swimming with sharks
Megan Williams & @Tracey Fletcher ☆ crédit/sacreddonkey

« Si t’as des questions sur le personnage Megan, parle en aux scénaristes. Je passerai pas plus de temps avec toi que nécessaire. » C’est sur ces mots que Scott m’a fermé la porte au nez. Qu’il se rassure l’enfoiré, je n’ai pas non plus l’intention de parler de la pluie ou du beau temps ou de rattraper le temps perdu. Relisant le script qui m’a été confié, des questions me sont venues et j’ignore pourquoi j’ai jaugé qu’il pourrait être assez professionnel pour y répondre. Mais puisque mon ancien amant a l’air de chercher à mettre des bâtons dans les roues à son propre film – ce n’est pas comme ça qu’il réussira à ne pas alarmer l’équipe de tournage et à ne pas vendre la mèche quant à la relation qui nous a autrefois unis – alors tant pis, je n’ai pas l’intention de laisser son comportement puéril m’arrêter.

Bien sûr, j’ai fait des pieds et des mains pour obtenir ce rôle en partie parce que je m’ennuie - je n’ai plus de boulot depuis le printemps dernier, plus depuis que j’ai démissionné du studio photo suite à la mort de ma mère – et surtout pour l’emmerder, mais ce n’est pas pour autant que je ne suis pas déterminée à prendre cette opportunité au sérieux. Depuis plusieurs semaines, je m’entraîne tous les matins avec le coach sportif qui travaille sur le plateau pour me muscler et renforcer mon cardio, et tous les après-midis j’apprends les bases du rugby pour être un minimum crédible. Je n’ai jamais eu autant de courbatures et de bleus, mais je tire une certaine satisfaction au fait d’être occupée et de ne pas attendre Damon à la maison toute la journée. Quoi qu’il en soit, j’ai bien l’intention de cerner le personnage au maximum pour pouvoir comprendre comment lui rendre justice et ce que l’on attend de moi, alors je ne laisser pas le rejet du réalisateur me décourager. Je traverse les studios, demandant aux différentes équipes techniques où je peux trouver Tracey, l’une des scénaristes, avant de me diriger vers la salle de réunion que l’on m’a indiquée. Elle est seule, en train de relire un script qui doit être celui de Nine qu’elle surligne et sur lequel elle semble effectuer des corrections. Doucement, je frappe à la porte, avant de l’ouvrir doucement. « Hey, Tracey, je te dérange ? Je peux repasser. » J’attends qu’elle m’invite à entrer avant de refermer la porte derrière moi.

« Tu travailles ici ? Vous avez pas de bureaux attitrés ? » Certainement que si, mais peut-être fait-elle partie de ceux qui ont besoin de calme et de solitude pour se concentrer. Peut-être pas, à vrai dire je m’en moque : j’ai posé la question par pure politesse. Réalisant que je suis droite comme un i, à l’autre bout de la pièce et qu’elle attends certainement que je lui donne la raison de ma venue, j’approche d’elle et dépose sur la table ma propre copie du script. « Je voulais voir avec toi si on pouvait discuter un peu de ta vision du personnage, et de quelques scènes en particulier. J’ai commencé la préparation physique mais, pour l’instant, c’est à peu près tout. » Et si Rhett Hartfield a certainement tout du sportif classique et sans saveur, il n’en reste pas moins vrai que je n’ai aucune expérience en tant qu’actrice et que j’ignore comment me préparer au mieux à ce que l’on attend de moi. « Je voulais voir si t’avais des conseils pour moi, aussi. C’est ma première expérience et… Scott a l’air trop occupé pour me filer un coup de main là-dessus. » Trop occupé, bien sûr. Il refuse simplement de s’asseoir seul dans une pièce avec moi. Qu’il se rassure : je suis heureuse en ménage, je n’ai pas la moindre intention de lui sauter dessus.

