@ARCHIE KWANTEEN & KIERAN HALSTEAD ⊹⊹⊹ was I not what you want? was I not what you need? i can't crawl at your feet, this ain't healthy for me.

(c) harley

(BAYSIDE, LOGEMENTS). Les yeux rivés sur la boîte confiée par son psychiatre voilà une dizaine de jours, Kieran se cherche toutes les excuses possibles pour continuer de l’ignorer un peu plus longtemps encore. Plus d’une semaine après l’avoir reçue, l’on peut dire qu’il a usé de toutes les justifications ; pour autant, il en revient toujours à la même : le titre de cet exercice, inscrit en toutes lettres sur la couverture cartonnée : « défis positifs ». L’ironie de la situation l’avait fait sourire : il n’est pas de ceux qui vivent au rythme des défis, pas plus qu’il n’est connu pour ses élans d’optimisme. Kieran n’avait pas eu besoin de cacher son manque d’enthousiasme, le professionnel le connaissant suffisamment, au point où il avait semblé avoir préparé ses arguments pour contrer son refus. Le premier a été que Kieran a accepté l’idée de vivre au jour le jour, et qu’il était donc temps de réajuster les étapes. Pas encore convaincu par la perspective d’objectifs à long terme, qu’il n’a pas la certitude de pouvoir mener à bien et se voulant donc plus une source de pression que de satisfaction, l’idée avait été proposée de rester sur des objectifs cohérents. Kieran n’était pas totalement fermé à l’idée, mais les exemples qu’on lui soumettait étaient si superficiels qu’il en avait l’impression d’être infantilisé. « Je prépare mon plat préféré », « je danse sur une musique inconnue », « je m’offre un complément » ; et la liste des inepties lui paraissait sans fin, à mesure qu’il avait l’impression d’être un enfant de 5 ans en pleine éducation positive. À ce constat, son psy avait fait un parallèle qui n’était pas tout faux, bien qu’il ait mis du temps à le reconnaître. Les objectifs pouvaient lui sembler basiques, ridicules même, mais Kieran était bel et bien en phase d’apprentissage. Il réapprenait à prendre le contrôle de son existence, de façon maladroite et bancale, autant qu’il apprenait à prendre soin de lui. Il devait retrouver sa place dans un monde où il s’était toujours senti à l’écart, et trouver une signification à un quotidien qui n’en avait plus. Il devait retrouver de l’intérêt, du plaisir et du sens ; ce que Kieran avait oublié de faire il y a bien longtemps. Alors oui, de cette façon-là, c’était un tout nouvel apprentissage, parce qu’il ne savait plus comment s’y prendre. Son psy n’hésitait plus à le mettre devant ses contradictions ; il voulait aller mieux, mais refusait chaque option qui lui était proposée. Or, en agissant de la sorte, il s’assurait surtout de continuer à stagner, et à défaut de savoir comment s’y prendre pour s’en sortir, il savait que c’était une étape qui l’insupportait à juste titre. Alors, Kieran avait abdiqué, promettant de jeter un œil à cette fameuse boîte, sans la promesse de s’y mettre de bon cœur, mais du moins de ne pas totalement l’ignorer.

Aujourd’hui, à court d’excuses, Kieran se décide à ouvrir l’emballage et à passer en revue les diverses options qui s’offrent à lui. La plupart sont moquées et sitôt oubliées, d’autres lui paraissent inaccessibles ; il ne se sent pas de décrire un évènement heureux qui pourrait lui arriver demain, pas plus que d’imaginer sa réponse à la question « que ferais-je si j’osais ? ». Il s’arrête finalement sur une carte qui lui paraît bien plus appropriée et non négligeable en vue de la demande de Waterproof ; prendre le temps d’aller faire une promenade. Jetant un coup d’œil au corgi, ce dernier semble comprendre son maître alors qu’il aboie vivement pour montrer son enthousiasme, se rendant déjà jusqu’à la porte d’entrée. « Ouais, c’est bon, j’ai compris. » Enfilant une veste et se munissant de son sac à dos avant de quitter l’appartement, Kieran se décide à prendre le défi au pied de la lettre ; il prendra le temps.

S’éloignant de l’habituel tour du pâté de maisons pour rejoindre un parc, puis des rues adjacentes vidées d’âmes qui vivent, c’est lorsqu’il passe sous un pont que Kieran entend des aboiements qui ne peuvent pas appartenir à Waterproof. Quelques instants plus tard, c’est la silhouette d’un chien amaigri qui clopine jusqu’à lui, tandis qu’il est envahi d’un mauvais pressentiment. Bien sûr, son corgi n’est d’aucune aide puisqu’il n’a absolument aucun sens du danger et il trépigne d’impatience à l’idée d’avoir un nouveau copain plutôt que de faire preuve de méfiance. L’animal finit par s’approcher suffisamment près d’eux pour que Kieran le flatte un instant, se mettant ensuite à genoux pour avoir un aperçu de la médaille qui brille autour de son cou. « Putain, c’est une blague. » Il songe à voix haute alors que le nom inscrit sur le collier autant que la dégaine de l’animal sont trop de coïncidences pour que ce soit un hasard. Tirant son téléphone de sa poche, se maudissant d’avoir à chercher le compte instagram d’Archie, ses soupçons sont confirmés quand il voit la miniature de la dernière photo postée annonçant un chien perdu. Ne prenant pas la peine de lire les détails, Kieran observe Bucky un instant. Oui, durant une fraction de seconde, il a très envie de le laisser à son sort afin de s’éviter une nouvelle rencontre désagréable avec l’actionnaire. Dans un second temps, il se ravise, car il ne peut décemment pas le laisser seul, mais il pourrait tout aussi bien s’abstenir de le ramener à son propriétaire – Waterproof a déjà l’air de l’apprécier. Mais parce que Kieran est né avec une conscience et des valeurs, contrairement à Archie, c’est en soupirant qu’il glisse ses doigts sous le collier de Bucky à défaut d’avoir une seconde laisse sous la main, et qu’il se met en route en direction de la dernière adressée connue de l’actionnaire, là où il s’est rendu par le passé parce qu’il n’avait rien d’autre à foutre que d’essayer de sympathiser avec les amis de sa fiancée.

