Elle s’était reveillée avec une boule au ventre ce jour là. Comme toutes les fois où elle savait qu’elle allait devoir se rendre à l’hopital. C’était des jours noirs pour elle, elle les notait dans son agenda en dessinant un nuage triste au-dessus de la date. Cela faisait à présent treize ans que l’on avait détecté une malformation au niveau de son coeur qui l’empêchait de pratiquer toute activité physique, dont la danse classique, sa passion depuis toujours. Ce fût le plus gros choc de sa vie, le catalyseur de toutes ses décisions futures: sa rupture avec son petit-ami, son errance sentimentale, ses relations oubliées, ses ballerines raccrochées. Tout ça pour passer des heures à faire des tests dont elle ne retiendra jamais le nom et à être le sujet expérimental de tous les cardiologues passant par là. Elle n’en pouvait plus, si bien qu’elle prenait un malin plaisir à changer de cardiologue référent, trouvant l’un trop strict, l’autre trop jeune, trop agressif, trop discret, bref, tout ce qui lui passait par la tête. À défaut de pouvoir à nouveau monter sur scène, elle organisait son propre ballet dans l’hôpital et il traitait de la tragédie de son coeur. Elle avait une âme d’artiste, que voulez-vous. Elle adorait romancer sa vie, ça la rendait plus légère selon elle. Une vraie impulsive, déterminée et qui ne se laissait jamais marcher sur les pieds. Mais ce jour là, c’était différent. Elle avait plus de palpitations que d’habitude et sentait qu’elle ne supportait pas son dernier traitement. Elle s’habilla comme à l’accoutumée d’une tenue confortable, qu’elle pourrait retirer facilement pour effectuer toute la série de tests qui l’attendait. Un simple pantalon noir, un débardeur et une chemise en jean à pression, qu’elle retirera en deux temps trois mouvements une fois arrivée à l’hôpital. Elle prit son petit-déjeuner en écoutant la radio. D’abord un café, pour ne pas être trop exécrable, puis une salade de fruits, le tout en remuant les hanches sur un classique de la musique soul. Elle adorait cette radio, elle lui mettait la pêche dès le matin, le petit coup de fouet qu’il lui fallait pour affronter ce genre de journée. Elle rassembla ses affaires les plus importantes dans son sac: son agenda contenant tous ses rendez-vous professionnels, son iPad qui lui servait de book, son bipeur en cas d’urgence, même si techniquement elle sera à la source ce jour là, et son appareil photo qu’elle entreposera dans le coffre de sa voiture. Elle ne le gardait jamais bien loin, ne voulant louper aucun instant de sa vie digne d’être remémoré. Quand elle eut fini de tout débarrasser, elle sortit de chez elle et grimpa dans son Audi A4 en direction de ce lieu si familier qu’elle haïssait, tant il lui rappelait de mauvais souvenirs. Elle arriva avec quelques minutes d’avance et s’installa donc dans la salle d’attente du service de cardiologie. Elle se mit à observer les gens. Des vieux pour la plupart. Des gens qui avaient déjà bien vécu, des gens qui n’avaient jamais eu de problèmes auparavant. Elle soupira, triste de remarquer qu’elle était encore une fois la seule personne en-dessous de la cinquantaine avant de se faire appeler par l’assistante de son docteur, ou la stagiaire, ou l’interne. Cet hôpital grouillait de professionnels différents et Roman n’avait jamais pu faire la différence parmi les jeunes recrues. Ce n’était tout simplement pas son truc, pas son monde. Elle préférait le rêve, elle, elle préférait les étoiles. La jeune assistante lui posa quelques questions lambda avant de lui demander de retirer sa chemise, qu’elle arracha en quelques secondes, comme prévu. Elle lui expliqua qu’elle allait lui faire subir toute une batterie de contrôles cardiaques pendant la matinée. Roman opina de la tête, elle n’avait pas le choix que d’accepter de toute manière. C’est ainsi qu’elle se retrouva en débardeur sur un lit d’hôpital, des électrodes plein la poitrine et une espèce de grosse machine à côté d’elle. L’assistante lui dit alors que son cardiologue référent était en déplacement ce jour là et qu’elle allait avoir affaire à un nouveau chirurgien ayant fait ses preuves à l’étranger. Elle leva les sourcils, suspicieuse avant que le jeune médecin ne pénètre dans la pièce, un énorme sourire aux lèvres. Elle ne put s’empêcher de rougir quand il se présenta et de balbutier un: « Ro-Roman, enchantée » en lui serrant la main. C’était bien la première fois qu’un cardiologue arrivait à la déstabiliser.
