L’éclipse n’en finissait plus et tous les espoirs qu’elle chérissait encore la veille s’envolaient les un après les autres, la laissant résignée, comme tous les autres. Cette malédiction profitait aux créatures de la nuit qui prenaient de plus en plus leurs aises dans un monde qui n’avait jusqu’alors appartenu qu’aux humains. Eux qui se croyaient seuls devaient maintenant lutter pour ne pas être vidés de leur sang ou déchiquetés par un loup. Dans ce combat entre l’obscurité et la lumière, Greta avait choisi de faire confiance aux sorciers, ses soupçons pour les chasseurs s’amplifiant depuis qu’elle avait entendu leur chant retentir en passant près du Nemrod. Swann, son ami sorcier, semblait pourtant extrêmement distrait, lui faisant presque regretter d’avoir accordé si simplement sa confiance. « Tu m’écoutes ? Mandragore. Eucalyptus. Racines de Pissenlit. Lait caillé. Iguanes séchés. Nid d’hirondelle. » La blonde citait chacun des éléments en marquant un temps de pause entre chaque, ne prononçant le mot suivant qu’une fois qu’elle avait entendu le bruit de l’ingrédient qui tombait dans la marmite. Après le dernier élément, de grands bruits sourds avaient retenti. On frappait à la porte avec force et les onomatopés qu’elle distinguait ne lui laissait rien présager de bon. « Il y a un vampire qui est venu tester ta potion plus vite que ce que je pensais… Swann je t’en prie dépêche toi ! » La porte avait cédé à une vitesse incroyable et le vampire n’était qu’à quelques centimètres seulement et son simple crucifix qu’elle brandissait devant elle semblait bien peu suffisant à contenir sa soif de sang. Swann avait pris un temps monstrueux à verser sa potion dans des petites fioles avant d’enfin venir jeter l’une d’elle sur le vampire qui s’était envolé dans une succession de flammes violettes. « Ça t'amuse ? » A en croire le sourire narquois sur son visage alors qu’elle s’était tournée vers lui, il était évident que oui, il s’amusait. Elle avait levé les yeux au ciel mais une fois le moment passé, s’était également autorisée à rire.

« Tu m’écoutes ? Mandragore. Eucalyptus. Racines de Pissenlit. Lait caillé. Iguanes séchés. Nid d’hirondelle. » Il relève vivement la tête vers elle et fronce un instant les sourcils, preuve qu’il ne l’écoutait pas vraiment. Un peu trop habitué à ce qu’on lui demande des poils de crinière de licorne et de la bave de crapaud, il n’a pas prêté attention à la liste de ses requêtes. Que veut-elle bien combattre, de toute façon ? La malédiction les touche tous autant qu’ils sont, voués à vivre sous une lune éternelle. Il devrait faire davantage attention à ce qu’elle ajoute dans la même marmite et pourtant, son attention est ailleurs sans que cela ne puisse être expliqué.

Seul le bruit de la porte volant en éclats le ramène à lui en même temps que, il est vrai, pousse chacun des poils de ses bras à se redresser sous le coup de la peur. Il commence à avoir l’habitude de faire face aux vampires mais il ne s’y fera jamais réellement. Ils semblent si humains, si dénués de malédiction. Et pourtant, ils vivent l’une des pires d’entre elles. « Il y a un vampire qui est venu tester ta potion plus vite que ce que je pensais… Swann je t’en prie dépêche toi ! » - « J’y suis, j’y suis. » Elle agite le pieu devant la créature et il place la potion dans des fioles avec grand soin, un peu trop conscient qu’en faire tomber quelques gouttes par terre serait terriblement lourd de conséquences. En réalité, la créature tombe pile poil: grâce à elle, ils pourront s’assurer de l’efficacité de la potion en grandeur nature ; et effectivement, à en juger par la façon dont il s’évapore sous leurs yeux pour ne plus devenir qu’un petit tas de cendres à l’image d’un phénix, elle fonctionne à merveille. « Ça t'amuse ? » Il ne l’était pas réellement lorsqu’ils étaient encore au coeur de l’action mais maintenant que le pire est passé et qu’aucune transformation n’est à déplorer de leur côté, il peut effectivement se permettre de sourire. « On l’a échappé belle. » Il souffle, rassuré, toujours porteur du même sourire quasi enfantin. « Où est-ce que tu as dégoté cette potion ? » Elle est celle à être venue la lui proposer, et il se montre désormais curieux. Elle est une simple humaine et loin d’être sous le coup de la moindre malédiction, alors sans doute qu’à sa place il aurait fait le choix de ne pas se mêler des créature du monde de la nuit.

