@Swann Craine

Évidemment, il pleuvait. Depuis l’aube, la pluie n’avait pas cessé et le présentateur météo avait annoncé qu’il fallait s’attendre à ce que ça continue jusqu’à dimanche. Min-Kyung refusait de voir ça comme un mauvais présage, mais ça n’aidait pas son humeur non plus. Il s’était levé tôt avec l’intention d’aller courir comme à son habitude. Il savait que la météo ne serait pas favorable et, normalement, la pluie ne l’arrêtait pas, mais la vue des lourds nuages sombres dans le ciel de Brisbane l’avait convaincu de laisser passer une journée. Il aurait besoin de toute son énergie plus tard.

Swann devait le rejoindre dans un café à 14 heures. Après leur désastreuse soirée Jazz, Min ne lui avait donné aucune nouvelle. Il avait complètement paniqué. Swann, la gentillesse incarnée, lui avait appelé un taxi afin qu’il rentre chez lui. Le lendemain, il avait reçu un texto de sa part lui demandant comment il allait. Min-Kyung avait fixé l’écran sans y répondre, mortifié par sa réaction. Les jours s’étaient transformés en semaine durant lesquelles plusieurs choses lui arrivèrent, le poussant finalement à prendre une décision. Il ne pouvait pas laisser Swann dans le noir, il l’appréciait trop pour ça. Il l’avait donc invité à prendre un café avec l’intention de faire officiellement son coming out. Min l’avait fait à Lincoln, un peu forcé par les circonstances, et comme le monde n’avait pas cessé de tourner, il se sentait capable de le faire encore. Ça ne l’empêchait pas d’être nerveux cependant. Il y avait pensé toute la semaine, voyant la date approcher avec une certaine appréhension. Il craignait aussi que Swann soit fâché par son silence même si, au moment de l’invitation, il avait immédiatement accepté sans poser de question.

À défaut d’aller courir, Min tenta de se distraire en regardant la télévision, mais il abandonna rapidement, incapable de rester concentré sur l’écran. Il essaya de lire, mais ça demandait encore plus de concentration alors il laissa tomber. Il se sentait comme un lion en cage. En ultime recours il fit un peu de ménage dans l’espoir de canaliser cette énergie, mais l’appartement étant impeccable, il en a eu rapidement fait le tour. Midi passa et Min n’en pouvait plus. Il décida de partir plus tôt et arriva au café à 13 heures. Il commanda un premier café et s’installa à une table un peu à l’écart et passa le temps en feuilletant un journal et en jouant sur son téléphone. Min finit par tout fermer et regarda plutôt par la fenêtre la pluie tomber, une façon pour lui de surveiller l’arrivée de Swann tout en laissant ses pensées vagabonder.

Il s’est laissé prendre dans les bras de son compagnon lorsqu’il est rentré chez lui ce soir-là, Swann. Il lui a raconté brièvement l’histoire par message avant de rentrer, et il s’est laissé étreindre pour être réconforté. Il est profondément désolé de son attitude, ou tout du moins de la façon dont elle a pu être perçue par Min-Kyung. Jamais son but n’avait été de le blesser, jamais il n’avait non plus été de le mettre mal à l’aise. Sans surprise, le message qu’il a envoyé à son ami dès le lendemain n’a reçu aucune réponse. Les jours sont devenus des semaines et la vie a repris son cours. Le cabinet de Swann s’est ouvert, Robin a encore grandi, Rory s’est vu offrir la tête d’affiche d’un prochain film à succès. Mais pour Min, il ne sait pas ce qui a bien pu se passer et il a dû se faire fureur pour ne pas lui renvoyer d’autres messages, la crainte qu’il ait fait quelque chose de stupide le rongeant néanmoins. A un moment, et pour la première fois depuis toujours, il s’en est même voulu d’être aussi heureux et comblé alors que d’autres n’ont pas cette chance ; mais il sait aussi que ce serait injuste que de s’en vouloir d’une telle chose alors que le chemin pour en arriver là a été terriblement long et difficile.

Ainsi, lorsque son ami lui a répondu pour lui donner rendez-vous dans un café, Swann n’a pas tardé avant de répondre, et surtout de le faire par la positive. Il est soulagé d’avoir enfin de ses nouvelles, et il est aussi soulagé de constater que Min-Kyung ne semble pas lui tenir rigueur de leur dernière discussion - ou tout du moins qu’il ne le fait pas au point de refuser catégoriquement de lui parler. Il a adapté son emploi du temps pour pouvoir se rendre dans le café à l’heure prévue, le cœur tordu à l’idée qu’il ait choisi le DBD parmi tous les cafés de la ville. Il repense à son frère qui a créé cet endroit, il repense à tout ce qu’il a pu vivre entre ces murs. Il repense à Rory, qu’il a croisé ici pour la première fois, il y a sept ans déjà.

Avant de passer le pas de la porte, il souffle une seconde pour se vider l’esprit et se donner du courage. Lorsqu’il rentre dans l’endroit, il n’a d’autre choix que de saluer de loin le barman, qu’il connaît personnellement et vice-versa, avant de chercher du regard son ami. Il est arrivé à 14h pétantes, et une part de lui se doutait déjà qu’il y serait déjà. Soit Min venait en avance, soit il ne venait pas tout court. Il n’existait aucun entre-deux, et Swann est soulagé que la première hypothèse l’emporte sur le reste. « Hey. » Il souffle doucement et prend des pincettes au même moment où il s’installe à table face à son ami. « Tu veux commencer ou je le fais ? » Il n’est pas celui ayant quelque chose à dire, mais il serait prêt à broder si cela peut aider Min à trouver les bons mots.

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À 14 heures juste, Swann passa la porte du café. Dans la dernière heure, Min avait tout essayé pour s’occuper l’esprit et se détendre un peu, sans y parvenir. Voir son ami fit monter son stress en flèche, mais il resta sur sa chaise avec la certitude que s’il ne parlait pas maintenant, il ne le ferait jamais. Il avait la fâcheuse tendance d’éviter autant que possible les situations inconfortables tout en sachant pertinemment qu’il ne se rendait pas service en agissant ainsi. Fuir toute sa vie ne le rendra pas heureux. Peut-être que pendant un temps, Min pourra entretenir l’illusion, mais tôt ou tard, ça lui exploserait au visage. Voilà pourquoi il devait parler avec Swann. Il se disait son ami, alors il allait le traiter comme tel en lui donnant les explications qui lui sont dues.

