« do you ever feel like a misfit? »    jonah fletcher & @jules rhodes.

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Le soleil descendait lentement derrière la ligne d'horizon, ses derniers rayons teintant le ciel de nuances d'orange et de rose. Le panorama de buildings et de toits de Brisbane depuis Kangaroo Point était à couper le souffle, offrant une vue imprenable sur la rivière scintillante qui serpentait à travers la ville. Assis sur une couverture -à carreaux, comme le voulait le cliché-, Jonah et Juliet avaient achevé un pique-nique sans prétention, mais fort agréable, engloutissant sandwiches et gâteaux tout en profitant de l'air frais de l’hiver australien. Les restes de leur espèce d’apéritif dinatoire étaient étalés autour d’eux ; emballages divers, assiettes et couverts réutilisables, miettes de pain et de chips, éclats de légumes, quelques taches d’accident de boisson ou de sauce. Le t-shirt du Fletcher avait fait les frais de sa maladresse, mais la bière qu’il avait renversée dessus avait séchée depuis. Il n’avait pas pu s’empêcher d’avoir une pensée pour Ethel, deux mains gauches comme lui, lorsque le liquide avait trouvé ses lèvres, mais pas son œsophage.

Autour d’eux, au cours de l’après-midi, les rires et les cris de nombreuses familles et groupes d’amis ayant eu la même idée que notre binôme avaient flotté dans l’atmosphère. Des gamins qui courraient, des chiens qui gambadaient, des matchs improvisés de soccer, de badminton, de frisbee. Le jeune homme avait apporté sa guitare, juste pour parfaire la scène -parce que l’esthétique de chaque moment était important lorsqu’on vivait constamment avec un pied dans l’imaginaire. Certes, il ne connaissait que quatre accords, mais n’était-ce pas toujours agréable de voir le soleil se coucher sur le son de quelques mélodies acoustiques ?

En attendant d’empoigner l’instrument, Jonah faisait tourner du bout des doigts la petite bouteille de bière qui avait accompagné sa dégustation. Ses boucles brunes étaient agitées par la brise qui soufflait dans sa nuque. Voilà quelques secondes qu’un silence confortable s’était installé ; le connaissant, cela n’allait pas durer beaucoup plus longtemps. Il lui semblait avoir monopolisé la conversation depuis qu’ils étaient partis de chez Jules pourtant, évoquant ses dernières ventes, les mandats qu’il avait rentrés, les tournages bouclés, les ruines explorées, les pseudo-fantômes rencontrés, les dates ratés. Il avait le don d’étirer sur des heures les banalités du quotidien, usant de ses talents de conteur pour rendre la moindre anecdote bien plus palpitante qu’elle ne l’était en réalité. C’est pour cela qu’il était toujours intelligent de passer du temps avec lui dehors ; parce qu’il pompait l’air par gallons.

Juliet demeurait silencieuse, ses yeux perdus dans l'horizon urbain. Elle avait un air pensif, comme perdue dans ses réflexions. Jonah ne l’avait pas relevé jusqu’à présent ; depuis qu’Alfie s’était volatilisé, elle demeurait un brin morose. On ne pouvait pas l’en blâmer. Cela allait finir par passer, comme tout. Il posa sa bière avec précaution sur la nappe. "Eh bien, t’es plus silencieuse que la dernière fois que j'ai tenté de récupérer Tofu du haut d’un arbre." fit-il, perçant la bulle d’introspection de la brune avec un ton léger. Il avait fini aux urgences, ce jour-là, persuadé de s’être cassé un bras en tombant d’un mètre alors qu’il s’était simplement foulé le pouce. Un vrai héros.

