@Swann Craine

Min-Kyung arriva avant Swann au club de Jazz. Il lui avait envoyé un message disant qu’il risquait d’être en retard à cause d’un imprévu à la clinique vétérinaire, qu’une bestiole l’avait mordu. En sortant, il avait fait aussi vite que possible pour se préparer au point qu’il arriva malgré tout à l’heure convenu au départ. Il aurait pu prendre un peu plus son temps, mais peu importe. Ce soir, c’était soirée spéciale Jazz et Swann l’avait convaincu de l’accompagner, en prétextant que ça serait le fun de se voir dans un autre contexte que la course à pied. Comme s’ils ne s’étaient jamais vus ailleurs que sur les sentiers! À ce stade Swann était parfaitement au courant de la dépendance de Min à la caféine après tous les cafés qu’ils avaient bus ensemble et c’était sans parler du reste. À travers leurs conversations, il en savait un peu plus sur la vie de l’anglais. L’inverse était moins vrai. Min-Kyung était quelqu’un de privé et parlait peu de ce qui le tourmentait. Une seule personne dans cette ville en savait plus, Lincoln et, franchement, il ne comprenait pas pourquoi il lui avait dit tout ça. Il essayait de ne pas trop y penser, mettant ça sur le fait que Lincoln s’était ouvert à lui et qu’il avait simplement fait la même chose. Quant à Swann, il le considérait maintenant comme un bon ami, assez proche pour se sentir à l’aise de lui demander un service un de ces jours, mais il ne voulait pas l’embêter avec ses problèmes. Il ne voulait pas qu’il croie à tort que Min puisse être jaloux de sa situation. Il avait un compagnon qu’il aimait librement et sans honte, une famille dont il était extrêmement fier et qui faisait briller ses yeux chaque fois qu’il en parlait. Ce n’était pas parfait, rien ne l’est dans la vie, mais son bonheur était évident et c’était difficile de ne pas désirer la même chose.

Il se dirigea vers le bar pour prendre une consommation en attendant que Swann arrive à son tour et s’installa à un endroit où il pourrait le voir arriver. Comme au bal masqué, il avait fourni un effort afin de respecter le thème rétro : pantalon noir, chaussures noires et lustrées, chemise blanche avec des bretelles comme accessoire. Il ne s’était pas assis depuis cinq minutes qu’une femme l’aborda et ils discutèrent ensemble un moment. Elle était charmante et visiblement intéressée par lui, mais leur conversation se limitait à des banalités et son regard passait constamment de la fille à la porte d’entrée. Min-Kyung finit par apercevoir un visage familier et il leva son verre en l’air afin d’attirer son attention. « Je suis désolé, mais mon ami vient d’arriver. Une prochaine fois, peut-être. » Min-Kyung se leva et la jeune femme décida de partir, mécontente d’avoir ainsi été rejetée. D’habitude, il était moins cavalier que ça, mais il n’avait pas eu une journée facile comme le montrait sa main bandée. « Je t’ai dit que je risquais d’être en retard et finalement… Eh bien, content de te voir! Ça va? »

(at nate's) Les différents événements organisés en ville ce mois-ci ont tout pour lui plaire et il est heureux de pouvoir proposer à certain de ses amis de profiter des soirées musiques organisées par le club de Jazz, tout comme il est heureux de l’idée de profiter d’une soirée spéciale septième art en compagnie de Rory ; lui qui s’y connait bien mieux que quiconque en la matière. En attendant que ce jour arrive, il profite des autres pour passer un peu de temps avec ses amis. L’ouverture du cabinet est imminente et il sera sûrement pris par le travail durant les premières semaines, alors il a à coeur de profiter de ses proches autant que possible, ce qui inclut évidemment Min-Kyung qui est passé de partenaire de jogging à véritable ami au fil des semaines écoulées. Leur rencontre impromptue a laissé place à quelques belles discussions et une personne que Swann est heureux de simplement pouvoir compter dans sa vie aujourd’hui, sans avoir à se poser davantage de questions.

Une fois sa vision adaptée à la lumière tamisée du bar, il pose son regard sur la salle pour tenter de repérer Min-Kyung, quand bien même ce dernier a tenté de prévenir de son retard. Il le fait par acquis de conscience et s’estime heureux d’avoir eu ce réflexe alors qu’il reconnaît rapidement bel et bien la silhouette de son ami, occupé à discuter avec une inconnue. La vision fait naître un sourire simple sur son visage, même si Min se dégage de la discussion au moment où Swann s’approche de lui. Du coin de l’oeil, il observe l’inconnue s’éloigner. « Je t’ai dit que je risquais d’être en retard et finalement… Eh bien, content de te voir! Ça va? » Et finalement il était parfaitement à l’heure et peut-être même en avance, de ce que Swann en sait. « J’interromps quelque chose ? » Il l’a salué d’un signe de tête et il jure qu’il répondra à sa question d’ici quelques secondes, mais pour l’heure la gestion de ses priorités ne fait pas passer la curiosité de Min-Kyung avant la sienne, assez égoïstement sans doute. « Je peux repartir comme si je n’étais jamais arrivé, je peux me montrer discret. » Il continue avec un sourire amusé. Il ne connaît pas la femme en question et peut-être même que Min-Kyung non plus, mais il retombe en pleine adolescence en se retrouvant à imaginer des scénarios à partir de rien. A dire vrai, l’idée est au moins amusante. « C’est à toi que je devrais demander si ça va. » Pour lui, maintenant, il n’y a plus aucune raison de répondre par la négative et, à dire vrai, c’est un soulagement immense pour un jeune homme qui a grandi avec plus de raisons d’être insécure plutôt que pleinement heureux. La tendance a totalement été renversée aujourd’hui, pour son plus grand bonheur et celui de sa famille autant que son mariage. En attendant toute réponse de la part de Min, et parce qu’il ne compte pas réellement l’abandonner à peine arrivé, il prend le temps de se commander un verre de vin et de l’eau au bar à côté d’eux.

@Swann Craine

« J’interromps quelque chose? » Min-Kyung cligna des yeux, sans comprendre. Puis il se souvint de la jeune femme qui venait à peine de partir. « Non! Pas du tout. » Sa réaction était peut-être un peu trop véhémente pour être naturel. « Je peux repartir comme si je n’étais jamais arrivé, je peux me montrer discret. » Il effacerait volontiers le sourire du visage de Swann qui s’amusait visiblement à le taquiner. « Très drôle! Quand tu en viens à parler de météo à la troisième phrase d’une conversation, tu sais que ça ne mènera à rien, pas même à la chambre à coucher. Du coup, aie pitié de moi et ne m’abandonne pas. » Il sourit et lui fit signe de s’assoir. Swann s’installa enfin face à lui. Il avait l’air en excellente forme. Min savait que ses journées étaient bien occupées avec l’ouverture imminente de son cabinet. Ils avaient longuement discuté des difficultés que Swann avait rencontrées, mais ça ne l’avait pas arrêté et Min était très fier de lui. Il l’avait inspiré à peut-être faire la même chose un jour et ouvrir sa propre clinique vétérinaire. Ce n’était pas pour tout de suite, mais l’idée germait doucement dans sa tête.

