@Cristina Weatherton

(bayside → emerald hotel) D’une certaine façon, Cristina continuera toujours de l’intimider. Elle fait partie de sa famille depuis des années et il a grandi en la connaissant comme une belle-sœur, mais elle n’en reste pas moins impressionnante pour autant. Il ne tremble pas en la voyant, mais il mentirait s’il disait que son avis n’importe pas pour lui. Qu’il soit d’accord ou non avec ce qu’elle pense, jamais Ambrose ne pourrait passer totalement outre et ne pas prendre en compte ces mots. Il sera toujours capable d’aller contre son avis et ses idées, ça oui, mais s’il en vient à apprendre avoir tort alors il sera le premier à dire qu’il aurait dû le savoir ; parce que Cristina le savait déjà.

A l’époque déjà, elle avait eu un avis tranché quant à son histoire (pourtant brève, le genre dont elle n’aurait jamais dû entendre parler en premier lieu) avec Damon Williams était le summum de l’idée de merde. Il avait le même avis sur la question, au fond, mais en la compagnie de l’italien il n’a pas fait jouer ses neurones et son raisonnement. Il a foncé tête baissée à l’image d’un enfant capricieux: il a vu un nouveau jouet en tête de gondole et en a fait sa nouvelle obsession pour un temps. A la seule différence que le jouet s’est lassé de lui avant que le contraire n’arrive, ce qui est une partie de l’histoire qui n’a jamais été précisée à quiconque et surtout pas à Cristina. Il n’a pas de compte à lui rendre, sur ce sujet comme sur tous les autres, mais il vient aujourd’hui avec un service à lui demander. De Weatherton à Weatherton, à un nom de famille près.

Il a fait le chemin jusqu’à l’Emerald, conscient qu’il s’agit du point de chute de Cristina, comme l’atelier est celui de James. Ambrose n’irait pas dire d’eux qu’ils sont vieux, loin de là, mais il pense tout de même qu’ils ont des habitudes de personnes de cet âge. Il est d’ailleurs à peu près persuadé qu’ils passent une heure sur leur téléphone chaque soir avant de se souhaiter un bref bonne nuit et de passer à la journée suivante. Quand ils sont tous les deux chez eux, du moins, ce qui n’est pas une certitude. Mais passons: il n’a pas réellement envie d’imaginer leur vie privée. Au lieu de ça, il toque au bureau de Cristina après s’être annoncé à l’accueil de l’hôtel, tel le parfait petit visiteur qu’il tente d’être: il ne peut pas se permettre de perdre des points avant même d’avoir demandé sa faveur. Preuve en est, son sourire s’étire poliment. « Je suis content que t’aies pas eu de changement de dernière minute. » Rien qui n’aurait reporté ou même annulé leur rendez-vous improvisé, du moins. Ambrose a pris la peine de la prévenir de sa visite il y a deux jours de ça, jugeant le délai raisonnable pour lui bloquer une demie heure de son temps mais pas trop anticipé pour qu’elle puisse nourrir des soupçons à un quelconque égard. « Je voulais savoir… combien de temps vous gardez les caméras de surveillance ? » Il s’est renseigné de son côté, évidemment, et sait que le délai minimum varie d’un mois à trois. Mais il sait aussi que Cristina est minutieuse et soucieuse, et apprendre qu’elle les garderait bien plus longtemps (pour peut-être même compter en années) ne l’étonnerait pas le moins du monde, malheureusement pour ses affaires. « Et il n’y a pas d’objectif derrière, n’est-ce pas ? Une fois le délai légal atteint, rien n’empêche de vider un peu les serveurs ? » N’est-ce pas ? Il est incapable d’attendre davantage avant de rentrer dans le vif du sujet, et le voilà donc déjà qui tâte le terrain avec de gros sabots.

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Emerald Hotel, Bayside.
Cristina Weatherton & @Ambrose Constantine

« Entre, Rose. » La barre n’était peut-être pas placée très haut mais arranger son planning de façon à lui donner rendez-vous à l’Emerald plutôt qu’au siège de KHG au sein duquel s’enchainerait la suite de ses réunions, c’était encore ce qu’elle avait eu de plus conciliant à lui proposer et sûrement ce qu’il y avait de plus informel comme égard à accorder à quelqu’un de sa famille – par alliance, le détail avait son importance puisqu’en l’occurrence, elle se serait nettement moins embêtée pour s’entretenir avec l’un de ses frères. Elle s’y sentait bien ici, comme chez elle, au même titre que la maison qu’elle et James avaient acquis à Logan City sept ans auparavant. C’était derrière ce bureau qu’elle avait passé, enfant, de nombreuses heures en tailleur à même le sol, des dessins disséminés autour d’elle supposés la faire patienter pendant que son père avait encore à faire. C’était aussi dans le couloir de nage intérieur qu’elle aimait effectuer ses premières longueurs de la journée quand elle le pouvait, une manière comme une autre de désencombrer ses pensées, de l’en soulager de certaines et d’épargner aux mieux les autres de son exigence infernale et son despotisme ; elle trouvait le mot exagéré. Les exemples y étaient nombreux, les souvenirs également ; tous n’étaient pas cléments mais ils étaient siens. La porte s’entrouvrit pour dévoiler sans surprise le visage du jeune homme auquel elle accorda un regard pour l’inciter à s’avancer sans prendre plus de pincettes et à refermer derrière lui. « Je suis content que t’aies pas eu de changement de dernière minute. » Un fin sourire répondant au sien, elle se permit tout de même d’incliner son poignet, jouant avec le mince bracelet de sa montre pour redresser le cadran dans la bonne position, ce après quoi, elle réaffirma ce qu’elle lui avait déjà communiqué deux jours auparavant. « Je n’ai qu’une demi-heure devant moi. Mais quand les choses sont faites aussi convenablement, ça a tendance à titiller ma curiosité. » Et elle ne dirait pas qu’il n’y avait pas grand-chose capable de prévaloir sur sa curiosité car ça n’était pas le cas mais l’appel de Constantine avait suffisamment su ménager son effet pour qu’avec le recul, Cristina n’ait pas déjà eu le temps de s’interroger sur les raisons de sa présence aujourd’hui, lesquelles demeuraient encore jusqu’à maintenant singulièrement vagues.