Swann s’installa en face de lui. Malgré son visage calme et avenant, il y avait une légère tension dans l’air, comme si aucun d’eux ne savait comment aborder l’autre. Swann brisa le silence en premier. « Tu veux commencer ou je le fais? ». Min entoura sa tasse de café avec ses mains. S’il ne les occupait pas, elles trembleraient. « Je vais commencer. » Il inspira profondément, à la recherche de chaque parcelle de courage qu’il avait en lui. Min ne s’était jamais vu comme un homme courageux. Persévérant, peut-être, mais pas courageux. « Je suis désolé », dit-il enfin après un moment de silence. « J’ai trop bu ce soir-là. Je sais pourtant que je ne tiens pas bien l’alcool. La pression était trop forte avec ma famille et tout. Ce n’est pas une excuse, mais c’est ce qui est arrivé. » Maintenant qu’il avait commencé à parler, les mots lui venaient plus facilement. Briser la glace est toujours l’étape la plus difficile. Une fois lancé, il suffisait de continuer. « J’ai gâché la soirée et je m’en excuse. Je n’aurais pas dû sortir comme ça. Je ne savais pas quoi faire, j’ai paniqué alors j’ai fait ce que je sais faire de mieux, prendre la fuite. Et après, j’aurais dû te donner des nouvelles, mais j’avais trop honte d’avoir agi comme un imbécile. » Min osa un premier regard dans la direction de Swann qui l’écoutait patiemment. « Le truc c’est que… Tu as raison. Je suis… gay. » Min-Kyung détourna les yeux vers la grande fenêtre près de lui comme s’il s’attendait à ce que le monde arrête après avoir dit ces mots, mais comme pour la première fois, rien ne changea. Les gens continuaient simplement leur vie, plus préoccupés par la pluie qu’autre chose, ignorant ce qui se passait à l’intérieur de ce café. « Tu es la deuxième personne à qui je le dis. Je ne pensais pas pouvoir le faire un jour, parce que le dire rend la chose réelle. C’est ridicule, parce qu’elle l’était déjà et depuis longtemps en plus de ça. Désolé, j’ai l’impression de parler beaucoup, mais je savais que si je te laissais parler, il y avait un risque que je ne dise rien du tout. Je ne veux plus me cacher. »

Min annonce qu’il sera le premier à parler et son ami le laisse faire, sans doute un peu soulagé au fond: il ne sait pas ce qu’il aurait dit, lui, alors il préfère encore que ce soit Min qui commence. Sans lui jeter la pierre, il reste néanmoins le seul à avoir des explications à donner, alors cela fait du sens qu’il débute. « Je suis désolé » sont ces premiers mots ; autant auxquels Swann ne s’attendait pas, sincèrement surpris qu’il débute son explication d’une telle manière. Il ne lui en a jamais voulu un seul instant, pas alors qu’il a toujours été évident que Min avait réagi par instinct de conservation et non par envie de nuire à l’anglais. Il n’a sans doute jamais voulu blesser Swann. D’un geste de la main, il lui signifie que cela n’a aucune importance et qu’ils peuvent faire le choix de ne plus en parler. C’est du moins le choix que fait Swann de son côté. « J’ai trop bu ce soir-là. Je sais pourtant que je ne tiens pas bien l’alcool. La pression était trop forte avec ma famille et tout. Ce n’est pas une excuse, mais c’est ce qui est arrivé. » - « C’est pas grave, Min. Je demande pas à avoir toute l’histoire à ce sujet. » Il en sait assez pour comprendre à quel point le sujet peut être tabou et difficile à aborder pour lui. Il n’a pas besoin de connaître tous les détails de sa vie. Ce n’est pas de cette façon qu’il avait imaginé son ami se confier à lui, du moins, et il s’en voudrait éternellement s’il se sentait forcé à le faire d’une quelconque manière.

« Je me doutais bien que tu aurais besoin d’un peu de temps après l’autre soir, t’en fais pas. » Il est parti en trombe parce qu’il en a soudainement ressenti le besoin, ce qui prouve bien la difficulté que parler de sa sexualité représente pour lui. Certains diraient qu’il est un adulte et qu’il devrait donc avoir le courage de dire ce qu’il pense et ce qu’il est mais Swann est bien placé pour savoir que l’âge n’est pas à prendre dans un tel cas de figure, ou discussion. « Le truc c’est que… Tu as raison. Je suis… gay. » Min a déjà détourné le regard après avoir plongé ses prunelles dans celles de Swann durant un très court instant mais l’anglais sourit tout de même doucement. Il a dit les mots et, au fond, il est heureux pour lui, autant qu’il est fier de lui. « T’as pas souvent dit ça, je me trompe ? » Ce n’est pas un reproche, pas une accusation, mais simplement le moyen de calmement continuer leur discussion. « Tu es la deuxième personne à qui je le dis. [...] Je ne veux plus me cacher. » Et il fait preuve d’une force de caractère impressionnante, à s’assumer à ce point après avoir passé toute une vie dans l’ombre. « On est pas obligés d’en parler davantage si ça te met mal à l’aise. Et si tu veux pas que je parle de mon propre couple, aussi, je peux comprendre. » Peu importe les raisons exactes, Swann n’a aucun mal à comprendre que parler de son propre bonheur en tant qu’homme vivant avec un autre homme pourrait mettre à mal Min, qui ne peut que rêver d’une telle vie pour l’heure. « Je veux dire… t’as pas besoin de le crier sur tous les toits si t’en as pas envie. Être toi, c’est déjà ne plus te cacher. » Tant qu’il ne coche pas la case “hétérosexuel” si jamais il s’inscrit sur une application de rencontre, par exemple, il est lui. « Je suis touché que tu m’en aies parlé. » Même s’il avait bu, même si tout a finalement été assez difficile. Il l’a fait, et ça compte beaucoup pour Swann, parce que cela signifie qu’il lui fait un minimum confiance malgré tout. « C’était qui, la première personne ? Je crois que de mon côté, la première personne qui a vraiment su c’est parce qu’elle m’a surpris en train d’embrasser un homme, alors bon… ça aurait pu être plus délicat, je crois. » Il aborde la question avec un mince rire en repensant à la scène qui, de toute évidence, ne se serait pas arrêtée à un simple baiser si sa colocataire ne l’avait pas surpris auprès de Rory sur le canapé de leur salon. Aujourd’hui, il y repense avec une douce insouciance, même s’il a attendu des années avant d’en parler après cet incident.