« C’est à toi que je devrais demander si ça va. » Le sourire de Min vacilla légèrement, sans pour autant disparaître. « Ai-je l’air si fatigué que ça? » Répondit-il d’un ton badin. « Si l’on oublie la morsure de serpent et le fait que je n’ai pas bu une goutte de vrai café de la journée, ça va, je t’assure. Le serpent n’était pas venimeux. » Qu’il précisa en voyant l’air inquiet de Swann. « Son propriétaire me l’a amené à cause d’une bosse sur son corps. Je l’ai opéré pour la retirer et des analyses subséquentes ont révélé que c’est un cancer. J’avais déjà des doutes, mais il fallait les confirmer. Alors, dans la salle de consultation, le serpent est sur la table entre le propriétaire et moi. J’annonce la nouvelle et l’instant d’après, le serpent me mord. Apparemment, il cherche à bouffer tout ce qui passe à sa portée, peu importe la taille. Je crois que c’était plutôt sa façon à lui de m’envoyer paître. » Il revoyait parfaitement la scène dans sa tête.  Le timing du serpent n’aurait pas pu être mieux. Dommage que son temps soit compté. Il pouvait encore vivre quelques mois, mais Min-Kyung avait demandé à son propriétaire de le garder l’œil et de le ramener au moindre signe d’inconfort. Annoncer ce genre de nouvelle n’était jamais agréable. C’était la partie qu’il aimait le moins de son travail, mais pour rien au monde il ne changerait de métier. Il but une longue gorgée de sa consommation. « Et toi? C’est quand la grande visite de ton cabinet que j’amène la bouteille de champagne et les confettis? À moins que tu préfères un panier de fruits ou un bouquet de fleurs. » Min ne tenait pas spécialement qu’on parle de lui et préférait ramener la conversation à Swann.

Min-Kyung met toutes ses forces à l’oeuvre pour faire comprendre à Swann qu’il n’interrompt absolument rien et la situation a tout pour faire sourire l’anglais. Son ami semble empêtré dans une situation périlleuse et, pour l’heure, il ne fait rien pour l’en sortir. S’il prendra rapidement la peine de préciser qu’il ne fait que se moquer de lui, il s’amuse encore un peu trop de l’instant présent et de ce que cela donne sur leur discussion pour l’en extirper. « Très drôle! Quand tu en viens à parler de météo à la troisième phrase d’une conversation, tu sais que ça ne mènera à rien, pas même à la chambre à coucher. Du coup, aie pitié de moi et ne m’abandonne pas. » Au moins, il ne cache pas quelles auraient pu être ses intentions et la mention de la chambre à coucher fait pouffer de rire l’anglais comme s’il était redevenu un adolescent. Ses mots ne font que confirmer ce qu’il pouvait déjà penser, en réalité: il n’interrompt absolument rien et, bien au contraire, cela revêt peut-être bien plus du sauvetage que toute autre chose. « Je vais te sauver, ne t’en fais pas. » Il ne l’abandonnera pas à une discussion autour de la pluie et du beau temps, c’est promis. Il a bien trop pitié de lui pour lui infliger une telle souffrance, lui-même loin d’être adepte de ce genre de discussion sans fond, surtout alors que de son côté la chambre à coucher n’a jamais été une finalité envisagée.

« Ai-je l’air si fatigué que ça? »
« Tu l’es, alors ? »

Il ne fait pas semblant de lui poser la question ou de s’inquiéter: il l’est vraiment. Il veut savoir comment va son ami, outre le mensonge simple et rapide du “ça va et toi ?”. Il l’a lui-même sorti un nombre incalculable de fois, ce qui reste un chiffre assez élevé pour qu’il puisse reconnaître quand autrui préfère ce mensonge à la réalité des faits. Par dessus la voix des chanteurs présents ce soir, ils ont tout le temps du monde pour discuter à leur tour d’une pluie et d’un beau temps un peu différents. « On t’a emmené un serpent à soigner ? Ou tu as participé à ce stage de survie, toi aussi ? » Parce que Rory et lui s’y sont frottés et peut-être bien qu’ils se sont un peu piqués au passage aussi. Pas de serpent en vue, c’est déjà ça, mais ils ont eu quelques frayeurs et autres déconvenues au cours d’une journée qu’ils n’avaient pas anticipé être aussi épuisante. « On peut au moins se rattraper pour le café. » Le sourire est confiant, le geste de la main pour appeler un serveur est poli. Il n’est jamais trop tard pour un café, tous les adultes en conviendront aisément.

Finalement, il lui explique toute l’histoire autour du serpent et l’anglais se retrouve à avoir une empathie infinie pour le petit animal qui avait un cancer. Ses lèvres se retroussent de peine et il ne pense pas à faire la moindre blague alors qu’il écoute avec attention le récit de son ami. « Tu as eu de la chance qu’il ne soit pas venimeux. » Il en convient dans un souffle. L’affaire aurait pu très mal tourner, surtout quand on sait à quel point la morsure d’un serpent peut s’avérer être rapidement très dangereuse, pour ne pas dire mortelle. « C’est pour bientôt. Je vais faire visiter les locaux à Rory et Robin la semaine prochaine. » Il annonce avec bonheur et fierté. Il y a encore des travaux à faire et encore des papiers à régler, mais son cabinet pourra ouvrir d’ici la fin du mois - si et seulement si son mari et sa fille donnent leur go après la visite, évidemment. « Tu peux rester sur la bouteille de champagne tant que le bouchon ne touche pas les murs fraîchement repeints. » Swann avoue avec amusement, n’ayant pas vraiment à coeur de recommencer les petits travaux peu avant l’ouverture de son cabinet sur lequel il travaille depuis si longtemps. « Je pense pas faire de fête pour l’ouverture mais tu pourras venir passer une tête si ça te dit. Peut-être que tu croiseras Rory. » Il souffle l’idée dans un sourire, Min-Kyung et son mari n’ayant jamais eu l’occasion de se croiser pour l’heure. De son côté, il nourrit doucement l’idée d’au moins rapidement présenter les deux hommes, sans doute parce qu’il restera toujours fier de présenter à ses amis la personne avec qui il partage sa vie. « Si tes horaires te le permettent. Ca se passe bien, à ton métier ? » Est-ce qu’ils ont assez de personnel pour faire face à la demande ? Il doute que les personnes volontaires pour soigner un serpent courent les rues, à commencer par là, et ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres.

@Swann Craine

Swann était sans aucun doute un homme adorable, gentil, extrêmement généreux envers les gens qu’il aime et drôle en plus de ça. Bref, quelqu’un qui nous fait sentir chanceux de l’avoir comme ami. En contrepartie, il avait aussi cette capacité parfois agaçante, mais aussi très utile quand on y pense de savoir quand on lui cachait quelque chose. C’était peut-être à force de travailler avec des humains, quelqu’un finit par sentir ce genre de chose comme lui pouvait parfois le sentir lorsqu’il traitait un animal. Une sorte d’instinct qui permettait de comprendre sans devoir dire les choses.

