(mount coo-tha) Ce n’est même plus tant qu’elle n’est pas heureuse d’avoir un nouvel enfant, parce qu’au fond elle jure l’être malgré tous les désagréments parvenus récemment dans son existence, mais c’est surtout que la nouvelle l’a prise de court et qu’elle n’est pas le genre de personne à aimer les surprises. Encore moins de cette sorte et de cette importance. Le nombre d’enfants était réglé et prévu depuis des années et elle mentirait si elle disait qu’elle n’avait pas non plus prévu leur sexe au passage. Et là encore, l’annonce qu’ils sont deux garçons a du mal à passer, même si Lily a feint la joie dans la salle d’examen et face à son mari envers qui elle sait ne pas avoir été la plus douce et attentionnée des épouses récemment. Il fait de son mieux, elle le sait et elle l’aime pour cette facilité qu’il a à agir ainsi malgré tout ce qu’il peut se passer autour de lui. Elle associe cet état d’esprit à une naïveté incroyable, certes, mais parfois cette dernière a tout de même un peu de bon.

Cette fois-ci, elle est repartie de l’hôpital en souriant et en posant sa main contre son bas ventre un peu plus délicatement encore, pour s’assurer que ses deux garçons se portent bien. Tout n’était pas sincère dans son attitude, mais elle est au moins persuadée que cela a rendu Ezra heureux et c’est là un des nombreux buts auxquels elle aspire dans la vie, alors tout n’est pas perdu. Dans peu de temps, Matt et son frère rejoindront la famille et Lily observe le temps s’écouler à une allure folle sans qu’elle ne puisse y faire quoi que ce soit. Face à une telle force, même elle reste parfaitement impuissante. « Tu sais comment j’ai envie d’appeler le deuxième garçon ? » Non, il ne sait évidemment pas, parce qu’il n’est pas dans sa tête et parce qu’il ne pourrait pas le deviner. Parce que l’idée ne fait pas de sens pour lui non plus, raison pour laquelle elle commence déjà à adoucir son idée en posant une main aimante contre son poignet alors qu’ils profitent tous deux d’un instant de répit au parc. « Alfred. Ça irait bien avec Matthew. » Et elle, ca lui permettrait d’entamer un deuil qu’elle a malgré tout du mal à accepter, même s’il n’est pas mort et même s’il est déjà parti de nombreuses fois. Celle ci est différente et le simple fait qu’il prenne le temps de lui envoyer des cartes postales pour donner de ses nouvelles suffit à le comprendre: il ne reviendra pas. Il ne reviendra pas, mais il s’en fait assez pour donner des signes de vie, et il lui manque déjà terriblement ; assez pour qu’elle cherche des traces de lui dans sa propre progéniture.

@Ezra Beauregard

Le dernier rendez-vous à l’hôpital s’était passé pour le mieux, pour une fois, et aucun reproche n’avait été lancé à travers la salle d’échographie - ce qui était une nouveauté si c’était comparé à la dernière fois qu’ils s’éteint rendus sur place. Les deux garçons - puisqu’ils avaient pu apprendre au passage que c’était deux garçons qui rejoindraient leur famille à l’été - se portaient comme des charmes, et tout allait bien également chez Lily; Ezra n’avait pas tout compris dans les détails mais c’était là les informations qui lui avaient été communiquées en résumé à la fin du rendez-vous, et c’était tout ce dont il avait besoin pour continuer d’être heureux quand à cette grossesse. Il l’était déjà, lui, lorsqu’ils avaient appris que c’était non pas un mais deux bébés que Lily portait, mais désormais il l’était d’autant plus de savoir que c’était deux garçons. Alice allait donc grandir entourée de frères, à l’instar de Katherine dans sa propre fratrie, et c’était quelque-chose qui gonflait de joie le coeur du père de famille.

« Tu sais comment j’ai envie d’appeler le deuxième garçon ? » Au contact de la main de Lily contre son poignet, et aux mots qu’elle prononça, Ezra releva son regard dans sa direction en haussant légèrement un sourcil sur son visage. Elle l’avait sorti de ses pensés, alors il espérait que ce n'était pas là une tentative pour le piéger et lui montrer qu’il n'avait pas été attentif si elle parlait déjà jusque maintenant. « Je sais pas non, dis moi ? » Ils n’avaient pas encore abordé le sujet du second prénom, car lui marchait sur des oeufs quand à toute cette situation; il ne voulait pas parler de choses qui pourraient énerver d’autant plus Lily, déjà pas franchement ravie de l’annonce surprise de cette grossesse - autant par la grossesse en elle-même que par le second enfant surprise dans le lot. « Alfred. Ça irait bien avec Matthew. » Légèrement, ce fut les deux sourcils qui se froncèrent sur son visage. « Matthew, ça passe parce-qu’on connait la référence nous. » Et les souvenirs allant de paire avec tout ça, qui plus était, et la signification du prénom, et plein de choses. « Mais Alfred… C’est pas un peu vilain de donner Alfred comme prénom à son gamin ? » Dans l’esprit d’Ezra, Alfred était le fidèle serviteur de Batman et avait l’âge que laissait supposer le prénom; ce n’était pas un nouveau né qui faisait la joie de ses parents en venant dans ce monde. « T’es sure que c'est une bonne idée ? » Il ne parlait même pas en se disant que cela allait être négociable: il connaissait très bien Lily, et savait aussi le poids qu'il avait dans ce type de décisions.

