« Printemps à mille cœurs »    jonah fletcher & @ethel hartfield.

---

---

Il était rare que Jonah s’aventure hors de l’ambiance familière du Saucibar pour rencontrer une femme pour la première fois. Il trouvait qu’un premier date dans le bistro français avait quelque chose de classe sans trop en faire pour autant. La nourriture était bonne, le vin était plus élégant qu’une large pinte de bière, et ils avaient des desserts à partager pour le cas où la soirée se passerait particulièrement bien. C’était juste assez romantique pour que la demoiselle sache à quoi s’attendre de sa part -parce qu’il s’efforçait toujours d’être lui-même, autant que possible (ce qui était parfois le problème). Cependant, puisque ses derniers rencards en date au Saucibar n’avaient rien donné, Jonah avait décidé de donner une chance à une autre stratégie. Il se tenait donc devant la galerie d’art, le cœur battant la chamade. Pas parce qu’il avait un béguin hors du commun pour Ethel, celle qu’il découvrait ce soir-là, mais parce qu’il n’y connaissait strictement rien en art contemporain et qu’il avait sans doute trouvé une toute nouvelle manière de se ridiculiser auprès d’un match.

Il avait soigneusement choisi sa tenue pour l'occasion, ne sachant pas si le public habituel des vernissages étaient plutôt team jogging hors de prix façon Kanye ou tirés à quatre épingles comme des pingouins. Il avait opté pour une chemise un peu trop ajustée qu’il avait porté pour la dernière fois lors de sa remise de diplôme, et un jean noir qui lui donnait l'air un peu gauche, l’effet amincissant de la couleur (ou l’absence de couleur) accentuant l’allure de brindilles de ses longues jambes. L’objectif était “casual chic” comme disaient les influenceuses, à la fois décontracté et élégant. Lorsqu’il s’était regardé dans le miroir, il s’était surtout fait la remarque qu’il ne lui manquait qu’un nez rouge pour parfaire son impression d’être un clown s’efforçant d’être ce qu’il n’était pas.

Le Fletcher prit une grande inspiration avant de franchir la porte de la galerie. Il se faufila discrètement parmi les invités, scrutant chaque visage dans l'espoir de reconnaître Ethel. La salle était baignée dans la lumière agressive de néons blancs, les murs couverts d'œuvres d'art à base de tâches sur fond blanc qui ressemblaient plus à divers plats renversés sur une nappe qu’à “l’éternelle futilité du temps qui passe” ou il ne savait quelle protestation contre la fonte des glaciers. Plus loin, il la vit. Ethel se tenait près d'une toile abstraite, et il se demanda immédiatement si elle s’était autant retourné le cerveau pour s’habiller que lui ou si elle était tout simplement naturellement jolie dans tout ce qu’elle enfilait. Ses cheveux bruns encadraient délicatement son visage. Réfléchissait-elle à la signification de la peinture qu’elle scrutait, ou jugeait-elle la branlette intellectuelle que tout cela semblait être ?

Jonah s'approcha d'elle timidement. “Ethel ?” demanda-t-il, bien qu’elle ressemblât comme deux gouttes d’eau à ses photos de profil, le doute était donc très maigre. “Jonah.” précisa-t-il machinalement avec un sourire nerveux. Oui, forcément que c’était lui, Sherlock. “C’est, hm… intéressant, cette toile.” Faisant face à l'œuvre à son tour, il se pencha vers le cartel où était indiqué son nom. “Printemps à mille cœurs” il lut tout haut. Hm, ouais. Lui, il l’aurait intitulée “gribouillage orange par un maternelle atteint d’ADHD”. Question de point de vue. “Tu, euh…” Il se racla la gorge. Pourquoi il ne l’avait pas invitée au Saucibar ? “J’aime beaucoup ta robe. En tout cas, elle est plus jolie que cette toile.” Concrètement, ce n’était pas bien difficile de faire plus esthétique que cette croûte, ça ne mettait pas la barre très haut, mais il espérait qu’elle comprenne l’intention derrière ses phrases trébuchantes.

 « Printemps à mille cœurs »    jonah fletcher & @ethel hartfield.

