@Greta Moore

Il y a sans doute quelque chose d’ironique à avoir passé un peu de temps dans ce même lieu avec Arthur il n’y a de ça pas si longtemps. Une part de son subconscient se soupçonne de l’avoir fait exprès en proposant à Greta une soirée dans le même endroit, et il ne tente même pas de la combattre alors qu’il s’assoit sur l’exacte même chaise qui l’avait accueillie au moment de rattraper le temps perdu auprès de son ami anglais. Il en fera de même avec son amie anglaise, prenant par la même occasion la peine de lui demander où en est sa relation avec Arthur, entre haine et amour. Pour eux deux, la frontière est particulièrement fine et c’est justement l’idée même qu’ils passent de l’un à l’autre en un rien de temps qui pousse Swann à suivre l’avancée de leur histoire de près. Ça, et le fait qu’il soit curieux de nature, surtout en ce qui concerne deux amis qu’il connaît depuis toujours ou presque.

Ce soir au moins, la musique au Club de Jazz est proposée par un groupe différent et cela lui offre une distraction plaisante en même temps qu’il attend son ami près du bar, un verre de soft à la main pour tuer le temps. Il prendra sans doute un cocktail en sa compagnie sans aller plus loin, maigre amateur d’alcool qu’il est. Surtout, il a promis à Rory de ne pas rentrer tard pour profiter un maximum de lui avant son départ pour New York, promesse qu’il compte bien respecter et dont il a d’ailleurs informé Greta: il ne l’embêtera pas longtemps, c’est promis. « Tu sais que les néons de ce bar te vont particulièrement bien au teint ? Tu es ravissante. » Les mots sont une blague mais il n’en pense pas moins, embrassant rapidement la joue de la blonde à peine arrivée près de lui. En guise de salutations, il ne sait guère se montrer plus froid. « J’ai entendu dire que ton livre allait être adapté au cinéma, félicitations. » Sans doute qu’une part de lui est un peu déçue qu’ils n’aient pas pensé à Rory pour le rôle principal, parce que les acteurs australiens à la carrure cohérente d’un joueur de rugby ne courent pas les rues, mais puisqu’il a appris que le rôle principal était finalement une femme, il n’a pas réellement hâte de connaître tous les autres changements incongrus qui ont été pensés. Mais cela reste une bonne chose pour Greta, que le livre qu’elle a écrit soit adapté aussi rapidement sur grand écran et dans les salles obscures. « On peut dire que cette soirée nous sert à fêter ça. C’est une bonne excuse à mon sens. » Assez pour enfin commander un cocktail, ce qu’il fait sans plus tarder maintenant que son amie est à ses côtés.

« Je suis heureux que tu aies fini avec cette tournée de promotion, j’ai l’impression de ne pas avoir eu le temps de te voir depuis trop longtemps. » L’heure est à rattraper le temps perdu, de toute évidence, et il avance cette idée avec un sourire chaleureux ne laissant pas de place au moindre sous-entendu. Il a lui aussi été particulièrement occupé ces derniers temps, entre l’adoption de Robin, le mariage et les préparatifs de son cabinet de kinésithérapeute qu’il s’apprête enfin à ouvrir au premier octobre. Il voudrait bien dire que tout se calmera ensuite mais puisque Rory retourne sur les plateaux de tournage et qu’il s’occupera donc de leur fille la majorité du temps, ce serait un mensonge naïf. Néanmoins, tout est pour le meilleur, alors il ne pense pas à s’en plaindre un seul instant. « Tout s’est bien passé au mariage ? Laisse moi rattraper petit à petit. » Il commence donc par la dernière fois où il l’a croisée, alors: à son propre mariage.

