Family Planning Alliance, bureau de l'assistant social

Ames n’avait pas eu une très bonne journée. Tout avait commencé dans le lit d’un plan cul semi-régulier, un gars peu sympathique mais avec tellement de charme que le grand brun se retrouvait toujours dans ses bras en fin de soirée. Il s’était dit que ce serait OK de sortir la veille parce qu’il ne travaillait que l’après-midi aujourd’hui. Dans la même logique, il s’était autorisé à découcher – non qu’il se l’interdise souvent. Mais se réveiller dans les draps du charmant blond pénible lui avait fait l’effet d’une gueule de bois émotionnelle. Pourquoi continuait-il à faire ce genre de choix, lui qui aurait voulu une grande histoire d’amour ?

Ensuite il avait pris le bus de Fortitude Valley à Toowong pour rejoindre le Planning. Il aimait habituellement prendre les transports en commun, comme tout ce qui lui rappelait qu'il vivait dans une grande ville. Mais cette fois il s'y était senti honteux, comme une walk of shame (un bus ride of shame ?). Il n'avait pas honte de ses aventures romantico-sexuelles – souvent plus sexuelles que romantiques – mais il s'était senti en décalage avec lui-même presque autant qu'avec les autres passagers.

Le début de son après-midi de travail s'était déroulé de manière tout aussi lassante. Il avait l'impression de ne pas arriver à aider ses usagers, et ceux-ci lui renvoyaient en retour de tous ses efforts une certaine ingratitude. Non qu'ils auraient dû être reconnaissants, se morigéna-t-il lorsqu'il surprit cette pensée ; il ne faisait après tout que son travail. Après trois rendez-vous d'une demi-heure, il prit une respiration bien méritée et alla se chercher un café. Lorsqu'il revint de la salle de pause, son rendez-vous suivant l'attendait devant son bureau.

"Bonjour madame, un inst-" avait-il commencé à dire, mais il s'interrompit en reconnaissant la femme qui se tenait devant lui. Même si elle avait un peu changé, c'était bien Siham. Flower. Son ex d'il y a trois ans. "Tout va bien ?" demanda-t-il par réflexe, pensant qu'elle l'avait cherché lui spécifiquement pour lui annoncer une mauvaise nouvelle – mais quelle nouvelle aurait pu le concerner, presque trois ans après leur rupture ?

Non, la surprise sur le visage de Siham lui fit comprendre autre chose : elle ne s'attendait pas à le voir là. Il se rappela soudain que le monde ne tournait pas autour de lui et qu'il était un simple assistant social sur son lieu de travail. Heureusement aucun autre usager n'attendait en même temps que Siham. Son café toujours dans une main, il déverrouilla de l'autre la porte de son bureau et y invita Siham à s'asseoir.

Il lui sourit, tentant de rattraper la gêne de la situation. "Bref, je travaille ici maintenant. Enfin non, je travaillais déjà ici quand... Mais je suppose que tu avais oublié." Il prit une gorgée de son café pour se donner une contenance. "Je peux faire quelque chose pour toi ? En tant qu'assistant social je veux dire. Ou en tant... qu'ami, mais je suppose que tu es là pour de l'assistance sociale."

