Une journée entière est passée. C’est étrange comme la faim se modifie quand le cerveau est rempli d’émotions. Joseph sent les contractions dans son estomac qui réclament de quoi se rassasier, mais une nausée permanente le cloue, immobile, toujours dans le fond du trou. Il ne sait plus combien d’heures se sont écoulées mais il est certain d’une chose : s’il pouvait retourner dans le temps, il le ferait. Oui, ce serait le pouvoir dont il aurait aimé hériter. Pas ces stupides crocs qui menacent de percer ses gencives, ou cette ouïe aiguisée qui lui file la migraine. Il voudrait claquer des doigts (c’est ainsi que fonctionnerait ce don-là, aussi simple que cela) et il retournerait dans cette forêt où il s’est promené trop tard la nuit. Non, mieux. Il retournerait la journée d’avant. Ainsi, il ne croiserait pas le chemin de cette bête immonde et dégoulinante de salive qui lui a accroché la cheville à pleine mâchoire. Il n’hurlerait pas des cris de morts, il ne se noierait pas sous les larmes, il ne verrait pas non plus sa vie défiler devant ses yeux et il n’aurait pas une dernière pensée pour sa famille – sa mère, surtout, la seule qui a su prendre soin de lui parce que son père n’était jamais là. Aussi, il ne sentirait pas chacun des litres de son sang s’écouler par ses plaies brillantes, par les cinq énormes trous formés par les dents de l’animal ressemblant à un loup zombie. Il ne s’endormirait pas ainsi, esseulé, dans les bras menaçant des saules pleureurs qui pleuraient sa mort… Jusqu’à ce qu’il se réveille avec deux yeux dorés le lendemain, le souffle saccadé et une migraine terrible lui compressant la cervelle dans le crâne. Oui, voilà. Il retournerait assez loin, claquerait des doigts assez fort, pour retrouver Brisbane avant que la nuit noire n’en fasse sa proie et que le soleil déguerpisse à tout jamais, ne réchauffant plus jamais son épiderme. S’il avait hérité de ce pouvoir, Joseph aurait pu sauver le monde entier. Hélas, aujourd’hui, la seule chose qu’il peut faire, c’est d’attendre que la mort finisse le travail. Il n’aurait jamais dû survivre à cette attaque. Il aurait préféré y laisser la peau.
Une corneille croissant le sort de ses pensées. Il n’a pas vraiment dormi. C’était plutôt une sorte de transe agitée, ponctuée de soubresauts. Quand il se redresse enfin dans sa tombe, il grimace. Son dos lui fait souffrir le martyr. Son ventre vide aussi. Il entend le son d’une pelle qui s’enfonce dans la terre à une dizaine de mètres d’ici. Il pose ses bras et son menton contre la bordure d’herbe et observe en silence le fossoyeur qu’il a vu le jour précédent. Il analyse les mouvements qu’il fait tandis qu’il creuse une autre tombe, se demande ce qui a pu le mener à effectuer ce travail. Qui voudrait s’occuper de former les lits des défunts ? C’est macabre, comme emploi. « Tu as déjà vu des cadavres ? » Il se surprend à demander, sa voix fracturant le silence brumeux qui régnait.
Perdu dans tes pensées, tu creuses de manière presque automatique à présent. Tu fais ce travail depuis un peu plus d’un mois maintenant et tu es de plus en plus efficace pour faire ça rapidement. Tu es dans ta zone actuellement, tu repenses à bien des choses que certaines personnes t’ont dit au cours de tes rencontres ici et là. Y’avait parmi eux des sorciers et tu as bien hésité à demander à devenir leur disciple. Tu n’as aucune idée si ça s’apprend, la sorcellerie, mais tu as une baguette et elle fait des étincelles quand tu l’agites. Tu te dis qu’il y a du potentiel, elle t’a sauvé la mise quelques fois déjà. C’est pas rien. Peut être que tu peux apprendre et développer tout ça au lieu que ça ne soit qu’un bout de bois un peu plus spécial qu’un autre.