---

---

“Merci beaucoup, c’est gentil. Mais je dois t’avouer que je regarde cette toile depuis environ cinq minutes et je n’y comprends absolument rien.” Jonah sentit une pointe de gêne mêlée d'amusement en voyant Ethel rire face à l’œuvre. L’exposition avait l’air de lui parler aussi peu à elle qu’à lui. Et c’était… une bonne chose ? Ou l’introduction du désastre à venir. Il se rassura en se disant qu'au moins, il avait réussi à la faire sourire d’entrée de jeu. Il s'approcha un peu plus de la peinture, examinant les détails comme s'il cherchait à en extraire un sens caché. “Est-ce que tu connais l’artiste ? Est-ce que tu sais ce qu’il a voulu exprimer, toi, par cette toile ?” Non seulement il n’avait jamais entendu parler de l’artiste, mais le Fletcher ne connaissait strictement personne dans la galerie. Il se sentait comme un oiseau tombé du nid au milieu d’une horde de pingouins, et la seule chose qui le réconfortait, c’était qu’Ethel n’en savait pas plus que lui. "Pour être honnête, je ne suis pas sûr de comprendre non plus", avoua-t-il en haussant légèrement les épaules. Peut-être que d’autres œuvres à la signification plus évidente allaient leur parler dans les autres salles.

Il réceptionna la flûte que lui tendait Ethel avec un remerciement soufflé si bas qu’elle ne l’avait probablement pas entendu. Le champagne était la touche finale de son air de Jocrisse, ahuri et à côté de la plaque : il était un peu plus flagrant qu’il n’était pas dans son élément. “Merci de l’invitation à venir ici ce soir ! - Oh, euh, de rien, c’est… Merci à toi d’avoir accepté.” Ouais, parce qu’à ses yeux, ce n’était jamais gagné d’avance. Il n’arrivait jamais à savoir lorsqu’il était trop tôt ou trop tard pour inviter une femme rencontrée sur internet. Il avait autant de chances de leur faire peur que de les rendre impatiente et donner l’impression de manquer d’intérêt. Ces matchs par application interposées donnaient lieu à de telles stratégies alambiquées et nœuds dans le cerveau.

Le champagne ne trouva pas le chemin de la bouche d’Ethel, mais celui de sa robe. Rapidement, Jonah se tourna vers le serveur le plus proche et lui subtilisa une serviette -et une olive verte au passage. Armé de bonnes intentions, le jeune homme se mit à tapoter la tâche humide sur le vêtement de son date, jusqu’à ce qu’il réalise qu’il essuyait à proximité de sa poitrine. Alors il fourra la serviette dans le creux de la main d’Ethel dans un mouvement de panique, l’échangeant contre sa flûte qu’il lui tint le temps qu’elle se débarbouille. “P-pardon, je te laisse faire.” Ça valait mieux. Il se racla la gorge, jeta un coup d’oeil aux alentours ; quelques personnes les regardaient “discrètement”, mais dans l’ensemble, l’incident semblait passer inaperçu. "T’en fais pas, la dégustation de champagne c’est un art subtil que je maîtrise pas tout le temps non plus," plaisanta-t-il afin qu’Ethel ne se sente pas comme la seule personne maladroite du duo. À dire vrai, c’était un miracle qu’elle s’en soit mis partout avant lui. “Ça remonte dans le nez, ça chatouille, et hop, un désastre est vite arrivé.” Était-ce nécessaire d’imager à ce point ? Probablement pas. “Si tu l’avais renversé sur une toile vierge plutôt que sur ta robe, je suis sûr que le galeriste aurait insisté pour t’exposer.” il renchérit, parce que l'idée le faisait rire. Ça s'appellerait “bulles d'embourgeoisement raté”, ou un truc dans le genre.

 « Printemps à mille cœurs »    jonah fletcher & @ethel hartfield.