L’Eglise n’était probablement pas l’endroit où elle aurait pensé s’essayer à la magie, mais les créatures ayant accumulé assez de puissance pour pénétrer dans des édifices religieux, plus rien n’avait de sens. Les règles changeaient, le jeu s’intensifiait et ils devaient continuer à suivre la cadence. « J’y suis, j’y suis. » Une fois le vampire réduit en cendres, elle était venue plier le petit bout de papier sur lequel elle était venue noter les ingrédients de la potion capable d’anéantir les créatures à peine entrait-elle en contact avec eux. Peut-être qu’elle mettait un peu trop de sa confiance en Swann qui lui semblait ailleurs, réfléchissant à tout sauf aux éléments de la potion. Il aurait dû vérifier, s’assurer que ses associations n’étaient pas hasardeuses. A la place, il rêvassait. Mais Greta n’avait pas eu le temps de lui souligner ce point parce que la créature était arrivée soudainement, comme si elle était désireuse de venir s’assurer que ce qu’ils concoctaient pouvait être efficace. Les vampires étaient-ils suicidaires ? « On l’a échappé belle. » Sa seule réponse lorsqu’elle avait demandé s’il trouvait cela amusant de la laisser ainsi se démener pour échapper à un vampire, un simple symbole en bois pour arme.  Ils avaient finalement échangé un rire parce qu’ils pouvaient bien se le permettre maintenant qu’ils avaient réussi l’impossible. Passé l’adrénaline, Swann semblait maintenant bien ancré dans le moment présent et visiblement étonné. « Où est-ce que tu as dégoté cette potion ? » La blonde n’avait pas anticipé sa question. « Tu n’es pas le seul sorcier des environs! » avait-elle dit avec un rire malicieux. Elle ne s’était pas hasardée à désigner tout haut Lena comme sa complice tout comme elle ne l’avait pas prévenu qu’elle utiliserait sa potion avec quelqu’un d’autre qu’elle. « Ça a l’air efficace mais… » Prise d’un doute, elle avait repris le papier. « Racines de mandragore et pissenlit. J’ai mélangé… » Et en réalisant son erreur, au même moment, les restes de la potion sur le sol s’étaient mises à frémir, le liquide changeant de couleur. « Swann ? Tu peux réparer ça ? » Parce qu’elle se sentait bête, à l’idée de les avoir mis en danger en s’improvisant sorcière.

« Tu n’es pas le seul sorcier des environs! » En effet, mais cela ne répond pas pour autant à sa question. Tous les vampires alentours ne sont pas aussi bien intentionnés que lui et, aussi, tous ne sont pas aussi doués. Les potions de pacotille courent les rues, surtout depuis l’avènement de la lune éternelle: désormais, tout le monde a eu vent de l’existence des sorciers et de tous les pouvoirs inhérents à leur sang. Tous veulent leur part du gâteau, et ils sont prêts à payer cher pour se l’octroyer. « T’as un nom ? » Il demande, inquiet. Il en a besoin. Il veut un nom.

« Ça a l’air efficace mais… Racines de mandragore et pissenlit. J’ai mélangé… » Les yeux du blond s’agrandissent, à la fois sous le coup de la surprise et sans doute aussi un peu de la colère. Comment peut-elle avoir mélangé deux tels ingrédients ? Ne sait-elle pas quel danger ils courent désormais ? « Swann ? Tu peux réparer ça ? » - « Non. Il faut des crocs de vampire pour annuler un tel sort et… » Et il n’en a pas. L’ingrédient est particulièrement difficile à obtenir autant qu’il est rare et Swann n’en a même jamais eu en sa possession. Il n’a jamais voulu tuer un vampire pour obtenir une potion, quand bien même ces créatures sont ses ennemis par nature. « Il faut le prendre sur le corps. » Seuls ses pieds et une partie de ses jambes se sont évaporées. Le reste du corps attend son sort dans l’entrée de la pièce, mais cela n’enchante pas le moins du monde l’anglais que de penser à ce qu’ils devront faire pour obtenir cette fichue dent. « Tu… sais faire ? » Après tout, peut-être qu’elle pourrait aider à cette tâche, parce que pour une fois les pouvoirs de Swann ne pourraient lui être d’aucune aide. Ils doivent appréhender la prochaine tâche tel un acte quasi chirurgical.