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Swann était là, à l’écouter sans rien dire, sans le brusquer, avec toute la patience et la douceur nécessaire. Comment un être humain comme lui pouvait exister. Min réalisait maintenant à quel point il était chanceux d’être tombé sur lui, ce matin-là lorsqu’il était parti courir. Quand on y pensait, sur toutes les personnes qu’il aurait pu croiser à Brisbane, ce fut lui. Le hasard faisait parfois bien les choses et Min en était reconnaissant. « On est pas obligés d’en parler davantage si ça te met mal à l’aise. Et si tu veux pas que je parle de mon propre couple, aussi, je peux comprendre. » Il était même prêt à faire des compromis en évitant certains sujets? Min sourit tristement en secouant la tête. « Non, je veux en parler. J’ai été silencieux trop longtemps, je crois. C’est pour ça que ça m’a explosé à la figure, je crois. Tout ce qui est arrivé… » Il laissa sa phrase en suspens. Il ne voulait pas parler de l’agression à Swann. Il ne voulait pas l’inquiéter et il craignait un peu sa réaction. « Quant à ton couple… Tu peux en parler, ne t’inquiète pas. J’avoue être envieux, un peu. Tu es chanceux, mais parler et accepter ce que je suis, c’est la première étape, n’est-ce pas? » Il y avait encore d’autres étapes à franchir, mais Min-Kyung était décidé. Il évitait aussi de penser à ses parents et au fait qu’ils finiraient par l’apprendre et à la tempête que ça provoquerait, pour ne pas dire le cataclysme. « Et je ne peux pas t’empêcher de parler de quelque chose qui te tient autant à cœur et qui te rend heureux. Je trouve ça encourageant. Ça prouve… que c’est possible. » Qui sait, à la même date l’année prochaine, peut-être que Swann le trouvera insupportable à l’entendre parler sans arrêter de son petit copain.

« Je veux dire… t’as pas besoin de le crier sur tous les toits si t’en as pas envie. Être toi, c’est déjà ne plus te cacher. » Il acquiesça doucement, toujours un faible sourire sur les lèvres. « Je n’ai pas l’intention de le hurler partout en ville. Ma famille n’en sait rien encore et je te disais qu’ils me présentaient des filles jusqu’à récemment. Dans leur tête, c’est tout simplement impossible que je sois gay. Ça va être… terrible. C’est pour ça que je n’ai jamais rien dit. Par parce que ça me révoltait, mais à cause de leur réaction. » S’il avait eu des parents ouverts d’esprit, sa vie aurait été complètement différente. Il n’aurait pas cette conversation avec Swann, il n’aurait probablement jamais quitté Melbourne. Ou s’il l’avait fait, ça serait pour des raisons différentes. « Je suis touché que tu m’en aies parlé. » Cette fois, Min-Kyung osa le regarder dans les yeux. « J’aurais préféré que ça se passe différemment, mais c’est la vie, je suppose. Honnêtement, je pensais t’en parler depuis un moment. Ça m’a effleuré l’esprit, mais je ne savais pas comment m’y prendre. Je ne sais pas si j’aurais pu faire pire… Enfin… »

Min termina son café alors que Swann lui demandait qui avait été la première personne à qui il l’a dit. Le visage de Lincoln s’imposa à son esprit et, pendant un bref instant, son regard s’adoucit légèrement. « Un gars que j’ai connu un mois après mon arrivée à Brisbane. Pour être honnête, sa vie est aussi bordélique que la mienne. Techniquement, tu es le premier à m’avoir… je ne veux pas dire confronté, mais à m’avoir clairement questionné là-dessus. Lui, je n’ai juste pas eu le choix de le dire. » Lincoln l’avait également surpris dans une situation compromettante, mais il n’aurait probablement rien dit si lui-même n’avait pas décidé de parler. « Je crois que la prochaine personne à qui je vais en parler sera ma sœur. J’ai l’impression qu’elle s’en doute. Elle m’a dit quelque chose la veille de son mariage, je sais qu’elle ne me rejettera pas. Je regrette juste qu’elle soit si loin, mais bon, ce n’est pas comme si j’étais complètement seul ici. » Impossible d’ignorer le soulagement de Min. Ce n’était pas encore facile pour lui d’en parler, mais un poids lui avait été retiré des épaules. Plusieurs choses l’effrayaient encore, des obstacles de tailles restaient à venir, mais comme il l’avait dit plus tôt, il savait que c’était possible.

Il est chanceux, oui. Il ne l’a jamais été au cours de sa vie en ayant grandi dans l’ombre d’un père inexistant et d’une mère absente, mais aujourd’hui tout est différent. Rory fait de lui un homme chanceux. Il fait de lui un mari comblé et un père heureux, en plus d’un être humain accompli qui n’a plus peur d’exister pour qui il est et pour ce(ux) qu’il aime. Il n’aurait jamais parié pouvoir être capable de vivre une vie aussi heureuse et seul Rory lui a prouvé le contraire, sans qu’il ne lui en veuille à aucun moment de lui avoir donné tort de cette façon. Au fond, Swann est soulagé de savoir que le sujet de son mariage n’est pas totalement proscrit, parce qu’il aurait bien eu du mal à se retenir d’en parler. Face à Min et son histoire, pourtant, il pèse chacun de ses mots puisque le coréen doit jongler entre de nombreux problèmes et qu’il a à coeur de le délester d’autant de poids que possible. Aucun miracle ne sera fait ce soir, évidemment, mais ils peuvent au moins en discuter et tenter de trouver une solution à tout ça. « J’aurais préféré que ça se passe différemment, mais c’est la vie, je suppose. Honnêtement, je pensais t’en parler depuis un moment. Ça m’a effleuré l’esprit, mais je ne savais pas comment m’y prendre. Je ne sais pas si j’aurais pu faire pire… Enfin… » - « C’est pas si grave, je t’assure. » Il a eu beaucoup de mal à accepter l’idée le soir même, mais aujourd’hui il sait que Min s’est retrouvé dépassé par la discussion et qu’il n’a pas su gérer toute la situation. Maintenant, il a assez de recul sur la situation pour en parler de façon un peu plus posée.

Swann lui demande qui est la personne à qui il en a parlé, curieux de connaître l’histoire derrière cette discussion. « [...] Lui, je n’ai juste pas eu le choix de le dire. » La formulation prend l’anglais de court, qui se retrouve assez facilement perdu face à cette annonce. « Qu’est-ce que tu veux dire ? » Il demande, les sourcils légèrement froncés, soucieux qu’il n’ait pas été forcé de lui faire cette annonce d’une façon désagréable. « Je crois que la prochaine personne à qui je vais en parler sera ma sœur. [...] » Swann hoche la tête pour lui montrer qu’il soutient cette idée. Il se sentira libéré lorsqu’il en aura parlé à sa soeur, c’est certain. « Je peux te demander ce qu’elle t’a dit ? » Il aimerait juger lui-même si ce n’est que Min qui veut croire qu’elle se doute déjà de sa sexualité ou s’il voit des indices là où il n’y en a sûrement pas. « Mon frère est le premier à qui j’en ai parlé. On était très proches, c’était plus facile. » Il ajoute, pour appuyer sa propre idée. Swann savait, au fond, que Matt ne le repousserait jamais pour son orientation sexuelle mais cela n’en a pas moins été une épreuve pour lui que d’oser en parler pour la première fois. Il ne peut qu’imaginer à quel point tout est un peu plus difficile encore pour Min, donc. « Je suis sûr que ça se passera bien. Vous avez grandi ensemble. » Dans une même génération, surtout, bien plus ouverte d'esprit que celles d'avant.

