@Jenna Caldwell

(pub mctavish; mi-octobre) Deux ans après le départ de Ginny, j’ai enfin l’impression que la vie reprend son cours et, surtout, qu’elle le fait dans un sens naturel. Sloan est un garçon qui grandit paisiblement et, j’aime à le croire, heureux. Il questionne encore parfois l’absence de sa mère mais ne manque pas d’amis ni de famille qui lui rendent visite. Il est stimulé, curieux, d’un cœur profondément bon - trop pour que cela ne se retourne pas contre lui un jour ou l’autre. De mon côté, je le fais passer avant tout le reste et j’apprends encore à gérer mon nouveau poste au conseil de Michael Hills. Ce n’est pas ce qui me rend heureux, loin de là, mais c’est ce qui permet au moins une certaine stabilité dans notre quotidien malgré tout. Un artiste qui ne fait pas d’art n’est pas une chose dont je risque d’être fier en retour, et c’est pour tenter de pallier ce manque artistique que je réfléchis à d’autres projets et à d’autres solutions.

Je n’ai pas eu de mal à trouver le contact de Jenna Caldwell. Le monde de l’art est aussi immense qu’il est minuscule, surtout alors que nous vivons et travaillons dans la même ville. Je sais qui elle est et j’ose croire qu’elle sait aussi qui je suis en retour, parce qu’ainsi sont les choses. Je l’espère, du moins ; pas seulement pour mon ego mais parce que cela nous éviterait quelques minutes de perdues à se présenter à l’un l’autre. Les politesses ne sont toujours pas mon fort, il faut bien l’avouer, mais je fais tout de même des efforts. Aujourd’hui en est la preuve, puisque j’ai proposé à la jeune femme de se rencontrer dans un bar en après-midi pour discuter de ce que j’ai à lui proposer. J’ai simplement annoncé qu’il s’agissait d’une question de travail, non par souci d’entretenir un suspens qui n’a pas lieu d’être mais bien parce que j’estime qu’il s’agit d’un sujet méritant d’être abordé de vive voix et rien de moins.

J’arrive le premier, assure une table dans un coin où je ne devrais pas avoir pour envie de tuer qui que ce soit - ou disons simplement pas au point de me lever de la table pour commencer le travail. Je commande à boire, un jus au hasard choisi sur la liste d’un bar qui ne propose toujours pas un choix large dès lors qu’il s’agit de ne pas boire d’alcool. James est le seul alcoolique que je connaisse, au sens propre, mais depuis que je fais de mon mieux pour l’aider dans son sevrage, je ne m’autorise plus à boire la moindre goutte. Je n’en buvais déjà quasiment plus depuis vingt ans, de toute façon. Ma main se lève et je sors de mes pensées lorsque je reconnais la chevelure rousse significative de Jenna à l’entrée du bar. Je ne l’ai jamais rencontrée - ou peut-être que si, j’en sais rien - mais c’est au moins un trait physique que je connais chez elle. « Content que tu aies pu te libérer. » J’annonce en guise de salutations lorsqu’elle arrive à ma hauteur, avant de lui tendre la main pour qu’elle me la serre. « J’ai commandé pour éviter qu’on me mette à la porte mais je t’attendais. » Je précise, mon verre n’ayant effectivement pas été entamé. Je suis parfois impoli délibérément, mais aujourd’hui n’en est pas un exemple. « J’imagine que je n’ai pas beaucoup de temps pour faire mon pitch ? » Elle est une femme occupée et, officiellement, je le suis tout autant. Officiellement seulement.

