we ain't gettin' any younger

Les matinées ensoleillées d’été ont laissé place à celles fraîches et nuageuses d’hiver. Le soleil ne l’aveugle plus au réveil, les mouettes sont moins capricieuses et le quartier plus calme encore qu’il ne l’est d’ordinaire. Channing, il préfère l’été - il aime se réveiller en déjeunant en terrasse, aller courir sur la plage avant de commencer sa journée, prendre sa moto pour aller au travail et s’imprégner des rayons sur sa peau à la moindre occasion. L’hiver, il l’aime un jour ou deux mais pas davantage, et avec suffisamment de neige dehors pour le faire sourire et compenser le froid glacial qui l’accompagne - autant dire qu’il ne l’aime que très rarement. Mais ce matin, loin du confort de son bureau qu’il savait apprécier dans ces circonstances, le brun était sur le terrain et il n’y avait ni de neige ni de soleil à l’horizon. Il avait fait un bond au central business district pour récupérer divers rapports déposés à son bureau la veille et avait ensuite pris la direction de Logan City, ayant en tête de rejoindre des collaborateurs sur le terrain et prendre des notes quant aux avancements des projets en cours. Le Walker Group investissait dans la banlieue sud, la Gold Coast dans son collimateur, et s’était récemment saisi de plusieurs terrains à bâtir dont un sur lequel Channing veillait tout particulièrement. Son emplacement idéal et sa superficie avaient attiré les regards, et l’entreprise se l’était approprié pour mieux le présenter à ceux voulant y investir. Des projets de centres commerciaux, un pour une salle de concert et un autre pour un parc d'attractions avaient fleuri, et les petites mains s’affairaient sur place pour déterminer lequel des dossiers proposés serait celui retenu pour être floqué du logo du groupe.

Ses pas l’éloignent distraitement du terrain alors que son nez est plongé dans les différents rapports qu’il feuillette en regagnant sa voiture, son trench-coat suivant mollement le rythme de ses pas et ses doigts raidis par la température à laquelle ils sont exposés depuis trop longtemps commençant à rendre leur utilisation douloureuse. Son téléphone vibre dans sa poche, Channing referme à contre-coeur ses documents pour s’en saisir et n’en a malheureusement pas le temps - arraché à ses réflexions, il se heurte à une silhouette sans l’avoir vue, et sa main libre abandonne sa quête pour son cellulaire afin de se poser par réflexe sur l’épaule qu’elle vient de percuter allégrement, s’assurant aussi bien de son équilibre que celui de l’inconnue. « Eh - vous allez bien ? » - « Pardon, je suis désolée de... Channing ? » Son regard trouve celui de la jeune femme, et ses pensées se taisent brusquement sous la surprise. Olivia, celle qu’il avait fréquenté il y a des années et qu’il avait brièvement revue l’année passée après son accident, se tient devant elle avec une laisse dans une main et un avocat dans l’autre. « Olivia » articule-t-il avant de se baisser machinalement pour récupérer les avocats tombés au sol dans la collision, fronçant les sourcils d’un drôle d’air en les rendant à leur propriétaire - l’amusement l’emportant sur un quelconque jugement. Sa main tenant ses documents les coince sous son aisselle afin de se rendre libre pour caresser la tête de l’animal ayant tendu le museau dans sa direction, et il accorde un regard à la chienne avant de se reporter sur l’infirmière. « Tu balades ton chien avec des avocats ? » plaisante-t-il facilement en esquissant un sourire, un peu incertain quant au comportement à adopter. Ils n’ont pas interagi ainsi depuis ce qui lui semble être une autre vie, et s’il n’est pas amer quant à leur histoire la brune a davantage de raisons de l’être - et il ne lui en voudrait pas. « Comment tu vas depuis le temps ? » Ses lèvres s’entrouvrent pour laisser s’évaporer un panache, et le Walker hausse prudemment les épaules, un sourire de façade omniprésent sur ses traits. Il va mieux depuis l’accident si c’est ce à quoi elle pense, a des douleurs par des journées aussi humides que celle-ci mais apprend à vivre avec, et n’est pas des plus à plaindre compte tenu de bien des choses. Il a eu énormément de chance de s’en sortir aussi bien, et n’est pas ingrat quant à ce privilège qu’il n’est pas certain de mériter. « Je vais bien, merci. Et toi, qu’est-ce que tu fais ici ? » l’interroge-t-il en parcourant son regard, ajustant les documents sous son bras. Que devient-elle, qui est-elle devenue ? « Comment elle s'appelle ? » demande-t-il en jetant un regard en direction de la chienne.