La joyeuse (non) bande arrivée sur les lieux, Kieran marque un dernier temps d’arrêt, conscient que la rencontre ne sera certainement pas agréable, mais l’impatience de Bucky qui reconnaît les lieux l’oblige à céder. Pressant son doigt contre l’interphone, lorsqu’il entend la voix détestable d’Archie-Con, il grince des dents en disant : « J’ai ton chien avec moi. » Il ne s’annonce pas, n’ayant aucune envie que son identité soit un facteur pour lui claquer la porte au nez ; quoi que, ça lui permettrait de garder l’animal parce qu’il ne peut concevoir qu’Archie s’en occupe correctement compte tenu du traitement qu’il offre déjà aux humains. Ouais, sans doute qu’il aurait dû y réfléchir à deux fois avant de venir jusqu’ici, mais... mais ce chien est vraiment laid et il n’a aucune envie de l’avoir constamment sous les yeux, aussi sympathique soit-il.

Quand l’alarme d’Archie sonnera, le premier mois se sera écoulé. Quatre semaines durant lesquelles aucune masse imposante et malodorante ne se posait à ses pieds à 23h tout pile. Trente jours sans les couinements du chien jusqu’à 23h25, suivi du silence de mort durant 7h, puis des hoquets d’impatience le matin. Sept-cent-vingt heures de solitude dans ce château immensurable et vide où même le silence réverbère contre ses murs blancs. Pas une seule fois Archie n’a ramené quelqu’un chez lui depuis que Bucky a disparu.

Il a repassé les événements en boucle, s’est demandé ce qu’il aurait pu faire pour empêcher le drame d’arriver. Une seule seconde : c’est ce qui aura fallu au chasseur aux poils longs pour détecter un petit animal courant à vive allure de l’autre côté de la rue. Une autre seconde pour qu’il se jette en sa direction, son collier glissant de la main d’Archie et ses jambes infinies le menant déjà à une centaine de mètres pour finalement disparaître derrière le trafic. Archie se souvient avoir insulté tout le voisinage et blâmé toutes les circonstances sauf lui-même. Après avoir passé la journée entière à rouler dans le quartier, le téléphone en main pour annuler ses rendez-vous professionnels, il est rentré chez lui avec le cœur lourd et le visage barbouillé de peur à 2h du matin. La première nuit a été la pire, mais celles qui ont suivi ne lui ont pas procuré le sommeil dont un homme important comme lui a besoin pour continuer à survivre à ce rythme. Le café n’a rapidement plus eu d’effet sur lui. Le zombie s’est retrouvé dans la solitude la plus creuse qu’il a jamais rencontrée, les affaires de Bucky éparpillés dans la maison lui rappelant sans cesse que son meilleur ami est perdu quelque part à Brisbane. Il a souvent pensé qu’il était mort, aussi, mais il a refusé à son corps de faire le deuil parce que, au fond, il a toujours l’impression d’entendre les aboiements de son chien quelque part dans la maison.

Mais son alarme sonne, et un mois s’est écoulé. Le visage boudiné par la fatigue et les draps étampés dans son visage, il contemple la possibilité de s’enfermer une énième fois chez lui aujourd’hui. Il pourrait travailler de son bureau, s’enfermer dans sa petite bulle et prier pour que cette journée se termine rapidement. Oui, c’est ce qu’il va faire après avoir fait le tour de son immense terrain pour s’assurer que Bucky n’a pas retrouvé le chemin de la maison tout seul. À son balcon, il siffle. S’il admire souvent la vue sur la mer, aujourd’hui il garde les yeux rivés vers le bas, où sa pelouse verte néon est dodue et intouchée. « Buck ! » Il lance, net, comme il le fait pour rappeler l’animal quand il est parti trop loin au parc à chiens. Il siffle aussi en comprimant son pouce et son index entre ses lèvres. Aucune réponse. Ses doigts se serrent autour de la rambarde en métal. Il se fait mal pour ne pas laisser une autre larme couler, puis il tourne les talons pour ne plus toucher au soleil de la journée. Vers midi seulement il mord dans les restants de la veille, sans appétit. Cette journée est plus difficile que les autres. Il s’agit d’une sorte d’anniversaire de la défaite - félicitation, ton meilleur ami est porté disparu depuis un mois. Crève maintenant.

On sonne à la porte. Archie jette un coup d’œil à sa montre. Il n’a rien commandé et il a annulé tous ses rendez-vous. C’est peut-être l’une de ses sœurs qui veut le forcer à sortir. Il serait surpris si c’était le cas puisqu’elles n’ont pas l’habitude de passer ici par improviste. La plupart du temps, il n’est pas là et ils doivent planifier des rencontres des jours à l’avance, voire des semaines. On sonne une deuxième fois. Il soupire et décolle ses fesses de sa chaise après avoir enregistré trois fois son fichier Excel pour être certain de ne pas perdre tout son travail. En se frottant les yeux, il traine des pieds jusqu’au microphone qui lui permet de prendre contact avec les visiteurs derrière la grille qui ceinture toute sa villa. « Quoi ? » Il balance du tac au tac, ses espoirs bien bas. « J’ai ton chien avec moi. » Ses cernes s’effacent, son visage reprend des couleurs, son cœur oublie de battre. « J’ouvre. » Il affirme aussitôt en appuyant sur un bouton, se jetant vers la porte d’entrée sans prendre la peine de se vêtir correctement. Il accueillera la personne avec un t-shirt et un jogging, tant pis, les apparences lui passent par-dessus la tête maintenant que l’adrénaline fait pomper son sang dans son corps.

