dormir dedans ce soir ? J'espère que c’est juste la construction, pas l’habitation… » J'essaye de reste optimiste, mais ma moue est loin d'être rassurante. On va certainement devoir y passer la nuit, histoire de leur prouver que notre cabane est assez solide pour y dormir en toute sécurité. Enfin, dormir, c'est un bien grand mot. "Je crois qu'on va devoir faire plus que la construire, oui." Après ça reste un stage, je doute qu'ils le forcent à y passer la nuit si c'est vraiment pas envisageable pour lui. On est pas à l'armée, même si ça y ressemble par moment. Tout ce qu'il risque en refusant, c'est de repartir sans son certificat. "T'as peur du noir ?"  Aucun jugement dans ma voix. On a tous des phobies, moi le premier. "On aura qu'à demander si l'un de nous deux peut rester." J'ajoute en haussant les épaules. Le tout, c'est de leur prouver qu'elle peut nous préserver du danger. « Oh putain… » Je reviens les poches pleines de racines et les bras chargés de petites branches pour le retrouver en train de passer le balais. "T'es doué, tu sais ?" Je dis d'un air amusé tandis que je dépose toutes mes ressources au sol. "J'espère qu'il y a des médailles à gagner en plus du diplôme parce que tu mérites de repartir avec celle de la fée du logis." Il devrait aussi déposer un brevet pour sa branche-balais.  Grâce à lui, on pourra dormir sur un sol plus propre encore que celui des vestiaires du club après un match de rugby.

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« Non c’est pas ça. » - "T'es claustro ?" Je demande pour essayer de deviner ce qui peut bien lui faire peur. Il n'a pas peur du noir et ne semble pas non plus avoir peur de la nature. Il se montre même bien plus courageux que moi face aux bestioles qu'on peut y trouver. « Et tu te portes volontaire ? » Sa moue étonnée m'arrache un rire. J'ai pas l'âme d'un aventurier, mais je suis prêt à me sacrifier si ça permet de l'épargner un peu. "J'ai survécu à une attaque de fourmis, je peux bien survivre à une nuit en pleine nature." Je réponds en haussant les épaules. J'essaye de faire comme si c'était rien, mais je ferai moins le malin quand je me retrouverai tout seul dans la cabane.

« J’essaie de me sentir utile. » - "Tu l'es avec ou sans ta branche-balais." Sa compagnie suffit à ne pas songer à toutes les choses que je vais devoir faire en revenant ton ville. Ici, au beau milieu de la nature, il n'y a pas de place pour la pression liée au boulot. Les cabanes en couverture sont bien plus faciles à construire que les cabanes en bois. Plus confortables et moins risquées, aussi. « Je vois ça oui. » Je grimace et tourne la tête pour constater l'ampleur des dégâts. Ça aurait pu être pire, il ne me faut pas longtemps pour réparer la façade qui s'est fait la malle et consolider le tout pour ne plus que ça se reproduise. « La porte ? Le matelas ? Je crois que tu as des attentes un peu trop haute.  » Je passe une main derrière la nuque en soupirant. Il n'a pas tort, surtout pour la porte. Le truc c'est que je vais en avoir besoin pour me sentir en sécurité. Une cabane ouverte ne sert à rien, autant dormir à la belle étoile si c'est pour ne pas être protégé contre les attaques de serpents. "C'est aussi ce qui permet de se surpasser." Pas toujours, parfois ça ne fait qu'ajouter qu'une pression supplémentaire. En revanche, c'est pas une journée portes ouvertes et je compte bien trouver le moyen de bloquer l'accès aux bêtes de la forêt.

« Ok wow. Et si on en trouve un peu plus ça pourrait être le matelas dont tu parlais. » Je recule de quelques pas pour observer notre cabane. La pancarte du club me fait sourire, j'attrape mon appareil photo et fait signe à Asher de se mettre devant pour que je puisse immortaliser le moment. "La pluie n'a qu'à bien se tenir." Je dis en le rejoignant pour poser ma main sur son épaule. "C'est qu'on forme une bonne équipe." J'ai pas besoin d'aller jeter un œil au voisinage pour savoir que notre cabane est la meilleure.

« Quitte à choisir, tu préfères dormir dans le noir ou dormir sur un bon matelas? » Il pose la question à un insomniaque qui, quand ça lui arrive, peut s'endormir à peu près n'importe où. "Je peux pas m'endormir sans un bruit de fond." Il me faut soit de la musique, soit un film ou l'épisode d'une série que je connais par cœur, ou le bruit de la pluie. Et même avec ça, j'ai encore du mal à mettre mon cerveau en veille. « Moi je choisis le matelas. Je peux dormir peu importe la lumière qu’il y a. » Donc si on arrive à faire un bon matelas, peut-être qu'il acceptera de dormir dans la cabane.

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« Non plus. » Il n'ajoute rien de plus et je me contente d'hausser les épaules. Il n'a clairement pas l'air d'avoir envie de s'expliquer et je suis borné, mais je sais aussi respecter les limites d'autrui. Tant pis, je devrais passer la nuit à deviner le cri des animaux en espérant ne pas reconnaître celui d'un ours ou celui du dingo. Je l'observe balayer le terrain en souriant, un détail auquel je n'aurais pas pensé surtout pas au beau milieu de la forêt, mais dont je pourrais profiter à la nuit tombée. Notre cabane prend forme, elle est même presque terminée. Je m'accroupis pour le prendre en photo. J'ai hâte de les développer pour les montrer à Samuel et il me tarde encore plus de le retrouver. Quatre jours, c'est long. J'aime être loin de la ville parce que j'ai l'impression de ne plus avoir aucune responsabilité, mais d'un autre côté, j'ai le sentiment d'avoir un peu perdu de mon identité.


« On peut mettre mon kway dessus et y’a plus de problème d’humidité. » - "T'es un génie." Ni plus, ni moins. Je suis presque jaloux de ne pas y avoir pensé plus tôt. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Que je le veuille ou non, c'est ce qui semble être ma façon de fonctionner.« On peut tester. » Je me dépêche de construire mon matelas en déposant la mousse puis les feuilles par dessus. Je n'ai pas besoin de m'allonger dessus pour savoir qu'il est trop petit, mais tant pis. Je sors mon k-way que j'étends sur le matelas avant de m'y installer. J'ai un choix capital à faire : avoir le tête ou le cul trempé. Je crois pas qu'il soit possible d'attraper un rhume par les fesses alors je décide de rester comme ça et de protéger le haut de mon corps de l'humidité. « Pas trop mal… » Je tourne la tête pour le regarder avant d'éclater de rire. "On est encore loin de pouvoir le mettre sur airbnb." Je dis en observant le ciel. "Je vote pour un toit amovible." Je dis en levant la main en l'air. Je sais pas si c'est la vue qui me rend créatif, mais je sais déjà comment nous en construire un.

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