Depuis quelques jours, Tracey a rejoint un projet différent de ceux pour lesquels elle a l'habitude de prêter ses compétences. Elle exerce depuis plus de dix ans dans le domaine de l'audiovisuel en tant que scénariste et jamais elle n'avait envisagé de se sortir du petit écran pour être au cinéma. Le côté sérieux l'a toujours effrayé et maintenant qu'elle a les deux pieds dedans, elle se rend compte que l'atmosphère est très différente de ses habitudes et qu'elle avait raison d'avoir quelques doutes. L'équipe est là pour un projet de moins d'une année et semble aller droit au but et sans détour dans toute ses entreprises là où en ayant l'habitude de travailler sur des séries qui durent plusieurs saisons ou années, ce qu'elle cherche, c'est une ambiance plus familiale. Rien ne sert de sympathiser ici et la jeune femme se retrouve bien vite à se sentir comme un alien dans ces grandes salles de réunion où chacun débrief de son sujet. Tracey est tombée dans un monde empli de pragmatisme, de gain de temps là où elle n'est jamais sûre de rien et cherche à peaufiner avant qu'une instance supérieure ne lui affirme que ce n'est plus la peine. Les autres avaient fini par quitter la salle après une énième réunion où le script est détaillé, épié sous les moindre détails pour déterminer les mises en scène et leur cohérence avec le matériel original. Elle vient de passer trois heures à observer des monsieurs en costume faire de grands gestes et pointer des passages et à se retenir de préciser à voix haute que les choix de réalisation avaient porté atteinte à l'oeuvre avant même qu'elle ne commence à la scénariser mais en toute bonne femme jeune et d'origine ethnique différente de la norme qui se respecte, elle n'avait rien dit, rien défendu et c'est ainsi qu'elle se retrouve à retravailler ses écrits alors que ces messieurs sont parti fanfaronner et se réjouir de leur travail si bien fait.

« Hey, Tracey, je te dérange ? Je peux repasser. » Elle la tête vers la jeune femme qui vient d'attirer son attention, surprise de trouver un autre être humain dans les locaux à l'heure du déjeuner. Elle referme son cahier devant avant de se redresser. Celle qui s'adresse à elle s'appelle Megan et sera l'actrice principal. Un choix étrange si on lui demande son avis mais comme celui n'intéresse jamais personne, on ne s'épanchera pas dessus. « Tu travailles ici ? Vous avez pas de bureaux attitrés ? » Elle hoche la tête, au lieu d'expliquer son statut de freelance non rattaché aux studios, elle se contente de répondre. « C'est plus convivial qu'un open space. » Mieux faut une pièce énorme avec une grande table que plein de petits bureaux entre des parois de papier mais Tracey n'est pas âme à se plaindre ouà faire du small talk sur des sujets ne la concernant pas. Ce qu'elle attends, c'est de savoir la raison de la venue de la jeune femme et avant que cette dernière ne commence à s'expliquer, elle se prépare à devoir justifier du scrip encore en travaux. « Je voulais voir avec toi si on pouvait discuter un peu de ta vision du personnage, et de quelques scènes en particulier. J’ai commencé la préparation physique mais, pour l’instant, c’est à peu près tout. » A l'intérieure d'elle même, elle hausse les épaules en se disant que c'est peut-être pas plus mal que de discuter avec la personne chargée de donner vie à ses écrits de la façon dont elle voit la chose. Parfois, on trouve matière là où on ne le pense pas. « Je voulais voir si t’avais des conseils pour moi, aussi. C’est ma première expérience et… Scott a l’air trop occupé pour me filer un coup de main là-dessus. » Des conseils ? Ce n'était jamais venu à l'esprit de quelqu'un de lui en demander. « Tu as lu le livre ? » commence t-elle par demander en posant les yeux sur l'exemplaire du script de Megan. C'est une chose que de lire l'adaptation mais partir du matériel original, ça ajoute bien plus d'information. « Tu me parais jeune, tu connaissais le nom de Rhett Hartfield avant qu'il ne publie son autobiographie ? » Parce que si Tracey n'avait jamais été fan de rugby papa oui, elle savait qui il était quand il animait sur ABC et avait déjà entendu les histoires de drogues entourant le sportif dans les couloirs avant que ceux-ci ne soit corroboré par le principal concerné. Mais tout ça, ça lui semble être des affaires d'un total désintérêt pour une gosse de quoi ? Vingt et un an ? « Mais oui, si tu veux, on peut discuter, certaines mises en scène font encore débat par ici. Un œil jeune, ça fait toujours du bien. » Elle se prive de tout commentaire sur Scott. Les hommes dans ce milieu n'aide jamais sans rien recevoir en retour, tout le monde sait mais de là à le dire à haute voix, Tracey ne risquera pas son chèque.

