@Archie Kwanteen

(dimension slasher) Le silence est pesant à la seconde où Ambrose ferme la porte du hangar derrière eux. Il y ajoute la barre métallique pour s’assurer que les portes ne cèdent pas à la première impulsion et, du regard, il parcourt les environs pour trouver d’autres objets volumineux à placer derrière. Son dévolu est jeté sur une brouette, ce qui est sans doute mieux que rien (il se rassure comme il peut). Un tueur fou et sans nom ni visage a déjà pris la vie de Mike, il ne peut pas se permettre de prendre le moindre risque pour que son tour vienne soixante ans trop tôt. « M’aide pas surtout. » Archie lui a peut-être sauvé la vie en l’extirpant de la foule et lui proposant cet hangar comme point de chute, mais il n’en reste pas moins amer et sous le coup d’une adrénaline nouvelle.

Sans lui expliquer les raisons de son geste, Ambrose monte un étage plus haut, dans les combles sales et poussiéreuse du bâtiment. Ils offrent une vue privilégiée sur la seule porte d’entrée et sont, à ses yeux du moins, une assurance supplémentaire pour ne pas être pris par surprise. Le jeu en vaut la chandelle, et il fulmine en silence au moment de monter à l’échelle qui menace de s’effondrer. Si tel était le cas, au moins, ils seraient assurés que plus personne ne serait en capacité de venir les embêter en hauteur. « Tu montes ou tu comptes toujours attendre une nana qui s’est foutue de toi ? » Elle ne serait pas venue passer la soirée avec lui en temps normal, Ambrose en est assuré, mais maintenant que le lycée tout entier est en train de lutter pour sa survie, il existe encore moins de doutes à ce sujet. « T’es vraiment drôle d’y avoir cru. » Il répète une fois de plus en pensant à voix haute. Il est naïf mais n’en a pas l’air, c’est ça que le Constantine trouve amusant malgré le contexte ambiant: penser aux déboires d’Archie lui permet d’oublier momentanément les siens, au moins.

Le cœur d’Archie ne ralentit pas sa course. Il a envie de l’éventrer de l’intérieur et de fuir plus loin pour avoir une autre chance de survivre à cet événement irréaliste en train de se produire. Il n’a pas encore tout à fait compris ce qu’il se passe, en fait : son cerveau est incapable de se dire que ce scénario est bel et bien réel, et qu’il ne s’agit pas seulement d’une mauvaise blague. Le poisson d’Avril est passé et il ne se souvient pas avoir été mis au courant d’un tel mauvais coup – et puis, il aurait participé à l’organisation d’un tel prank horrifique s’il n’y avait pas des vies mises en jeu. Main plaquée sur sa poitrine, il ravale la crise de panique qui lui monte jusqu’à la tête et lui donne l’impression que sa fin approche. Ce n’est pas la première fois que ça lui arrive. « M’aide pas surtout. » Il ne peut tout simplement pas réagir. Il est déconnecté. Il ne parle plus anglais, ni le langage des signes, alors il ne comprend pas qu’il doit suivre Ambrose, son seul allié dans ce cauchemar, en hauteur. « Tu montes ou tu comptes toujours attendre une nana qui s’est foutue de toi ? » C’est bien ce qu’il faisait une trentaine de minutes plus tôt. Oui, c’est ça. Il est Archie, il s’est fait poser un lapin, et il est en colère. Il retrouve son authenticité, la panique le laissant vivre une journée de plus. Maladroit et tremblant, il grimpe l’échelle à son tour et rejoint l’autre garçon. De là-haut, une large fente leur offre une vue panoramique sur le couloir principal de l’école. Malgré la poussière et l’odeur de moisissure, il n’éternue pas. Tendu comme un piquet, il fixe la porte d’entrée.

« T’es vraiment drôle d’y avoir cru. » D’abord, il ne comprend pas. Il pense avoir mal entendu, mais devant l’expression détachée d’Ambrose, il est certain que ses oreilles sont bien nettoyées. « T’es sérieux ? Tu vas reparler de Lena ici ? » Il lâche un soupir, se mord la lèvre inférieure, hésite, puis réalise qu’il n’y aura certainement pas mieux à faire pour patienter avant que la police arrive. Quelqu’un a appelé les flics, pas vrai ? « J’y crois toujours. Elle m’a lancé le regard, dans la cantine. LE regard. » Le regard qui veut dire plein de choses à celui qui veut écouter. « Je ne comprends pas pourquoi tu peux simplement en douter. Les meufs font la queue pour me passer une main. » C’est vulgaire, oui. Mais ils vont peut-être mourir alors tant pis.  

