(suncorp stadium ; fin août) Le jour du match est enfin venu et Rhett n’a pas été aussi en joie depuis longtemps. Il est grisé par l’adrénaline, il joue comme s’il s’agissait de remporter à nouveau une quelconque coupe pour sa terre d’accueil. Aujourd’hui, pourtant, il n’y a rien à y gagner. A en juger par la composition mixte et parfois quelque peu aléatoire des équipes, cela n’a même rien de professionnel, et surtout pas de sérieux. Ils sont rassemblés pour la bonne cause, pour une levée de fonds comme une autre. Rhett a simplement pris le pas en proposant un match, parce que Megan a pu en faire le coup d’envoi et promouvoir le film, mais surtout parce que c’est une idée qui lui plaît parce qu’elle lui donne quatre-vingt minutes de pur bonheur, à renouer avec les souvenirs d’une vie révolue et bonne à oublier.
Evelyn a travaillé d’arrache-pied pour que son caprice devienne réalité et il jure être conscient de tout ce qu’elle a fait pour lui. Le baiser qu’il a brièvement partagé avec elle avant d’entrer sur le terrain était supposé la remercier de tout ceci, ou c’est du moins l’excuse enfantine qu’il s’est trouvée alors qu’il avait simplement à coeur de partager un bref moment avec elle avant de partir jouer, des straps autour de ses genoux parce qu’il n’a définitivement plus vingt ans. Le menton relevé, il observe la composition hétéroclite des deux équipes, sans doute toujours aussi déçu de ne pas trouver Mickey sur le terrain alors qu’il aurait pu y trouver son compte, même sans entraînement personnel de la part de Rhett au préalable.
A ceux à qui il a déjà échangé quelques mots, l’ancien rugbyman se contente d’ajouter un signe de tête pour les saluer. Aux autres, il prend le temps de parler un minimum, bien conscient que le climat n’est pas aussi serein pour tout le monde que cela l’est pour lui. « Carmine Sighbury. » Il souffle en arrivant devant la silhouette du mannequin, toujours aussi etonné de le savoir participer à ce match. « J’ai cru jusqu’au dernier moment que c’était une blague. » Non qu’il ne soit pas apte à jouer au rugby, mais bien parce que cela ne ressemble pas vraiment à l’image qu’il se donne. Il est un mannequin propre sur lui, le genre à ne pas faire de zèle dont la plus grande aventure se résume peut-être à un shooting sur la croupe d’un cheval. Il n’a pas intérêt à les poursuivre en justice s’il se retrouve avec la gueule en vrac et pas forcément apte à parcourir les défilés, voilà surtout ce que Rhett en pense.
Malgré ce qu’il en pense, il prend aussi le temps de le saluer en lui tendant la main dans le but de la serrer - il terminera ses petits échauffements plus tard, encore une fois cela n’a rien d’un vrai match qui importe. Ce n’est pas face à sa nièce de vingt-cinq ans qu’il risque de se blesser. « Mais je suis heureux de voir des profils différents. » Et ce n’est pas une blague, ni même des mots balancés sans les penser: Rhett n’est pas capable de dire une chose s’il ne le pense pas, tout comme il se montre bien incapable du moindre mensonge aussi. La présence de Carmine le rend curieux. Pas forcément le bon genre de curiosité, c’est vrai, mais il n’a pas précisé ce point. « Une question de dernière minute ? » Bien sûr qu’il pense être meilleur que tout le monde sur ce terrain: il l’est vraiment. D’autres ont-ils été champions du monde, d’Europe, d’Angleterre ? Non, alors bon, vous voyez bien.