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Megan Williams & @Tracey Fletcher ☆ crédit/sacreddonkey

« C'est plus convivial qu'un open space. » Peut-être, je n’en sais rien à vrai dire puisque je n’ai jamais eu de job de bureau pour pouvoir moi-même me permettre d’affirmer une opinion à ce sujet. Je douterais qu’être assise, même dans une salle de réunion, ne pourrait me convenir, de toute façon. J’ai passé une seule année sur les bancs de l’université avant de me décider à aller me confronter à quelque chose de plus concret, et pas uniquement parce que je n’avais pas les moyens de passer quatre ou cinq ans à ne pas faire rentrer d’argent. « Je vais devoir te croire sur parole. » J’esquisse un sourire qui se veut chaleureux. « Je n’ai jamais fait ni l’un ni l’autre. » Je ne l’encombre pas de détails, elle sera curieuse si elle a envie de l’être mais, du reste, je ne fais pas partie de ces filles bavardes qui ne savent pas quand s’arrêter de parler de leur histoire. J’aime parle de moi, mais je n’aime pas me livrer sur tout ce qui est du domaine du personnel, alors je ne le fais que lorsque c’est réellement nécessaire.

« Tu as lu le livre ? » J’ai commencé, avant de le trouver tout bonnement barbant et de tenter de rechercher les passages qui m’intéressent le plus : ceux qui parlent de cette overdose dont Hartfield a parlé lors de notre entrevue et qui m’a fait regretté de ne pas m’être intéressée avant à la vie de la star du ballon ovale et pour cause : le sujet est tabou pour moi. « Pas en entier. » Va-t-elle me regarder de haut et me juger pour ça, la scénariste ? « Je l’avais pas lu quand j’ai passé l’audition. » L’audition qui n'a jamais eue lieu. « J’ai commencé en réalisant que la vie de Rhett était bien plus compliquée que ce que je pensais. » Je pensais incarner un sportif sur le déclin, être la star d’un biopic chamboulant parce qu’il aurait été question de blessure, d’apprendre à renoncer, se relever et aller de l’avant. J’étais loin de me douter qu’une majeure partie du livre parlait d’addiction et qu’il en est question dès les premières lignes. « Tu me parais jeune, tu connaissais le nom de Rhett Hartfield avant qu'il ne publie son autobiographie ? » Je secoue la tête. « Je le connaissais sans le connaître. » Je le connaissais parce que j’étais une paparazzi et qu’il faisait partie de la scène Brisbanienne, mais tous les détails ne sont pas bons à raconter. Du reste, il ne faisait pas trop de vague avant que ses problèmes d’addiction ne deviennent public l’an dernier et, ne m’intéressant plus réellement à la vie privée des célébrités depuis que j’ai raccroché les gants, j’étais passée à côté de l’information. « J’ai grandi à Brisbane, donc j’avais déjà entendu son nom et je savais qu’il jouait au rugby, mais ça s’arrêtait là. » J’étais loin de me douter qu’une star comme lui avait certains points communs avec ma propre mère, pour faire court.

« Mais oui, si tu veux, on peut discuter, certaines mises en scène font encore débat par ici. Un œil jeune, ça fait toujours du bien. » J’esquisse un sourire lumineux, avant de tirer une chaise pour m’installer à côté d’elle. « Qui font débat ? Pour quelle raison ? » Je comprends que le script que j’ai entre les mains est encore susceptible de changer et je me demande s’il convient d’attendre pour apprendre mon texte au jour le jour. « Tu sais quand j’en saurais plus sur le planning de tournage ? » Je pose la question, tourant ainsi légèrement autour du pot, oubliant d’aborder les sujets qui me préoccupent le plus ou, plutôt, repoussant le moment où je devrais le faire. Mais puisque celui-ci me semble malgré tout impossible à reporter ad vitam aeternam, je finis par me jeter à l’eau. « Je m’interroge surtout sur ce qui concerne son addiction. Le jour sous lequel on a choisi de la représenter, j’ai l’impression que ça omet complètement l’égoïsme que ça traduit. » Pour tous les gens qui tiennent et tenaient à lui. J’en connais un rayon sur le sujet, après tout.