Pour Duncan c’était une journée plutôt ordinaire. Il se rendit de bon matin à l’hôpital et sa journée débuta dès qu’il eut enfilé sa blouse blanche. Tous ses internes étaient occupés aux urgences et ce n’était pas plus mal car l’un de ses confrères était absent aujourd’hui et Duncan en bon samaritain avait accepté de prendre ses patients bien qu’il n’en connaissait aucun. Sa première patiente souffrait d’une malformation très rare au niveau du cœur, c’était presque inopérable d’après son dossier médical. Aujourd’hui, elle devait subir des tests pendant une grande partie de la journée car son traitement avait changé récemment et il fallait contrôler qu’il soit adapté sinon il serait remplacé immédiatement.
Duncan prit soin d’emporter le dossier de la jeune femme avec lui pour pouvoir le regarder si jamais il avait un doute sur quelque chose, être le remplaçant ce n’était jamais bien marrant. Voulant donner une bonne première image de lui-même, il afficha un large sourire sur ses lèvres avant de pénétrer dans la salle d’auscultation. Il frappa à la porte, puis fit son entrer. La jeune femme était déjà allongé avec les électrodes posaient un peu partout sur son buste. Il posa son dossier sur le bureau de son confrère avant de lui répondre en lui serrant la main.
- Enchanté, je suis le docteur Wilde, je remplace le docteur Pranks pour la journée. J’ai parcouru rapidement votre dossier mais n’hésitait pas à me reprendre si je vais une erreur. Je vais vous faire quelques tests histoire de voir si votre nouveau traitement fonctionne bien.
Il prit place sur une sorte de tabouret à roulette et il s’approcha de l’électrocardiogramme ainsi que de Roman. C’est là qu’il le sentit, la chaleur au niveau de ses joues. C’était étrange mais elle était tellement belle qu’il en était tout d’un coup, déstabilisé. Il tourna immédiatement son visage pour fixer l’écran qui contrôler chaque battement de son cœur. Ils étaient plutôt réguliers bien qu’il y avait quelques palpitations.
- Vous avez rencontré… Quelques différences depuis le changement de votre traitement ?
Son attention se reposa sur la jeune femme. Duncan était quelqu'un de très professionnel alors il reprit le contrôle de lui-même. Après tout, son référant reviendrait dans quelques jours et il y avait peu de chance pour qu'ils se recroisent tous les deux donc autant faire bonne impression. Étant donner qu'il devait passé un peu de temps ensemble histoire de voir comment son coeur réagissait à l'examen il se mit à parler pour en savoir un peu plus.
- J'ai parcouru votre dossier, j'ai pu voir que vous aviez vu beaucoup de docteurs ? Je suis à peine de retour à Brisbane mais je vais faire mon possible pour aider mon confrère... Oh et je tenais à vous dire que Roman c'est un très joli prénom. Peu commun mais très beau.