---

---

Le doux murmure des conversations élégantes s'élevait dans la salle, accompagné par les notes légères de cette musique d'ascenseur à la mode que les bobos appelaient de la Lo-Fi. Tout était empreint d'une atmosphère feutrée, une sorte de raffinement aux antipodes des ambiances auxquelles Jonah était habitué. Et pourtant, au cœur de ce tableau de sophistication, se déroulait une scène bien peu conventionnelle. Une scène qui aurait pu être extraite d'une comédie romantique, un de ces moments où le malaise et la gêne fusionnent pour former un tableau hilarant. Enfin, supposé être hilarant. Le Fletcher remarqua que lorsque l’on était l’un des protagonistes du moment, il était tout de suite moins amusant. Ethel, les mains maladroites et la robe tachée, accepta la serviette avec un sourire gêné. Entre retenue et complicité, ils se seraient transformés en deux souris pour fuir la galerie s’ils l’avaient pu. Jonah fut surpris par la douceur du sourire de la jeune femme, par l'absence de jugement dans ses yeux, et cela l’aida à se détendre instantanément. "Une chance que ce n’est pas du vin rouge, ça aurait été chic pour le reste de la soirée." fit remarquer Ethel, parvenant à détendre encore un peu plus l'atmosphère. Cette manière de dénicher le bon mot pour apaiser les moments inconfortables, c’était une qualité que Jonah trouvait immédiatement charmante. Lui le premier, il s’efforçait de ne jamais laisser un incident alourdir un moment trop longtemps. On lui prêtait une incapacité à faire preuve de sérieux alors qu’il n’en était rien ; il préférait simplement dédramatiser, tourner la chose au ridicule, quitte à rire de lui-même. Ce n’était que la vie, après tout, rien de grave, rien de si important. “C’est exactement ça ! Tout ce qui est pétillant est à risque de désastre en fait. Vive un bon vodka jus de canneberge.” répondit-elle. Jonah haussa les sourcils, agréablement surpris par cette réponse inattendue. "Eh bien, je ne pensais pas te trouver dans le camp du vodka-jus de canneberge." Encore une fois ; pourquoi c’était la nana la moins prise de tête qu’il n’avait pas amenée au Saucibar ? Il tuerait pour une bonne bière bien fraîche et tant pis s’il se ridiculisait avec une moustache de mousse sur la lèvre supérieure, il se sentirait toujours plus à l’aise qu’au milieu des pingouins. “Plus j’y pense, plus je me dit que les tableaux auraient plus de sens avec ce genre de titre, Jus du matin sur nappe immaculée et celui avec la tache rouge là-bas Raisins fermentés” Le Fletcher lâcha un rire un brin trop sonore, discret comme une corne de brume dans une bibliothèque. Il se disait exactement la même chose depuis qu’il était entré dans la galerie : soit Ethel lisait dans les pensées et c’était aussi cool que flippant, soit ils avaient un humour aussi ras des pâquerettes que leurs connaissances en art contemporain. "Tu sais quoi, tu pourrais bien être en train de révolutionner le domaine de la peinture abstraite, fit-il d’un air faussement sérieux. Peut-être que le monde de l'art a besoin d'un peu plus d'humour.” Il lui lança un sourire complice. "Je t'assure, dans quelques années, les galeries seront remplies de toiles intitulées 'Éclaboussures de brunch' et 'Explosion de mimosa'. Tu seras la pionnière d'un tout nouveau mouvement artistique. Je devrais demander ton autographe avant de n’être qu’un moucheron dans le rétroviseur de ta fame. Est-ce que quelqu'un a un stylo ?!" Jonah fit mine se regarder partout autour de lui à la recherche d'un Bic et d'un bout de papier. Encore une fois, son agitation attirait les regards. Mais cette fois, il s'en fichait ; l'attitude d'Ethel, jusqu'à présent, le laissait penser qu'il pouvait étaler sa bizarrerie sans craindre qu'elle ne le juge.

 « Printemps à mille cœurs »    jonah fletcher & @ethel hartfield.

