Depuis que l’éclipse a plongé la ville dans l’obscurité, mes journées se ressemblent tout en étant différentes. C’est assez paradoxal dit comme ça mais dans les faits je suis entré dans une routine sans pour autant être sûr de ce qui pourra bien m’arriver. Tous les jours j’effectue des rondes, que ça soit avec mon père ou avec d’autres chasseurs. Le but étant de repérer les individus louches mais aussi de porter secours à de potentielles victimes. Ces rondes sont donc préventives mais sont aussi un moyen d’enquêter. Il y a quelques jours maintenant on nous a signalé des événements étranges dans une ferme isolée en périphérie de la ville. Un témoin a rapporté à mon père qu’il avait entendu des aboiements et des bruits suspects. Ce n’est pas la première fois que l’on nous rapporte de tels propos, cependant ces témoignages sont à prendre avec prudence. Souvent de simples chiens sont pris pour des loup-garous. On ne peut pas en vouloir à la population de Brisbane, la situation est hautement anxiogène et chaque fait un minimum suspect devient effrayant. Nous, les chasseurs, décidons de jouer la carte de la prudence sans pour autant céder à la paranoïa. Je me suis donc porté volontaire pour aller faire un tour dans cette maison, inspecter les lieux et vérifier si l’on a affaire à un chien un peu agité ou s’il s’agit d’une réelle menace.

C’est donc armé jusqu’aux dents, des lames d’argent cachées dans le revers de mon manteau à l’eustache caché dans ma botte. Mon père est allé sonner chez les voisins pour enquêter et de mon côté je m’occupe d’aller interroger les habitants de cette ferme, les Buckley si ma mémoire est bonne. Je sonne et un homme vient rapidement m’ouvrir la porte. “Bonjour.” Je prends quelques secondes pour observer l’homme qui me fait face mais rien d’anormal ne me saute aux yeux. “Je suis de la patrouille de protection citoyenne. J’ai quelques questions à vous poser, est-ce que vous possédez un chien ?” Il est dans son intérêt qu’il soit honnête, sinon je me verrais obligé d’utiliser la force pour obtenir des réponses.

La lutte laborieuse laisse le corps lessivé. J’ai mal partout à force de marcher sans cesse depuis des jours en faisant des rondes avec les chasseurs. Mais ce combat contre les forces du mal en vaut le coup j’en suis certain. C’est d’ailleurs ce qui me motive à frapper à la porte des Buckley dont on raconte qu’il cacherait un loup-garou. « Bonjour ? » Sa silhouette semble si sauvage, sans sérénité. En effet, il a l’air méfiant, ma présence n’a pas l’air de le ravir. « Non j’ai pas de chien. » Une réponse parfaitement prévisible. Les coupables ne l’avoueront jamais aussi facilement. Je serai bien naïf de le croire et de l’innocenter sans avoir vérifier par mes propres moyens.“Votre voisin voit visiblement vaguement.” Je lui réponds avec un petit sourire moqueur, comme pour lui dire que je ne le crois pas et que je sais pertinemment qu’il me ment. « C’est quoi votre nom ? C’est quoi la patrouille de protection citoyenne ? » En d’autres temps et circonstances j’aurais trouvé sa question légitime. Dans le cas de Brisbane, troublée depuis plusieurs semaines la question me parait malvenue. Tout le monde en ville connait la patrouille de protection citoyenne, composée de chasseurs. Je sais donc qu’il fait mine de ne pas savoir mais je prends le temps de lui expliquer. “Cesar Gutiérrez. La patrouille citoyenne protège les habitants de cette ville contre les créatures qui nous attaquent depuis l’éclipse.” Je guette la moindre de ses réactions, s’il est coupable il réagira peut-être face à mes explications. Dans tous les cas j’irai vérifier moi-même s’il est complice avec un loup-garou quelque part chez lui. “Si vous n’avez rien à cacher je suppose que vous ne verrez pas d’inconvénients à ce que j’entre vérifier.” Je demande avec un sourire hypocrite. Qu’il le veuille ou non j’entrerai, par la force si le besoin se fait sentir, en appelant des renforts s’il résiste mais je saurai si un loup-garou se cache ici ou non. De toute façon, les armes que je porte à la ceinture sont visibles pour certaines, un indice pour aider Monsieur Buckley à faire le bon choix.

