@Olive Sterling

Tout est étrange. J’observe la scène avec beaucoup de recul. Je me demande si je dois penser à fuir ou à me battre, et le plus difficile pour moi c’est que je n’arrive pas à décider d’un plan en particulier. Mon instinct ne me dicte rien de particulier ou, plus précisément, il me dicte en réalité tout et son contraire. J’ai été payé pour participer à l’élaboration de la nouvelle collection de chapeaux d’une Dame des environs, parce qu’elle a une confiance totale en mes propres goûts en tant que peintre connu et reconnu. Je suis payé à donner mon avis et c’est un principe que j’aime tout particulièrement en temps normal, à la seule exception de l’instant présent qui me laisse comprendre qu’il se passe quelque chose d’anormal.

Je sens la peur, je sens le danger. Je sens, surtout, quelque chose qui n’a rien d’humain. Les humains se tuent facilement mais pour ce qu’il en est de toute les autres créatures, ce n’est pas toujours aussi évident, et le problème est parfois plus difficile à gérer. Je souffle, mon regard balayant la pièce. « Il y a quelqu’un ? » J’annonce, voix grave et assurée. Je sais qu’il y a quelqu’un, mais j’ai besoin d’une confirmation visuelle pour mieux appréhender la suite. « Je viens récupérer la commande de Madame De Larue. » L’excuse est parfaite, elle est toute trouvée, et elle n’est que le pure reflet de la réalité. Elle m’arrange bien, pour aujourd’hui au moins.

Du bout de l’index, je touche les objets à ma portée, comme pour vérifier qu’aucun d’entre eux ne s’avère être piégé. Ce n’est que lorsqu’une figure se présente enfin face à moi que je comprends tout le fond du problème et, avec lui, le possible piège dans lequel je viens de foncer tête baissée. Toutes mes craintes, autant que ma réalisation, prennent la forme d’un long murmure effaré. « Sorcière… » Voilà ce que je sentais depuis tout ce temps.

Standing here by the abyss
 Auden Williams ☆ crédit/ maurawrites

Les affaires n'ont jamais aussi bien fonctionné que depuis que l'obscurité est arrivée. Olive, elle doit dire que malgré l'étrangeté qui l'accompagne à chaque heure, tout marche pour le mieux pour elle. C'est étonnant mais plutôt agréable, il faut bien l'admettre. C'est un revirement de situation qui lui plaît à la brune plus qu'elle ne l'aurait pensé, et cela, même si ça l'épuise au plus haut point. Ou alors cela est-il dû à cette puissance dans son être, elle n'aurait pas su vraiment le dire. Il a des choses qu'elle ne contrôle guère, mais qu'elle ressent fortement. Elle aurait aimé pouvoir ignorer ce qui finalement avait toujours été en elle, mais sa nature était plus forte que le reste surtout depuis qu'un aura spécial s'était animé en ville. Quelque chose animé sa soif d'un mauvais fond et ce n'était pas pour lui déplaire. Mais elle avait tant à faire pour se préoccuper réellement du mal qui peu à peu rongeait son être. Ce n'était pas le moment pour que ça éclate, ni pour qu'elle se fasse remarquer.

Olive, elle s'activait autant que possible pour répondre aux commandes de ses clientes. Préférant s'occuper les mains et l'esprit en même temps à moins de tordre le cou à quelqu'un. Et cela n'était pas une métaphore. Olive sentait une colère terrible en elle qui n'avait pas de répit. Il était donc nécessaire qu'elle s'occupe, et cela en tout temps. Elle ne craquerait pas, pas maintenant, et encore moins les jours suivants. Au pire, elle perdrait la raison, mais c'était sûrement mieux ainsi. L'odeur lui piqua les narines avant même que la voix ne s'élève. « Il y a quelqu’un ? » Elle ne fit pas un bruit, retranchée dans son atelier, un tissu entre les mains. Olive, elle ne reconnaissait pas l'odeur malgré son nez plus aiguisé que la moyenne. C'était juste une odeur désagréable et nauséabonde, loin de celle qu'elle avait tendance à connaitre. « Je viens récupérer la commande de Madame De Larue. » Elle releva la tête à cette nouvelle réplique de l'inconnu. Cela ne devait être qu'une erreur tout au plus, un mauvais pressentiment peut-être même. Un client lambda, rien de plus. Olive, son pas est léger alors qu'elle s'approche du nouveau venu. Cette horrible odeur toujours dans le nez, repoussante. Elle garde pourtant un visage stoïque alors qu'il la remarque enfin. « Sorcière… » Elle était trop occupée par l'odeur, pas l'effet ressenti pour se soucier de ce qu'il venait de dire. Peut-être qu'elle aurait dû, mais sur l'instant, elle voulait juste respirer mieux en le faisant partir le plus rapidement possible. Loin d'elle, c'était le mieux. Cet humain avait une odeur qu'elle n'arrivait pas à reconnaitre. « Je peux vous aider ? » Ses yeux se plissent sous le supplice devant elle. Souhaitant régler cela au plus vite, Olive en oubliait presque les bonnes manières.