« Tu as déjà vu des cadavres ? » Tu sursautes comme jamais. Tu t’arrêtes dans tes coups de pelles. Tu ne l’avais pas vu arriver le petit. Il était encore dans le trou, tu l’as vu. Tu l’as laissé tranquille car il dérange pas pour l’instant. Tu pensais pas qu’il en sortirait un jour. Mais c'est que tu ne le vois pas malgré tout. Tu jettes un coup d'oeil circulaire avant de la voir, sa petite tête. Toujours dans le trou en fait. Il a juste dû s'étirer les jambes. « Ouais j’en ai déjà vu. » Tu réponds naturellement. Quelque chose te dit que lui aussi il en a vu. Tu reprends ton souffle pendant ce moment de pause imprévu. Tu lâches ta pelle pour aller prendre ta gourde d’eau qui est posé un peu plus loin. « Et toi t’en as vu ? » Tu retournes naturellement la question. C’est une conversation, un échange. Il a beau être un enfant, tu n’es pas du genre à traiter les gosses comme des personnes inférieures et différentes. Ca c’est sûrement parce que dans ta tête tu es un enfant également. « T’es tout seul ? » Tu ajoutes, car il est intrigant le petit.
Il faut croire que l’appétit rend plus sociale. Maintenant que Joseph s’est relevé, il a l’impression que son estomac est encore plus vide. Toute la bile s’est posée dans le fond, et désormais un creux profond règne et fait vibrer les parois de son ventre. Il repense à ce met ridicule qu’il avait fabriqué avec les restes du réfrigérateur et de l’armoire, lorsqu’il est rentré chez lui la nuit où il a cru mourir. Il s’était senti tout à fait inspiré, avait attrapé deux sortes de pattes différentes (des macaronis et des spaghettis) et avait fait bouillir une grande casserole d’eau salée. À côté, il avait préparé des cubes de fromage cheddar et les avait posés sur le plat une fois la cuisson des pâtes terminées. Ils avaient fondu un peu. Il avait garni le tout d’une longue coulée de ketchup et de sauce BBQ, qui avaient donné au diner rocambolesque une saveur sucrée qui s’était bien mariée avec le goût du fromage. En accompagnement, un grand verre de lait au chocolat qu’il avait avalé d’un trait, puis un dessert à base de biscuits soda. Il ne savait quelle mouche l’avait piqué, mais il avait trouvé cela délicieux ! Sauf qu’il avait tout gerbé à peine quelques heures plus tard.
Il doit vraiment avoir faim, s’il se met à discuter avec le garçon au métier bizarre et à repenser à cette folie culinaire-là. « Ouais j’en ai déjà vu. » La discussion n’est pas très plaisante non plus. Pas trop fun, de repenser à des cadavres. « Et toi t’en as vu ? » Surtout lorsque l’un de ces cadavres, c’est celui de sa mère, dont il a involontairement retiré la vie. « Mmmmm… M’ouais. Tout le monde en a vu depuis qu’il fait toujours nuit. » Il prétend, grattant une touffe d’herbe pour l’arracher de terre. « Il se passe des trucs chelou partout en ville. Tu dois creuser bien plus de tombes qu’avant, pas vrai ? » Il demande ensuite d’une voix fluette, la tête basculée sur le côté alors qu’il détaille le garçon plus vieux que lui.
« T’es tout seul ? » Lèvres pincées, il hésite. Il pourrait se laisser tomber dans la tombe et disparaître à nouveau. Mais il a trop faim pour ça. Plus loin, il remarque qu'une dame stéatopyge va poser des fleurs sur une tombe. Joseph se demande s'il elle a vraiment de telles fesses ou si c'est une illusion d'optique créée par sa robe. « Tu as un truc à manger sur toi ? » Qu’il reprend, ignorant complètement sa question.
« Mmmmm… M’ouais. Tout le monde en a vu depuis qu’il fait toujours nuit. » Exactement ce à quoi tu pensais. Il a parlé sans réfléchir, mais il a parlé de lui même. Et tu trouves que c’est une amélioration par rapport à la dernière fois. Son silence soulignait sûrement son super stress. Mais il était bien mieux que cette petite crise cardiaque qu’il t’a donné quelques minutes auparavant. Tu aurais préféré un petit quelque chose pour éviter la frayeur. Il aurait pu tintinnabuler. Tu lui demanderas pour la prochaine fois, car tu sais pas pourquoi, tu sens que ce petit gosse est en train d’élire domicile dans cette tombe. « Il se passe des trucs chelou partout en ville. Tu dois creuser bien plus de tombes qu’avant, pas vrai ? » Comme si tu le connaissais lui et ses habitudes, ce débit de parole te surprends grandement. Mais dans le bon sens des choses. Tu sais pas pourquoi tu te prends de sympathie pour ce petit. « J’étais pas là avant. » Tu marques une pause. Est-ce qu’il va penser que tu es porteur d’une malédiction et que tout ça a commencé depuis que tu es dans cette ville ? Non. Impossible. C’est toi qui a l’esprit qui va trop loin Asher.
