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@Mabel Griffiths ☆ crédit/josshelps

C’était donc ça, la nouvelle lubie du label : la faire participer à un putain d’album collaboratif pour rendre hommage à la carrière de Kylie Minogue ? Elle avait cané, ou elle avait raté un épisode ? Sur le papier, c’était plutôt alléchant, et soit dit en passant, aspirer à une carrière aussi fulgurante que la princesse de la pop Australienne, c’était un but à atteindre, un qu’elle aurait peut-être la chance de toucher de ses longs ongles manucurés un jour où l’autre, qui savait. En réalité, c’était moins réjouissant que ça ; collaboratif, ça voulait dire ce que ça voulait dire, et puisque les temps étaient à la générosité et à la bien-pensance, il fallait que la cause derrière cet album fasse pleurer dans les chaumières. Kylie était connue pour sa lutte féroce contre le cancer du sein, alors le fruit des ventes serait reversé à une association qui défendait la lutte, c’était aussi simple que ça. Un concert caritatif serait organisé dans la foulée, ça chanterait devant un parterre de gens qui s’en foutaient du cancer, intéressés uniquement par l’idée de chantonner les titres de leur idole, il ne fallait pas se leurrer. Ça l’emmerdait Jo, clairement. Pas de faire partie de la liste triée sur le volet d’un projet comme celui-ci, vue comme une bouffée d’air par le métier qui la plaçait déjà dans les espoirs à suivre de près, très près, mais devoir se parer de la mine des chagrinés quand on évoquait une pathologie dont elle ne connaissait rien ? Ça lui donnait envie de se tirer une balle dans la bouche, rien de moins.

Elle qui n’aimait pas tirer sur la corde de l’hypersensibilité, on lui ordonnait presque de la fermer et de faire ce qu’on lui demandait, et comme depuis des mois désormais, appâtée par l’éventualité que ça lui apporterait quelque chose de positif, elle s’exécutait. Qu’était-elle en train de devenir ? Son besoin de prouver que sa victoire, elle l’avait méritée, la forçait-elle à mettre de côté son putain de caractère de diva ? Sûrement oui, et ce n’était pas facile pour elle qui défendait son droit au caprice. Elle avait la sensation d’être quelqu’un de relativement différent; Relativement, parce que sur la forme, elle restait la même, mais sur le fond ? La gratitude qu’elle éprouvait à propos de la chance qu’on lui avait offerte sur un plateau d’argent, elle enterrait toutes ses velléités de garder son identité, et ça faisait chier.

"Désolée pour le retard. Embouteillages." annonça-t-elle en entrant dans l’annexe au studio qu’on lui avait demandé de rejoindre dans la matinée, obligée de délaisser celui dans lequel elle travaillait sur son album pour faire la connaissance de son binôme, celui avec qui on l’avait acoquinée pour ce duo à la con dont elle ne savait quasiment rien pour l’heure. Suivit par Hicham, l’un de ses musiciens qui avait tenu à l’accompagner, ne serait-ce que pour la conduire, son chauffeur ayant été autorisé à une journée de repos aujourd’hui, elle jeta un oeil vaguement scrutateur à la blondinette qui était installée dans un coin de la pièce, et s’approcha d’elle sans tendre la main pour se présenter, pas assez polie pour penser que se serrer la pince, ça se faisait encore "Tu dois être Mabel." Captain Obvious ici présente. Elles n’étaient que deux femmes, et elle l’avait rapidement stalké sur les réseaux pour voir de qui il s’agissait. Et ce n’était pas n’importe qui à en juger par sa carrière d’actrice, de quoi cependant la faire grincer des dents à propos de son talent pour le chant. Tranquille, Jo. Le bénéfice du doute restait son meilleur allié cette fois, et alors que son sourcil s’arqua, qu’elle retira sa veste pour la poser sur le sofa du studio, juste à côté de Mabel, elle ajouta comme si elle ne s’était pas interrompue "Je suis Jo. Mais tu le sais sans doute déjà." Humilité bonjour, ce n’était pas le revers de trahison qu’elle s’était pris dans la gueule qui la forçait à être plus modeste, c’était un fait.

