Tu en avais mis du temps, mais tu l’avais finalement fait. Après des mois et des mois à remettre tes recherches d’emplois au lendemain, tu avais fini par suivre les conseils d’Atlas et fait des démarches auprès des différentes écoles secondaires de la ville. L’année scolaire étant déjà bien entamée, tu n’avais pas été en mesure de te trouver un poste à temps plein, mais il y avait suffisamment de remplacements à faire ici et là pour te créer un horaire presque complet. Tu n’avais reçu que de bons commentaires depuis que tu avais commencé et tu flottais sur cet air de semi-confiance qui te laissait croire que pour une fois, juste une fois, tout pouvait bien aller pour toi. Tout n’était pas parfait, mais si tu devais comparer avec l’état dans lequel tu étais il y a à peine un an de cela, tu avais l’impression d’être à une bonne place. Plus stable, plus solide. Pour la première fois depuis trop longtemps, tu es assidue avec ta médication. Tu continues de voir ta psy à toutes les deux semaines. Tu acceptes presque l’absence de Kieran dans ta vie, si on oublie les soirs où tu perds trop de temps à regarder son numéro sur ton téléphone, à te demander si tu devrais ou non prendre de ces nouvelles. Tu as presque cédé hier soir, mais c’est plutôt à Joaquin que tu as écrit, lui offrant de te joindre pour un café ce matin avant de débuter la journée, ou plutôt pour finir la sienne, vu son horaire souvent imprévisible.

Tes doigts entourent une tasse de café brûlante lorsque tu aperçois la silhouette imposante du pompier, son casque de moto sous le bras. Tu n’as jamais fait de moto par le passé. Tu te demandes s’il accepterait de te laisser faire un tour avec lui, si tu lui demandais. Tu ne sais pas trop si tu peux te le permettre. Votre amitié est assez anecdotique et particulière, et si tu évites généralement de te poser trop de questions, simplement reconnaissante pour l’attention qu’il te porte sans t’harceler de questions sur le pourquoi du comment de votre première rencontre, tu n’es certainement pas au point de t’inviter contre lui pour une balade en moto. « Pardon, je m’étais endormi et j’ai failli louper l’heure! » La voix de Joaquin te sort de tes pensées et tu lui offres un sourire lorsqu’il vient prendre place devant toi. « Nuit occupée? » que tu lui demandes, toujours curieuse d’en entendre davantage sur les urgences sur lesquelles il est emmené à se rendre jour après jour. « Comment tu vas? » Si normalement tu redoutes toujours de répondre à cette question, aujourd’hui tu te sens confiante lorsque tu réponds « Ça va bien, excitée pour la journée. » C’est vrai, toi qui redoutais tant le jour où tu te retrouverais officiellement devant une classe, tu prenais un réel plaisir à finalement mettre tes connaissances à bon escient et devenir l’enseignante que tu avais toujours espéré être. « Tu enseignes où déjà? » « Je me promène pas mal en attendant d’avoir une classe à moi l’an prochain. Je suis à St. Anthony’s aujourd’hui. » Et pour une fois, tu enseignes l’anglais à ton groupe d’âge préféré, les 10e année. Pas trop vieux pour t’envoyer promener, pas trop jeunes pour avoir besoin qu’on les tienne par la main. L’âge parfait dans le système scolaire, à ton humble envie. « Si ça ne te dérange pas, je vais prendre du salé ce matin, j’ai une faim de loup! » Tu secours la tête à la négative. « Te gêne pas pour moi. Leur petit déjeuner classique est délicieux ici. » que tu lui conseilles et puis franchement, on ne peut jamais se tromper avec des œufs et du bacon pour commencer la journée. « Et toi comment tu vas? Tu bosses pas mal de ce temps-là? » que tu lui demandes, notant silencieusement les cernes prononcés sous ses yeux.