À l’extérieur, la grille s’ouvre lentement mais dès que la tête de Bucky peut se glisser dans la fente, l’animal se jette de toutes ses forces vers l’avant, se délogeant de la prise de Kieran à son collier. À toute hâte, sa langue pendante, ses quatre pattes se confondant à cause de la vitesse, ses poils sales secoués dans tous les sens, il se jette dans les bras de son maître qui a à peine le temps de faire trois pas hors de sa maison. « Viens là ! Viens là ! » Archie s’essouffle, les bras grand ouverts et les traits étirés par une joie indescriptible. Tous les deux se roulent comme des heureux idiots dans la pelouse, Bucky le surplombe de tout son poids et lui peint le visage de salive tandis qu’un rire infatigable s’échappe de la gorge d’Archie. L’animal couine, se colle à lui le plus possible jusqu’à l’étouffer, et le garçon doit se déloger de sa prise de lutte pour ne pas mourir sur place. Même s’il a perdu quelques kilos, il fait toujours son poids en os. « Je suis heureux aussi, oui ! Oui oui oui ! » Il lui prend la tête entre les mains, glisse dans sa fourrure nouée ses doigts qui ont tant manqué ce contact. Bien sûr, les larmes ont fini par noyer son visage et loin de lui la lucidité de les essuyer. S’accrochant à ses poils et l’enroulant de ses bras, il prolonge l’étreinte alors que Bucky se calme enfin pour profiter de l’amour que lui adresse son maître. « Tu ne me fais plus jamais ça, idiot. T’entends ? Plus jamais ! » Il pleurniche tel un gamin heureux, les paupières closes et ses émotions retombant enfin pour laisser place à un coussin de chaleur réconfortante dans tous ses muscles.

Il a complètement oublié qu’il y a une autre personne à quelques mètres de là qui assiste à toute la scène et qui attend certainement de recevoir son argent avant de s’en aller et d’oublier cette histoire anecdotique.

Jetant un coup d’œil au barzoï à côté de lui, Kieran ne peut que constater que cette race de chien sied à merveille à Archie. La silhouette longue et allongée, donnant des airs condescendants à l’animal, va de pair avec le maître, on ne peut que souligner qu’Archie a choisi la facilité, hm. « J’ouvre. » Dans l’attente que cette porte s’ouvre sur la gueule détestable d’Archie, Kieran se demande jusqu’où le hasard poussera la plaisanterie. Bien que le barzoï ne soit pas de la race de chiens la plus répandue, il y a sûrement plus d’un propriétaire de cette espèce en ville. Quelles étaient donc les chances qu’il soit obligé de venir frapper à la porte du plus exécrable de tous, en remerciement de sa bonne action ? D’autant que Kieran n’est pas dupe, Archie trouvera le moyen de le rendre coupable d’une telle situation, quand bien même son intention est pure et désintéressée. C’est ce qu’il fait après tout, n’est-ce pas ? Considérer qu’il est responsable du malheur des autres, qu’il se nourrit de leur souffrance tout en revêtant son masque d’adorable innocent. Nul doute que dans ce contexte, Archie ne manquera pas de le pointer du doigt quant à la disparition de son précieux compagnon à quatre pattes. Merde, il aurait dû réfléchir plutôt que de croire au désespoir du Kwanteen. Celui-ci sera sans doute rapidement oublié quand il faudra désigner un fautif. Archie a l’argent, l’influence et les contacts nécessaires pour faire de cette bonne action, une cruelle erreur. Peut-être que Kieran anticipe avec exagération cette rencontre qui n’a pas encore eu lieu, mais pour sa défense, le passé lui a prouvé qu’Archie tirait un certain plaisir à travers l’humiliation d’autrui ; et surtout la sienne. Bon sang, si Archie pouvait le tenir responsable du cancer, il le ferait sans doute.

Et le voilà devant cette porte, s’étant annoncé avant d’avoir réellement songé à la perspective de faire demi-tour alors qu’il aurait dû s’accorder pareille réflexion. Pourtant, lorsque la porte s’ouvre, Kieran se sent parfaitement invisible pendant une seconde, puis une autre et avant même qu’il ne le réalise, une minute s’est écoulée. « Viens là ! Viens là ! » L’artiste a l’impression d’être un intrus, ou un fantôme. Mais pas de la façon dont il est habitué, où il est volontairement mis sur le côté, car il n’a rien d’assez intelligent à dire, ni l’assurance nécessaire pour faire valoir sa présence – et ce sont donc les autres qui décident de sa place pour lui. Non, cette fois-ci, il n’est pas question d’un acte volontaire, et Kieran est réellement un spectateur de la scène qui se joue devant lui, lui procurant même un certain malaise d’être témoin de retrouvailles aussi intimes. C’est sans doute la raison pour laquelle il ne réagit pas pendant de longues minutes et, à vrai dire, si la situation ne l’exigeait pas, il aurait fait demi-tour sans demander son reste – d’autant plus qu’Archie ne semble pas avoir compris qu’il y avait une autre présence que celle de son chien et qu’il n’a donc pas pris la peine de l’identifier pour lui faire porter le chapeau de cette disparition. « Je suis heureux aussi, oui ! Oui oui oui ! » Son malaise s’accentue toujours un peu plus face à l’anormale scène dont il est témoin, qui n’est pas compatible avec l’image qu’il a d’Archie. Ce n’est pas parce que celui-ci semble ravi d’avoir retrouvé son clébard que Kieran oublie tout ce qu’il lui a fait subir par le passé. Loin de s’attendrir, l’image le dégoûte, car elle humanise un Archie qui ne possède pas les caractéristiques nécessaires pour être considéré comme tel. « Tu ne me fais plus jamais ça, idiot. T’entends ? Plus jamais ! » Kieran finit par se racler la gorge une première fois pour signifier sa présence. Voyant que la technique n’a pas le succès escompté, il la réitère, un peu plus fortement cette fois-ci, parvenant à capter l’attention d’Archie. Il passera sous silence ce qu’il vient de voir, se contentant de glisser son regard sur le chien – non pas parce qu’il n’arrive pas à soutenir celui d’Archie, mais parce qu’il n’a aucune envie de lui donner plus d’attention que nécessaire. « Il a une plaie sur la patte arrière gauche. Au cas où. » Il souligne en haussant les épaules, se doutant bien qu’Archie l’emmènera dans la meilleure clinique vétérinaire de la ville pour s’assurer qu’il reçoive des soins de qualité. Kieran l’avait remarqué quelques minutes après qu’ils se soient mis en marche, parce que le chien boitait légèrement, mais pas assez pour l’inquiéter et l’obliger à prendre un taxi pour faire le chemin jusqu’à la dernière adresse connue de l’actionnaire. « J’ai jeté un œil, ça a pas l’air infecté ou quoi. » Il l’informe toutefois, alors qu’à ses côtés, Waterproof couine déjà à l’idée d’avoir perdu son copain. « Ouais, non, tu le reverras pas, lui. » Il s’excuse à l’égard de son toutou, se penchant vers lui pour lui caresser le dos, avant de l’inviter à le suivre lorsqu’il fait demi-tour, sans accorder un seul regard à son meilleur ennemi.