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Jo ne retourna aucun compliment à Mabel. Si elle avait écumé sa page Instagram, elle n’avait pas écumé sa filmographie pour mieux faire ses devoirs juste après, et regarder de quel bois elle se chauffait sous la carapace épaisse d’un rôle au cinéma. Mais elle la trouvait jolie, c’était déjà ça ; dans le genre plutôt classique, mais avec une aura caractéristique qui la faisait irradier au centre d’une pièce sans relief. On ne pouvait rien contre le charisme, elle était bien placée pour le savoir, et celle à qui elle s’adressait désormais, elle faisait partie de la liste de ceux qui pouvaient prétendre en avoir sans qu’on leur reproche de manquer de modestie. C’était tant mieux, on ne l’avait pas collé à une pimbêche qui avait la prestance d’un poulpe échappé de son aquarium. Ça la mettrait davantage en valeur d’être aux côtés de quelqu’un qui prenait aussi bien la lumière qu’elle. Elle ne collaborait pas avec des pouilleux, Josephine.

En revanche, elle lui retourna une question piège "Et t’as préféré laquelle ?" De prestation. C’était le moment de tester un peu l’honnêteté de sa comparse. Jo, elle avait l’habitude d’en recevoir par semi-remorques des compliments — des reproches aussi, mais elle était relativement de bonne humeur aujourd’hui malgré tout, inutile de soulever les sujets qui fâchent. Elle en avait besoin, c’était une évidence qui polissait son ego, mais ne comptaient que ceux qu’elle savait sincères. Là, elle voulait simplement vérifier si Mabel était du genre à caresser dans le sens du poil, ou si elle était différente de ceux qui évoluaient dans leur milieu. Ils étaient entourés de flatteurs, en faisait-elle partie ? Un peu de patience, elle ne tarderait pas à avoir sa réponse.

Rapidement, Jo constata sans avoir besoin de la questionner qu’elle était travailleuse. Un bon point pour la blonde qu’elle pointa du doigt brièvement avant de faire un tour sur elle-même pour embrasser la pièce du regard, lui répondant en même temps qu’elle faisait sa petite inspection "J’ai même eu le temps de la travailler un peu avant de venir." Pas de quoi casser trois pattes à un canard ; elle sortait d’un télé-crochet, le répertoire des autres, c’était sur quoi son parcours se basait, et se l’approprier, c’était aussi instinctif que sa manière d’attirer les regards. C’était bien pour ça qu’aujourd’hui, elle tentait tant de se démarquer avec l’intronisation imminente d’une identité qu’on reconnaîtrait sitôt que les premières mesures d’une de ses chansons seraient jouées. On jugeait les jeunes qui participaient à ce genre d’émission, mais ils étaient surentraînés à apprendre des textes à la vitesse de la lumière, à rivaliser avec les versions originales de ce qu’on leur mettait entre les pattes, et parfois à redonner un coup de peps à une chanson tombée dans l’oubli. C’était sûrement pour ça aussi qu’elle avait été contacté pour participer à cet album.
Prenant une inspiration en se retournant sur Mabel, elle la toisa sans méchanceté, mais avec l’intention de deviner dans le fond si sa carrière musicale était autant en plein essor que sa carrière de comédienne. Mais avant de lui poser une quelconque question à ce sujet, elle répondit à la sienne "Non, c’est pas nous qui décidons des parties qu’on chantera. Tu sais pas ça ?" Ce n’était pas pour l’humilier qu’elle disait ça, mais elles n’étaient pas dans High School Musical. Le découpage des paroles d'un duo, il était fait en fonction de la voix des artistes, pas au petit bonheur la chance. De l’autre côté de la pièce, il y avait des professionnels — l’équipe de Kylie sans doute, histoire de s’assurer que personne ne ruinerait la réputation de leur artiste en massacrant l’une de ses chansons — qui passeraient une matinée entière à écouter les filles s’essayer sur chaque partie pour morceler les couplets, les refrains, de façon à ce que l’harmonie soit préservée : elles pourraient alors consentir ou pas à valider ce qui serait décidé, elles pourraient imposer leurs envie aussi, échanger sur leur vision de leur duo, mais dans l’ensemble, ça ne dépendait pas d’elles. Jo plissa les paupières, et enfin, s’approchant de nouveau du sofa dans lequel Mabel était installée, et s’installant à ses côtés en prenant garde à rester de son côté, elle lui demanda "T’as sorti quelque chose récemment ?"

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Elle était honnête au moins, Mabel "Je vois." ponctua Jo avec un très léger sourire en demi-lune. S’offusquer ne faisait pas partie de son agenda aujourd’hui, elle était venue pour travailler. Elle n’était pas là de gaieté de coeur, elle ne réussirait sûrement pas à le cacher très longtemps. Si tant était qu’elle essayait de le cacher là, maintenant. Jo n’était pas connue pour être la plus amicale à côtoyer, elle restait relativement indifférente quand elle était confrontée aux inconnus, et Mabel, malgré sa notoriété, restait une inconnue à ses yeux.