Depuis sa victoire avec l'équipe de Logan City, Carmine avait gagné en confiance en lui sur le terrain de rugby. Le Pancake que les autres joueurs aimaient taquiner pour ses entre-chats apeurés avait laissé place à un coureur déterminé. Ses longues jambes de mannequin, bien que moins solides que celles des piliers, lui permettaient de foncer vers les zones d'en-but plus vite que ses camarades, ce qui lui valait quelques beaux essais au compteur. Assez pour le convaincre d'accepter lorsqu'on était venu le solliciter à propos du match caritatif. Se retrouver sur le terrain en compagnie d'anciens champions aurait pu l'effrayer et nourrir en lui l'angoisse de paraître ridicule, mais Sighbury n'était pas le genre d'homme à douter de sa personne. Il s'était entraîné fort afin de progresser dans cette discipline, avait surpris bon nombre de ses connaissances en se révélant tout à fait correct dans la pratique de ce sport et se surprenait à apprécier cette nouvelle routine grâce à laquelle il avait rencontré Asher et Archie, ses co-équipiers du jour. Peut-être aussi que la présence des deux hommes donnait au mannequin un sentiment de puissance qui n'avait rien à voir avec ses capacités réelles en matière de rugby. Le premier se rapprochait de plus en plus de ce que l'on pouvait qualifier de meilleur ami et Carmine, qui n'avait jamais eu d'amis masculins - que des collaborateurs - n'aurait pu rêver meilleur binôme avec lequel prétendre gagner ce match amical. Le mot convenant le mieux au deuxième était " complice " tant la complexité du lien les unissant aurait laissé perplexe les informés de sa nature. Mais puisque personne n'était au courant de rien concernant Kwanteen et Sighbury, Carmine pouvait se contenter de se sentir bien encadré par ce coach improvisé, amant caché et partenaire d'affaires en devenir ... De l'excitation, voilà ce que ressentait le mannequin tandis qu'il s'échauffait en compagnie des autres.
« Carmine Sighbury. J’ai cru jusqu’au dernier moment que c’était une blague. » L'intéressé posa son regard sur Rhett Hartfield dont il observa la main tendue quelques secondes sans cacher son hésitation à la lui serrer de bon cœur. Croiser l'ancien numéro neuf renvoyait sa Majesté à la lecture des propos désagréables concernant son amie la plus proche : Mabel. L'ironie voulait que ce fut la sœur de Carmine qui eut retranscrit les mots du sportif, ce qui n'arrangeait rien à l'affaire. Sighbury, après avoir promis à Greta de ne pas trahir sa couverture " Moore ", ne pouvait se présenter comme le grand frère de celle ayant permis à ce grossier personnage de nourrir l'ambition d'un film à sa gloire. La biographie s'était bien vendue. Beaucoup de monde pensait désormais que Griffiths était une catin. Cet état de fait n'était pas acceptable.
Malgré ces détails irritants, l'anglais finit par saisir la poignée de main avec un sourire hypocrite. « L'humour australien, je présume. » Répondit-il de son accent le plus britishement snobe. « Mais je suis heureux de voir des profils différents. » Il fallait reconnaître que les équipes du jour étaient des plus hétéroclites. Pas mal de célébrités, jeunes ou retraitées, plus ou moins connues, mais tous étaient présents pour la bonne cause, ce qui incitait Carmine à se montrer moins venimeux que ses pensées auraient pu le lui dicter. L'anglais savait se tenir. Il était l'incarnation même du gentleman, du chic et de la bienséance de sa classe sociale ; L'exemple que toutes les mères de bonne famille donnaient à leur progéniture pour en faire des hommes du monde. « Une question de dernière minute ? » « Êtes-vous blessé ? » Derrière la gentillesse de cette prétendue bienveillance se cachait la volonté de souligner la présence des genouillères autour des articulations du sportif. Carmine se faisait plus idiot qu'il ne l'était en prétendant ne pas saisir l'acte préventif. Endormir son auditoire ne lui posait aucun problème. Sighbury avait l'habitude d'être considéré comme écervelé par le simple fait d'être mannequin. La superbe consistait à ne pas s'en formaliser et à surprendre quand les préjugés dormaient sur leurs certitudes. Discrètement, il jeta un coup d'œil à Archie dont il sentait le regard posé sur lui. Étrange comme les iris vertes de l'actionnaire le marquaient davantage que celles de milliers de personnes l'observant défiler de Paris à Milan en passant par New York ou Dubaï.