Doucement, et sans même s’en rendre compte, elle caresse le poignet de celui qu’elle peut aujourd’hui enfin appeler son mari. « Je sais pas non, dis moi ? » Bien sûr qu’il ne sait pas comment elle veut appeler le second des jumeaux: jusqu’à preuve du contraire, il ne sait pas lire dans ses pensées. Le suspens ne perdure pas davantage et, rapidement, elle prononce l’idée qu’elle a en tête. Alfred. Alfred serait un prénom adorable pour cet enfant. A en juger par la réaction d’Ezra, il ne semble pas en penser autant de ce prénom, ce qui pousse Lily à ramener sa main devant elle et à rompre le contact avec le Beauregard. « Matthew, ça passe parce-qu’on connait la référence nous. » Le prénom est doux, il n’a pas le droit de simplement dire que ça passe et si c’est là le seul terme qu’il pense lui apporter, Lily s’en retrouve quelque peu vexée. Ils ont pourtant décidé ensemble de ce prénom et étaient tous deux d’accord pour rendre hommage à un Matt qu’ils ont tous deux connu personnellement. « C’est un joli prénom, Matthew. » Elle marque tout de même son point, sans pour autant chercher à nier qu’il porte surtout une forte connotation pour eux deux.

« Mais Alfred… C’est pas un peu vilain de donner Alfred comme prénom à son gamin ? T’es sure que c'est une bonne idée ? » Elle est sûre, oui, sinon elle n’aurait pas même pris la peine de lui formuler la proposition. Lily ne parle que lorsqu’elle est sûre, et il le sait très bien. « On l’appellera Alfie au quotidien. » Un prénom qui, cette fois-ci, est aussi connu de l’esprit d’Ezra, bien qu’il n’ait jamais été proche de l’homme se dénommant ainsi. Il ignorait sans doute même qu’Alfie n’était qu’un surnom, le genre qui a été adopté au point où personne ne l’appelle jamais Alfred. Mais Alfred aussi, elle trouve que c’est un joli prénom. Elle n’est pas objective, mais peu importe. « Et puis, ça a une signification aussi, comme prénom. » Pour elle bien plus que pour lui, certes, mais peu importe. Elle serait heureuse de lui apprendre qu’il a été nommé après un très bon ami à elle, le jour venu, quand il sera lui-même en âge de comprendre ce genre de choses et que Matt pourra le comprendre à son tour. « Les deux garçons auront un prénom qui fait du sens, comme ça. » Elle a beau argumenter, tous deux savent déjà que la décision est prise et non négociable, mais elle aimerait autant ne pas avoir à se battre contre son mari, surtout pour une décision aussi importante et lourde de sens que le choix de prénoms de leurs enfants. « Noah, Matt et Alfie. Une vraie petite équipe de foot. » Son sourire grandit et sa main entoure la paume de la sienne pour la relever quelque peu, jusqu’à la hauteur de sa bouche pour qu’elle puisse déposer un baiser contre le dos de sa main. Ezra sera heureux avec autant de garçons, peu importe leurs noms.

« C’est un joli prénom, Matthew. » Fronçant un brin les sourcils, il sentit que la phrase de la brune était une reproche, mais il n’arrivait pas à comprendre ni à saisir pourquoi c’était ce ressenti là qui persistait chez lui en cet instant. « Bien sur que c’est un joli prénom Matthew. » Il n’avait jamais remis en question cette partie là de leur choix: il appréciait réellement le prénom, sans que cela soit rattaché au moindre souvenir ou quoi que ce soit pour eux en prime de tout ça. « Mais c’est un prénom un peu vieillot faut admettre, non ? Heureusement qu’on pourra donner Matt comme surnom quoi. » De son côté à lui, ce n’était pas un reproche loin de là; il savait simplement que les enfants à l’école, par exemple, étaient prompts à remarquer ce genre de chose là où les adultes pouvaient ne voir aucun mal. Il était d’ailleurs bien heureux que Ginny ait eu la bonne idée d’appeler Noah comme ça, car c’était au moins un point sur lequel il n’avait pas eu à souffrir - ce gamin avait eu assez de problèmes par la suite, pas besoin de volontairement ne rajouter une couche. « On l’appellera Alfie au quotidien. » Oh, oh. Alfie au quotidien, c’était mieux. Mais pourquoi un frisson parcourut l’échine d’Ezra à ce moment là, comme si cette idée était encore pire que la première finalement?

« Et puis, ça a une signification aussi, comme prénom. » Lentement, il fronça les sourcils tout en tournant son visage dans la direction de Lily. « Les deux garçons auront un prénom qui fait du sens, comme ça. » Ah oui ? « Noah, Matt et Alfie. Une vraie petite équipe de foot. » Elle attrapa sa main pour la porter à hauteur de son visage et déposer un baiser sur cette dernière.