Au milieu des conversations remplies de photos de ton fils, un numéro inconnu avait fait son apparition. C’était plutôt rare que tu ne connaisses pas ton interlocuteur mais en même temps, ce n’était pas complètement fou vu que tu donnais en général ton numéro de téléphone personnel lors de rencontres professionnelles. Tu ne l’avais pas remarqué de suite mais cette personne t’avait laissé un message. Autant dire que tu tombais de très haut quand tu te rendis compte de qui passait l’appel. Il y avait plusieurs raisons pour lesquelles tu connaissais le nom d’Auden Williams. La première était pour ses talents de peintre. Pour toute personne ayant vécu à Brisbane de longues années dans le milieu de l’art, on ne pouvait pas le manquer. Et puis il y avait eu son union avec Ginny. Tu avais été amie avec la jeune femme avant de partir à New York. Pas très proches mais vous preniez un café de temps en temps. Tu te souvenais lui avoir envoyé une carte pour son mariage. Quand tu étais revenue de New York, Ginny avait disparu mais tu avais trouvé son mari à la tête d’une galerie d’art reconnue et huppée de Spring Hill. Tu y avais été quelques fois depuis ton retour mais tu n’avais jamais croisé le propriétaire. En même temps, The Factory était bien loin de la petite galerie sans prétention que tu avais ouvert à Toowong il y a tout juste un an. Son message restait évasif, il voulait te parler mais ne te donnait que peu de détails sur le sujet de la conversation. Il était évident qu’il serait professionnel mais, encore une fois, tu ne voyais pas ce que tu avais qui pourrait intéresser Auden. Toutefois, ton expérience t’avait appris à ne pas refuser ce genre de rendez-vous. Tu t’arrangeais donc avec Edison pour pouvoir lui laisser Henry quelques heures. Tu ne pourras pas faire plus, l’idée de devoir le quitter te brisait déjà le coeur. Au fond, tu savais que c’était nécessaire, il allait falloir que tu apprennes à vivre loin de ton bébé plusieurs heures par jour. Le rendez-vous fut pris au McTravish quelques jours plus tard, dans l’après-midi mais tu n’en savais toujours pas beaucoup plus.

Le jour tant attendu arrive mais Henry semblait sentir que tu n’allais pas rester dans les parages toute la journée. Il fut grognon toute la journée, refusant d’être posé plus de quelques minutes. Heureusement, tu avais pris de la marge concernant son repas car il fut difficile et te laissa peu de temps pour te préparer. Ce qu’il n’avait pas bu, tu le stockais pour qu’Edison puisse le lui donner si besoin dans un biberon. Tu t’habillais rapidement veillant à être présentable sans trop en faire. Mais tu passais plusieurs minutes à te maquiller pour masquer un peu les cernes et traits de fatigue qui pouvaient se lire sur ton visage. Tu pris un taxi pour te rendre plus rapidement sur les lieux et tu arrivais avec deux minutes de retard ce que tu trouvais remarquable en même temps qu’inacceptable. Il ne te fut pas difficile de reconnaître Auden qui se leva en te voyant. Tu seras sa main alors qu’il prenait la parole : « Content que tu aies pu te libérer. » Tu ne savais pas encore si toi aussi tu serais contente, tu étais surtout intriguée et tu espérais que ce n’était pas une mauvaise nouvelle. « J’ai appris que c’est le genre de rendez-vous qu’il vaut mieux ne pas décliner. » Dis-tu avec un sourire sur les lèvres avant de t’installer en face de la chaise dont il s’était levé. Ton expérience t’avait prouvé que ce sont les rencontres les plus hasardeuses ou surprenantes qui peuvent être les plus intéressantes. « J’ai commandé pour éviter qu’on me mette à la porte mais je t’attendais. » Voyant la petite bouteille de jus de fruits à côté, tu fis signe au serveur de t’apporter la même chose. Avec l’allaitement, il était hors de question de boire de l’alcool et puis c’était le milieu d’après-midi. « J’imagine que je n’ai pas beaucoup de temps pour faire mon pitch ? » Tu avais un peu de temps devant toi mais pas autant que tu aurais pu en vouloir. Pas pour les raisons qu’il avait en tête cependant. « J’ai deux heures devant moi avant que mon fils devienne incontrôlable. » Dis-tu avant d’ajouter : « Il a deux semaines, c’est la première fois que je le laisse seul avec son père. Autant l’habituer tout de suite. » Parce que tu n’auras pas l’occasion de prendre un long congé maternité, comme le prouve ce rendez-vous d’ailleurs. Ton fils devra être flexible mais tu comptes bien t’en occuper le plus possible. Le serveur t’apporta ton jus et tu dis : « J’avoue être intriguée, je ne m’attendais pas à recevoir ton appel. Alors je t’écoute, quel est ce pitch ? » Autant ne pas tourner autour du pot pendant des heures et en venir droit au but.

