:: redcliffe

@Olivia Welch

Sur le siège passager se trouvent deux sac cabas remplis de vêtements en tous genres : homme, femme, pour la maison, pour le travail, des vêtements un peu plus habillés, quelques chaussures également. Il est assez surprenant que les sacs soient toujours en parfait état quand on sait qu’ils sont fusillés du regard depuis une bonne dizaine de minutes par le conducteur, toujours installé derrière son volant, la voiture parfaitement garée et à l’arrêt depuis un quart d’heure déjà. C’était pourtant l’idée même de Cody, enfin décidé à dépoussiérer la chambre parentale de la maison familiale suite à la mise en ligne d’une annonce sur laquelle il est possible de lire, si on tombe dessus : recherche 3 colocataires pour maison familiale. Maintenant que les sacs - et la paire de chaussure dont il aperçoit un lacet - semblent le narguer avec insistance, il n’est plus certain d’avoir pris la bonne décision, peut-être qu’il aurait mieux fait de garder cette pièce fermée à clef, tel le mémorial qu’elle est restée pendant plus de dix longues années.

Sa famille lui manque, c’est sa seule certitude. Tous les membres de sa famille qui ne sont plus là font apparition dans sa tête alors qu’il ne décroche toujours pas le regard de ces foutus sacs et de ce fichu lacet qui dépasse. Son père et son cigare, la fumée sortant de sa bouche d’un simple pouf ; sa mère et son regard plein de tendresse ; Ash et ses paroles acerbes, son regard dur ; Adèle le dos tourné vers lui car bien vivante à Brisbane et pourtant, plus loin que jamais ; cette enfant dont il entend encore le premier cri.

Finalement, il ne lui faudra que 24 minutes très précisément pour se décider à sortir de la voiture, à prendre un sac dans chaque main et pour se diriger - d’un pas désormais suffisamment ferme pour qu’il ne puisse faire marche arrière - vers les locaux de l’association homeless connect qu’il ne connaît pour le moment que de nom.

Quand il pousse les portes de l’association, une petite file d’attente s’est déjà formée devant lui, il aurait le temps de s’enfuir à toute vitesse, rentrer chez lui, remettre les affaires à leur place initiale, fermer la chambre à clef et faire comme si rien ne s’était passé. Il aurait largement le temps de faire tout ça - et ce n’est pas l’envie qui manque - mais un visage familier vient le stopper sur son passage. Il remarque rapidement que les années écoulées n’ont rien enlevé au charme de la belle Olivia qu’il n’a pas vu depuis tant d’années qu’il ne saurait les compter.

Dans le grand schéma des histoires romantiques, la leur n’a pas été la plus longue, ni la plus belle. Ils se sont trouvés à un moment où tous deux en avaient besoin, ils ont partagé quelques temps sans que l’amour ne vienne toquer à leur porte et ils se sont quittés comme ils se sont trouvés, un sourire aux lèvres et sans aucune promesse. Ce même sourire, Cody l’aborde en approchant peu à peu de la jeune femme, réellement content de revoir ce visage qu’il aurait aimé conserver parmis ses proches : malheureusement trop peu de temps passé ensemble, un téléphone qui s’écrase lors d’un match de rugby (quelle idée de garder son téléphone dans sa poche!) et ainsi s’est achevée ce qui aurait pu devenir une amitié.

C’est son tour, il dépose les deux gros sacs sur le comptoir avant de saluer la jeune femme. « C’est donc ici que tu te cachais ? Je te cherche depuis des années. » Un sourire et des yeux rieurs feront comprendre à son interlocutrice qu’il ne s’agit bien que d’une boutade au cas où elle ne se souviendrait pas de son humour parfois douteux.