Oh, bien sur que la dernière mention concernant l’équipe de foot et le fait qu’elle soulignait qu’effectivement, c’était quelque-chose qui plaisait à Ezra, lui souffla un brin de chaleur sur le coeur. Il aurait pu se concentrer sur cette partie là de la discussion, de la question également; il aurait pu s’arrêter sur le fait qu’il allait enfin avoir sa famille rêvée, plein de garçons pour courir dans le jardin et une petite princesse pour mener tout ce beau monde à la baguette et selon ses désirs et ses ordres. Alice aurait la protection de Noah, et saurait faire en sorte que ses deux petits frères puissent la défendre lorsque le grand ne serait plus dans le coin pour le faire. Mais Alfie, vraiment ? Il était resté sur cette mention là. « Un prénom qui a une signification ? » Ezra ne se rendait pas compte de grand chose, mais il existait tout de même des limites à ses limites, justement. « Tu veux dire un prénom qui signifie quelque-chose pour toi, on est d’accord hein ? » Il n’avait pas initialement voulu tourner ses mots et son ton sous forme de reproche, et pourtant c’était ce qu’il s’entendait faire. Tant pis: elle n’aurait qu’à lui remonter les bretelles, elle était habituée à le faire. « On est d’accord que j’ai la même signification que la tienne, hein ? » Pas une plaisante. « Alfie, c’est l’autre gars là c’est ça ? » L’autre gars parce-qu’il ne savait même pas comment il pouvait se permettre de l’appeler, de le nommer, tant il se rendait compte en cet instant qu’il n’avait jamais réellement su ce qu’il était dans l’équation de la vie de Lily.

Matthew est un joli prénom et le dernier homme qu’elle a connu le portant était incroyable. Il n’y a rien de moins à en dire et il n’y a certainement rien de plus à en conclure non plus. « Mais c’est un prénom un peu vieillot faut admettre, non ? Heureusement qu’on pourra donner Matt comme surnom quoi. » Il insiste mais elle préfère opter pour le silence en retour, certaine qu’un débat ne mènerait à rien sur ce point là. Elle lui offre un sourire de circonstance, sa main glissant contre la joue de son mari pour lui faire comprendre que le moment de se taire est déjà venu. Ils n’auront pas une discussion autour de Matt, qu’il s’agisse de son mari décédé ou de leur enfant qui n’est pas encore né. Il est encore trop tôt, pour l’un comme pour l’autre, et Lily sait ne pas avoir les nerfs assez solides pour cela. Elle n’abandonne pas pour autant la discussion et clôt cette dernière en lui annonçant qu’Alfred sera au quotidien nommé Alfie, annonce qu’elle adoucit en embrassant tendrement mais brièvement le père de ses enfants.

Comme elle pouvait néanmoins s’y attendre, l’annonce n’est pas accueillie avec autant de douceur et de bienveillance du côté d’Ezra qu’elle n’en a été pensée de celui de Lily. « Un prénom qui a une signification ? Tu veux dire un prénom qui signifie quelque-chose pour toi, on est d’accord hein ? » Les mots sont des reproches, elle le comprend sans mal mais elle mime de ne pas s’en offusquer. « Qui a une signification, oui. Pour toi, pour moi, c’est du pareil au même. » Elle n’a jamais précisé que le prénom avait une signification pour eux deux, après tout. Il en a une de son côté et cela lui suffit amplement, tout comme cela l’aide à voir l’arrivée des jumeaux un peu plus positivement maintenant qu’elle sait qu’ils porteront tous deux des prénoms chers à son cœur. « On est d’accord que j’ai la même signification que la tienne, hein ? Alfie, c’est l’autre gars là c’est ça ? » Prise de court, Lily le toise un instant sans savoir quoi dire. Elle n’avait pas anticipé qu’il oserait parler frontalement d’Alfie et, par extension, elle ne s’était en rien préparée à une question de la sorte. Décrire leur relation est une des choses les plus difficiles qui existe en ce monde et Ezra la met au pied d’une mur d’une façon qu’elle juge purement égoïste - sans se remettre en question elle-même. « Alfie, c’est l’homme que je connais depuis toujours et qui est devenu l’un de mes meilleurs amis. C’est bien ce que tu voulais dire, non ? » Elle a toujours jalousement gardé ses rapports avec le Maslow, ce qui aujourd’hui lui permet de pouvoir surfer sur ce qu’il sait et ce qu’il ignore pour être à son avantage. Elle se doute bien qu’il nourrit des doutes à son tour, mais puisqu’ils ne les ont jamais évoqués à voix haute, elle préfère ne pas le faire non plus. « Il est parti à l’autre bout du monde et je doute qu’il revienne un jour. Le prénom sera adorable pour un enfant. » Parce que s’il pensait pouvoir négocier, la réponse est bien évidemment négative. Il peut se frotter au sujet Alfie s’il s’en sent le courage, mais tous deux savent qu’il s’y piquera, sans que cela ne soit nécessairement porteur de résultats.

« Qui a une signification, oui. Pour toi, pour moi, c’est du pareil au même. » Haussant un sourcil un brin surpris, il se retint de secouer sa tête en prime. Non, ce n’était pas du pareil au même, mais ce n’était pas une réponse à laquelle il s’attendait non plus - alors peut-être que cela lui coupa le clapet pendant un instant ou deux, à Ezra. Il y avait proposer des idées et les imposer de façon plus ou moins subtiles - il ne se rendait pas compte de tout, mais d’une partie tout de même et il décidait quand même de laisser les choses se faire parce-qu’il n'avait pas envie d’appuyer sur certains points dans le simple but de faire mal alors que les choses pouvaient tout de même se passer correctement sans qu’il ne s’aventure sur ce type de terrain là. En revanche, il y avait une autre variante de ce comportement, et elle était sous ses yeux en cet instant: imposer son choix et exprimer à haute voix que l’avis de l’autre n’était de toutes façons insignifiant. Alors peut-être qu’il fit quand même claquer sa langue contre son palais, un peu contre lui-même, une pointe d’exaspération ressentie.

