Si jusque-là son objectif avait toujours été de la protéger en la gardant aussi loin possible de tous les secrets du monde de la nuit et de ses malédictions, Ambrose n’a désormais d’autre choix que de changer de tactique. Il doit la protéger en lui racontant tout, absolument tout. Il n’y a que de cette façon qu’elle pourrait savoir comment appréhender ce monde nouveau, sans soleil et avec des nuits éternelles. Une Nuit éternelle. « Quand je t’ai posé la question, tu m’as dit que je croyais aux histoires pour effrayer les enfants... » Il souffle. Il lui a dit ça, oui. Quelques minutes plus tôt, elle était encore parfaitement innocente et sans doute plein d’espoir quant à la fin de ce cauchemar. Elle pouvait croire que tout reviendrait à la normale et que les corps des pauvres malheureux jonchant leur quotidien n’étaient que des maladies, des suicides, … Ou Dieu sait quoi dans le genre. Aujourd’hui, elle sait que tous ses espoirs reposaient sur des chimères, et il n’est personne pour dire le contraire. « Tu te portais mieux en ignorant tout de moi. » Et à l’aimer pour qui il est, non pour ce qu’il représente. Pour son âme seulement, pour son humour parfois un brin douteux aussi.

« Emmène-moi loin de cet endroit… Que ce soit le Pays de Galle ou les berges du fleuves, pourvu que les recoins ne se ressemblent pas tous comme c’est le cas ici. » Il hoche la tête. « Tu… Accompagne ma famille. Dans le Bush. Je leur en parlerai, ils seront d’accord. On peut partir tous ensemble. » La nuit y sera toujours éternelle, sans doute, mais là-bas au moins ils seront tous ensemble pour la protéger et elle ne sera jamais ô grand jamais à la merci d’une quelconque espèce ennemie. « Les vampires profitent de vous, nous on fait de notre mieux pour se tenir loin des humains. » Et pendant une seconde, il avait oublié qu’elle ne savait rien au sujet de l’existence des vampires, justement.

Ils s’étaient enfuis du labyrinthe en profitant du sens aiguisé de l’orientation du loup et de son flair. Sur les berges du fleuve, les reflets de la lune paraissaient plus beaux, lui faisant oublier un temps le triste sort auxquels ils étaient soumis. « Tu te portais mieux en ignorant tout de moi. » Il ne voulait pas la traîter comme une enfant, simplement garder son innocence encore intacte. « Est-ce que tu regrettes ?  » avait-elle demandé et devant son air interrogateur, elle avait ajouté. « Que je sache qui tu es, tu regrettes ? » C’était le sentiment qu’elle avait et pourtant, elle, malgré les doutes que cela avait soulevé, se sentait soulagée qu’il n’y ait plus de mensonges entre eux. Comme si plutôt que de les séparer, la nouvelle identité était venue confirmer leurs sentiments. Il lui avait fallu un temps d’adaptation, sa première réaction ayant été de céder à la panique, mais maintenant elle en était convaincue : sous les traits d’une bête féroce ou les siens, elle l’aimerait.

« Tu… Accompagne ma famille. Dans le Bush. Je leur en parlerai, ils seront d’accord. On peut partir tous ensemble. »  Elle n’était pas sûre, l’idée de se retrouver humaine dans une meute de loups la terrifiant à nouveau. Ambrose avait pourtant tous les arguments lui prouvant qu’ils n’étaient pas différents des humains, pourtant, elle avait vu ses attributs et ils étaient dangereux. « Est-ce qu’ils m’accepteraient ? » avait-elle demandé timidement, choisissant de s’inquiéter de l’avis des siens plutôt que d’à nouveau remettre en doute sa parole concernant son espèce. « Les vampires profitent de vous, nous on fait de notre mieux pour se tenir loin des humains. » Ambrose lui avait décidé de rompre cette dernière règle, pour elle. « C’était bien un vampire, là-bas ?  » Dans le labyrinthe, celui dont elle avait senti le souffle dans son cou, ses crocs évitant de justesse le contact avec sa peau. « Est-ce que d’autres créatures existent ? » Elle préférait tout savoir maintenant qu’elle avait déjà quelques bribes d’informations qui suffisaient à lui faire perdre pieds. Greta devait connaître la réalité des dangers auxquels elle allait faire face. « Peux-tu me protéger de tout ça ? » Si les loups-garous étaient si inoffensifs qu’il le prétendait, alors courrait-elle un risque en s’entichant assez de l’un d’eux pour le considérer comme un allié ? Ses yeux trahissaient ses craintes mais bien au fond de ses pupilles, l’amour flamboyait toujours.