Elle avait failli reporter l’entrevue, c'était sa manière de l'insinuer et levant son index devant elle, elle l’invita à lui accorder encore quelques secondes de sa patience, non sans l’encourager simultanément à prendre place dans l’un des sièges face à elle. « Je t’écoute. » assura-t-elle pour ne laisser aucune place au doute : inutile de perdre du temps sur ce qu’il désirait aborder, elle pouvait faire plusieurs choses en même temps jusqu’à preuve du contraire et finir de parapher les documents qu’on lui avait fait parvenir n’exigeait pas d’elle, au demeurant, une grande concentration. « Je voulais savoir… combien de temps vous gardez les caméras de surveillance ? » « Quelqu’un t’a volé ton foulard porte-bonheur au spa ou tu as eu un coup de cœur pour un employé polyvalent ? Dans ce dernier cas, je te suggère de prendre ton courage à deux mains et de trouver une autre manière de te rincer l’œil. Les images de l’Emerald ne sont pas faites pour ça. » Ça n’était sûrement pas la réponse qu’il avait espérée, Ambrose, mais admettre qu’il ne s’était pas préparé à l’une de celle-là de la part de Cristina aurait été faire preuve de plus d’innocence qu’il n’en possédait. Elle le savait et elle ne releva ainsi pas son regard de la feuille sur laquelle elle apposa une nouvelle fois ses initiales avant de passer à la suivante, n’en soulevant que les coins un à un pour aller au plus vite. Pour preuve, loin de se décomposer, il n’attendit pas un signe de sa part lui assurant qu’elle plaisantait, certes, mais qu’elle ne se montrerait pour autant pas plus coopérative dans l’immédiat, et poursuivit. « Et il n’y a pas d’objectif derrière, n’est-ce pas ? Une fois le délai légal atteint, rien n’empêche de vider un peu les serveurs ? » Elle suspendit cette fois-ci son geste et arqua un sourcil en relevant son regard pour accrocher celui d’Ambrose, lequel ne semblait pas se départir de son assurance, non, mais surtout pas de son sérieux.

À sa décharge et jusque-là, Cristina n’avait pas encore réellement pris le temps de l’observer, il n’y avait donc rien d’étonnant à ce qu’elle ne note qu’à présent la touche singulière habillant les pupilles du jeune homme et conditionnant sa posture sur le bord de son siège. « Tu sonnes comme un agent infiltré de l’OAIC en train de t’assurer que l’on soit bien en règles avant de passer aux sanctions, j’ignorais que tu avais changé de voie. » Un soupçon de nervosité peut-être, ou de désir de ne pas s'engluer dans un doute dont Cristina n’arrivait pas encore à dessiner tous les contours. Ce fut suffisant en tout cas pour qu’elle repose son stylo sur le côté, son dos venant se détendre dans le fond de son fauteuil alors qu’elle écartait les mains d’un air entendu, lui signifiant que c’était d’accord et qu’il avait son attention à présent ; elle espérait qu’il n’en fasse pas rien mais quelque chose lui soufflait désormais qu’elle n’avait plus à en douter. « Comme je le disais, tout dépend de quoi l’on parle. » Cristina n’avait pas pour habitude de parler en hypothèses, encore moins d’extrapoler sur une situation dont elle ne possédait pas tous les aboutissants. Famille ou non, il n’empêchait pas en outre qu’elle se montrait toujours méfiante lorsqu’elle ne devinait pas tout de suite les intentions de son interlocuteur et force était de constater que Rose, malgré sa volonté certaine de ne pas s’attarder dans des politesses de rigueur, usait néanmoins de détours inutiles au lieu d’aller au fait. Il n’empêchait qu’elle disait vrai sur l’instant, à sa manière, et que les choses différaient selon s’ils étaient en train de parler d’images usuelles ou de faits plus délictueux. Elle conclut donc, joignant ses doigts qu’elle entremêla calmement devant elle pour lui redonner la parole et qu'il l’oriente davantage s’il désirait des réponses plus précises.

Elle est aussi polie que glaçante, Cristina, et il se demande parfois si elle agit de cette manière parce qu’ils appartiennent à la même famille ou si elle est la même face à n’importe qui. Au fond, il sait très bien que la réponse à cette question se situe dans la seconde hypothèse. « Quelqu’un t’a volé ton foulard porte-bonheur au spa ou tu as eu un coup de cœur pour un employé polyvalent ? Dans ce dernier cas, je te suggère de prendre ton courage à deux mains et de trouver une autre manière de te rincer l’œil. Les images de l’Emerald ne sont pas faites pour ça. » - « Je suis fiancé, Cristina. » Il l’annonce comme si cela coulait de source et qu’il n’avait pas annoncé ses fiançailles avec une parfaite inconnue il y a de ça quelques semaines à peine. En réalité, il se retient surtout de souligner que l’alliance à son doigt signifie qu’il est un homme fidèle, contrairement à ce que peut bien signifier celle décorant la main de Cristina. Il garde toutes ses remarques pour lui, au fond conscient qu’il n’est pas dans son droit et qu’il ne fait que tisser un pathétique mensonge. Tout ce qu’il tente de lui faire comprendre c’est qu’il n’est pas question d’une amourette au bord d’un transat, ni même d’une querelle d’écolier. Ils en sont loin, et la gravité de sa réponse en est déjà un indice supplémentaire.

Pas étonné ni ébranlé par la forme de la réponse de sa belle-soeur, il continue lui-même son argumentation. « Tu sonnes comme un agent infiltré de l’OAIC en train de t’assurer que l’on soit bien en règles avant de passer aux sanctions, j’ignorais que tu avais changé de voie. » Sans que cela n’ait été le but escompté par Cristina, ses mots tirent pourtant un rire amusé à Ambrose. « Rien que ça ? » En voilà une casquette bien particulière qui, ma foi, n’est pas si pire qu’elle semble le prétendre. Il est loin d’être un quelconque agent infiltré et se contente d’agir pour son propre compte mais il doit bien avouer trouver l’idée amusante, voire peut-être même plaisante. « Tu sais bien que je ne me retournerais pas contre ma propre famille. » Et cela vaut peu importe le sujet, d’ailleurs, mais Cristina le sait déjà. Elle prêche le faux pour avoir le vrai et il ne lui en veut pas le moins du monde puisqu’il est évident qu’il se perd lui-même dans des dédales obscures et sans nul doute inutiles. Il aurait pu aller au cœur du sujet dès son entrée dans le bureau.