« Tu as un truc à manger sur toi ? » Ah. Voilà donc pourquoi il a sorti la tête de ce trou. L’appel de la nourriture. « Non j’ai rien là. » Tu n’as que de l’eau mais il a demandé à manger. « C’est pour ça que tu me parles aujourd’hui ? Pour avoir à manger. » Tu dis alors que c’est l’évidence même. « J’habite pas loin. J’ai de la nourriture. » Tu lui indiques la grange qui n’est qu’un point lumineux vu d’ici. La lumière venant de la lanterne que ta soeur utilise à l’intérieur et qui est visible par la fenêtre. « Je peux te filer du pain. » C’est ce que vous avez le plus et c’est ce qui rempli le plus l’estomac à ton avis. Simple, bon, efficace. Tu te contentes de manger ton pain avec ton vin ou ton whisky. Un bon petit mélange sur la langue que tu apprécies tous les jours un peu plus.
« J’étais pas là avant. » Oh. Étrange, Joseph pense. Qui emménagerait dans un endroit comme celui-ci, où le soleil n’expose plus que des nuages gris et un voile noir ? Peut-être que le monde entier a chopé cette malédiction. Il ne pourrait pas encore le savoir puisqu’il n’a pas mis les pieds ailleurs. Il n’a pas les moyens de partir, encore moins de se délivrer de ce fardeau qui l’a enfoncé dans cette tombe. Il est coincé ici, désormais, comme un lièvre qui aurait la patte coincée dans un piège. Le lièvre lacère laborieusement le lien le ligotant. Ses dents ne passent pas au travers l’épaisseur du fil. « Tu n’as pas choisi la meilleure ville pour t’installer. » Le loup-garou murmure en posant son menton sur ses bras entrecroisés sur le rebord de terre.
Puis la faim l’appelle. Son nez ne flaire pas de nourriture dans les alentours, mais il tente quand même de poser la question : on ne sait pas, sur un malentendu. « Non j’ai rien là. »Il fait une moue et détourne les yeux du sac de l’étranger. Il a faim, il a soif. Si seulement son sac savait satisfaire sa soif. N’y-a-t-il même pas une pomme ou une bouteille de jus à l’intérieur ? « C’est pour ça que tu me parles aujourd’hui ? Pour avoir à manger. » Il ricane, faux. Il n’a pas envie de lui dire pourquoi il lui parle. Certes, l’appétit l’encourage à s’afficher, mais, et il ne l’avouera jamais, ça commence à lui manquer, le peu de réconfort qu’il peut trouver chez autrui. « J’habite pas loin. J’ai de la nourriture. » Sa tête se relève et ses yeux s’illuminent d’un intérêt certain. Il suit du regard la direction que pointe le doigt du fossoyeur. « Tu habites dans le cimetière ?! » C’est encore plus creepy. Ce type est louche, mais Joseph s’empêchera de formuler la moindre remarque parce qu’il se considère tout aussi louche. Et, quand l’autre lui propose un peu de pain, un premier sourire – très léger – étire enfin ses lèvres. « D’accord. » Mais il n’a pas l’intention de bouger. Ce trou, c’est sa nouvelle maison. « Tu me l’apportes ? » Il aurait presque envie de lui demander s’il n’aurait pas un peu de garniture à lui offrir aussi, mais ce serait de trop.
« Tu n’as pas choisi la meilleure ville pour t’installer. » Il ne sait pas tes motivations et ça c’est parce que tu ne les lui as pas dit. Tu as beau avoir de l’empathie pour ce gosse, tu ne comptes pas lui raconter toute ta vie alors qu’il a clairement des beaux soucis aussi de son côté. Où étaient ses parents déjà ? Il est tout seul ? C’est adorable comme tu penses à ses parents qui doivent forcément être dans le coin alors que tu n’as plus les tiens de ton côté. Il est sûrement seul mais il ne te l’a pas confirmé. C’est pas faute d’avoir demandé. Lui aussi se méfie. Vous faites une belle équipe tous les deux.