« Est-ce que tu regrettes ? » Le regard qu’il lui porte est une des plus tristes qui lui ait été donné d’afficher. « Honnêtement ? Je crois, oui. » Parce que tout allait bien avant qu’ils parlent, et depuis que c’est arrivé, rien ne se passe plus comme prévu. Il l’a vu, Greta, s’attarder sur sa fourrure et sur toute les complexités d’un corps changeant du tout au tout. Il l’a vue, et il sait qu’il n’assume absolument pas le genre de regard désolée qu’elle a porté sur sa personne. « Que je sache qui tu es, tu regrettes ? » Ça aussi, oui. Il ne le précise pas oralement, mais il se fait simplement comprendre au travers de son attitude.

« Est-ce qu’ils m’accepteraient ? »
« Je leur parlerai. »

Ses parents comprendront. Ils sont amoureux, eux aussi. Ils pourront comprendre ce qu’Ambrose vit, et ils feront leur possible pour aider son fils à être heureux, parce qu’ils savent à quel point la vie est parfois terriblement compliquée. « C’était bien un vampire, là-bas ? » - « Sûrement. Et il se serait attaqué à toi s’il n’avait pas senti mon odeur. » Ambrose en est persuadé. Si elle avait été une humaine esseulée, il se serait attaqué à elle, mais puisqu’elle était accompagnée par un loup, il a senti qu’il serait en infériorité. « Notre morsure leur est mortelle. » Il explique, il ajoute. Le vampire a eu raison de le craindre, parce que Rose n’aurait pas hésité un seul instant à planter ses crocs dans sa chair, surtout pour protéger Greta. « Est-ce que d’autres créatures existent ? » - « Les sorcières, les métamorphes en tout genre… Oui, Greta. Tout existe. Les humains n’ont rien inventé. » Leurs craintes ne sont pas des contes d’enfant, et les appeler ainsi n’a été qu’une forme de protection pour eux. Ils ont appris à nier un danger pour lequel ils ne pouvaient de toute façon pas se préserver. Ils font comme ils peuvent, voilà tout. « Peux-tu me protéger de tout ça ? » Avec plus de douceur que jamais, il s’approche de la jeune femme pour l’embrasser. « Je le ferai. Je te le jure. » Il souffle tout bas, refusant d’éloigner son visage du sien ou même de décoller son front de celui de la brune. « Mais on doit avancer notre départ. A ce soir. » Et dans le monde d’une nuit éternelle, cela signifie maintenant.

Leur histoire était si légère, ils auraient dû se douter que cela était voué à changer. Mais même si elle y avait été préparée, la brutalité du moment aurait rendu impossible une réaction mesurée. Mais elle essayait, la blonde posant les questions qu’elle jugeait nécessaire, la première portant sur les regrets d’Ambrose. « Honnêtement ? Je crois, oui. » Cette affirmation avait piqué son coeur, mais elle comprenait. « Pas moi. » avait-elle lancé avec un ton assuré, faisant un premier pas vers lui pour lui montrer qu’il était préférable qu’elle sache tout de lui. « Je leur parlerai. » Un maigre sourire avait étiré le coin de ses lèvres parce qu’avec toujours un peu plus de douceur dans la voix, il lui apprenait qu’il serait toujours là pour elle, peu importe la forme que la lune lui indiquerait de prendre.

Et toutes ces aberrations l’amenaient à se poser mille et une questions, à commencer par le danger qu’elle avait réellement couru dans ce labyrinthe alors qu’elle essayait d’échapper à son bien aimé. « Sûrement. Et il se serait attaqué à toi s’il n’avait pas senti mon odeur. » Elle pouvait à nouveau sentir le souffle glacial du vampire sur son cou, comme s’il y avait laissé la marque de son passage pour toujours. Greta avait passé la main sur sa veine jugulaire et rien, elle était dépourvue de toute trace de crocs. « Notre morsure leur est mortelle. » Imaginer Ambrose déchiqueter un vampire lui avait fait ravaler sa salive mais cette fois, elle réussissait à contrôler ses émotions. « Alors tu m’as sauvé la vie, il allait me mordre, là-bas. » Au moment où elle prenait conscience de l’identité de celui qu’elle avait croisé dans le labyrinthe, elle réalisait combien Ambrose était plus à-même de lui sauver la vie que de la lui dérober. « Les sorcières, les métamorphes en tout genre… Oui, Greta. Tout existe. Les humains n’ont rien inventé. » Tout existait, même les nuits qui n’en finissaient plus et ses yeux commençaient tristement à s’habituer à l’obscurité. Après un frisson, elle s’était assurée qu’il pourrait toujours la protéger et en guise de première réponse, il avait posé ses lèvres sur les siennes et elle avait posé les mains sur ses joues pour l’accueillir. « Je le ferai. Je te le jure. » Son front posé sur le sien, elle avait murmuré un rapide je t’aime, presque inaudible. « Mais on doit avancer notre départ. A ce soir. » Elle avait fait un pas en arrière pour le regarder dans les yeux. « Est-ce que je peux prévenir mes parents ? » Son visage avait répondu par la négative dans un mouvement lent. « Je dois au moins préparer des affaires, qu’est ce que je dois prendre ? » avait-elle demandé, constatant que Rose était déjà sur le départ.