Archie n’est plus que l’ombre de lui-même et, s’il était honnête, Ambrose devrait accepter qu’il n’est pas plus reluisant de son côté non plus. En réalité, il est tetanisé. Il craint pour sa vie mais n’a même pas le courage de l’avouer, parce que s’il le statut à voix haute alors tout risquerait de devenir un peu plus réaliste encore. Et il ne peut pas se le permettre. « T’es sérieux ? Tu vas reparler de Lena ici ? » Il va parler de tout et n’importe quoi plutôt que de ce qui vient de se passer, oui, parce qu’il n’y a que comme ça qu’il arrive à gérer sa panique et toutes les autres émotions qu’il ne connaissait pas jusqu’alors mais qui viennent s’ajouter à tout le package stress post traumatique. De ça aussi, il aurait bien aimé se passer. « Réponds à la question. » S’il le pouvait, il le supplierait de le faire. Répondre comme si de rien n’était, parler de Lena, continuer avec d’autres filles. Oublier le reste du monde, jouer au gros dur à trois mètres du sol alors qu’Ambrose est à peu près sûr de souffrir du vertige. Comme si de rien n’était. Comme si personne n’était jamais mort, parce que cela n’arrive que dans les histoires qu’on raconte à sa mère au supermarché.

« J’y crois toujours. Elle m’a lancé le regard, dans la cantine. LE regard. » Il répond enfin. Bien malgré lui, Ambrose esquisse un soupir soulagé. « Je ne comprends pas pourquoi tu peux simplement en douter. Les meufs font la queue pour me passer une main. » Et le voilà, le Archie passablement exécrable qui lui avait presque manqué. « Tu sais que je suis sorti avec Lena, pas vrai ? » Non, il ne le savait sûrement pas. « Alors peut-être que d’autres font la queue pour tenir la tienne, mais elle j’en doute. » Même s’il n’est de toute façon pas certain du moindre mot qui sort de la bouche d’Archie. « Enfin, je doute même que qui que ce soit fasse la queue autre part que dans tes rêves, hm. » Et il a un sourire de vainqueur, Ambrose, parce qu’il sait qu’Archie ne peut pas prouver le contraire - tout comme lui ne peut pas prouver son argument, mais dans ce sens là personne n’en tient rigueur à quiconque. L’ego reste blessé.

La petite bulle de protection octroie à Archie un semblant de quiétude tandis qu’il peut observer l’école de son nouveau perchoir. Ici, le porteur du masque ne le trouvera pas. Ici, il est en sécurité et il s’en sortira indemne, comme toutes les autres fois.  

Enfin... Ils s’en sortiront indemnes, parce qu’il n’est pas le seul à avoir trouvé refuge dans ce grenier poussiéreux. « Réponds à la question. » Et tandis que quelques-uns de leurs camarades de classe se font étriper comme des porcs à l’abattoir, cet idiot de Constantine trouve le moyen de ramener le sujet de Lena sur la planche à découper. Comment peut-il être aussi serein ? Ce doit être son cerveau qui a activé le mode rien-à-foutre pour ne pas trop souffrir avant de rendre l’âme. Alors il y répond, à sa stupide question, même si elle ne changera rien en leur situation. Il est vrai qu’il y a quelque chose de rassurant à penser à une jolie fille (qui est peut-être morte en cet instant, d’ailleurs). « Tu sais que je suis sorti avec Lena, pas vrai ? » Ses sourcils se froncent et il détache enfin son regard du corridor fantomatique pour le poser sur Ambrose. Un silence les accompagne avant que l’autre imbécile reprenne la parole. « Alors peut-être que d’autres font la queue pour tenir la tienne, mais elle j’en doute. » Ok. Admettons qu’il soit sorti avec Lena. Il a emprunté un temps de verbe au passé, alors c’est terminé, pas vrai ? « Si ce que tu dis est vrai, ce que je doute, ça n’implique pas qu’elle n’est pas intéressée par d’autres, tu sauras. » Il crache presque, tout en murmurant bien sûr, pour ne pas attirer l’attention de la bête. « Et puis le jeu du touche-pipi à cinq ans, ça ne compte pas pour officialiser une relation. » Il ajoute d’un ton moqueur pour reprendre le dessus.  