@Archie Kwanteen

Il n’y a plus qu’Archie et la béatitude. Un mois à craindre de parcourir les rues et de freiner brusquement devant une masse duveteuse blanche et rouge au milieu de la route. Il s’était imaginé tous les pires scénarios. L’enlèvement, la revente, l’abus. Il avait fantasmé à l’idée d’arracher les yeux des gens qui auraient pu jeter des pierres à son meilleur ami parce que sa silhouette est atypique et son museau a une allure de trompe. Il s’est réveillé en sursaut au milieu de la nuit, jurant avoir entendu l’animal aboyer à la porte de sa maison pour découvrir la nuit calme et le silence angoissant en l’ouvrant. L’absence de Bucky lui avait rappelé à quel point il est un homme seul, mais aussi à quel point il s’était affligé ce destin-là en prenant toutes les décisions qui, à la fin, le couperaient des gens qui comptent vraiment. Ça a toujours été sa faute. Il en a conscience, et c’est bien ça le pire.

Mais la roue tourne en sa faveur et lui laisse une dernière chance de se repentir. L’animal qui s’excitait à voir rentrer son maître tous les soirs et qui l’obligeait à sortir de chez lui est de retour. Il n’a jamais eu aussi hâte de glisser sa laisse à son collier et de partir en expédition des heures durant. Bucky lui donnait une raison d’être un humain comme les autres pendant un instant. Pendant un instant, quand il remplit sa gamelle, lui lance sa balle ou shampooine sa fourrure dans le bain, il laisse s’effacer a superficialité de sa vie en plastique.

Les coups de langue se superposent et noient le visage du garçon, qui n’en a rien à faire de se salir. Il est si heureux qu’il oublie le reste. De ses paupières s’échappent de grosses larmes et il est rare de le voir pleurer, ce mur de pierre. Il ne compte plus les secondes, se détache de la réalité, caresse les courbes amincies de l’animal, constatera les dégâts plus tard quand il calmera son euphorie.

Quelqu’un se racle la gorge. Il l’ignore. Occupé à dégager les yeux de Bucky des poils souillés et brunis, il ne prend pas conscience de ses alentours. On se racle la gorge une seconde fois, de manière plus insistante, et daigne enfin de lever le menton. Il voit d’abord un corgi, court sur pattes, l’air piteux, couinant de déception. Une patate triste, en gros. De l’autre côté de sa laisse tenue serrée, une silhouette fine et allongée qui lui provoque un malaise instantané. D’un bond, Archie se redresse et siffle. Bucky s’assoit sur ses chaussures pour séparer son maître de Kieran. « Il a une plaie sur la patte arrière gauche. Au cas où. » Il pose sa paume sur la large tête du chien, opine discrètement du chef, incapable d’aussitôt examiner la plaie dont il est question. Il ne l’admettra jamais, mais la présence de Kieran remue certains de ses organes internes. Ce ne sont pas les choses qui ont été dites : c’est la réalité qu’il a su lire entre les lignes du bouquin que constitue Archie et le rôle qu’il s’est attribué. « J’ai jeté un œil, ça a pas l’air infecté ou quoi. » Ses mains sont moites. Il inspire mais ne dit rien, tétanisé derrière cet air impassible. « Ouais, non, tu le reverras pas, lui. » Il regarde le corgi. Ses couinements réveillent l’instinct de Bucky, qui couine à son tour. Son maître accroche fermement son collier pour l’empêcher de s’enfuir une deuxième fois.