« Pas en entier. » Elle ne s'attendait pas à cette réponse. Désireuse de terminer au plus vite ce qu'elle fait, elle se serait contentée de répondre à Megan que tout ce qu'elle veut savoir, elle l'a déjà lu. Scott ne tient pas à ce que le scénario sorte du livre. Tracey est agacée de se sentir cloisonnée et sans le savoir la blonde, la blonde lui a offert avec sa question un terrain pour qu'elle laisse exprimer un peu de frustration. Cependant, elle se connaît et elle sait très bien qu'elle doit arrêter de prendre à partie les gens. La réponse l'empêche de commencer à râler ce qui doit être un premier pas vers la maturité. « Je l’avais pas lu quand j’ai passé l’audition. » avoue Megan, ce qui dessine un air de surprise sur le visage de Tracey avant que sa curiosité finalement en scène «Qu'est-ce qui t'a donné envie d'auditionner ? » Elle garde sa pensée pour elle mais sans avoir lu le livre, elle se demande comment Megan a été mise au courant du projet. Elle connaissait le sportif de vue mais c'est la lecture de l'autobiographie qui lui avait donné envie de se positionner. Comme quoi, il ne faut jamais douter des cadeaux de noël de Jonah, même ceux qu'il prend au pif total. « J’ai commencé en réalisant que la vie de Rhett était bien plus compliquée que ce que je pensais. » Oui, généralement, quand sa vie est un best seller, c'est qu'elle est loin d'être simple. Si elle avait d'ailleurs un conseil à donner à des personnes avec une vie vraiment nulle, c'est d'écrire un livre. C'est soi la porte ouverte au succès, soit une thérapie par cher.  « Je le connaissais sans le connaître. » continue t-elle d'expliquer.  « J’ai grandi à Brisbane, donc j’avais déjà entendu son nom et je savais qu’il jouait au rugby, mais ça s’arrêtait là. » Elle acquiesce, sans interrompre plus laj eune femme. « Qui font débat ? Pour quelle raison ? » Un rictus se dessine. Tracey prend sur elle pour ne pas vider son sac malgré ce que ses émotions lui crient. Ce n'est jamais bon de faire ça, surtout à une inconnue qui pourrait mal interprété et mal répété ses propos. Elle prend une inspiration, se retenant de débriefer tout le contenu de la réunion et sans en insulter ses participants. « Un personnage féminin ne s'écrit pas comme un personnage masculin, mais ça n'entre pas dans la tête de Scott qui aimerait que son personnage principal soit calqué sur le vrai Rhett Hartfield, sauf que ce serait pas cohérent, une femme aurait encore plus de difficulté sur son chemin et puis, c'est aussi une occasion de parler des femmes dans le sport, de traiter plus de sujet de société et ... » d'en faire un film un peu moderne plutôt qu'un simple biopic qu'on aura oublié dans quelques années, ou pire qu'on jugera problèmatique. Loin d'elle l'idée de se retrouver impliquée dans une histoire à la Michael Oher.« Enfin, je vais arrêter là, ça ne se fera pas. » Elle souffle un coup avant de se recentrer sur les questions originelles de Megan. « Tu sais quand j’en saurais plus sur le planning de tournage ? »  Une question factuelle, ça, elle peut répondre.« On a arrêté la première lecture début du mois prochain quand tous les acteurs auront lu leur script et signer leurs contrats. On devrait recevoir la définitive la semaine prochaine. » Quand elle aura rédigé le script définitif. Ça la bute un peu. Elle se sent bridée dans sa créativité. « Je m’interroge surtout sur ce qui concerne son addiction. Le jour sous lequel on a choisi de la représenter, j’ai l’impression que ça omet complètement l’égoïsme que ça traduit. » L'intervention de Megan la sort de sa pensée, et carrément même sa réunion. L'affirmation la surprend sur le moment. Tracey s'était mille question sur le personnage, comment passer du vrai Rhett à son alter ego, mais leur vécu, leurs démons, elle comptait les représenter réellement et traduire la vérité. « Tu trouves que l'addiction, c'est égoïste ? » Le terme est fort pour elle. Dans sa tête, une personne addict est une personne malade. Il ne peut pas y avoir d'égoïsme dans la maladie. « Je pense qu'on ne se sent surtout très seul quand on est touché. » glisse Tracey, l'air un peu triste dans la voix.