« Comme je le disais, tout dépend de quoi l’on parle. » Evidemment. Elle s’adapte à son public et surtout elle s’adapte à la tâche demandée, ce qui fait en réalité du sens sans qu’Ambrose n’ait accepté de se l’avouer dès le départ. Il avait besoin de tâter le terrain, pour lui-même bien plus que pour Cristina qui, de toute évidence, a encore moins de temps à perdre que lui. Maintenant qu’elle a abandonné ses tâches pour se concentrer sur lui, le brun relève imperceptiblement le menton. « J’ai besoin que tu supprimes les vidéos surveillance d’une soirée en octobre. » Peut-être même qu’il lui demandera de supprimer une semaine toute entière, pour faire passer le tout pour une erreur technique et ne pas trop éveiller les soupçons - qui voudrait voir d’aussi vieilles et inutiles vidéos de surveillance de toute façon ? « Y’a rien d’illégal dessus. Mais si elles peuvent ne jamais être connues, ça arrangerait beaucoup de monde au sujet de l’affaire Williams. » Une fois de plus, Ambrose tourne autour du pot. Il n’a pas envie d’avoir à avouer à Cristina qu’il a fricoté avec le fils de l’homme en question, mais quelque chose lui dit déjà qu’elle ne le laissera pas s’en sortir à si bon compte, avec la simple excuse qu’ils sont de la même famille et se font donc confiance. Il y a de ça, certes, mais cela ne peut pas suffire. Pas quand il s’agit de leur métier respectif. « J’ai passé une nuit à l’Emerald avec quelqu’un, c’est tout. Rien de dramatique. » L’hôtel accueille des infidélités à tout va, celle-ci ne mériterait pas d’être mise en lumière. Cela les desservirait tous. Même Cristina n’aurait rien à y gagner. « On peut plaider l’erreur technique. » Son regard soutient celui de la brune, attendant sa réponse avec une certaine fébrilité.

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Cristina Weatherton & @Ambrose Constantine

« Je suis fiancé, Cristina. » « Ce ne sont pas mes affaires, Ambrose. » Qu’elle répondit sur le même ton, sa voix empruntant délibérément les mêmes inflexions catégoriques et son visage se parant des mêmes mimiques ridiculement sérieuses que celles de son jeune interlocuteur. Qu’il soit fiancé s’il s'agissait de sa dernière lubie, qu’il l’épouse son inconnue et qu’il finisse même par l’engrosser pour entériner les derniers doutes et faire taire les mauvaises langues ; ça la forcerait à ravaler la sienne très certainement, comme à chaque fois qu’elle était mise face aux facilités de certains à obtenir ce pour quoi elle s’épuisait, elle, depuis des années. Ça n'empêcherait pas que Cristina ne verrait toujours pas en quoi cela était supposé l’amadouer et l’empêcher de faire toutes les suppositions et plaisanteries douteuses du monde au sujet de sa vie privée ; Ambrose avait besoin de se détendre, elle l’avait toujours pensé, bien trop jeune décidément pour se montrer aussi rigoriste et conditionné par des normes qui n’avaient jamais été vouées à être autre chose que de façade. Elle serait bien la dernière à le juger à vrai dire, s’il s’avérait que ses plaisanteries étaient fondées, et elle était pourtant prompte au jugement, Cristina.

Mais peut-être bien que ce garçon avait quelque chose de particulier, et ça l'avait toujours embêtée. Orphelin de mère, pareillement privé du regard du père, portant en lui des fautes dont il n’était pourtant pas coupable puis ballotté entre des ainés déjà accaparés par le poids de leur propre existence à mener, de leur propre place à revendiquer ; Cristina ne se vanterait pas de le connaître à un tel point qu’il ne représentait plus aucun mystère à ses yeux mais elle pouvait toutefois avancer avec quelques certitudes qu’il n’était pas pour autant devenu comme tant d’autres enfants dans sa situation, affectueux jusque dans l’abus, dépendant à l’extrême, cherchant désespérément à contenter les adultes de sa vie pour s’assurer qu’un autre abandon ne surviendrait pas. Il avait fait en sorte à la place, ou c'est comme ça qu'elle se le figurait, de ne pas se laisser d’autres choix que celui de réussir par lui-même, de forcer sa propre fortune, d’assumer ses ambitions et tant pis si l’envergure de ces dernières menaçait de l’engloutir tout entier ; la vingtaine tout juste dépassée, ça n’était pas l’âge pour s’inquiéter de tracas aussi abstraits, pas vrai. Les circonstances différaient en un trop grand nombre de points, les caractères également, pour que Cristina ne prenne le temps de les distinguer un à un et ça n’avait pas réellement d’importance dans le fond : à de nombreux degrés, Rose lui faisait parfois penser à son propre petit frère, Andres. Ça n’était pas un rapprochement avec lequel elle se sentait toujours à l’aise, elle se souvenait pourtant l’avoir fait peu de temps après qu’il lui ait été donné de rencontrer le jeune homme, les récits pudiques de James finissant de l’aider à naviguer et à se forger ses propres opinions – elles étaient souvent tranchées – au sujet des membres constituant la famille reconstituée de son époux. Il ne rendait pas plus les choses plus évidentes entre eux, ce parallèle, ni les échanges plus conciliants pas plus qu’il ne parvenait à emmieller les manières de Cristina à son contact mais là encore, ça n’était pas comme ça que cela fonctionnait entre elle et son propre frère, les désillusions ne venaient pas de nulle part. Il n’en savait certainement rien en outre, Ambrose, et n’ayant jamais trouvé de raisons à ce que cet état de fait change – les avait-elle cherchées – Cristina se contenterait sûrement longtemps de se laisser surprendre par ce genre de réflexions lorsqu’elle se retrouvait en sa présence, les réprimant ensuite sans trop forcer comme à son habitude. « Rien que ça ? » Étrangement patiente, Cristina ne laissa rien paraître, laissant le jeune homme tout à sa guise du rire succinct venant secouer ses épaules à son trait d’humour. Elle n’était pas en train d’attendre, le cœur battant, d’y voir plus clair, non. Ça n’était pas elle, après tout, qui se retrouvait du mauvais côté du bureau, à chercher les mots adéquats pour obtenir les réponses espérées. Elle n’était que celle, femme d’affaires en toutes circonstances, ne se refusant jamais à violer des frontières tant qu’elle s’était employée, au préalable, à en dessiner les tracés. « Tu sais bien que je ne me retournerais pas contre ma propre famille. » Un sourire s’esquissant sur ses lèvres, Cristina les avait pincées pour rétorquer : « C’est vrai que ça marche comme ça, de ce côté-là. J’ai tendance à oublier. » Les règles divergeaient entre les Kearns et les Weatherton, les principes également ; officiellement tout du moins, et c’était bien de cette nuance dont Cristina ne se lasserait jamais de s’amuser – ni de se méfier.