C’est toujours bizarre de tomber sur une personne que l’on a pas vu depuis des années, comme un petit bout du passé qui resurgit, emmenant avec lui tous les souvenirs de l’époque. C’est le cas aujourd’hui, Cody se prend en pleine tête les quelques souvenirs qu’il partage avec la jeune femme. Malgré leur histoire courte et l’échec de celle-ci, il n’en garde pas de mauvais souvenirs. Ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre, comme le sont la plupart des gens mais ils auraient pu rester amis, Cody en est persuadé encore aujourd’hui alors qu’il revoit ce visage auquel il n’avait pas pensé récemment, pris dans le tourbillon de la vie qu’est la sienne. Ce tourbillon qui le prenait aux trippes il y a encore quelques heures, alors qu’il se trouvait assis au milieu de la chambre parentale, ajoutant quelques affaires aux sacs qui sont désormais posés devant lui, des sacs qui semblent moins pesant maintenant que les souvenirs qu’ils renferment ont été remplacés par d’autres souvenirs, plus récents mais datant de quelques années malgré tout ; le souvenir de ses parents remplacé par le souvenir d’Olivia.

En bon Cody, il plaisante immédiatement, peut-être aussi pour détendre une atmosphère qui pourrait être lourde, ou pas. La belle lui répond instantanément et sérieusement. « T'as pas idée de combien je t'ai cherché » Sa mine joyeuse se transforme légèrement par le ton sérieux employé face à lui. A-t-il quelque chose à se reprocher qu’il n’aurait pas réalisé ? Serait-il le seul des deux à garder un bon souvenir de leur histoire ? Il tourne et tourne dans sa tête, tentant de trouver un sujet de discorde qui serait sorti de sa mémoire mais rien ne lui vient.

La boule lui monte à la gorge alors qu’elle prend une pause, visiblement pour lui parler. De quoi ? Il se le demande bien et n’a toujours aucune idée de la raison pour laquelle la discussion - bien qu’à peine débutée - a tourné si rapidement à quelque chose de bien plus sérieux. « T'as quelques minutes devant toi ou t'es pressé ? » Cela se voit peut être sur son visage mais Cody se met à hésiter très sérieusement, alors que les idées défilent dans sa tête, toutes plus folles les unes que les autres : quelqu'un a vidé les comptes en banque de la jeune femme après leur rupture et elle pense qu'il en est à l'origine ; elle a été arrêté pour possession de drogue dans sa voiture et pense que c'est lui qui l'a plantée là ; elle etait finalement amoureuse de lui et lui en veut terriblement d'être parti, des idées toutes plus folles. « Heu…j'imagine ? » sera finalement sa réponse, ne répondant finalement à aucune des propositions. « J'ai quelques minutes, c'est ce que je voulais dire. » qu'il se rattrape finalement avant de la suivre dans un endroit moins bondé.

Ses idées farfelues tournent toujours dans sa tête, la vérité en revanche ne lui effleure pas l'esprit, pas une seule seconde il s'imagine la bombe qui va lui tomber dessus très bientôt. Ni à quel point sa vie est sur le point de changer. C'est fou quand on y pense, qu'une simple rencontre, une simple phrase puisse changer le cours d'une - ou plusieurs vies - et que Cody est sur le point de vivre un tel moment sans pour le moment l'imaginer. Pour le moment, tout ce qu'il ressent c'est un peu d'anxiété alors qu'il ne trouve qu'une chose pour casser un peu ce moment de flottement : lui faire part de ce qui lui trotte dans la tête. « Je ne me drogue pas ! Je trafique pas non plus. Et j'ai pas besoin d'argent, j'ai une affaire qui roule, je t'en avais sûrement parlé, mon école ? » On ne peut plus l'arrêter et il se rend bien vite compte qu'il semble un peu dingue. « Désolé, je me suis imaginé plein de choses. » il rit un peu avant de poursuivre, tentant de faire une blague. En bon Cody, il n'est pas le plus doué. « Tant que t'es pas enceinte ! » Il rigole, forcément. Ça le fait bien rire Cody cette petite blague, il est presque sûr d'avoir déjà dit la même chose à sa petite soeur quelques années plus tôt, un jour où elle a essayé de lui annoncer qu'elle avait un petit-ami. Ce qu'il ne sait pas, c'est qu'il met les pieds dans le plat.