« Enfin, je doute même que qui que ce soit fasse la queue autre part que dans tes rêves, hm. » L’insulte passe bien des kilomètres au-dessus de sa tête. Il se contente de basculer la tête de droite à gauche en soufflant tout son air par ses narines. « Si ça peut te rassurer de le penser alors fais-toi plaisir, Nosferatu. » Tiens, ça lui colle bien ce surnom, avec son air squelettique et ses cernes noirs.  

Le son de pas effrénés monte en crescendo dans le couloir et un cri féminin l’accompagne, tandis que la silhouette de Lena traverse la scène de droite à gauche, poursuivie par le tueur qui accélère le pas pour la rattraper. Archie se crispe, se cache même le visage dans les mains, comme un enfant qui veut se protéger du monstre sous le lit. « Non non non non non non non non non. » Il murmure en se tirant les cheveux.        

« Si ce que tu dis est vrai, ce que je doute, ça n’implique pas qu’elle n’est pas intéressée par d’autres, tu sauras. » Ses mots font du sens, même pour Ambrose, mais ce n’est pas ce sur quoi ce dernier se concentre. Au contraire, il pense à tout ce qui peut à cet instant passer dans l’esprit du garçon à ses côtés et à quel point il peut sans doute se sentir trahi de ne pas avoir été le premier, et encore moins le seul. « Et puis le jeu du touche-pipi à cinq ans, ça ne compte pas pour officialiser une relation. » - J’sais bien. C’est pas ce dont je parlais. » Il est un grand, un adulte. Evidemment qu’il ne joue pas à touche-pipi lui non plus, cela ne ferait aucun sens voyons. « Si ça peut te rassurer de le penser alors fais-toi plaisir, Nosferatu. » Et à son tour, Ambrose accuse la remarque sans ciller, les mots l’effleurant à peine. Tout ce qu’il se dit, c’est qu’ils viennent de gagner au moins une minute d’attente impossible et ô combien stressante à ainsi jouer aux gamins qui ne pensent qu’avec leur entre-jambe. Compte tenu des circonstances, c’est sûrement le mieux qu’ils pouvaient imaginer.

Toute idée de discussion s’évapore lorsqu’un nouveau bruit leur parvient et leur glace le sang par la même occasion. Ambrose lui-même ne pense pas à la moindre blague, tous ses sens aux aguets alors qu’il se concentre sur la source du cri et reconnaît sans mal celui de Lena. Au cœur de toutes leurs discussions, elle devait être attirée près d’eux, évidemment. Le problème, c’est qu’elle est surtout poursuivie de près par le tueur en personne, et que cette scène fige finalement le sang de Constantine dont les yeux ronds se rendent immobiles, incapables d’analyser davantage la scène qui se déroule sous ses yeux. « Non non non non non non non non non. » - « Tais toi. Tais toi, ferme la, tu vas nous faire repérer ! » Il ordonne, sa voix se perdant entre les cris et les murmures. L’ordre n’est pas sujet à négociation, mais il doit à son tour parler tout bas pour leur assurer de ne pas être repérés.

Sans un mot supplémentaire, il tente de lui faire comprendre qu’ils ne peuvent rien pour Lena, mais qu’ils peuvent peut-être s’en sortir vivants s’ils se montrent assez discrets. « Mets tes mains sur tes oreilles. Ferme les yeux. Je te dirai quand ça sera fini. » Ambrose serre la mâchoire. Quand ça sera fini est synonyme de la mort de Lena, qui n’a aucune chance face à un tueur. Mais elle représente une vie de sacrifiée contre leurs deux leurs de préservées, alors le calcul est bon. Cela en vaut la peine, malgré tout.