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Megan Williams & @Tracey Fletcher ☆ crédit/sacreddonkey

« Qu'est-ce qui t'a donné envie d'auditionner ? » - « On m’a contactée, en fait. » C’est la version la plus plausible : je ne suis pas une jeune actrice qui cherche à se faire un nom dans le milieu et les meilleurs mensonges possèdent une part de vérité. « Je suis modèle et influenceuse. J’ai fait des photos l’an dernier pour Michael Hills - » La marque de mon beau-père et, étant donné mon nom de famille, cela n’a rien d’un secret mais je ne le précise pas. Si la jeune femme ne connait pas ce domaine et ne le sait pas, alors tant mieux. Je n’ai pas envie d’être targuée de privilégiée, même si c’est la façon dont j’ai obtenu le rôle. « - et c’est à ce moment-là que j’ai été repérée par la chasseuse de tête de la boîte production, ou en tout cas c’est ce qu’on m’a dit. » Une histoire solide et commune, à l’ère des réseaux sociaux. « Un premier rôle comme première expérience, ça ne se refuse pas, non ? » Surtout le premier rôle dans l’adaptation d’un bestseller, qui promet de faire pas mal de bruit.  
 
« Un personnage féminin ne s'écrit pas comme un personnage masculin, mais ça n'entre pas dans la tête de Scott qui aimerait que son personnage principal soit calqué sur le vrai Rhett Hartfield, sauf que ce serait pas cohérent, une femme aurait encore plus de difficulté sur son chemin et puis, c'est aussi une occasion de parler des femmes dans le sport, de traiter plus de sujet de société et… » Elle a l’air compétente et pertinente, Tracey, c’est la première pensée qui me vient lorsque je l’entends donner son opinion. Elle a de toute évidence beaucoup travailler le sujet et, sans l’avoir fait moi-même, je trouve que ses arguments sont pleins de bon sens. « C’est plutôt pertinent. » De vouloir faire autre chose qu’un copier-coller. Et si ça n’entre pas dans la tête du réalisateur, c’est certainement parce qu’il n’a en réalité rien voulu de tout cela, que ce n’était pas son plan mais ça, la jeune femme l’ignore évidemment. « Avec sa gueule d’ange, tout est certainement tombé tout cuit dans le bec d’Hartfield, en plus de ça. » Les contrats de sponsor et tout ce qui va avec. Le sport féminin est loin d’intéresser autant, je n’ai pas besoin de suivre l’actualité du domaine pour le savoir. « Enfin, je vais arrêter là, ça ne se fera pas. » - « C’est dommage. Je peux essayer de lui parler, à Scott, si tu veux. » Je pisserai certainement dans un violon puisqu’il me déteste déjà assez de "gâcher" son grand chef-d’œuvre, mais si je peux me faire une alliée de la jeune femme je prends.

« On a arrêté la première lecture début du mois prochain quand tous les acteurs auront lu leur script et signé leurs contrats. On devrait recevoir la définitive la semaine prochaine. » Je hoche la tête et note l’information dans un coin de mon esprit. Je ne suis pas exactement "très prise", de toute façon. Depuis presque un an je ne travaille plus à l’exception de quelques shooting photo lorsque je suis sollicitée, et ma carrière est bien trop jeune pour que ce soit régulier. « J’ai fait un premier test avec Aiden Turner déjà. » Un pour jauger de notre alchimie à l’écran. « Mais j’ose espérer que l’histoire sera pas résumée à une suite de romances et à l’errance sentimentale du personnage. » Parce que pour s’être pris des gifles, Rhett Hartfield s’est pris des gifles. En soi, je me moque bien de la teneur du film : je ne cherche qu’à aller dans le sens de mon interlocutrice et j’ai cru comprendre qu’elle cherchais à produire quelque chose d’un peu plus profond qu’un film pour adolescentes.