@Auden Williams  

« J’ai appris que c’est le genre de rendez-vous qu’il vaut mieux ne pas décliner. » Et dit comme ça, on dirait qu’on s’apprête à discuter de si oui ou non on lui coupe la tête. Je ne réponds pas et me contente de voir son sourire comme une certaine preuve de confiance, sans chercher à poser davantage de questions sur le sujet. Après tout, tant mieux si elle n’a pas pensé à annuler ce rendez-vous, parce qu’il compte pour moi. « J’ai deux heures devant moi avant que mon fils devienne incontrôlable. » Je souris avant même qu’elle ne précise l’âge du bambin, sans doute parce que c’est tout ce que je sais faire dès lors qu’il est question d’enfants et que le mien est arrivé dans ma vie, il y a bientôt trois ans déjà. « Il a deux semaines, c’est la première fois que je le laisse seul avec son père. Autant l’habituer tout de suite. » - « Première fois ? » Je demande néanmoins, sans doute parce que je ne serais pas aussi insouciante qu’elle si tel était le cas. Je suis mal placé pour reprocher à l’ensemble de la gente masculine leur incapacité à être de bons parents, mais le sujet a néanmoins mon attention. « Félicitations. » J’ajoute sur le tard mais je le fais tout de même, sincère.

La discussion ne tourne pas longtemps autour de son fils, justement parce qu’il n’est pas la raison pour laquelle j’ai cherché à obtenir un rendez-vous avec elle. Je suis heureux pour elle et pour sa famille que j’ignorais exister, mais au-delà de ça mes intentions sont ailleurs et je ne saurais faire semblant, ou les cacher davantage. Il a toujours été dans mon caractère d’aller droit au but. « J’avoue être intriguée, je ne m’attendais pas à recevoir ton appel. Alors je t’écoute, quel est ce pitch ? » Elle est aussi droite dans ses propos ce que je peux l’être. Cela me pousse à sourire avec une certaine satisfaction, déjà soulagé de savoir que nous sommes donc sur la même longueur d’ondes. « Tu sais que j’ai une galerie, pas vrai ? » La question est rhétorique: elle le sait évidemment. Elle sait qui je suis et elle sait ce que je fais. En retour, je sais aussi qu’elle dirige la sienne, et c’est justement la raison pour laquelle j’ai cherché à entrer en contact avec elle. « On était deux à l’origine, mais je suis seul maintenant. » Il y avait Ginny ; il n’y a plus Ginny. Fin de l’histoire, je ne cherche pas à entrer dans des détails qui n’ont pas leur importance dans cette discussion. « Et peu importe à quel point la galerie fonctionne, ça ne m’intéresse pas de la gérer. » Je le fais parce que je suis obligé, mais ça ne m’a jamais intéressé. L’administratif et tout ce qui s’ensuit me font souffler plus qu’autre chose. « C’est le moment où tu pourrais entrer en jeu, si c’est quelque chose qui t’intéresse. » Je fais fi de tous les détails pour me concentrer sur ce qui me semble être le plus important pour le moment. Je ne veux pas lui laisser toutes les rênes, je ne veux pas abandonner The Factory, mais l’important réside dans cette question, à savoir si oui ou non elle se sent les épaules pour gérer cette galerie. « Je parle d’une sorte de fusion. » Peu importe les termes juridiques: je ne veux pas la dépouiller de son propre travail, et je ne veux pas supprimer The Factory. Une fusion, donc. Reste à savoir si cela l’intéresse.

Depuis ton retour à Brisbane, tu avais été celle qui organisait les rendez-vous professionnels. Les personnes que tu connaissais dans le milieu n’avaient aucune raison de te solliciter sans que tu n’aies rien à leur apporter. Cela allait faire un an que tu avais ouvert ta galerie et de recevoir l’appel d’Auden te prouvait une chose, tu avais réussi à te faire une place dans le milieu très fermé des galeristes de la ville. C’était une considération que tu ne cherchais pas vraiment mais si tu l’avais, ton travail n’en sera que facilité. Auden te sourit quand tu mentionnes ton fils, cela te laisse penser qu’il a sans doute des enfants lui aussi mais tu ne poseras pas la question car vous n’êtes pas là pour ça. « Première fois ? Félicitations. » Si tu avais pu envoyer Chelsea à ce rendez-vous professionnel, tu l’aurais fait mais il avait toujours été clair pour toi qu’il y avait une grande partie de ton boulot qu’elle ne pouvait pas faire. Alors à défaut de laisser ton fils avec une nounou, ce dont tu ne te sentais pas encore capable, tu le laissais avec son père. Tu avais une entière confiance en Edison mais malgré tout, une partie de toi ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter. « Merci. » Dis-tu simplement pour clôturer le sujet. Vous n’étiez pas là pour parler de ta vie personnelle et tu doutais qu’Auden soit du genre à perdre son temps.