Le cerveau en fait de drôles de choses quand il se retrouve confronté à une situation inédite ou à laquelle il ne s’attendait pas. Et il faut dire que Cody se retrouve très rapidement confronté à ça, à des mots qu’il n’attendait pas. Il avait lancé ça pour rigoler, une phrase banale, une blague un peu ratée, il s’était attendu à un rire ou à rien du tout, puis ils auraient enchaîné sur une discussion basique à base de comment tu vas depuis le temps et autres banalités que peuvent s’échanger des ex quand ils se revoient après plusieurs années. Ce à quoi ne s’attendait pas Cody en revanche, c’était d’entendre ces mots. « Félicitations, t’es papa ! » Il faut dire que rien que cette phrase suffit à Cody pour qu’il fasse un pas en arrière, comme si le choc de l’annonce le poussait dans cette direction. « C'est des jumeaux ! » Plus tard, il remerciera le ciel d’avoir mis sur son chemin une chaise sur laquelle il peut s’asseoir en entendant ces mots sortir de la bouche d’Olivia. Il serait tout simplement tombé par terre si l’objet n’avait pas été là pour le récupérer dans sa - presque - chute.

Évidemment, c’est le choc, ça le serait pour n’importe qui apprenant qu’il va être père ou que le moment de se rendre à la maternité est arrivé, tous ces scénarios où on a le temps de voir venir avant de se retrouver père de famille de 2 enfants bien avancés dans leur enfance. Cody la fixe, il ne sait pas quoi dire, comment réagir, est-il censé avoir une réaction particulière ? Est-ce qu’elle attend qu’il dise quelque chose de précis ? Il ne sait même pas par quoi commencer, tout se chamboule dans sa tête et il lui faut de longues secondes - qui lui semblent durer des heures - pour finalement parler. Il doit s’y reprendre d’ailleurs à plusieurs reprises, soit parce que sa voix enrouée ne lui permet pas de parler correctement, soit parce qu’il se met à bégayer. Finalement, une question parvient à sortir. « Comment ils s’appellent ? » car pour le moment, ce sont deux visages flous, qui ne portent même pas de prénoms. Pour l’instant, il est sous le choc mais complètement incapable de réaliser ce qu’elle vient de lui dire et ce que ça implique. « Ils sont nés quand ? » est la deuxième question à laquelle il souhaite une réponse, pour avoir une date puis un âge. Il ne se pose même pas la question de la véracité des propos de la jeune femme. Il a vécu une histoire avec elle, il lui fait confiance. Peut-être qu’il se questionnera plus tard. Peut-être qu’il y réfléchira, tout seul chez lui, et qu’il se posera un milliard de questions mais pour le moment, toutes les questions qui lui viennent ne concernent que les enfants - ses enfants ? « Tu as des photos ? » qu’il poursuit, ayant besoin de mettre des visages sur ces images dans sa tête. Et peut-être aussi pour trouver des ressemblances ?

En fin de compte, la vérité c’est qu’il veut tout savoir. La vérité c’est que quand il réalisera réellement la situation, il regrettera de n’arriver que maintenant dans leur vie, d’avoir tant manqué, de n’avoir pas deviné, de n’avoir pas repris contact avec elle, pour x ou y raison, ce qui lui aurait permis d’être là pour eux et puis pour elle aussi.