Greta avait tiqué lorsqu’il lui avait proposé d’aller à un festival de Jazz parce que cela lui avait forcément fait penser à Lucas. Penser à lui la mettait face à ses propres contradictions et ce sentiment de l’avoir trahi ne la quittait pas. Pourtant, elle était persuadée qu’être honnête était la meilleure chose à faire. Elle avait douté de ses sentiments naissants lors de leur première dispute et Arthur était venu mettre une barrière définitive entre elle et tout ce qu’elle aurait pu ressentir pour Lucas. Elle était consciente de peut-être rater quelque chose mais elle refusait de prendre le risque de souffrir à nouveau ou, pire, de faire souffrir Lucas comme cela avait été le cas pour elle. « Tu sais que les néons de ce bar te vont particulièrement bien au teint ? Tu es ravissante. » En quelques minutes déjà il l’avait fait rire et elle avait tendu sa joue pour recevoir le baiser qu’il avait coutume de déposer dessus pour la saluer. « Vous me flattez, monsieur Craine. » La véritable question était de savoir pourquoi, car si Swann ne savait être autre chose qu’adorable, ce côté pompeux laissait présager quelque chose.  « J’ai entendu dire que ton livre allait être adapté au cinéma, félicitations. » Elle admirait sa capacité à suivre les péripéties de ses proches et à leur accorder autant de crédit, que les accomplissements soient infimes ou importants. « C’est gentil, Swann. » avait-elle commencé en lui adressant un sourire sincère. « Mais je n’y suis pour rien, je n’ai fait que donner mon accord et depuis, ça me dépasse un peu. » Elle était restée éloignée de ce projet-là, ses derniers entretiens avec Rhett avaient été houleux et il avait été plutôt clair quant au fait qu’il n’avait besoin que de son accord pour se charger du reste. Parfois, elle regrettait qu’ils en soient restés là mais si Nine était resté distant, elle avait tout de même réussi à trouver une amie auprès d’Evelyn.  « On peut dire que cette soirée nous sert à fêter ça. C’est une bonne excuse à mon sens. » Elle aurait pu simplement acquiescer si le revoir ne lui donnait pas à son tour l’envie de plaisanter. « Parce qu’il te faut une excuse pour passer du temps avec moi ? » Greta avait tourné un visage faussement outré vers son ami et ils avaient partagé un rire.

Ils étaient occupés, notamment Swann qui profitait probablement encore du nuage sur lequel il flottait depuis le mariage et devait encore faire ses preuves dans le métier le plus difficile possible, celui de père.  « Je suis heureux que tu aies fini avec cette tournée de promotion, j’ai l’impression de ne pas avoir eu le temps de te voir depuis trop longtemps. » La blonde avait souri avant d'acquiescer, cette période de promotion n’avait effectivement pas été de tout repos et elle avait négligé bien des aspects de sa vie. Le projet en valait la peine. « J’ai vraiment cru que ça ne finirait jamais, tu sais que je donne encore des interviews ? » avait-elle dit en haussant les sourcils, encore étonnée de cette entrevue avec Blake Aldridge. « Je m’attendais pas à un tel succès. Je l’espérais, bien sûr, mais je suis agréablement surprise. » Et ce qui la surprenait encore plus, c’était l’enthousiasme non feint dont elle faisait preuve. « Mais je ne suis pas la seule qui était occupée… Comment va ta petite famille ? » Les mots choisis étaient volontairement niais, parce que Swann réussissait à redonner de sa superbe à cet adjectif. Il respirait la joie de vivre et Greta profitait de leurs moments à deux pour tenter de lui emprunter le même état d’esprit même si cela ne durait qu’un temps.  « Tout s’est bien passé au mariage ? Laisse moi rattraper petit à petit. » Un sourire s’était instantanément dessiné sur son visage même si le souvenir de l’évenement était pollué par un autre. « Le mariage était superbe mais avec Evelyn aux commandes, rien d’étonnant. Je m’attendais à quelque chose de grandiose mais elle a quand même réussi à me surprendre… » Greta repensait à la décoration, aux repas et aux animations avec déjà une petite pointe de nostalgie, peu sûre de la prochaine occasion qu’elle aurait de voir l’un de ses amis se marier. « Vous avez réussi à profiter un peu ou le stress à pris le dessus ? » Leur première danse avait été incroyablement émouvante à regarder mais il y avait fort à parier que leur moment à deux ait pu être pollué par l’angoisse que tout se passe bien. Greta connaissait assez Swann pour savoir qu’il n’avait rien voulu laisser au hasard pour ce jour-là, en témoignait la façon dont il était apparu sur la terrasse lorsque ses deux amis anglais y étaient. Elle ne croyait pas en la coïncidence, peu importe ce qu’il en dirait. « Et maintenant vu que la subtilité est loin d’être ta principale qualité, pose moi les vraies questions et j’essaierai de t’y répondre. » L’écrivaine avait exercé un rapide signe de la main pour que le serveur prenne leur commande et leur serve afin de pouvoir se concentrer sur leur discussion. Ils avaient parlé du mariage au téléphone et elle savait que la revoir était surtout l’occasion de faire le point sur ce qu’il avait vu, ils avaient été surpris comme deux enfants la main dans un sac de bonbons et elle ne doutait pas qu’il lui demanderait des comptes. Après tout, il était la personne la mieux placée pour oser évoquer les retrouvailles d’un duo qu’il avait vu naître dès les prémices.