Elle te semble loin, cette Autumn qui craignait de prendre les devants et finalement faire bon usage de son diplôme. Celle qui craignait constamment de se planter devant une classe d’étudiants qui n’hésiteraient pas à se moquer d’elle, la renvoyant pile dans ses pires cauchemars de ses années secondaires. Tu ne dirais pas que tu avais été intimidé de manière particulièrement violente ou même de manière répétée, mais tu gardais en horreur les quelques commentaires qui avaient été fait à ton sujet, comme quoi tu étais trop sensible, trop intense, trop too much. C’était un brin ironique que tu choisisses de retourner dans les corridors d’une école secondaire une fois adulte, mais tu te sentais fin prête à changer les mauvais souvenirs par de nouveaux, de ceux où tu te savais désormais plus en contrôle, plus confortable aussi. Une question demeurait toutefois : combien de temps est-ce que cela durerait? Tu refuses toutefois de donner de l’importance à cette arrière-pensée qui n’est pourtant jamais bien loin, accordant plutôt ton attention à l’homme devant toi qui se commande à déjeuner, et tu enchaînes pour prendre la même chose que lui, jugeant que tu auras certainement besoin de l’énergie pour passer au travers de ta journée. « On a eu un feu de poubelle cette nuit, mais rien de bien grave… » Tu étais toujours rassurée d’entendre qu’il n’y avait pas eu d’urgence ou de catastrophe pendant l’un des quart de travail de Joaquin, même si ce n’était pas toujours le cas. « La nuit a été calme, j’en ai profité pour m’occuper de la paperasse que j’avais en retard. » Tu restais convaincue que la paperasse était préférable a un incendie, même si tu pouvais facilement t’imaginer que ça n’avait pas le même attrait pour ton ami qui avait choisi ce métier sans doute pour les risques et l’adrénaline qui y étaient associés. « J’espère que l’année passera vite pour toi en tout cas, parce qu’être envoyée à droite et à gauche ça peut être vite agaçant! Enfin, moi je le supporterais plus aujourd’hui! Toi t’es encore jeune! » Un rire t’échappe. « Tu parles comme si t’étais rendu à bout d’âge. » Tu ne sais pas si tu vas te tanner rapidement de ce rythme, où tu te retrouves à changer d’école au bout de quelques jours, peut-être quelques semaines si tu es chanceuse, mais pour l’instant, tu t’y plais et tu apprécies le défi que cela représente. « Je boss tout le temps, même quand je devrais pas. » Tu lui offres une moue qu’il saura très certainement déchiffrer. Ce n’est pas la première fois que tu lui dis qu’il travaille trop, il le dit lui-même, non pas qu’il semble ouvert à changer sa façon de faire. « Je dois organiser des ateliers d’informations et de préventions dans les divers établissements scolaires, j’ai pas encore eu le temps de me pencher dessus. » « Tu veux un peu d’aide? Parce que préparer des présentations, c’est un peu ce que je fais constamment. » que tu lui offres avec un large sourire. Certes, préparer une classe d’anglais et une présentation sur la prévention d’incendie, ce n’est pas exactement la même chose, mais tu ne doutes pas de ta capacité à traduire tes compétences d’un domaine à l’autre et de lui venir en aide et le dégager d’un poids, s’il t’en donne l’occasion. « Comment tu t’organises du coup? Ça marche comment? T’es envoyé dans une école pour quelques semaines? » Tu hoches doucement la tête, portant la tasse de café qu’on vient de déposer sur la table à tes lèvres, appréciant le goût amer du breuvage qui aidera sans aucun doute à te faire passer au travers de ta journée. « Ça peut être pour quelques jours ou pour quelques semaines, selon la raison du remplacement. Je privilégie les remplacements pour les cours d’anglais, mais je peux me retrouver à remplacer un prof d’art, ou de science. Science j’arrive à gérer, mais je sais que le jour où je vais devoir enseigner les maths à un groupe d’adolescent désintéressé, ça risque d’être plus difficile. » Tu en rigoles en ce moment, mais tu sais trop bien que si le jour venait à arriver, tu ne serais qu’une boule de stress à l’idée de devoir faire sens de concepts que tu ne comprenais pas si bien quand tu étais toi-même étudiante au secondaire. « Et si tout se passe bien, j’espère recevoir une offre d’une des écoles de la ville pour un poste permanent l’an prochain. La demande est présente, il suffit juste de faire mes preuves. » Et de ne pas laisser tes mauvaises habitudes – et tes démons – menés la danse.