---

---

Le vernissage battait son plein, l’atmosphère animée de murmures chuchotés et de rires étouffés permettaient aux badinages d’Ethel et Jonah de passer quasiment inaperçu pour quiconque ne tendait pas l’oreille en leur direction. C’était un rendez-vous atypique pour le jeune homme, ça oui, car un rendez-vous qui se passait si bien, avec une telle légèreté et des plaisanteries à ricochet, cela n’arrivait jamais. Et cela lui laissait une drôle d’impression. Passait-il un bon moment avec quelqu’un qui lui plaisait, ou était-il en pleine déconne avec une bonne pote ? Crush amoureux ou crush amical, la question restait entière en attendant que la soirée se poursuive. Ethel le fixait d’un regard curieux, les yeux pétillants d’amusement. "Tu pensais que j'étais dans quel camp ? Et surtout pourquoi ?" Oh, il avait bourdé, ça y est. Il avait révélé l’image qu’il s’était fait d’elle -sans doute pas aussi proche de la réalité que ça. Pourtant, il ne s’estimait pas mauvais dans la lecture des autres, de leurs manières, leurs habitudes. Certes, il se basait sur des stéréotypes eux-mêmes alimentés par les films qu’il ingérait par centaines, et il oubliait, souvent, que les vraies personnes n’étaient pas des clichés ambulants. Jonah leva un sourcil en feignant de réfléchir profondément. Son sourire dansait au coin de ses lèvres alors qu'il prenait une gorgée de champagne. Puis il abandonna la quête d’une justification valable au label qu’il lui avait apposé au front avant même de faire sa connaissance ; "J'en sais rien ! Un truc plus fancy, genre Moscow Mule, Mojito à la pomme, Gin tonic à la violette… Les classiques avec un twist, comme toi, quoi ; t'as l'air posée, mais avec un truc en plus." Un brin de folie, dirait-il, cette maladresse charmante qui levait instantanément les barrières -car les apparences ne duraient jamais longtemps lorsque votre coordination vous faisait défaut, il en savait quelque chose. Lorsqu'elle tourna la question vers Jonah, il ne perdit pas une seconde pour répondre avec conviction. "Bière. Toutes les bières. De l'IPA locale à la Guiness, c'est la base de la base." Classique, ce choix ne lui conférait pas une personnalité hors du commun. Bref, basique, comme lui. "Et c'est des bulles qui remontent pas dans le nez. Très important." il précisa en référence au petit incident précédent. Ces deux-là n’avaient pas fini de se faire remarquer. Il devait admettre que c’était rafraîchissant d’avoir la sensation de pouvoir dire toutes les bêtises qui lui passaient par la tête et ne pas recevoir un accueil froid, avoir la liberté de rire de bon coeur sans se forcer pour faire bonne impression -car ici, il était plus adéquat de baisser les éclats de voix de quelques décibels. “Je devrais commencer tout de suite à agir comme une célébrité, dit Ethel en poursuivant la plaisanterie de Jonah. [...] Et ne t'inquiète pas, je te désignerai comme ma muse et je t'emmènerai faire le tour du monde avec moi !” Le Fletcher lâcha un rire. Si ça c’était pas aller vite en besogne. “Est-ce que ça veut dire que je vais devoir poser à poil régulièrement ? Parce que, tu vois, j’ai tendance à être un peu frileux, je voudrais pas être à mon désavantage.” Tu viens vraiment de glisser une référence à la taille présumée de ton engin ? “Par contre, si ça consiste à être un toy boy, j’suis partant à fond. Donne-moi ta carte bleue et dis-moi d’aller m’acheter des Legos, tu fais c’que tu veux de moi et j’suis le plus heureux des hommes.” Dire qu’il avait tenu si longtemps sans sortir le joker des blagues liées au sexe. Maintenant, il allait passer pour un beauf en puissance. Quelqu’un qui buvait de la bière.

“Je crois qu’on ferait mieux de bouger et d’aller en voir un autre avant de se faire demander de dégager la place.” Jonah acquiesça. Ils avaient fait mine d’observer et commenter le fameux Printemps à mille coeurs bien assez longtemps, il était temps de passer à la victime suivante. “Dirigeons-nous vers… ‘Carte de visite de la Lune’.” proposa Jonah en pointant du doigt une nouvelle section de l'exposition par le même artiste. Cette fois, le gribouillis était vert, et la forme arrondie un peu plus étalée sur le canvas. Rien à voir avec un astre, une nuit étoilée, ou quoi que ce soit en rapport avec le titre tel qu’il pouvait être interprété littéralement. “Je crois que par “lune”, il parlait de fesses de bébés, parce que c’est clairement une tâche de couche usagée.” commenta Jonah. Sexe, pipi et caca, il venait de faire le tour des bas fonds de son répertoire humoristique en un temps record. Ses lèvres se pincèrent d’embarras lorsqu’il réalisa que c’étaient également trois thèmes qu’on abordait rarement lors d’un premier date. “C’est pas le genre de choses qu’on dit quand on veut impressionner une fille, hein ?” En fait, ça fait vingt minutes que t’es gênant, Fletcher, mais mieux vaut s’en rendre compte tard que jamais.