« Parce qu’il te faut une excuse pour passer du temps avec moi ? » Evidemment, non, mais si cela ne tenait qu’à lui il voudrait passer tout son temps avec ses amis. Tout comme il voudrait profiter de chaque seconde auprès de son mari, et auprès de sa fille, et à son travail qui le passionne tant. Définitivement, vingt-quatre heures ne sont pas assez dans une seule journée. « Je dois rendre des comptes à Rory, tu comprends. » Il reprend avec le même sourire, preuve qu’il n’existe aucune once de vérité derrière ces quelques mots: Rory n’est même pas du genre jaloux, et il l’est certainement d’autant moins auprès d’amis de Swann qu’il connaît personnellement. Sans doute que l’anglais ne serait pas capable de se rendre compte qu’on le drague, c’est un fait, mais puisque cela ne l’intéresserait de toute façon pas alors personne n’a à s’en faire.

Sa première question se porte sur Greta, évidemment, parce qu’il a à cœur de savoir comment elle se porte depuis leur dernière rencontre. Il n’est pas le plus doué qui soit pour garder véritablement contact par message, raison pour laquelle il se rattrape de vive voix dès qu’il en a l’occasion, comme en cet instant même. « J’ai vraiment cru que ça ne finirait jamais, tu sais que je donne encore des interviews ? Je m’attendais pas à un tel succès. Je l’espérais, bien sûr, mais je suis agréablement surprise. » Il sourit un peu plus encore, heureux pour elle. Greta mérite d’être reconnue en son propre nom, pour la personne qu’elle est et non pour l’aura de sa famille. Enfin, cela semble se concrétiser, et elle mérite chaque seconde de ce moment. « Je suis heureux pour toi. » Il aurait détesté recevoir tout l’attention qu’est la sienne depuis plusieurs mois mais il n’a aucun mal à comprendre que tout le monde est fait d’un bois différent: si tel est ce qui la rend heureuse alors oui, il dit à son tour qu’il est heureux pour elle, sans retenue ni langue de bois.

« Mais je ne suis pas la seule qui était occupée… Comment va ta petite famille ? » Il affiche un sourire ému, pas encore habitué à ce que le terme de “famille” puisse être associé à son mari et à sa fille. Ils n’étaient que deux il y a quelques mois de ça encore. « Tout le monde va bien. On a profité de Robin avant de reprendre le travail, tous les deux. » Rory n’a jamais cessé d’avoir des rendez-vous ici et là mais il n’y avait rien de comparable avec un tournage. Il en reprendra un très bientôt, d’ailleurs, mais le secret a été imposé à Swann et il ne le trahira pas: Greta l’apprendra en temps voulu, elle sait sûrement ce que c’est. Lui s’apprête à ouvrir son cabinet au début du mois d’octobre, ce qui lui permettra de renouer avec son métier-passion après de nombreux mois sans l’exercer. Il a besoin de se sentir utile pour être heureux, le couple n’ayant en réalité pas besoin qu’il travaille pour arriver à boucler les fins de mois. Le métier de Rory leur assure un certain confort à ce niveau-là, sans surprise. « Le mariage était superbe mais avec Evelyn aux commandes, rien d’étonnant. Je m’attendais à quelque chose de grandiose mais elle a quand même réussi à me surprendre… » Leur wedding planner a effectivement fait un travail minutieux et parfaitement conforme aux attentes du couple, ce qui les a poussés à la remercier chaleureusement une fois la cérémonie passée. Elle a donné beaucoup de son temps et s’est sans doute arrachée quelques cheveux au passage, mais ils sont heureux qu’elle ait accepté une dernière fois d’organiser un mariage avant de rendre le tablier. « Elle nous a sauvé. On se serait perdu dans tous les préparatifs, sinon, je crois. » A vouloir que tout soit absolument parfait, ils auraient sans nul doute oublié de nombreux aspects de la cérémonie. Elle s’est assurée que cela n’arrive pas. « Vous avez réussi à profiter un peu ou le stress à pris le dessus ? » Il répond dans un premier temps avec un sourire coupable. Ils étaient stressés, ils étaient heureux. Les deux à la fois, dans une douce alchimie qui l’a rendu plus heureux et fier que jamais. « Je vais pas te mentir, on s’est échappés pendant une heure à un moment donné. » A posteriori, il avoue les faits. Ils ont couché Robin ensemble, et ils en ont aussi profité pour passer un peu de temps ensemble, blottis dans les bras l’un de l’autre, à s’assurer que tout se passe bien pour leur mari. « Je suis reconnaissant qu’autant de monde ait fait le déplacement, mais c’était pas de tout repos. » Surtout alors que sa propre mère est venue depuis Londres et qu’elle seule a le don de lui demander autant de patience et d’énergie. « Mais c’était parfait. » Il ajoute tout de même, soucieux qu’elle ne pense pas qu’il puisse regretter quoi que ce soit: ce n’est pas le cas. Cette journée était magique, et il est plus que jamais heureux d’avoir épousé l’homme qu’il aime.