Carmine était-il en train de s'assurer que son coéquipier l'avait entendu afin que ce soit précisément dans les genoux que Rhett se fasse plaquer ?
La main de Carmine est serrée avec force, habitude typiquement masculine visant à prouver sa force dans un milieu où personne, absolument personne ne les attend. Il le fait sans même s’en rendre compte, sans doute parce que l’habitude est trop ancrée chez lui pour qu’il pense autrement. « L'humour australien, je présume. » Pour avoir longtemps vécu en Angleterre, Rhett peut dire qu’il s’y connait en humour douteux, et il n’associe son inscription à aucun pays en particulier. Ce qu’il pense, surtout, c’est qu’un homme de son âge ne parcourt plus les runaway et qu’il doit être en manque de stimulation. Et évidemment, il pense que le rugby est parfait pour ça, sans que son propre parcours dans la discipline ne soit la cause de son manque d’objectivité, évidemment. « Peut-être. » Les discussions autour de la pluie et du beau temps ne sont ni son fort ni ce qu’il aime, raison pour laquelle il y tourne déjà court, de toute façon incapable de la continuer. C’est un peut-être aux allures de peu importe.
« Êtes-vous blessé ? » De toute évidence, ce n’est pas le genre de question auquel il pensait lorsqu’il a demandé à Carmine s’il en avait. Il a besoin d’une seconde pour comprendre ce dont il parle, en réalité, et ce n’est qu’après ce maigre laps de temps qu’il associe la question à ses genouillères. « En pleine forme. » Le poids d’une décennie de championnats est ce qu’il garde bien de prononcer alors que même lui se rend compte que cela pourrait donner l’impression d’être un poil prétentieux. Mais il ne s’agit que de la vérité, non ? « Bonne chance pour le match. » Il reprend simplement sur un ton égal, avant de reprendre son tour pour s’assurer que tout se passe bien, lui-même se passant d’un échauffement dont il n’a évidemment pas besoin tant il juge que ce match sera une plaisanterie face à ce à quoi il a été habitué toute sa vie durant. Ils sont des amateurs et certains d’entre eux sont même des femmes, allons bon.
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Megan a fait le spectacle et il a fait de son mieux pour afficher une mine égale, pourtant passablement agacé par le casting de son foutu propre film. La pilule ne passe pas malgré le temps écoulé et malgré les projecteurs tout de même renvoyés sur sa personne. Tout est bien, mais tout aurait pu être bien mieux encore si seulement le producteur n’était pas un homme aussi têtu. Ses derniers mots sont pour Evelyn, son esprit guerrier et son ego s’envolant dès qu’il est question de l’embrasser avec tendresse avant de rejoindre le terrain. Les femmes qu’ils aiment ont toujours été un véritable Talon d’Achille pour lui, c’est un fait que ses proches ont appris à connaître assez rapidement.
Le match reprend des allures bien plus habituelles lorsque seules les équipes se retrouvent sur le terrain, le ballon entre elles et pour seules règles celles du sport. Désormais, ils sont tous sur un même pied d’égalité et, surtout, ils veulent tous la même chose: la victoire. Auto-proclamé chef d’équipe, Rhett fait de son mieux pour ne pas se la jouer solo et risquer d’oublier que toutes les personnes autour de lui ont fait l’effort de venir, raison pour laquelle ses passes sont bien plus nombreuses que ses statistiques le disent. Il a abandonné son maillot de numéro neuf pour plutôt devenir un premier de ligne, bien qu’il n’y ait eu qu’une brève concertation pour connaître le rôle précis de chaque joueur. Chacun fait comme il peut, sans doute. Tout ce qu’ils savent, c’est qu’il faut plaquer l’adversaire qui court comme un lapin, et c’est ce qui semble arriver à Rhett dont la vision passe d’un niveau normal à celui du sol, lequel il manque de percuter de sa tête. Il est en pleine forme mais la douleur lancinante contre ses genoux l’informe de l’angle d’attaque ayant été choisi par l’adversaire, ce qui le pousse aussitôt à poser un regard noir sur l’homme en question. Déjà, il sait qu’il n’est plus question de ménager qui que ce soit parce qu’ils sont des amateurs. Le ballon est relâché par réflexe de protection et déjà entre les mains adverses.