Siham avait pris son téléphone, composé le numéro puis raccroché avant que la première tonalité ne retentisse dans l’appareil. Qu’irait-elle bien faire au planning familial ? Pas grand-chose, ce n’était pas fait pour elle et puis après tout, elle avait accouché de Dali depuis sept mois à présent, elle n’y avait plus sa place. Elle n’avait jamais vraiment estimé y avoir sa place un jour d’ailleurs, se croyant hors de portée des problèmes liées à la maternité. Puis, elle se pensait suffisamment éduquée et d’avoir eu accès à la prévention à de nombreuses reprises pour ne rien risquer. Elle avait eu faux sur toute la ligne et elle avait toujours faux. « J’vois pas c’qui te bloque… t’es complètement paumée, t’as plus de fric, ton fils te pompe tout, ton boulot ne te permet pas de couvrir tous tes frais. Tu devrais y aller, juste pour voir si t’as pas droit à quelques aides par ci par là… » c’est vrai que son travail à l’épicerie ne l’aidait pas vraiment. Elle s’était demandé si elle ne devrait pas trouver autre chose, faire valoir ses diplômes, le souci c’est bien qu’elle n’était pas allée jusqu’à la fin de ses études. Et que si elle avait validé toutes ses années, il lui manquait la dernière : celle qui lui permettait d’avoir la reconnaissance de ses compétences.
Elle avait fini par le faire, ce numéro et cette fois, elle avait patienté, jusqu’à ce qu’une voix décroche, s’adresse à elle et prenne le rendez-vous avec l’assistante sociale. C’était bon et comme elle était bien trop respectueuse envers les administrations, elle n’oserait pas annuler et ne pas s’y pointer. Maintenant, elle se sentait plus qu’obligée. Deux semaines à attendre.
Elle avait failli appeler le matin même en se trouvant l’excuse d’avoir un peu toussé la nuit, comme si avait hurlé tel un loup garou à la pleine lune et qu’elle s’était irrité la gorge. Elle se sentait fatiguée et peut être était-elle malade. Mais elle savait qu’elle n’avait rien, elle savait qu’elle s’inventer des symptômes et des excuses et elle savait surtout qu’elle avait besoin de ce rendez-vous.
Elle patientait, devant une porte qu’on lui avait indiquée en arrivant. Hugo gardait Dali pour deux jours encore et n’avait aucune idée des démarches qu’elle voulait entreprendre, mais après tout, elle ne vivait pas avec lui, elle n’avait pas à lui dire que tout était compliqué. Elle se demandait même si elle allait pouvoir continuer à payer sa part de la colocation. Elle avait sans doute eu les yeux plus gros que le ventre en visant un quartier comme Bayside.
"Bonjour madame, un inst-" elle se retourna et fit les gros yeux, au même instant où il avait stoppé sa phrase. Ames… pour une surprise. "Tout va bien ?" manquait plus que ça … ses yeux se posèrent sur la porte devant laquelle elle attendait et remarqua bien son nom Mr A. Kensington. Bien sûre… "Bref, je travaille ici maintenant. Enfin non, je travaillais déjà ici quand... Mais je suppose que tu avais oublié." Elle avait effectivement oublié… Elle resta immobile un instant alors que lui, était déjà rentré dans son bureau. Elle finit tout de même pas y faire quelques pas, hésitant à s’installer… "Je peux faire quelque chose pour toi ? En tant qu'assistant social je veux dire. Ou en tant... qu'ami, mais je suppose que tu es là pour de l'assistance sociale." Elle qui avait longuement hésité, si elle s’était souvenu que son ex travaillait là, son choix aurait été vite fait. « C’est gênant, non ? » demanda-t-elle, comme pour s’assurer qu’elle n’était pas la seule à ressentir ce sentiment. « enfin, t’as raison de supposer que je ne suis pas là pour te voir. » le voir, lui, en tant qu’Ames. « t’as pas une collègue qui… enfin, quelqu’un d’autre qui fait le même taf que toi ? »

Ames remarqua bien l'hésitation de Siham à entrer, mais celle-ci finit quand même par s'asseoir.

"C'est gênant, non ?" demanda-t-elle et Ames acquiesça, un peu à contrecœur. Il aurait voulu garder de bonnes relations avec tous ses exs, et il s'imaginait que c'était un peu le cas avec Siham. Bon, ils n'étaient pas fâchés en tous cas, mais ils avaient très certainement perdu contact. "Il y a... un potentiel de gêne." concéda-t-il en se forçant à sourire. Mais la suite le vexa un peu : "t'as raison de supposer que je ne suis pas là pour te voir". Il le savait, bien sûr, mais ce n'était pas la peine de le préciser aussi clairement !