Greta était bien moins sérieuse que Swann qui prenait un ton un peu plus sombre qu’à l’accoutumée. Rien ne semblait pouvoir le détourner de son envie, son besoin de savoir de quel sorcier elle avait parlé. Et elle ne savait pas réellement si elle pouvait lui dire. « T’as un nom ? » « Tu insistes beaucoup trop. » Alors elle avait réalisé qu’il était peut-être inquiet à l’idée qu’elle ait pu aller discuter potion magique avec les sorciers les moins bien intentionnés mais il n’en était rien. Moore connaissait les dangers qu’elle courrait et elle avait appris à débusquer ses ennemis. « Oh t’en fais pas, je parle de Lena, de Siham. Outre leurs grands pouvoir, elles sont extrêmement fiables. » Reportant son regard sur Swann elle aurait juré l’avoir vu soupirer sans qu’elle ne sache s’il les connaissait. Et après avoir réglé ce problème puis réglé son compte au vampire, Greta avait réalisé.


« Non. Il faut des crocs de vampire pour annuler un tel sort et… » Grand Dieu, comment allaient-ils se sortir de cette impasse ? Regrettant instantanèment son erreur que Swann ne semblait pas être à même de pouvoir rattraper, elle l’avait laissé finir. « Il faut le prendre sur le corps. » Et elle espérait franchement que ce soit quelque chose qu’il soit capable de faire car elle préférait encore finir dans le même état que ce pauvre suceur de sang que de devoir insérer ses doigts dans sa bouche. « Tu… sais faire ? » Toutes les expressions de son visage indiquaient que, non, elle ne savait pas faire et que, surtout, elle n’avait aucune envie de le faire. « Attends mais tu plaisantes ? » Mais Swann avait gardé un visage figé et pas l’ombre d’un sourire ne s’affichait sur son visage. Outrepassant ses craintes, Greta s’était approchée timidement du corps. « On a connu des moments plus sympa, toi et moi… » Retardant le moment où elle devrait se mettre à la tâche, Greta comblait le vide avec des phrases toutes faites. Et puis, finalement, d’un geste sec, elle avait arraché la canine du monstre dans un bruit qui l’avait fai grimacer. « Génial, je suis couverte de sang. Rassure-moi, tu as tout ce qu’il te faut maintenant ? » Et il devait répondre rapidement et se mettre à la tâche encore plus vite car la potion devenait menaçant et périr à cause d’un liquide quand on venait de tuer un vampire aurait été bien trop embarrassant.

« Tu insistes beaucoup trop. »
« Parce que c’est important. »

Il n’insisterait pas, sinon, et elle le sait. Il n’est pas du genre curieux, ni même du genre à vouloir savoir tout ce qui se trame autour de lui uniquement pour rester informé. Il est de ceux qui pensent que l’information fait naturellement son bonhomme de chemin et si elle ne le fait pas, alors c’est qu’il n’y a rien à en tirer. « Oh t’en fais pas, je parle de Lena, de Siham. Outre leurs grands pouvoirs, elles sont extrêmement fiables. » Ces prénoms se perdent dans la masse, si bien que Swann préfère n’en tirer aucune conclusion, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Il se contente de hocher la tête et de repousser la discussion à plus tard, l’intervention du vampire l’arrêtant de toute façon dans ses pensées autant que dans ses actions. Fort heureusement, il a les réflexes suffisants pour le repousser, et par la même occasion s’assurer qu’ils ne deviennent pas tous deux son repas du jour. Saleté de créature de la nuit, bon sang.

« Attends mais tu plaisantes ? »
« En ai-je l’air ? »

Il fronce à son tour les sourcils, sans doute quelque peu énervé qu’elle puisse penser qu’il s’amuserait à de tels actes dans un moment où le temps ne joue clairement pas en leur faveur. Ils ne peuvent plus rire de rien, et ce depuis longtemps. « On a connu des moments plus sympa, toi et moi… » La jeune femme gagne un regard noir de la part du blond, qui n’a certainement pas à coeur de parler réminiscences du passé et autre nostalgie en cet instant. « Ce n’est pas le moment. » Il coupe court à la conversation, trop focalisé sur le présent et le corps à moitié évaporé d’un vampire gisant sur son sol, ce qui n’a rien de normal et encore moins de désiré. Ou désirable. Ils doivent trouver une solution au mal qui les entoure, et le plus tôt sera définitivement le mieux.