Le vent soufflait dans ses cheveux et son long manteau voguait au gré du vent. Elle tentait d’apprécier la sensation sur son visage, sur chaque centimètre de sa peau qu’elle avait bien voulu laisser à découvert, comme si les légères brises lui permettraient de retrouver un peu de son enthousiasme. De sa joie de vivre, de sa motivation et de tout ce que l’éclipse avait emporté avec elle. Les jours passaient, la solution ne semblait pas à la portée des villageois et elle ne savait plus en qui croire, n’étant même plus capable d’ignorer les rumeurs qui se propageaient. Elle avait cédé à la terreur et la panique ambiante et elle avait l’impression que rien ne changerait et qu’ils étaient condamnés. « Il suffirait d’un pas dans le vide et tout serait fini… » Greta se murmurait à elle-même, revoyant les images des crimes atroces des loups et des vampires. Certains n’avaient pas cédé à la tentation de faire de la race humaine un repas ou un simple divertissement en leur ôtant la vie mais ils étaient trop rares pour prendre le dessus sur les autres. Les démons, ceux auxquels les sorcières avaient décidé d’ajouter les morts-vivants. Plus rien ne faisait sens, chaque action de chacun les menait un peu plus à leur perte et Greta tentait de prendre le contrôle de son avenir en décidant elle-même de comment elle finirait. Noyée ou gelée dans les eaux glaciales plutôt que dévorée et démembrée. Mais elle avait été tirée de ses pensées morbides qui ne lui ressemblaient pas par une silhouette à ses côtés qui l’avait fait sursauter et se retenir de tomber dans un mouvement imprécis. « Je ne supporte plus de ne plus voir le jour se lever. » Ce n’était pas des excuses, plutôt une phrase ayant pour but de rassurer l’inconnue qui venait de se poster à ses côtés. Dans un monde normal, elle serait une humaine perdue comme elle. Mais vu la tournure des événements, dans le meilleur des cas, elle la pousserait dans la rivière et dans le pire, elle planterait ses crocs dans sa jugulaire pour la vider de son sang ou la déchiqueterait à l’aide de ses pattes de loup.

Cela faisait plus d’un mois que cette obscurité planait sur la ville. Un mois qu’on pouvait voir une certaine concomitance entre cette malédiction et l’apparition de toutes ces créatures surnaturelles. Cette nuit sans fin qui avait fait perdre le sommeil à bien des habitants de la ville. Les cauchemars avaient remplacé les rêves, ils étaient même devenu réalité. La lune ne semblait plus vouloir quitter le ciel pour laisser place au soleil, plongeant ainsi la ville dans une pénombre qui n’en finissait plus. On ne voyait quasiment plus les étoiles non plus, comme si cette éclipse avait tiré sur Brisbane un rideau opaque. Elle avait du mal à dormir, Itziar. Il était difficile de savoir s’il était le matin ou le soir sans regarder une horloge. Même ces dernières semblaient avancer au ralenti. C’était perturbant. Elle tentait cependant d’occuper son temps. De satisfaire sa curiosité autant que possible. Elle se rendait compte qu’elle prenait quelques risques. Elle savait qu’elle ferait mieux de rester chez calfeutrée chez elle autant que possible et ne sortir quand cela était réellement nécessaire, mais elle était têtue. Quand elle avait quelque chose en tête, il était difficile de lui faire entendre raison. Alors, ce soir encore, elle avait filé, après le dîner. A la recherche d’un peu de frisson. Elle s’était dirigée vers les berges du fleuve puisqu’elle l’avait appris, c’était souvent là qu’il était possible de rencontrer tout un tas de personnes, plus étranges les unes que les autres. Cet endroit avait toujours son lot de surprises, peut-être que l’aura qui en émanait y était pour quelque chose. Le fait étant qu’elle repère une silhouette, sur le bord du fleuve qui regarde dans le vide. S’apprête-t-elle à sauter ? Itziar à un doute et aussi curieuse, soit-elle, elle n’a pas envie de voir si son intuition est bonne. “C’est pas de cette manière que vous reverrez le jour.” Déclare-t-elle, une fois à la hauteur de la jeune femme. Elle l'attrape par le bras et la tire en arrière quand celle-ci vacille. “C’est pas le moment de tenter ce genre de choses. Qui sait comment ça finirait pour vous ? Ce serait peut-être pire.” Car si la chute n’abrégeait pas son calvaire, peut-être qu’une créature pourrait venir la récupérer et Dieu sait ce qu’il adviendrait d’elle.