"T'as pas une collègue qui… enfin, quelqu’un d’autre qui fait le même taf que toi ?" demanda Siham et, bien qu'Ames comprit la gêne de la situation, il en fut blessé. Il endossa cependant son rôle de professionnel pour répondre : "Je suis le seul au Planning malheureusement, on n'a pas assez d'argent pour recruter davantage. Un jour, peut-être. Il se reconcentra sur le problème devant lui : "Je peux essayer de t'avoir un rendez-vous dans une autre structure, j'ai un annuaire. Mais pour être parfaitement honnête, elles sont toutes un peu surbookées. J'imagine que tu as dû attendre des mois pour avoir ce rendez-vous, non ?"

Il se cacha un peu derrière son café, de toutes façons il fallait bien qu'il le boive avant qu'il ne refroidisse. "Bref je ne vais pas t'obliger à me dire pourquoi tu es là" reprit-il, "mais je suis à peu près sûr que je peux t'aider. Je suis plutôt pas mal dans mon métier."

Il était un peu curieux, bien sûr, de savoir ce qui s'était passé dans la vie de Siham depuis leur séparation. Il se sentait un peu sale de cette curiosité, à la fois parce qu'il avait l'impression d'abuser de son métier et parce que les gens se retrouvaient rarement avec plaisir dans son bureau. Dans le cas de Siham, il avait un peu l'impression d'être un intrus dans sa vie privée, qu'elle avait choisi de ne pas partager avec lui. Il aurait aimé lui proposer de plaquer ses derniers usagers et d'aller prendre un café, mais il n'allait pas déserter son travail et, par ailleurs, elle n'en avait sans doute aucune envie.

Siham était maladroite, mais il fallait comprendre que cette démarche lui coutait et qu’elle n’était déjà pas à l’aise avec le fait de demander de l’aide, alors en plus, si elle le faisait avec l’un de ces ex, c’était l’humiliation la plus totale pour elle. Elle voulait être discrète, ne pas attirer l’attention et profiter du secret professionnel. Même si elle se doutait qu’Ames n’utiliserait jamais ses informations contre elle, pour lui nuire, elle restait réticente. Elle aurait préféré quelqu’un qui ne la connaissait pas, ni d’Eve, ni d’Adam, quelqu’un qu’elle ne serait plus jamais susceptible de revoir. Elle avait simplement honte.
"Je suis le seul au Planning malheureusement, on n'a pas assez d'argent pour recruter davantage. Un jour, peut-être » Siham sentait, dans le ton de sa voix qu’il n’avait pas forcément bien accueilli sa remarque. Elle ne voulait pas qu’il le prenne pour lui. Mais elle comprenait aussi que c’était à prendre ou à laisser, elle hésitait toujours. "Je peux essayer de t'avoir un rendez-vous dans une autre structure, j'ai un annuaire. Mais pour être parfaitement honnête, elles sont toutes un peu surbookées. J'imagine que tu as dû attendre des mois pour avoir ce rendez-vous, non ?" elle secoua la tête, étonnement, elle avait réussi assez rapidement. « Si j’avais du attendre des mois, j’aurai fais machine arrière… » elle aurait baissé les bras, parce que ça lui coutait vraiment de se déplacer jusqu’ici. « J’ai sans doute eu de la chance… » et avec les mots d’Ames, elle compris que c’était maintenant ou jamais.
"Bref je ne vais pas t'obliger à me dire pourquoi tu es là mais je suis à peu près sûr que je peux t'aider. Je suis plutôt pas mal dans mon métier." Elle ne doutait absolument pas de ses compétences, elle ne voulait pas remettre en cause son métier. Elle resta silencieuse, un petit moment, se plongeant dans le dossier de sa chaise, elle passa ses mains sur son visage, réfléchissant, pesant le pour et les contre. Forcée de constater que les raisons qui la poussaient à sortir d’ici n’étaient pas les bonnes. Elle fini par se redresser, hocha la tête. « Ok… » elle souffla, devait prendre son courage à deux mains. «  promets moi de pas me juger, s’il te plait. » parce qu’il connaissait son passé, parce qu’elle connaissait la raison de leur séparation. Elle n’avait rien contre lui, elle restait nostalgique de leur relation, elle se disait souvent qu’elle avait tout pour fonctionner et durer, mais leurs projets étaient si différents qu’elle n’aurait jamais aboutis. L’un d’eux se serait senti lésée et Ames en aurait surement plus pâti que la jeune femme.
« Je suis maman. » elle avait l’impression de lâcher une bombe bien plus grosse qu’elle. Elle préférait ne pas regarder Ames dans les yeux pour ne pas lire la surprise à cette annonce, ni aucun autre sentiment. « Mon fils est né en février, j’ai fais un déni de grossesse… » le décor était planté. « Comme tu imagines bien, je n’ai rien prévu de tout ça… aujourd’hui, je sais plus comment m’en sortir. Je manque d’argent, j’ai un travail, mais c’est pas suffisant… et… je suis célibataire. » elle n’avait pas deux revenus pour faire tourner la maison, même si le père prenait ses responsabilités envers son fils, ils avaient convenu d’un commun accord d’une sorte de garde alternée. Mais c’était toujours aussi dure pour la jeune femme. « Je vis en colocation… mais j’ai l’impression que c’est une erreur aussi » elle avait parlé de son statut de mère, de femme célibataire, de son travail… de son logement, que lui manquait-il comme information ? « De quoi tu as besoin de plus ? » surtout, en quoi pourrait-il l’aider ?!