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« Qu’est-ce que tu veux dire? » Il y avait quelque chose dans l’expression de Swann qui l’arrêta de parler. « Ah? Hum… Rien, je t’assure. Rien de grave. » Il fit un geste de la main, détournant le regard. « Disons que ça se rapproche de ton histoire. » En vérité, ça ne pouvait pas en être plus éloigné, mais Min ne désirait pas s’attarder sur le sujet. Il faisait de gros efforts pour oublier cette affreuse soirée et la raconter de nouveau, non seulement ça ne l’aiderait pas à l’oublier, mais ça n’y changerait rien non plus. Alors, il s’empressa de changer de sujet en parlant plutôt de sa sœur et de son intention de lui parler. « Je peux te demander ce qu’elle t’a dit? » Min sourit en repensant à la fameuse conversation et surtout à son contexte. C’était le milieu de la nuit, la veille du mariage de Doo-na. Aucun n’arrivait à dormir, alors ils avaient discuté comme ils avaient l’habitude de le faire à une autre époque. « C’était en Corée, la veille du mariage de ma sœur, tard dans la nuit. Elle m’a dit que même si elle ne vivait plus en Australie, elle n’hésitera pas à y revenir si j’ai besoin d’elle. Elle a aussi ajouté qu’elle sera toujours de mon côté, peu importe ce que je fais. Évidemment, je ne peux pas être certain qu’elle sache déjà que je suis homo, mais je connais ma sœur. Je crois que tu l’aimerais bien. Elle a plus de caractère que moi, mais elle est très gentille. Elle me manque. »

Min prit son téléphone et montra une photo de lui avec sa sœur. Elle a les bras passés autour du cou de son frère et affiche un large sourire malicieux. Quant à Min, il tire la langue comme quelqu’un en train de s’étrangler. « Elle devrait accoucher d’un jour à l’autre. Elle n’arrête pas de me dire que c’est pour bientôt, mais elle répète ça depuis des mois. Il va bien finir par sortir de là ce bébé. »

« Mon frère est le premier à qui j’en ai parlé. On était très proches, c’était plus facile. » « Je n’ai pas d’autre famille qu’elle à qui me confier. Et mes amis à Melbourne… J’en connais certains depuis ma tendre enfance, mais quand je pense à leur dire, étrangement, j’ai l’impression que je ne peux pas leur faire confiance. C’est peut-être parce que pour certains, leurs parents sont amis avec les miens et qu’il y a un risque qu’ils l’apprennent. C’est là que je réalise que j’ai vraiment grandi dans une bulle. »

Il savait qu’il pouvait faire confiance à Doo-na. Il en avait la certitude au fond de lui et ça lui faisait chaud au cœur de savoir qu’il avait des alliés, qu’il n’était pas seul. Ça lui redonnait confiance.

« Ça me fait bizarre de passer par là à mon âge. J'ai l'impression d'être vieux. J’entends des histoires sur des jeunes qui sortent du placard à l’adolescence… À 16 ans, j’étais complètement obnubilé par un certain Christopher, mais je n’ai pas compris tout de suite ce que c’était. On en parlait beaucoup moins à l’époque, mais ça commençait. Les jeunes aujourd’hui sont chanceux, c’est plus facile. Ce n’est pas encore parfait, mais c’est plus accepté. »

« Ah? Hum… Rien, je t’assure. Rien de grave. Disons que ça se rapproche de ton histoire. » A peu près certain d’avoir compris le fond de sa pensée, Swann répond dans un simple rire amusé. Il comprend où Min veut en venir et, de ce fait, ne pousse pas davantage le sujet. Au contraire, il préfère l’écouter parler d’une conversation importante qu’il a eue avec sa sœur, et il le fait avec un sourire tendre. L’affection qu’il lui porte est évidente dans ses mots et elle fait même plaisir à voir, parce que Swann n’a que peu l’occasion d’observer Min-Kyung dans un tel contexte. Il profite de son silence pour commander un second Irrinja d’un signe de la main, le DBD ayant adapté sa carte à l’approche d’Halloween. « Je crois aussi que je l’aimerais bien. » Il confirme. Le récit que Min tire de sa soeur lui donne une bonne vision de cette dernière, et il pense aussi qu’elle a essayé de lui parler de sa sexualité sans pour autant mettre la charrue avant les bœufs.

« Tu seras un super tonton. » Il le lui assure déjà, bien que ce ne soit pas réellement le sujet. Il est bien placé pour savoir que cela peut devenir un sujet difficile et parfois bien plus stressant que ce qu’on pourrait le penser, alors il anticipe autant qu’il le peut, et aide autant qu’il le peut. « C’est pas un secret comme les autres, c’est normal de poser un regard différent sur tes proches. » Il ne s’agit pas de leur avouer qu’il a fait une bêtise, et cela n’a même rien à voir, donc Swann comprend sans mal que Min puisse avoir une attitude ambivalente à ce sujet. C’est aussi sûrement la première qu’il y pense sincèrement, et la nouveauté et souvent bien effrayante. « Je suis pas dans ta bulle. T’en sors peu à peu, tu vois. » Et il sait bien qu’il n’y a aucune chance que Swann puisse parler de ce secret à quiconque, sauf évidemment à Rory puisqu’il s’est déjà confié à son mari au sujet de toute cette histoire.

Les jeunes d’aujourd’hui ont peut-être grandi dans un monde plus ouvert d’esprit, mais ce n’est pas le cas de tous. Pour tous, cependant, ils ont surtout grandi dans un monde où les secrets ne durent pas et dans lequel l’information circule trop rapidement. Alors Swann doute les envier à leur tour de son côté, pour être franc. « J’ai dit être bisexuel cette année seulement. A trente-trois ans, alors tu sais… » Il lui donne l’information dans un sourire qui cache une certaine honte. « C’est loin d’être facile pour le moment mais tu vas te sentir soulagé, je t’assure. » Le jour où il pourra être pleinement lui-même, il se sentira invariablement mieux. « Et tu te trouveras quelqu’un qui te correspond bien mieux. » Bien mieux que la femme que ses parents lui cherchent, à n’en pas douter.

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Min ne saurait pas dire lui-même s’il sera un super tonton ou pas. Il risquait de voir cet enfant qu’une fois par année avec un peu de chance et il ne se faisait pas d’illusion. La distance fera en sorte qu’ils seront des étrangers et on dira à l’enfant d’agir d’une certaine façon, car il est de la famille, comme on l’avait fait pour lui lorsqu’il allait visiter ses cousins en Corée, enfant. Cela dit, il appréciait la pensée et Min fera son possible pour ne pas être un étranger. Valait mieux éviter de se projeter trop loin dans le futur, les choses pouvaient encore changer. Il avait souvenir d’une conversation où sa sœur avait mentionné la possibilité que son mari soit muté en Australie. Ce n’était pas impossible qu’il ait complètement halluciné cette conversation ou que son cerveau déformât un souvenir, mais il voulait y croire.