C’est le choc, ça le serait pour n’importe qui. Mais n’importe qui se poserait un milliard de questions sur la véracité des propos, ce que Cody ne fait pas - pour le moment. Il s’est levé ce matin comme tous les matins, dans cette grande maison vide, accueilli par le chien récupéré chez son frère. Il a rempli quelques sacs cabas et est venu les déposer, toutes ces actions sans imaginer un seul instant qu’il se retrouverait devant Olivia, à l’écouter lui annoncer qu’il vient de rater des années de vie de ses enfants. La simple idée le fait chavirer, aussi il est bienheureux d’être assis et non debout car il ne sait pas si ses jambes sont encore capables de faire leur travail et de le tenir à la verticale. Alors il se lance dans une série de questions, souhaitant tout savoir, en commençant évidemment par leurs noms. « Lenny et Lizzie. Un garçon et une fille » Chaque information donnée rend la chose plus concrète. Ces enfants ont des prénoms et il forme peu à peu des idées dans sa tête, les imagine, les entend mais souhaite évidemment en savoir plus, bien plus encore. « Ils sont du seize mai. Ils ont eu six ans cette année. Lizzie sait déjà presque lire, Lenny préfère la logique des maths. » La tête lui tourne, bien sûr qu’il s’attendait à ce que les enfants soient déjà grands mais l’entendre est autre chose. Il est père - a-t-il le droit de se considérer comme tel ? - mais il a déjà raté tant d’années, tant d’évolutions, d’apprentissages, de souvenirs. La peine le submerge mais fait également place à de la culpabilité : aurait-il pu deviner ? n’aurait-il pas dû sentir quelque chose au fond de lui qui l’aurait poussé à chercher Olivia ?

Tant de questions qui restent pour le moment sans réponses, car il en a d’autres à poser, des plus importantes pour le moment. Il veut les voir, évidemment qu’il veut mettre deux visages sur les deux prénoms qu’il vient d’apprendre et qu’il se répète en boucle dans son cerveau pour les graver dans une place toute spéciale. « Tu crois vraiment que j'ai pas de photos ? Pour qui tu me prends ? » Il pourrait rire, dans n’importe quelles circonstances autres que celle-ci. Là, il ne rit pas, il ne le peut pas. Il la fixe de deux grandes billes et attend impatiemment qu’elle lui tende le téléphone, c’est tout ce qui importe en ce moment alors que son cerveau fonctionne à vive allure, passant et repassant toutes les informations, les années passées, leur histoire et ces prénoms, et cette date de naissance, et ce peu d’informations qu’il détient sur eux. Il récupère rapidement le téléphone, n’ayant pas réagi pour le moment, posant seulement des questions. Ses yeux sont désormais rivés sur les deux bouilles d’anges qu’il découvre. Ils ressemblent à Olivia, ça ne fait aucun doute, et ils sont magnifiques, c’est tout ce qu’il peut se dire et le lui dire à elle. « Ils sont magnifiques. » Sa voix n’est pas très stable, sous le coup de cette émotion grandissante qui s’empare de lui.

Enfin, un petit rire sort de ses lèvres quand il découvre que le prénom de cette petite fille a été choisi pour Sissi, l’impératrice. Et il trouve tout cela bien parfait, Leonard et Elizabeth, Lenny et Lizzie. Il peine à y croire, faisant encore défiler les photos, refusant de rendre le téléphone à sa propriétaire et de retirer ses yeux de ces enfants qu’il découvre. « Tu pourras m’en envoyer quelques-unes ? » qu’il demande, presque timide, presque honteux de demander une telle chose. Après tout, il ne sait ce qui va découler de cette discussion. Va-t-elle lui fermer la porte pour toujours ? « Ça fait beaucoup d’informations. » qu’il lui avoue alors qu’il a cessé de scroller mais qu’il tient encore fermement l’appareil entre ses doigts. « Est-ce que… ils ont un père ? » Forcément que la question lui vient, les enfants s’attachent et ont très bien pu s’attacher à une autre figure paternelle que leur géniteur inconnu. « Est-ce qu’on peut rester en contact, toi et moi ? » qu’il demande par la suite, refusant de la laisser s’échapper et d’ignorer tout ce qu’elle vient de lui apprendre. Il n’ose pas poser la question qui lui brûle les lèvres. Est-ce que je peux les rencontrer, un jour ? Il n’ose pas et a besoin de faire le tri dans toutes ces pensées qui l’assaillent. Et pourtant, il en rêve déjà.