Tout s’illumina. En une fraction de secondes, tout changea en elle. La morosité de son existence avait fait place à un grand soleil, à ce sourire qui la pénétra toute entière et la réchauffa instantanément. Le rouge lui monta aux joues rapidement d’ailleurs, tant la fulgurance d’un tel moment l’atteignait de plein fouet. Il se présenta, de manière très professionnelle et lui expliqua qu’il remplaçait son cardiologue référent juste pour la journée. Au fond d’elle, elle savait que ça n’allait pas être la seule fois où les deux jeunes gens se verraient. Au fond d’elle, elle l’espérait. Elle opina de la tête pour montrer qu’elle avait bien compris ce qu’il lui disait. Elle le regardait faire, visiblement hypnotisée. Des gestes qui d’habitude semblaient habituels pour la jeune femme se transformèrent en une nouveauté soudaine, quelque chose de magnétique, d’envoûtant. Même le simple fait de prendre place sur une chaise à roulette lui décrochait un sourire. Le jeune médecin se rapprocha d’elle avec une décontraction maîtrisée en faisant rouler la dite chaise et la regarda pendant un bref instant avant de détourner les yeux vers l’électrocardiogramme. Que s’était-il passé dans sa tête en cet instant pour qu’il se retourne aussi soudainement? Était-il lui aussi déstabilisé par la jeune malade? Elle ne put s’empêcher de baisser les yeux, elle aussi, sur ces trop nombreux électrodes accrochés sur son buste. Elle se sentit vulnérable, faible, encore plus que les autres fois, surement parce que le nouveau médecin semblait être dénué de défauts. Il la sortit d’ailleurs de ses rêveries après avoir analysé les premiers résultats de la machine. « Vous avez rencontré… Quelques différences depuis le changement de votre traitement ? » Elle redressa légèrement la tête et osa plonger ses grands yeux bleus dans ceux du médecin avant d’afficher un faible sourire. « Beaucoup plus de migraines, beaucoup moins de palpitations… Il y a toujours un truc qui cloche, comme d’habitude... » Elle haussa les épaules. Elle avait l’habitude de ressentir des effets secondaires avec ses traitements, il lui arrivait d’avoir des nausées, des maux de têtes aigus, des douleurs musculaires, elle avait tout connu, mais jamais trouvé ce qu’il lui fallait pour guérir. Alors elle se résignait, continuait à suivre ce qu’on lui imposait sans savoir si un jour elle pourrait reprendre le cours d’une vie normale, d’une vie animée. « J'ai parcouru votre dossier, j'ai pu voir que vous aviez vu beaucoup de docteurs ? Je suis à peine de retour à Brisbane mais je vais faire mon possible pour aider mon confrère... Oh et je tenais à vous dire que Roman c'est un très joli prénom. Peu commun mais très beau. » Ses joues devinrent rouge cramoisi, si tant était possible qu’elles s’empourprent plus encore. « Merci… » Elle murmurait presque, tant le compliment était inattendu. Elle finît par se reprendre après quelques secondes pour lui expliquer son point de vue. « Et pour les docteurs… Oui, je change souvent. Je n’arrive pas à trouver le cardiologue parfait. Soit je suis trop exigeante, soit ils sont trop nuls… » Elle rit avant de lui préciser: « Je plaisante, tout le monde est super ici. C’est juste que j’aime bien le changement. » Elle marqua un temps de pause. Ses mots semblaient venir naturellement et c’était étrange, elle qui ne parlait presque jamais. Elle se redressa légèrement dans son lit pour être plus droite et ne pas avoir l’air d’une malade sans forces.
Le jeune docteur était très concentré, déjà parce qu’il ne voulait oublier aucun détail pour son confrère qui reviendrait très vite mais aussi parce qu’il voulait faire au mieux son travail, comme toujours. Duncan ne laissait rien au hasard, il y avait une raison pour tout, surtout dans le domaine de la médecine. Il pensait également que toute maladie ne pouvait pas être soignée uniquement à l’aide de médicaments. Il y avait tout un tas de facteurs extérieurs qui faisaient qu’un traitement pourrait fonctionner ou non. Duncan était plutôt observateur en décryptant tout ce qui se passait autours de lui et il avait bien remarqué le visage de Roman qui s’était ouvert depuis qu’il avait engagé la conversation avec elle. C’était un bon départ du moins c’est ce qu’il espérait. Prenant des notes, il se mit à répondre.
- Je vais regarder vos précédents traitements mais je pense qu’on pourra diminuer un de vos médicaments. Peut-être que l’un d’entre eux à été sur doser pas de grand-chose mais assez pour vous donnez la migraine.
Continuant de parler, il finit par parler de son prénom. C’est vrai qu’il le trouvait original et beau à la fois. Un prénom tellement bien choisi pour une femme aussi charmante que Roman. L’électrocardiogramme à coté de lui se mit à bipper et il leva immédiatement la tête pour en voir la raison. Son cœur s’était légèrement emballé l’espace d’un instant ce qui fit sourire Duncan. Son regard se posa de nouveau dans celui de la jeune femme, il eut même un léger rire quand elle parla des cardiologues. Elle avait sûrement raison après tout le changement avait parfois du bon.