Et vu comme elle paraissait au moins aussi bavarde qu’elle, elle le resterait sans aucun doute. Ou pas. Étant donné que, glanant une information à son sujet en mettant en avant la manière dont elle, elle s’était mise à travailler sur le titre qu’on leur avait proposé, elle se rendit compte qu’elle avait peut-être tort de la juger comme étant travailleuse. Son objection, elle la rendit perplexe, et le sarcasme fila sans qu’elle ne puisse le retenir — sans qu’elle ne veuille le retenir, ce n’était pas son genre de préserver les sentiments des autres, encore moins son genre de prétendre être bien éduquée quand c’était à peine le cas en vérité "Si t’attends qu’on te passe le memo pour te mettre à bosser, tu vas pas aller bien loin." Aïe, comme entrée en matière, ce n’était certainement pas la bonne méthode. Rien à foutre. Jo n’était pas ici pour enfiler des perles, alors si on lui avait foutu une tire-au-flanc dans les pattes, on allait l’entendre, et pas qu’un peu. On pouvait lui reprocher tout est son contraire à Jo, mais elle savait travailler ; davantage depuis sa victoire d’ailleurs, ressentant le besoin incontrôlable de prouver qu’elle savait se débrouiller, qu’elle n’était pas une paresseuse qui attendait qu’on l’encense juste parce qu’elle avait la chance d’être agréable à regarder en plus d’avoir un talent inné, véritable don de la nature. Elle en attendait autant de ceux qu’elle avait dans son sillage : son éthique de travail était impeccable, à de rares exceptions près, parce qu’elle restait humaine malgré le fait qu’elle aimait chanter le contraire, et elle ne supporterait pas d’être obligée de se caler sur un cran au-dessus de l’exigence qu’elle avait d’ordinaire.

Comme c’était parti, c’était ce qui l’attendait. Elle carra les mâchoires, ses dents se mettant à crisser dans sa bouche quand elle se retint de rouler des yeux parce qu’après tout, il fallait bien commencer quelque part. Mais putain, elle sentait déjà une pointe d’impatience lui chatouiller les tripes quand elle se rendait compte qu’on l’avait fichue avec une artiste YouTube. Ah, c’était loin du standing Sterling, c’était clair "Tu fais que ça alors ? Des covers sur Internet ?" avait-elle seulement fait un peu de scène dans sa vie, avait-elle seulement  mis les pieds une seule fois dans un studio d’enregistrement comme celui-ci, Mabel ? Jo lui accorda un regard, puis ne la voyant que de côté, elle remua sur la sofa pour s’installer à ses aises, une jambe repliée sous ses fesses, pour mieux la voir, sa tête inclinée sur sa propre épaule. Elle la dévisagea avec volonté, oscillant entre curiosité et analyse pour mieux se figurer de l’influence qu’elle devait avoir si, ne faisant que des covers sur Internet donc, elle avait tout de même accès à des projets de cette acabit alors qu’elle semblait ne rien y connaître "Je suis en train de l’enregistrer en ce moment." Son album sur lequel la jeune femme se mit à l’interroger. Elle prenait son temps, rusher pour surfer sur la vague, c’était tentant. Les premières négociations avec Sony Music avaient abondé en ce sens au début, sauf que Jo ne voulait pas proposer de la médiocrité à ceux qui l’attendaient au tournant, alors il sortirait l’année prochaine, quand son duo avec Midas lui aura assuré un peu de marge pour sauter, et que l’anticipation autour d’elle sera à son maximum. Il y avait une bonne stratégie là-dessous, elle ne pouvait pas le nier même si au fond d’elle, elle le redoutait un peu tant ça mettait une pression sur ses épaules "Et toi, c’est quelque chose qui te fait envie, sortir du cadre de ta chaîne YouTube pour enfin chanter des chansons à toi ? Ou c’est juste un hobby pour toi, tout ça ?" Elle espérait que non, ça voudrait dire qu’il y avait de fortes chances qu’elle ne prenne pas leur collaboration au sérieux autrement, et si elle n’était pas la dernière à monter au front pour défendre ses intérêts, Jo n’avait pas envie de se démener pour un projet qui lui avait été imposé par son label.