Et parce-qu’il était idiot mais pas encore rendu à manger du foin, il savait pertinemment que le sujet qui avait pourtant été lancé par Lily était une pente glissante pour lui; il continua le long de ce dernier malgré tout, car il savait qu’Alfie était un surnom qui appartenait à une autre personne. Il n’était pas spécialement jaloux Ezra, mais il savait surtout qu’il n’existait pas que des bonnes réponses à la question qu’il venait de poser. Et au regard qu’elle lui lança un instant, au silence qu’elle imposa il semblait malgré elle à la conversation, il comprit qu’il était dans le vrai quand à ce qu’il pensait de la situation. « Alfie, c’est l’homme que je connais depuis toujours et qui est devenu l’un de mes meilleurs amis. C’est bien ce que tu voulais dire, non ? » Il soutenait son regard, mais n’appuya pas l’affirmation de Lily. « Il est parti à l’autre bout du monde et je doute qu’il revienne un jour. Le prénom sera adorable pour un enfant. » - « Et donc la conversation est terminée. » Cette fois-ci, il secoua quelque peu son visage, soupirant dans la foulée.

« Je suis pas aveugle tu sais. » Ceci n’était pas applicable à toute situation, mais à défaut au moins à certaines et elle se devait de le voir quand même. « Je savais pas qu’il était parti à l’autre bout du monde, ça je te l’accorde. » Mais en même temps, quel aurait été le motif pour lequel il aurait du être mis au courant ? Il n’avait jamais côtoyé Alfie, n’aurait pas eu de raison de le faire et il était persuadé que l’envie n’aurait pas été présente non plus. « Mais je sais qu’il a une place plus importante pour toi que ça. » Que simplement celle d’un ami, même d’un très bon ami. Ezra connaissait la brune depuis assez longtemps maintenant, les années se comptant presque en plusieurs décennies désormais, et il savait reconnaitre certaines signes. Tout comme il aurait été capable de porter les mêmes lorsqu’il s’agissait d’autres personnes que Lily - qui ne faisaient plus partie du décor avec le temps non plus. « Et je sais aussi qu’il a pas toujours été que source de bonheur à tes côtés. Je sais pas pourquoi parce-que t’as jamais voulu en parler, mais je sais. Quoi, je sais pas, mais je sais. » Bien sur qu’il se rappelait le jour où elle était arrivée avec un bras cassé sans autre explication qu’une malencontreuse chute. Il n’était toujours pas convaincue de cette dernière mais en même temps il n’avait jamais eu de preuve qui prouvaient que sa théorie pouvait être bonne. Quelle théorie, il ne savait toujours pas - c’était plus un ressenti qu’autre chose. « Et c’est pas quelque-chose qui me plait, ça. Que tu préfères faire passer ce genre de chose avant mon avis. » Soupirant, il se releva du banc. « Mais étant donné que la conversation est terminée avant qu’elle n’ait commencé… » Il haussa les épaules, posant ses mains sur ses hanches.

La question de qui est Alfie est digne d’un roman à la Great Gatsby. Il est celui dont elle parle toujours, souvent bien malgré elle, et pourtant son visage n’est pas connu. Son histoire est tout aussi peu certaine tant les mensonges qui l’entourent sont nombreux. Il est celui qui reste sur toutes les lèvres, à défaut d’être présent physiquement, et maintenant Ezra s’approche du feu de la discussion, bien conscient qu’il n’en ressortira pas sans brûlures. Elle espère qu’il en est conscient, du moins. « Et donc la conversation est terminée. » Et donc la conversation est terminée parce qu’elle en a décidé ainsi, oui: Alfie est parti ; le prénom est adorable. Les deux arguments suffisent à expliquer son choix, et qu’importe qu’Ezra tienne un avis différent sur le sujet. Il n’y a simplement pas réfléchi de la bonne façon, c’est évident, sinon il en viendrait à une conclusion semblable à son tour. « Je suis pas aveugle tu sais. » - « Qu’est-ce que tu veux dire ? » Elle le défie presque d’aller au bout de sa pensée, son regard ancré dans le sien sans la moindre intention d’en bouger. Il n’est pas aveugle, sans doute, mais qu’est-ce qu’il entend précisément par là ?