- Vous avez raison, après tout plusieurs avis valent mieux qu’un seul. Pour ce qui est des docteurs ici, je ne pourrais pas vous dires lequel est meilleur. Je reviens à peine d’Afrique, par contre je connais votre référent puisque c’était mon supérieur lorsque j’étais à l’internat. Il était déjà très bon, je suppose que depuis six ans cela n’a pas changé.
Duncan lui adressa un doux sourire, elle semblait à l’aise et lui l’était également, la journée ne pouvait pas mieux commençait et finalement la matinée passerait rapidement, trop rapidement. Quand l’électrocardiogramme eut fini d’enregistré les battements de son cœur, il éteignit l’écran en retirant chaque électrodes avec soin, ses doigts effleurant sa peau dénudé. Il se remit à parler.
- Je vais revoir l’enregistrement mais j’ai pu constaté que les battements de votre cœur n’était pas toujours régulier, vous le ressentez ? Comme quelques ratés… Occasionnellement ce n’est pas très grave mais si c’est assez souvent, vous pourriez avoir la tête qui tourne, quelques vertiges… C’est déjà arrivé ?
Même si ce matin, elle ne devait faire qu’un seul test, Duncan était assez curieux de voir à quoi ressemblait son cœur. Bien sur, il y avait des images dans son dossier mais ce n’était pas pareil que de le voir sur un écran battre réellement. Pour Duncan, chaque cœur était unique et le fasciné. Il regarda Roman dans les yeux lui parlant d’une voix douce.
- Ce n’était pas prévu mais j’aimerai bien vous faire une écographie pour voir de moi-même à quoi votre ressemble t-il, vous êtes en droit de refuser, bien sur.
Le jeune médecin semblait très minutieux, très consciencieux dans son travail et cela décrocha un sourire à Roman qui le regardait faire avec amusement. Elle avait souvent l’impression d’être un cas ordinaire, quand bien même sa malformation cardiaque était loin de l’être. La plupart de ses cardiologues l’avaient traité comme une patiente lambda. Ils regardaient les résultats de ses tests avec nonchalance, lui annonçaient son prochain traitement d’un air flegmatique, bref, elle avait souvent l’impression qu’elle n’était pas intéressante. Or avec lui, elle se sentait spéciale et dans le bon sens du terme. « Je vais regarder vos précédents traitements mais je pense qu’on pourra diminuer un de vos médicaments. Peut-être que l’un d’entre eux à été sur doser pas de grand-chose mais assez pour vous donnez la migraine. » Il ne la regardait pas dans les yeux, comme s’il était gêné par les yeux bleus-gris de Roman, comme si elle le troublait… Il restait concentré sur les résultats affichés par l’électrocardiogramme avant que ceux-ci ne s’emballent quand il lui fit un compliment. Les joues de la jeune femme virèrent au cramoisi, elle ne s’attendait pas à ce que son coeur démarre au quart de tour. Elle se renfonça un peu plus dans son lit d’hôpital, mal à l’aise d’avoir osé rater un battement. Le médecin déposa enfin son regard dans celui de Roman après s’être alarmé en voyant l’irrégularité passagère de son coeur. Elle essaya de détendre l’atmosphère, de parler de ses changements de médecin, ce qui provoqua l’hilarité de Duncan. Elle ne put s’empêcher de le regarder rire. Elle lui trouvait un charme presque irrésistible et quand il riait, elle ne pouvait détacher ses yeux de lui. Elle était comme hypnotisée par sa prestance, comme s’il dégageait une aura positive. « Vous avez raison, après tout plusieurs avis valent mieux qu’un seul. Pour ce qui est des docteurs ici, je ne pourrais pas vous dires lequel est meilleur. Je reviens à peine d’Afrique, par contre je connais votre référent puisque c’était mon supérieur lorsque j’étais à l’internat. Il était déjà très bon, je suppose que depuis six ans cela n’a pas changé. » Elle secoua la tête. Elle était d’accord avec lui, son médecin référent était un homme bien, un médecin fabuleux, mais voilà, il n’était pas souvent disponible ces derniers temps. « J’imagine que vous avez été bien formé alors… » Elle lui lança un sourire lourd de sous-entendu avant de reprendre de manière plus sérieuse: « Vous revenez d’où en Afrique? J’ai fait