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"On peut pas être bonne partout. Je te pardonne." Trop de bonté chez Jo qui accueillit la vindicte de Mabel avec un léger sourire en coin, un sourcil en accent circonflexe. Il ne fallait pas s’attendre à ce qu’elle adoucisse son goût pour la provoc sous le prétexte qu’elle avait à faire à quelqu’un qui maîtrisait vaguement le sarcasme. C’était un peu risible d’ailleurs, le niveau n’était pas le même de ce côté-là non plus. À côté de Jo, Mabel paraissait franchement inoffensive, une certitude réconfortante pour elle qui préférait les rapports de force à la douceur, véritable pitbull juchée sur 12 centimètres de talons "Tu peux compter sur moi. Tu pouvais pas tomber sur meilleure coéquipière." Et si ça manquait d’humilité, ce n’était pas un mensonge à côté de ça. C’était une stratégie qui n’était pas mauvaise, ça non plus, d’associer deux chanteuses aux bagages différents. Jo savait briller par elle-même, est-ce que c’était le cas de Mabel ? Etant donné la manière dont elle donnait l’impression de ne rien piger au fonctionnement du travail imposé par l’élaboration d’un projet pareil, sûrement pas finalement. Mais elles allaient s’arranger, chacune en retirerait quelque chose de positif sur lequel engranger un peu de visibilité.

En plus d’être une feignasse, Mabel était une putain de princesse Disney. Quand elle l’entendit dérouler son petit laïus sur le cancer du sein, Jo ne pu s’empêcher de regarder en l’air sans rouler des yeux cependant. Ses paupières tressautèrent juste un peu signe qu’elle était à deux doigts du collapsus tant ça l’emmerdait de devoir écouter ce discours sponsorisé par mère Teresa. Se contentant juste de fixer un point invisible en face d’elle, elle se tut avec force et courage — exactement. Elle aurait pu garder cette posture un temps infini parce que ça lui donnait envie de gerber, tous ces bons sentiments. Elle côtoyait des malades, une autre pathologie qui n’enviait rien au cancer par ailleurs, elle savait combien ils n’attendaient pas d’être pris en pitié pour continuer d’avancer, et ça la dérangeait de devoir prétendre que c’était la solution à quelque chose de parfois immuable comme la maladie. Elle garda sa bile, mais elle ne comptait pas saluer le speech de sa comparse pour autant. En fait, elle lui demanda après un instant à se sommer de ne pas être trop dure "Donc en fait, ta participation, elle est surtout motivée par l’idée de faire de l’humanitaire ?" Princesse Diana de mes deux, voilà ce qu’elle pensa en reposant son regard sur elle, la toisant quelques secondes avant de remonter ses yeux dans les siens "Je dois en conclure que t’es fan de Kylie ?" Pas Jo, mais elle respectait son parcours. Ce n’était pas parce qu’on ne faisait pas de louanges à quelqu’un qu’on le haïssait. En l’occurence, elle était heureuse que ce soit l’idole pop de leur pays qui soit mise à l’honneur, et pas quelqu’un d’autre qu’elle aurait vraiment méprisé.

"T’écris pas du tout ?" Et c’était une vraie question, pas un moyen d’amoindrir son talent pour la chanson. Elle ne jugeait pas ceux qui ne le faisaient pas, il fallait en avoir sur le coeur pour vouloir écrire, et parfois c’était un vrai fardeau. Jo haussa les épaules puis opina du chef, le bout de sa langue creusant une cavité du fond de sa bouche en se préparant à répondre à la question de Mabel "Je reviens de deux mois de camp d’écriture à Adelaide Hills. J’ai fait que ça, c’était intense." Elle n’avait pas fait que ça en l’occurence, mais elle ne lui déroulerait pas les entrées de son programme de travail "Je l’avais fait il y sept ans pour mon EP, écrire mes textes. C’est un exercice que j’aime bien faire." Ce n’était pas toujours agréable ceci dit, l’introspection était parfois douloureuse, et la fierté s’en retrouvait entachée, seulement Jo réussissait à la mettre de côté quand elle se mettait à écrire. C’était curieux d’ailleurs, elle qui donnait tant le sentiment de ne pas savoir se remettre en question ; vraiment, pleine de surprises au fond, la petite teigne "J’ai jamais vraiment arrêté d’écrire quand j’ai fait une pause de plusieurs années, mais là j’ai envie de nouveau textes, pas de trucs réchauffés, alors c’était bien d’être isolée pour tu vois, être focus."  Elle mima un cadre autour de son visage pour illustrer ses propos. De nouveau, un de ses sourcils s’arqua, et alors qu’elle la pointait du doigt, son coude remontant sur le dossier du sofa, elle lui demanda "Tu tournes depuis combien de temps ?" Une curiosité soudaine appelée par l’analyse qu’elle faisait d’elle en la dévisageant avec initiative, lui faisant réaliser en décalé que peut-être, elle l’avait déjà vu sur son propre petit écran.