« Je savais pas qu’il était parti à l’autre bout du monde, ça je te l’accorde. » Elle se retient d’ajouter qu’il ne sait tout bonnement pas grand chose mais ce serait mettre de l’huile sur le feu, et personne n’a envie que son mariage devienne un véritable brasier. Lily se rend donc muette, le laissant parler comme il l’entend, et comme cela lui semble être le plus juste aussi. « Mais je sais qu’il a une place plus importante pour toi que ça. » Elle serre la mâchoire, n’ayant pas pour ambition de mentir à son mari les yeux dans les yeux. Alfie a une plus grande importance qu’elle le lui a avoué, c’est un fait, mais cela ne prouve rien non plus. Être cher à son cœur n’est pas un délit, bien que cela cause souvent plus de troubles que de bonheur. « Développe. » Elle menace presque, Lily, comme si elle était en position de le faire. « Et je sais aussi qu’il a pas toujours été que source de bonheur à tes côtés. Je sais pas pourquoi parce-que t’as jamais voulu en parler, mais je sais. Quoi, je sais pas, mais je sais. » Elle accuse un rire douloureux et difficile, plus que jamais prise de court à l’idée qu’il vise parfaitement juste. Son affection pour Alfie est singulière et profonde, mais elle est le première à concéder qu’il n’a effectivement pas toujours été une lumière dans sa vie, et parfois loin de là. Il a été présent lors de moments sombres et il a su l’aider et la rassurer, mais même là il l’a fait à la façon Alfie, ce qui est synonyme d’une omelette ayant besoin d'œufs cassés pour exister. Il en a toujours été ainsi et il saurait que ce n’est pas si pire que cela en a l’air, s’il avait été lui aussi présent durant toutes ces années.

« Et c’est pas quelque-chose qui me plait, ça. Que tu préfères faire passer ce genre de chose avant mon avis. » Il se relève et éprouve le besoin de mûrir ses mots en étant debout, ce contre quoi elle ne risque pas d’aller. Assise sur son banc, elle continue de l’observer. « Mais étant donné que la conversation est terminée avant qu’elle n’ait commencé… » Il est dramatique et en joue au point où il est sans doute en train de gagner plus de points que la brune, ce qui est une idée qu’elle ne peut accepter. « Tu veux en parler ? » La question est rhétorique, elle croise ses bras sur son ventre avant de changer d’avis et plutôt les lever en l’air, en signe de reddition. « Très bien. Pose moi toutes les questions que tu veux et je te répondrai. » Et elle le fera, réellement, mais elle n’est pas certaine que toutes les questions de ce monde méritent réponses, tout comme elle est encore moins certaine qu’Ezra puisse avoir envie d’entendre tout ce qu’elle lui a toujours caché ; à lui et au reste du monde. Mais s’il en fait la demande, alors elle y accédera. S’il veut savoir ce qu’il s’est passé avec son bras, elle lui dira. S’il veut savoir comment s’est passée sa colocation avec le brun, elle lui racontera tout, de ces soirs qu’ils ont passé dans le même lit jusqu’à celui où elle lui a demandé de lui injecter de la drogue ; jusqu’au jour où elle a réalisé un test de grossesse sans être capable de nommer le père avec certitude. Il n’a qu’à demander, et la boîte de pandore s’ouvrira sous ses yeux.

« Qu’est-ce que tu veux dire ? » Il voulait dire exactement ce qu’il disait: il n’était pas aveugle. Il avait beau prétendre la plupart du temps qu’il ne voyait pas ce qu'il se passait sous ses yeux, ce n’était pas véritablement le cas. Tous les détails n’étaient pas perceptibles, en grande partie parce-qu’elle ne lui donnait pas matière pour qu’il puisse les comprendre ces derniers. Il savait que c’était volontaire de sa part, qu’elle lui cachait certaines choses - il ne comprenait pas tout à fait la raison pour laquelle Lily agissait de la sorte, mais c’était en tous cas ce qu’il sous-entendait lorsqu’il disait qu’il n’était pas aveugle. « Développe. » Et bien sur qu’elle prenait le ton de la défensive alors qu’il pointait du doigt quelque-chose que elle faisait: c’était toujours plus simple lorsque les rôles étaient inversés. Elle ne supportait pas la critique, ce n’était pas très grave en réalité - se rendait-elle compte en revanche qu’elle imposait la sienne quasi-quotidiennement sans qu’Ezra n’ait le droit de se justifier derrière ? Alors si elle lui donnait l’opportunité de développer, de s’aventurer sur ce terrain là, peut-être devait-il saisir l’occasion; elles n’étaient pas nombreuses après tout. Voulait-il réellement avoir ce type de discussion alors qu’elle tournait déjà vinaigre au bout de quelques paroles échangées, simplement parce-que Lily avait décidé de faire comme bon lui semblait sans le consulter au préalable ? Pas véritablement, parce-qu’il savait que la brune ferait en sorte que la conclusion de cette conversation soit en sa faveur. Encore une fois, ce n’était pas là quelque-chose qui le dérangeait sur le quotidien, mais qu’elle ne feinte pas d’être surprise lorsqu’il lui soulignait s’en rendre compte de temps à autres tout de même.