« Tu l’es, alors? » Min-Kyung haussa les épaules, comme si ce n’était rien. « Juste quelques nuits de sommeil écourtées et, comme je cours toujours autant le matin, ça fini par se faire sentir. Ce n’est rien de grave, je t’assure. » Il sourit. Tout ce que Min voulait, c’était de profiter de cette soirée pour se changer les idées. Le Jazz n’était même pas son genre de musique préféré, mais passer du temps avec Swann, potentiellement rencontrer d’autres personnes et s’imprégner de l’ambiance, c’était de ça dont il avait vraiment besoin.

« On t’a emmené un serpent à soigner? Ou tu as participé à ce stage de survie, toi aussi? » Min secoua la tête en riant. « En survie… Honnêtement, je ne compterais pas trop sur moi, même si je suis capable d’offrir les premiers soins si nécessaire. Arrêter une hémorragie et faire des points de suture, ça reste le même principe, que le patient ait deux ou quatre pattes. Non, quand j’étais étudiant en médecine vétérinaire, j’ai suivi des cours pour soigner les animaux exotiques comme les serpents, les lézards et les oiseaux. Ils ont aussi besoin de soins et il n’y a pas tant de vétérinaires qui en font une spécialité. » Ce n’était pas la majorité de ses patients, mais c’était toujours un plaisir d’en recevoir en consultation. « Tu as eu de la chance qu’il ne soit pas venimeux. » « La possession de serpent venimeux par la population est très règlementée comme tu peux l’imaginer. Non, là ce n’était qu’un bullsnake qui sont réputés pour avoir du caractère, mais qui ne sont pas venimeux. »

Comme Min l’avait anticipé, dès que Swann commença à parler de son projet, son regard s’illumina, le faisant sourire en retour. C’était donc pour très bientôt s’il prévoyait faire visiter les locaux dès la semaine prochaine. « Tu peux rester sur la bouteille de champagne tant que le bouchon ne touche pas les murs fraîchement repeints. » « Ah! Tu t’inquiètes plus du fait que le bouchon pourrait abimer le mur que d’atteindre quelqu’un au visage. Je sais maintenant où vont tes priorités. J’en prends bonne note », dit-il, en riant. « Je vais acheter une bonne bouteille. Tu me diras à quel moment tu veux faire ça. » Min mentirait s’il disait qu’il n’était pas curieux de rencontrer l’homme en question. Il suffisait que Swann mentionne son nom pour que son expression s’adoucisse. « Je pense pas faire de fête pour l’ouverture mais tu pourras venir passer une tête si ça te dit. Peut-être que tu croiseras Rory. » « J’aimerais ça. Tu en parles tellement souvent! » Évidemment, il exagérait, mais c’était à son tour de taquiner Swann. « Si tes horaires te le permettent. Ca se passe bien, à ton métier? » Min acquiesça d’un signe de tête. « Oui. En vérité, je suis heureux d’avoir enfin trouvé du boulot. Je commençais à croire que j’avais fait une grosse erreur en quittant Melbourne. J’avais un bon travail et tout. Venir ici, c’était un peu comme sauter dans le vide sans vraiment savoir où j’allais atterrir. »

À ce moment, son téléphone sonna. Min grimaça et jeta un coup d’œil à l’écran. Son expression s’assombrit aussitôt. « Je dois le prendre. J’en ai pour quelques minutes. Désolé. » Il décrocha en même temps qu’il se levait de son siège pour un peu d’intimité. S’en suivit une conversation entièrement en coréen. Min s’était éloigné, mais de là où il était Swann pouvait le voir. Il n’avait l’air particulièrement ravi de cet appel. La conversation dura quelques minutes avant qu’il ne revienne à sa place. Cette fois il éteignit son téléphone. Comme ça, si quelqu’un essayait de le contacter, il tomberait directement sur sa boîte vocale. Il vida ensuite le reste de son verre d’un trait. Cette conversation ne lui avait pas plu. « Désolé, histoire de famille. Bon, qu’est-ce que je disais? Ah, oui, le boulot. Oui, ça se passe bien. Les collègues sont sympathiques, les clients aussi. Je suis vraiment content par la tournure des événements. »

Il l’est, donc. Après une question supplémentaire, Min lui avoue être fatigué et les raisons à cela. Swann l’écoute sans rien commenter, certain qu’il ne fait évidemment pas exprès d’être fatigué. Au lieu de ça, il lui sourit avec une certaine compensation, de ce même genre de sourire qui en profite pour lui souhaiter que tout finisse par s’arranger. « Qui dit survie ne dit pas forcément patient critique à soigner, tu sais. » Même si de son côté, il a dû faire face à une urgence lors de son propre stage, ce n’est pas un bon exemple. Il aurait pu “profiter” de l’événement autant que possible pour les capacités physiques qu’il demande et non les années de médecine nécessaires ; surtout alors que Min aurait très bien pu venir en aide à un humain presque autant qu’à un animal, Swann en est certain. « Je suis certain que tu ferais un très bon élément. » Il ne semble pas avoir le coeur à s’inscrire à ce genre d’événement, de toute façon, mais l’anglais tient tout de même à faire passer ses propos et marquer son point.

« Ah! Tu t’inquiètes plus du fait que le bouchon pourrait abîmer le mur que d’atteindre quelqu’un au visage. Je sais maintenant où vont tes priorités. J’en prends bonne note » Touché qu’il murmure donc du bout des lèvres, sincèrement amusé par sa remarque qui est d’une véracité perspicace. « C’est une tactique pour que Rory joue mon infirmier, garde ça pour toi. » Il rétorque avec amusement, sans doute bien plus inquiet de la caution que d’un œil au beurre noir que pourrait causer le bouchon. Les priorités de la vie d’adulte, sans doute. « Je vais acheter une bonne bouteille. Tu me diras à quel moment tu veux faire ça. » - « Prends de la piquette, je ne verrai pas la différence. » Il n’a pas besoin de chercher à prendre une bouteille de qualité, sincèrement. Rory n’en boira pas pour des raisons qui sont les siennes, et Swann ne dit que la vérité lorsqu’il avoue être incapable de différencier un bon cru d’un pitoyable. La présence de son ami est tout ce qui l’intéresse dans toute cette histoire, sans nul doute. « J’aimerais ça. Tu en parles tellement souvent! » Le sourire de l’anglais s’élève une fois de plus alors qu’il ne saurait statuer le contraire. Il jure faire des efforts pour ne pas noyer ses proches sous les anecdotes au sujet de son mari mais depuis que sa parole est libérée, il a bien du mal à tenir sa langue tant il se sent enfin pleinement et simplement heureux. « Je comprends. Ca a été la même pour moi en arrivant ici. J’étais supposé partir trois semaines et ça fait sept ans. » Pour des raisons différentes, il a lui aussi sauté dans le vide sans savoir à quoi s’attendre, son parcours animé par la poursuite d’une étincelle d’espoir. Cela s’est avéré payant et il espère qu’il en sera de même pour Min, pas seulement pour son travail mais aussi pour tout le reste. « Je te raconte pas l’enfer administratif. » Il arrive à en rigoler aujourd’hui, maintenant que le pire est derrière lui. « J’attends un rendez-vous pour obtenir la nationalité australienne. D’ici la fin d’année, j’espère. » L’anglais lui souffle donc, sur le ton de la confession. Ce n’est pas un secret mais ce n’est pas non plus une évidence tant que ce n’est pas acté.