Ce n’était qu’un déjeuner au passage. Un bref moment où vos vies venaient à se croiser. Lui a la fin d’une longue nuit de travail, toi avant de prendre le chemin de l’école pour une journée chargée à gérer toute une bande d’adolescents aux hormones dans le tapis. Tu avais appris à apprécier ces moments avec le pompier, cet homme qui était apparu de nul part, qui avait su répondre présent à un moment où tu t’étais sentie terriblement seule. Un moment de faiblesse, un point sombre dans une année qui avait été parsemé de hauts trop haut et de bas trop bas, une norme un peu trop persistante dans ton quotidien à ton goût. Tu ne sais pas ce que tu aurais fait, s’il n’était pas intervenu. Tu essayes de ne pas trop y penser, tu préfères croire que tu n’étais pas à un point de non-retour, mais malgré ce monologue incessant dans ta tête, il demeure cette envie de lui rendre la pareille d’une manière quelconque, ce sentiment que tu lui es redevable pour tes journées qui sont moins lourdes, ton quotidien qui est un peu plus clair en ce moment. Peut-être que c’est pour cela que tu lui offres ton aide. Peut-être que c’est parce que tu aimes passer du temps avec lui et que toutes les raisons sont bonnes pour le faire. « En parlant de faire tes preuves, peut-être qu’en me filant un coup de main, ça pourrait t’aider aussi! » Tu es persuadée que dans un cas comme dans l’autre, ça ne peut pas nuire. « Et oui Auty, je suis vieux, j’aime mon confort… » Il n’y avait pas beaucoup de gens qui risquaient à te donner un surnom, mais quelque chose dans la manière que Joaquin avait de dire Auty réussissait à te faire rougir, même quand c’était suivi d’un rappel très clair sur votre différence d’âge. « Dit le mec dont le boulot consiste à se lancer dans des situations plus dangereuses les unes des autres. » S’il est impossible de passer outre le fait que oui, Joaquin a bien un certain nombres d’années et de vécus de plus sur toi, il n’en demeure pas moins un homme attirant, au charisme certain et à l’effet dont tu n’es pas complètement insensible. Tu ris doucement de le voir savourer son déjeuner, enchaînant avec une bouchée de ton propre repas. « Si je dois aller sur le terrain, j’y vais, ça fait partie de mon métier. Mais les incendies de forêt comme on a eu ces dernières années… » « J’espère qu’on y échappera, cette année. » que tu soupires doucement, venant naturellement poser une main sur la sienne, tes doigts se liant temporairement avec les siens, dans un geste peut-être un peu trop personnel, mais qui te semblait approprié dans l’immédiat, mais que tu ne prolonges pas inutilement malgré l’envie de garder le contact. « Je peux pas imaginer les choses que tu as dû voir… » Les horreurs des dégâts laissés derrière des flammes ravageuses. Tu ne voulais pas penser à toutes les pertes, matérielles, animales et humaines que ces incendies avaient causés au fil des années, mais Joaquin lui, avait été sur la mire à chaque fois et tu ne pouvais que l’admirer un peu plus pour tout cela. « Ce que je veux dire, c’est que, ouais, t’es jeune. T’as encore un peu de temps devant toi avant que ça t’embête vraiment, perd pas espoir, j’suis sûr que tu auras un poste permanent! » Tu hoches la tête. Pour une rare fois, tu acceptes de prendre les choses comme elles viennent, sans t’encombrer du passé ou te projeter trop loin dans l’avenir. « Je suis pas inquiète. J’aime ce que je fais pour le moment, et ça m’a pris du temps pour en arriver là. » Beaucoup de temps, de détours et de travail acharné, mais au bout du compte, comme on te l’avait dit: ça en valait grandement la peine. « Tu sais que tu peux me joindre à n’importe quel moment de la journée? » Il n’hésitait jamais à te le rappeler, quand bien même son horaire était déjà souvent bien trop plein, il s’assurait toujours de t’y faire une place et cette attention là, elle suffisait à faire battre ton cœur un peu plus rapidement. « Tu passes ton temps à me le rappeler, ce serait difficile d’oublier. » que tu le taquines alors que ton cœur s’emballe un peu plus lorsque vos mains se lient à nouveau. « Et j’apprécie vraiment, mais je veux pas que tu t’en fasses pour moi. Je suis pas du tout à la même place que lorsqu’on s’est rencontré… » Ton moral est bon. Ton humeur est stable, ou du moins, aussi stable que possible avec ta médication et un suivi plus ou moins rapproché. « J’veux pas être une responsabilité de plus sur ta liste. Si je te contacte, c’est que j’ai envie de te parler et de te voir, et j’espère que c’est la même chose de ton côté. » Peut-être bien que tu avais besoin de l’entendre te dire que tu n’étais pas qu’un cas de charité aux yeux du charismatique pompier.