« J’ai besoin que tu supprimes les vidéos surveillance d’une soirée en octobre. » Une date finalement, et des détails qu’elle ne s’empêcherait pas d’obtenir en l’interrompant d'emblée. « Y’a rien d’illégal dessus. Mais si elles peuvent ne jamais être connues, ça arrangerait beaucoup de monde au sujet de l’affaire Williams. » Sans manifester la moindre surprise, sans le lâcher du regard non plus, Cristina inclina imperceptiblement son visage pour mieux appréhender celui d’Ambrose, reconnaissant silencieusement que c’était à tout son honneur de tenir ce dernier aussi haut, aussi droit compte tenu du sujet qu’il s’obligeait désormais à aborder un peu plus frontalement. « On parle donc d’images susceptibles d’être réquisitionnées par la justice, si enquête il y a un jour. » Cristina n’en avait jamais rien dit et n’avait pas posé plus de questions, suite à la parution de l’article ayant propulsé Ambrose au cœur de toutes les messes basses de son milieu. Elle savait sans savoir. C’était sans doute le cas de tous dans ces sphères-là. Mais elle croisait les yeux du jeune homme à présent et il pouvait être certain de ne lire au fond des siens aucun soupçon de curiosité déplacée ou d’émotion quelconque. Certains ne s’empêcheraient pas d’y regretter l’absence de douceur ou d’indulgence certes, d’autres s’attarderaient plutôt à souligner celle de toute pitié ou complaisance que Cristina ne se privait jamais de juger condescendante lorsqu’elle en était témoin. « Et par beaucoup de monde, tu entends toi… et qui d’autre ? » Elle n’avait posé aucune question, non, pas plus qu’elle n’avait jamais évoqué le sujet en sa compagnie. Jusqu’à cet instant présent où elle se permettrait de formuler toutes celles qu’elle considèrerait pertinentes, il s’y était certainement préparé.

« J’ai passé une nuit à l’Emerald avec quelqu’un, c’est tout. Rien de dramatique. » Il n’était pas le premier en effet, ne serait certainement pas le dernier ; et tout paraissait si simple présenté ainsi qu’elle s’en permit un sourire à peine esquissé, rapide, comme si elle était ennuyée que cela ne le soit pas réellement pour lui, ou désolée qu’il s’essaie véritablement à la manœuvrer ainsi. « Suffisamment pour que tu sois là aujourd’hui, en tout cas. » Sans que cela n’ait rien d’agréable pour lui de s’exposer de la sorte, famille ou non, elle l’imaginait aisément. « On peut plaider l’erreur technique. » Il n’aurait rien à plaider, lui. Elle n’avait donc aucunement besoin de ses idées – à moins qu’il n’aille jusqu’à s’oser au conseil – quant à la manière dont elle gèrerait les choses si des explications venaient à être demandées un jour. « Qui c’était ? » Levant son index pour interrompre ce qu’elle pressentait arriver, elle poursuivit calmement : « Avant que tu me dises que ça ne me regarde pas, comprends que ça me mette dans une situation délicate. » Pas vraiment en réalité, ou peut-être que si mais aucune dont elle n’avait pas déjà fait l’expérience ou qu’elle ne serait pas en mesure de gérer le moment venu – s’il venait. « Mais ça n’est pas ça qui me gêne. » Une histoire de loyauté, de famille et de dos dans lequel il n'était pas bien vu d'aller planter son couteau, ou quelque chose de cet ordre-là, elle ne se souvenait déjà plus des termes exacts employés par Ambrose, trop occupée à s’en moquer plus tôt. « À quel point es-tu sûr que ce quelqu’un n’en dira rien, même une fois que les images en question n’existeront plus ? » Il ne pouvait pas s’attendre néanmoins à ce qu’elle ne creuse pas davantage, tenant à savoir où elle mettrait les pieds, à deviner également dans quel pétrin il était parvenu à s’embourber pour aggraver le tout ; s’en souciait-elle un peu finalement ?

Il voit une lionne en la personne de Cristina, et le problème avec les lionnes c’est qu’elles ont un caractère qui ne peut pas toujours être anticipé. Il sait qu’elle se battra toujours pour ses idéaux et ambitions, et c’est au moins un point sur lequel elle s’entend avec James (sans doute pas une raison suffisante pour un mariage, mais la question n’est plus à se poser).  Il l’admire autant qu’il la craint, raison pour laquelle il n’a pas peur de lui demander une entrevue en utilisant l’excuse préconçue de leur alliance familiale mais raison aussi pour laquelle il n’agit pas en sa présence avec une décontraction semblable à celle qu’il pourrait avoir en compagnie de James ou de n’importe quel membre de sa fratrie. « C’est vrai que ça marche comme ça, de ce côté-là. J’ai tendance à oublier. » Certaines trouveraient des choses à redire, que ce soit August, Malone ou même James, mais Ambrose reste convaincu qu’aucun membre de la famille Weatherton-Constantine ne serait prêt à en sacrifier un autre pour sa propre mise en avant. Il veut le croire au point d’en faire sa réalité, du moins, surtout alors qu’une telle idée a tout pour aller en sa faveur en cet instant: si Cristina ne l’aide pas par charité chrétienne ou par réponse pour ses convictions, sans doute pourrait-elle le faire pour la famille, au sens large du terme. Ils n’agissent pas ainsi du côté Kearns, mais ils le sont indubitablement du côté de la  famille de celui dont elle a pris le nom et la main.