Les paroles d’Olivia ne cessent de lui revenir en mémoire ; il n’entend plus que ça. Félicitations, t'es papa, il a du mal à faire sens de ces paroles. Et pourtant, comme en automatique, il pose tout un tas de questions, ne souhaitant pas couper court à cette conversation alors que tant d’interrogations se bousculent dans sa tête et qu’elle est la seule personne capable de lui apporter des réponses. Il la bombarde, refusant de la laisser partir, regrettant de ne pas en avoir fait de même toutes ces années plus tôt, regrettant d’un coup tout un tas de choses. « Je vais avoir besoin de ton nouveau numéro » Il pourrait rire de la situation mais il en est bien incapable, assomé par la nouvelle qui vient de lui tomber dessus et qui ne fait pas complètement sens pour le moment. C’est une histoire de téléphone qui l’a empêché de connaître ses enfants - ça lui semble lunaire de parler des enfants d’Olivia de la sorte - et il n’a pas l’intention de faire la même bêtise. Aussi, il sort son téléphone. « Donne moi ton numéro, je vais t’envoyer un message. Je te mettrai mon adresse mail aussi et mon adresse tout court. » Peut-elle sentir à quel point il est inquiet à l’idée qu’elle ne s’évanouisse dans la nature sans pouvoir le recontacter comme c’est arrivé au moment où elle avait le plus besoin de lui ? Sans doute, il sent bien que toutes ses pensées et questions émanent de lui et sont bien visibles sur son visage.

« Mon meilleur ami est leur parrain, et la figure masculine la plus proche qu'ils aient » Il hoche la tête, petit sourire aux lèvres, rassuré à l’idée qu’elle ait pu avoir le soutien que lui aurait dû lui apporter s’il avait pu en être informé. Et s’il se sent un tout petit peu rassuré à l’idée que personne n’ait le rôle de père dans leur vie, il s’en cache bien, honteux des pensées qui traversent son esprit alors que quelques minutes plus tôt, il ne connaissait pas leur existence et ne pensait pas tant à Olivia qui occupe désormais toutes ses pensées. « On peut rester en contact, bien sûr. Déjà, je dois t'envoyer les photos des enfants. Et je peux essayer de t'en trouver d'eux plus jeunes, si ça t'intéresse. » Hochement de tête peut-être un peu trop virulent, Cody lui fait savoir que ça l’intéresse. Est-ce que des photos pourront lui permettre de rattraper tout ce qu’il a raté ? Bien sûr que non, mais c’est déjà un début. « Je veux bien oui. Rester en contact, les photos, les photos d’eux plus jeunes. » Il ne fait que répéter ce qu’elle lui dit, bien incapable de former des pensées et des demandes cohérentes. Il ne sait pas où donner de la tête, tout se bouscule en lui, tout est chamboulé. Il est entré en ces lieux en étant une personne, il va en ressortir en étant bien changé. Et il ne sait que faire de tout ça. « Je suis désolée de te donner tant d'infos d'un coup » Il est vrai que ça fait un sacré paquet d’informations en quelques minutes. « Je sais que ça fait beaucoup, mais je sais pas si on se serait revu un jour. C'est déjà fou qu'on se soit croisé aujourd'hui ! » Il hoche la tête, bien d’accord avec elle. Elle a eu raison bien sûr mais le choc est toujours bien présent sur son visage ; et il ne sait toujours pas comment réagir face à de telles nouvelles. « ça fait beaucoup oui. » Qu’il avoue en un rire, le premier depuis l’annonce. « Mais c’est mieux, c’est bien que je sache. » Il est heureux que le secret soit enfin levé et qu’il puisse désormais avancer avec cette information, bien qu’il ne sache pas où ça va le mener et qu’il ne soit pour le moment pas prêt à trop creuser le sujet. « Je te cache pas que c’est un peu fou et que je m’attendais à tout sauf à ça. » Nouveau petit rire, Cody se détend peu à peu. « J’imagine que c’est pas facile pour toi non plus. » Elle ne devait plus penser à lui, ne devait pas s’imaginer qu’un jour elle devrait lui avouer ; sûrement que c’est un cataclysme pour elle presque autant que ça ne l’est pour lui. « Merci de me l’avoir dit. » qu’il conclut finalement, sachant pertinemment qu’elle aurait pu ne pas lui dire et que la  vie aurait continué pour tous les deux. « Si tu as besoin de quoique ce soit, tu as mon numéro. » ton ferme pour lui assurer qu’il ne balance pas ces quelques mots en l’air, il garde néanmoins un léger sourire sur le visage, tentant de par cette mimique de soulager un peu l'atmosphère.