« Pourquoi tu ne serais qu’une responsabilité? » La question te surprend alors qu’elle ne devrait pas. C’est toi qui viens de l’insinuer après tout. Pourtant, d’entendre Joaquin remettre ce fait en question comme si ce n’était pas un acquis te pousse à prendre une pause, à bien réfléchir avant d’ouvrir la bouche à nouveau. Ça fait longtemps que tu te sens comme ça: comme une responsabilité dans la vie de tes proches, une personne dont la santé mentale doit être vérifier de manière périodique pour assurer qu’il n’y ait pas de débordements. Tes parents d’abord, avec qui les conversations sont souvent tout ce qu’il y a de plus superficielles, ton frère aussi, éternel protecteur mais de qui tu te sens complètement déconnectée depuis quelques années maintenant, l’impression de n’être qu’un check-list de symptômes à cocher à ses yeux persistant dans le temps. Will est parti, il a quitté le pays, se dérobant de toute responsabilité envers toi avant que tu n’en deviennes une pour de vraie dans sa vie et Kieran. Kieran… c’est trop compliqué pour tenter d’expliquer ce qui en est, trop compliqué de démêler qui a trop longtemps été la responsabilité de qui quand vos vies et vos malheurs semblent s’être entremêlés de la plus sournoise des façons, ne laissant derrière que des fragments de votre histoire, et des morceaux plus brisés que jamais de ton cœur. Ton cœur encore si fragile, ton estime encore à bâtir quand tu crains d’être maudite à répéter constamment les mêmes schémas toxiques dans toutes tes relations. Ton silence est la seule réponse que tu offres momentanément à Joaquin, les pensées tourbillonnant dans tous les sens dans ton esprit. « J’suis toujours très content de te voir Auty. » Ce serait mentir de dire que ça ne te fait pas plaisir de l’entendre, que tes joues ne prennent pas un peu de rose sous le compliment et le regard intense du pompier sur ta personne. « Moi aussi Quino, vraiment. » Il t’avait dit une fois, que seulement ses proches et sa famille le surnommait ainsi, mais il ne t’avait pas repris la première fois que le surnom avait quitté tes lèvres et depuis, il te venait naturellement. « Sinon, je passerais pas autant de temps avec toi… » Tu le sais bien et pourtant, tu n’arrêtes pas à faire taire le doute dans ta tête qui tente de te faire croire que quiconque est dans ta vie ne l’est que pour des raisons douteuses, et sans doute déraisonnables. « Arrête de te poser ce genre de questions. Certes, je t’ai rencontré dans un moment compliqué de ta vie, mais je pense qu’on a dépassé ce stade depuis un moment. » « Ça arrête jamais là-dedans. » que tu tentes sur un ton humoristique, tes doigts venant tapoter légèrement contre ton crâne. « Je t’ai déjà donné l’impression que t’étais seulement un point sur une liste? » « Non, non. Pas vraiment du moins, c’est moi qui vit avec cette sensation constamment, avec tout le monde. » que tu lui avoues avec une petite voix, le regard désormais visé dans le fond de ta tasse de café. « Quand tu m’as rencontré, c’était pas la première fois que je vivais une période difficile… » Ce n’est pas quelque chose que tu pensais aborder avec lui ce matin, et pourtant, il y a quelque chose de drôlement réconfortant chez l’homme qui te permet de t’ouvrir avec un peu plus de sérénité. « La première fois, ça a mal fini. J’ai passé quelque temps à l’hôpital et disons que depuis, tout le monde cherche à me protéger de moi-même, mais surtout à s’assurer que je vais bien sans vraiment vouloir autre chose de moi. » Et tu ne veux pas, n’être qu’un point sur une liste, ou un poids sur les épaules de quiconque. « Je suis plus que mon trouble ou mes problèmes. Plus que mes erreurs et mon passé. » Tu veux qu’on veuille de toi comme toi tu as envie des autres, pour des connexions sincères et intéressantes, pour créer des relations épanouissantes d’un côté comme de l’autre. Et peut-être que c’est beaucoup à mettre sur les épaules de Joaquin, surtout comme ça, tout bonnement un simple matin de semaine, mais au fond de toi, tu espères qu’il comprendra et surtout, qu’il saura exactement quoi dire pour chasser tous tes doutes et faire taire la petite voix dans ta tête.