 « Printemps à mille cœurs »    jonah fletcher & @ethel hartfield.

---

---

Jonah observait attentivement la jeune femme, elle qui semblait n'avoir aucune prétention, mais qui dégageait une aura de sincérité, de vivacité, et un brin d'excentricité charmante. Ethel était à l'opposé des soirées mondaines où les gens se perdaient dans leurs masques sociaux, où les mots étaient polis mais vides, et où l'authenticité se perdait dans le brouhaha des conversations feintes. L’un comme l’autre, au final, détonnaient dans l’environnement que Jonah avait malheureusement choisi pour ce rendez-vous. Pourtant, il s’en félicitait un peu ; sans ce contraste flagrant, est-ce que leurs points communs et atomes crochus leur auraient autant sauté aux yeux ? Lui préférait apprécier le concours de circonstances. A dire vrai, il appréciait la soirée tout court, et cela était assez rare lors d’une première rencontre pour être souligné. Son essai de flairer ses préférences en matière de cocktails avait conduit à une réponse franche, exprimant à la fois un penchant pour les classiques et une soif d'originalité. Une autre manière de coller à l’idée qu’il s’était faite d’elle de manière inattendue. Au moins, Jonah fut soulagé de constater qu’il avait réussi à éviter le piège potentiel de la réplique maladroite et à la flatter en même temps.

La manière dont elle avait réagi à sa description graveleuse et sans tabou de son futur rôle de muse d'artiste populaire avait révélé l’esprit ouvert, fantaisiste et bourré d'humour de la jeune femme (si cela n’avait pas encore été prouvé à son sujet auparavant). Sa réponse pleine de verve, où elle te taquinait sur une possible carrière de "toy boy" artistique, avait fait monter un sourire sur les lèvres du Fletcher. Elle ne se laissait pas démonter, elle savait se mesurer en badinages. “Si tu te comportes bien, je pourrais te fournir un chauffage d’appoint pour te permettre d’être à ton avantage. [...] Et n’oublie pas que tu devrais tout faire ce que je te demande.” En quelques blagues, Ethel savait aussi désarçonner celui qui était habitué à son monopole de l’humour limite. Et il avait chaud, aussi. Ils avaient oublié la clim dans cette galerie ? “Damn, que les artistes sont exigeants. Mais je prends ça comme un défi, et crois-moi, je serais le modèle le plus posé et gracieux de tous les temps," déclara-t-il avec un ton exagérément sérieux.

L'œuvre d'art devant laquelle ils se décalèrent avait été le prétexte parfait pour une nouvelle interaction piquante et décalée. Cette propension à voir l'absurde, à détourner la réalité pour y trouver une nuance comique, c’était l’une des principales qualités de Jonah. Une qualité qui lui valait souvent de rentrer chez lui seul après un date, une fois que la demoiselle l’avait définitivement trouvé gênant, glauque ou agaçant. Et il ne semblait pas apprendre de ses erreurs -si on pouvait les appeler ainsi. Il s’en rendit compte encore une fois trop tard ; parler de diarrhée de nouveau-né, on faisait mieux pour se distinguer aux yeux d’une potentielle conquête. “Peut-être si tu veux impressionner une pimbêche qui boit son champagne le doigt en l’air et qui parle les lèvres pincées. Mais je te jure qu’au contraire, les femmes qui boivent du vodka canneberge apprécient même ce genre de blague niveau un.” Il sentit ses pommettes rosir, à la fois d’amusement, de nervosité et de plaisir. Enfin, il pouvait entrevoir ce que Jules lui disait toujours ; qu’il devait rester authentique, car être apprécié pour soi-même procurait une sensation inégalable. “J’ai grandi avec deux frères et un demi-frère. Il n’y a rien qui me fait peur ! - Oh, wow, ça veut dire que si je fais le moindre pas de travers, je vais me faire disloquer la mâchoire par une horde de frérots en colère ? J’ai intérêt à me tenir à carreau.” plaisanta-t-il. “J’ai ma propre armée, il reprit. Quatre frères et sœurs. Du coup, comme les Fletchers sont en supériorité numérique, c’est peut-être à toi de faire attention.” Il haussa un sourcil faussement menaçant. Au fond, tout ce que cela voulait dire, c’était qu’il savait ce que c’était, les grandes fratries. Le bruit, l’agitation, les différences de caractère, la nécessité de se faire une place tout en respectant l’espace de chacun.