La conversation prend une tournure plus glaciale et si Cody ne réalise pas tout de suite ce qui peut bien se passer, la réponse d’Olivia - et sa façon ne lui répondre - ne peut que le mettre sur la voie. « J'ai besoin de rien. J'ai ce qu'il faut pour m'occuper d'eux  » Il n’en faut pas plus pour qu’il réalise son erreur et se confonde en excuses, toutes plus sincères les unes que les autres. Après tout, il n’a pas voulu insinuer quoi que ce soit, il ne se le permettrait évidemment pas. « Oui bien sûr ! Je me doute, tu as tout géré seule ! » Bégayant légèrement, il a peur de s’enliser plutôt que de se sortir de la situation. « Enfin tu n’avais pas le choix… mais ils ont de la chance de t’avoir ! » Ils ne se connaissent pas vraiment alors c’est sûrement une phrase lancée au hasard pour améliorer la discussion, car Cody ne peut pas savoir quel genre de mère Olivia est - et il faut dire que ça ne le regarde pas - mais un regard vers elle, une oreille tendue vers sa façon de parler d’eux et Cody ne peut que voir l’amour qu’elle leur porte, et ne peut que se rassurer : évidemment qu’elle est un bon parent, ça ne fait aucun doute. « Désolée, c'est... Un sujet compliqué. » Petit rire nerveux s’échappe des lèvres de Cody alors qu’il baisse la tête pour lui répondre. « C’est moi qui suis désolé. » Pour tant de choses qu’il ne peut les énumérer. Pour leur relation et la façon dont elle s’est terminée, parce qu’il n’a pas pu lui ouvrir son coeur, bien trop épris d’une autre ; pour cette histoire de téléphone et ces années manquées, toutes ces années qu’elle a dû gérer toute seule et probablement répondre à un nombre incalculable de questions ; pour cette conversation qui n’est pas des plus faciles, ni pour l’un ni pour l’autre ; pour tout finalement, et encore d’autres choses sûrement, une liste si longue pour si peu de relation.

Il ne sait pas quoi lui dire, quoi lui demander ; il ressent tellement de choses mais est bien incapable de trier ses émotions pour qu’elles fassent sens. Il a besoin d’y penser, de penser à tout ce qu’il a manqué, il a besoin de voir des photos, de s’imprégner des histoires, il a besoin de tant de choses qu’il n’oserait demander : les rencontrer peut-être ? Serait-ce envisageable, en a-t-il envie ? Tant de questions auxquelles il ne peut pour le moment pas répondre. « Si jamais tu as des vidéos aussi ? Ou si tu as tenu un journal, tu pourrais peut-être m’en envoyer un extrait ? » Il est un peu gêné par sa demande, se trouve stupide dès qu’elle franchit la barrière de ses lèvres ; et pourtant, il veut simplement entrer un peu dans ces vies qu’il a manqué. « Enfin si tu veux bien, je veux pas paraître lourd ou… je sais pas. » C’est la vérité, il ne sait pas. Sa main vient frotter ses yeux, piquer l’arête de son nez, pourquoi n’y a-t-il aucun mode d’emploi pour ce genre de situation et de discussion ? Il aurait bien besoin d’un peu d’aide. « Je sais pas trop ce que je suis censé dire ou faire en fait. » Il avoue ses pensées à voix haute, parce qu’il ne sait pas quoi faire, quoi dire, que c’est la vérité et qu’il aurait bien besoin qu’on le guide. Où est-ce qu’on va, maintenant ?