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"J’ai pas besoin que tu me récites les brochures qu’on trouve chez le médecin." Franchement, elle s’en passerait. Chacun sa façon de gérer ce genre de choses, la sienne c’était de rester neutre, presque froide, et de ne pas vouloir tirer de larmes à qui que ce soit. C’était plus vendeur cependant, elle connaissait les rouages. Pendant un temps, on avait voulu tirer sur la corde de la maladie de sa grand-mère pour attirer la sympathie des spectateurs de The X Factor, elle avait tout bonnement refusé ne serait-ce que de le mentionner. Elle estimait que la pitié n’était pas un sentiment positif, c’était dégradant et humiliant d’être confronté à la tristesse de ceux qu’on avait en face de nous. La cause qui était soulevée par l’album collaboratif sur lequel on l’avait placée, elle ne la touchait pas de la même façon que si ça avait été la maladie d’Alzheimer, et c’était son problème ; celui de personne d’autre. Le truc, c’est qu’elle n’avait pas envie de faire pleurer dans les chaumières, elle se figurait bien assez comme ça devait être difficile de vivre avec une pathologie aussi injuste qu’elle celle-ci pour vouloir mettre en route les violons. Kylie en avait souffert, elle s’en était sortie : c’était l’espoir donc qui devait découler de cet album, pas la dépression. Mais visiblement, Mabel voyait les choses autrement. Elle ne lui en tint pas rigueur, même si ça la gonflait, et se contenta d’opiner de nouveau en lui accordant un assentiment silencieux, pas des condoléances pour ces personnes qu’elle avait perdues.

"Tu crois pas en être capable, ou t’en as pas envie ?" La question lui vint sans y réfléchir. Elle n’était pas subtile Jo ; c’était un bourrin d’1m54 et de 48 kilos, mais elle comprenait la nuance. Elle ne la laissa pas répondre tout de suite, elle continua en haussant les épaules, son regard se détournant d’elle pour vadrouiller dans l’annexe du studio d’enregistrement "Je comprends, c’est pas facile de donner ce genre de choses sans savoir comment ça va être perçu, ce qu’on va en faire." Parce qu’une fois offertes au monde, vos chansons ne vous appartiennent plus. Souvent, elles étaient même détournées de leur sentiment initial pour coller à l’état d’esprit des auditeurs. C’était ingrat de faire de la musique, autant que c’était le contraire — ça partait du sentiment d’une personne pour finir tordu par ceux des autres. À un certain stade de notoriété, tout venait à être disséqué qui plus est. De qui ça parle ? restait la question la plus posée.

"Je préfère le calme pour faire ce genre de choses, ouais. J’en connais d’autres qui préfèrent le capharnaüm, alors tu dois avoir raison." Chacun avait son processus créatif. Midas écrivait dans le désordre ; elle, elle n’était pas psychorigide, elle écrivait un peu n’importe tout, tant qu’elle pouvait s’isoler dans sa propre tête, faire le vide du reste et se retrouver avec ses propres mots. La campagne avait été salutaire pour elle, elle n’avait jamais aussi rapidement écrit, et puisque ça avait fonctionné, elle savait qu’elle se résoudrait à cette discipline à l’avenir. On attendait d’elle du rendement, c’était bien pour ça qu’elle avait été isolée à la base, et elle y avait pris goût. Comme quoi, la contraindre à la discipline, c’était quelque chose qui fonctionnait sur elle quand c’était fait avec douceur. Son père en aurait eu des choses à apprendre de la part des gérants de label pour tenir sa fille, au lieu de lui enfoncer des ordres de force dans la tête — littéralement.