Difficile de savoir ce qui pouvait se trouver là, en dessous, dans les profondeurs des abysses dont la noirceur rappelait étrangement celle qui avait plongé Brisbane dans le désarroi. Existaient-ils pires créatures dans l’eau que sur terre ? Greta songeait à le découvrir, avait entendu qu’une simple pointe du doigt plongée dans l’eau pourrait être fatale. Ce n’était que des rumeurs, encore une fois, et elle n’en pouvait plus des rumeurs. Elle n’en pouvait plus de ne plus pouvoir sortir sans se retourner des dizaines de fois pour s’assurer que rien n’était en train de l’observer, profitant de l’intimité que conférait la nuit. “C’est pas de cette manière que vous reverrez le jour.” Elle s’était tournée vers elle, inévitablement, quand celle-ci avait attrapé son bras alors qu’elle manquait de tomber dans la rivière. Ce n’était que des pensées et au moment ou elle avait failli réellement chuter, Greta avait réalisé l’ampleur que la malédiction était en train de prendre sur elle. Quelque chose qui la vampirisait, qui absorbait l’intégralité de son énergie jusqu’à la rendre folle. Jusqu’à lui couper l’envie même de vivre.  “C’est pas le moment de tenter ce genre de choses. Qui sait comment ça finirait pour vous ? Ce serait peut-être pire.” Greta avait haussé les épaules, la femme était douce et avenante et n’avait rien d’un démon. Mais les apparences pouvaient être trompeuses : même cette eau léthale semblait belle et mystique sous les reflets de la lune qui n’en finissait plus de les narguer. « Ou ce serait peut-être mieux. » avait-elle répondu avec un détachement qui ne lui était pas naturel. « Nous sommes condamnés, n’est-ce pas ? Alors pourquoi continuer de lutter quand on pourrait choisir nous-même notre destinée ? » Sa voix craquait et son discours n’était pas le reflet de son caractère. Peut-être qu’un être avait pris possession d’elle ou peut-être qu’elle était simplement las de devoir lutter contre un mal qu’elle ne pouvait identifier. « Que faites-vous là, si vous ne cherchez pas vous-même à vous attirer des problèmes ? » Parce que sortir par les temps qui couraient était signer son arrêt de mort.

Elle n’était pas certaine que la mort soit une meilleure chose. Bien sûr, cette malédiction n’était pas plaisante et rendait le quotidien bien plus morose. Les gens restaient cloîtrés chez eux et cela faisait des semaines qu’elle n’avait pas eu des nouvelles de son ami Isaac Jensen. Elle espérait qu’il soit en sécurité avec sa femme Penny Stringer et leurs enfants. Tout comme elle espérait que Jordan Fisher soit calfeutré quelque part avec Birdie Cadburry. Ça la peinerait de ne pas les retrouver une fois tout cela terminé. Elle n’était pourtant pas à plaindre. Elle arrivait tout de même à maintenir un semblant de vie sociale. Parvenant à recevoir régulièrement des nouvelles de Lara Pearson et Rose Grant. Cette dernière étant partie en voyage vers le sud quelques jours avant le début de cette nuit interminable. Elle, elle occupait ses journées comme elle le pouvait et avait fait depuis un mois des rencontres intéressantes à différents niveaux. Elle pensait notamment à sa rencontre et son marché avec Arthur Coventry le chasseur. Ou alors à cette chasse durant laquelle elle avait servi d'appât pour démasquer Joseph Keegan, le vampire. Siham Fowler, la sorcière, avait également croisé sa route et qui sait, peut-être finirait-elle par tomber sur Asher Buckley, par hasard. “Je pense pas que ce soit mieux. On a encore à faire ici, la vie ne s’arrête pas malgré les événements de ces dernières semaines.” Lui répond-elle. Itziar était une éternelle optimiste qui voyait le bon dans toutes les situations. “Qui a dit que je ne cherchais pas à m’attirer des problèmes ?” Lui demande-t-elle en guise de réponse. Elle n’avait rien dit à ce sujet. Elle avait simplement conseillé à la jeune femme de ne pas se jeter dans la rivière aux risques de subir d’atroces souffrances. “Il n’y a rien qui vous motive ? Rien qui vous passionne ?” Lui demande-t-elle ensuite. La chasse aux créatures surnaturelles et ce besoin de se faire peur quasi quotidiennement n’étaient pas des passe-temps qu’elle avait un mois en arrière, mais elle s’était adaptée. “Je sais que la situation est particulière, mais rien ne nous empêche de vivre.” Vivre dangereusement, certes, mais vivre quand même.