Evidemment qu’il n’aime pas ta réponse, mais tu parles de ton logement non loin et là tu vois qu’il réagit à tes mots. Il a faim. Pauvre gosse. Il te fait de la peine. « Tu habites dans le cimetière ?! » Tu confirmes d’un hochement de tête. « J’ai pris ce travail parce qu’il y avait le logement avec. » Pourquoi tu lui dis tout ça Asher ? C’est pas une bonne idée de t’ouvrir comme ça. C’est qu’un gosse ok, et tu as envie de gagner sa confiance. Rien de mieux que d’être honnête pour ça. « D’accord. » C’était sûr qu’il accepterait cette offrande.
« Tu me l’apportes ? » Tu ricanes à cette audace. Tu fais non de la tête. « Dis moi d’abord pourquoi tu es seul. Et pas de mensonge sinon pas de pain. » Tu marques une brève pause avant de reprendre. « Pourquoi tu te caches dans ce trou ? Y’a des gens à ta recherche ? Une sorcière t’a jeté un sort et tu ne peux plus le quitter même si tu le voulais ? » Tu tentes la question à choix multiple histoire de voir la réaction de son visage si jamais il ne répond pas avec des mots. « Je vais pas te faire te mal. Je suis juste un fossoyeur j’ai pas de pouvoir magique comme plein d’autre ici. » Tu t’exposes… Est-ce qu’il va te faire confiance ? Est-ce qu’il va te tuer ? Tout est possible.
« J’ai pris ce travail parce qu’il y avait le logement avec. » Pas le meilleur logement, il en va de soit. Mais un logement quand même. Joseph n’a plus de chez lui maintenant que le corps éventré de sa mère git au milieu du salon. Il se demande si des policiers ont mis la main dessus ou si les mouches l’ont trouvé avant avant de la passer à la marmite. Le garçon préférait ne pas laisser ces images se projeter derrière ses paupières, mais il est plus facile de réfréner sa curiosité que de l’abolir. Il se contentera de profiter des moments où il oublie, pendant un instant, ce qui l’a mené à se cacher dans son trou. Du monde, de lui-même, de ce qu’il pourrait devenir encore sans pouvoir le contrôler. Il se bat aussi contre cette voix qui ne cesse de répéter dans sa tête : Je ne croyais pas que cette terre pût renfermer des souffrances et des terreurs à ce point démoralisantes. Il est devenu l’une de ces terreurs avant-même de prendre le temps de les découvrir. « Alors tu n'avais pas de chez toi avant de venir ici ? » Il demande naïvement, faisant des tresses avec quelques tiges d’herbes sous sa main. Il se rend compte que son œuvre d'art prend les formes d'un balai alors il s'enligne vers cette direction.
Puis, il est question de nourriture. Son estomac gronde à la mention du pain, et sa bouche se gorge de salive. « Dis moi d’abord pourquoi tu es seul. Et pas de mensonge sinon pas de pain. » Ses sourcils se froncent. Il lui fait du chantage. Il aurait presque envie de lui balancer une roche à la figure. Sa crise de la puberté n’est pas encore terminée et ses hormones sont en feu. Il n'a pas envie de lui adresser le moindre hypocoristique. Encore plus depuis qu’un monstre habite en lui. Le fossoyeur explique qu’il ne veut pas lui faire de mal et il se doute qu’il dit vrai parce que ce n’est pas sa crainte. C’est le contraire, qui l’effraie. Il aurait beau lui dire ce qu’il se passe, mais il ne saurait pas par où commencer. La science voudrait tout expliquer et quand il est impossible de l'expliquer elle déclare qu'il n’y a rien à expliquer. Il n’y a rien de naturel ou scientifique dans ce qu’il s’est passé la nuit dernière. Aucun mot ne pourrait raconter ce cauchemar-là. « Personne n’est à ma recherche. Enfin… Je ne crois pas. Pas encore. » Il marque une pause, jouant maintenant avec la simili tresse, l'utilisant comme un petit balai pour pousser la terre. « Ma disparition n’a probablement pas encore été remarquée car j’habitais seul avec ma mère. Et elle me faisait l’école à la maison. » Il relève les yeux du balai de fortune. « Va chercher le pain. Je veux le voir dans ta main pour savoir que tu respecteras ta partie du marché. » Il propose d’un ton insistant. Et, après, il lui donnera d'autres informations à mettre dans sa marmite.