un voyage au Kenya il y a quelques années, c’est une région magnifique… » Elle avait des étoiles plein les yeux, ce voyage avait été l’un de ses plus beaux. Elle avait découvert la vraie définition du mot nature. Elle avait appris qu’il ne fallait se contenter que de peu pour être heureux. Elle avait appris la modestie, même si elle n’était pas la femme la plus prétentieuse qu’il soit. Ils restèrent ainsi quelques minutes à discuter avant que le jeune médecin ne mette fin à sa série de tests. Il éteignit l’écran et lui retira ses électrodes, ce qui provoqua toute une série de frissons chez la jeune femme. Il reporta ensuite son attention sur Roman. « Je vais revoir l’enregistrement mais j’ai pu constater que les battements de votre cœur n’étaient pas toujours réguliers, vous le ressentez ? Comme quelques ratés… Occasionnellement ce n’est pas très grave mais si c’est assez souvent, vous pourriez avoir la tête qui tourne, quelques vertiges… C’est déjà arrivé ? » Elle le regarda avec de grands yeux, prise au dépourvu par sa question. Elle n’avait jamais vraiment fait attention à ce genre de détails. Elle se contentait de vivre sa vie sans se soucier de sa maladie, qui n’était pas trop handicapante lorsqu’elle ne faisait pas d’efforts trop intenses. « Euh… Pas à ma connaissance. J’ai déjà eu des vertiges, des migraines mais j’ai toujours mis ça sur le compte de mes traitements… Je dois dire que je n’y prête pas vraiment attention. » Elle haussa les épaules l’air penaud, ce qui attendrit le jeune médecin. Il se rapprocha d’elle et la regarda dans les yeux. « Ce n’était pas prévu mais j’aimerai bien vous faire une échographie pour voir de moi-même à quoi votre coeur ressemble, vous êtes en droit de refuser, bien sur. » Elle marqua une pause de quelques secondes avant de lui dire d’un air malicieux: « D’accord. S’il est assez complexe pour vous, vous croyez que vous pourriez être le nouvel élu de mon coeur? Enfin, je parle d’être mon nouveau cardiologue, ne vous y méprenez pas… » Elle rit face à sa maladresse. C’était toujours comme ça avec elle, elle s’embarquait toujours dans des situations rocambolesques sans le vouloir.
Bien sur qu'il était gêné et d'ailleurs, il ne pouvait pas expliquer pourquoi. Peut-être qu'il n'avait jamais vu un aussi beau sourire de toute sa vie ou étais-ce son regard qui le troublait ? Il était incapable de mettre des mots sur ce qui se passait en lui pour le moment et il avait presque l'impression que ce n'était un hasard qu'il soit là aujourd'hui dans cette pièce avec Roman comme si le destin avait œuvré pour qu'ils se rencontrent. Pour tout dire, il n'en savait strictement rien. Duncan prenait des notes pour son confrère, il mettrait un nouveau traitement plus léger en place, elle pourrait l'essayer durant la semaine à venir et son confrère pourrait la revoir pour un autre bilan et constater si les changements sont positifs ou non. Leur échange continua puis ils commencèrent à parler de l'Afrique. Ce sujet il l'adorait car malgré le fait que ça avait été dur il en tirait la meilleure expérience de sa vie.
- J'étais au Mali. C'est carrément à l'opposé du Kenya. C'était dur au début car je sortais de l'internat mais maintenant je trouve que c'était une expérience très enrichissante et je ne serais sûrement pas là personne que je suis aujourd'hui si je n'y avais pas été.
Leur échange continua un peu. Lui aussi aurait pu avoir des étoiles pleins les yeux si ça avait été un simple voyage mais il avait manqué plusieurs fois de se blesser gravement et avait même prit une balle dans le dos. Le gilet pare-balle qu'il portait lui avait sauvé la vie ce jour là mais ça il n'en parlait que très rarement ou lorsqu'il avait une confiance aveugle en quelqu'un. Roman l'apprendrait un jour futur très certainement. Une fois que les examens furent fini, il reprit son sérieux pour parler de son traitement. Il était un peu surpris de voir que Roman vivait plutôt bien avec sa maladie. Certains seraient terrorisés à chaque rater de leur coeur mais elle, elle n'avait pas l'air d'y prêtait attention plus que ça.