 « Printemps à mille cœurs »    jonah fletcher & @ethel hartfield.

---

---

Jonah savait qu'il avait fait une rencontre spéciale ce soir-là, que se tissait un lien, une complicité grandissante durant ce moment spécial avec cette femme qui était encore une inconnue il y a peu de temps. Les rires et les taquineries fusaient. Le temps s'écoulait trop rapidement, mais il n'avait pas envie que cette soirée prenne fin. Ethel était pétillante, pleine de vie et ouverte d'esprit, ce qui rendait chaque minute de leur conversation encore plus agréable. Il était rare de rencontrer quelqu'un avec qui il se sentait aussi à l'aise dès le premier rendez-vous. Et puis, elle ne manquait pas de charme, ça non, et Jonah se demandait comment quelqu’un comme lui parvenait parfois à obtenir un rencard avec des jeunes femmes fort éloignées de sa ligue. La magie de l’humour ? Pourtant, Ethel ne manquait pas de répartie et ses réponses face à certaines de ses pires plaisanteries en date le faisaient rire sincèrement. Il aimait sa spontanéité, sa capacité à jouer le jeu sans se prendre trop au sérieux.  “En fait, je me demande si c’est eux ou moi qui est la plus dangereuse. Tu sais, j’ai déjà suivi des cours de boxe. Je suis capable de me défendre sans eux !” Le brun ouvrit des yeux ronds, comme s’il était parfaitement impensable qu’une femme puisse être en mesure de se battre. Il fit mine de la toiser, et s’arma de sa meilleure imitation du masculiniste notoire, le Kévin passion tuning. “Ah ouais ? Tu sais, je crois que c’est le genre de choses qu’il faut mettre dans ton profil Tinder à l’avenir, parce que si j’avais su, j’sais pas, peut-être que je serais pas venu. C’est une information qui met en question ma masculinité et je sais pas si je suis prêt à voir une nana qui a pas besoin de moi pour être son sauveur et valoriser mon statut de mâle alpha, tu vois ?” Ew, ils allaient avoir besoin d’une bassine pour évacuer autant de propos indigestes, donnez-lui du bain de bouche pour se rincer de ces horreurs.

En échangeant des histoires drôles et des anecdotes de leur enfance, ils se découvraient de plus en plus de points communs et de similitudes dans leurs expériences de vie. Ethel avait grandi entourée de trois frères, une situation qu'il trouvait à la fois intrigante et amusante, mais qui ne lui était absolument pas étrangère. “Wow ! Je dois t’avouer que c’est plutôt rare que je rencontre des gens avec des fratries plus grandes que la mienne. Au moins, tu as des frères ! Je suis seule de femme de mon côté et je dois t’avouer que des fois, j’aimerais bien avoir une soeur pour être de mon côté.” Jonah approuva ; s’il avait été le seul homme au milieu d’une sororité aussi nombreuse, il se serait senti fort seul. Il aurait sans doute été particulièrement chouchouté aussi. Ethel, elle, s’était probablement fait bousculer plus d’une fois. “J’imagine que c’est pas évident.” Il ne pouvait s'empêcher de se demander à quoi ressemblait leur dynamique familiale, mais il n'osait pas poser de questions indiscrètes. “De toute manière, vu mon charisme, je suis sûre que je mettrais tous tes frères et tes soeurs dans ma poche et au final, j’aurai toute une armée de mon côté. - Et c’est bien plus souhaitable qu’une bagarre générale, mais mes frères et sœurs sont durs à impressionner, crois-moi.” répliqua-t-il avec malice. En réalité, Tracey serait la moins facile à convaincre. Les autres seraient dans l'euphorie que Jonah parvienne enfin à passer le cap du second date avec qui que ce soit, femme, homme ou chèvre au point où ils en étaient. “On devrait former une alliance et aller libérer le Mordor tous ensemble, qu’en dis-tu ?” Suggestion comme une autre, parfaitement normale. Tu veux pas demander le montant de sa dot tant qu'on y est, Fletcher ? “Et sceller cette future aventure autour d’une vodka-canneberge ?” Immédiatement, Jonah se pinça les lèvres, sa gorge se serra comme pour empêcher plus de mots d’être articulés. Il regarda autour d’eux et se pencha vers Ethel comme on s’apprête à murmurer un secret. “Faussons compagnie à ces culs serrés, je connais un bon bar dans le coin.”