Le constat est sans appel, murmuré entre les dents de ma mâchoire serrée. Elle est une sorcière, je pourrais le voir à des kilomètres et m’en rendre compte sans balai magique ni même chapeau pointu. Elles ont appris à se cacher dans notre monde, comme les loups-garous l’ont appris à leur tour, le savoir se transmettant de génération en génération pour que personne ne divulgue jamais l’intégralité de notre secret commun. Sauf que nous ne sommes pas des alliés, et nous le serons jamais. « Je peux vous aider ? » Le jeu de l’innocence qu’elle est en train de débuter me débecte encore plus que tout le reste. J’ai statué la raison de ma présence, pourtant, et j’espère pour elle que son métier n’est pas qu’une façade, sinon Madame De Larue en serait très en colère si elle venait à avoir des chapeaux d’une piètre qualité.

« La commande de Madame De Larue. »

Je répète, déjà bien moins enclin à attendre davantage dans cet endroit où elle a sûrement ramené de la bave de crapaud et des poils de crinière de foutues licornes. Je ne veux pas savoir ce qu’elle fait dans l’arrière-boutique de cet endroit. « Vite, femme, avant que tu ne trouves ta place sur un bûcher. » Ma tête dodeline légèrement et mes yeux ne lâchent pas les siens. Un humain pourrait croire que je rigole mais elle saura que cela n’a rien d’une blague. Et si le bûcher tarde à arriver, j’aurais tôt fait d’arracher sa tête avec mes propres crocs, ce qui serait sûrement une mort bien moins lente et douloureuse pour elle ; et donc un acte d’une incroyable générosité de ma part. Parce que oui, évidemment j’ai un cœur énorme, c’est toujours ce qui se dit de moi. Ça, et rang ton chien de garde, mais ils ne savent jamais à quel point ils visent en réalité particulièrement juste.

Standing here by the abyss
 Auden Williams ☆ crédit/ maurawrites

Olive n'a pas envie de faire trainer les choses plus que de raison. Son nez risque de fondre si elle ne fait pas déguerpir au plus vite l'homme en face d'elle. Elle tient son rôle et cela quoi qu'il arrive, c'est ce qu'on lui a toujours appris à faire pour se protéger. Olive, elle sait que quelque chose cloche, qu'il y a cet aura différente et qu'on lui susurre à l'oreille de fuir aussi vite qu'un chat errant. Pour autant, elle n'a pas envie de se faire du tort, ni de tirer des conclusions trop hâtives, préférant jouer la carte de l'innocence, ce qui est d'autant plus facile. Mais son adversaire ne semble pas vouloir jouer avec les bonnes règles, et le ton qu'il emploi lui hérisse le poil plus que de raison. C'est la première fois qu'elle est face à cette situation, et ça ne lui plait guère. « La commande de Madame De Larue. » Elle grogne à ce ton amer et la colère qui la gagne depuis des jours commencent à remonter à la surface. Il n'est évidement pas bon qu'elle laisse gagner ce sentiment, à moins de devoir sortir la pointe de ses dents. Olive s’apprête à faire demi-tour pour récupérer la commande de cette femme, jusqu'à la remarque de trop. « Vite, femme, avant que tu ne trouves ta place sur un bûcher. » Olive se retourne vivement, surprise pas ces mots si bien choisi. Ce n'est pas envisageable, mais elle n'a pas d'autre choix de toute évidence. Elle n'est pas non plus certaine qu'il bluff, il est donc nécessaire de faire attention au tant à ce qui va suivre, qu'à sa propre survie. Ne comptant pas faire semblant de ne pas comprendre l'avertissement, Olive recule de quelques pas. Elle plisse les yeux prenant en compte la moindre échappatoire. « Vous voulez vraiment jouer à ce jeu? » Elle comprend mieux maintenant pourquoi il émane quelque chose d'aussi répugnant du brun. L'odeur d'une vieille marmite qu'on a laissé pourrir trop longtemps. Elle hausse un sourcil. Olive, elle n'a pas envie de jouer au jeu du chat et de la souris, sauf si ça devient nécessaire. Elle ne sera pas du genre non plus à se laisser faire, quoi que. Peut-être qu'il lui faut simplement gagner du temps, quelqu'un finira par sentir cette puanteur à un moment ou un autre également. « Et si vous preniez simplement ce que vous êtes venu chercher sans autre convenance ? » Elle sourit Olive, de toutes ses dents, défiant simplement le monstre en face d'elle. « Votre présence devient insupportable. » Sa main se déplaça jusqu'à son nez pour le boucher, signe qu'elle ne ferait gagner du terrain aucunement à son adversaire. Au mieux, elle disparaitrait dans un tour de passe-passe.