« Et maintenant vu que la subtilité est loin d’être ta principale qualité, pose moi les vraies questions et j’essaierai de t’y répondre. » Il sourit un peu plus fermement, ses paroles attendant la fin du passage du serveur pour s’élever entre eux. L’anglais demande un cocktail et un verre d’eau, conscient de son incapacité à tenir l’alcool. « Comment va Arthur ? » Elle lui a demandé comment allait Rory parce qu’elle sait très bien qu’il a de ses nouvelles, alors il se permet d’en faire de même en retour, parce que Swann sait qu’elle a des nouvelles de leur ami commun. Après un court instant, il précise. « Je sais que vous avez fêté son anniversaire ensemble.» Il n’accuse pas, loin de là: il se contente de poser cartes sur tables.

« Je dois rendre des comptes à Rory, tu comprends. » « Evidemment. » avait-elle répondu en laissant quelques minutes avant de se décider à rire. Il était si agréable de pouvoir utiliser l’ironie de cette façon concernant sa relation parce que cela prouver qu’il n’y avait aucun doute à avoir. Ils pouvaient rire d’une hypothétique jalousie ou d’un Rory qui semblerait tenir les rennes de la vie de Swann parce qu’il n’en était rien. Greta ne connaissait pas Rory aussi bien qu’elle connaissait son ami mais ce qu’elle savait était juste assez pour justifier les larmes qui perlaient au coin de ses yeux durant le jour J. « Je suis heureux pour toi. » La blonde s’était tournée vers lui pour le remercier à l’aide d’un sourire extrêmement sincère. Il était de ceux dont elle ne doutait jamais de l’honnêteté et le voir se réjouir de sa réussite lui procurait un sentiment de plénitude qu’elle avait bien du mal à ressentir ces jours-ci, l’esprit embrumé par tout un tas de choses annexes. Ce soir pourtant, son esprit était bien présent et elle comptait profiter de ce moment avec lui. « Tout le monde va bien. On a profité de Robin avant de reprendre le travail, tous les deux. » Savoir que le petit trio se portait bien avait amené un sourire sur le visage de la blonde. « Pas trop difficile de laisser ce petit bout toute la journée ? » avait-elle demandé, le front plissé, réellement concernée par ce que pouvait bien ressentir ce nouveau papa à l’idée de laisser son enfant pour travailler. Greta savait combien Swann s’épanouissait à tous les niveaux et que son travail était un point de plus à la liste de ses réussites personnelles, pourtant, il était évident que Robin passait au premier plan. « Comment avancent les démarches pour le cabinet ? » En posant la question, elle réalisait avoir peut-être manqué certains chapitres mais elle se félicitait d’être au courant de cette grande étape. Swann avait réussi, réellement, non pas en racontant l’histoire de quelqu’un d’autre mais bel et bien la sienne et le détachement de Greta pour sa proximité avec la célébrité lui permettait de garder les pieds sur terre. Elle l’espérait et c’était du moins ce qu’elle pensait en étant presque plus enthousiasmée par la carrière de kinésithérapeute de l’anglais que par la façon dont elle s’était retrouvée à nouveau sous les projecteurs. Plus qu’un accomplissement, cela lui faisait courir le risque de vivre tout ce qu’elle avait fui en quittant Londres et ce sentiment ne la quittait pas. Au final, elle admirait Swann d’avoir su garder le cap en se mariant lui-même à un Rory dont la réputation n’était plus à faire. Et ce mariage ressemblait à tout ce dont ils auraient pu rêver lorsqu’ils vivaient dans la capitale. « Elle nous a sauvé. On se serait perdu dans tous les préparatifs, sinon, je crois. » En guise de réponse, Greta avait ri légèrement, elle ne pouvait qu’imaginer le travail et les heures nécéssaires à préparer un tel événement. Evelyn avait pu leur épargner une grande dose de nervosité, pourtant, tant de détails s’accumulaient qu’il devait être difficile de profiter pleinement de l’instant. « Je vais pas te mentir, on s’est échappés pendant une heure à un moment donné. » Ses yeux s’étaient écarquillés et elle avait pouffé comme une adolescente. « Même pas attendre la nuit de noces officielle, c’est moche Swann. » Ils avaient échangé un rire complice avant que le jeune marié ne continue à se confier sur son ressenti, et Greta aurait pu l’écouter parler du plus beau jour de sa vie durant des heures. « Je suis reconnaissant qu’autant de monde ait fait le déplacement, mais c’était pas de tout repos. » Peu importe où elle s’était trouvée ce jour-là, il était évidnet que l’écrivaine n’aurait manqué ça pour rien au monde. « Mais c’était parfait. »  « Ca l’était. » avait-elle confirmé, pour que ce sentiment de perfection vienne durer et être amplifié par les échos de son entourage. Le mariage avait été parfait pour Rory et Swann les principaux intéressés mais aussi pour les invités et elle était sûre de combien cela comptait tout autant pour lui.