L’inévitable se produit. Hauts perchés dans le grenier, les deux adolescents ont une vue imprenable sur tous les événements qui se produiront à un moment ou à un autre. Bien sûr qu’ils ne verront pas des licornes s’accoupler dans les couloirs, ou des jolis papillons tourbillonner et couvrir les murs de paillettes. Ce soir, c’est en plein milieu d’un film d’horreur qu’ils sont tombés ; pas dans l’une de ces séries gnan gnan que regardaient ses sœurs le matin avant de se rendre à l’école. Ils ont une vue sur le massacre qui devra se produire puisqu’il n’y a qu’une seule personne armée à l’école, et il s’agit d’un type qui n’en a certainement rien à foutre de terminer ses jours sur la chaise électrique.

Alors, naturellement, les réactions d’Archie se font vite entendre. Lui qui ne regarde pas de films d’horreur, de slashers, qui ne lit pas de Stephen King non plus, il n’est pas familiarisé avec cet univers qui, par défaut, lui dresse le poil sur les bras et le pétrifie de stupeur. Tous ses membres sont crispés, de ses orteils au bout de ses doigts, et seules ses cordes vocales se distendent comme si elles avaient pris le dessus sur le corps de l’adolescent. Il ne pense pas à ce qu’il dit ; il est en état de choc. « Tais toi. Tais toi, ferme la, tu vas nous faire repérer ! » Même cet avertissement ne parvient pas à lui faire retrouver la raison. Il serre ses cheveux à s’en arracher des touffes et il se bascule sur lui-même, d’avant en arrière, telle une chaise berçante. Ambrose n’est qu’une masse physique à sa droite, dont il ne perçoit plus la présence. Et pourtant, son prochain ordre lui parvient jusqu’aux oreilles, surplombant les cris de Lena qui zigzague dans les couloirs dont ne subsiste plus aucun bon souvenir. Il se plaque les paumes sur les oreilles et se recroqueville en petite boule, son corps secoués de mile-et-un spasmes électriques. En fait, il aurait préféré qu’elle lui pose un vrai lapin et qu’elle ne fasse pas acte de présence au bal. Tout le monde aurait préféré s’absenter, en fin de compte, vue la tournure de l’événement. « C’est fini ?! » Il s’exclame à voix haute sans peser les décibels, assourdis par ses mains. Il se serait fermé la gueule, s’il avait su que le tueur traversait le couloir à cet instant-même en essuyant son couteau souillé avec le pli de son pull.

Archie entre dans un état de panique évident, au point où Ambrose arrive à aisément le nommer “crise de panique” sans même s’y connaître sur le sujet, ni en avoir observé une seule fois dans sa vie. Ce qu’il sait, c’est que le brun ne l’écoute pas. Il est seulement et purement paniqué, incapable de réfléchir, voué à laisser l’anxiété monter en lui sans que son esprit arrive à retrouver la raison. Et Ambrose observe la scène sans rien dire, sans rien faire non plus: il ne saurait pas comment l’aider, ni même améliorer la situation. Au moins, il fait attention à ce que le brun ne les fasse pas remarquer, parce qu’il n’a aucune intention de finir dans le même état que Lena de son côté. Ils sont protégés là où ils sont, et il jure qu’il n’hésiterait pas à pousser Archie de l’étage si cela pouvait préserver sa propre vie.

« C’est fini ?! »

Preuve en est, c’est un regard terriblement noir qu’Ambrose lui dédie désormais. Il joue à l’enfant apeuré qui se bouche les oreilles mais ce n’est pas pour autant que personne ne peut les entendre et bien au contraire: le tueur les a plus que facilement repérés, lui qui passait justement non loin. « T’es vraiment con putain de merde. » Et il le pousse à enlever ses mains de ses oreilles, pour qu’il puisse entendre les reproches d’Ambrose. De toute façon, il n’y a plus rien dont il devrait cacher le bruit: Lena est morte, et c’est le silence pesant qui le leur dit ; ça, et le sang abondant sur le sol autant que sur le couteau du tueur. « Faut qu’on s’en aille. On doit courir. On est repérés à cause de toi, alors bouge ! » Il y a des chances pour qu’ils arrivent à courir plus rapidement que le tueur mais surtout qu’ils arrivent à le faire bien plus loin, jusqu’à la première cabine téléphonique venue. Là-bas, ils appelleront la police. Elle les aidera. Et les sauvera.