Ne voulant pas perdre une minute de ton côté non plus, tu le lançais donc sur ce pitch qu’il t’avait proposé en introduction. « Tu sais que j’ai une galerie, pas vrai ? » Tu hoches la tête car il est évident qu’il n’attend pas de réponse de ta part et que c’est parce que tu sais qui il est et ce qu’il fait que tu te retrouves face à lui aujourd’hui. « On était deux à l’origine, mais je suis seul maintenant. Et peu importe à quel point la galerie fonctionne, ça ne m’intéresse pas de la gérer. » Tu l’écoutes attentivement sans réellement comprendre où il veut en venir. Toutefois, tu lui laisses le champs libre pour s’exprimer. Derrière ses paroles se cache la disparition de Ginny dont il est clair qu’il ne veut pas parler. Et tu ne te sens pas légitime pour le questionner à ce sujet dans tous les cas. « C’est le moment où tu pourrais entrer en jeu, si c’est quelque chose qui t’intéresse. » Entrer en jeu ? Mais pourquoi … Ton esprit fit alors le lien entre les deux phrases qu’il venait de prononcer. La proposition était tellement folle à tes yeux que tu avais du mal à croire que tu avais bien compris. Est-ce qu’Auden était en train de te proposer la gestion de sa galerie ? « Je parle d’une sorte de fusion. » Cette fois, tu as ta réponse. Auden est bel et bien en train de te proposer de gérer The Factory. Pour l’instant, tu es incapable d’envisager ce que cela peut vouloir dire en termes juridiques car tu n’arrives pas à bien appréhender le concept. Cette proposition te semble bien trop belle pour être vraie et surtout, tu ne comprends pas vraiment pourquoi de toutes les personnes de son répertoire, c’est vers toi qu’Auden s’est tourné. « Juste pour être clair, tu es bien en train de me proposer de gérer The Factory tout en gardant ma galerie n’est-ce pas ? » Il était important pour toi de verbaliser la chose parce que tu n’arrivais toujours pas vraiment à croire ce que tu entendais. Il y avait aussi un point que tu voulais éclaircir. « Pourquoi moi ? » Cela pouvait sembler vraiment puéril mais la question était légitime. « Tu dois avoir un carnet d’adresses bien remplis, pourquoi me proposer cela à moi ? » Tu manquais de rajouter que vous ne vous connaissiez pas et qu’il n’avait donc aucune raison de te faire confiance à priori.

@Auden Williams  

Je parle sereinement de mon plan avec Jenna. J’ai confiance en son attractivité, et j’ai confiance en ses désirs de se faire davantage une place et un nom dans le monde de l’art. J’ai conscience, aussi, de mon propre manque d’engouement au sujet de la gestion de la galerie, que Ginny gérait pleinement et dont je ne me mêlais jamais. Les tâches étaient bien réparties, et jamais je n’aurais pu penser qu’elles soient vouées à être changées un jour. « Juste pour être clair, tu es bien en train de me proposer de gérer The Factory tout en gardant ma galerie n’est-ce pas ? » Je souris. Elle a besoin de l’entendre autant qu’elle a besoin d’une confirmation claire de ma part. Evidemment. Ce n’est pas tous les matins qu’on risque de lui proposer une telle offre, et je suis conscient de tout ce qui est en jeu en cet instant. « Je te propose de gérer The Factory tout en gardant ta galerie, oui. » Je répète donc sans chercher à me donne en spectacle, ni même à faire de zèle. Elle a souligné mon propos, et je le lui confirme donc. Elle est dans le vrai.