« Alors tu m’as sauvé la vie, il allait me mordre, là-bas. » Ambrose a beau s’en douter, il ne veut pas davantage étudier cette idée. Il se contente de poser sa main contre la joue de la jeune femme et la caresser doucement, tentant à sa façon de la rassurer alors qu’elle vit dans un monde particulièrement dangereux désormais. Pour cette raison, pour son bien, il prend la décision d’avancer leur départ à ce soir. Chaque seconde supplémentaire qu’elle passe dans cette ville la met en danger et Ambrose ne peut plus nier une telle évidence. Ils doivent fuir, tous les deux. Chacun pour leurs raisons, certes, mais avec une finalité similaire. Ils recommenceront leur vie ailleurs, plus loin. Là-bas, tout ira bien pour eux, ils vivront en paix.

« Est-ce que je peux prévenir mes parents ? » Il l’observe un moment sans oser répondre. C’est un risque à prendre. « Tu n’en tirerais rien de bon. » Ils comprendraient qu’elle s’apprête à partir sans avoir l’intention de revenir, et cela les mettrait tous en danger. Ils ne doivent pas savoir, ni se douter de quoi que ce soit. « Je dois au moins préparer des affaires, qu’est ce que je dois prendre ? » - « Seulement le nécessaire. Des habits chauds. On trouvera le reste en chemin si tu ne trouves pas tout. » Ses affaires ne sont pas le plus important ; elle n’a pas à risquer sa vie pour faire un satané sac.

Après un moment, il cède à sa demande et, dans un long souffle désolé, il reprend. « Très bien. Mais je t’accompagne. Et tu fais vite, d’accord ? Personne ne doit nous voir. » Personne ne doit savoir qu’elle part et, surtout, qu’elle part avec Ambrose. Elle les mettrait tous en danger, sinon, et jamais sa famille n'accepterait d'aider à protéger une inconnue qui ferait une telle chose, même malgré elle.

En une nuit, ou un matin qui n’en était pas un, elle ne savait plus, Greta avait échappé à un vampire, avait vu son petit-ami se transformer en loup-garou devant ses yeux et s’apprêtait à fuir avec la meute. Jamais n’avait-elle eu pareil programme, et le piment qu’il apportait à sa vie apparaissait peut-être finalement comme un énième avantage à le voir l’aimer. Peut-être qu’un jour leur histoire serait contée au travers des pages d’un livre : l’histoire d’un loup-garou amoureux d’une humaine qui s’était un peu trop approchée des vampires. Greta rêvait, ces quelques minutes de conversation lui ayant permis de se rassurer assez sur ses sentiments pour envisager de partir avec lui. Que pouvait-elle faire de plus si ce n’était périr à Brisbane, aux prises avec des créatures bien moins inoffensives que Rose et avec la crainte de ne plus jamais revoir le soleil ? S’il continuait à la rendre heureuse comme il l’avait toujours fait, elle n’avait rien à craindre. Si elle devait périr sous les crocs d’une bête à poils, autant que ce soit lui. « Tu n’en tirerais rien de bon. » avait-il répondu sobrement lorsqu’elle avait évoqué ses parents. Alors elle avait acquiescé, il était devenu son unique guide dans cette étape morose. Greta ne savait pas comment agir, alors une nouvelle fois elle avait demandé. « Seulement le nécessaire. Des habits chauds. On trouvera le reste en chemin si tu ne trouves pas tout. » Elle pouvait sentir son agacement pointer, son sang bouillir dans ses veines alors elle avait planté son regard suppliant dans le sien. Les humains avaient des besoins frivoles mais c’était là son unique demande. « Très bien. Mais je t’accompagne. Et tu fais vite, d’accord ? Personne ne doit nous voir. » Elle n’avait aucune intention de le traîner dans une sorte d’agape, lui qui était démuni quand elle possédait tout. Elle souhaitait juste un maigre sac contenant les affaires qui devraient être son réconfort pendant les jours, les semaines, les mois à venir. « C’est promis. » Car elle mettrait un point d’honneur à faire tous les efforts du monde pour lui éviter d’être repéré et abattu par une balle en argent provenant des fusils des chasseurs. Assez de sang avait été versé, ils fuiraient ensemble et elle serait l’humaine qu’il voudrait qu’elle soit jusqu’à ce que le lever du jour ne les sépare. S’il avait de nouveau lieu là où il l’amènerait.