Elle s’intéressa à la carrière de Mabel "Ça parle de quoi ? C’est un film, une série ?" Elle haussa les épaules, pas gênée de lui avouer "Je regarde pas la télé." Bien qu’elle y avait passé beaucoup de temps finalement. Elle préférait le cinéma, elle en avait été une grande consommatrice en étant plus jeune : elle adorait les comédies musicales portées à l’écran, elle avait même caressé le rêve d’en tourner une un jour si l’opportunité lui était offerte — elle n’était pas mauvaise actrice, il suffisait de l’avoir vue sur scène pour le savoir. Elle n’eut pas tellement l’occasion d’en savoir davantage sur tout ça puisque un employé de la maison de disque qui publierait l’album collaboratif entra dans la pièce et leur demanda de le suivre. Jo n’attendit pas pour se lever et prenant le chemin de la petite salle de répétitions, elle désigna Mabel du menton en s’approchant elle-même du piano devant lequel elle s’installa naturellement, appelée par cet instrument qui était celui qu’elle maîtrisait le mieux dans tout ceux qu’elle avait déjà tâté de près ou de loin. Elle n’en jouerait pas aujourd’hui, elle était juste assise, prête à en découdre "T’es plus nerveuse que moi, je te laisse l’honneur de commencer si tu veux." Histoire qu’elle se débarrasse enfin du balais qu’elle avait d’enfoncé loin dans le fondement.

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Ça la laissait un peu perplexe d’entendre Mabel lui dire qu’elle n’était pas prête à partager ses secrets avec le monde. Jo avait des acteurs dans son entourage, elle savait que certains d’entres eux se servaient de leurs secrets les plus intimes pour parvenir à donner le meilleur d’eux-mêmes devant la caméra. Alors certes, il y avait le costume et le maquillage pour se prémunir des parallèles faits entre le personnage et la personne, mais le résultat restait le même qu’avec la chanson au final : on finissait toujours par donner de soi-même, Mabel l’apprendrait bien assez tôt.

"OK, genre Game of Thrones." conclut-elle en prenant connaissance du projet qui occupait tout le temps de Mabel. Elle n’était certainement pas une experte en la matière, elle n’avait pas vécu dans une grotte ces dix dernières années toutefois, elle connaissait Game of Thrones. Elle n’avait pas véritablement envie d’en discuter cela dit, ainsi l’apparition d’une tierce personne l’enchanta plus que de raison, et pas seulement parce que ça la sauvait d’un dialogue stérile où elle avait l’impression d’en donner plus que son interlocutrice. Elle était ici pour travailler, pas pour prendre le thé de toute façon.

Elle entendait bien se lancer dans le grand bain, habituée à ce genre de session de travail depuis son enfance, devenue plus aguerrie encore grâce à son parcours durant The X Factor. Elle n’était pas impressionnée par la charge de boulot qui les attendait, elle en frétillait d’impatience à dire vrai, même si tout restait sous contrôle parce que Jo était comme ça et que garder la tête dure, l’esprit clair, ça l’aidait à donner le meilleur d’elle-même. Elle laissa l’honneur à Mabel de commencer à s’échauffer et resta à l’affût du tour de chant qu’elle lui proposa, assise sur son tabouret, loin de ce piano devant lequel Jo, elle, s’était installée. Le regard posé sur elle, elle ne jugea pas sa performance autrement que bonne, faillit faire un peu de sarcasme en la voyant se connecter à ses émotions comme si elle s’apprêtait à déclamer un Caruso, et opina du chef avec un assentiment professionnel en acceptant les paroles qu’on lui tendait pendant que Mabel continuait de chanter.
Jo jeta un coup d’oeil à la partie qu’on lui réservait, demanda un crayon, quelque chose, pour annoter ce qui lui sautait aux yeux à la lecture des recommandations faites sur le papier, et ferma le couvercle du piano pour pouvoir écrire plus confortablement le temps que Mabel termine. De sa main gauche, elle ratura les demandes qu’on lui faisait, griffonna une ou deux notes ici où là, puis elle fit signe au jeune homme qui était avec elles pour qu'il s’approche plus près. Elle le fit se pencher vers elle pour lui demander, les sourcils doucement froncés "Ce sera une version acoustique ?" Elle était obsédée par ça, elle avait travaillé toute sa vie dans le vrai de la scène à proprement parlé, il n’y avait que pendant The X Factor qu’elle avait appris le fonctionnement du vocodeur, de l’autotune — parce que certains artistes en avaient besoin, et pas forcément pour masquer les imperfections de leur voix, c’était une technique à utiliser avec un parti pris, demandez à Kanye —, autrement elle se référait au réalisme brute des prises de voix faites sur le vif. Elle ajouta, concentrée "Il faudra voir avec elle, mais moi je voudrais que ça en soit une. Ça trancherait avec l’originale et ce sera facile de la promouvoir comme un objet tout nouveau, unique." "Les arrangements sont  déjà prédéfinis avec ceux de le chanson d’origine, vous n’aurez plus qu’à poser vos voix à tour de rôle." Le regard de Jo changea, et sa tête s’inclina sur le côté un air de dire bitch, you wish. Le bout de sa langue creusa dans une dent au fond de sa bouche, et puis elle finit par secouer la tête, alpaguée par Mabel qui avait terminé et qui lui proposait de s’y mettre.