La suite de la conversation est mise à mal par un coup de téléphone que Min dit devoir prendre, ce que son ami ne remet pas en question. Il l’observe partir du coin de l’oeil et prend le temps de boire une gorgée et d’écouter les notes des artistes présents sur scène. Leur prestation lui fait passer le temps, même s’il n’est pas un grand mélomane dans l’âme. Au retour, le coréen semble changé, sans que ce soit pour le meilleur. Son téléphone est éteint, son verre vidé. « Désolé, histoire de famille. Bon, qu’est-ce que je disais? Ah, oui, le boulot. Oui, ça se passe bien. Les collègues sont sympathiques, les clients aussi. Je suis vraiment content par la tournure des événements. » Il comble le vide et l’espace sans que Swann ne puisse être dupe à ce sujet. « C’était ta famille, alors ? » Il ne sait pas ce qui a été dit, mais il sait au moins que ce n’était pas de l’anglais. « Il s’est passé quelque chose ? » Il semble perturbé, alors autant qu’ils en parlent tous les deux plutôt qu’il rumine et fasse mine de rien de son côté.

@Swann Craine

« Qui dit survie ne dit pas forcément patient critique à soigner, tu sais. Je suis certain que tu ferais un très bon élément. » « Je suis heureux de voir qu’au moins une personne croit en moi. » Il leva son verre en l’honneur de Swann en souriant. Sa propre sœur ne parierait pas sur lui. Min a toujours été un peu princesse dans l’âme. L’idée de faire du camping ne l’avait jamais attiré et s’il faisait de la randonnée à l’occasion, il partait avec la certitude qu’il serait chez lui à la fin de la journée ou dans un bon hôtel avec un lit géant et un minibar. Il était incapable de voyager léger et voyait les gens capables de partir pour trois semaines avec uniquement un bagage de cabine comme des superhéros. Du coup, il préféra ne pas élaborer plus longtemps sur le sujet et plutôt revenir au cœur de la conversation. « C’est une tactique pour que Rory joue mon infirmier, garde ça pour toi. » Min s’esclaffa. L’alcool commençait à faire son effet chez lui. Il en fallait peu pour le rendre plus expressif. « Promis, je ne dirais rien. » Il rit encore, imaginant la scène. Le pire c’est que ça pourrait se produire. Il se souvenait d’un soir du Nouvel An célébré entre amis ou un bouchon avait atteint quelqu’un derrière la tête. Un bête accident qui n’avait laissé aucune marque en plus de faire rire tout le monde, mais qui rappelait également que ça pouvait être dangereux en cas de négligence.

« Prends de la piquette, je ne verrai pas la différence. » « Ah? Toi aussi tu n’as pas le palais? En général, quand je dois acheter une bouteille, je demande à un conseiller en lui faisant aveuglément confiance. Mais si tu préfères autre chose que de l’alcool, je peux acheter des cupcakes ou un petit gâteau. » Même que l’idée d’amener un gâteau lui plaisait bien plus que la bouteille d’alcool maintenant qu’il y pensait et en plus tout le monde pourrait en profiter.

Swann aborda ses difficultés face à la bureaucratie australienne après qu’il eut fait le choix de s’installer ici. Min comprenait. Il savait par quoi ses parents étaient passés avant d’avoir leur citoyenneté. Swann voyait enfin son calvaire s’achever. Lui, c’est vrai qu’il avait traversé le monde pour venir ici alors que quelques heures à peine de voiture séparaient Min-Kyung de Melbourne. « Je te raconte pas l’enfer administratif. J’attends un rendez-vous pour obtenir la nationalité australienne. D’ici la fin d’année, j’espère. » « C’est quand même ironique, quand on y pense. La reine d’Angleterre est quand même sur les billets australiens. On pourrait croire que ça facilite le processus, mais non. » Mais voilà que son téléphone sonna, coupant court à la conversation. Il attendait ce téléphone. Il ne le voulait pas et aurait préféré qu’il n’arrive pas, mais il savait qu’il n’y échapperait pas, pas avec la conversation qu’il avait eue avec sa mère plus tôt dans la journée. Il essaya de détourner la conversation, de faire comme si de rien n’était, mais il n’était peut-être pas aussi doué qu’il croyait pour cacher ses émotions. L’alcool n’aidait pas sa cause. En face de lui, Swann le fixait, sérieux, conscient que quelque chose n’allait pas et que Min ne réussirait pas à le convaincre du contraire. « C’était ta famille, alors ? » Min-Kyung acquiesça d’un signe de tête. « C’était mon père. » « Il s’est passé quelque chose ? » Il ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Il la referma, déglutit, profitant de ce moment pour trouver quelque chose à dire, une autre diversion, car il n’avait vraiment pas envie d’en parler. Il voulait seulement se changer les idées, profiter de sa soirée avec son ami pour écouter de la musique et parler de tout et de rien autour d’un verre comme ils savaient si bien le faire. Il avait d’ailleurs envie de lui parler d’une nouvelle série qu’il venait de commencer à regarder et qui pourrait plaire à Swann.  Malheureusement, la soirée était déjà un peu gâchée, et il connaissait suffisamment bien Swann pour savoir qu’il ne lâcherait pas le morceau aussi facilement. « C’est une longue histoire », dit-il enfin. « Je n’ai pas une relation facile avec mes parents et c’est la principale raison pour laquelle j’ai quitté Melbourne. J’avais besoin de cette distance, mes parents ayant des attentes que même avec toute la volonté du monde, je ne peux pas atteindre. Bref, je croyais que ça irait mieux, mais ça ne suffit pas. Récemment, j’ai appris qu’un cousin vivant en Corée et qui fait présentement son service militaire obligatoire a décidé de venir s’installer en Australie dès qu’il sera libéré de l’armée. Pour vrai, s’il veut le faire, qu’il le fasse. Le problème, c’est que la famille a décidé que j’allais l’accueillir chez moi et que j’allais m’occuper de son intégration et ça, sans me demander mon avis. Et je crois que tu es bien placé pour savoir comment ça peut être compliqué comme tâche à remplir. Naturellement, j’ai protesté pour me faire dire que ce n’était pas une chose à faire, qu’il est de la famille et que c’est ma responsabilité. Je ne dois pas le laisser se débrouiller, ça serait déshonorable. Que veux-tu répondre à ça? » Il haussa les épaules en signe d’impuissance. « Aujourd’hui, j’ai appelé ma mère, car j’ai commencé à avoir des doutes sur les raisons qui poussent mon cousin à venir ici. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais je devais poser des questions à ma mère et la conversation s’est envenimée. Disons que je lui ai dit ma façon de penser et cet appel, c’était mon père qui me disait à quel point je suis un mauvais fils qui ne respecte pas sa famille. »