Je vois bien que ma présence ici dérange monsieur Buckley, mais je ne m’en préoccupe pas, je suis déterminé à aller au bout de mes investigations. En d’autres circonstances je n’aurais jamais montré autant de véhémence envers quelqu’un, d’autant plus à son domicile. Mais la souffrance efface jusqu'aux émotions les plus primitives de l'homme. Depuis que le soleil a disparu la situation est devenue invivable et je n’ai qu’une seule envie : que ce cauchemar prenne fin. Nul homme ne soit, tant qu'il n'a pas souffert de la nuit, à quel point l'aube peut être chère et douce au coeur. Je continuerai donc d’agir, de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour traquer chaque créature et pour nous sortir de cette situation.La vie est tenace, et persiste le plus longtemps quand elle est l'objet de la haine la plus profonde. Personne ne sait quand l’éclipse prendra fin, celle-ci ne s’arrêtera peut-être qu’avec la mort de chaque créature surnaturelle. Je n’en sais rien, personne ne le sait mais dans le doute j’oeuvrerai en ce sens. En plus de cette malédiction, ces monstres représentent de véritables menaces pour les citoyens sur qui il est de notre devoir de veiller. Je lui explique donc que je compte entrer pour vérifier s’il dit vrai, ce à quoi il n’oppose pas de résistance. « Juliet, je te présente un type qui s’occupe de protéger les citoyens des créatures de la ville. » Je regarde rapidement la jeune femme qu’il me présente avant de la saluer en soulevant mon chapeau. “Madame.” La porte de la maison se referme vivement. « Bonjour… » Elle a l’air inquiète ce qui est plutôt louche. « On a des ennuis? » Son comportement est définitivement suspect, pourquoi aurait-elle peur de moi alors que son frère annonce que je suis là pour la protéger ? “Je suis là parce qu’on m’a rapporté qu’il y avait des cris, ou plutôt des hurlements de chien par ici. Je venais donc vérifier si vous aviez un chien. Votre frère m’a répondu que non mais j’aimerais vérifier par moi-même. Donc si vous le permettez je vais aller m’en assurer.” Je marche dans le salon, à la recherche du moindre indice mais je ne remarque rien. Au bout de quelques instants je déclare “Bon je crois que je vais pouvoir y…” Je n’ai pas le temps de finir ma phrase, je m’arrête net en observant le sol : une trappe. “Mais qu’est-ce que c’est que ça ?” Je pense à voix haute en mettant la main dessus, prêt à l’ouvrir.

Protéger les citoyens de cette ville est mon quotidien depuis plusieurs semaines et ça passe aussi par des fouilles de maisons. Au début je n’osais pas entrer chez des inconnus, retourner leur maison à la recherche de preuves mais maintenant je ne me gêne plus. Je sais que je ne gagne rien à être trop poli ou timide. Au contraire, c’est en étant audacieux, un peu virulent qu’on trouve de vrais indices voire même des créatures que l’on peut ensuite neutraliser ou faire parler à coups d’aconit, de pieux ou de verveine. Cependant cette demeure m’a l’air banale, je ne comprends pas bien pourquoi nous avons eu des signalements suspects ici. Je m’apprête à quitter la maison quand un détail attire mon attention dans le sol : une trappe. Je questionne les propriétaires de la maison sur cette étrange découverte mais ils ont l’air plutôt confiants. « Allez y, vous ne verrez rien d’illégal là dedans. » Je reste méfiant, il a l’air bien sympathique alors qu’il avait l’air paniqué à l’idée de ma seule présence dans la maison. Je trouve ça louche donc je reste sur mes gardes, prêt à dégainer une de mes armes à la première entourloupe. J’ouvre la trappe et j’aperçois très furtivement une cage. Je n’ai pas le temps de dire quoique ce soir qu’Asher court vers la porte pour s’échapper. Je me précipite vers lui avant de le plaquer au sol de toutes mes forces. “Arrêtez de bouger !” Je lui crie avant de lui plaquer les mains dans le dos, à la recherche d’une paire de menottes pour l’immobiliser. Je n’arrive à mettre la main dessus, Asher essaie de se débattre alors je décide de le mettre hors d’état de nuit. Je lui décoche un crochet du droit bien placé, sa tête heurte le sol et le voilà inconscient. Je soupire avant de m’essuyer le front, c’était moins une. J’ai cependant été trop lent pour retenir l’autre occupante de la maison qui doit déjà être loin à l’heure qu’il est. Je me console en me disant que j’ai arrêté un suspect et que d’une manière ou d’une autre il parlera et nous révèlera tous les secrets de cette cage cachée.

fin