 « Printemps à mille cœurs »    jonah fletcher & @ethel hartfield.

---

---

Le sujet de leurs fratries continuait à les rapprocher. Jonah était touché par la manière dont Ethel valorisait les liens familiaux, et il pouvait se reconnaître dans cette perspective. Leur complicité naissante prenait doucement racine dans les points communs qu’ils ne cessaient de se trouver au fur et à mesure de la soirée. “Mais en même temps, c’est probablement pour s’assurer que la personne qui entre dans la vie de leur frère ou soeur est quelqu’un de bien. Rhett et Ruben savent également se montrer difficile à percer également.” Jonah hocha la tête en signe d'approbation dans un premier temps, bien d’accord avec les instincts protecteurs de tout frère ou sœur qui se respecte envers un autre membre de sa fratrie. Bien sûr, il ne put passer à côté de l’opportunité d’articuler une nouvelle réplique aussi grotesque que ridicule avec le faux air sérieux qu’il savait si bien maintenir ; “Maintenant que je connais leurs prénoms je vais mettre mon pote du FBI sur le coup et faire mes recherches sur tout ce qu’ils aiment pour passer pour le mec parfait.” Plan imparable. Si seulement il avait un pote au FBI. Si seulement ils vivaient dans une série US.

Comme il était de plus en plus évident que ni lui ni elle n’avaient d’intérêt pour les œuvres présentées, Jonah formula l’idée de quitter la galerie. Il avait déjà un lieu en tête, celui dans lequel ils auraient dû se rendre dès le départ en réalité s’il n’avait pas tenté de se donner des airs de ce qu’il n’était pas. Répondant sans une once d’hésitation, Ethel accepta. Cela soulageait le Fletcher de ne pas se sentir durement jugé pour ce qui s'avéra être le meilleur faux départ de premier rendez-vous jamais exécuté. En cas de second rencard, ce qu’il espérait sincèrement compte tenu de la connexion qu’il ressentait avec la jeune femme, il se promettait de faire mieux. Ethel était définitivement sa meilleure rencontre depuis bien, bien longtemps. “Entre moi et toi, je crois que c’est plutôt un mousseux bas de gamme parce que leur champagne ne goûte pas très bon.” Son sourire radieux ne fit que renforcer la conviction de Jonah que la soirée pouvait encore mieux se dérouler s’ils changeaient de cadre pour un environnement plus détendu. Il ne put s'empêcher de rire lorsque Ethel mentionna le champagne de basse qualité. Lui n’y connaissait pas grand-chose, il avait trouvé le contenu de sa flûte plutôt à son goût, alors il la croyait sur parole bien volontiers. Ethel posa sa coupe et le suivit vers la sortie. “Tu m'emmènes où ? Il y a de la bonne musique là-bas j’espère ?” Jonah lui lança un sourire complice. Ce n’est qu’une fois dehors, après avoir retrouvé l’air frais de l’extérieur qui contrastait violemment avec la chaleur à l’intérieur de la galerie, qu’il lui répondit ; “J’espère que tu aimes la trap et le hip-hop parce qu’on va s’enfoncer dans le hood voir les bros de la street.” Il illustrait ses paroles et sa tentative d’appropriation de la culture urbaine en faisant des symboles clichés avec ses doigts ou encore en balançant ses épaules avec exagération. Il ne manquait plus que quelques wesh et yo pour ponctuer ses phrases et parfaire l'imitation, mais cela ne faisait définitivement pas partie de son lexique qui s’apparentait plutôt au nerdisme. Rapidement, il laissa tomber le personnage qui ne lui collait absolument pas à la peau. “Je déconne, c’est au bout de la rue, fit-il en pointant le chemin du doigt. T’aimes le saucisson ?” Ils marchaient côte à côte vers leur prochaine destination. La nuit était jeune, et Jonah avait le sentiment que cette soirée promettait encore de belles surprises. En tout cas, l’idée d'une bonne bière le faisait saliver.

Sujet terminé