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« Oh, je m'en sers comme balle quand il veut jouer. Tu en veux un ? » Spontanément, ses sourcils se froncent sous la surprise autant que l'amusement. Il avait d'autres projets pour sa matinée que celui de se mettre aux fourneaux avec un avocat encore légèrement luisant sous la bave de l'animal, et ce avec tout le respect que l'héritier pouvait bien avoir à l'égard de la chienne et de sa propriétaire. Sa tête se secoue prudemment par la négative sans que son sourire ne retombe, et Channing décline poliment l'offre en rendant le fruit à celle à qui il appartient. « Non merci, je ne voudrais pas lui voler son jouet. » précise-t-il en posant un regard sur la jeune femme. Il ignorait depuis combien de temps leurs chemins ne s'étaient pas croisés, mais cela avait été suffisant pour oublier la sonorité de sa voix autant que les nuances exactes de ses yeux, et Channing avait l'impression de redécouvrir celle qu'il avait côtoyé si étroitement à une époque bien différente. « J'habite à quelques rues, je promène juste la chienne après... » Sa phrase reste en suspens et il n'insiste pas pour en savoir davantage. L'information quant à ce qu'elle habite à proximité et sorte par conséquent sa chienne dans son quartier est amplement suffisant pour satisfaire sa curiosité, et il acquiesce avec un air légèrement taquin. « Après avoir trouvé des avocats sur ton chemin ? » suggère-t-il avec une once de malice. Channing n'est pas très connaisseur lorsqu'il s'agit d'animaux - mais aux dernières nouvelles, tous les propriétaires de chiens qu'il connait n'ont jamais baladé leurs fidèles compagnons les bras chargés d'avocats. « Et toi, qu'est-ce que tu fais dans le coin ? » Reprenant un semblant de sérieux sans jamais en devenir rigide, l'héritier hausse mollement les épaules après un regard circulaire autour d'eux. « Je suis venu sur le terrain pour le WG. » explique-t-il sans entrer dans le détail jugé impertinent dans leur échange. Il était ici pour le travail, ne faisait que passer, et serait bientôt à nouveau de l'autre côté de la ville dans sa tour immense ou sur un énième site de construction. Il aimait se balader en ville le grand brun, mais était comme tout australien plutôt frileux dès lors que les températures chutaient sous les vingt degrés. « Elle s'appelle Reid. Elle a environ cinq ans, même si c'est pas vraiment sûr. Je l'ai adoptée dans une association. » Son attention à nouveau toute dédiée à son interlocutrice, Channing sourit aux informations qu'elle lui partage au sujet de la dénommée Reid. Se baissant prudemment, s'accroupissant pour être à hauteur de l'animal, le brun propose sa main à la chienne et se voit octroyer le droit de la flatter par la suite, son sourire s'élargissant un peu davantage à la vue de sa main qui disparaissait dans les poils et de celle qui semble se satisfaire de ses caresses. « Coucou toi. » Sa main passe sur sa tête et il se redresse ensuite, conservant un regard appréciateur sur la chienne. « Elle est adorable. Tu l'as depuis longtemps ? » demande-t-il en la regardant à nouveau.

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« Les avocats viennent d'un voisin. Il en avait trop, et il a pensé qu'on en voudrait. Et comment refuser ? » Son expression amusée s’accentue un peu davantage face au caractère improbable et comique de la situation. Olivia ne lui précise pas si elle connaît le voisin en question, et Channing ne l’interroge pas davantage - l’idée que l’inconnu en soit un est particulièrement amusante, et il adopte volontiers cette version. L’homme ne l’avait probablement pas accosté avec ses récoltes sans la connaître, mais la possibilité qu’il l’ait fait n’en demeure pas moins divertissante. « Et maintenant, tu fais faire le tour du quartier à ta chienne et à ces avocats. » conclut-il avec une expression guillerette sans être moqueuse. C’est insolite, mais Liv n’a jamais été une jeune femme ordinaire. « Tu cherches des terrains par ici ? » Son regard parcourt le sien et Channing fait une petite moue avant de jeter un oeil aux alentours, se reportant sur son interlocutrice par la suite. Il ne cherche pas à proprement parler, ne se déplace pas en personne lorsque c’est le cas. L’héritier, il s’assure que tout se passe bien et garde un oeil sur ses projets les plus prometteurs. « Pas vraiment, non. Je suis passé suivre l’avancement d’un projet. » nuance-t-il sans entrer dans le détail. Ce n’est rien qui puisse vraiment l’intéresser, du moins c’est ce qu’il pense. Tout est encore très nouveau sur le terrain récemment acquisitionné, et les idées ne sont pas encore fixes. Pour le moment, ils en sont au stade des prises de données et des rapports d’analyses. « Ça fait trois ans ! Et elle fait toujours autant de bêtises, mais je suppose que c'est dans son caractère... Elle en fait toujours moins que les enfants ! » Son sourire s'attendrit en direction de la chienne dont le bout de la queue balaye joyeusement le sol, puis se redresse vers la rousse à la mention d’enfants. Ils ne sont pas vus depuis un moment, mais est-ce que cela fait si longtemps ? Curieux, une rangée de frissons balayant ses bras, Channing lui sourit. « Tu es devenue mère ? Alors ça fait vraiment un moment qu’on ne s’est pas vu. Félicitations, Olivia. » Il en oublie parfois qu’il s’agit du schéma le plus fréquent lorsque le cap de la trentaine est franchi. Un partenaire de vie, des enfants, un chien et une maison : il ne cumule que la villa et trois chatons, et manque encore à cocher certaines cases même s’il prétend ne pas s’en préoccuper. « J'aurai bien aimé avoir un cheval, comme quand j'étais enfant, mais je ne pense pas qu'il aurait été confortable à Brisbane » Ses lèvres s’étirent à cela alors que sa main le long de son corps gratifie de quelques caresses distraites la tête de la chienne qui le renifle. « Rien n’est impossible quand on s’appelle Olivia Welch. Je suis certain que si tu es prête à t’excentrer un peu, tu pourrais avoir un poney dans ta pelouse. Tu y as déjà pensé ? » Si c’était son rêve, Olivia savait que Channing l’encouragerait à se donner les moyens de le concrétiser. Il l’avait fait par le passé pour son expérience dans un dispensaire à l’étranger, et peu importe à quel point les choses avaient changé depuis, son soutienlui était indéfectible.