Tu as la tête ailleurs depuis que vous êtes arrivés, même depuis que tu as quitté ton appartement. Tu n'écoutes que d'une oreille les milles-et-une péripéties qui sont arrivées à Jonah depuis la minuscule semaine qui s'est écoulée depuis la dernière fois que vous vous êtes parler. Il n'y a que lui pour monter toute une histoire avec les banalités de la vie. Il n'y a que lui pour être intéressant en racontant des anecdotes totalement ordinaires. Tu aurais éclaté de rire à de nombreuses reprises en temps normal, mais là, tu te contentes d'émettre un sourire quand ça te semble approprié de le faire. Tu réponds par des onomatopées, des réponses courtes. C'est pas que tu vas mal. Tu as eu des journées bien plus difficiles que celle-ci. Les insomnies sont encore présentes quoique moins nombreuses. Les tics nerveux se sont même calmés, parce que la santé d'Alfie est devenue secondaire dans tes préoccupations. Tu es préoccupé voilà tout. Les familles qui se sont réunies autour de vous deux n'aident en rien à ce que tu penses à autre chose. Le rire des enfants qui vous entourent est une douce mélodie à tes oreilles. Ton regard s'attarde plus sur ça que sur la personne qui se trouve à quelques centimètres de toi. "Eh bien, t’es plus silencieuse que la dernière fois que j'ai tenté de récupérer Tofu du haut d’un arbre." Ton regard fixe l'horizon quelques instants encore avant de se détourner vers ton ami. Tu n'as jamais vraiment été doué pour masquer la moindre de tes émotions qu'elles soient joyeuses ou non. Un parfait inconnu pourrait lire en toi, alors Jonah n'a aucun mal à voir que quelque chose cloche. Il doit s'attendre au baratin habituel. Un signe de vie de la part d'Alfie ou l'absence de celui-ci : les deux sont aussi destructeurs. Tu sais pas trop pourquoi l'envie de lui mentir te passe par l'esprit, mais tu te ravises aussitôt. « T'avise pas de grimper dans un arbre pour attirer mon attention. » que tu le préviens immédiatement d'un ton qui se veut faussement sévère. Pas question qu'il refasse une chute qui t'avait arraché un cris d'effroi. Même si au final, il y a eu plus de peur (de ta part) que de mal. Avec la maladresse de Jonah, une deuxième tentative pourrait s'avérer catastrophique. Heureusement, aucun chat en danger à l'horizon.

Tu plies tes jambes pour les remonter contre ta poitrine. Tes avants-bras se positionnent contre tes genoux. Par où commencer ? Par le moment où cette presque inconnue à semer une graine dans ton petit cerveau sans doute. « Je suis allée à l'hôpital cette semaine. En pédiatrie. » que tu précises pour qu'il sache que ça n'avait aucun lien avec ta santé, mais plutôt avec le bénévolat. De toute façon, tu as déjà assez donné niveau mauvaise nouvelle médical. Le malheur peut s'abattre sur quelqu'un d'autre - même si tu ne le souhaite pas à personne. « Il y avait un garçon. Et les services sociaux. » À voir l'état du gamin de loin, sans doute un cas de violence domestique. Tu n'as pas posé de questions, parce que tu n'avais pas envie qu'on te dise que oui. Même si en vrai, ce n'est pas le genre d'information qu'ils peuvent te dire. Tu n'as pas parlé directement à ce garçon qui allait être mis en sécurité dans une nouvelle famille. Tu n'as fait qu'écouter d'une oreille les commères des autres bénévoles. A moitié, parce qu'il a une bonne partie qui t'horrifiait beaucoup trop pour vouloir connaître les détails. Toutefois, il y a bien une information qui a piqué ton intérêt. « Paraît qu'il manque de famille pour accueillir les enfants. » que tu ajoutes par la suite en attrapant la canette de cocktail prêt-à-boire à tes côtés. Ta tête se retourne vers Jonah qui n'aura aucun mal à deviner le chemin que cette information a fait dans ton cerveau. Est-ce que tu pourrais faire ça ? Sûrement pas. Tu serais détruite à la seconde où le parent retrouverait la garde de son enfant. C'est tout de même une nouvelle possibilité à ajouter à ton arc - et elles sont de moins en moins nombreuses.

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L'atmosphère joyeuse qui régnait dans le parc ne parvenait pas à effacer complètement la préoccupation qui semblait tourner dans l’esprit de Jules, et il semblait que si Jonah n’avait pas effectué sa tentative d’entrouvrir le coffre-fort dans sa caboche pour avoir un aperçu du contenu, elle se serait murée dans le mutisme jusqu’à ce qu’il la raccompagne chez elle. « T'avise pas de grimper dans un arbre pour attirer mon attention, fit-elle, signe que l’humour et la légèreté n’étaient pas entièrement bannis de son vocabulaire aujourd’hui, ce qui inspira un sourire soulagé au jeune homme. - Tu me connais trop bien, je vais finir par me sentir ultra-prévisible. » L’était-il ?