Le sujet du mariage était le plus beau qu’ils avaient eu l’occasion d’évoquer depuis un grand nombre d’années, pourtant, il cachait un tout autre sujet, bien plus compliqué. Greta le savait alors elle avait anticipé comme si cela rendrait la discussion moins difficile. A en juger par le cocktail qu’il avait pris soin de lui commander, la suite promettait. « Comment va Arthur ? » La question l’avait tout de même déstabilisée, le prénom seul ayant toujours le même effet sur elle. « Je sais que vous avez fêté son anniversaire ensemble.» Et la question était de savoir si Arthur s’était empressé de le raconter à son meilleur ami ou si là aussi Swann avait fait en sorte d’être au courant. « Nous y voilà… » avait-elle commencé. « Il en a parlé de lui-même ? » Et la discussion serait encore plus délicate à mener si Greta commençait déjà à montrer combien les réactions d’Arthur lui importaient. L’avantage avec Swann était qu’elle n’avait de crainte d’être jugée ni même de devoir contenir ses émotions, sa curiosité n’ayant rien de mal placé. « Je saurais pas te dire comment il va, je peux simplement te dire que j’aimerais savoir qu’il va bien. » Ses yeux bleus avaient trouvé ceux de Swann comme si elle désirait plus que tout qu’il y lise ce qu’elle ressentait si cela permettait que leur ami commun puisse mettre les mots sur ce qui était en train de se passer.

« Pas trop difficile de laisser ce petit bout toute la journée ? » Il sourit, le visage de sa fille ancré dans son esprit. Elle la prunelle de leurs yeux, évidemment. Leur petit miracle. « Rory en a déjà un peu l’habitude, il s’absente quelques heures par ci par là. » Ce qui n’est pas un reproche qu’il lui fait là et bien au contraire: c’est sans doute une bonne chose que Rory n’ait jamais réellement cessé d’avoir des rendez-vous, ou du moins qu’il ait recommencé rapidement à s’y rendre, parce que comme ça au moins il n’a jamais pris les mêmes habitudes que Swann. « Mais je suis resté avec elle depuis tout ce temps alors j’appréhende un peu. » Il a ses habitudes auprès d’elle, elle a ses habitudes auprès de lui, et il ne veut pas chambouler son quotidien alors qu’elle a déjà connu le changement drastique d’un abandon puis d’une adoption. Il s’en voudrait terriblement qu’elle ait à nouveau l’impression d’être laissée pour compte alors que ce n’est évidemment pas le cas. « Comment avancent les démarches pour le cabinet ? » - « J’ai hâte de bientôt reprendre le travail. » En d’autres termes, tout avance à son rythme, ce qui lui permet de caresser l’idée d’une ouverture très prochaine du cabinet. Laisser Robin lui provoque un pincement au cœur mais il sait que c’est pour le mieux, pour leur fille autant que pour lui-même qui a besoin de ce travail pour se sentir utile et, de fait, entier.

Elle écarquille les yeux et rougit presque comme une adolescente, ce qui fait rapidement se demander à Swann ce qu’il a bien pu dire d’aussi énorme. Rapidement, pourtant, elle éclaire le fond de sa pensée et il en sourit avec amusement. « Même pas attendre la nuit de noces officielle, c’est moche Swann. » Le sourire est entendu entre les deux amis et la touche d’humour ne fait pas de mal, Swann étant bien incapable de se braquer pour si peu, même s’il n’est pas le premier à s’épancher dans les détails de sa vie de couple et bien loin de là. « On a évidemment attendu le mariage avant de tenter quoi que ce soit, tu te doutes. » Ils n’ont pas attendu, évidemment, et c’est surtout de ça dont elle peut se douter, le sourire amusé de l’anglais trahissant la moindre once de sérieux dans ses paroles. Elles en sont dénuées, mais elles lui permettent au moins de ne pas préciser ce qu’ils ont fait pendant ce moment-là, temporairement éclipsés de leur propre mariage.