Spoiler:

"J’ai sans doute eu de la chance…" conclut Siham en apprenant qu'il fallait généralement des mois pour avoir un rendez-vous. "Tant mieux alors" répondit Ames. "Il y a dû y avoir un désistement peu avant que tu appelles. Sinon il y a aussi des procédures d'urgence qui peuvent être mises en place dans la semaine, mais il faut vraiment être SDF ou à deux doigts de le devenir. Enfin, je ne veux pas présumer mais j'espère que ce n'est pas ton cas." Il réalisait qu'il n'aurait même pas dû dire ça, s'il n'avait pas connu personnellement son usagère.

"Promets-moi de ne pas me juger" demanda cette dernière. "Je ne suis pas là pour juger les gens qui viennent me voir, promesse de scout" assura-t-il, avant d'entendre ses propres mots répétés dans sa tête. Promesse de scout ? D'où cela lui sortait-il ? Il n'avait jamais été scout. Siham devait se dire qu'il était toujours aussi nerd...

Sa promesse n'empêcha pas Ames d'être surpris, bien qu'il tenta de le cacher, lorsque Siham révéla sa récente maternité. La suite de l'explication fit plus de sens, était en tous cas moins vexante pour Ames : elle n'avait pas changé d'avis en rencontrant un homme, un vrai, mais tout simplement fait un déni de grossesse. "Comme tu imagines bien, je n’ai rien prévu de tout ça… aujourd’hui, je sais plus comment m’en sortir. Je manque d’argent, j’ai un travail, mais c’est pas suffisant… et… je suis célibataire" continua-t-elle. Ames tenta d'enclencher le switch dans sa tête qui l'empêchait de s'effondrer en écoutant les problèmes de ses usagers, mais l'interrupteur était un peu bloqué.

"Je vis en colocation… mais j’ai l’impression que c’est une erreur aussi. De quoi as-tu besoin de plus ?" termina Siham. Son ex petit-ami réfléchit un instant, faisant le compte dans sa tête des documents qu'il allait lui demander. "Je vais avoir besoin de chiffres et de papiers pour savoir exactement à quoi tu peux prétendre. Bulletins de paye, déclarations d'impôts, pension alimentaire si tu en reçois une... Tout ce qui a trait à tes revenu. Tu touches déjà des aides ou pas du tout ? Ah attends, déjà : tu as une place en crèche ?" Il s'interrompit, réalisant qu'il noyait la pauvre Siham d'informations. Il eut un sourire d'excuse : "Je te promets que d'habitude je suis meilleur que ça en communication. Il était perturbé par la présence de son ex, en plus du fait que ce ne soit pas sa journée.