Le silence s'installa à nouveau entre eux, un silence de ceux qui laissaient place aux pensées et aux émotions avant de leur donner forme par les mots. À voir la manière qu’avait Jules de se recroqueviller, c’était un moment dont elle avait besoin pour réunir ses paroles. Jonah ne pouvait pas être dupe, il savait quand quelque chose n'allait pas avec elle, quand sa tête était trop remplie et son cœur solitaire. Malgré les apparences, il était une personne qui ressentait profondément, même s'il ne le montrait pas toujours de la même manière que les autres. Il était plus simple pour lui d’être le rigolo de service que de laisser la place nécessaire aux émotions qui pouvaient le traverser. Pour Jules, le sérieux revenait parfois. « Je suis allée à l'hôpital cette semaine. En pédiatrie. Il y avait un garçon. Et les services sociaux. » Un frisson traversa son dos, un flashback traversa ses paupières le temps d’un clignement d’yeux. Certains enfants n’avaient nulle part où aller, personne sur qui compter. La solitude de cet instant ne disparaissait jamais vraiment. Il poussait à faire en sorte que cette émotion ne se reproduise plus jamais. « Paraît qu'il manque de famille pour accueillir les enfants. » Jonah laissa les mots flotter dans l'air, sachant très bien où elle voulait en venir. Il pouvait presque voir les rouages de la pensée de Juliet tourner dans son esprit. Elle avait toujours été une âme généreuse, prête à tendre la main à ceux dans le besoin. Il pouvait quasiment anticiper la suite de la conversation.

Un sourire naquit sur ses lèvres, empreint de compréhension et de compassion pour son amie. « C'est une grande décision à prendre, J. » Une décision qui pouvait avoir un impact crucial dans la vie d’un enfant, mais aussi dans la sienne. « C’est normal si tu doutes. Mais je peux pas imaginer plus parfaite que toi pour le rôle. » Jonah la regarda avec un air d'encouragement. Être parfaite n’était pas tant un prérequis, en réalité. L’immense majorité des gens n’étaient jamais traversés par l’idée d’ouvrir leur chez-eux à des enfants qui en auraient besoin. On préfère saluer le dévouement des autres. Se poser la question était, à ses yeux, cinquante pour cent du travail. L’intention. Le reste relevait de la volonté de le concrétiser. « Qu’est-ce qui te freine ? » demanda-t-il alors, car si Jules était tracassée, c’était que les choses n’étaient pas aussi simples.