Jo lui fit, levant un doigt devant elle pour marquer le temps qu’elle lui demandait "Une minute. Qu’est-ce que tu penses d’une version acoustique ? Il dit que les arrangements sont prédéfinis, mais ta voix a pas besoin d’être noyée sous des niveaux trop hauts et des basses trop fortes." C’était un compliment, au cas-où ce n’était pas évident. Elle ne s’arrêta pas dessus, elle retira ses paroles du couvercle du piano, le rouvrit dans la foulée, et se mit à jouer les quelques notes du début de la chanson que Mabel venait d’entonner en fredonnant le premier couplet en vitesse légèrement accéléré pour arriver au refrain plus vite, et lui faire "On essaye, et on voit ce que ça donne." Elle ne prononça pas de trois, quatre Jo, elle s’y mit tout de suite en offrant la possibilité à Mabel de commencer à nouveau, la suivant en même temps en baissant légèrement sa tonalité pour ne pas prendre trop le dessus sur sa voix qu’elle trouvait jolie, assez en tout cas pour lui laisser le bénéfice du doute, et chercher un moyen de la mettre plus en valeur que ces gens qui pensaient que faire du boum, boum c’était faire de la bonne musique.

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Faites semblant d’être en charge et tout tournera à votre avantage, c’était un dicton inventé de toute pièce par la contrôlante Josephine Carter, mais ça faisait ses preuves au moins. La moitié de novice qu’elle était, ne pesant pas encore assez lourd dans le game pour faire tourner le tout à son avantage, savait que c’était son attitude qui lui permettrait de défoncer des portes. Prendre les commandes, puisque c’était à sa portée, c’était un salut sur lequel elle comptait plus que tout pour faire ce qu’elle voulait, souffrant trop qu’on lui impose parfois des lignes à suivre qui juraient avec l’artiste qu’elle était vraiment. L’album était collaboratif, il serait mis sur pied selon un cahier des charges précis, mais faire des suggestions, ce n’était pas interdit non ?

A l’écoute de la voix de Mabel, elle eut une idée, et sans donner l’impression qu’elle cherchait le soutien de qui que ce soit, elle la souleva sans attendre. Elle s’attira l’assentiment de sa comparse à qui elle offrit un léger mouvement de tête pour dire au jeune homme qui les accompagnait  et vers qui elle reporta son attention le temps de lui dire "C’est une séance de travail de toute façon, on va pas enregistrer dans l’heure." Et elles n’étaient pas des singes savants qui sifflaient l’heure quand on le leur demandait. Elle ne voulait pas faire partie de ce projet à la base, elle ne voulait pas faire pleurer dans les chaumières, alors autant s’approprier les choses pour au moins être fière de ce qu’on la forçait à faire et revendiquer sa détermination à en faire quelque chose d’unique.

Elle avait confiance Jo, et elle n’attendit pas pour se mettre au travail. Comme elle l’avait déjà dit à Mabel, elle avait eu le temps de préparer la chanson bien amont de ce rendez-vous, alors elle connaissait sa partition, ses paroles — s’ajouta sa détermination à faire quelque chose de bien de ce duo, aussi elle ne chôma pas en unissant sa voix à celle de Mabel qu’elle sentait plus à l’aise finalement. Ça devait être les reste de ses sessions d’enregistrement face caméra, avec cette guitare qu’elle lui disait manier, et qu’elle voyait bien se marier à la grâce du piano qu’elle caressait du bout des doigts et qui s’éteignit doucement au fil de la chanson, cette dernière se terminant sous la conclusion d’une Mabel convaincue. Jo hocha la tête encore une fois, un sourcil s’arquant pour dire au jeune homme qui n’avait rien manqué de ce qui s’était passé et qui paraissait aussi impressionné que dérouté par la manière dont deux jeunes artistes savaient faire entendre ce qu’elles voulaient "Ça donne un truc, ça change complètement la portée des mots qu’on chante, et je sais que tu vas me dire que Kylie en a pas besoin, mais ça pourrait rameuter un public plus pointu si on part sur ce genre d’arrangements. Ce sera plus facile à adapter en live en plus, ça vous facilitera la tache." Si elle avait été aussi cynique que ça, elle aurait rajouté un petit truc du genre pense au fric qu’on amassera en forçant les mordus d’acoustiques à acheter cet album, mais elle ne le fit pas parce qu’elle ne fonctionnait pas par appât du bonus monétisé, Jo.