« C’est pas un secret comme les autres, c’est normal de poser un regard différent sur tes proches. » En effet… C’était quelque chose qui touchait une part vitale de l’identité d’une personne, l’essence même de ce qui faisait d’elle ce qu’elle était. « Et pourtant, je te l’ai dit à toi et à l’autre aussi… » Il ne voulait pas dire le nom de Lincoln. Min-Kyung doutait qu’ils se connaissent, mais c’était surtout parce qu’il voulait le garder pour lui encore un peu. Il n’y avait aucune raison valable à ça. « Je sais juste que, le jour où ils vont le savoir, leur regard sur moi va changer et je ne veux pas qu’il change. On s’entend qu’il ne devrait pas changer, mais il le fera parce que les gens obsèdent sur ce qui se passe dans la chambre à coucher des autres. » Il avait de cela avec une pointe d’humour, mais on sentait l’agacement derrière ses propos. De l’agacement, mais aussi du regret, car plus rien ne sera comme avant. D’une part, c’était une bonne chose, car il pouvait enfin accepter de vivre avec lui-même, mais ça venait aussi avec des deuils. « Je suis pas dans ta bulle. T’en sors peu à peu, tu vois. » La remarque le fit sourire un peu plus franchement cette fois. « Partir le Melbourne est la meilleure décision que j’ai prise de ma vie. J’adore la ville et elle me manque, mais je devais changer d’air. Bon, en l’espace de quelques semaines, ma vie a été complètement bouleversée et j’avoue être un peu essoufflé par tout ça, mais ça va se replacer. C’est la preuve que si l’on veut que les choses changent, il faut faire quelque chose. » La théorie est simple, mais la mise en pratique est une autre histoire entièrement.

Jetant par la fenêtre toute tentative d’être raisonnable dans sa consommation de café, il en commanda un autre à son tour. « J’ai dit être bisexuel cette année seulement. A trente-trois ans, alors tu sais… » Sa commande arrivée, Min en but une gorgée manquant se bruler la langue dans le processus. « J’ai souhaité être bisexuel en croyant que les choses seraient plus simples. Il suffirait de trouver la bonne fille et de garder l’autre part bien cachée. Je sais, c’est stupide et ça ne fonctionne pas ainsi, mais quand tu es désespéré, tu commences à espérer un tas de choses impossibles. » Min se sentait déjà mieux. Il était étonné par la facilité avec laquelle il s’exprimait sur ces choses alors qu’il refusait d’en parler il n’y a pas si longtemps. L’abcès avait été crevé. « Et tu te trouveras quelqu’un qui te correspond bien mieux. » « Et comment on rencontre quelqu’un? Je vais dans les bars, j’ai des fréquentations… Pour être parfaitement honnête, je ne m’imagine pas commencer quelque chose de sérieux avec eux. » Sa question était sérieuse. Les couples de son entourage s’étaient connus à l’école ou dans des activités. Plusieurs s’étaient connus par des amis communs qui les avaient présentés l’un à l’autre. La grande majorité des personnes que Min rencontrait était en couple depuis un moment ou n’était tout simplement pas homo. « Ce n’est pas comme dans les films où l’héroïne est assise dans un café comme celui-ci et qu’au moment de lever les yeux de son téléphone, elle voit passer par la porte d’entrée le plus bel homme qu’elle a jamais vu de sa vie. » Comme pour illustrer son propos, Min tourna la tête vers l’entrée au même moment et, comme pour se moquer de lui, un jeune homme la passa au même moment. Il devait avoir vingt-cinq ans, pas plus, mais il était très séduisant et adressa un charmant sourire à la personne derrière le comptoir du café. Min rapporta son attention sur Swann. « Oublie ce que je viens de dire. »

La question du regard d’autrui est vaste et difficile, et peu importe à quel point Swann aimerait dire à son ami que le regard des autres ne changera pas lorsqu’ils connaîtront sa sexualité, il ne le fera pas. Ce serait un mensonge, à bien en croire ce qu’il raconte au sujet de ses proches et de sa famille. « [...] On s’entend qu’il ne devrait pas changer, mais il le fera parce que les gens obsèdent sur ce qui se passe dans la chambre à coucher des autres. » Swann sourit tristement, les souvenirs des nombreux articles et commentaires postés par des inconnus sur toutes les plateformes pouvant exister continuant de le hanter. Au moment où sa relation avec Rory a été rendue publique, cela a été bien plus difficile à faire face que d’en parler à ses proches, ses amis, et sa famille. Eux, au moins, il les connaissait et il avait choisi de les avoir à ses côtés. Pour les milliers d’inconnus qui ont pensé avoir leur mot à dire dans toute cette histoire, cela a été bien différent et l’a poussé à supprimer son compte Instagram et à s'interdire d’aller sur Twitter pour se protéger. « Et ça ne changera pas. Il faut apprendre à se blinder. » Il perd un peu de son éternel enthousiasme alors qu’ils abordent le sujet, en témoigne l’absence de sourire sur le visage de l’anglais. Il est plus que jamais sérieux: Min doit s’attendre à ce que certains osent des propos qui ne devraient pas être.

« J’ai souhaité être bisexuel en croyant que les choses seraient plus simples. Il suffirait de trouver la bonne fille et de garder l’autre part bien cachée. Je sais, c’est stupide et ça ne fonctionne pas ainsi, mais quand tu es désespéré, tu commences à espérer un tas de choses impossibles. » - « C’est pas stupide. » Il l’arrête aussitôt. Il ne dit pas ces mots pour le rassurer mais bien parce qu’il le pense: ce n’est totalement pas stupide, et bien loin de là. « J’ai eu des petites-amies. Que j’aimais sincèrement. Mais avec le recul… je sais pas, je me dis que je les appréciais plus que je ne les aimais. » Swann apprend encore à se connaître et il aimerait pouvoir accélérer le processus, parce qu’il a l’impression d’être un véritable poids mort toujours à la traîne derrière Rory qui a très tôt découvert sa sexualité et qui, surtout, l’a acceptée. Lui est aujourd’hui son mari et le père de sa fille alors qu’il n’a accepté être bisexuel il y a de ça quelques mois à peine. Et les questionnements sont toujours en cours, parce qu’il se demande si le terme est finalement celui qui lui correspond le mieux, sans doute aussi un peu trop noyé sous l’idée que beaucoup se considèrent bisexuel uniquement pour ne pas avoir à dire qu’ils sont homosexuels. Et Swann mentirait s’il disait ne pas y penser, tout comme il pense aux sentiments qu’il a nourri pour Noa et pour Lucia, et d’autres avant elles. Cela n’a jamais été comparable à ce qui l’a toujours animé pour Rory. Pour autant, il ne l’a pas ressenti pour d’autres hommes, alors les informations se mêlent et s’emmêlent. Lui aimerait trouver une solution personnalisée pour sa personne, ses sentiments, son histoire. A défaut, c’est le terme bisexuel qu’il annonce à qui lui pose la question. « Mais t’aurais pas pu vivre toute une vie sans avoir la bonne personne à tes côtés. » Même s’il avait été bisexuel: s’il n’aime pas la personne à ses côtés, il aurait été voué à être profondément malheureux, et Swann ne peut pas lui souhaiter. Même pour préserver le secret.