« Tu trouves que l'addiction, c'est égoïste ? Je pense qu'on ne se sent surtout très seul quand on est touché. » - « Je trouve surtout que le script, parce qu’il est tiré de son livre, donne la part belle à Rhett Hartfield. » Et je trouve que rien n’excuse la faiblesse dont il a fait preuve. « Que ça le place presque en victime, en héros tragique de l’histoire. » Tout le monde aura envie de pleurer le sort de la pauvre jeune fille dont la carrière a été brisée suite à une blessure, et la vie à cause d’une addiction aux anti-douleurs. « Je trouve ça dommage qu’on laisse pas plus de place à la détresse de ses proches qui ont pas eu le moindre choix, eux. »

C'était surprenant que quelqu'un ait voulu participer au film sans avoir le moindre intérêt pour l'histoire d'origine. D'expérience, cela a toujours paru comme une condition sinéquanone pour qu'un acteur - même tout individu travaillant dans cette industrie en fait- s'intègre sur un projet que le matériel d'origine lui tient à cœur. A écouter Megan, il faut croire que non mais peut être que Tracey a là, une simple réaction de millénial. Les jeunes aujourd'hui, ils ne pensent qu’au succès rapide et jamais aux fondations solides d'une carrière fructueuse et cela dit, Tracey non plus. Elle se laisse balloter au gré des propositions. Est-ce que ça lui fait un point commun avec Megan ? « On m’a contactée, en fait. » précise t-elle, alors que ça ne répond pas vraiment à sa question. Même contactée, il y'a bien eu une raison pour la pousser à accepter le projet. Si elle avait été appelée pour un film documentaire décrivant le quotidien d'un mollusque, elle aurait refusé ou accepté pour une raison. « Je suis modèle et influenceuse. J’ai fait des photos l’an dernier pour Michael Hills - » Tracey n'ajoute rien, elle comprend que la réponse de Megan, c'est juste son besoin de dresser son cv qui s'exprime parce qu'elle ne répond pas du tout. Un indice qu'il ne doit rien y avoir à savoir de ce côté là, ou l'inverse mais cela passe totalement au dessus de la tête de la jeune femme qui n'a que faire des motivations de tout un chacun. Ce film, après tout, n'est pas son projet. On le lui ressasse assez en réunion. « - et c’est à ce moment-là que j’ai été repérée par la chasseuse de tête de la boîte production, ou en tout cas c’est ce qu’on m’a dit. » Tracey pourrait creuser si elle était le genre de personne perspicace à se douter qu’il se cache quelque chose derrière l’histoire de Megan mais au lieu de ça, elle achète son histoire et se contente d’ajouter la vantardise à ce qu’elle pense de la jeune femme. Même si elle pouvait remettre en question ce qu’elle entend, elle se fiche éperdument de ce qui a mené Megan ici.  « Un premier rôle comme première expérience, ça ne se refuse pas, non ? » Elle va garder le sujet purement rhétorique. Par respect pour les multiples acteurs qui ont suivi des cours et construit une carrière solide et donné tous leur nerfs avant d’avoir un premier rôle, Tracey dirait que la veine de Megan n’est pas légitime mais elle ne sait que peu de chose de la jeune femme et se tient à épargner tout jugement de valeur. De toute manière, elle a appris à ne donner son avis que quand on le lui demande, même si quand Megan le lui valide par la suite, elle se dit qu’elle devrait désapprendre cette manie. « C’est plutôt pertinent. » ça, n’importe quelle femme trouverait le propos de Tracey d’une pertinence absolue. Nous ne naissons pas avec les mêmes facilités mais il n’y a bien que les hommes pour penser que c’est faux.  « Avec sa gueule d’ange, tout est certainement tombé tout cuit dans le bec d’Hartfield, en plus de ça. » Oui, elle se lancerait dans un débat concernant le beauty privilège mais il est assez évident que Megan en bénéficie aussi et elle ne voudrait pas émettre des propos déplacé. « C’est dommage. Je peux essayer de lui parler, à Scott, si tu veux. » Elle hoche la tête. LA dernière chose dont elle a envie, c’est que Scott vienne lui reprocher de s’être plaint. “Non, ne perd pas ton temps. C’est trop tard, ça coûterait trop d’argent de tout changer comme ça.” Oui, ça voudrait dire relancer la production d’un scénario, déplacer les premières prises, rallonger le temps de tournage. Toutes ces petites choses qu’on ne fait pas sans une raison grave et le fait qu’on se rende compte que la petite scénariste a mis le doigts sur une faille n’en fait pas partie. De toute façon, les gens iront voir ce film qu’il soit mauvais ou non, parce qu’ils ont lu le livre.  « J’ai fait un premier test avec Aiden Turner déjà mais j’ose espérer que l’histoire sera pas résumée à une suite de romances et à l’errance sentimentale du personnage. » Elle se rend compte au fil de la conversation qu’elle devient très aigrie au sujet de ce projet parce que la première chose qu’elle voudrait répondre c’est que le film va coller à ce que tout l’monde fait des biopics : des histoires de cul. Et très clairement, même si le film voulait se vanter de célébrer le sportif, elle trouve que y’a pas non plus grand chose à glorifier. On est très loin d’Invictus.  « Je trouve surtout que le script, parce qu’il est tiré de son livre, donne la part belle à Rhett Hartfield. » Clairement, le mec allait pas se placer en bourreau même si ça aurait changé. « Que ça le place presque en victime, en héros tragique de l’histoire. » La drogue c’est tragique. Elle comprend ce que veut insinuer la jeune femme, ce n’est pas forcément juste. Cette interprétation laisse à croire qu’on peut se camer et échapper à la responsabilité de cet acte/choix.  « Je trouve ça dommage qu’on laisse pas plus de place à la détresse de ses proches qui ont pas eu le moindre choix, eux. » Est-ce qu’elle sait que plus de place aux proches veut dire moins de temps d’écran pour elle ?  “Si on devait leur laisser la place, on en ferait une série et pas un film.” Et pour le coup, une mini-série en cinq-six épisodes, elle aurait trouvé ça mille fois plus judicieux. Déjà parce qu’il s’agit de son domaine et aussi parce qu’avec tout ce temps, on développe plus de choses. “Mais tu n’as pas tort, le film a un parti pris et hormis un changement de genre du personnage principal, ne prend pas vraiment de risque voir pas du tout. Scott n’a pas envie de montrer à l’écran les turpitudes d’un camé, on a déjà Christiane F pour ça, il veut juste faire un copié collé d’un livre qui a bien fonctionné pour relancer sa carrière.” C’est très cynique et pourtant … “Le livre vend parce qu’ils donnent aux ménagères et fan de sport la possibilité de pleurer sur le sort d’un héros déchus et c’est ce que ces deux tranches de la populations pas facile à réunir vont vouloir voir au cinéma. C’est la réalité du film grand public,” Elle hausse les épaules avant de commencer à  ranger ses affaires. “Mais je suis d’accord avec toi, c’est dommage et si ce sujet te tient à coeur, je pense que tu devrais guetter les projets qui s’font dans le cinéma d’auteur. Dans le domaine actuel, il ne se passera jamais rien de très profond.” Et surtout pas avec un réal moyen comme Scott, mais ça elle ne le dit pas à voix haute et le garde pour elle.

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Megan Williams & @Tracey Fletcher ☆ crédit/sacreddonkey