Min-Kyung soupira longuement en regardant son téléphone toujours posé sur la table. Il était éteint, mais il s’attendait presque à le voir vibrer de nouveau. « Je n’aurais pas dû le prendre. Je savais qu’il téléphonerait, c’était inévitable, mais si je ne l’avais pas pris, les choses auraient été pires. Je ne sais pas quoi faire. Je suis désolé, je croyais que je pourrais régler ça tout seul… »

Min lui annonce ne pas être expert dans l’art de choisir son vin et sans doute que cela rassure quelque peu Swann que de savoir qu’ils se retrouvent sur ce point au moins. Il n’aurait pas eu honte d’être le seul à ne rien y connaître, mais de savoir qu’ils sont dans le même marasme a quelque chose d’éternellement (et paradoxalement) rassurant, et ce quel que soit le sujet en question. « Oui des cupcakes feront parfaitement l’affaire, ne t’embête pas avec ça. » En tant que gourmand, il ne fera cette fois-ci pas le difficile et sera même bien plus heureux de partager ce genre de friandises avec son ami plutôt qu’un verre d’alcool. Et puis s’il ramène des cupcakes, cela sera aussi plus facile pour Rory, qui pourra se joindre à la petite fête improvisée s’il est libre le soir en question. Ce choix semble régler tous leurs problèmes alors qu’ils n’en avaient pas réellement. Dans le même élan ou presque, ils en viennent à parler administratif, ce qui pousse Swann à élargir quelque peu la discussion et parler de la nationalité australienne qu’il s’apprête - normalement - à obtenir d’ici la fin de l’année, après de nombreuses années d’attente et presque autant de péripéties. Ainsi, la remarque de Min au sujet de la Reine sur les billets de banque fait mouche. « Je suis pas certain que l’évoquer à mon entretien me ferait gagner des points. » Il note avec humour, pas du genre à critiquer les systèmes déjà en place, encore moins alors qu’il sait qu’il finira par avoir sa nationalité en s’armant simplement d’un peu de patience. Qu’on laisse la Reine là où elle est, et toute cette histoire de Commonwealth avec.

Si l’innocence et la gaieté étaient jusque à de mise pour leur discussion, tout semble terriblement mis à mal lorsque Min revient après avoir reçu un appel. Inquiet, Swann ne sait faire autrement que le questionner au sujet de ce dernier, certain qu’il a profondément changé tout l’état d’esprit de son ami sans que ce ne soit nullement pour le meilleur. « C’est une longue histoire » Il boit une gorgée de son verre en toute connaissance de cause avant de lui répondre d’une voix douce. « J’ai le temps. » Il a tout le temps du monde, en réalité, et il est prêt à entendre n’importe quelle histoire si cela peut délester son ami d’un poids sur le coeur. Autrement dit, il ne pourra pas s’en sortir aussi facilement, et l’anglais est heureux de l’avoir poussé à se confier puisque, à en juger par l’étendue de son annonce, il semblait en avoir beaucoup sur le coeur. Il valait effectivement mieux qu’il ne garde pas tout pour lui, cela aurait fini par le ronger de l’intérieur. « Tu as toujours eu une relation compliquée avec tes parents ? » Il a écouté toute l’histoire mais il en apprend beaucoup d’un coup, raison pour laquelle il a encore besoin de lui poser des questions au sujet de certains points, pour être certain de cerner la situation dans son entièreté. « Et ton cousin, il en pense quelque chose de tout ça ? » Dans quel camp se trouve-t-il, lui ? Swann ne connaît pas les détails de l’histoire mais il n’a pas de mal à comprendre qu’il existe une culture ben différente entre la Corée et l’Australie, mais il est aussi le premier à penser que les choses changent petit à petit. Peut-être qu’il pense finalement un peu plus comme Min et un peu moins comme le reste de leur famille. « Tu sais… c’est normal de pas toujours être au diapason avec ses parents. Ils ont grandi dans un monde différent. » Lui-même ne s’entend pas avec sa propre mère la majorité du temps, alors il comprend l’idée générale, même si les détails de leurs deux histoires sont sans nul doute bien différents.

Lorsque les excuses de Min reprennent de plus belle, Swann presse sa main contre l’épaule de ce dernier pour tenter de le calmer et de le rassurer autant que possible. « Hey, t’excuse pas. On a tous nos problèmes, c’est normal. Tu me le dirais si je pouvais faire quoi que ce soit ? Pour intégrer ton cousin, peut-être ? » Si Min n’a pas envie de se retrouver seul avec ce dernier, Swann peut peut-être aider et mettre à contribution sa connaissance de la ville pour aider les deux hommes à des niveaux différents. Cela reste une idée envisageable, après tout.

@Swann Craine

« Tu as toujours eu une relation compliquée avec tes parents ? » Cette question donna à Min l’envie de rire. Il sourit, mais il n’y a rien de joyeux dans son expression. Il pensait à son enfance, à tous les choix qu’il a faits, toujours en fonction de ses parents. Les choses avaient un peu changé à l’âge adulte, mais chaque choix personnel s’était accompagné d’un prix à payer. « C’était plus simple quand j’étais enfant, car je ne comprenais pas. Je devais faire ce qu’on me disait, tout simplement. Pour ne pas les décevoir, je devais être dans les meilleurs de ma classe, sinon le meilleur. Quand j’ai commencé à pratiquer du sport, je devais gagner. Quand j’y arrivais, ils en parlaient à tout le monde et ils étaient fiers. Quand je n’y arrivais pas, ils étaient déçus, me reprochaient mes échecs et j’étais puni en conséquence. Comme je ne voulais pas les décevoir et que je voulais éviter les punitions, je travaillais fort. » Tant d’heures passées à étudier ou à s’entraîner. Heureusement, il a toujours aimé l’école. Apprendre lui venait facilement et il était doué en sport. Il n’osait pas imaginer si, au contraire, l’école avait été une corvée et qu’apprendre lui avait été difficile.

Ses parents n’étaient pas l’exception. Pour autant qu’il le sache, toute sa famille était ainsi. Ses cousins et ses cousines étaient soumis aux mêmes attentes, incluant Sung-jin. « Et ton cousin, il en pense quelque chose de tout ça ? » Il haussa les épaules. « Je n’en sais rien. Il fait son service militaire présentement. C’est impossible pour moi de le rejoindre. Cela dit, je me doute que ça ne soit pas son idée de venir s’installer chez moi. On se connait, mais on n’est pas spécialement proche, mais quand on y pense, ça arrange tout le monde. Mes parents n’ont pas forcément la capacité de l’accueillir, pas par manque de place, mais parce qu’ils vieillissent et qu’ils ont toujours besoin d’aide pour tout ce qui touche à l’administratif. Même s’ils sont passés par là, ils ne lui seront d’aucune aide pour l’immigration. De mon côté, j’ai la place, je suis plus jeune et parfaitement intégré. Le problème, c’est qu’on ne m’a pas demandé mon avis. » Ils ne demandaient jamais son avis au moment de prendre une décision. Il faisait un choix et c’était forcément celui que devait prendre Min-Kyung. Oser émettre une opinion, même de façon respectueuse, c’était comme s’adresser à un mur. La frustration que ça lui causait…