Après avoir pis son temps et délimité l’espace de leur nouvelle discussion, Ambrose se lance enfin et formule à voix haute ce qui lui brûle la langue depuis plusieurs minutes déjà. Cristina est une femme occupée, il est un homme qui l’est tout autant, et aucun des deux n’a à se perdre dans des mots inutiles alors que le coeur de la discussion se joue seulement dans la forme que prendra le service qu’elle acceptera, ou non, de lui offrir. Mais bon sang qu’il espère que cela sera positif. « On parle donc d’images susceptibles d’être réquisitionnées par la justice, si enquête il y a un jour. » Elle est dramatique et elle imagine déjà le pire dans un monde où, pourtant, Ambrose rêve de s’en sortir sans procès. La carrière de Saül est brisée et cela lui suffit: un procès serait difficile à supporter pour lui et ce serait une exposition médiatique dont il voudrait bien se passer parce qu’elle ne représentera jamais de la bonne publicité pour son image publique. « Ce qui n’arrivera sûrement pas. » Il remet la réalité des choses à leur place, ou tout du moins la place qu’il imagine être leur. Il prie pour qu’il n’y ait pas de procès, sincèrement. Qu’il s’exile dans un autre pays, bon sang. Il resterait libre, et Ambrose le serait tout autant, à sa manière - cette fameuse vidéo surveillance le serait tout autant. « Et par beaucoup de monde, tu entends toi… et qui d’autre ? » - « Aucune personne que tu gagnerais à voir mise à mal. » Cela l’arrangerait lui, évidemment, mais cela arrangerait aussi Damon et par extension son mariage - une précision qu’il n’a pas à coeur de donner par lui-même tant qu’on ne lui pose pas la question en détails. Il ne veut pas préciser qu’il a merdé au point de passer une nuit avec la mauvaise personne, mais que cette mauvaise personne en question est mariée. Le plan était terriblement mauvais sur toute la ligne et il le savait bien, mais à l’époque il pouvait aisément croire que cela serait sans conséquences. Aujourd’hui, il nage justement dans une mer de conséquences.

« Qui c’était ? »

Véritable gamine n’acceptant pas l’idée d’être pris à son propre jeu, il fronce les sourcils sans même tenter de trouver la parade dans une réponse. Elle aurait pu accepter de supprimer la vidéosurveillance il y a plusieurs minutes de ça mais elle est obstinée et minutieuse au point de vouloir savoir exactement ce dans quoi elle met le nez. Et quand bien même il comprend le fond d’une telle pensée, il ne comprend pas comment elle peut avoir aussi peu confiance en le reste du monde pour se montrer aussi suspicieuse envers sa propre famille. Ils ne sont pas liés par le sang, pas même par un nom de famille identique, mais à se yeux ils n’en restent pas moins du même clan, le démontrent les années passées à se côtoyer et tous es grands événements passés ensemble. Il n’est pas un inconnu, et il estime qu’elle ne devrait pas avoir à lui demander une telle chose. « Avant que tu me dises que ça ne me regarde pas, comprends que ça me mette dans une situation délicate. » - « Ce n’est pas ça, c’est que tu ne me fais pas confiance. » Et si pour lui cela se rapproche d’un reproche impérial, pour elle ce ne sera sûrement rien de plus que le simple reflet de la réalité, le genre de chose pour lesquelles elle pourrait simplement répondre par un « oui, évidemment Ambrose. » et l’afffire serait réglée. « Mais ça n’est pas ça qui me gêne. À quel point es-tu sûr que ce quelqu’un n’en dira rien, même une fois que les images en question n’existeront plus ? » Toutes les questions semblent mener au même point et pour chasser tous les doutes de l’esprit de Cristina, il comprend qu’il ne pourra pas s’en sortir sans dévoiler le nom du Williams. Pour ça, il se déteste déjà. Il est le premier à savoir qu’il ne le fera pas dans le but de trahir Damon mais c’est pourtant le sentiment qui domine dans son coeur, alors même qu’il agit justement pour les protéger tous les deux. Ils avaient pourtant juré que cela resterait leur secret. Ou tout du moins, c’est l’impression qu’Ambrose en avait.

Un peu trop théâtralement sans doute, il souffle longuement avant d’enfin lui répondre ce qu’elle souhaite: la vérité, entière. « Personne ne le sait. Même James. » Il est parfois une exception non précisée à « personne », mais pas cette fois-ci. Le secret était bien gardé, il n’avait aucune raison d’être divulgué d’une façon ou d’une autre et cela serait resté ainsi si toute cette  histoire n’avait pas éclaté et, de toute évidence, totalement échappée au contrôle du brun. Si personne ne sait, cela signifie au moins que les chances de fuite sont particulièrement réduites et que cela ne tient qu’à elle que tout ceci reste un secret. « Il est marié. C’est pour ça qu’il ne dira rien de son côté non plus. » Mais elle ne se contentera pas de cette précision. Elle va l’amuser un instant, l’occuper quelques secondes, mais elle va demander davantage d’informations à se mettre sous la dent, à commencer par la plus importante d’entre elles: son nom. « Damon. Williams. » Williams, comme le nom de l’homme principalement inculpé. Et cela n’a rien d’un hasard, comme elle le devinera par elle-même. « Tu comprends pourquoi ça ne doit pas sortir. » Il s’agit là du genre de détail que la presse à scandale adorerait et qui marquerait une fin immédiate à sa carrière, ce qui est inenvisageable. Purement et simplement impossible. Il est trop jeune pour déjà échouer.

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Emerald Hotel, Bayside.
Cristina Weatherton & @Ambrose Constantine

« Ce qui n’arrivera sûrement pas. » La rectification n’échappa pas à Cristina évidemment, bien qu’elle décidât de ne pas la relever. C’était probablement le genre de dilemme auquel elle l’imaginait, mieux que ce qu’elle aurait aimé, devoir faire face. Un dilemme sur lequel il ne lui demandait pas son avis. Elles étaient précieuses les fois où elle se gardait de le partager et c’était par sobriété qu’elle fit donc le choix de ne pas rebondir, ainsi que par espoir qu’Ambrose soit en réalité conscient des illusions par lesquelles il acceptait d’être bercé à affirmer cela aussi fermement. « Aucune personne que tu gagnerais à voir mise à mal. » Mais gagnerait-elle en revanche à les arranger, voire à les satisfaire ? C’était surtout dans ce sens que Cristina avait tendance à aborder les choses, ne craignant pas grand-monde autrement ou étant toujours prête à prendre des risques dès l’instant où elle décidait ceux-ci profitables ; l’optimiste décelait toujours l’opportunité derrière la difficulté, ça n’était pas elle qui l’avait dit en premier mais Churchill et ça la faisait sourire, Cristina, de se considérer comme telle depuis. Mais Ambrose n’était pas bien loquace, ou ne réfléchissait pas comme elle en tout cas et elle se sentit contrainte d’insister autrement, à peine lassée d’avoir à user de nouveaux détours. « Ce n’est pas ça, c’est que tu ne me fais pas confiance. » Ses lèvres pleines esquissèrent un sourire neutre, l’évidence presqu’apaisée de celle qui en avait vu d’autres, enduré d’autres au point de ne plus avoir à se demander ce qui était encore susceptible de lui tomber dessus, préférant s’y préparer à la place sans n’avoir plus à s’en excuser. « Ce n’est pas de toi dont je me méfie ici. » Mais de toutes les autres parties impliquées, qu’elle consentit à nuancer tout de même, jugeant inutile de laisser peser cette insinuation dans le cas présent. « Et tu ne devrais pas accorder la tienne aussi facilement non plus, dans le milieu que tu as choisi. » Ou pour l’homme qu’il aspirait à devenir : un homme de politique, ce dernier partageant bien des similitudes avec celui d’affaires qu’elle avait érigé en référence dès son plus jeune âge.