Tout ce que l’anglais lui souhaite, c’est de trouver cette fameuse bonne personne, à qui il pourra sans doute se confier plus aisément qu’à Swann, et surtout auprès de qui il pourrait être heureux. « Ce n’est pas comme dans les films où l’héroïne est assise dans un café comme celui-ci et qu’au moment de lever les yeux de son téléphone, elle voit passer par la porte d’entrée le plus bel homme qu’elle a jamais vu de sa vie. » Leurs regards se posent sur l’entrée par simple réflexe, et c’est à cet instant précis qu’un inconnu en passe le pas. Swann noie un rire dans une gorgée de son verre, le retenant plus que difficilement. « Oublie ce que je viens de dire. » Son sourire grandit un peu plus encore, parfaitement amusé. « Hey, Scott. » Swann l’interpelle après que l’inconnu se soit assez avancé dans le bar et le salue d’une accolade chaleureuse prouvant qu’ils se connaissent. « Je te présente Min-Kyung, je lui fait découvrir le DBD. » Il annonce sans en faire trop, après avoir discuté quelques instants et continuant à le faire davantage: il prend de ses nouvelles et vice-versa, les salutations sont passées à Rory, et Swann ne l’accapare pas davantage pour qu’il puisse rejoindre son poste de travail. Ce n’est qu’après s’être rassis qu’il pose son regard sur son ami. « Mon frère a fondé cet endroit. J’aurais peut-être dû te le préciser. » Il avoue et confesse après un instant, pas réellement désolé mais simplement amusé. Le DBD est une seconde maison pour lui, il connaît tout le monde ou presque - les anciens employés, du moins. « Et Scott est quelqu’un de très sympa dont j’ai le numéro, si tu veux. » Il propose sans forcer l’idée pour autant, conscient qu’il s’agit d’un sujet assez sensible pour Min. « Je te laisse réfléchir. J’ai une faim de loup, je reviens. » Swann le laisse donc seul quelques secondes, le temps d’aller leur chercher à manger, et surtout le temps pour Min de peser le pour et le contre d’une telle proposition.

@Swann Craine

« Et ça ne changera pas. Il faut apprendre à se blinder. » Min-Kyung trouvait cette phrase terriblement déprimante, parce qu’il savait que dans son cas, c’était quasi impossible d’y arriver. Peu porté sur la confrontation, il ne se fâchait que très rarement et évitait autant que possible les situations difficiles. En disant ces mots, Il n’y avait aucun sourire sur le visage de Swann qui savait sans doute mieux que quiconque de quoi il parlait. Étant donné sa relation avec Rory, à combien de personnes se sentant obligées de commenter sa vie privée s’était-il retrouvé confronté? À sa place, Min n’aurait jamais pu le supporter. Il aurait fui, tournant le dos au bonheur juste pour avoir la paix.

Il en avait fait des choses pour avoir la paix, jusqu’à fréquenter des filles avec l’espoir de passer par-dessus ce qu’il espérait n’être qu’une phase, sans que jamais ça ne dure. Elles finissaient par partir en réalisant que Min ne pouvait pas leur donner l’affection qu’elles désiraient. Malgré ses efforts pour que ça fonctionne, il y avait toujours une distance entre les filles qu’il avait fréquentée et lui, une sorte de barrière infranchissable qui donnait l’impression qu’il était froid et désintéressé. « J’ai eu des petites-amies. Que j’aimais sincèrement. Mais avec le recul… je sais pas, je me dis que je les appréciais plus que je ne les aimais. » Min acquiesça en silence, comprenant exactement ce qu’il voulait dire par là. La connexion, ce lien spécial qui unit deux amoureux, n’y était tout simplement pas. C’est pourquoi il comprenait maintenant que d’avoir eu une attirance pour les femmes n’aurait pas forcément été la solution à ses problèmes. Le sentiment amoureux ne se contrôle pas. Ça ne l’aurait pas empêché de tomber pour un homme et de bouleverser tout son univers.

Et puis, cet homme entra dans le café et la conversation changea brutalement de direction. « Hey, Scott. » Min-Kyung regarda Swann, les yeux écarquillés sous l’effet de la surprise. Il connaissait ce type? L’interpelé s’approcha de leur table et Min plongea littéralement sur son café. Il parvint malgré tout à sourire au moment des présentations et à marmonner un bonjour malgré qu’il soit visiblement inconfortable. Min était plutôt sociable pourtant, mais la nature de la conversation qu’il avait jusqu’à maintenant, en particulier la remarque qu’il avait faite juste avant que Scott ne franchisse la porte, faisait en sorte qu’il avait envie de disparaître sous la table. Après une courte conversation, Scott finit par s’éloigner et Swann lui donna enfin quelques explications. « Mon frère a fondé cet endroit. J’aurais peut-être dû te le préciser. » « Quelqu’un m’a parlé de cet endroit. On m’a dit que le café y est délicieux. » Min se sentait rougir. Le problème lorsqu’il rougissait, c’est que ce n’était jamais uniforme. De grosses plaques apparaissaient sur son visage comme s’il faisait une crise d’allergie, ce qui n’aidait en rien sa cause. « Et Scott est quelqu’un de très sympa dont j’ai le numéro, si tu veux. » « Non, ça ne sera pas nécessaire », rétorqua-t-il aussitôt, presque sèchement, sans même prendre la peine de réfléchir un instant.

Swann l’abandonna un moment pour se commander de la nourriture. Min le regarda au comptoir et il envisagea de partir. Une fois de plus, confronté à une situation inconfortable, il préférait la fuite. Il regarda la porte et la pluie qui tombait toujours à l’extérieur. Puis son regard revint sur la silhouette de Swann. Non, il ne pouvait pas faire ça. Il enfouit son visage entre ses mains, se forçant à prendre de grandes respirations en espérant que le rouge à ses joues finisse par s’atténuer. Si au moins il pouvait rougir comme tout le monde. Swann revint à la table quelques minutes plus tard avec sa commande. « Désolé, j’ai été un peu surpris. Je ne m’y attendais pas. » Il fixait les chaussures d’un autre client assis à une table un peu plus loin. « Il est mignon, j’avoue. Un peu jeune, peut-être? Je ne sais pas… Je… Tu n’as rien fait de mal, je suis juste… pris au dépourvu. Désolé, j’agis encore comme un idiot. Je suis une cause perdue. » Souffla Min, découragé.