« Alors tu n'avais pas de chez toi avant de venir ici ? » Ca dépend de quel point de vue on se pose. Tu ne sais pas trop comment répondre en réalité. Tu as un manoir à toi si tu retournes un peu plus au Nord du pays mais ta soeur n’a pas dévoré que ta famille. Y’en a eu un ou deux autres de plus qu’elle s’est mise sous la dent. Tu soupçonnes fortement un de ces vagabonds qui était venu dans votre contrée pour quelques semaines. Il s’est passé beaucoup de choses étranges pendant ces temps là. Des vols, des morts et des vies qui ont été boulversé à tout jamais. Tu n’avais pas ta baguette magique à l’époque. Tu l’as subtilisé une fois votre chemin entamé vers le Sud. « C’est à peu près ça. » Tu dis sobrement alors que ton visage est baissé vers tes pieds un instant. Perdu dans tes pensées, manipulant ta pelle dans tes mains machinalement, pour faire quelque chose de tes mains. On dirait que tu passes un coup de balai vu la manière dont tu balances ton outil de travail.
« Personne n’est à ma recherche. Enfin… Je ne crois pas. Pas encore. » C’est plutôt intrigant comme réponse. Les yeux sur le petit gosse, tu attends de voir s’il en dit plus. « Ma disparition n’a probablement pas encore été remarquée car j’habitais seul avec ma mère. Et elle me faisait l’école à la maison. » Tu fais un plus un assez rapidement. « Va chercher le pain. Je veux le voir dans ta main pour savoir que tu respecteras ta partie du marché. » Tu l’aurais bien envoyé chier si tu n’avais pas eu le bout d’information sur sa mère et la solitude qui lui est tombé dessus à présent. Sa situation a l’air d’être plutôt similaire à la tienne de cette manière là. Tu tournes les talons pour te diriger vers la grange afin de récupérer le pain, comme tu l’as dit.
Une vingtaine de minutes plus tard, tu reviens avec le pain enveloppé dans une serviette propre. Il y a une grosse miche et tu as aussi apporté deux carreaux de chocolat qui sont emballé dans du papier. Tu vas poser tout ça par terre, devant le trou. « Bon appétit. » Que tu lui dis en te redressant et reculant de quelques pas de nouveau.
« C’est à peu près ça. » Lèvres pincées, Joseph acquiesce d’un regard. Lui non plus n’a plus vraiment de maison alors il comprend. Ses yeux suffisent à transmettre son empathie, et il préfère noyer le sujet plutôt que d’y penser plus longtemps. Il ne sait pas comment il survivra maintenant qu’il n’a plus de famille ou de chez lui. Sera-t-il condamné à errer comme un chien puisqu’il en est devenu un ? En tout cas, il devra bien trouver un moyen de se nourrir, parce que ce n’est pas en restant couché dans une tombe qu’il rassasiera son appétit grondant. Il a bien vu quelques vers de terre et ici et là, mais il n’est pas prêt à sacrifier ses papilles gustatives. Le fossoyeur l’informe qu’il a un peu de pain chez lui, dans cette mystérieuse cabane à une centaine de mètres d’ici. Il peut à peine voir la lumière qui s’échappe par la fenêtre tant le brouillard est épais. Son estomac parle à sa place : il propose au garçon de l’informer un peu plus à son sujet en échange de la nourriture. Il accepte, et revient vingt minutes plus tard.
Cependant, il y a un problème. Pendant son absence, Joseph a commencé à se sentir tout bizarre. Il transpire, a les mains moites, la gorge sèche, et ses bras sont couverts de chair de poule. Ces symptômes, il les a reconnus. Il avait été précurseurs de sa toute première transformation, puis sa deuxième, qui avait condamné sa mère. Observant davantage le garçon plutôt que son offrande, qu’il a posé près du trou, il lance un « désolé… » avant de s’extirper du trou et de s’enfuir en courant, non sans peiner à mettre un pied devant l’autre sans trébucher dans les racines ou les montagnes de terre fraichement formées. Il ne sait pas où aller. Il panique. Il pleure déjà. Il sait qu’il tuera une autre personne s’il ne parvient pas à s’enfermer. Mais c’est trop tard.