Tu n’avais pas prévu que ce café de bon matin se transforme en un tel cœur à cœur. Joaquin et toi aviez appris à vous connaître assez bien au fil des derniers mois, mais étonnamment, tu n’étais jamais entrée dans les détails les plus tordus et sordides de ton passif. Peut-être que ça avait été une façon comme une autre de te protéger, de vouloir protéger ton image déjà fragile aux yeux du pompier, lui qui aurait toutes les raisons du monde de te voir comme une cause à sauver plutôt qu’une amie. Mais jamais il n’avait agi comme si tu n’étais qu’une obligation de plus sur sa liste, il avait toujours répondu présent pour toi quand tu avais eu besoin de lui, agissant comme un ami le ferait. Et c’était ce qu’il était devenu au fil du temps finalement, un ami, ou du moins, c’est ainsi que tu avais envie de le considérer à tout le moins. Tu réalisais peu à peu que tu pensais de plus en plus à Joaquin. Qu’il avait tendance à incruster tes pensées à plusieurs reprises au cours de la journée, que tu te retrouvais souvent à te dire que tu aimerais partager les petites choses de ton quotidien avec lui. Un air de surprise s’installe sur ton visage alors qu’il se lève soudainement, choisissant de venir s’installer à tes côtés. Ton cœur s’emballe de manière inattendue lorsqu’il passe un bras autour de tes épaules avant de te ramener contre lui. Quand tu sens ses lèvres se poser contre ton front, tu te demandes si tu n’es pas en train d’imaginer tout de ce moment. « Nos erreurs passées ne nous définissent pas, on peut toujours changer Auty… » Ça, c’est un discours duquel tu as de la difficulté à te convaincre. Éternellement persuadée que tu ne saurais jamais être plus que tes pires moments, que tes pires erreurs. « Tu es une jeune femme formidable avec beaucoup de volonté. Tu as décidé de prendre ta vie en main, de soigner ce trouble, ces problèmes comme tu les appels et d’avancer. » Tu l’as décidé ou tu as été forcé? Parfois, c’est difficile à dire. La vérité c’est que le chemin a été compliqué, parsemé de réussites et d’échecs, mais ce serait mentir de dire que tu n’es pas à ton meilleur dernièrement et c’est quelque chose dont tu devrais être fière. « Tu avances, à ton rythme. Tu évolues. Tu cherches de la stabilité et tu réussis ce que tu entreprends. » « Ça n’a pas toujours été le cas. Je me suis perdue en chemin souvent avant d’être enfin où j’en suis. » Et le risque que tu retombes une fois encore était grand, tu te connaissais assez pour savoir que tu n’étais jamais à l’abri de tes propres émotions, de tes propres triggers et c’était un travail constant que de ne pas t’auto-saboter. Ton regard s’attarde plus longuement sur celui de Joaquin, et tu ressens un drôle de manque lorsqu’il enlève son bras d’autour de toi. « Et puis, si tu sens que tu perds pied, je serais là. On a tous besoin d’une épaule, d’un soutien ou de plusieurs d’ailleurs… » Une légère grimace s’installe sur ton visage à ses mots alors que tu le regardes prendre une nouvelle bouchée de son déjeuner. « Demander de l’aide ça n’a jamais été ma force. » Non, tu es bien plus le genre à te mettre la tête dans le sable, à laisser les problèmes s’empiler autour de toi jusqu’à ce que tout n’éclate. « C’est aussi ça qui nous fait avancer. Quoi qu’il en soit, et c’est sûrement maladroit, je pense que tout le monde agit comme ça parce qu’ils s’inquiètent, parce que tu comptes pour eux. »Tu soupires légèrement. Tu sais au fond qu’il a sûrement raison. Que ce que tu perçois comme étant des interactions malaisantes et pleines de sous-entendues étaient sans doute rien de plus que de l’inquiétude de ta famille et de tes proches, de ceux qui ne savaient peut-être pas comment te faire comprendre