« Tu veux en parler ? » - « J’aimerais surtout avoir la possibilité de le faire. » C’était surement ça la grande différence en cet instant. « Très bien. Pose moi toutes les questions que tu veux et je te répondrai. »

Le regard d’Ezra, désormais debout aux côtés du banc pour autant remettre ses idées en place que ses nerfs en fonctionnement, ne quittait pas celui de Lily. Elle était bras croisés, et le toisait comme s’il était un nouvel ennemi à abattre. Et rien que par rapport à la réaction qu’elle avait en cet instant, il savait qu’il avait malheureusement tapé dans le mille. Le sujet abordait la dérangeait, ce qui n’était pas souvent le cas - ou plutôt qu’il existait plus d’un sujet qui la dérangeait, mais elle ne réagissait pas avec cette lueur là dans le regard d’ordinaire lorsque c’était le cas. Là le sujet la dérangeait parce-qu’il touchait quelque-chose de plus profond à l’intérieur d’elle, et cela donnait l’impression à Ezra qu’elle n’avait pas montré une telle nuance de sa personnalité depuis le mort de Matt - ce qui, bien sur, lui pinça un brin le coeur. « Non. » Ce n’était pas un caprice, ce n’était pas de la manipulation de sa part; ce n’était simplement pas ce qu’il sous-entendait dans son discours ou au moins ce qu’il tentait de lui communiquer. « Je veux pas te poser toutes les questions que je veux. » Parce-qu’il savait pertinemment que la curiosité était un vilain défaut. « Je veux que tu comprennes que tu peux pas prendre toutes les décisions toute seule comme si je comptais pas. » Si jusque maintenant, il n’avait trop jamais rien dit, c’était en grande partie parce-qu’il n’était pas en désaccord avec ce qu’elle imposait. « Ca fait combien qu’on se connait toi et moi, Lily, franchement ? » Véritablement longtemps. « Tu penses vraiment que je remarque pas quand t’es attachée à quelqu’un ? » La question était sincère, véritable. « Mais crois pas que je remarque pas non plus quand tu te retrouves blessée. Et qu’importe si ça te plait ou non, c’est ce que tu attends de moi un minimum sinon on serait pas passé à la mairie. » Il savait qu’ils s’étaient mariés pour bien d’autres raisons également, mais celle qu’il mettait présentement en avant était une implicite: il se devait de prendre soin d’elle. « Alors ne pense pas que je suis aveugle, parce-que je vois des choses, je remarque des choses. Je te poserai pas de questions sur Alfie parce-que je veux pas te forcer à parler de choses qui t’ont fait du mal. » Il pinça ses lèvres, soupira. « Je veux que tu comprennes que tu peux le faire et que me mentir sert pas à grand chose. » Plus ou moins - il voyait des choses, mais il ne se rendait pas compte malheureusement à quel point il ne voyait que peu de choses.

Les bras croisés, le regard perçant ne donnant aucun répit à celui d’Ezra, elle attend sans patience aucune ses questions. Il veut parler d’Alfie, alors qu’ils le fassent, mais elle ne se porte pas garante de tous les dégâts qu’une telle discussion pourrait causer. Il y a toujours des dégâts lorsqu’il est question d’Alfie, que ce dernier soit présent ou non. « Non. » Elle enfonce un peu plus encore ses doigts dans ses bras, sincèrement en colère face à son refus alors qu’il est le premier (et initialement le seul) à avoir voulu mettre sur la table le sujet de la plus vieille amitié de Lily. « Je veux pas te poser toutes les questions que je veux. » - « Fais le, Ezra. » Elle répète donc, non avec le ton d’un conseil mais bien d’un ordre. Il a commencé toute cette scène, alors il doit aller au bout des choses et de ses idées par la même occasion. Quelque chose le dérange forcément, alors qu’ils en parlent une bonne fois pour toutes. « Je veux que tu comprennes que tu peux pas prendre toutes les décisions toute seule comme si je comptais pas. » Ce n’est pas même la base du problème. Il voulait parler d’Alfie, pas de la façon dont leur couple fonctionne. Elle sait être en tort sur une base purement objective, mais puisqu’elle n’a jamais eu l’occasion à l’être et encore moins lui laisser son mot à dire sur le prénom à donner à leurs fils, elle s’en moque bien. Il pourra décider des repas pour le reste de la semaine si ça peut lui faire plaisir, elle le laissera volontiers faire. « Bien. » Elle rétorque avec une fausse complaisance, sans prendre la peine d’y ajouter un sourire.

« Ca fait combien qu’on se connait toi et moi, Lily, franchement ? » Longtemps. Assez pour qu’elle ne prenne pas la peine de répondre à cette question, même si elle connaît parfaitement la date. Elle ne prend pas non plus la peine de rétorquer qu’ils se connaissent toujours depuis moins de temps qu’elle connaît Alfie, parce que tout n’a pas vocation à devenir un concours, pas vrai ? Elle a fait un enfant avec lui, elle l’a marié: cela prouve qu’il est celui qu’elle a choisi, et cela devrait suffire à Ezra. « Tu penses vraiment que je remarque pas quand t’es attachée à quelqu’un ? » Et cette question, elle ne l’attendait sincèrement pas. Preuve en est, elle accuse un mouvement de recul en guise de réflexe de protection. La lueur de son regard change et elle perd toute l’assurance qui était la sienne. Elle a toujours pensé qu’Ezra n’en a jamais rien su et, surtout, qu’il n’en saurait jamais rien. Cela ne lui incombait pas d’en parler. « Je t’aime, tu le sais. » C’est à lui qu’elle est attachée (notamment), et c’est tout ce qu’il doit savoir. Connaître toute la vérité ne l’avancerait à rien et, surtout, cela se révèlerait être profondément injuste pour lui qui ne peut pas entrer en compétition avec un fantôme. Elle a dit qu’elle lui dirait tout, absolument tout, mais peut-être qu’elle est finalement heureuse de pouvoir se contenter de bribes de vérités, lesquelles répondent parfaitement à ses bribes de questions.

