« Tu sais pourquoi est-ce que j’t’ai invité ? » Mon regard scrute le sien à la recherche de la moindre réponse. Peut-être que d'une certaine façon, je la devine. J'ai cependant bien trop peur pour la prendre en considération réellement. S'il y a bien une chose que j'ai apprise, particulièrement avec Ugo, c'est qu'il ne faut pas toujours se fier aux ressentis, mais s'en tenir aux actes et non aux hypothèses. Contre toute attente, c'est la légèreté qui prône, cherchant probablement à le déstabiliser par des réponses loin du sérieux qu'il cherche à instaurer. « Parce qu'ils font moins cinquante pourcent sur la deuxième pizza achetée le jeudi soir ? » Je décèle un sourire sur son joli visage. Mais il s'efforce de rester centré sur sa mission de base et d'oublier combien je peux être puérile parfois. Un effort qui me pousse donc à prendre un peu plus en considération cette question, et lui apporter une réponse plus rationnelle. Ou presque. « Okay… parce que tu t’es souvenir que j’étais plutôt sympa et drôle en recroisant ma route la dernière fois ? Attends de voir c’que ça va donner une fois qu’on aura fini cette bouteille. » Il me fixe, bien trop silencieusement, de quoi me rendre quelque peu nerveuse et déclencher sans plus attendre toutes les armes de défense possible, notamment en cherchant à m'échapper de cette tension naissante que je ne saurais expliqué entre nous. « Je ne dirais pas que je m’en suis soudainement souvenu la dernière fois que j’ai eu le malheur ou la chance de recroiser ton chemin. Ce serait faux. Disons plutôt que j’ai jamais oublié que t’étais « plutôt sympa et drôle » » Mes yeux bleus se posent sur ses lèvres, me rappelant combien j'aime l'accent italien lorsqu'il s'en empare. J'ai toujours aimé. Pour autant, ce sont bien ces mots qui parviennent à me rendre un peu plus sérieuse et attentive, comme si j'accordais enfin de l'importance à ce qu'il voulait aborder. « Tu serais venue aussi si j’t’avais dit que c’était officiellement un rendez-vous … ouais, un vrai de vrai, celui du genre où on veut faire ses preuves, choisit son plus beau outfit, et cherche à plaire à celle qui est face. » Je souris, détournant un instant le regard avant d'oser avouer. «Tu n'as jamais eu besoin d'enfiler ton plus bel outfit pour parvenir à me plaire » Un aveu qui est sorti un peu trop spontanément, alors que notre langue maternelle semble avoir reprit ses droits dans cet échange. Ugo fait parti de ces hommes, ceux dont la classe est innée, et qu'elle se répercute jusqu'à son attitude, sa façon de marcher, ou de même de parler. Une chose que beaucoup doivent lui envier, et qu'il a certainement nourrit par le poste professionnel qu'il occupe. Cela ne répond cependant pas à sa question, et je m'accorde quelques secondes durant lesquelles mon regard se balade innocemment autour de nous avant de poursuivre. «Peut-être que oui» Une réponse qui laisse planer le doute par cette nuance, mais qui se justifie par de nombreux éléments. «Et peut-être que les choses auraient été bien plus simples si on avait eu ce rendez-vous de vingt ans plus tôt». Ce n'est pas un reproche, juste un fait qui pouvait cependant rentrer en ligne de compte. Parce que nous avions vécus tous deux des relations compliquées, qui, qu'on le veuille ou non altère aujourd'hui sur ce que nous sommes prêt à offrir, que nous sommes devenus des adultes, sûrement bien plus responsables et raisonnés que ce que nous étions à l'époque, capable de mesurer le chaos que nous serions en mesure de déclencher par un quelconque rapprochement, mais aussi la méfiance que j'éprouve encore à son égard, celle qui me pousse à croire qu'il pourrait se jouer de moi. Suis-je seulement prête à me lancer corps et âme dans une nouvelle relation? Je n'en ai pas la moindre idée, et s'il y a bien quelqu'un avec qui je redoute de prendre le risque, c'est bien lui. Parce qu'il n'est pas tout le monde, et que le perdre serait sûrement bien plus douloureux que de refuser de nous accorder une chance. Je me penche par dessus la table, parlant à voix basse pour lui confier ses choses, avec le plus de sincérité possible. «La dernière histoire que j'ai vécue a été suffisamment douloureuse, j'suis pas certaine d'être en capacité de réitérer si facilement l'expérience pour le moment.» Les blessures restaient vives, et devoir me projeter dans quelque chose de plus concret rendait tout ça particulièrement effrayant pour moi. «J'ai juste envie de savourer les moments désormais, sans que mon esprit soit là pour me dire ce qui est bien ou non. J'ai besoin que ce soit plus facile» Je me pince les lèvres, espérant qu'il comprenne à travers ces mots la complexité de mon état d'esprit actuel. Pas de promesse, pas de prévision, juste un besoin de lâcher prise, avec peut-être à la clé, un bonheur que je n'avais pas vu se profiler dans les mois à venir. Mon regard perdu dans le sien, je finis par me redresser. «Qu'en est-il pour toi?» Avait-il tiré un trait sur son histoire d'amour avec Valencia et était prêt à se laisser mouvoir par de nouvelles aventures?