- Oui c'est sûrement à cause des traitements mais justement ça pourrait être arranger.
Duncan se mit à lui sourire. C'était un sourire adorable et sincère. Il était content qu'elle accepte après tout elle n'était pas obliger et elle devait sûrement en avoir marre de tous ces docteurs qui voulaient observer son coeur. Il se mit à rire brièvement à sa dernière remarque.
- Vous avez déjà un excellent docteur se serait bête dans changer.
Duncan se leva du bureau de son confrère allant chercher la machine à faire les échographies un peu plus loin dans la pièce. En la rapprochant du lit, il fit un signe à Roman en pointant le lit. Il était tout excité à l'idée de voir à quoi ressemblait ce coeur bien qu'il causait beaucoup de problème à lui tout seul. Prenant de nouveau place sur son tabouret il attendit qu'elle prenne de nouveau place sur le lit.
Ah, le Kenya… C’était assurément le plus beau voyage de sa vie. Elle l’avait fait avec Blake, son petit-ami de l’époque. C’était il y a déjà plus de cinq ans. Le début de leur amour, les premiers papillons, la douce folie. Il lui avait fait une surprise. Il l’avait tout d’abord emmenée au restaurant, un restaurant chic, le plus coté de tout Brisbane puis lui avait glissé une enveloppe sur la table contenant deux billets d’avion. Bien que Blake était un éminent homme d’affaires, un jeune gentleman issu de la classe aisée, il lui avait proposé un voyage d’aventures. Juste eux deux, un guide et leurs sacs à dos. Une visite dans le coeur du continent Africain, dans tout ce que la nature avait de plus sauvage. Roman avait adoré, elle avait trouvé un havre de paix dans un coin rempli de chaleur et d’étendues à couper le souffle. Elle n’oubliera jamais ce voyage. Tout comme elle n’oubliera jamais Blake, qu’elle avait quitté à contrecœur il y a trois ans. Elle pensait à lui parfois, elle se demandait ce qu’il devenait, s’il avait refait sa vie. Puis toutes ces pensées se chassaient de son esprit parce qu’elle se rendait compte qu’elle ne pourrait jamais plus être avec lui. Elle sortit de sa rêverie et écouta attentivement le jeune médecin lui expliquer ses années en Afrique. « J'étais au Mali. C'est carrément à l'opposé du Kenya. C'était dur au début car je sortais de l'internat mais maintenant je trouve que c'était une expérience très enrichissante et je ne serais sûrement pas là personne que je suis aujourd'hui si je n'y avais pas été. » Elle secoua la tête, elle le croyait avec certitude quand il lui dit qu’il n’aurait pas été la même personne s’il n’y était pas allé. « Effectivement, ce n’est pas la porte à côté. Mais j’imagine que ça doit être tout aussi beau… » Elle laissa sa phrase planer dans l’air en souriant au jeune médecin. Elle sentait qu’elle allait vite l’apprécier. Il semblait humble et très réfléchi. Tout ce dont elle avait besoin comme cardiologue. Elle le regarda lui enlever ses électrodes non sans une gêne palpable. Elle lui fit remarquer qu’elle ressentait souvent des effets secondaires mais qu’elle n’y prêtait jamais vraiment une grande attention. Roman prenait ses médicaments comme indiqué par ses médecins sans jamais les questionner. Elle se contentait de suivre le mouvement, pour ce genre de choses seulement. Elle n’y connaissait rien et ne voulait pas forcément y remédier. Ce n’était pas un sujet qui l’intéressait. Elle était une artiste après tout. Elle haussa les épaules quand il lui signala que son traitement pourrait être allégé. Elle ne savait pas trop que dire, elle était juste dans l’attente d’une opération miracle pour sauver son coeur. Elle s’osa ensuite à une petite plaisanterie, même si au fond elle savait qu’elle pouvait envisager de le choisir comme cardiologue. Il possédait tout ce qu’elle recherchait, la jeunesse en prime. Elle sentait qu’ils pourraient s’entendre sur beaucoup de points. Il lui répondit d’un air détaché et amusé à la fois: « Vous avez déjà un excellent docteur, ce serait bête d’en changer. » Elle lui lança un léger sourire. « Il n’est pas souvent disponible, vous savez… » Elle soupira en baissant les yeux, elle ne voulait