« Tu sais… c’est normal de pas toujours être au diapason avec ses parents. Ils ont grandi dans un monde différent. » Il s’esclaffa. « J’ai plutôt l’impression qu’ils ont grandi sur une planète différente à une époque différente dans une dimension différente. » Min voulut prendre une gorgée, mais constata que son verre était vide. « Je reviens. » Il se leva de sa banquette pour se diriger vers le bar. Il revient quelques instants plus tard avec une bouteille verte avec des inscriptions en coréen dessus et deux verres à shooter. « Ils ont du soju. Tu as déjà goûté? C’est assez fort, mais pas autant que de la vodka. Celui-là est à 24% d’alcool. Ça se boit tout seul ». Il servit Swann en premier avant de se servir lui-même. « Tu aurais dû voir mes parents quand j’ai décidé de lâcher la médecine pour devenir vétérinaire. La honte… Ce n’est pas une bonne profession à leurs yeux, mais ils ne pouvaient rien faire, car je ne vivais plus à la maison et je payais l’université grâce à des bourses d’excellence. Ils commencent à peine à s’y faire et j’ai gradué il y a près de 10 ans. » Il avait vidé son premier verre et s’en remplit un second. Min-Kyung semblait plus déterminé que jamais à se saouler. Il savait très bien que ça ne règlerait rien, mais s’il pouvait juste arrêter d’y penser pour quelques heures, ça serait merveilleux. « Hey, t’excuse pas. On a tous nos problèmes, c’est normal. Tu me le dirais si je pouvais faire quoi que ce soit ? Pour intégrer ton cousin, peut-être ? » Swann était vraiment adorable. Pourquoi ne pas lui avoir parlé avant? Parce qu’il détestait embêter les gens avec ses problèmes. Il pouvait les écouter pendant des heures, il était toujours prêt à aider, mais quand lui n’allait pas, il préférait ne rien dire. Sauf là, apparemment. Mais quand tu ne dis rien et que tu laisses les choses s’accumuler, ça finit par exploser et là, plus rien ne peut l’arrêter. « Si, tu peux appeler mes parents et leur dire que j’ai décidé d’aller étudier le manchot empereur en Antarctique et que je n’ai pas l’intention de revenir en Australie avant… disons 10 ans, ça serait apprécié. Plus sérieusement, je vais surement avoir besoin de ton aide pour les démarches quand le moment viendra. Ce n’est pas pour tout de suite, il doit encore finir son service et il en a encore pour quelques mois. Au moins, je ne l’ai pas su à la dernière minute…  Pathétique, n'est-ce pas? Qu'un homme de 35 ans ne soit même pas capable de tenir tête à ses parents... Et cette histoire, ce n'est rien. Ce n'est pas le pire, c'est juste un truc de plus à ajouter à la liste...»

Swann hoche la tête tristement en écoutant le genre d’enfance et d’adolescence que son ami a connu. La pression subie semble immense et il a du mal à comprendre que certaines personnes puissent être de tels parents, même si sans doute il pense en parallèle qu’il y a une certaine part de culture. Echouer en Angleterre n’est pas aussi grave qu’en Corée, et pourtant Swann était le premier à se mettre une pression immense sur les épaules pour que ce ne soit pas le cas. A la différence de son ami, néanmoins, sa mère ne jouait pas un rôle supplémentaire dans cette histoire. Et cette différence a toute son importance, parce qu’il est le premier à comprendre le poids du jugement des parents et le poids du regard qu’ils portent tout simplement sur leur enfant. « T’as jamais cédé ? Fait un genre de burn out, je veux dire. » Ployé aurait été un terme plus adapté mais il ne veut pas l’imposer dans le vocabulaire de leur échange, le but n’étant pas de pointer du doigt Min-Kyung, ni même son cousin qui semble à son tour subir le même genre de pression, d’une façon différente. « Il sera peut-être heureux de s’être échappé de tout ça, lui aussi. Grâce à toi. » Même si son avis n’a jamais été pris en compte, ou même entendu. Avec le temps, peut-être qu’il se dira qu’il a fait le bon choix et qu’il a aidé son cousin à accéder à un monde nouveau, un peu plus libre sans doute. Pour Swann aussi, l’Australie était une terre d’accueil, et pourtant il ne fuyait aucune pression parentale. Au contraire, c’est une famille qu’il cherchait.

Min met une pause à la conversation pour s’orienter vers le bar, et Swann lui laisse le temps dont il a besoin sans rien ajouter, son regard à nouveau porté sur la scène alors qu’il écoute le groupe se produire. Ils mériteraient qu’il leur accorde un peu plus d’importance, c’est vrai. « Ils ont du soju. Tu as déjà goûté? C’est assez fort, mais pas autant que de la vodka. Celui-là est à 24% d’alcool. Ça se boit tout seul. » Les deux verres se remplissent avant même que l’anglais ait eu le temps de répondre et, quitte à ce que cela se passe ainsi, il attrape la bouteille lorsqu’elle retrouve la table et l’observe avec attention. De toute évidence, il ne connaît rien au coréen, et se contente simplement d’en observer les nuances avec curiosité. « Juste un verre. Je suis pas un gros buveur. » Il l’a été durant ses années étudiantes, et l’histoire dit qu’il en a bien profité, mais aujourd’hui il lui paraît impensable de rentrer chez lui ne serait-ce en sentant l’alcool - et ne parlons pas de l’hypothèse dans laquelle il a définitivement trop bu. Il n’imposera pas ça à Rory, ni à Robin par extension. « Pour goûter. » La curiosité l’emporte brièvement.

De son côté, Min semble avoir passé le stade de pour goûter il y a bien longtemps, en témoigne la vitesse avec laquelle il termine son premier verre pour en remplir un second, ses confessions allant aussi vite que le reste. Il vit toujours avec le poids des reproches de sa famille, c’est évident. « Tu aurais rendu fiers une infinité d’autres parents. » Les siens semblent simplement avoir des exigences impossibles, et Swann en est désolé. De son côté, il fait tourner un instant le liquide dans son verre avant de le porter à ses lèvres et de grimacer brièvement. « C’est fort. » Bien qu’il semble être le seul des deux à le penser, Min déjà occupé à parler avec son coeur, sans doute pour la première fois depuis qu’ils se connaissent. « Je t’aiderai avec l’administratif. » Il répond sur le premier point et l’accepte sans ciller. Evidemment qu’il l’aidera à la hauteur de ses capacités. « Et tu sais… je crois que y’a pas d’âge pour apprendre à tenir tête à ses parents. C’est toujours un gros morceau, et le plus important c’est que tu sois en bonne voie pour t’affirmer maintenant. » Peu importe s’il a 35 ans. L’important, c’est qu’il le fasse, même s’il semble encore garder une dernière information pour lui et que cela a le don de laisser une certaine inquiétude grandir dans l’esprit et le cœur de l’anglais. « Tu me dis pas quoi ? » Il peut lui faire confiance, il veut qu’il le sache.