que tu comptais pour eux comme tu avais besoin de l’entendre. Comme Joaquin venait précisément de le faire pour toi sans même que tu n’aies besoin de dire ou de faire quoique ce soit. « Tiens, ça c’est le meilleur réconfortant qui existe au monde. » Un rire t’échappe alors que tu attrapes le morceau de pain offert par le pompier. La bouchée est réconfortante, exactement comme il te l’avait dit, mais loin d’être aussi réconfortante que sa présence pouvait l’être. « Merci Quino. Pour ça. » que tu dis en pointant son assiette. « Et pour tout le reste aussi. Merci d’être là pour moi. » Tu lui devais beaucoup à Joaquin, et tu ne pouvais qu’espérer qu’il savait à quel point tu étais reconnaissante pour sa présence dans ta vie. « J’espère que tu sais que tu peux toujours compter sur moi aussi, pour quoique ce soit. » Tu n’étais pas certaine de ce que tu avais réellement à lui offrir, mais au fond de toi, tu voulais être importante pour lui autant qu’il était devenu essentiel pour toi.

Tu as l’impression qu’il y a un poids qui vient d’être retiré de tes épaules, simplement après avoir été vraie et honnête avec Joaquin. Certes, tu n’es pas entrée dans les détails sordides de ton passé, tu n’as pas parler en profondeur de tes troubles, de la dépression qui n’est jamais complètement guérie, de cette tendance que tu as d’auto-saboter chaque bonne chose que tu dis construit dans ta vie, mais tu as cette bonne impression que même si tu lui avais tout dit, il ne se serait pas enfui en courant. Cette proximité nouvelle avec le pompier te rend plus nerveuse que tu ne voudrais l’admettre. Tu apprécies un peu trop la manière dont sa main se repose contre ton épaule, la chaleur qui émane de sa personne et le fait que tu peux pratiquement sentir son souffle contre ton visage avec chaque nouvelle respiration qu’il prend. Il est proche et soudainement pas assez à ton goût, tu en perds presque ton fil d’idée. Il te sort de tes rêveries avec une bouchée d’œufs et de bacon, reconnaissante pour la distraction. « Je n’en doute pas! » Ça te soulage de l’entendre. Tu as certainement besoin d’être rassurée un peu trop, mais c’est important pour toi que cette amitié ne soit pas à sens unique, de ne pas être le seul à recevoir des avantages de tout cela. « D’ailleurs, si t’es libre demain, t’as qu’à passé à la caserne et on regardera pour l’organisation des ateliers avec les écoles. Et oui madame, j’ai pas oublié! » Un rire t’échappe, ça te faisait  plaisir de savoir qu’il allait accepté ton offre de lui venir en aide avec les ateliers. « Je peux passer après l’école, vers 16h, ça t’irait? » que tu lui proposes, de nouveaux papillons s’installant dans le fond de ton ventre à l’idée de le revoir si vite. Si vous étiez normalement en contact de manière assez fréquente, il était plutôt rare que tu sois emmenée à le voir plus d’une fois par semaine, encore moins deux jours de suite. « À quelle heure tu dois partir? J’vais me redemander une tasse de café. » Un simple coup d’œil porté sur ton téléphone te rappelle qu’il ne te reste qu’une heure avant le début des classes et tu as encore quelques préparations à finaliser avant d’être prête à accueillir tes élèves. « Je vais devoir filer, j’ai des trucs à finir avant le début de la journée. » que tu lui annonces à contre-cœur. « Mais je passe te voir demain. Merci pour le petit déjeuner Quino, ça m’a fait plaisir de te voir. » Et dans un geste nouveau, profitant sans aucun doute de votre proximité nouvelle pour venir déposer un baiser contre sa joue. Tu lui offres un dernier sourire avant de te lever et tu lui fais un signe de la main avant de quitter le café, te sentant comme une adolescente qui se découvre un premier crush.