« C'est une grande décision à prendre, J. » Oui, en effet, ce l'est. Est-ce une bonne décision ou simplement une décision désespérée ? Tu n'arrives même pas à y répondre toi-même. Tu ne connais personne dans ton entourage à avoir accueilli un enfant de la sorte. Tu as seulement entendu des histoires au travers des branches comme tout le monde. Vous savez, le genre d'histoire qu'on ne sait jamais trop le vrai du faux ? Bref, rien pour t'aider à faire un choix éclairé. Jonah est le seul dans ton cercle d'amis à avoir vécu une histoire avec des similitudes, même si ça reste très très différent. « C’est normal si tu doutes. Mais je peux pas imaginer plus parfaite que toi pour le rôle. » Bien sûr que son encouragement te fait automatiquement sourire. C'était quasiment impossible que Jonah réponde autre chose, mais tu en as quand même douter jusqu'à ce que les mots sortent de sa bouche. « Qu’est-ce qui te freine ? » qu'il te demande par la suite. Il y a pleins de choses qui te freinent. Même qu'en faisant une liste de pour et de contre, celle des contres l'emportent bien trop facilement. Sauf que les pours apportent tellement d'amour qu'ils surpassent tout le reste. Compliqué ? Oui, à peine. « Je crois pas que je supporterais qu'on me l'enlève. » que tu précises. Tu aimerais avoir un enfant à long terme, pour toute une vie même. Tu aimerais que cet accueil supposément temporaire se solde par une adoption en bonne et due forme quand l'enfant sera en mesure d'en prendre la décision par lui-même. « J'ai sûrement plus de chance que les parents reviennent à la charge que le contraire. » Autrement dit, c'est comme jouer à la loterie. Et la loterie, elle ne paie pas si souvent que ça. Tu as déjà perdu Anabel une fois. Tu sais ce que ça fait de s'occuper d'un enfant pendant des mois et, tout d'un coup, plus rien. Ou presque. Perdre Anabel a été plus difficile que de perdre Alfie. Ou du moins, l'un a empiré l'autre. « L'adoption, c'est un long processus pour peut-être se faire dire non. » Ils ont dit non à Hassan, pourquoi il te dirait oui à toi ? Les personnes célibataires n'ont pas de chance dans ce type de processus. Ils privilégient les couples mariés. Ou les personnes qui ont beaucoup beaucoup d'argent. Tu n'es pas prête de rentrer dans aucun de ces deux critères. « J'ai déjà trop attendue. » que tu ajoutes par la suite. Sans Alfie, tu serais déjà une mère. Tu en es convaincu. Tu aurais porter la vie. Tout aurait été facile, sans prise de tête. Voilà une certaine rancœur que tu auras toujours contre lui, mais qui t'a semblé bien insignifiante lorsque tu as cru que vous alliez vous donner une seconde chance. Ça n'aurait sans doute pas fonctionné. C'est mieux qu'il soit parti, même si tu n'es pas prête à l'avouer. « Toi, tu… quand tu auras des enfants- Quand et pas si - tu voudrais adopter ? » Il aimerait offrir ce qu'on lui a offert ?

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L'atmosphère légère qui enveloppait le parc n'était qu'une toile de fond pour les pensées profondes qui se chuchotaient entre les deux amis. À voir les familles qui remballaient peu à peu leurs affaires après avoir passé l’après-midi sur cette aire où les grands esprits d’amoureux des pique-niques se rencontraient, le silence pensif de Jules n’avait plus rien d’étonnant. Ses inquiétudes étaient légitimes et reflétaient bien l'ampleur de la responsabilité qu'elle envisageait de prendre. Elle se livrait avec une honnêteté désarmante, comme elle savait qu’elle pouvait se le permettre en sa présence. Leur amitié était solide malgré leurs différences et ils se comprenaient mieux que quiconque à propos de leur espoir commun d’un jour fonder une famille. Jonah écouta attentivement les raisons de Juliet pour hésiter à accueillir un enfant dans sa vie. Son regard ne la quittait pas, et il absorbait ses doutes et ses craintes comme une véritable éponge. Il pouvait sentir la complexité de la situation peser sur elle, les rouages de son cerveau s’activer au fuel de l’anxiété. Elle craignait de s'attacher à un enfant pour ensuite le voir partir, de subir la douleur de la séparation. Cette peur de la séparation était compréhensible, surtout compte tenu de son histoire avec Alfie et Annabelle. Jonah savait à quel point cette perte avait été déchirante pour elle. Elle évoqua également les défis du processus d'adoption, soulignant les incertitudes qui entouraient cette voie, ces délais et ces exigences décourageantes. Le jeune homme hochait la tête silencieusement à chaque confession, laissant à la brune l’espace et le temps dont elle avait besoin pour décharger ses pensées. Des interrogations qui naissaient d’une ultime frustration : « J'ai déjà trop attendu. » Les années avaient passé, et ses rêves de maternité semblaient glisser entre ses doigts. Le Fletcher sentit le poids de cette déclaration, comprenant que l'horloge biologique de Juliet ne lui laissait que peu de marge de manœuvre.