(comme ça Carmine a réalisé son rêve avant que ce soit la cravatastrophe )
« Bonne chance pour le match. » La cordialité dont fit preuve Rhett provoqua le hochement de tête de Carmine. Nul besoin de se montrer désagréable quand l'occasion de régler leurs comptes allait leur être donnée après le coup d'envoi de la promo du film à la gloire de Hartfield. Sighbury n'irait pas le voir, quand bien même il recevrait probablement des places pour de quelconques avant-première avides de beau monde sur leur tapis rouge. C. ne souhaitait pas que son élégance soit associée au sportif, en aucune façon. Une fois que l'effervescence serait passée, le mannequin se munirait-il peut-être de son plus délicat service à thé afin de proposer à Mabel un visionnage intimiste durant lequel ils critiqueraient la médiocrité des jeux d'acteurs et le mauvais goût de la réalisation. Tous les reproches seraient bons afin de réconforter Griffiths qui se retrouvait malgré elle entraînée dans cette affaire peu flatteuse pour sa réputation, sa carrière et sa petite Rosie que Carmine aimait tant.
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Nine était bien meilleur qu'eux, cela ne faisait aucun doute. Les différences d'expérience et de technique étaient notables en de nombreux points. Toutefois, la médiocrité des autres joueurs obligeait le capitaine à œuvrer en dessous de ses capacités. C'était là la chance, pour l'équipe à laquelle appartenait Sighbury, de faire la différence. Une différence résidant surtout dans les efforts de concertation fournis en début de match. Leur capitaine à eux s'était montré méthodique dans l'attribution des rôles de chacun. Ils étaient moins doués, mais mieux organisés. Ainsi, lorsque l'opportunité se présenta, Archie, Asher et sa Majesté fondirent sur leur proie dans un vol concerté. Le premier plaqua Hartfield dans les genoux. Le second ramassa le ballon qu'il remonta sur quelques mètres avant de le passer à Carmine. Ce dernier n'eut plus qu'à foncer en diagonal, bousculant sur son passage un ou deux opposants. Ravi, l'anglais termina sa course dans un long dérapage dont il se releva les genoux couverts d'herbe, le poing levé, l'autre main replaçant machinalement sa mèche.
L'euphorie ne dura malheureusement pas. À la remise en jeu suivante, il devint évident que ni Nine, ni ses coéquipiers, n'avaient apprécié ce coup bas. Le jeu se fit plus agressif, plus intense également. Carmine, galvanisé par son succès, ne prit pas suffisamment de précautions. Rodé à recevoir la balle plutôt qu'à aller la chercher tête baissée, l'anglais concentra son attention sur le coup de pied de son coéquipier, leva le nez afin d'estimer le point de retombée du ballon, se plaça dessous ... et ne constata la présence de Rhett dans son champ de vision qu'à l'instant où l'australien lui rentrait dedans à toute vitesse. Sighbury en eut le souffle coupé. Par réflexe, il tenta d'amortir sa chute en tendant le bras vers l'arrière. Dans un bruit retentissant, radius et cubitus se brisèrent net. Double fracture ouverte. La douleur, incroyablement intense, le laissa muet. Seul le visage d'ordinaire souriant de Carmine exprimait la souffrance ressentie tandis qu'il s'agrippait désespérément au ballon.
Séchée, sa Majesté n'eut pas la force de repousser Rhett. À peine celle de couiner un « Damn it ...» résolument moins flegmatique que ce à quoi il avait habitué son auditoire.