@Swann Craine

« T’as jamais cédé? Fait un genre de burn-out, je veux dire. » Min réfléchit à la question un instant, puis il secoua doucement la tête. « Pas exactement. Il y a eu des moments où ce fut plus difficile et où j’avais l’impression que ça ne finirait jamais, mais je n’ai pas cédé. De toute façon, faire un burn-out n’aurait pas aidé ma cause. On me l’aurait probablement reproché. » Il aimerait croire que l’un de ses professeurs aurait pris sa défense si c’était arrivé. Ils avaient tous admiré le travail que Min faisait et certains lui avaient même conseillé de ralentir un peu le rythme et de profiter un peu plus de son adolescence, car ce sont de belles années qui ne reviendront jamais. Du coup, ce n’était pas impossible que son cousin cherchât aussi à échapper à ça. Plus Min y réfléchissait, plus il voyait qu’en fait, il ne pouvait pas refuser de le prendre avec lui, même si ça lui causait un lot de problèmes qu’il préfèrerait éviter. Peut-être qu’il se trompait et que son cousin ne cherchait pas une échappatoire, mais il y a des choses dans la vie pour lesquelles ça ne valait pas la peine de prendre une chance.

Swann avait raison, Min avait passé le stade de pour goûter. De toute façon, il connaissait bien le soju, c’était un alcool familier, lié à ses racines, à sa culture. Il y avait définitivement quelque chose d’ironique à vouloir s’enivrer avec cet alcool, mais Swann ne le voyait peut-être pas. Non, il voyait autre chose et Min comptait un peu là-dessus en fait. Il était loin, très loin d’être un idiot et Min espérait qu’il en viendrait à comprendre certaines choses sans qu’il soit obligé de les dire, parce qu’il n’était pas prêt et que c’était difficile. Pourquoi c’était si compliqué alors qu’il n’avait qu’à ouvrir la bouche et à prononcer quelques mots en prenant soin de les organiser en des phrases grammaticalement cohérentes? Il n’en savait rien, c’était comme ça. « Tu aurais rendu fiers une infinité d’autres parents. » La phrase fit sourire Min. « Je n’ai pas vraiment d’intérêt pour les autres parents, mais je suppose que tu as raison. » Il l’avait déjà entendu, ses parents recevant des éloges des autres parents devant ses accomplissements. Ses inconnus avaient voulu bien faire, mais ils avaient surtout conforté ses parents sur leur façon d’éduquer leurs enfants. Même un compliment n’est pas toujours bon à dire.

« Tu me dis pas quoi? » Cette fois, Min gloussa de rire. « Tu sais que tu aurais fait un inspecteur redoutable. » À ce stade Min commençait à vraiment s’enivrer. « Tout ce qu’il manque c’est la pièce sombre avec une seule lumière au-dessus de nos têtes et on y croirait. » Il se servit un autre verre, ce qui n’était clairement pas dans ses habitudes. Min savait comment il réagissait à l’alcool. Il ne devenait pas violent, mais ça le poussait à l’action, du courage liquide en d’autres mots. Il s’agitait sur sa chaise et regardait partout sauf Swann. Son inconfort était manifeste. « Quand j’ai eu fini l’université, mes parents se sont mis une autre idée en tête : je devais me marier. Ils espéraient que je rencontre une gentille fille à la fac, mais j’ai contrarié leurs plans. De toute façon, j’avais le temps et ce n’est pas parce qu’ils étaient mariés à 25 ans que je devais faire pareil. J’ai dit non, mais ça ne suffit pas. Il y a quelques années de ça, ma mère m’a appelé, m’invitant à venir manger à la maison. Elle a dit qu’elle avait préparé mon repas préféré, que ça l’avait fait penser à moi et que je n’étais pas venu manger à la maison depuis un moment. C’était vrai, j’étais occupé avec mon premier emploi comme vétérinaire et je préparais mon premier marathon à l’époque. J’y suis donc allé et là-bas, il y avait mes parents, ma sœur ainsi qu’un couple que je n’avais jamais vus et leur fille. J’ai compris tout de suite en la voyant. Je me demande encore pourquoi je n’ai pas tout simplement tourné les talons et partis en claquant la porte. Ils ont fouillé dans leur cercle de connaissances pour trouver une gentille fille à me présenter. Ils en ont trouvé plusieurs, en fait. La dernière en date remonte à quelques semaines avant mon déménagement. Elle n’avait que 22 ans. » Il grimaça avant de se passer une main dans les cheveux. « Je ne sais plus combien de fois je leur ai dit d’arrêter que ça ne servait à rien. À la fin, j’évitais autant que possible d’aller chez eux, mais ils trouvaient toujours une excuse. Ça ne leur rentre pas dans la tête que je ne suis pas intéressé, que ces filles, aussi gentilles qu’elles puissent être, ne m’intéressent pas et que ça ne changera jamais. De toute façon, 90 % d’entre elles n’avaient pas plus envie que moi d’être là, incluant la fille de 22 ans qui savait très bien que j'en avais 13 de plus qu'elle. » Min-Kyung avait l’impression qu’il parlait trop et il avait la certitude maintenant d’avoir complètement ruiné la soirée. Il ne réalisait pas non plus qu’il avait peut-être été assez clair sur le pourquoi ces filles ne l’intéressaient pas, et ce, sans vraiment s’en rendre compte tellement il était agité. Au point où il en était, autant continuer de boire.

« Je n’ai pas vraiment d’intérêt pour les autres parents, mais je suppose que tu as raison. » La phrase est d’une tristesse infinie pour Swann et pour l’écho qu’elle fait dans sa propre vie. Il tente de ne pas ajouter le poids de ses regrets à la conversation qui en est déjà assez chargée naturellement mais il peine à garder totalement sa tristesse, une partie de son empathie se lisant assez aisément à travers le regard qu’il partage avec lui. « Tu sais que tu aurais fait un inspecteur redoutable. » Il en doute. En réalité, Min a sûrement déjà trop bu lui-même pour se rendre compte du nombre d’indices qu’il laisse sur son chemin, mais l’anglais estime que ce ne serait pas une bonne chose à lui partager. Il s’en voudrait sûrement plus qu’autre chose, et ce n’est encore une fois pas le but escompté. « J’ai sûrement dû avoir une tenue de policier à un Halloween, maintenant qu’on en parle. » Il reprend néanmoins dans un sourire, faisant l’amalgame entre policier et détective uniquement pour le bien de sa blague, cette dernière ayant pour but de détendre autant que possible l’atmosphère.