@Ugo De Luca

C'est étrange, nous avons passés presque une quinzaine d'années à nous croiser uniquement lors de grands événements, nous en tenant aux obligations que nous nous devions de participer par cette fraternité pourtant fictive, et voilà qu'il réintègre peu à peu mon cercle proche, comme s'il ne l'avait jamais quitté. Sommes-nous arrivés à un tournant de nos vies qui nous mène l'un vers l'autre? Ma séparation, son divorce…Des éléments qui nous amènent à éprouver une solitude similaire, et un besoin de nous rappeler que nous pouvons encore compter l'un sur l'autre, qu'importe la distance que nous avions prit envers l'autre des années auparavant, que nous pouvions encore nous amuser des choses parfois futiles aux yeux des autres, de retrouver cette complicité perdue sous un amas de poussières. Ca m'avait manqué tout ça. Je n'en avais peut-être plus conscience, mais ce soir, il est face à moi, et je me rappelle combien il me faisait du bien, du moins, quand il ne faisait pas le choix de me tourner le dos. Ma fierté m'avait longtemps poussé à me tenir éloigné de lui, mais je n'avais jamais été en mesure de saisir pourquoi lui s'était affairé à se comporter avec moi comme si je n'étais qu'une simple connaissance. Est-ce son mariage avec Valentina qui l'avait poussé à se conforter dans le rôle du mari idéal, celui qui ne doit définitivement pas éprouver de l'affection pour une autre femme que la sienne, ou étais-je devenue cette femme sur laquelle il se repliait par dépit? Et j'ai cette question qui me taraude depuis nos retrouvailles chez ma mère, celle à laquelle je m'étais interdit de penser à plusieurs reprises depuis qu'il avait quitté l'Italie, que serions-nous devenus s'il était resté? Aurions-nous prit le temps d'explorer cette relation, et quelle aurait-été son issue? Une réponse que nous ne trouverons jamais, et qui serait bien différente si nous nous lancions corps et âme dans une nouvelle histoire à ce jour. Nous ne sommes plus les mêmes, nous avons changé, nous avons vécu, nous avons grandi «Peut-être que oui. Et peut-être que les choses auraient été bien plus simples si on avait eu ce rendez-vous de vingt ans plus tôt. » Ou peut-être pas. La jeune femme vive et impulsive de l'époque était peut-être bien trop ingérable pour quelqu'un comme lui, bien que je reste parfois insaisissable encore à ce jour. « Sans doute ». Je ressens l'amertume, un sentiment que je ne cherchais pourtant pas à provoquer, encore moins ce soir.

La possibilité de me plonger dans une nouvelle histoire reste assez incertaine pour moi. Je ne suis plus certaine d'être en mesure d'offrir toutes ces choses que j'ai pu donner auparavant, incapable de savoir si je pourrais ressentir autant d'amour pour une autre personne un jour, ou même d'accorder ma confiance sans retenue, au risque d'écoper d'une nouvelle déception sentimentale. J'ai juste besoin d'un lâcher prise, besoin de ne plus me poser aucune question, pour peut-être espérer retrouver quelqu'un avec qui je pourrais de nouveau me projeter. « Moi ?Je dois apprendre à composer ma vie de nouveau seul – je pensais que ça serait plus simple. » Un léger sourire, relativement triste, s'empare de mes traits. Ce n'est jamais simple. Encore moins après autant d'années de mariage.« Je ne suis pas prêt à faire de grands projets … j’essaie de survivre chaque jour qui passe en essayant d’être un minimum heureux. » J'acquiesce d'un signe de tête, ne pouvant que saluer le courage que cela doit lui demander. « C'est déjà un grand projet en soi…Moi j'suis fière de toi» Un aveu qui paraissait bien plus banal dans mon esprit, mais qui dit comme ça suffit à me soutirer un léger rire, comme si j'étais devenue ma propre mère. Une pensée que je cherche à chasser dans le fond de mon verre, bien que je reste persuadée qu'elle aurait tout fait pour se retrouver avec nous à cette table ce soir. « J’en suis là, à juste essayer d’être heureux … au jour le jour. Y’a sans doute mieux comme réponse mais c’est la réponse la plus honnête que je puisse te confier. » Mon regard croise le sien, éprouvant une certaine bienveillance « Est-ce que ma réponse te donne envie de partir en courant ? » Je secoue la tête en me pinçant les lèvres, révélant un sourire bien plus sincère. «Nan…Je partage bien trop ce sentiment pour te blâmer pour tes incertitudes» Quelques secondes d'hésitation avant de m'y risquer «J'peux te poser une question?» Je me mordille légèrement l'intérieur de la bouche. «Pourquoi il t'a fallu attendre tout ce temps pour vouloir passer un peu de temps avec moi?»



@Ugo De Luca