Jenna semble réfléchir à tout et à son contraire et je jurerais presque pouvoir observer les rouages s’activer à l’intérieur de son cerveau. Sa vie pourrait changer du tout au tout après cette discussion, alors je comprends qu’une telle décision ne puisse pas être prise du jour au lendemain - pas lorsque je décide d’acheter une villa à Côme, par exemple, j’en conviens. « Pourquoi moi ? Tu dois avoir un carnet d’adresses bien remplis, pourquoi me proposer cela à moi ? » Mon carnet d’adresses n’est pas le sujet. Je ne m’adresse pas à elle parce qu’elle est une vague connaissance. « Ta galerie fonctionne, ce qui veut dire que tu peux gérer. » Le premier point est aussi simple que ça. Je ne suis pas altruiste, je ne veux pas lui tendre la main, je ne veux pas l’aider à s’élever. Mon point est seulement qu’elle saura gérer la galerie sans la couler en six mois, ce qui est un véritable bon début. « Mais elle n’a pas un assez grand nom pour que tu puisses mépriser une autre galerie. » Elle s’occupera de The Factory tel que l’endroit le mérite: elle n’est pas la plus grande galerie du monde, loin de là, mais elle a sa réputation et ses habitués. C’est une perception à double tranchants, qui pourrait pousser Jenna à faire fermer la galerie pour avoir une concurrence de moins pour la sienne, mais j’ose estimer que cela ne fasse pas partie du caractère de la jeune femme. Elle est droite dans ses bottes, c’est toujours ce que j’ai entendu d’elle. « Je compte continuer d’y travailler, je serai présent, mais c’est ton nom qui sera associé à la galerie. » Je ne renonce pas à la lumière, mais je renonce à ce faisceau en particulier. Il ne me correspond plus, et j’ose au moins espérer qu’il lui plaira, à elle. Jenna est pleine d’espoir, et peut-être que j’aime l’idée d’aider un artiste dans sa position. « Tu peux commencer dans quelques mois, si tu veux profiter de ton enfant avant. Je veux simplement une réponse le plus tôt possible. » Je ne sais pas quel âge il a mais j’ai tendance à croire qu’elle est une toute jeune mère, et la séparer de son enfant après l’avoir fait choisir entre vie professionnelle ou de famille n’est pas mon objectif. Si je sais qu’elle reprendra la galerie, alors je pourrai attendre que ce soit le bon moment pour elle. J’ai simplement besoin de connaître sa décision, justement. Et elle, je pense qu’elle aura besoin de quelques jours pour y réfléchir.

« Je te propose de gérer The Factory tout en gardant ta galerie, oui. » Cette fois, tu ne pouvais pas avoir mal compris. Auden avait prononcé les mots que tu avais encore du mal à croire. En rentrant à Brisbane et en ouvrant ta galerie, tu n’avais compté sur personne. Ce projet, c’était le tien et tu avais disparu depuis deux ans des radars alors qui voudraient bien t’aider ? Aujourd’hui, cette proposition sortait de nulle part, enfin de ton côté, ce qui expliquait que tu aies autant de mal à la conceptualiser. Il y avait une chose qui te rassurait dans sa proposition, c’était qu’Auden ne s’attendait pas à ce que tu abandonnes ta galerie. C’était vraiment très important pour toi de la garder car tu avais réussi à en faire exactement le lieu que tu souhaitais et il fonctionnait. Sa proximité avec l’université te permettait d’accéder à de nouveaux artistes que tu allais repérer sur le campus en plus des réseaux sociaux et du bouche à oreille. The Factory, c’était une toute autre ambiance, ce qui ouvrait des horizons bien différents. Tu finis par poser à Auden la question qui te hantait. Savoir pourquoi c’était toi qu’il avait choisi pour cette opportunité. Après tout, il ne devait pas manquer de possibles candidats avec son carnet d’adresse. « Ta galerie fonctionne, ce qui veut dire que tu peux gérer. Mais elle n’a pas un assez grand nom pour que tu puisses mépriser une autre galerie. » Tu hoches la tête. Ce n’était pas une question de grand nom ou de petits noms. A tes yeux, toutes les galeries méritaient d’être respectées, aucune ne devait être méprisées. Il y en avait certaines qui faisaient des choix qui n’étaient pas les tiens mais ce n’était pas une raison pour les mépriser. « Je compte continuer d’y travailler, je serai présent, mais c’est ton nom qui sera associé à la galerie. » L’information était intéressante. Tu ne connaissais pas assez Auden pour pouvoir savoir là tout de suite si cette relation professionnelle pourrait bien se passer ou pas. A première vue, tu n’était pas très inquiète mais tu n'avais envie de marcher sur les plate-bande de quelqu’un. Si tu acceptes, il faudra bien se poser sur les rôles de chacun. Avec ta galerie, tu avais la liberté de faire ce que bon te semblait, dans celle d’Auden, il y aura certainement des contraintes à respecter. « Tu peux commencer dans quelques mois, si tu veux profiter de ton enfant avant. Je veux simplement une réponse le plus tôt possible. » Tu hoches la tête alors qu’elle tourne légèrement. Auden semble tout à fait confiant dans cet échange, semble très à l’aise avec le fait qu’il est en train de te proposer une opportunité qui peut changer une vie. Maintenant que tu as ta galerie, tu sais à quel point ce n’est pas facile de laisser quelqu’un d’autre que toi gérer les choses. C’est comme si on te découpait un petit morceau dans ton cœur. Qu’Auden te fasse confiance voulait dire beaucoup. « Je suis maman depuis quinze jours et je ne sais pas encore quel est le bon rythme pour ma galerie à moi. Si je commence, ce ne sera pas avant le début de l’année. » Il fallait être honnête. Tu ne pourrais pas faire mieux, pas quand cela voudrait dire embaucher quelqu’un pour ta galerie, te familiariser avec celle d’Auden et tous pleins de tâcher auxquelles tu n’avais pas encore pensé. « Je peux prendre quelques jours pour y réfléchir ? » Tu n’allais pas le faire attendre trop longtemps mais il fallait que tu en discutes avec Chelsea et aussi avec Edison. Cela aura un impact sur ta vie de famille et ta galerie actuelle, dans tous les cas. Les impacts ne seront pas forcément mauvais, au contraire mais ils n’impliqueront pas que toi. « Je passerai faire un tour à The Factory, cela fait un petit moment que je n’y suis pas venue, ça m’aidera à faire mon choix. » Cela t’aidera surtout à te projeter mais tu ne voulais pas donner de faux espoirs à Auden si tu finissais par décliner. Ce n’était pas dans tes plans, cette proposition était une opportunité professionnelle en or mais tu préférais y réfléchir quelques jours quand même. « Je t’appelle pour te donner ma réponse ? Ou on reprend rendez-vous ? » Tu t’adapteras aux deux quitte à amener Henry avec toi si besoin.