Elle l’a aimée, il l’a blessée, et c’est un cercle vicieux qu’elle n’a pas connu qu’avec Alfie. Il tient rigueur de ça aux personnes qu’il connaît, Ezra, et cela n’a rien de plus normal, mais il n’y a pas que ça. Il a accès à ce qu’elle a bien voulu lui montrer, et ce qu’elle n’a pas su garder pour elle, mais il ignore encore l’immense majorité de ses maux. « Alors ne pense pas que je suis aveugle, parce-que je vois des choses, je remarque des choses. Je te poserai pas de questions sur Alfie parce-que je veux pas te forcer à parler de choses qui t’ont fait du mal. » Elle continue de penser qu’il choisit d’éviter le sujet uniquement parce que cela changerait pour toujours l’image qu’il a d’elle, et c’est bien la vérité. « Il m’a pas fait que du mal. » Elle précise néanmoins. Peu importe ce qu’Ezra pense savoir, il a raison sur le fait qu’il l’a fait souffrir, et même si elle ignore à son tour ses informations, elle veut au moins préciser qu’elle n’associe pas que des aspects négatifs au Maslow. « Je veux que tu comprennes que tu peux le faire et que me mentir sert pas à grand chose. » - « T’es pas prêt à tout entendre, Ezra. » Sur Alfie, sur tout le reste. Elle étaye son argument par le silence qui est le sien et l’absence totale de questions alors qu’elle lui a donné un feu vert à ce sujet. Au fond, il ne veut sans doute pas savoir lui-même, et elle ne lui en veut pas. « C’est pas parce que je suis une femme et que j’ai passé les deux dernières années enceinte que je peux pas te protéger. » A son tour, qu’il fasse ce qu’il veut de ces propos, mais elle n’en pense pas moins. S’il a des questions, elle lui répondra encore, mais sinon il est déjà évident qu’ils peuvent retourner chez eux et oublier toute cette discussion.

« Fais le, Ezra. » Il secoua quelque peu la tête, même si le ton qu’elle avait prêté à ses paroles était initialement sans appel: il ne poserait pas toutes les questions qu’il avait en tête, tout comme il ne ferait pas tous les commentaires qui lui venaient à l’esprit. Pas qu’il n’en avait pas envie, mais plutôt parce-qu’il savait que certaines remarques faisaient du bien à entendre quand d’autres n'apportaient aucune satisfaction - et il sentait bien qu’ils étaient dans cette seconde catégorie dans cette discussion. Tout ce qu’il souhaitait, c’était que Lily comprenne que certaines choses ne pouvaient être décidées seules de son côté sous prétexte qu’elle en avait envie, parce-que certaines de ses décisions n’étaient pas basées sur des choses rationnelles. Ou équitables pour eux deux. Les deux, mêmes, en grande partie - c’était ce qu’il pensait sans trop savoir se faire comprendre surement. « Bien. » Le sujet ressortirait sur le tapis un jour ou l’autre, il le savait; peut-être que ce jour là, il saurait mieux faire les choses que tout ce qu’il avait pu faire aujourd’hui, debout face à un banc dans un parc alors qu’ils étaient supposés passer un bon moment en extérieur tous les deux.

Ce qu’il pouvait avancer sans trop se tromper - et même avant d’avoir la confirmation sur les traits du visage de Lily, il le savait parfaitement bien -, c’était que le choix qu’elle avait fait pour le prénom du deuxième garçon n’était pas anodin. Il le voyait dans son regard jusque maintenant qu’elle réfutait la majorité de ce qu’il pensait et sous-entendait en bloc. Il perçut dans son regard également la surprise lorsqu’il posa sa nouvelle question: il avait touché juste. « Je t’aime, tu le sais. » - « Je sais. » Il hocha quelque peu la tête. « Je remets pas ça en question. Je dis juste que t’es attachée à lui aussi. » Et ce n’était pas un drame, il comprenait qu’il était tout à fait possible d’aimer quelqu’un et de construire quelque-chose avec elle, tout en ayant une affection particulière et différente pour d’autres personnes. Il était le premier à avoir toujours eu cette dernière pour Ginny, qu’importe l’étape de leur relation dans laquelle ils se situaient. « Il m’a pas fait que du mal. » Il haussa les épaules. « Je vais plus facilement retenir que ça a quand même était le cas à des moments. » Parce-que c’était bien plus facile de la sorte; parce-que malheureusement aussi, le peu qu’il avait pu voir de lui se situait dans des détails qui n’étaient pas positifs.