« Attends. » Il fait enfin pour interrompre Kieran dans son mouvement de recul. Il n’a pas prévu ce qu’il allait dire alors, au départ, il fait survoler sa voix sur l’immense terrain vert. Une sorte de eeUuHhhHH inconsistant qui annonce une suite, ou une hésitation, ou un mélange des deux. « Je ne t’ai pas donné l’enveloppe. » Celle qu’il a gardée au milieu de sa table à manger dès l’instant où il a annoncé la disparition de Bucky sur Instagram. Deux milles dollars en grandes coupures. Et, quand le regard de Kieran croise le sien, le barzoï se met aussitôt à grogner comme un système d’alarme. Il a entendu les battements affolés du cœur de l’actionnaire, la peur qui le tiraille, l’inconfort aussi – mais encore des choses qu’il n’admettra pas. « Arrête ça. » Il dit fermement, muselant sa gueule avec sa main. Il sait très bien ce qu’il fait. Il protège son maître parce qu’il sent qu’il a perdu toute sa confiance. Il a seulement grogné une autre fois depuis qu’il l’a adopté, et c’était lorsqu’Archie perdait tous ses moyens devant Autumn parce qu’il pensait l’avoir perdue. Il grogne pour protéger celui qui ne peut pas se défendre. Il le remerciera plus tard. « Il ne mord pas. Il fait ça quand il… n’est pas familier avec quelqu’un. » Le mensonge passerait aussi clairement que de la crème si Kieran n’avait pas pu constater le contraire à peine quelques minutes plus tôt. Il l’a ramené jusqu’ici, et Archie se doute qu’il a été muet durant tout le trajet. Il est un chien calme et timide, autrement. Un parfait contraste à son maître. C'est marrant comme Kieran, lui non plus, ne ressemble pas du tout à son chien. C'était comme s'il ne lui appartenait pas vraiment, qu'il l'avait trouvé au milieu d'une inondation et qu'il avait décidé de le garder. Dans tous les cas, il ne se souvient pas l'avoir vu auparavant.      

Kieran n’est jamais sûr de rien. Il passe son temps à douter ; de lui, des autres, aussi. Il remet constamment en question les informations qu’on lui donne en main, persuadé que celles-ci ont une visée malsaine, que ce soit pour se moquer de lui ou remettre en cause des règles et un ordre établi dont il est partisan. Le trentenaire passe son temps à questionner ce qui l’entoure, au point d’en perdre le point de départ de ses réflexions. Il s’égare toujours plus, formule de nouvelles hypothèses, croit en de nouvelles figures, remplace des injonctions par des autres. Il a toujours fonctionné de cette façon ; il ne s’en est jamais vraiment plaint. Pour autant, il y a une chose dont il n’a jamais douté : Archie Kwanteen est incapable de se montrer humain. Il en possède les caractéristiques ; des imperfections de sa peau jusqu’à un certain talent pour compliquer des situations qui, d’apparence, sont simples. Il imite les émotions à la perfection, mais avec un registre limité à celles qui se veulent négatives. La colère, l’indifférence, le dédain, tant de choses qui caractérisent l’actionnaire. Certainement pas la joie, encore moins une forme d’euphorie qui l’amène à laisser des traîner humides sur le sillage de ses joues, que Kieran refuse de considérer comme des larmes. Ça n’en est pas ; ça ne peut pas en être. Il ne comprend pas grand-chose à la scène qui se joue devant lui, mais il se convainc de plus en plus que tout ceci est un cauchemar dont il va se réveiller bientôt. Il ne peut pas vivre dans un monde où le Kwanteen lui apparaître comme réellement humain, et non un robot parfaitement rodé pour se fondre dans la masse. Il ne peut pas avoir des émotions comme celles-ci, pas de manière spontanée et irréfléchie. Kieran se refuse de considérer cette perspective, lui qui a érigé Archie au statut de grand méchant de son histoire.

Parce qu’il ne veut pas être témoin de cette effusion de bons sentiments qui, d’une façon ou d’une autre, est fausse, Kieran se racle la gorge une première fois pour signifier sa présence, puis une seconde quand il réalise que ça n’a pas l’effet escompté. Lorsqu’il capte enfin le regard d’Archie, il peut lire la gêne dans celui-ci et le sifflement qui vise à ordonner au chien de s’asseoir devant lui provoque un rire froid qu’il n’essaie même pas de cacher. « Quoi ? Tu vas lui dire d’attaquer ? » Il interroge en faisant glisser son regard sur l’animal, s’exaspérant de l’attitude d’Archie. C’est lui qui assiste à une scène traumatisante et c’est encore Archie qui joue les pauvres victimes. Kieran l’a compris, c’est lui le grand méchant, celui qui terrorise les autres et qui y prend du plaisir, qu’Archie tremble et se fasse protéger par Bucky, brrrr. Il finit néanmoins par l’avertir d’un fait qu’il juge important ; car s’il exècre de tout son être le propriétaire, il n’empêche que le chien n’y est pour rien. La plaie n’est pas infectée, mais elle méritera qu’on s’y attarde pour la nettoyer et il ne doute pas qu’Archie saura lui offrir les meilleurs soins. À ses pieds, Waterproof s’impatiente et Kieran finit par lui révéler la triste vérité ; il ne reverra pas son nouvel ami, il y met un point d’honneur. Ils sont déjà restés trop longtemps et il invite l’animal à le suivre alors qu’il fait déjà demi-tour.

« Attends. » Déjà dos au Kwanteen, ce dernier peut apercevoir la tête de Kieran basculer légèrement en arrière alors que son nez se lève au ciel, ses yeux se ferment et il inspire profondément pour se donner du courage avant de se retourner, son regard agacé qu’il n’essaie même pas de dissimuler. Il grince des dents, tendant ainsi les muscles de sa mâchoire, son regard bleu ancré dans celui d’Archie, les yeux légèrement plissés de par le froncement de sourcils qu’il n’arrive pas à contrôler. « Je ne t’ai pas donné l’enveloppe. » - « Quelle enveloppe ? » Il l’interroge, ajoutant, avec un rire cynique : « celle de tous mes méfaits ? » Il appuie exagérément sur ce terme, ses épaules se tassant un peu lorsqu’il accentue sur ce mot, avant d’allonger à nouveau le dos pour ne plus donner à Archie l’impression d’avoir l’avantage. Il l’a perdu ce jour-là, à l’hôpital, quand Kieran a réalisé qu’il n’avait plus rien à perdre et surtout pas face à lui. « Arrête ça. » Le regard de Kieran glisse sur l’animal qu’il fusille malgré lui, subissant déjà cette rencontre sans devoir y ajouter la crainte d’être attaqué par un putain de clebs qu’il a essayé de sauver, à l’origine. « Il ne mord pas. Il fait ça quand il… n’est pas familier avec quelqu’un. » - « Ouais, drôle d’histoire qu’il m’ait suivi. C’est là où tu m’accuses de l’avoir volé, pas vrai ? Vu que je sers qu’à emmerder le monde, hein. » La bouche encore légèrement entrouverte tant sa mâchoire est crispée, le minime espace entre ses lèvres permet toutefois de constater à quel point ses dents sont serrées les unes contre les autres. « Je veux rien de toi, Archie, alors prend ton chien et oublie-moi. » Il aurait pu ajouter un s’il te plaît, mais cela lui aurait donné l’impression d’implorer l'actionnaire. Et quelques semaines plus tôt, lors de leur dernière rencontre, il s’est promis de ne plus jamais s’écraser devant lui.