« Non, ne perd pas ton temps. C’est trop tard, ça coûterait trop d’argent de tout changer comme ça. » Moi qui ai l’habitude de me battre presque jusqu’à l’épuisement pour mes convictions, je suis surprise par le manque de combativité de la jeune scénariste. Je ne suis certes pas dans ses chaussures et, de ce que j’en ai vu, le reste de l’équipe est composée d’homme et s’y faire doit sans conteste être particulièrement difficile, mais ne pourrait-elle pas taper du poing ? Si la confrontation directe ne fonctionne pas, ne pourrait-elle pas alors et dans ce cas jouer plus finement, et échanger avec chacun de ses collègues individuellement pour les rallier à sa cause ? Les hommes ont peut-être tendance à jeter un regard dédaigneux et supérieur sur le travail de femmes qui sont pourtant leur égale, mais nous les femmes sommes dotées d’atouts qu’il convient d’utiliser. De mon côté, j’en use et abuse sans vergogne ; ce n’est plus à prouver. « Tout a pas forcément besoin d’être modifié. » Peut-être que ce serait l’idéal à ses yeux, mais je fais partie de ceux qui estiment qu’il faut tenter de grapiller tout ce que l’on peut obtenir plutôt que d’abandonner parce que l’on obtiendra pas exactement ce que l’on désirait. « Un dialogue par ci, un dialogue par-là, il suffit de pas grand-chose pour que ça soit un peu plus crédible. » Parfois, quelques mots différents suffisent à marquer les clivages entre l’esprit féminin et le masculin. « Dit moi à qui je dois parler pour qu’on t’écoute, et je le ferai. Je sais être convaincante. » Je l’affirme avec un joli sourire ravageur. Je n’ai peut-être pas un quart de ce pouvoir-là, dans les faits, mais j’ai appris à avoir confiance en l’ascendant sur la gent masculine que me procurent mes atouts.

« Si on devait leur laisser la place, on en ferait une série et pas un film. » Tout doit toujours être blanc ou noir visiblement, pour la scénariste. Soit tout l’un, soit tout l’autre et si je ne réponds rien, la mine désapprobatrice qui se dessine sur mon minois parle en revanche pour moi et dit tout ce que j’en pense. « Mais tu n’as pas tort, le film a un parti pris et hormis un changement de genre du personnage principal, ne prend pas vraiment de risque voir pas du tout. Scott n’a pas envie de montrer à l’écran les turpitudes d’un camé, on a déjà Christiane F pour ça, il veut juste faire un copié collé d’un livre qui a bien fonctionné pour relancer sa carrière. » La brune use de références que je ne possède pas et je me sens comme une ignare face à quelqu’un de cultivée, comme c’est le cas à chaque fois que je me retrouve en présence d’un collègue ou camarade d’université de Damon. Le sentiment d’infériorité qui découle de mon manque d’éducation est toujours terriblement frustrant, autant qu’il est extrapolé. « Le livre vend parce qu’ils donnent aux ménagères et fan de sport la possibilité de pleurer sur le sort d’un héros déchus et c’est ce que ces deux tranches de la population pas facile à réunir vont vouloir voir au cinéma. C’est la réalité du film grand public. Mais je suis d’accord avec toi, c’est dommage et si ce sujet te tient à cœur, je pense que tu devrais guetter les projets qui s’font dans le cinéma d’auteur. Dans le domaine actuel, il ne se passera jamais rien de très profond. » - « Le sujet me tient pas à cœur. » Je m’en défends de façon presque trop virulente pour ne pas laisser apparaître mes failles, pour ne pas rendre évident que, si, il me touche de près. « J’aurais juste trouvé ça plus cohérent et plus… Plus juste, que ce soit plus équilibré. » La sœur de Riley – autrement dit le frère de Rhett – tout comme le reste de sa famille n’a qu’une importance très mineure dans le film, et c’est dommage de ne pas exploiter un peu plus leur souffrance pour montrer que c’est ça, la réalité de l’addiction, pas un joli minois comme celui de Rhett qui se bat pour remonter la pente sans se soucier du monde qui l’entoure. « Je pourrais te retourner ta question. » Un sourire un tantinet condescendant étire mes lèvres. « T’as pas l’air d’aimer plus le matériel source que le réalisateur, de toute évidence. » Je ne fais que pointer du doigt ce qui me semble évident dans son discours. « Pourquoi t’as choisi de travailler sur le projet, si tu considères qu’il est superficiel ? » C’est bien ce que cela veut dire, pas très profond, non ? « J’en parlerai pas avec qui que ce soit. Je veux juste comprendre. » J’en parlerai si un jour cela peut m’apporter quelque chose mais, dans l’immédiat, cela risque peu.