Elle laissa leur accompagnateur à ses réflexions, tourna la tête vers Mabel pour lui demander après une courte réflexion traduite par le froncement de ses sourcils "Tu te sentirais capable de faire un truc à la guitare ?" Avait-elle le niveau pour enregistrer avec elle l’instrumental de leur chanson, avait-elle envie de se démarquer des autres titres qui seraient presque des copier-coller des originales ? Elle chercha le défi dans son regard, et ajouta en même temps "On peut bosser sur la partition ensemble. Je m’occupe de la partie piano, y a moyen de trouver une brèche pour ta guitare. Ça aussi, ça apportera un truc en plus, et on aura la satisfaction de s’être vraiment investies dans le projet au lieu de compter sur des prédéfs." Quand on avait de l’ego comme Jo, c’était important de retirer le mérite de quelque chose qu’on avait vraiment élaboré soi-même. Qu’en était-il de Mabel ?

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@Mabel Griffiths ☆ crédit/josshelps

"On peut lui en apporter une ?" L’assentiment de Mabel poussa définitivement Jo à prendre les choses en mains. Alors qu’on accédait à sa demande assez rapidement, apportant une guitare à la jeune femme pour qu’elles se mettent plus sérieusement à tout ça, elle fronça les sourcils pour reposer son regard sur les paroles qu’elle relut rapidement pour combler le blanc qui se fit durant l’intervalle qui permit à chacun de se préparer à bosser. Elle ne jugea pas Mabel de préférer l’une de ses guitares pour jouer, les artistes étaient des superstitieux, sentimentaux qui plus est, qui s’accrochaient à des objets en jurant que c’étaient eux qui leur donnait l’impulsion nécessaire pour donner le meilleur d’eux-mêmes. Elle, en l’occurence, elle continuait de composer sur un vieux synthétiseur au son dégueulasse, bardé de stickers à paillettes et de petits mots doux à l’intention de Zac Efron, alors qu’il y avait dans le salon de sa grand-mère un piano sublime sur lequel elle n’aimait que jouer, pas composer.

Levant la tête en entendant de nouveau le son de la voix de Mabel, Jo lui accorda un regard fixe pour lui demander avec un sourire graduel, qui se termina en biais "À quel point tu croyais que j’allais pas te laisser en placer une quand tu m’as vue débarquer ?" Elle estimait la probabilité à 100%, et ça ne la dérangeait pas. Elle ne pouvait pas prétendre donner la meilleure image d’elle-même Jo, et la vérité, c’était qu’elle s’en cognait. L’important à ses yeux, c’était le travail, pas la manière dont elle envisageait son rapport à ceux qui l’entouraient — elle savait se montrer respectueuse avec ceux qu’il fallait, c’était ce qui comptaient. Plus globalement, il y avait des exceptions bien sûr, mais Jo n’était pas portée sur le lien à créer pour se faire apprécier. Ça venait avec le temps, elle n’était pas facile à cerner, et ne comptait pas changer pour les beaux yeux de qui que ce soit, surtout quand ils étaient inconnus au bataillon.

Accueillant ses remerciements avec un léger signe de tête, elle ajouta "Qu’on fasse la meilleure chanson de ce putain d'album d’abord, tu me remercieras plus tard." Parce qu’après ça, Mabel gagnerait une certaine crédibilité, elle en était certaine. Se levant brièvement du banc du piano, Jo retira la veste qu’elle portait pour dégager ses épaules, être à l’aise, et se mettre dans les bonnes conditions pour travailler. En même temps, plusieurs personnes firent leur entrée dans la salle de répétitions, preuve que les choses sérieuses allaient vraiment commencer "On a eu une idée." annonça-t-elle sans cérémonial, faisant le pied de crue devant le piano jusqu’à ce qu’ils s’installent tous. Il faudrait qu’elles mettent toutes les chances de leur côté pour avoir gain de cause, et enregistrer pour de bon cette version sur laquelle elles venaient de se mettre d’accord. Mabel semblait prête à en découdre elle aussi, et ce regain de confiance qu’elle vit briller dans ses yeux, elle firent miroiter à Jo l’idée qu’elle ne regretterait finalement pas d’avoir été appairé à elle.

rp terminé.