Il la laissa respirer puis reprit : "Si c'était en février dernier, c'est trop tard pour la plupart des aides liées à la naissance. Mais tu dois toujours être éligible pour d'autres, comme les réductions d'impôts ou le Parenting Payment. Les gens ne connaissent pas suffisamment celui-ci, tu peux avoir jusqu'à 970 dollars toutes les deux semaines ! Bon probablement moins dans ton cas puisque tu as un travail, mais c'est quand même intéressant. Il y a aussi les Family Tax Benefits, et l'avantage c'est que ça t'ouvrirait une aide au logement si tu es officiellement locataire dans ta coloc. Attends..." Il sortit de son placard une brochure intitulée "Jeunes parents : à quoi avez-vous droit ?" et la glissa à Siham. "Bon, tout ne fonctionnera pas pour toi mais ça t'aidera à suivre ce que je te raconte."

Une chance pour Siham de n’être ni SDF, ni être à deux doigts de le devenir, comme Ames venait de le préciser. Elle ignore par quel miracle elle avait réussi à avoir un rendez-vous aussi rapidement mais elle n’allait pas culpabiliser de prendre la place de quelqu’un qui attendait surement depuis plus longtemps qu’elle. Et c’était pour cette raison aussi qu’elle ne se sentait pas légitime à partir après avoir su que son ex petit ami allait s’occuper de cet entretien.
"Je ne suis pas là pour juger les gens qui viennent me voir, promesse de scout" sauf qu’elle n’était surement pas juste quelqu’un qui venait le voir comme tous les inconnus qu’il croisait chaque jour. Là, ils avaient un passif et pas des moindre. Mais Siham allait entendre sa promesse de scout et faire en sorte de passer sur le reste. Elle s’élança alors, expliquant les raisons de sa venue, avec une crainte et surtout, si elle n’avait pas envie d’être jugée, elle ne voulait pas non plus blesser outre mesure Ames. Bien que ça pouvait sembler être un peu prétentieux de penser le toucher d’une manière ou d’une autre. Il était sans doute passé à autre chose depuis bien longtemps. Elle tentait de se justifier au maximum, comme si elle avait besoin d’une bénédiction pour se soulager de ne pas avoir fait exprès d’être tombée enceinte et encore moins d’avoir donné naissance à un bébé ensuite.
"Je vais avoir besoin de chiffres et de papiers pour savoir exactement à quoi tu peux prétendre. Bulletins de paye, déclarations d'impôts, pension alimentaire si tu en reçois une... Tout ce qui a trait à tes revenu. Tu touches déjà des aides ou pas du tout ? Ah attends, déjà : tu as une place en crèche ?" elle listait dans sa tête les papiers qu’il énumérait un après l’autre. Elle pensait avoir assez donné en s’occupant de toutes les démarches administratives après la mort de son père et le remboursement de ses dettes, mais maintenant, c’était pour elle qu’elle devait rassembler tous ces papiers. Elle detestait faire ça. Et si elle avait pesté après son père de ne pas avoir été capable de ranger et classer ses papiers, les chiens ne font pas des chats, elle était pareil. Elle n’avait pas appris des erreurs de son défunt père, elle allait devoir faire une fouille archéologique, à la fois chez sa mère mais aussi dans son nouvel appartement pour tout rassembler.
« aucune aide. » précisa-t-elle. « Pas de place en crèche, tout était déjà bouclé quand Dali est né… j’ai pas pu l’inscrire. » et puis, elle n’avait absolument pas les moyens de l’y inscrire. « Ma mère s’en occupe… et des amis aussi, quand je suis au travail. » quant à la pension alimentaire… « son père me donne rien, mais on est en garde alterné, d’un commun accord… » Hugo avait pris sa part de responsabilité, même bien plus rapidement que Siham. Il avait vécu moins brutalement l’arrivée de Dali dans sa vie si soudaine. « "Je te promets que d'habitude je suis meilleur que ça en communication. » elle ne lui en tenait pas rigueur, elle pouvait trouver les circonstances atténuantes et ne le trouvait pas si incompétent. « T’en fais pas… j’comprends que… » elle redressa sa tête, basculant doucement sa nuque en arrière. « C’est pas évident, et puis, ca doit être déstabilisant pour toi aussi. »
"Si c'était en février dernier, c'est trop tard pour la plupart des aides liées à la naissance. Mais tu dois toujours être éligible pour d'autres, comme les réductions d'impôts ou le Parenting Payment. Les gens ne connaissent pas suffisamment celui-ci, tu peux avoir jusqu'à 970 dollars toutes les deux semaines ! Bon probablement moins dans ton cas puisque tu as un travail, mais c'est quand même intéressant. Il y a aussi les Family Tax Benefits, et l'avantage c'est que ça t'ouvrirait une aide au logement si tu es officiellement locataire dans ta coloc. Attends..." elle attendait… le voyant fouiller dans ses tiroires, il sortie un prospectus qu’il lui glissa sous le nez. Celui-ci semblait rassembler tout ce dont à quoi elle pourrait prétendre ou non. Finalement, elle se rendait compte qu’elle n’y connaissait rien et qu’elle pourrait réellement tirer profit de sa venue au planning. "Bon, tout ne fonctionnera pas pour toi mais ça t'aidera à suivre ce que je te raconte." Elle souffla, prenant le papier dans ses mains, le déplia et y jeta un rapide coup d’œil. « J’dois prendre rendez-vous pour la prochaine fois ? J’t’apporte tout ça quand ? J’espère que j’dois pas attendre trois mois ou de devoir être SDF… » fit-elle, en réponse miroir à ses propos plus tôt. « Officiellement, c’est moi qui ait la garde de mon fils… il est domicilié chez moi. Si je déclare qu’il est 3 jours par semaine chez son père, ca change quelques chose ? » surement… et Hugo risquait de lui en vouloir s’il savait qu’elle touchait des aides sur son dos, sans lui avoir dit…