C’était sans doute bien plus simple, trente ans en arrière. Les parents adoptifs de Jonah étaient parvenus à se constituer une véritable petite tribu à base d’enfants dans le besoin d’une nouvelle famille. Les lois, les règlements, les exigences, les abus, les restrictions étaient passées par là depuis. “C’est quand même dingue de se dire qu’il existe tellement de gosses qui rêveraient d’avoir une maison et que tout est fait pour rendre ça difficile pour tout le monde.” Même Angelina Jolie ne pourrait plus débarquer dans le premier village d’Afrique venu pour attraper un bébé et le sauver à L.A aujourd’hui. On remercie tous Angie d’avoir contribué à la dureté du système actuel, d’ailleurs. Jonah avait passé ses bras autour de ses jambes croisées. Lui, le temps qui passait, qui manquait, il ne voulait pas y penser. Un luxe qu’il pouvait se permettre parce qu’il n’avait pas les mêmes contraintes que Jules. Il ne sera jamais trop tard pour lui. Mais l’attente, l’expectative qui lui donnait l’impression que ce rêve s’éloignait de jour en jour, c’était ce qui trottait au fond de son crâne. Cette chance, même minime, que personne ne soit fait pour lui, que l’âme-sœur n’existe pas.

« Je pense que tu as un cœur incroyable, fit-il finalement, et tu es bien plus prête que tu ne le crois. L’incertitude, ça fout les jetons, mais faut pas te cacher derrière tous les “et si” possibles. Moi, j’ai envie de te demander : et si ça se passait super bien ? Et si tu t’épanouissais en étant un tremplin pour des gosses vers une nouvelle vie ? Et si croiser le chemin de ces enfants te permettait d’avoir une famille encore plus grande et plus riche que tout ce que t’aurais pu imaginer avec un Alfie ? » Il haussa les épaules, sa manière de faire comme si un sujet sérieux ne l’était pas tant que ça après avoir balancé ses grandes phrases de thérapeute du dimanche. Ou plutôt, sa manière de vouloir faire croire que la profondeur de ses réflexions n’était pas capable d’aller plus loin que cela, histoire de paraître moins capable de maturité qu’il ne l’était réellement. « Tu sais que si tu décides de franchir ce pas, je serai là pour te soutenir à chaque étape. » Cheesy.

La question finale de Juliet le fit sourire. Elle était bonne pour détourner l'attention des problèmes personnels en posant des questions sur les autres, mais il savait qu'elle était sérieuse dans sa curiosité. Jonah réfléchit un instant. L’hypothèse touchait à sa propre expérience de la vie. Il avait été un de ces enfants. « C’est certainement une option que je considérerai sérieusement… », dit-il avec assurance. Il avait toujours ressenti une dette envers sa famille adoptive, une reconnaissance profonde pour tout ce qu'ils avaient fait pour lui. Et il comprenait l'importance de trouver une stabilité et un sentiment d'appartenance. Cependant, c’était justement cela qui le poussait à vouloir des marmots à lui, le sang de son sang. “... si je n’ai pas d’autre opportunité.” il poursuivit. “Pt’être que je devrais pas mettre la responsabilité sur le dos de gosses qui sont même pas encore nés,” ni même présents actuellement dans son caleçon, “mais j’me dis qu’avoir des enfants à moi, des vrais mini-moi, ça serait comme… me créer de nouvelles racines.” Haussement d’épaules, encore. Aborder ce sujet lui donnait constamment l’impression de cracher dans la soupe, alors il l’évitait la plupart du temps.