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« Rien qui ne change trop la dynamique du coin ? » Sa tête se secoue par la négative. Les intentions du Walker Group sont bonnes, et jamais l’entreprise ne porterait préjudice à l’image d’un quartier sous un prétexte ou un autre. L’équipe au grand complet avait à coeur d’embellir Brisbane, pas d’en remodeler les paysages selon leurs caprices - ils n’étaient pas leurs à avoir, et Channing avait tout à gagner à satisfaire les australiens plutôt que l’inverse. « Non, sois tranquille. C’est autant dans l’intérêt du quartier et de ses habitants que dans le nôtre. » précise-t-il posément, un sourire sincère sur les lèvres. Pas d'inquiétude à avoir, pas de projet contre lequel manifester ou s’opposer - la presse en parlerait bientôt et l’héritier était plus serein quant à l’accueil qui lui serait réservé. « Les jumeaux ont six ans » Six ans. S’il n’avait pas déjà l’impression d’être plus vieux qu’il ne le devrait, Channing venait de l’avoir. Olivia a eu des enfants et ces derniers parlent et gambadent d’eux-mêmes, et une seconde durant le brun s’interroge quant à ce que la demoiselle ait influencé l’une de ses précédentes vies plutôt que celle-ci. Un sourire approbateur pour toute réponse, peu désireux de demander à la maman davantage de détails, le Walker préfère changer de sujet. « Un cheval, ça coûte cher en entretien » Elle marquait un point. Un peu déconnecté de la réalité dès lors que cela touchait à l’argent, l’entretien de l’animal n’avait pas été un détail auquel il avait pensé - mais oui, les chevaux avaient réputation d’engendrer davantage de frais que les chiens et chats, et ces derniers n’étaient peut-être pas de ceux dont Olivia avait besoin. « Et puis un poney ne serait pas heureux dans de si petits terrains, sans copains et sans vrai terrain de balade. » D’un air aussi léger qu’il est amusé, toujours bienveillant sans jamais être moqueur, l’héritier sourit. « Je crois qu’il existe des modèles disons… miniatures de chevaux. Peut-être qu’ils mangent moins que leurs amis plus grands, et coûtent moins cher. » suggère-t-il sans envisager de l’influencer, plus plaisantin qu’il n’est sérieux. Il serait bien incapable de l’assurer, mais ne serait pas surpris qu’il existe des races de poneys plus petites que certaines géantes de chiens. « Et puis, j'aime bien cet endroit. Tout est facile d'accès, y a une bonne école pas loin, je connais mes voisins » Il la comprend. Avant de quitter Spring Hill et le centre-ville d’une manière plus générale, lui aussi appréciait grandement l'accessibilité des commerces et établissements du quotidien. Un regard amusé vers les avocats, il échappe un rire doux. « Et les avocats ne sont pas chers. » - « Et toi ? Tu te plais où tu vis ? » Il n’aurait jamais pensé répondre par la positive à cette question lorsqu’il faisait ses cartons il y a de ça deux ans dans son appartement du centre. Les mouettes, l’air marin, la distance et le calme l’avaient rebuté au premier abord - pour celui qui avait toujours vécu dans la frénésie du coeur de la ville, le bruit des vagues lui avait paru inquiétant au premier abord. « Je vis à Bayside maintenant. » l’informe-t-il en la regardant. « Je suis le premier surpris par la réponse que je vais te donner mais, oui, je m’y plais beaucoup. » et même s’il avait déménagé à contre-coeur à l’époque, Channing n’envisageait à présent plus vraiment de retourner à Spring Hill. Sauf s’il venait à y être contraint ou à avoir un coup de foudre pour un appartement, l’héritier était très bien là où il était. Cela la surprendrait-elle autant que lui ? « Je ne me lasse pas de la vue et ça me permet de couper avec le travail. Lorsque j’entends l’océan plutôt que le trafic, je sais que ma journée est terminée. » avoue-t-il avec un nouveau sourire avant de marquer une pause. Il ignorait s'il devait être surpris ou non des chemins différents qu'avaient pris leurs vies - mais était heureux d'avoir pu prendre des nouvelles de celle qui avait eu une place toute particulière dans son coeur plusieurs années en arrière. « Ca me fait plaisir de t'avoir revue, Olivia. J'espère que tu continueras de te plaire ici - mais promis, je ne réserve aucune mauvaise surprise sur cette parcelle. »

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