pas insister de peur qu’il la prenne pour une folle. Ils se mirent ensuite d’accord pour que le jeune médecin explore les cavités de son coeur malade. Elle se leva pour se dégourdir les jambes et regarda Duncan s’éloigner afin d’aller chercher la machine. Il revint quelques secondes plus tard et lui indiqua le lit d’un signe de la tête pour qu’elle y reprenne place. Elle sourit et reprit place tout en ne quittant pas le cardiologue des yeux. « Prête ? Ça va être un peu froid. » Elle lui fit un signe de tête timide. « Je sais que c’est froid, je déteste ce machin. C’est bien parce que c’est vous… » Elle lui sourit une nouvelle fois et retira son débardeur pour qu’il ne le tâche pas avec le liquide servant à l’échographie. Elle se retrouva en soutien-gorge et ne put s’empêcher de scruter la réaction du jeune homme. Elle remarqua qu’il serra la mâchoire et baissa les yeux en remontant la couverture jusqu’au niveau de son nombril. D’habitude, elle n’avait aucun problème avec le fait de devoir se dénuder pour des besoins médicaux. Sauf que là, elle était comme mal à l’aise…
Quand elle lui parla de la beauté du pays, il essaya de se souvenir mais il n'y avait pas été pour ça. Duncan n'avait jamais vraiment prit le temps d'aller observer les lieux comme un touriste. En plus de ça, c'était assez dangereux aux alentours du village qu'il occupait et lorsqu'il sortait c'était avec un gilet pare-balle et d'autres hommes armés. Mais dans son village, certes il avait prit beaucoup de photos. Tous ces enfants à qui il s'était attaché, à ces familles et même à la culture. Il était parfois nostalgique de ces six années mais il fallait être réaliste, il ne pouvait pas vivre là-bas pour toujours. Déjà sa mère ne lui aurait sûrement jamais pardonné et puis s'il voulait que les choses bougent, il fallait revenir en Australie.
- Oui… J'ai prit pas mal de photos pour ne rien oublier. C'est comme ça que je conserve tous mes souvenirs.
Duncan adressa un sourire sincère à Roman. Parler aussi simplement avec elle, détendait en quelque sorte l'atmosphère qui n'était pas pesant mais un peu gênant par moment. Il sentait presque ses joues devenir rouge à chaque fois qu'il la regardait un peu trop longtemps même s'il espérait que cela ne se remarquerait pas. Ils continuèrent d'échanger sur plusieurs sujets alors qu'il était entrains de retirer tous les électrodes collaient sur le haut de son buste. Duncan se doutait bien à entendre ses réponses que le jargon médical qu'ils pouvaient employés avec ses collègues la laissait un peu perplexe. Peut-être que s'il la revoyait, il pourrait lui expliquer avec ses mots à lui. Après tout, il avait expliqué bien des choses à des enfants au Mali, alors expliquer le fonctionnement de son coeur à Roman ne paraissait pas sorcier. Il fit une légère moue en entendant sa dernière réponse.
- J'imagine… C'est un docteur très demander dans tout le pays. Vous devriez en parler avec lui, je ne voudrais pas qu'il croit que je lui ai volé la plus gentille de ses patientes.
Un léger rire s'échappa de sa bouche et après lui avoir demander son accord pour observer son coeur de plus près, il alla cherché la machine à échographie, reprenant place à coté d'elle quelques minutes plus tard. Il se doutait bien que ce n'était pas la première fois pour elle mais toujours prévenir le patient, c'était essentiel. Cependant, il eut un petit sourire en coin puisqu'elle le prenait tout de même bien. Roman retira son débardeur et la jeune femme se retrouva en sous vêtements devant lui. Situation un peu étrange puisqu'il se sentit une nouvelle fois gêné mais il ne devait pas se laisser aller dans ses émotions. Il remonta légèrement une petit couverture sur elle pour ne pas qu'elle est froid puis il se concentra sur le gel froid qu'il déposa à l'endroit de son coeur prenant soin de ne surtout pas croiser son regard au risque de sentir son visage devenir brûlant. Allumant la machine, il prit l'embout relié à la sonde le déposant lentement sur le bas de sa poitrine. Duncan étala le gel puis scruta directement l'écran pour observer l'image.