@Auden Williams  

« Je suis maman depuis quinze jours et je ne sais pas encore quel est le bon rythme pour ma galerie à moi. Si je commence, ce ne sera pas avant le début de l’année. » Ce que j’avais anticipé, et ce qui ne me dérange pas. Je ne veux pas la priver des premiers mois de son enfant, ni même du repos qu’elle mérite. Cela ne m’empêche pas de déjà lui proposer cette offre, mais je sais reconnaître rapidement les limites de l’idée: j’ai besoin d’une réponse pour savoir à quoi m’en tenir, mais du reste je sais me montrer flexible. Sa situation est particulière et je la connaissais avant même de lui proposer cette idée, alors je sais ce dans quoi je mets le nez et j’ai déjà jaugé les pours et les contres d’une telle situation. Il y a peu de chances pour qu’elle ait un autre enfant dans la foulée, alors le problème n’en est un que maintenant. D’ici le début de l’année, plus personne n’y verra plus rien et elle recommencera à gérer sa propre galerie comme avant et, avec un peu de chance, la mienne avec. « Je ne presse rien. » Tant qu’il n’y a pas d’abus, du moins. Je ne saurai jamais exactement ce que c’est que d’être à sa place mais j’ai au moins été auprès de Ginny après qu’elle ait donné naissance à notre fils, ce qui me donne une idée générale de son état et de sa fatigue pour les mois à venir ; autant que de son envie compréhensible d’être présente pour son enfant.

« Je peux prendre quelques jours pour y réfléchir ? »
« Evidemment. »

Il s’agit du délai que je comptais lui donner avant de commencer à penser à une autre personne si je venais à n’avoir aucune réponse de sa part. Je la crois pourtant de bonne volonté, autant qu’envieuse de faire grandir sa propre galerie autant que son nom dans le milieu de l’art, élitiste et fermé. Je lui ouvre une porte facile, j’ose espérer qu’elle saura se rendre compte de l’opportunité que cela représente ainsi que de sa chance avec. « Je passerai faire un tour à The Factory, cela fait un petit moment que je n’y suis pas venue, ça m’aidera à faire mon choix. » Ce à quoi j’hoche la tête sans répondre, simplement parce que je n’ai aucun commentaire à faire sur cette idée. Qu’elle passe si elle veut et si cela peut l’aider à prendre une décision, quelle qu’elle soit. Je n’y suis pas opposé. « Je t’appelle pour te donner ma réponse ? Ou on reprend rendez-vous ? » - « Appelle-moi quand tu as pris ta décision. On verra ensuite. » Si elle est négative, alors pas besoin de se donner rendez-vous où que ce soit puisque ce serait une perte de temps pour nous deux. Si elle est positive, alors il sera toujours temps d’en aviser le moment venu et de discuter de ce qu’il en est. Dans quelques jours, nous serons fixés, elle comme moi.