@Archie Kwanteen  

« Quoi ? Tu vas lui dire d’attaquer ? » Archie ne l’aime pas. C’est tout à fait réciproque. Il vaut mieux pour lui de ne pas se lancer dans cette guerre de piques qui ne terminera jamais. Son cœur est à la célébration, le retour de Bucky dans sa vie chasse tous ses fantômes et il n’a qu’une seule envie : écourter cette rencontre. Seulement, malgré leurs différents, il y a quelque chose qu’il ne lui soutirera pas. Kieran lui a rapporté le chien alors qu’il aurait pu être celui qui lui jette des pierres. Il doit respecter sa promesse et lui remettre la récompense qu’il a affichée sur les nombreux avis de recherche broché à toutes les poutres du quartier. « Quelle enveloppe ? » Ses paupières se plissent tandis qu’il tente de comprendre le sens du rire insolent qu’il lui adresse. « celle de tous mes méfaits ? » Il n’entrera toujours pas dans son jeu. Pas cette fois. Il ne veut pas risquer de perdre encore. La première défaite l’a dérobé de son assurance, et il se jetterait d’un pont avant de laisser Kieran lui tirer les autres faiblesses des pores de la peau. Il ne mérite pas de connaître tous les secrets et failles de son adversaire. « Elle contient l’argent. » Qu’il répond du tac au tac en détournant le regard. Ça le rend inconfortable, de lui parler comme s’ils étaient au même niveau. Même, ça l’angoisse.

Bucky grogne. Ce n’est pas sa patte qui lui fait mal ou une envie soudaine d’arracher les yeux de celui qui l’a sorti de la rue. C’est son instinct protecteur qui prend le dessus, et son maître n’a besoin de lui que lorsqu’il se sent démuni ou lorsqu’il a peur. Ça n’arrive presque jamais. Les occasions sont si rares qu’Archie est aussi surpris que Kieran d’entendre le bruit de son moteur, ce ronronnement menaçant, ainsi que ses deux perles noires rivées avec insistance vers le mauvais présage. Il n’a pas le contrôle sur lui. Si l’animal est plutôt obéissant lorsque vient le temps de faire des tours et des pirouettes, quand il prend les rênes, c’est bien différent. Archie doit seulement se calmer et concentrer ses efforts sur les battements de son cœur ainsi que la moiteur de ses mains. Il n’apprécie pas de se retrouver devant l’homme qui l’a complètement dénudé de ses armes. Kieran voit à travers son âme, le sonde telle une machine, et désormais il ne pourra plus l’emporter dans ses danses fourbes. « Ouais, drôle d’histoire qu’il m’ait suivi. C’est là où tu m’accuses de l’avoir volé, pas vrai ? Vu que je sers qu’à emmerder le monde, hein. » Lâchant un soufflement bref, il dissimule une fausse surprise derrière sa main. Il se frotte la barbe, réfléchit à la question. « Je n’y avais pas pensé. Tu aurais peut-être dû éviter de soulever cette hypothèse. » Il lui répond en serrant les dents aussi, faisant preuve de toute la contenance dont il n’a jamais hérité. Caressant encore la tête de Bucky pour qu’il cesse son numéro d’agent de sécurité, il prend entre ses mains son museau pour le secouer, pour le déconcentrer, pour qu’il cesse de fixer Kieran comme s’il était la prochaine proie derrière laquelle il allait s’élancer sans réfléchir. Mais son regard ne se perd pas. Il reste bien braqué sur la menace invisible. « Je veux rien de toi, Archie, alors prend ton chien et oublie-moi. » Baissant les yeux sur le corgi suppliant aux pieds de Kieran, il glousse. « Qui s’occupait de lui lorsque t’étais hospitalisé ? » Marquant une pause pour peser le pour et le contre de cette envie de rétorquer qu’il a, il finit par craquer : « Ou alors, ils te l’ont refilé à ta sortie pour que t’arrête de bouffer des médocs pour le dîner ? » Autant utiliser les mots tels qu'ils sont. « La zoothérapie, c’est ça le nom, je crois ? » Et enfin, Bucky cesse de grogner. Son maître relâche la pression à son collier. D’un pas enjoué, avec la grâce d’un cheval aux pattes allongées, il va retrouver le corgi pour sautiller avec lui, rendant la tâche compliquée à Kieran s’il souhaite immobiliser son compagnon qui n’a qu’une seule envie : échanger des léchouilles avec le barzoï. Ça l’amuse un peu et il s’efforce de ne pas délivrer ce sourire narquois qui menace de poindre, mais il y a quelque chose qui l’empêche de rester complètement impassible devant cette scène. S’il déteste sa position vis-à-vis de Kieran, ça n’empêche pas sa joie d’avoir retrouvé son meilleur ami ainsi que ses habitudes de cabot imposant qui n’a aucune gêne lorsque vient le temps de se faire des copains à quatre pattes.  