« T’es pas prêt à tout entendre, Ezra. » - « Accorde moi plus de crédit Lily, s’il te plait. » Non effectivement, Ezra n’était pas prêt à tout entendre; sauf que comme la brune avait passé plus de temps lui cacher des choses qu’à lui en dévoiler, il ne pouvait se rendre compte de l’ampleur de la réalité - alors oui, il pensait être apte à tout entendre. « C’est pas parce que je suis une femme et que j’ai passé les deux dernières années enceinte que je peux pas te protéger. » Soupirant quelque-peu, Ezra secoua la tête, laissant son regard se perdre un instant et un autre au delà de sa femme assise sur le banc. « Je t’ai pas demandé de le faire. » Peut-être que si elle avait été ouverte et honnête avec lui dès le début, ils n’en seraient pas là aujourd’hui; elle n’aurait pas eu besoin de continuer à s’enfoncer dans ses mensonges et ses idées comme quoi elle devait le protéger. Si elle avait été ouverte avec lui dès qu’ils s’étaient rencontrés - non, le pire était qu’elle l’avait pendant longtemps été. Elle avait cessé de l’être à partir du jour où elle avait préféré lui garder secret que l’enfant qu’elle avait perdu était de lui et non d’un autre - comme quoi en fait, elle ne lui avait jamais qu’accordé que trop peu de crédit. « Y’a peut être des choses que je veux pas savoir, pas entendre, pas connaitre bref, mais c’est pas pour autant que je suis pas apte à les entendre. Alors s’il te plait, te cache pas derrière l’idée de me protéger. C’est moi qui suis censé te protéger. » Et il appréciait l’idée qu’elle veuille le faire en retour aussi, vraiment, mais ils avaient dépassé cette question là depuis bien longtemps désormais.

Il finit par lâcher un long soupire, se frottant les yeux d’une main. Il s’était attendu à beaucoup de choses de cette journée, mais la conversation qu’ils venaient d’avoir ne faisait pas partie de la liste - loin de là. Ezra ne s’était pas un seul moment douté qu’après cette virée au parc, il aurait les deux prénoms de ses futurs fils et qu’il n’aurait pas approuvé l’un d’eux. Il s’y ferait - il réussissait à s’habituer à beaucoup de choses avec le temps. Mais ce n’était pas de cette façon qu’il avait pensé que les choses se passeraient lorsqu’ils en viendraient à choisir le prénom du bébé surprise. « Tu veux rentrer ? » Lui avait envie de rentrer; il avait envie de retrouver le confort de leur maison, la vision de Noah courant dans le jardin et la sensation d’Alice dans ses bras. Il avait envie que Lily fasse un bon diner pendant qu’il mettait la table et baignait la petite, il avait envie ensuite qu’ils terminent tous les deux la soirée devant la télévision - même sans se dire le moindre mot, ce n’était pas dérangeant.

Il refuse de partir en guerre et elle n’arrive pas à comprendre pourquoi il n’a pas saisi sa chance, pourtant déjà assuré que Lily ne risque pas d’aborder à nouveau le sujet d’Alfie. Il est secret, précieux, férocement gardé même face à son mari ; la preuve en est que son nom n’a quasiment jamais été prononcé entre eux malgré plusieurs décennies de vie plus ou moins proches l’un de l’autre. « Je sais. » L’amour qu’elle lui porte n’est pas voué à être remis en question, et elle est sincèrement soulagée qu’il le sache parce qu’elle n’aurait pas voulu se battre sur un tel sujet. « Je remets pas ça en question. Je dis juste que t’es attachée à lui aussi. » Elle fait de son mieux pour ne pas se pincer les lèvres et risquer de mettre à mal le rouge artificiel qu’elle a placé avec soin par-dessus. Elle ne veut pas qu’il soit témoin de sa réaction non plus: Lily est évidemment attachée à Alfie et elle le restera malgré la distance. Elle n’avait cependant jamais eu vocation à ce qu’Ezra l’apprenne, bien consciente que cela lui fait bien plus de mal que de bien. « Je vais plus facilement retenir que ça a quand même était le cas à des moments. » Ce n’est pas juste, et elle continuera de le dire et le penser. Alfie ne représente pas que du négatif dans sa vie.

« Accorde moi plus de crédit Lily, s’il te plait. » Elle lui accorde du crédit, là n’est pas la question. Simplement, il ne comprend pas qu’elle ne peut réellement pas tout lui dire. Elle est loin de vivre la vie qu’il imagine, ni être réellement la personne qu’elle imagine, et elle continuera de préserver les apparences autant que possible parce que Lily sait qu’elle ne pourrait pas supporter de voir le visage de son mari changer. Ils ont des enfants, ils sont mariés. Ils vivent ensemble: ils ne peuvent pas se permettre de changer de regard sur l’un l’autre, et si elle ne craint pas de changer d’avis au sujet d’Ezra, elle ne peut pas en dire de même du contraire. « Je t’ai pas demandé de le faire. » Mais il en a besoin, parce qu’il ne sait pas ce qui se passe autour d’eux. Il ignore tout, et elle l’aime dans son ignorance quasi enfantine. « Y’a peut être des choses que je veux pas savoir, pas entendre, pas connaitre bref, mais c’est pas pour autant que je suis pas apte à les entendre. Alors s’il te plait, te cache pas derrière l’idée de me protéger. C’est moi qui suis censé te protéger. » - « C’est un autre sujet. » Elle lui a dit être prête à parler d’Alfie mais ce n’est plus de lui dont il est question en cet instant, raison pour laquelle elle refuse de continuer la discussion. Ce n’est pas ce soir qu’elle lui avouera quoi que ce soit d’autre. « Tu veux rentrer ? » Sans un mot de plus, elle hoche la tête et rend partiellement les armes, son bras s’entourant autour du sien. Lily se love doucement près de son mari, prête à agir comme si rien ne s’était dit ou passé.