Néanmoins, Swann n’a aucun mal à avouer qu’il n’a pas proposé à son amie de se voir uniquement pour parler de la pluie et du beau temps. Il y a de ça, évidemment, mais il y a aussi le sujet Arthur qu’il souhaite aborder, pour obtenir sa version des faits. Non qu’il soit question de comptes à rendre, loin de là, mais Swann souhaite s’assurer que tout se passe bien entre eux cette fois-ci. « Nous y voilà… Il en a parlé de lui-même ? » - « Plus ou moins. » Il doit bien avouer lui avoir tiré les vers du nez, mais il connaît assez Coventry pour savoir que ce dernier se serait muré dans le silence s’il l’avait vraiment voulu. « Je saurais pas te dire comment il va, je peux simplement te dire que j’aimerais savoir qu’il va bien. » Les mots sont cryptiques, il ne va pas mentir, mais il fait de son mieux pour en tirer le plus d’informations que possible, autant sur ce qu’elle en pense que sur l’avis qu’elle a au sujet de leur ami en commun. « Je pense qu’il va mieux. C’est pas un état stable et je pense que c’est pas facile pour lui non plus, mais il fait vraiment des efforts. » Il extrapole à son tour grâce à leur dernière discussion et grâce à ce qu’il connaît de son ami aussi, pour l’avoir vu au plus bas et à de nombreux autres moments peu glorieux encore. « Et je pense aussi que ça lui fait du bien de te voir un peu. » Il est ce qu’il est, il n’est pas de tout repos et être en couple avec lui ne doit pas être simple tous les jours, Swann le sait et jamais il n’imposera à Greta de rester à ses côtés uniquement parce que cela aide Arthur à aller mieux. Mais puisqu’il pense sincèrement qu’elle est elle aussi heureuse de passer un peu de temps avec lui en retour, il se permet de lui souligner les faits tels qu’ils les pensent. « Et je crois que le contraire est tout aussi vrai ? » Il demande doucement, pour lui laisser l’amplitude de lui répondre qu’il a tort si jamais cela venait à être le cas.

C’était un rythme qui leur convenait à tous les deux, se voir moins souvent mais prendre le temps de le faire bien lorsque l’occasion se présentait. Et alors ils entamaient une discussion visant à remettre chacun à flots parce qu’ils avaient tous les deux une vie bien remplie.  « Rory en a déjà un peu l’habitude, il s’absente quelques heures par ci par là. » Elle acquiescait, c’était quelque chose qu’elle avait deviné seule, le métier particulier de Rory l’obligeant à être disponible à tout moment. « Mais je suis resté avec elle depuis tout ce temps alors j’appréhende un peu. » Greta lui avait adressé un sourire encourageant, trouver les mots n’étant pas aisé quand elle n’avait aucune expérience de la maternité. « Ca sera difficile au début mais j’imagine que vous avez embauché un détective privé pour vous décider sur la bonne personne pour la garder alors elle sera entre bonnes mains. » Ses yeux bleus s’étaient tournés vers lui pour s’écarquiller, venant ici appuyer sur le côté papa poule de ces deux-là. C’était amusant, mais c’était surtout extrêmement beau à voir. « Ca te fera du bien, Swann. » Greta ne connaissait pas énormément de parents et pourtant, elle savait qu’il était important de continuer à vivre sa vie pour mieux endosser le rôle de père sans se lasser. Elle essayait de le rassurer parce qu’elle pouvait voir que l’idée de laisser Robin le peinait mais elle savait tout aussi bien qu’il ne se laisserait pas abattre. « J’ai hâte de bientôt reprendre le travail. » Une autre chose qui l’avait fait sourire et qui venait confirmer sa phrase précédente, continuer à avancer dans ses objectifs tout en profitant de sa famille le soir était la formule parfaite.