Elle a ses propres facultés, il est vrai, mais elle n’est pas dotée de l’odorat particulièrement fin qui est le mien. Je peux me traguer de sentir son odeur de sorcière sans le moindre mal, mais elle doit de son côté utiliser d’autres armes pour se rendre compte que je suis d’une espèce particulière. Et quand bien même elle le réaliserait, j’aurais tôt fait de la tuer avant qu’elle ne puisse tenter quoi que ce soit contre moi. « Vous voulez vraiment jouer à ce jeu? » - « Je ne joue à aucun jeu. » Et elle nous fait perdre notre temps à tous les deux à le croire. Je ne veux que récupérer ma commande et m’en aller le plus loin et vite possible de cet endroit. Rien de plus - pour l’heure -, mais surtout rien de moins.

« Et si vous preniez simplement ce que vous êtes venu chercher sans autre convenance ? » Elle a trop de confiance en elle pour une petite chose fragile, mais je ne peux nier que son plan est celui qui me convient le plus - bien qu’elle soit loin de l’avoir inventé, pour avoir déjà répété par deux fois la raison de ma venue. « Votre présence devient insupportable. » Je pourrais dire la même chose du contraire, ce qui fait de nous deux personnes sur l’exacte même longueur d’onde. « Plus vite vous me donnerez ce que je suis venu chercher et plus vite vous pourrez retourner à vos sordides occupations. » Dieu sait ce que font ces femmes dans l’ombre: je n’ai aucune envie d’avoir la réponse à cette question. Cela ne m’intéresse pas, cela ne me concerne pas non plus. Je préfère ma propre vie, et je préfère encore la vie au bûcher. La nuit éternelle n’étouffe pas les flammes, après tout. « Rien de stupide, hm ? » Je préviens tout de même, au cas où il lui viendrait à l’idée de tenter quoi que ce soit contre moi, dans un instant stupide: elle ne fait pas le poids.

Standing here by the abyss
 Auden Williams ☆ crédit/ maurawrites

« Je ne joue à aucun jeu. » Elle fulmine la sorcière devant cette confrontation et elle admet qu'il est temps d’y mettre un terme avant que le pire ne se produise. Un haussement de sourcil et la jeune femme fit un demi-tour sur elle-même pour récupérer le paquet tant attendu. Pas de raison de faire durer le suspens plus longtemps, ou de se mettre encore plus à découvert. Un défi dans les yeux alors qu’enfin elle lâche brutalement le paquet devant elle, laissant ainsi une distance de sécurité certaine entre son interlocuteur et elle. C’est mieux ainsi et ça évitera toute souffrance inutile. A l’avenir, elle tâcherait d’être plus vigilante sur les clients de sa boutique. « Plus vite vous me donnerez ce que je suis venu chercher et plus vite vous pourrez retourner à vos sordides occupations. » Un soupire las. « Et voilà cher monsieur. » Plus de raison qu'il reste. Plus de raison qu'elle s’entête avec cet homme. Elle espère ne plus le revoir, ne plus avoir affaire à lui avant un bon moment. « Mes salutations à Madame De Larue.  » Elle sourit de toutes ses dents, laissant transparaitre son amusement soudain pour la situation. La nuit sera longue, et les choses ne seront que plus à même d'être maudite, Olive le sait et même un balai magique, s'il en existe, ne pourrait la sortir de ce pétrin. A quoi bon continuer de jouer alors que mieux l'attends ailleurs et que sa survie en dépends. « Rien de stupide, hm ? » Elle plante ses iris aux couleurs dorés dans ceux de son interlocuteur. « Pas aujourd'hui en tout cas. » Et elle se détourne du jeune homme, le laissant libre de partir et de ne jamais revenir. Elle n'ira pas chercher les ennuis plus nécessaires, pas aujourd'hui. Ce n'est pas nécessaire, les choses sont déjà assez catastrophiques ainsi. A chaque jour suffit sa peine et elle a assez joué avec le feu pour le reste de la nuit. Au fond d'elle, elle était soulagée du départ de l'inconnu, soulagée de ne plus avoir affaire à lui. Espérant qu'il ne remettrait pas les pieds de si tôt dans sa boutique. « Maudite créature de la nuit. » Elle se murmura cette dernière phrase avant de fermer boutique.

rp terminé.