Quand Archicon calme son clébard, Kieran ne manque pas de s’en moquer ouvertement, encore perturbé autant qu’amusé par la scène qui s’est jouée quelques minutes plus tôt sous ses yeux. Ce n’est pas le plaisir de découvrir qu’Archie possède des caractéristiques humaines – et par conséquent un cœur – qui l’égaye durant un instant, c’est la perspective d’avoir été témoin d’un moment de relâchement qui, avouons-le, est très clairement ridicule. Il connaît suffisamment Archie pour avoir que celui-ci ne se vantera pas de la manière dont il a célébré le retour de son chien, et Kieran ne s’amusera pas à le souligner à la moindre occasion. Mais il ne se privera pas de le lui rappeler à travers son regard, désormais bien moins apeuré qu’il a pu l’être par le passé quand il se posait sur Archie. Au diable l’actionnaire démoniaque à la cruauté persistante, il ne sera désormais plus qu’un grotesque personnage à la théâtralité risible. Ceci autant que leur dernière conversation l’aide à se sentir puissant, se moquant ouvertement d’Archie. « Elle contient l’argent. » - « J’en ai rien à foutre de ton argent, garde le pour t’acheter un stock d’amabilité. » Kieran rétorque sans une once d’hésitation, d’un ton sec, claquant sa langue contre ses dents pour s’abstenir de céder à la facilité d’une insulte bienvenue. Ils sont nombreux, les exemples qui lui viennent en tête, et elles sont toutes autant nombreuses, les raisons pour lesquelles il se refuse de céder. Archie ne mérite pas sa considération et affiche encore plus frontalement son mépris serait lui offrir une satisfaction qui serait très vite retournée contre lui. L’actionnaire accentuerait sur le manque de réflexion derrière la simplicité de sa réaction ; et Archie le considère déjà suffisamment comme un benêt pour ne pas qu’il en rajoute une couche. S’il ne s’attend pas à obtenir le respect de celui-ci et qu’il n’en veut de toute manière pas, il met désormais un point d’honneur à cesser de faire le dos rond devant le Kwanteen. Il n’attend rien de lui, il ne veut pas plus de cet argent qui, de toute façon, est sûrement sali d’une façon ou d’une autre. La récompense n’est pas ce qui l’a motivé, il n’était même pas au courant qu’elle existait et il s’en porte très bien sans. Mieux, même.

L’animal continue d’être menaçant, sans pour autant provoquer l’anxiété d’un Kieran étonnamment détendu à l’idée de se retrouver devant son bourreau. Ancien bourreau ; et l’emploi du passif justifie de son calme actuel. Depuis leur rencontre à l’hôpital, il s’est fait le vœu de ne plus lui laisser autant de pouvoir et il semblerait qu’il en soit capable, ce qui lui amène un sentiment de pouvoir qui n’est pas négligeable et qu’il apprécie sans doute trop pour son propre bien. Et quand bien même Kieran serait toujours aussi impressionnable, l’animal n’a pas la carrure pour lui faire sérieusement peur. « Je n’y avais pas pensé. Tu aurais peut-être dû éviter de soulever cette hypothèse. » Selon laquelle Kieran est responsable du vol et le brun ne se laisse pas démonter quand il souligne : « Ça fera qu’une faute de plus que tu me colles sur le dos. » Des fautes qui sont les siennes, ce qu’il ne précise pas, mais il n’en pense pas moins tandis qu’il soutient son regard, profitant toujours plus de leurs centimètres d’écart qui lui obligent d’avoir à baisser les yeux en direction d’Archie pour lui faire comprendre où est sa véritable place. Et alors qu’il s’apprête à partir – sans même demander un merci – Kieran est retenu par une réflexion qui ne manque pas de le faire soupirer. « Qui s’occupait de lui lorsque t’étais hospitalisé ? » - « Pas toi, de toute évidence. » Non, il était bien trop occupé à venir le tourmenter pour proposer de lui tendre la main. « Ou alors, ils te l’ont refilé à ta sortie pour que t’arrête de bouffer des médocs pour le dîner ? » Et si Kieran serre la mâchoire, ce n’est pas parce qu’il est blessé, mais parce que ce type lui provoque des envies qu’il n’aurait jamais pensé être les siennes. Torture et meurtre, entre autres joyeusetés. « La zoothérapie, c’est ça le nom, je crois ? » - « Ouais, la zoophilie était déjà prise par les snobinards qui accueillent leurs chiens en se foutant à quatre pattes et en leur léchant la truffe. » La solitude provoque bien plus de dommages collatéraux qu’on ne le croit, pauvre Bucky. « Mais tu te trompes, c’est une tortue qu’on m’a refilée pour arrêter les médocs, parait que ça a le même effet calmant. » Il débute, refusant de se montrer vaincu, et profitant même du malaise qu’il avait pu percevoir chez Archie à la lecture du diagnostic pour ajouter, fièrement : « Le chien, en revanche, c’est pour que j’arrête de m’enfiler de la cocaïne, ça a la même valeur énergétique. » Et c’est la première fois que Kieran admet ouvertement que son overdose n’était pas uniquement due aux médicaments volés ci et là et empruntés dans sa propre armoire de pharmacie, mais aussi quant à cette poudre blanche qu’il avait dérobée à Spencer quand il vivait chez elle. « Oh, et de rien, Archie. » Il insiste sur ce terme, ajoutant, d’un regard noir. « La prochaine fois, je prendrai note de le laisser crever dans son coin de rue ou de le foutre à la SPA pour qu’ils l’euthanasient, merci pour la leçon. » Connard, qu’il manque d’ajouter, mais son regard parle pour lui.