Greta le sortait bien souvent de sa zone de confort et elle devait avouer qu’après toutes ces années, il s’était armé contre les tentatives de la blonde pour le mettre mal à l’aise. Il s’était habitué à la façon dont elle l’ennuyait gentiment mais cela n’en rendait pas la manœuvre  moins amusante. « On a évidemment attendu le mariage avant de tenter quoi que ce soit, tu te doutes. » A cette annonce qu’elle savait amplement fausse - si Swann était discret, il était assez intelligent pour tester la marchandise avant de la garder à vie - Greta avait acquiesé avec de grands mouvements de la tête exagérés qui venaient confirmer l’évidence. Une touche d’humour avant d’attaquer le sujet épineux, celui qu’elle redoutait et sur lequel elle avait pourtant tant à dire. Evidemment, Swann savait déjà qu’ils s’étaient revus après le mariage et elle avait cherché à savoir comment. « Plus ou moins. » Seul Swann était capable de réussir à recevoir les confidences de l’un et l’autre sans jamais prendre parti ou dépasser les limites et seul lui pouvait réellement savoir comment il allait, n’ayant pas perdu contact avec lui. « Je pense qu’il va mieux. C’est pas un état stable et je pense que c’est pas facile pour lui non plus, mais il fait vraiment des efforts. » Il avait déjà anticipé cela par message et l’entendre le répéter finissait de la convaincre. « Et je pense aussi que ça lui fait du bien de te voir un peu. » Elle avait arqué un sourcil, intéressée par cette affirmation mais encore peu convaincue. Ils avaient passé un bon moment après qu’il ait réussi à tout mettre à plat avec elle, pourtant, Greta ne pouvait pas être sûre qu’elle lui ferait à nouveau totalement confiance un jour. « Et je crois que le contraire est tout aussi vrai ? » L’écrivaine ne s’attendait pas à ce qu’il poursuive de cette façon alors elle s’était laissée un temps pour répondre. « Je vais pas mentir, pas à toi, mais au reste du monde je dirais le contraire. » Et en prononçant ces mots, Greta ne réussissait pas elle-même à en comprendre la portée, l’humour et la vérité se mêlant ensemble. Swann était resté ami avec Arthur, malgré tout, et Greta pouvait se confier sans crainte au sujet de l’anglais mais il était malheureusement la seule personne qui pouvait prêcher en sa faveur. « Je sais pas Swann, je m’attendais pas à ce qu’il réapparaisse dans ma vie, tu vois ? L’histoire se termine, la personne disparaît et on passe à autre chose, c’est ça la logique. » Comme un vieux réflexe, elle avait attrapé son cocktail pour en boire une gorgée parce que le terrain sur lequel elle s’aventurait avait pour effet de jouer avec l’ensemble de ses sentiments. « Et il aurait pu revenir et rester le Arthur que je pensais qu’il était depuis qu’il est parti. Mais c’est pas le cas, il m’a tout expliqué et tout ce que je pensais était faux.  Sauf s’il m’a menti. » Ses yeux étaient venus trouver ceux de Swann pour l’inviter à répondre à ses questionnements qui n’étaient rhétoriques qu’en apparence. Est-ce qu’Arthur avait prévenu Swann de la raison de son départ et est-ce que son ami aurait pu venir panser ses plaies en lui avouant la vérité ? Elle ne lui en voulait pas, il ne pouvait pas trahir son meilleur ami et c’était le même cheminement que son esprit avait choisi en réalisant qu’il ne l’avait pas prévenue de sa présence à Brisbane. « Je lui ai dit que je voulais être là pour l’aider. » avait-elle poursuivi sans préciser à Swann la façon dont Arthur avait réagi, c’était inutile, il le connaissait par cœur et presque aussi bien qu’elle. « Mais je suis pas sure qu’on puisse être amis. » Pas parce qu’ils n’avaient aucune affinité mais parce qu’elles étaient telles que le risque de se blesser était bien trop important.

Elle en fait un peu trop quand elle divague sur l’enquête que le couple souhaite faire à propos de la personne qui sera chargée de s’occuper de leur fille, mais elle a au moins raison sur un point: ils ne prendront pas cette décision à la légère, et ils feront encore moins ce choix comme si de rien n’était. Le bien de leur fille est le cœur de toutes leurs priorités depuis la seconde où elle est entrée dans leur vie, et ça ne risque pas de changer. « Ça te fera du bien, Swann. » De reprendre sa vie normale, de vivre pour lui et non plus seulement pour le bien de sa fille. Il profitera une dernière fois des débuts de son mariage avec leur lune de miel et, seulement après, il trouvera le chemin du travail pour se sentir complet, une bonne fois pour toutes. Sans aucun retour en arrière cette fois.

Leur discussion, comme bien souvent, ne tarde pas avant de continuer lentement mais sûrement en direction d’Arthur, leur ami commun. « Je vais pas mentir, pas à toi, mais au reste du monde je dirais le contraire. » Il hoche la tête, comprenant sans mal la réponse qu’elle cache derrière une autre affirmation. Il lui manque aussi mais elle ne veut pas en informer le monde tout entier, lequel commence par Arthur. Il le comprend. Sans le moindre mal, il comprend où elle veut en venir. « Je sais pas Swann, je m’attendais pas à ce qu’il réapparaisse dans ma vie, tu vois ? L’histoire se termine, la personne disparaît et on passe à autre chose, c’est ça la logique. » - « Pas toujours. » Et il se mord l’intérieur de la joue pour se retenir de parler de Rory, une fois de plus. Cependant, il a à coeur de souligner que la fin des happy end n’est pas arrivée avec l’avènement du vingt et unième siècle. Cela n’a rien d’une malédiction: ils ont encore le choix. Ils peuvent changer l’histoire, si seulement ils le veulent réellement. « Et il aurait pu revenir et rester le Arthur que je pensais qu’il était depuis qu’il est parti. Mais c’est pas le cas, il m’a tout expliqué et tout ce que je pensais était faux. Sauf s’il m’a menti. » Il sonde son regard sans jamais rien laisser paraître, et sans jamais rien dire non plus. Il ne veut pas se mêler de cette partie de l’histoire. Swann a fait ce qu’il pensait être juste et il recommencerait sans doute si on lui en laissait l’opportunité, alors il ne clame pas le contraire: jamais il ne mentirait volontairement à son amie, bien incapable de faire un choix entre elle et Arthur. Ils sont tous les deux importants, terriblement importants.