- Je suppose qu'on vous l'a déjà dit pleins de fois mais votre coeur ne ressemble à aucun autre.
Son regard se posa ensuite dans celui de Roman et il se passa quelque chose. Impossible de décrire quoi exactement. Une sorte d’électrochoc, c'était peut-être ainsi lorsqu'on rencontrait la bonne personne mais si elle ne l'avait ressentit ? Duncan se racla la gorge pour chasser ce sentiment qu'il n'avait pas l'habitude de ressentir puis il bougea légèrement l'embout se concentrant de nouveau sur l'écran.
Elle se surprit à imaginer la vie du jeune homme en Afrique. Il lui avait expliqué qu’il y était allé afin d’y effectuer son internat. Elle s’imagina alors un voyage rempli de rencontres, de sourires d’enfant cherchant un peu de réconfort dans la misère de leur existence. Le jeune docteur a surement du se prendre une belle claque dans le visage là-bas… Il ne fit l’ombre d’un doute chez la jeune femme, qui le regardait à présent d’un air admiratif. Ce docteur Wilde, il devait avoir un coeur bien plus solide que le sien, bien plus fort et bien plus courageux. Elle aurait sans doute craqué si elle avait du soigner des gens vivant sous le seuil de pauvreté, des gens n’ayant connu ni opulence, ni richesse quelconque. La simplicité dans tout ce qu’elle avait de plus beau, sans aucun doute. Elle se fit sortir de sa rêverie par les mots soigneusement choisis du médecin. « Oui… J'ai pris pas mal de photos pour ne rien oublier. C'est comme ça que je conserve tous mes souvenirs » Il lui fallu quelques secondes avant que l’information n’arrive à son cerveau. « Oh tiens, ça tombe bien, je suis photographe professionnelle! J’adorerai voir vos clichés! » Elle le surprit ensuite en train de rougir, visiblement gêné d’avoir affaire à une véritable professionnelle. Après tout, c’était comme un échange de bons procédés, non? Il soignait son coeur et elle lui donnerait des conseils photo? Elle lui lança un beau sourire avant de lui montrer un intérêt tout particulier. Elle était comme ça Roman, elle vivait dans une fulgurance qu’il était parfois difficile de la suivre. Elle le taquina en lui sous-entendant qu’il pourrait être son nouveau cardiologue. Avec parcimonie et beaucoup de respect pour son collègue, il déclina poliment, ne voulant apparemment pas semer la zizanie dans le service de cardiologie. Un bon point. « J'imagine… C'est un docteur très demandé dans tout le pays. Vous devriez en parler avec lui, je ne voudrais pas qu'il croit que je lui ai volé la plus gentille de ses patientes. » Il rit et elle le regarda en souriant. Il ne lui avait pas lancé un “non” catégorique, il laissait aussi semer le doute. Elle en prit note et retira son débardeur afin qu’il examine son coeur meurtri. Il effectua quelques manipulations très minutieusement, afin de ne pas heurter la jeune femme et observa son coeur dans une concentration extrême. Elle le scruta en essayant de deviner à quoi il pouvait bien penser en cet instant. Trouvait-il son coeur difforme? Petit? Moche? Des réflexions puériles prirent place dans la tête de la jeune femme. « Je suppose qu'on vous l'a déjà dit plein de fois mais votre coeur ne ressemble à aucun autre. » Il plongea son regard dans celui de Roman et le temps sembla s’arrêter l’espace d’une seconde. Elle fut littéralement envahie d’une sensation étrange. Ne comprenant pas vraiment ce qu’il se passait, elle baissa les yeux et le monde se remit à tourner. Elle se contenta de murmurer un léger: « Merci, j’imagine… » Elle ne savait pas vraiment comment prendre la chose, mais elle supposait qu’il ne voulait pas la blesser. Il continua à examiner chaque valve de son coeur, cherchant à comprendre ce mécanisme fragile avant de se faire appeler par l’infirmière en chef du service. Il y avait apparemment une urgence qui nécessitait la présence d’un cardiologue chevronné. Il arrêta donc son observation, rangea le matériel et salua Roman d’une manière assez étrange. Ce n’était pas vraiment un au revoir… Comme s’il savait qu’ils allaient être amenés à se rencontrer de nouveau.
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