Malgré leurs tentatives à tous les deux pour que cet échange se passe au mieux, il ne faut pas être devin ou particulièrement intelligent pour remarquer une certaine tension, qui ne fait que s’accroître et pour l’un, et pour l’autre. Cody ne sait pas où se placer, la situation inattendue vient de lui tomber sur la tête et fracasser tout ce qu’il pensait connaître sur lui et sur sa vie, tout se chamboule en l’espace de quelques secondes et il lui faudra plus que le quart d’heure qu’ils ont pour se faire à l’idée et réfléchir à la suite ; Olivia quant à elle a sûrement également énormément de choses dans la tête, tant habituée à gérer tout ce beau monde seule et ne souhaitant peut-être pas que qui que ce soit débarque pour chambouler les habitudes, Cody peut comprendre, il sait combien les habitudes des enfants sont importantes.

Cody pose des questions, essaie de s’intéresser et surtout, de digérer l’information en en entendant plus ; il a besoin de faire sens de tout ça et quelques histoires sur les deux jeunes enfants ne peuvent que l’aider à ancrer cette nouvelle dans la réalité ; pour le moment, bien que les visages des jumeaux soient ancrés à jamais dans sa mémoire, il a du mal à réaliser que la scène qui se déroule sous ses yeux est bien réelle et qu’il ne va pas se réveiller d’une minute à l’autre et réaliser qu’il n’a que tout imaginé ; ce serait peut-être plus simple, c’est sûr… « Je leur ai écrit sur des carnets. Parce que je me doutais que je finirais pas oublier à quel âge ils avaient atteint telle étape, ou leur premier mot ou... Du coup j'ai tout écrit, pour qu'ils puissent le savoir, et qu'il y ait une trace. » Il hoche la tête. Dans une commode du salon sont rangés soigneusement des tas de carnet et autres albums photos. La mère Shephard a elle-même tenu des journaux pour suivre l’avancée de ses trois enfants ; Cody a souvent entendu sa mère leur rappeler qu’elle aurait pu s’arrêter à un car c’est toujours la même chose mais que non, elle a fait l’effort pour leur faire plaisir et qu’ils ont intérêt à les feuilleter. Aujourd’hui, la commode est soigneusement fermée à clef, comme ces souvenirs. « Je sais pas trop quoi dire non plus... J'ai imaginé des milliers de fois de te revoir et te de le dire mais ça restait assez abstrait. J'ai jamais vraiment réfléchi à ce qui viendrait après cette annonce. » Il ne lui précise pas que lui non plus, lui qui n’a pas eu le temps de s’y préparer et de retourner les possibilités dans sa tête, il ne vit que sur l’instant présent et celui-ci est déjà bien assez compliqué comme ça. « Je comprends. » qu’il avoue alors en hochant la tête alors qu’elle ajoute ce qu’il n’ose lui dire. « Peut-être qu'on devrait y réfléchir chacun de notre côté ? Histoire de... De digérer tout ça ? » Il retient un soupir de soulagement qui manque de s’échapper de ses lèvres ; il aurait trop honte que la jeune femme en vienne à penser qu’il veut fuir. Ce n’est pas le cas, bien sûr, mais il ne dit pas non à l’idée de réfléchir un peu de son côté, après tout ce matin il vivait sa vie tout à fait normalement en compagnie de Shadow, son chien ; à mille lieues de s'imaginer qu’une telle nouvelle viendrait lui tomber dessus. « Oui, complètement. C’est pas que je veux oublier ce que tu viens de me dire, j’ai juste… C’est juste énorme, et… enfin, c’est juste énorme comme nouvelle quoi. » Il se perd en peu dans son cheminement de pensée, ne sachant pas vraiment par quel bout le prendre. Rire gêné qui s’échappe de ses lèvres, il ajoute. « Enfin je veux bien que tu m’envoies quelques photos et tout quand même. Et puis, on se recontacte ? » Est-ce que lui va la recontacter, est-ce qu’elle le fera ? La suite est un gros point d’interrogation qui fait peur.