« Je lui ai dit que je voulais être là pour l’aider. Mais je suis pas sûre qu’on puisse être amis. » Il est celui à boire une gorgée avant de répondre, sans doute aussi parce qu’il fait de son mieux pour cacher le mince sourire sur son visage. « Soyez autre chose, alors. » Il ne précise pas le terme pour ne pas l’effrayer, mais il est plutôt évident que Swann n’est pas en train de lui proposer qu’ils ne se revoient plus jamais. Bien au contraire, son idée est toute différente. « Vous avez le temps, G. Laisse le faire ses preuves, et toi donne toi le temps d’être rassurée. » Parce qu’il est certain que jamais Arthur ne fera marche arrière dans tous ses efforts, n’est-ce pas ?

Swann était en train d’obtenir tout ce qu’il méritait, et voir ses amis réussir était probablement l’une de choses que Greta aimait le plus. Il était accompli et continuait à filer le parfait amour avec Rory qui semblait être parfait pour lui, jour après jour, et il avait même atteint l’un de ses plus grands buts, celui de devenir père. Il était difficile de se demander ce qu’il pouvait encore manquer à l’anglais pour que sa vie soit idéale, mais il suffisait de le connaître assez pour savoir que son métier jouerait toujours un rôle important dans ce schéma de la vie parfaite. Et si elle avait l’impression que c’était les retrouvailles entre elle et Arthur qui avait donné un vent de fraîcheur à son amitié avec Swann, c’était peut-être aussi finalement le résultat de leurs vies à tous les deux qui leur laissaient un peu plus de temps. Tout simplement. Le sujet était pourtant devenu le fil conducteur de la soirée et aucun rythme de jazz même le mieux joué au monde n’aurait su apporter à Greta les réponses qu’elle désirait ou venir mettre un peu d’ordre dans ses idées. « Pas toujours. » Ses yeux s’étaient levés au ciel parce que, ignorant les sous-entendus, elle ne pouvait que confirmer ce que Swann venait de dire. C’était plus compliqué que cela, mais elle pensait innocemment que quitter Londres et se réfugier aussi loin qu’à Brisbane la mettrait à l’abri de toute rechute. Elle s’était trompée et ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même, après tout, Swann s’y était établi et voir Arthur en avoir fait autant n’avait rien d’étonnant. Le trio s’était reformé, ils avaient simplement mis un peu de temps à le réaliser, le troisième membre leur ayant caché une partie de la vérité. Alors puisqu’il était là et de retour dans sa vie, elle se devait d’expliquer les raisons qui la poussaient à ne pas y voir clair quand l’état dans lequel elle était après leur rupture aurait du donner le ton des retrouvailles. Continuer à le haïr, prétendre qu’il n’existait pas et reprendre le court de sa vie. Mais Arthur l’avait prise au dépourvue, venant lui servir sur un plateau d’argent toutes ces phrases presque un peu cliché qui n’auraient jamais du sortir de sa bouche. Et juste comme ça, elle avait retrouvé celui dont elle était tombée amoureuse et qui menaçait dangereusement de lui faire revivre la même histoire et une partie d’elle ferait de son mieux pour s’en empêcher. « Soyez autre chose, alors. » Il n’avait pas dit quoi, et pourtant, que pouvaient-ils bien être s’ils n’étaient pas amis ? Elle avait soupiré, et attrapé son cocktail, imaginant avec extrêmement de précision la réaction qu’Arthur pourrait avoir en entendant ce genre de propos. « On peut pas Swann. Pas quand on sait pertinemment comment ça peut se terminer. Aucun de nous prendra le risque, on préférera souffrir que de se faire du mal. » La finalité était la même, mais les instigateurs étaient eux-même et non l’un et l’autre. C’était plus facile, ne pas risquer d’avoir quoique ce soit d’autre à se reprocher, refuser de revivre une histoire dont il savait l’issue si douloureuse. « Vous avez le temps, G. Laisse le faire ses preuves, et toi donne toi le temps d’être rassurée. » Et c’était là un discours plus simple à accepter et un comportement plus simple à adopter. « Je sais que ça mènera à rien. » Parce que si elle baissait les armes et changeait d’avis, animée par les sentiments qu’il faisait renaître, elle était convaincue qu’Arthur resterait lui ferme sur sa décision. « Mais ouais, on va se revoir, et on verra. » L’affaire était à suivre et pendant le temps de la soirée, les instruments étaient venus bercer ses doutes.