Le soupir d’Ambrose manifesta l’honnêteté à laquelle il acceptait finalement de se soumettre avant même qu’il ne s’y emploie et Cristina plissa les yeux, disposée à tendre l’oreille pour le temps qui leur restait. « Personne ne le sait. Même James. » La précision lui fit froncer imperceptiblement les sourcils. « Il est marié. C’est pour ça qu’il ne dira rien de son côté non plus. » Elle savait mieux se tenir que ce que la plupart des gens le soupçonnait pour garder ses remarques pour elle tant elle trouvait ça ironique comme information à révéler quelques minutes seulement après l’avoir corrigée, moraliste et collet monté, sur ses fiançailles et les prétendues valeurs que celles-ci étaient supposées engager à la suite. Se taper un homme marié était donc une chose acceptable à ses yeux, s’il n’était pas dans le mariage en question ; et si le contexte bridait son envie de s’en divertir, il ne l’empêcherait pas de souligner à quel point les affirmations qu'Ambrose continuait d'enchaîner avec autant d'assurance paraissaient toutes plus illogiques et crédules les unes que les autres. « Il est marié, c’est pour ça que tu ne devrais pas prendre pour argent comptant tout ce qui a pu sortir de sa bouche. » S’il s’était montré malhonnête envers la personne qui partageait sa vie, elle se demandait bien ce qu’Ambrose pensait avoir de plus pour en être épargné. L’expérience lui soufflait en outre que la loyauté du concerné irait à la personne qu’il avait épousée, si son adultère venait à être révélé – s’il s’était agi d’un adultère, elle ne préjugerait jamais de rien et l’on pouvait comprendre pourquoi.

« Damon. Williams. » Non vraiment, il lui passait l’envie de plaisanter, et cela prouvait sans doute à quel point la merde dans laquelle il s’était fourré était nauséabonde. Que James ne soit pas dans la confidence devenait soudainement chose bien plus aisée à comprendre du reste et elle se demanda, amère, si tous les Williams de la ville avaient pu se donner comme mission de venir compliquer – le mot était faible en l'état – la vie des hommes Weatherton. « Tu comprends pourquoi ça ne doit pas sortir. » « Ce que ça laisse à croire surtout, c’est que tu es moins malin que ce que tu en donnes l’air, Rose. » Qu'elle articula froidement, le visage impassible malgré l’amertume que cette observation laissait en empreinte sur sa langue à songer que quelqu’un puisse en effet se faire ce genre de réflexion à son sujet. C’était une image qui ne collait pas avec l’opinion qu’elle s’était faite du jeune homme et dont elle ne le pensait toujours pas méritant malgré tout, ce qui finit donc d’obscurcir son regard. « Et que tu te retrouves dans une position où tu n’as plus qu’à espérer que Damon Williams le soit encore moins et qu’il n’ait pas décidé de marcher contre toi sans t’en avoir informé. » Et avec Saül Williams en personne qui se trouvait donc être qui exactement pour ce nouvel élément de l’équation… son père ? Vraiment, Ambrose ?

« C’est une position foireuse quand il ne reste plus qu’à s’en remettre à des espoirs, voilà ce que je comprends. » Ça n’en était certainement pas une dans laquelle elle appréciait à le voir, ni dans laquelle elle aurait pensé le voir s’enfermer si elle devait être honnête. Mais elle était partie du fait qu’il était intelligent, Ambrose, qu’il était acharné et compétent, qu’il s’était forgé en somme pour ne pas se noyer dans les marasmes du monde dans lequel il avait lui-même choisi d’évoluer. Avec le recul, elle se fit la réflexion que c’était sans doute là une brèche dans laquelle tous les membres de sa famille n’avaient fait que s’engouffrer par facilité ou par celle du jeune homme à donner aussi dignement le change. Mais elle avait un doute tout à coup, à le découvrir tenir autant à ses secrets, à en garder jusque James à l’écart et à lui demander à présent, à elle parmi tant d’autres, de les préserver à son tour. Il avait l’air seul, voilà ce que tout cela laissait à suggérer, isolé dans l’œil d’une tempête capable de provoquer plus de dégâts qu’il ne semblait le concevoir. Gonflant sa poitrine d’une inspiration qu’elle mesura avec soin, elle décroisa ses mains pour retrouver plus familièrement le moulage de son dossier, plissant les yeux un instant pour se laisser aller à abattre certaines de ses cloisons et l’interroger, sur un ton qui demeurait posé mais qui se révélait plus attentif ou moins flegmatique que celui employé jusqu’à présent. « Qui te conseille depuis que ça a été rendu public ? » Elle parlait d’une équipe, de spécialistes reconnus en matière de gestion de situations jugées sensibles, de communicants de crise, d’aide juridique surtout ; de professionnels en somme dont elle saurait dire s’ils étaient qualifiés ou non, après quelques recherches. Et si elle n’avait pas tenté de délester le regard qu’elle avait plongé dans le sien de son intensité habituelle, c’était parce qu’elle le défiait presque de lui répondre personne tant elle trouverait ça inconscient de sa part ainsi que de tous les autres ayant jugé convenable de penser que quiconque avait la carrure de se sortir seul de ce genre de scandales sans y laisser des plumes, ou pire. Finalement, ça la décida à manifester la décision qu’elle n’avait de toute façon pas pris longtemps à prendre, faisant glisser un calepin et son stylo jusqu’à Ambrose, l’enjoignant d’un signe de tête sobre : « La date précise. » Des images dont elle était censée s’occuper, elle n’avait pas pour intention de se plonger dans des heures d’enregistrement.