Il n’a pas réellement la carrure d’un rugbyman et il ne l’a jamais eue. De nombreuses équipes internationales lui ont fermé les portes à cause de ça et ce n’est pas une surprise pour Rhett qui a dû se battre pour trouver sa place dans ce milieu. Le chiffre neuf est ce qui lui a permis de s’affirmer et de prouver son talent, aussi vif et rapide que pouvait l’être un rugbyman. Il était celui qui trouvait les balles perdues, il était celui qui se faufiler entre les défenses ennemies et, bon sang, il était celui qui avait pour objectif de ne jamais se faire plaquer. Le passé le rattrape et le met plus que jamais en colère: non seulement il s’est fait plaquer comme un débutant mais, surtout, il s’est fait plaquer par des débutants et c’est bien cette idée qui le fait voir rouge, en témoigne le regard qu’il adresse à Carmine. Le jeu reprend aussitôt, ils n’ont pas le temps de déblatérer mais, déjà, Rhett sait qu’il a fini de jouer à l’innocent. Le véritable jeu va débuter, qu’ils le veuillent ou non.
Et le problème avec Rhett, il le sait lui-même, réside dans son léger manque de nuances et de retenue. Il s’est fait renvoyer du terrain à plusieurs reprises pour ce trait de caractère bien précis mais aujourd’hui il n’a plus aucun coéquipier pour déceler les premiers signes d’une telle colère. Son coach est à l’autre bout du monde, l’équipe médicale tout autant, si bien que personne n’est présent pour l’arrêter avant l’heure et prévenir du désastre.
Premier de ligne temporaire dans ce match amateur, Rhett ne pense donc pas un seul instant à ralentir le rythme lorsqu’il observe Carmine seul, démarqué et prêt à continuer à garder en main le ballon déjà détenue par son équipe. Obnubilé par la trajectoire de ce dernier, il ne fait plus attention à son environnement, ce qui est une erreur que Rhett n’a pas eu l’occasion de croiser depuis bien longtemps. Une erreur pour Carmine, une occasion en or pour lui que de faire valoir la monnaie de sa pièce. Il s’abat sur l’anglais de toute sa force et de toute sa vitesse, percutant le mannequin par devant, ne lui laissant ainsi pas la moindre chance d’amortir sa chute - quand bien même l’imbécile tente de le faire, se contentant ainsi d’aggraver une situation qui, aux yeux de Rhett, n’avait rien de grave. Son bras est tendu en avant, bien incapable de rattraper la chute ou bien son poids: il cède sous ce dernier en deux endroits.
Le premier réflexe de Rhett est de chercher la balle du regard mais il revoit ses priorités lorsqu’il observe la position statique des autres joueurs sur le terrain ainsi que le choc dans leur regard. Ce n’est qu’ensuite que ses propres yeux trouvent le même chemin que les leurs, pour assister à la scène d’un Carmine au sol et, cette fois-ci, pas prêt de se relever. Il jure contre lui-même, mais il jure surtout contre l’anglais et ses mauvais réflexes. « Damn it ...» Les fractures ouvertes ne laissent que peu de places au doute quant à son état et surtout à son incapacité à continuer le jeu. Le regard de Rhett se pose sur l’équipe médicale déjà en train d’accourir vers eux. Son pas, plus lent, se rapproche aussi du blessé. Son souffle est encore court mais il tente de rassembler ses esprits, ayant pour réflexe premier de faire place nette autour de lui. « C’est pas un spectacle, de l’air ! » S’ils étaient des vrais joueurs, ils le sauraient, et ils auraient laissé l’équipe médicale faire son travail autant que Carmine respirer. Mais ils ne sont que des curieux mal placés.