La brève discussion avec Scott ne semble pas aider Min d’une quelconque manière et bien au contraire, ce qui est une raison pour laquelle Swann préfère ne pas insister. Il a proposé de les présenter, mais il entend sans mal que ce ne soit pas ce qu’il cherche: sur ce sujet, au moins, il accepte une réponse négative telle qu’elle est et ne cherche pas à la contourner d’une façon ou d’une autre, assagi et déjà bien plus tempéré. Il lui donne un peu d’espace et préfère aller leur chercher de la nourriture, optant pour des boulettes de viande et tout ce qui consiste en de la viande, en réalité, tel le carnivore qu’il représente parfois si bien sans même s’en douter. « Tu n’as pas à t’excuser. » Il répond simplement, loin d’avoir été dérangé. Son attitude est ce qu’elle est, mais il peut la comprendre sans mal puisqu’il a ses raisons et surtout il a tout un historique expliquant sa façon de procéder.

« On peut changer de sujet, pour que j’arrête une bonne fois pour toutes de t’embêter. » Et c’est même une promesse, l’anglais pourrait le jurer. Il l’a bien assez tourmenté. « On mange, on doit, et on parle de la pluie autant que du beau temps sans s’en faire de tout le reste et j’espère que le deal est accepté. » Et il agit déjà comme si la réponse était positive, parce qu’il ne veut pas qu’ils fassent de nouveau des pas en arrière et perdent leur amitié qu’il apprécie pourtant sincèrement, malgré les difficultés inattendues auxquelles ils doivent faire face avec solidité. « Santé. » Swann annonce, tout en levant son verre au contour peint de faux sang étrangement sucré et décoré par un œil solitaire en son centre, ce qui sont autant d’idées que son frère aurait adoré avoir s’il était toujours de cette société.

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Min-Kyung était embarrassé par sa propre réaction. Il ne voulait pas être comme ça, mais une part de lui avait pris le dessus comme pour le protéger de lui-même. Swann ne s’en offusqua pas, allant même jusqu’à dire qu’il n’avait pas à s’excuser, mais Min sentait qu’il devait le faire. Il trouvait ça tellement frustrant. Il voulait que ce soit facile, sans prise de tête. Au fond, il aimerait que Swann lui présente Scott et qu’ils discutent un moment ensemble, même si ça n’allait pas plus loin que ça par la suite. Ce n’était pas ça l’important. L’important, c’est qu’il soit ouvert à rencontrer des gens avec qui il y avait la possibilité qu’une histoire romantique se développe, que ce soit naturel, normal. Pour l’instant, Min avait l’impression que c’était tout simplement impossible.

« On peut changer de sujet, pour que j’arrête une bonne fois pour toutes de t’embêter. » « Tu ne m’embêtes pas », répondit Min, d’une voix faible. Swann essayait de l’aider, mais Min ne lui facilitait pas la tâche. Il craignait maintenant que ses réactions finissent par vraiment l’agacer et qu’il arrête de lui parler pour de bon. N’ayant que très peur d’ami à Brisbane, il serait dévasté d’en arriver là. « On mange, on boit, et on parle de la pluie autant que du beau temps sans s’en faire de tout le reste et j’espère que le deal est accepté. » Min ne répondit pas tout de suite. Swann agissait comme s’il était déterminé à mettre l’incident de côté et leva même son verre pour porter un toast. Sur le coup, il se vit lui-même comme chaque fois qu’il était face à quelque chose de désagréable. Il agissait comme si tout était normal, enfouissant au plus profond de lui son inconfort. Une bouffée de colère et de frustration monta en lui comme il en avait rarement éprouvé dans sa vie. Elle n’était pas dirigée contre Swann. C’était simplement l’accumulation de tout ce qui lui était arrivé récemment qui venait d’atteindre sa limite. « Non! » Min n’avait pas levé la voix, mais son agacement était palpable. « Je veux en parler. Je veux… » Il serra les poings, en proie à une grande frustration. « J’avais 15 ans quand mon univers entier a été bouleversé par ce gars au sourire digne d’une pub de dentifrice. Je n’ai pas compris tout de suite ce que ça signifiait et quand j’ai enfin réalisé la nature de mes sentiments, j’ai tout fait pour l’ignorer. Je me suis jeté corps et âme dans les études et dans le sport. J’ai fait ce que mes parents attendaient de moi en espérant de toutes mes forces que ça passerait. Jamais je n’ai autant désiré quelque chose de ma vie, mais ça n’est jamais passé.

J’étais à l’université quand j’ai eu ma première expérience avec un gars. J’étais saoul, je ne savais pas ce que je faisais, mais je voulais… l’expérimenter. Il y en a eu d’autres après, plusieurs même. Je n’ai jamais eu de grandes conversations avec eux, ce n’était pas le but. De toute façon, je ne reste jamais après, je disparais. Mais j’en ai assez de tout ça. Je veux que les choses changent. J’en ai parlé à l’autre gars… et à toi maintenant. Vous connaissez ce secret que je n’ai jamais dit à qui que ce soit. Donc non, je ne veux pas faire comme si de rien n’était. Je ne veux pas parler de la météo, mais si tu y tiens tant que ça. » Min fit un geste vers la fenêtre. « Il pleut des cordes et ça m’a empêché d’aller courir ce matin. De toute façon, je vais devoir finir par arrêter de courir, car j’ai apparemment des genoux de préretraité. » Jamais il n’avait levé le ton, comme si une part fondamentale de lui se souvenait qu’ils étaient dans un endroit public et qu’il ne voulait pas faire de scène, mais il n’en restait pas moins évident qu’une grande colère bouillonnait en lui et quiconque le connaissant bien savait qu’il ne s’énervait jamais. Il devait être vraiment exaspéré pour montrer sa frustration ainsi. Toutefois, celle-ci s’évanouit aussi vite qu’elle était apparue, laissant un Min visiblement épuisé. Il ne dormait pas très bien depuis quelque temps et cela se voyait sur son visage. « Je suis fatigué Swann. Vraiment fatigué. Autant physiquement que moralement, mais je ne veux plus me cacher. Je l’ai fait trop longtemps. »

« Je veux en parler. Je veux… » Bien qu’etonné par la réponse, Swann repose tout de même son cocktail au nom lycan sur la table. Min continue de l’étonner, et lui de se rendre compte qu’il est définitivement bien incapable d’anticiper les réactions de son ami, comme il le serait aussi peu à la vue d’un animal sauvage que personne ne peut comprendre. Non qu’il compare Min-Kyung à une bête féroce tout droit sortie des cauchemars d’enfants, loin de là, il se contente simplement d’en faire une comparaison maladroite qu’il a au moins le mérite de garder pour lui-même sans penser à la prononcer. Après tout, il est plutôt évident qu’il n’a rien d’un dévoreur d’humains aux crocs acérés, non ?