L’instant d’après, c’est avec une attention nouvelle qu’il explique la longue explication du coréen, sans jamais le couper. L’histoire lui semble provenir du siècle passé voir même de celui d’avant tant il peine à imaginer un monde dans lequel ce sont encore les parents qui choisissent l’épouse de leur fils et qui, pire encore, le forcent à lui passer la bague au doigt pour le bien des traditions. Au fur et à mesure du récit, néanmoins, il note le changement de ton de Min et les nuances qu’il apporte à ses mots: il n’était pas intéressé par cette fille là, certes, mais il ne semble pas non plus intéressé par la moindre fille, quelle qu’elle soit. « Est-ce que tu… » Il s’arrête et pense à son lui du passé qui aurait été mortifié à l’idée qu’on lui pose cette question frontalement autant que de vive voix. Néanmoins, il a beau retourner le problème dans tous les sens, il ne trouve aucune alternative. « T’es pas hétéro ? C’est ce que t’as jamais pu leur dire ? » A défaut, il le définit par ce qu’il n’est pas plutôt que par ce qu’il est. Ainsi au moins, la sentence semble un peu plus douce, un peu moins difficile. Il l’aurait vécu comme ça s’il avait été Min, du moins, et il espère donc qu’ils sont fait un tant soi peu du même bois. « Tu sais, je crois que j’ai jamais eu l’occasion de t’en parler mais… On se connaît depuis sept ans et on est ensemble depuis à peu près autant de temps avec Rory mais… si tu m’avais connu y’a à peine deux ans, je t’aurais dit être hétéro et célibataire. » Il lui passe les détails de leur séparation temporaire et il lui passe les détails de l’existence de Lucia dans son coeur pour ne pas le noyer sous les informations qui ne l’intéresseront sans doute pas, de toute façon. Tout ce qu’il cherche à lui faire comprendre c’est que tous les chemins menant à l’amour ne sont pas aussi simples qu’on l’aimerait, et bien souvent ils ne le sont justement pas. « On a gardé notre relation secrète auprès de tout le monde, même notre famille, parce que j’étais pas capable d’accepter ma sexualité. » Il ajoute un maigre sourire à cela, parce que la fin de l’histoire n’est pas maussade: l’anneau à son doigt prouve que les choses sont différentes aujourd’hui et le nom qu’il a pris est lui la preuve de son bonheur. Le chemin qui a été le sien n’était pas simple, mais il en valait la peine. « T’es dans un nouveau pays, tu peux être qui tu veux. » Libéré du poids du jugement de ses parents et de toutes les attentes qui sont les leurs. Il peut avoir le métier qu’il veut et, surtout, il peut bien aimer qui il veut.

@Swann Craine

« T’es pas hétéro ? C’est ce que t’as jamais pu leur dire ? » Min se figea, le regard sur Swann, la bouche entrouverte comme s’il voulait dire quelque chose sans qu’aucun son ne franchisse ses lèvres. Son visage se vida de ses couleurs. Il ressemblait à un cerf ébloui par les phares d’une voiture l’instant avant d’être percuté, un mélange de stupéfaction et de terreur. Il entendait un drôle de bourdonnement dans ses oreilles qui étouffait tous les autres sons ambiants. Swann parlait, Min voyait clairement ses lèvres remuer, mais il ne comprenait pas un traitre mot de ce qu’il disait. Son cœur battait trop vite. Un poids invisible écrasait sa poitrine et Min n’arrivait plus à respirer normalement. Chaque inspiration lui demandait un effort comme s’il devait forcer l’air à entrer dans ses poumons.

« J’ai besoin d’air. » Min se leva brusquement de sa chaise pour perdre aussitôt l’équilibre. Il bascula vers l’avant et réussi à se rattraper en plaquant violemment les mains sur la table, évitant ainsi de s’y écraser, mais renversa quand même la bouteille de soju qui se vida de son contenu. L’alcool, évidemment. Min avait trop bu et son corps ne lui obéissait plus. La commotion attira l’attention de quelques personnes autour d’eux, mais il n’y fit pas attention. Il devait sortir d’ici. Laissant sa veste, son téléphone et ses clefs derrière lui, Min se dirigea vers la sortie. Un pas, puis un autre et encore un autre. Ça lui demandait toute sa concentration et il bouscula malgré lui deux personnes sur son passage. Il finit par franchir la porte et sentit aussitôt l’air frais de la nuit sur son visage. Il était trempé de sueur. Pourquoi avait-il aussi chaud? Il s’éloigna d’une vingtaine de mètres avant de s’arrêter et de s’appuyer contre un mur pour reprendre son souffle et ses esprits. Qu’est-ce que c’était que ça? Pourquoi… Pourquoi Swann… Il l’avait dit, non? Qu’est-ce qu’il avait bien pu dire dans la conversation pour lui faire croire que… Le regard de Min se posa sur sa main qui tremblait légèrement. Il serra le poing avant de se frotter le visage. Il devait se ressaisir et tout nier. Il pouvait mettre ça sur le fait qu’il s’est mal exprimé. Il allait surement le croire… Il fallait qu’il le croie…

Min-Kyung perd ses couleurs et sa confiance aussitôt. Swann a l’impression d’avoir à faire face à la simple réflexion de lui-même, il n’y a pas aussi longtemps que ça. Si on lui avait coupé l’herbe sous le pied comme il l’a lui-même fait à Min, il aurait perdu toute sa contenance aussitôt et au-delà d’un simple malaise, il s’en serait rendu profondément malade sans même le vouloir. De toute évidence, le même sort semble s’acharner sur son ami sans que Swann n’y puisse quoi que ce soit, profondément désolé de sa propre inaptitude à l’aider ou à faire améliorer les choses. Son poing se referme, lui et tous les remords qui sont les siens se retrouvant piégés au sein d’une poigne qui n’en démord pas. « J’ai besoin d’air. » - « Min… » Il tente faiblement sans pour autant faire davantage d’efforts pour le retenir, conscient que ce n’est plus ce dont son ami a besoin.

De l’air est réellement ce qu’il lui faut en cet instant, malgré tout le reste. Il rattrape la bouteille renversée et promet au personnel qu’il reviendra lui-même nettoyer la table dans cinq minutes, ses pas pour l’heure un peu trop occupés à tenter de suivre ceux de Min pour qu’il perde son précieux temps à ça. La soirée est terminée, la musique n’est plus qu’une occupation de dernier plan et il cherche plutôt à s’assurer que son ami ne fasse rien de stupide car pris dans une escalade de stress et de panique. Ainsi, lorsqu’il décide de s’arrêter non loin du bar et de reprendre son souffle contre un mur près duquel il s’assoit, Swann ralentit le pas à son tour sans pour autant oser s’avancer de trop. « Je vais t’appeler un taxi. » Ce n’est sûrement pas le bon moment pour continuer leur discussion. Swann sait ce qu’il a à savoir et Min, de son côté, a sûrement besoin de temps pour accepter que la situation lui a échappé, mais aussi pour arriver à remettre ses idées en ordre. « On se parlera plus tard, d’accord ? Pour courir. » Pas du reste. Du moins, c’est ce qu’il tente de lui faire comprendre, n’ayant pas à cœur de lui ajouter la moindre pression supplémentaire. « Je suis désolé. » Il voudrait s’accroupir face à lui et prendre ses mains dans les siennes pour assurer ses propos mais il craint que le moindre geste d’affection n’ait temporairement pas sa place entre eux, raison pour laquelle il garde l’éternel même mètre de distance avec son ami.