Ce n’est pas d’Ambrose dont elle se méfie, selon ses dires du moins, mais c’est bien au garçon qu’elle refuse d’accorder toute forme de confiance ou de légitimité, et ce alors qu’elle le connaît depuis toujours ou presque. Dans la chronologie du Constantine, cela se rapproche bien plus du “toujours”. « Et tu ne devrais pas accorder la tienne aussi facilement non plus, dans le milieu que tu as choisi. » Et il sert le poing tel un enfant contrarié, justement contrarié parce qu’il a l’impression d’être traité comme un bambin à qui on doit encore inculquer la différence entre le bien et le mal autant que de ne pas partir avec des inconnus, même s’ils proposent des bonbons. « Ce n’était pas une question de confiance. » Et il ne devrait pas réfléchir avec ce qu’il a entre les jambes plutôt que sa tête, ce qui est encore pire et il le sait bien. Cette histoire a été un bref mélange de beaucoup de choses et s’il veut croire que cela a été une alliance stratégique, il doit bien avouer qu’il n’y avait pas que ça et que l’excuse a surtout été trouvée sur le tard pour expliquer son caprice. « Il est marié, c’est pour ça que tu ne devrais pas prendre pour argent comptant tout ce qui a pu sortir de sa bouche. » Ambrose ferme les yeux et utilise toute son énergie pour se retenir d’ajouter quoi que ce soit et enfin mettre un terme à la leçon de morale qu’elle lui tient depuis plusieurs minutes déjà. Il lui a simplement demandé quelques manipulations, pas un avis complet sur sa vie sexuelle au cours de l’année passée, et encore moins sur sa façon de la gérer - surtout pas, elle aurait trop à en dire et surtout trop à critiquer. Tous les mariages ne sont pas comme le sien, quoique puisse en dire le fait que Damon soit aussi du genre à découcher. Il ne l’a pas fait bien longtemps, au grand dam d’Ambrose, et ce dernier voudrait justement reprendre le fil initial de la conversation. « On peut se reconcentrer ? » La question n’en est pas vraiment une.

« Ce que ça laisse à croire surtout, c’est que tu es moins malin que ce que tu en donnes l’air, Rose. » Elle énonce les mots lentement, avec une violence inégalée face à laquelle Ambrose encaisse sans broncher. Il n’estimait pas avoir mérité bon nombre de ses autres reproches mais pour celui-ci, elle a bien raison. Jamais il n’aurait dû se retrouver aussi proche du fils de l’homme qu’il condamne aujourd’hui publiquement. L’erreur était grossière, digne d’un débutant, et surtout parfaitement stupide. N’importe qui aurait pu le lui dire, mais sans doute que seule Cristina a la capacité de le faire avec aussi peu de pincettes. « Et que tu te retrouves dans une position où tu n’as plus qu’à espérer que Damon Williams le soit encore moins et qu’il n’ait pas décidé de marcher contre toi sans t’en avoir informé. » Il sait, il sait. Il l’a toujours su, en réalité, mais il n’a tout simplement pas réfléchi. Ambrose a toujours voulu boire les paroles du blondinet parce qu’elles étaient bien plus plaisantes que l’idée qu’il choisisse son père avant un parfait inconnu ; une idée qui fait pourtant énormément de sens. Même sans savoir réellement ce que c’est que d’avoir un père, c’est le choix qu’il aurait lui-même fait. « Il va témoigner contre Saül. » Il annonce froidement en la regardant droit dans les yeux, rassuré d’avoir au moins une corde à son arc. « Et sa voix n’aurait pas de poids si la vidéo venait à être diffusée. » Pas besoin qu’il lui explique pourquoi. A son tour, ce serait Damon qu’on accuserait de réfléchir avec son entrejambe avant le reste, et surtout Damon qu’on traiterait de menteur. Autant de sortir d’un tel marasme avant même de s’y empêtrer, voilà ce qu’Ambrose en dit.

« Qui te conseille depuis que ça a été rendu public ? »
« Smith. »

Presque. Camil lui a donné des noms de personnes dont c’est le métier et il lui a donné son avis sur la question, ce qui n’est pas ce qu’elle entend par “conseiller” mais se révèle tout de même être l’idée la plus proche d’un conseiller qu’Ambrose a dans son quotidien. Et puisqu’il sait qu’il est supposé répondre au moins un nom à cette question, il utilise celui qui reste encore le plus plausible. « La date précise. » Le garçon observe le calepin un instant, comme s’il ne savait plus comment utiliser un stylo et une feuille de papier. Plutôt que de se plier à l’exercice, il n’en fait une fois de plus qu’à sa tête et enfonce ses mains dans ses poches, ses pouces à l’extérieur, occupés à gratter le jean de son pantalon. « 30 septembre. 20h puis 23h. » Tout dans son regard dit peu importe quant au pourquoi du comment ils sont sortis de la chambre avant d’y retourner. « Tu peux t’en occuper en personne ? » Ce n’est pas vraiment une question dans la mesure où il fait tout ça justement pour que cette vidéo ne soit vue par personne d’autre. « Rapidement. » Comme par exemple maintenant. Ce serait un très bon moment, maintenant.

livin' in the new world with an old soul
Emerald Hotel, Bayside.
Cristina Weatherton & @Ambrose Constantine

« Ce n’était pas une question de confiance. » À ça, Cristina décida de ne rien ajouter. Que le bon sens des hommes soient de pâte molle et qu’il suffise de les flatter au bon endroit pour qu’il ne reste plus qu’à modeler ce dernier à volonté n’avait plus rien d’une surprise. Elle épargnait Ambrose du commentaire, moins par clémence que par doigté justement puisqu’elle n’avait toujours pas obtenu la réponse à sa question pourtant simpliste au possible : de qui parlaient-ils ? « On peut se reconcentrer ? » Parce qu’elle lui disait des choses qu’il n’avait pas envie d’entendre ? C’était à s’y attendre avec Cristina, il n'était pas forcé de le prendre personnellement. Alors qu’il aurait tout intérêt à le faire en vérité. D’aucuns diraient qu’elle comptait parmi ces personnes chez qui le besoin de sincérité n’était pas démocratique, enflant au contraire proportionnellement au degré d’accointance qu’elle fixait souvent elle-même. Un autre héritage de son éducation sûrement et des lois régissant au sein de son noyau familial où l'absence de filtre permettait à la brutalité et l'intimité de devenir synonymes sans que jamais personne ne prenne la peine de démêler les deux ; il y avait toujours eu des choses plus importantes en jeu, à leurs yeux. C’était sûrement le cas ici aussi, et plus Ambrose avait usé de détours pour ne pas avoir à les nommer, plus elle en avait été persuadée.