Comme beaucoup des usagers qu'Ames recevait au quotidien, Siham semblait un peu perdue dans les démarches administratives. Mais cela signifiait seulement qu'il allait pouvoir l'aider. "Aucune aide. Pas de place en crèche, tout était déjà bouclé quand Dali est né… j’ai pas pu l’inscrire." Oui, c'était logique après un déni de grossesse, surtout s'il avait été prolongé. Ames n'osa pas demander de détails, ce n'était pas nécessaire pour son travail et ce n'était donc pas ses oignons. "Ma mère s’en occupe… et des amis aussi, quand je suis au travail. Son père me donne rien, mais on est en garde alternée, d’un commun accord…" "OK, c'est bien que tu ne sois pas entièrement seule. Je veux dire, que le père s'en occupe. Et aussi ton entourage." Il avait connu trop de mères célibataires dans des situations où le père avait disparu dans la nature. Cela ne semblait pas être le cas et tant mieux, il ne l'aurait pas souhaité à Siham. "Tu aimerais avoir une place en crèche ou pas ? Il peut y avoir des aides pour payer la garde."

Après qu'il eut donné le dépliant à son ex, celle-ci s'enquit du prochain rendez-vous. Il regarda sa montre. Il n'avait pas vu le temps passer mais effectivement leur demi-heure était presque écoulée, et de toutes évidences son usagère n'avait pas sur elle les papiers dont il avait besoin. Il sourit en entendant "J’espère que j’dois pas attendre trois mois ou de devoir être SDF… " et la rassura rapidement : "Non, c'est juste le premier rendez-vous qui est difficile à avoir. Maintenant que tu es dans le circuit je devrais pouvoir t'avoir un rendez-vous pour... quelles sont tes disponibilités la semaine prochaine ?"

Elle lui donna un dernier détail sur la résidence officielle du bébé. Il avait déjà plus ou moins compris la situation lorsqu'elle avait parlé de garde alternée. Il lui donna les dernières informations dont elle avait besoin : "Normalement c'est bon pour toi puisque tu es sa résidence principale. Il faut que je vérifie si ce n'est pas au prorata des jours qu'il passe chez toi, cela dit. Il y a des subtilités, des cas particuliers, et je ne sais plus ça de tête." Il prit quelques notes sur son ordinateur avant de la raccompagner à la porte. "Tu n'es pas dans la pire des situations, mais tu as bien fait de venir me voir. Enfin même si ce n'est pas moi que... Bref," bafouilla-t-il, "tu as droit à plus d'aides que ce que tu ne pensais, à mon avis."