Une fois de plus, Min lui fait part de son histoire à sa manière, bien incapable de s’arrêter de parler une fois qu’il a commencé à découvrir un nouveau pan de son existence. Swann a énormément appris à son sujet en très peu de temps, et il se retrouve parfois à se demander s’il est légitime à autant de confessions de sa part alors qu’il n’en a pas l’impression. Il reste néanmoins silencieux tout du long, tant lorsqu’il est question de son historique avec les hommes que de la véritable météo dont il parle sans aucune transition. « Je suis fatigué Swann. Vraiment fatigué. Autant physiquement que moralement, mais je ne veux plus me cacher. Je l’ai fait trop longtemps. » Sont ses mots de conclusion, ceux que Swann ne peut que comprendre et qui le poussent à avoir une véritable empathie à son égard. Min voudrait sans doute éveiller n’importe quel autre sentiment mais ce n’est pas réellement une chose qui se choisit. « T’es pas un monstre. Tu te transformes pas en foutu loup-garou à la nuit tombée. » Ni même lorsqu’un homme passe dans les parages et qu’il pourrait peut-être lui plaire: il n’est toujours pas un monstre, il n’est toujours pas différent non plus. « T’es même pas une créature ignivome, tu vois. » Quoiqu'être un dragon aurait pu avoir quelque chose de grandiose, au moins. Mais il n'est pas un monstre d'aucune sorte, ni même une affabulation. Il n'est rien de tout cela. « Rends toi compte de tout ce que tu viens d’accomplir, déjà. » A oser lui en parler, à en avoir parlé à un autre homme. Il a fait un chemin immense, il ne doit pas être trop gourmand. « Tu sais ce qu’est ironique ? T’as bien plus d’expérience que moi avec les hommes, au final, et je suis celui qui te conseille. » C’est au tour de Swann d’opter pour un rire un peu gêné, sans doute parce qu’il se rend bien compte que son rôle n’est pas le plus légitime qui soit dans toute cette histoire. Il fait de son mieux et il fait comme il peut, voilà tout. « Sois plus indulgent avec toi-même. Tu me dois pas toute la vérité, ni toutes les explications qui soient. J’étais ton ami avant de connaître ta sexualité, on a pas à faire tourner notre monde autour de ça. » Il peut l’entendre et il veut être présent pour lui dans son coming out, évidemment, mais il tente de lui faire comprendre que Min n’est pas obligé d’en faire des montagnes. Ils peuvent en parler de façon sporadique ; ils ont le temps de tout. Ils peuvent faire ce que bon leur semble, quand bon leur semble. « Je suis là pour toi, avec toi, mais sois moins dure avec toi-même, s’il te plaît. » Swann prend le temps de préciser ses pensées et ses intentions, ajoutant un regard entendu pour que Min comprenne qu’il ne se contente pas d’être poli: il le pense sincèrement. Ils sont deux loups d’une même meute, ils se serrent les coudes.

@Swann Craine

Aussi soudainement qu’elle était apparue, sa colère s’évanouis à la manière d’une bougie qu’on aurait soufflée. Min se sentait maintenant vidé comme si son élan de frustration lui avait couté ses dernières réserves d’énergie. Il ne réalisait pas vraiment ce qui venait d’arriver. Être capable de parler si ouvertement à Swann était un accomplissement de taille, mais il n’en tirait aucun sentiment de fierté. C’était peut-être parce qu’il croyait qu’il ne devrait pas avoir à faire ça, mais que la société l’obligeait. « T’es pas un monstre. Tu te transformes pas en foutu loup-garou à la nuit tombée. » La remarque a au moins le mérite de lui arracher un faible sourire. Il ne s’était jamais vu comme un monstre. Anormal, oui, et il craignait plus que tout la réaction de ses parents, mais l’image du monstre il la gardait pour ceux faisant des choses vraiment horribles et il refusait de croire qu’aimer une personne du même sexe que lui soit monstrueux. Pendant un moment, il écouta en silence Swann tenter de lui remonter le moral, insistant sur le courage dont il venait de faire preuve en faisant officiellement son coming out. Apparemment, il était celui avec le plus d’expérience avec les hommes, ce qui était effectivement ironique compte tenu de la situation. Min ne tenait pas tant à rentrer dans les détails. Ça ne concernait pas Swann et il n’en était pas forcément fier non plus. Certains stéréotypes collaient à la peau de la communauté homosexuelle et le fait d’avoir plusieurs relations avec des partenaires différents en faisant partit. En revanche, un homme enchainant les femmes sera glorifié bien que la société ne soit plus aussi tendre envers eux qu’elle le fut jadis. Il n’en restait pas moins que le traitement différait et ça, personne ne pouvait le nier.

« Je suis là pour toi, avec toi, mais sois moins dure avec toi-même, s’il te plaît. » Min gloussa. « Je ne sais pas si tu l’as compris, mais quand je décide de faire quelque chose, ce n’est jamais à moitié. » Il leva les yeux vers Swann, plus calme cette fois et plus léger aussi. Un autre poids lui avait été retiré des épaules. « Je tenais à te le dire. C’était important pour moi. Quand j’ai décidé de venir m’installer ici, je l’ai fait avec l’intention de repartir à zéro et mettre de l’ordre dans ma vie. Et tu sais ce qu’est le plus drôle? Une de mes voisines est venue me visiter peu après mon déménagement, une femme adorable. J’ai appris qu’elle était très active dans la cause LGBTQ+. Quelques jours plus tard, c’est toi que je rencontrais et peu à peu j’ai appris ton histoire. Finalement, il y a eu Link que tu ne connais probablement pas, mais qui est plus ou moins dans la même situation que moi. Si ce n’est pas l’univers qui tente de m’envoyer un message, je ne sais pas ce que c’est. » Plus il y pensait, plus il avait envie de rire. Voilà l’exemple qui illustrait parfaitement que rien n’arrivait jamais pour rien et parfois la vie nous envoie des messages. Il suffisait d’avoir l’esprit ouvert.

« Je ne suis pas… l’ami le plus facile, n’est-ce pas? Je te jure que la plupart du temps, je suis un mec parfaitement normal, équilibré et qui ne fait jamais de vagues. J’aimerais dire que le pire est passé, mais il y a encore mes parents à qui je vais devoir le dire éventuellement et ça… Pas tout de suite. J’ai vraiment envie de rencontrer quelqu’un. Enfin, j’ai peut-être déjà rencontré ce quelqu’un, enfin, ça reste à voir. »