Le nom était finalement tombé et elle n’avait pas été déçue de ses intuitions – elle aurait encore préféré. « Il va témoigner contre Saül. » Cristina arqua un sourcil, son regard attrapant sans mal celui qu’Ambrose vrillait dans le sien comme pour mieux jauger la réaction que cette affirmation suscitait entre eux. Une nouvelle fois, elle se passa du moindre sourire tant elle n’en finissait plus de réaliser à quel point ça ne l’amusait pas de voir le cousin auquel James tenait certainement le plus – que c’était mal de hiérarchiser les membres de sa famille ainsi – s’en remettre à des convictions sur lesquelles il n’avait aucune main. Il allait témoigner contre son père, donc. Et Ambrose de le dire sans ciller comme s’il s’agissait là d’une assertion inébranlable, comme si c’était aussi simple de se retourner contre son père, tout aussi cruel qu’il puisse l’être. Elle ne l’avait jamais fait, elle, ou jamais publiquement. Rien n’était comparable dans cette situation mais son esprit se chargeait des parallèles bien malgré elle. « Et sa voix n’aurait pas de poids si la vidéo venait à être diffusée. » « Beaucoup de témoignages mais toujours aucun procès, donc. » Elle résumait le plan qu’il venait de dérouler sous ses yeux calmement. Et elle tenait à ce que tout le monde en soit conscient : si celui-ci était aussi succinct, ça n’était pas sa faute à elle. Elle avait du mal à croire qu’un professionnel, et encore moins une armada dont elle l’espérait pourtant entouré, puisse être derrière tant tout cela paraissait bancal. Elle refusait tout autant de croire qu’il puisse ne pas y en avoir du tout, pour le bien du jeune politicien. C’était bien plus complexe de prétendre se moquer totalement de la quantité de choses qui, maintenant qu’elle en savait plus encore, pouvaient mal tourner pour Ambrose à présent que ce dernier se tenait là, dans son bureau, à lui demander de satisfaire sa requête sans poser la moindre question comme si elle n’était qu’une putain de technicienne informatique qui se devait d’y accéder en regardant ailleurs – qui pensait-il être venu trouver au juste ?

« Smith. » Le nom de Camil sonnait comme un gage qu’elle ne négligeait pas ; elle ne l’avait jamais fait. Le crédit à y accorder dans cette situation précise demeurait néanmoins incertain, le laconisme d’Ambrose sonnant moins comme l'assurance d’un calme intérieur que comme une propension fébrile à aller au plus simple. Si c’était ce qu’il désirait, conciliante pour la première fois, elle lui glissa de quoi écrire. De sa vision périphérique, elle percevait les notifications éclairer son écran de téléphone en silencieux mais c’était la posture soudainement nonchalante d’Ambrose qui avait encore son attention, le temps de quelques minutes au moins. « 30 septembre. 20h puis 23h. » Ambrose aurait certainement pu lui souffler quatre autres créneaux différents qu’elle s’en serait moquée tout autant. Contrairement à ce qu’il avait pu penser au cours de cette conversation, la manière dont il avait pu occuper cette soirée avec ce Damon l’indifférait au plus haut point, se contentant simplement de penser qu’il n’aurait jamais du la passer en sa compagnie, pour commencer. « Tu peux t’en occuper en personne ? » Elle n’avait pas prévu de déléguer, cela allait sans dire – mais apparemment pas, et puisqu’ils en étaient à souligner des évidences, ses cils épais s’abaissèrent sur son téléphone qu’elle récupéra, le message de son assistante la prévenant inutilement que l’heure avait tourné depuis le début de cette entrevue. « Tu m’insultes maintenant. » Elle ou son discernement, c’était du pareil au même. Reculant son fauteuil, Cristina décroisa ses mains, ces dernières se servant élégamment des accoudoirs pour s’en extraire. « Rapidement. » Ses cheveux balayés dans le creux de ses omoplates, ce fut un sourire sans joie qui étira ses lèvres face à son insistance. « Qui ne fait pas confiance à qui déjà ? » qu’elle interrogea pour la forme, d'une voix neutre. « J’ai dit que je m’en occupais. » Pas en ces termes précis jusque-là à la décharge d’Ambrose, mais le ton ferme de Cristina suggérait que c’était tout comme.

Du bout du pouce, elle envoya sa validation au chauffeur qui ne tarderait plus à rouler jusqu’à l’entrée désormais mais elle s’arrêta d’abord face à Ambrose qu’elle avait rejoint en contournant le bureau. « Tu préfères ne pas y mêler James ou qui que ce soit d'autre, c’est entendu. » Autrement dit, ce qui venait de se dire dans ce bureau ne reviendrait pas aux oreilles de son mari par son fait, il pouvait lui passer la précision à ce sujet également. « Mais maintenant que tu es là, laisse-moi te rappeler que mes compétences vont au-delà de ta demande du jour. Y compris si tu as besoin que je t’oriente vers quelqu’un d’autre que ton employeur, aussi efficace soit-il. » Elle serait bien la dernière à douter de Camil et efficace était un euphémisme dont elle faisait exprès de se contenter sur le moment. Mais elle le connaissait justement, plus qu’Ambrose ne le soupçonnait sûrement, et Camil était comme elle, avec des intérêts dont ils avaient toujours su profiter. Et ceux d’Ambrose ? Elle ne lui avait pas demandé comment il allait ni comment il le vivait, pas plus qu’elle ne le bassinerait de lieux communs supposés participer à sa reconstruction à présent que la vérité était sortie ; autant parce qu’il avait sûrement tout ce qui lui fallait de ce côté-là que parce qu’elle n’était pas de ce genre-là. Plutôt de celui qui n’en était plus à son premier monstre de pouvoir à faire tomber. Cela venait avec tout ce que cela impliquait de demander quelque chose à Cristina, y compris l’agacement auquel Ambrose avait été sujet au long de ces quelques minutes. Inflexible, ne s’encombrant pas de pincettes et loin de se montrer honnête sur tout, elle l’était sur ce qui importait néanmoins et Ambrose était un Weatherton – ou presque ; les histoires de famille, ça lui prendrait toujours la tête.