Il lui ouvrit la porte et la laissa sortir, faisant patienter un instant la dame qui attendait pour le rendez-vous suivant. Il rentra dans son bureau, seul, ouvrit la fenêtre et respira l'air tiède de l'après-midi. Il était troublé, oui. Il ne réalisait pas encore à quel point, ni exactement pourquoi. C'était comme s'il avait entrevu un futur potentiel, un où Sihem serait tombée enceinte et lui aurait apporté un enfant à lui au lieu de cet inconnu. Bien sûr, il était dégueulasse de penser ainsi, les femmes n'étaient pas là pour lui apporter une progéniture, et il n'allait pas souhaiter un déni de grossesse à qui que ce soit. Il se morigéna ainsi quelques instants avant de mettre de l'ordre dans ses pensées, de se frotter les yeux et d'aller ouvrir à l'usagère suivante.

Siham, motivée par son envie de s’en sortir plutôt que de penser à la honte qu’elle avait pu ressentir en voyant Âmes, elle avait rapidement mis ce sentiment de côté, puisque de toutes façon, elle avait fait l’effort de se rendre à ce rendez-vous, elle n’allait pas faire demi tour. Ça lui avait suffisamment coûté pour faire machine arrière. Alors elle exposait sa situation, donnant toutes les clés en main a l’assistant social pour qu’il puisse au mieux comprendre sa vie et au mieux répondre avec les dispositifs adaptés.
« OK, c’est bien que tu ne sois pas entièrement seule. Je veux dire, que le père s’en occupe. Et aussi ton entourage. » c’est vrai que Siham avait énormément  de chance d’être si bien entourée, d’avoir des relais a tout moment. Peut être qu’elle en abusait d’ailleurs car a la moindre occasion, elle n’hésitait pas a laisser son fils a sa mère ou a un ami, pour aller profiter d’une soirée, d’une sortie ou simplement pour se retrouver seule. Parce qu’elle n’avait pas choisi cette nouvelle vie, elle la fuyait comme la peste. « Tu aimerais avoir une place en crèche ou pas ? Il peut y avoir des aides pour payer la garde. » ce serait du pain béni pour elle de pouvoir avoir un moyen de garde réelle et non du bricolage a droite et a gauche. Surtout si en plus, c’était en partie pris en charge. C’est vrai que Siham n’y connaissait rien en coup de pouce de l’etat. Elle avait sûrement déjà manqué beaucoup d’aides dont elle aurait pu bénéficier, elle regrettait que personne ne lui en ai jamais parlé et en même temps, elle ne s’était pas non plus renseignée.
Siham semblait avoir amassé a présent suffisamment d’informations et elle n’avait plus qu’a faire les demandes et rassembler les papiers demandés pour justifier de sa situation. Et finalement elle ne regrettait plus d’etre venu, Âmes s’était montré professionnel et elle n’avait sentir aucun jugement de sa part.  Elle sentait que le rendez-vous touchait a sa fin. « Non, c’est juste le premier rendez-vous qui est difficile à avoir. Maintenant que tu es dans le circuit je devrais pouvoir t’avoir un rendez-vous pour… quelles sont tes disponibilités la semaine prochaine ? » Siham avait toujours le même emploi du temps alors c’était simple pour elle. Toujours les mêmes disponibilités et elle l’était encore plus quand Dali était avec son père. Une fois le rendez-vous pris, les papiers rangés dans son sac, elle eut un sentiment de satisfaction.  « Merci Âmes » fit-elle sincèrement s’adressant a la fois au professionnel qu’elle avait en face de lui mais aussi et surtout a l’ex petit ami qu’il était, pour toute sa bienveillance et sa prise de recul et son non jugement. La jeune femme quitta ensuite le bureau, en route vers un peu plus de paix intérieure.