@Archie Kwanteen  

« J’en ai rien à foutre de ton argent, garde le pour t’acheter un stock d’amabilité. » L’overdose lui a fait don d’une nouvelle personnalité. Ça fait changement. Pourtant, ça n’ébranle pas Archie qui a l’habitude des guerres de pique et qui s’est toujours réjouit à l’idée d’en lancer une. Cependant, il ne prendrait pas plaisir à riposter, cette fois. Il se contentera d’absorber les coups et de les laisser mariner dans ses tripes. Ils ressortiront plus tard, quand il se sentira à nouveau à l’aise de se trouver devant un type qui lui a arraché le masque du visage. Il n’a pas encore eu le temps de faire le deuil de ses apparences. Le garçon n’aura peut-être plus jamais l’avantage sur l’autre et il devra passer à autre chose, aussi par fierté, aussi pour protéger la jeune femme qui s’est retrouvée au milieu de ce duel sans jamais avoir consenti. C’est pour Autumn qu’il doit faire des efforts, pas pour celui qui a transformé sa meilleure amie en une statue de porcelaine si fragile. Même si Archie acceptera de prendre une part du blâme, il ne cessera jamais de pointer Kieran du doigt pour avoir emporté Autumn dans une danse infernale et sans fin. Leurs personnalités ne sont pas faites pour faire un solo. Leurs corps se fracasseront contre les vagues sans jamais les traverser : le temps a fait ses preuves. Ils ont essayé pendant trop d’années et, à la fin, les deux amants maudits se sont retrouvés entre les quatre murs blancs d’un hôpital. Comment Archie pourra-t-il la protéger, maintenant qu’il lui a fait la promesse de ne plus jamais la pousser vers ses démons ? Il ne doit plus interférer dans cette partie de sa vie, et sa parole sera la plus difficile à tenir. Un défi, en soit, de se défaire de l’emprise qu’il a sur Autumn même si, même après tout ce temps, il continue de penser qu’elle a besoin de lui pour se cacher durant ses mauvais jours.  

Si Archie s’était mis à imaginer tout un tas de scénarios dans lequel son chien se retrouvait au marché noir, il n’avait pas laissé le moindre soupçon tacher ses retrouvailles avec Bucky. Maintenant qu’il était de retour, il avait effacé toutes les hypothèses tirées par les cheveux, et qu’importe si l’identité de son sauveur ne lui plaisait pas. À la fin, Kieran lui avait ramené son meilleur ami alors qu’il aurait pu le laisser crever. « Ça fera qu’une faute de plus que tu me colles sur le dos. » Lâchant enfin un soufflement amusé, il se mord le bout de la langue pour empêcher toutes les réparties de s’échapper. Non. Il ne le fera pas. Son cœur bat encore si fort, il a juste envie d’offrir à Bucky le plus gros festin dont il n’a jamais rêvé avant de le reconduire jusque chez le vétérinaire. Ce l’est pas l’heure de lancer ses poings en l’air. « Pas toi, de toute évidence. » Oui, bon, commentaire inutile. Il ne connaissait même pas l’existence de ce corgi. Aussi, s’il s’en était occupé, il le lui aurait certainement volé. Quoi de mieux qu’un chien ? Deux chiens. Et Bucky ne refuserait visiblement pas d’avoir un copain à la maison. Mais là n’est pas la question. Archie a bien compris qu’en passant ce message, Kieran voulait lui rappeler qu’il était venu enfoncer le clou dans sa chambre d’hôpital. Il n’avait pas du tout oublié. Il avait laissé une petite part de lui, là-bas, celle qui lui gardait le dos bien droit et l’air tout à fait confiant duquel il ne transpire pas aujourd’hui. Ça ne l’empêche pas de chercher à le titiller un peu, sans pour autant le jeter sur l’autoroute. « Ouais, la zoophilie était déjà prise par les snobinards qui accueillent leurs chiens en se foutant à quatre pattes et en leur léchant la truffe. » Il grimace. Bien basse, cette insulte. « Je me tords de rire, arrête, c’est trop. » Il rétorque enfin d’une voix à la neutralité inégalable. « Mais tu te trompes, c’est une tortue qu’on m’a refilée pour arrêter les médocs, parait que ça a le même effet calmant. » Le gloussement qui s’échappe de ses lèvres n’est pas insolant. Il constate le fait tout simplement, sans jugement. « Le chien, en revanche, c’est pour que j’arrête de m’enfiler de la cocaïne, ça a la même valeur énergétique. » Sa mâchoire se crispe et il détourne le regard, plutôt dérangé par cette information. Ce genre de drogue dure a toujours été prohibée dans sa vie. Son opinion vis-à-vis des consommateurs est sévère. Il ne ressent ni pitié ni compassion pour ce nouveau Kieran qui se dévoile sous son nez. « Tiens Autumn loin de ça. » Il souffle entre ses dents sans lui accorder d’autre regard, sa main serrant un peu plus la laisse de Bucky pour qu’il se relève. « Oh, et de rien, Archie. » Il se retourne, l’animal emboitant son pas, sa queue fouettant l’air et sa langue pendante avalant tout l’air. « La prochaine fois, je prendrai note de le laisser crever dans son coin de rue ou de le foutre à la SPA pour qu’ils l’euthanasient, merci pour la leçon. » « Tu feras ça, oui. Je suis certain que ta conscience s’en tirera comme un charme. » Ça ne lui colle pas au teint, de jouer les grands méchants. Kieran n’a pas le profil d’un grand méchant. Sa voix grince quand il le menace, comme une radio qui ne capte pas la bonne fréquence. « Oh, et en passant, tu devrais vraiment songer à passer un casting pour jouer l’antagoniste du prochain James Bond. T’as jamais été aussi convaincant dans le rôle de bad boy. Ça te va trop bien. » L’ironie s’écoule en grosses gouttes de sa bouche. C’est tout ce qu’il peut faire à présent : se moquer de cette nouvelle répartition des rôles qui ne sera jamais naturelle. « Ferme la barrière en sortant. » Il l’avise sans se retourner, mettant fin à ce supplice pour tous les deux.