Evelyn va le déteste ; telle est sa première pensée. Tout le monde va davantage entendre parler de la blessure de Carmine que du match en lui-même. « Tu m’entends Sighbury ? » Il le garde alerte sans le ménager pour autant, sans doute toujours un peu trop en colère contre lui pour ça. « Lâche ça, le match est terminé. » Voilà pourquoi il ne trouvait pas le ballon: cet enfoiré en a fait sa priorité avant même de chercher à chuter convenablement. « Tu vas avoir droit à un chauffeur particulier jusqu’à l’hôpital, j’imagine. Tu veux que quelqu’un t’accompagne ? » Il ne prend pas de pincettes mais il jure qu’il essaie quand même d’être empathique. Il garde une main levée et prête à détourner le regard de l’anglais si jamais celui-ci cherche à voir de ses propres yeux la cause de sa douleur: et il est hors de question qu’il voit les os sortir de sa chair, parce qu’il tournerait de l’oeil et paniquerait encore davantage, ce qu’il vaut mieux éviter. Rhett ne s’y connaît pas dans le domaine médical, mais il sait comment les hommes réagissent face à des blessures impressionnantes, quoique pas aussi terribles qu’elles n’y paraissent. « Margot, demande à Evelyn d’appeler une ambulance si c’est pas déjà fait. » Il ne sait pas si elle a vu la gravité des blessures de là où elle est, alors anticipe le peu qu’il peut. Une ambulance ne sera pas de trop. « Tu gagnes le statut de blessé de guerre, félicitations. » qu’il ironise finalement.
Tout était flou, brouillon et partiellement décousu autour de Carmine dont la lucidité vacillait sous l'intensité de la douleur qu'une partie de son cerveau tentait de gérer tandis qu'une autre essayait de comprendre ce qu'il venait de se passer. Le regard accusateur d'Hartfield ainsi que l'immobilité des autres joueurs réunis en cercle autour d'eux laissait sa Majesté perplexe. Qu'avait-il fait de mal ? Il tenait toujours le ballon, le match n'était pas terminé, Rhett racontait n'importe quoi ! « Tu vas avoir droit à un chauffeur particulier jusqu’à l’hôpital, j’imagine. Tu veux que quelqu’un t’accompagne ? » Hôpital. Le mot fit blêmir le mannequin dont le teint bien trop pâle n'indiquait rien de bon. Sighbury commençait à réaliser que quelque chose de plus grave qu'une mauvaise chute venait de se produire. L'idée de finir allongé dans un lit, branché à une machine, le rendit nerveux. Il y avait des choses à ne pas dire à un hypocondriaque. Le mot " ambulance ", par exemple.
« What ? » Murmura Carmine, la voix paniquée. « WHAT ?! » Son regard balaya la scène. Premièrement, il fut attiré par la main que secouait Rhett afin de le distraire, mais très vite la couleur rouge sang de son avant-bras duquel dépassaient deux tiges blanches aux extrémités pointues l'interpela. Ses yeux s'écarquillèrent. Sighbury réprima un haut le cœur qui se transforma en cri de douleur. Il avait suffi que son regard se pose sur la fracture pour que son corps bascule d'un état de choc à un état de terreur. En pas loin de quarante années d'existence, C. ne s'était jamais sérieusement blessé. Petit prince choyé et chouchouté du berceau au podium sur le sol duquel des armées de serviteurs prenaient garde qu'aucun pli de tapis ne le fasse trébucher.
L'anglais n'entendit pas les sarcasmes de son bourreau. Il ne vit pas non plus le staff médical sortir une seringue de tranquillisant qu'on lui injecta sans crier gare. Il était question d'amoindrir sa douleur, mais, surtout, de l'empêcher d'aggraver la situation en gesticulant comme un diable. Quelques secondes, c'est le temps que prit le produit pour faire effet. En moins d'une minute, on isola l'Anglais en attendant l'arrivée de l'ambulance. Allongé sur un brancard, sous une tente de premier secours, sa Majesté marmonnait des propos incompréhensibles dans lesquels il était question de Mabel - qui l'avait pourtant prévenu ! - , de Greta - qui allait se faire un sang d'encre, quel comble pour une écrivaine ! - et de Gibson. Oh la la, Gibson. Comment allait-il monter à cheval avec un bras en moins ?