“C’est quand même dingue de se dire qu’il existe tellement de gosses qui rêveraient d’avoir une maison et que tout est fait pour rendre ça difficile pour tout le monde.” C'est dingue, oui. Tu peux comprendre qu'il y a une raison pour ne pas rendre le processus facile ou accessible à tout le monde. Certains enfants se sont sans doute déjà retrouvés dans des situations pires que leur originelles. Ils auraient quand même pu trouver un juste milieu pour se débarrasser des profiteurs et donner une chance à ceux qui désiraient simplement avoir une famille. Il y a bon nombre de critères demandés qui ne feront pas de toi une meilleure mère. Les coûts exorbitants qui viennent avec ne sont qu'une épine de plus dans le pied. « Je pense que tu as un cœur incroyable et tu es bien plus prête que tu ne le crois. L’incertitude, ça fout les jetons, mais faut pas te cacher derrière tous les “et si” possibles. Moi, j’ai envie de te demander : et si ça se passait super bien ? Et si tu t’épanouissais en étant un tremplin pour des gosses vers une nouvelle vie ? Et si croiser le chemin de ces enfants te permettait d’avoir une famille encore plus grande et plus riche que tout ce que t’aurais pu imaginer avec un Alfie ? » Ton nez se retrousse légèrement lorsqu'il prononce le prénom d'Alfie. Tu n'avais pas envie d'entendre son prénom dans cette conversation. Non, ce n'est pas le genre de vie que tu aurais pu former avec l'anthropologue. Jamais. Sans doute même que ce sera le coup fatal à votre relation inexistante. Est-ce qu'il voudra encore de toi avec un (ou des) enfant ? Non. Est-ce que cette pensée pèse dans la balance de ta décision ? Oui. Tu es complètement idiote de le prendre en considération. « Tu sais que si tu décides de franchir ce pas, je serai là pour te soutenir à chaque étape. » Ta tête se tourne vers ton ami, alors qu'un doux sourire s'installe sur tes lèvres. Tu n'as absolument aucun doute que Jonah sera bien impliqué dans ce processus. Qu'il subira toutes tes angoisses et toutes tes joies aussi. Qu'il répondra toujours présent lorsque tu en auras besoin. Qu'il te tiendra compagnie au beau milieu de la nuit lorsque tout ira mal. Tu seras bien entourée. Tu n'en doutes pas une seule seconde. « Oui, je sais. » Et c'est bien la seule chose dont tu ne doutes pas à travers tout ce bordel dans ton cerveau. « C'est juste que c'est pas le genre de chose qu'on peut retourner au magasin si jamais ça fonctionne pas. » Ou peut-être que si, les familles d'accueil sont supposés entre temporaires, ou quelque chose dans le genre. Tu pourrais sans doute essayer et changer d'avis quand l'enfant sous ton toit sera redirigé vers une nouvelle famille ou de retour dans la sienne. « Mais j'imagine que je peux au moins aller prendre les infos. » Histoire d'être encore plus confuse dans ton choix. « J'aurais aimé vivre ça avec quelqu'un. » que tu ajoutes finalement, un peu défaitiste. Tu es parfaitement consciente que tu es la seule à blâmer là-dessus. Bien sûr, Jonah sera présent. Lui et bien d'autres personnes. Mais personne ne sera là comme ça. Peut-être plus tard.

Tu retournes plus ou moins la question vers lui, curieuse de savoir si son expérience de l'adoption lui donne envie d'offrir le même cadeau à un autre enfant. Bien sûr ses conditions d'adoption n'ont rien à voir avec ce que tu envisages, mais son expérience compte tout de même. « C’est certainement une option que je considérerai sérieusement… » Maiiis ? “... si je n’ai pas d’autre opportunité.” Et c'est également l'option que tu considères pour les mêmes raisons. Il n'a peut-être pas le temps qui joue contre lui, mais on ne sait jamais si on peut avoir ou non des enfants avant d'entamer le processus - ou d'avoir un petit bébé surprise. “Pt’être que je devrais pas mettre la responsabilité sur le dos de gosses qui sont même pas encore nés, mais j’me dis qu’avoir des enfants à moi, des vrais mini-moi, ça serait comme… me créer de nouvelles racines.” Tu acquiesces doucement d'un signe de tête. C'est tout ce que tu lui souhaites. « Je suis certaine que ça t'arrivera. Tu le mérites. » Parce que c'est quand même pas possible que ce malheur s'abatte également sur ton ami. Le partie la plus difficile pour lui sera sans doute de rencontrer la bonne personne. Il passe sûrement à côté de bien de belles choses parce qu'il s'emballe bien trop rapidement avec la première fille qui lui sourit une seconde de plus. Il cherche sans doute trop. Tu es de ceux qui pensent que l'amour, ça nous tombe dessus au moment où on s'y attend le moins. On le trouve là où l'on ne cherche pas.

« Tu m'joues quelque chose ou elle est là à titre de décoration ? » que tu lui demandes en désignant d'un coup de tête la guitare qui prenait la poussière depuis votre arrivée. C'est quoi la nouvelle mélodie du jour ? Rien de trop dramatique, mais ce n'est sûrement pas la peine de le préciser.

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« Oui, je sais. C'est juste que c'est pas le genre de chose qu'on peut retourner au magasin si jamais ça fonctionne pas. » Il lâcha un rire soufflé, pas certain que la situation s’y prêtait vraiment, mais incontrôlable. “Le service client pèche un peu, ouais,” répondit Jonah en plaisantant en taclant l’administration d’une pichenette qu’il estimait bien sentie. « Mais j'imagine que je peux au moins aller prendre les infos. » Il acquiesça. Avec un peu de chances, on ne chercherait pas à la dissuader de poursuivre les démarches avec de grands discours terrifiants sur la responsabilité que cela était. Jules en avait amplement conscience, c’était justement ce qui la rendait anxieuse, pas besoin d’en rajouter. « J'aurais aimé vivre ça avec quelqu'un. » elle ajouta, et le Fletcher eut un léger pincement au coeur pour son amie. Il ne comprenait que trop bien le sentiment, la pensée. Avoir de grands projets, des ambitions, pour soi-même, pour l’avenir, et avancer seul à contre-coeur. Jules avait placé tous ses espoirs en Alfie. Elle devait se sentir de retour à la case départ après toutes ces années d’attente, de patience, de rêve, pour rien. Et le Fletcher ne trouva rien à dire. Le quota de paroles profondes était épuisé. “T’es pas toute seule.” il lui dit doucement avec un sourire rassurant. Il savait que ce n’était pas ce qu’elle voulait dire, que c’était différent. Dans ce cas de figure, qu’importe à quel point il pouvait la soutenir, il ne serait pas suffisant. Cela ne l’empêcherait pas de renouveler ce soutien indéfectible encore et encore, à chaque fois qu’elle aurait l’impression d’être laissée sur le bas-côté de la vie. Comme elle le ferait pour lui, comme elle le faisait encore cette fois-là tandis qu’il avouait qu’être lui-même adopté reléguait la solution au dernier recours.

« Tu m'joues quelque chose ou elle est là à titre de décoration ? » Fletcher tourna la tête et vit la guitare avec autant de surprise que si elle était apparue là par magie. Son ambition de passer pour le parfait kéké des villes lui était sortie de la tête. Pourtant, c’était la diversion parfaite pour se sortir les sujets qui fâchent de la tête, l’espace de cinq minutes. Le jeune homme prit l’instrument en main, plaça ses doigts sur les cordes selon les quatre seuls accords qu’il connaissait réellement. Il réfléchit quelques secondes, pas beaucoup plus, pour trouver quelque chose de drôle à chanter. Quelque chose qui ferait rire Jules et animerait son regard d’autre chose que cette mélancolie qui la hantait depuis le début de leur sortie. Dramatiquement, Jonah se racla la gorge et se lança de sa plus belle voix de crécelle ;

“Ooooooooooh, Twilight !
Avec des personnages si fades, et ton scénario en PQ,
Twilight, oooooh Twilight, qu'as-tu fait ?
Une saga de films pour nous torturer.
Les bouquins étaient déjà pas un matériel potable, qu’est-ce qu’on espérait ?
Bella et Edward, une moule et son rocher,
Il scintille au soleil, et elle est constipée.
On a jamais entendu des dialogues aussi cuculs,
Des performances d’une nullité invaincue,
Ni des torses aussi peu velus !
Twilight, oooooooooooh Twilight,
Des loups-garous, des vampires et un bébé maudit
Renesmée c’est quoi ce prénom à dormir dehors ?
Team Edward, team Jacob, les ados en furie,
Arrivé le dernier film ils ont arrêté tous les efforts.
Des memes pour des générations et des cauchemars toutes les nuits,
Des fanfictions qui donnent d’autres sagas aussi pourries.
La seule question qui se pose à Hollywood maintenant,
Pour les studios véreux en quête d’argent,
C’est “à quand le reboot, le prequel, le sequel, le remake”,
Moi j’veux juste que ça sorte après mes obsèèèèèèèèèèèèèèques.”

Solo énervé en deux accords, cordes si malmenées qu'elles en fumeraient, et rideau. Applaudissements et standing ovation. Dans la tête de Jonah, en tout cas.