“Je pense pas que ce soit mieux. On a encore à faire ici, la vie ne s’arrête pas malgré les événements de ces dernières semaines.” Son regard s’était replongé sur les mouvements délicats de l’eau. Elle entendait ce que la jeune femme lui disait mais le problème était qu’elle était incapable de l’écouter. La vie ne s’était pas arrêtée mais elle avait pris une tournure extrêmement différente, trop différente pour que Greta puisse encore vouloir tenter de s’y adapter. « Cela n’a que trop duré. Je pensais comme vous, il y a quelques jours.  » Ses mots étaient hasardeux, son esprit plongé dans un flou semblable à celui qu’amenait la brume autour d’elles. Greta était optimiste avant de constater que ses alliés devenaient ses ennemis et qu’elle devait finalement faire confiance à ses ennemis supposés. Elle n’arrivait plus à suivre et ce sentiment d’impuissance qui ne la quittait plus était de plus en plus difficile à vivre. Pour détourner l’inconnue de son envie de la sauver alors même qu’elle n’était pas sûre de réellement vouloir sauter, Greta s’était intéressée à elle. “Qui a dit que je ne cherchais pas à m’attirer des problèmes ?” Et elle avait réussi à rendre un maigre sourire à Greta qui était maintenant un peu plus intriguée par elle. “Il n’y a rien qui vous motive ? Rien qui vous passionne ?” Greta s’était mise à réfléchir à des choses plus joyeuses sans oublier à quel point tous ces souvenirs étaient lointains. Elle repensait à la façon dont elle souriait aux clients de la boutique avant que ceux-ci ne deviennent presque menaçant, apeurés par ce qui était en train de se passer. Elle repensait à la façon dont Arthur lui avait appris à se battre avant que les rumeurs indiquent que la guilde était coupable et qu’elle n’ose plus l’approcher. Puis à Siham avec qui elle avait trouvé un grimoire. Tout cela l’avait motivé avant que l’énigme semble impossible à résoudre et qu’elle se retrouve là, à abandonner. “Je sais que la situation est particulière, mais rien ne nous empêche de vivre.” « Particulère, quel euphémisme. » Et elle ne pouvait s’empêcher de rester sinistre. « J’avais des passions autrefois mais comment continuer à les vivre alors que la nuit persiste ? » Ses soupirs ponctuaient chaque phrase alors qu’elle tentait de justifier son comportement à une inconnue qui avait probablement autre chose à faire. « Je n’étais pas comme ça avant. J’étais aussi enthousiaste que vous… » avait-elle tenté de lui dire. « C’est le risque qui vous motive, alors ? Avez-vous déjà eu à faire à ces créatures ? » La réponse était probablement non, sinon, elle ne serait plus encline à prendre le moindre risque.

Elle se veut optimiste, Itziar et ce n’est pas seulement pour dissuader la jeune femme de faire une bêtise. C’était parce qu’elle était réellement optimiste. Que malgré ces temps difficiles où toutes les habitudes avaient été chamboulées et où le quotidien avait dû être réinventé, elle trouvait encore des raisons pour se réveiller. Alors, oui, elle avait mis de côté ses passe-temps d'autrefois. Elle ne pouvait plus profiter des rayons du soleil au bord de la mer, le sable chaud chatouillant ses pieds. Elle ne pouvait plus non plus profiter de longues balades dans la nature, le soleil lui tapant sur la tête et venant couvrir sa peau d’un hâle doré. Elle avait trouvé d’autres raisons de vivre. D’autres moyens de passer le temps. Parce que celui-ci ne s’arrêtait pas, malgré la nuit qui persistait. “Eh bien, en fonction des passions en question, soit il faut s’adapter, soit, malheureusement, il faut essayer d’en trouver d’autres. Mais lâcher l’affaire n’est pas la solution.” Elle réitère. Parce que oui, ça ne changerait rien et Dieu sait ce qui pourrait arriver si elle venait à sauter dans cette rivière. Elle était persuadée, naïvement, que l’optimisme était une question de volonté. Qu’il était bien plus facile de se laisser abattre et de sombrer, mais qu’avec un peu de volonté, il était possible de voir le positif. Alors, oui, elle avait revu ses passions. Avait mis de côté, temporairement, elle espérait, ses passions d’autrefois. Elle s’était plongée un peu plus dans les livres et dans les écrits. Notamment ceux qui touchaient de près ou de loin à l’occulte et autres mythes ou légendes. Elle comprenait que ce ne soit pas la tasse de thé de tout le monde. D’autant plus quand ces mythes s’avéraient bien réels et étaient devenus le quotidien des habitants de la ville depuis le début de cette malédiction. “Le risque, l’inconnu, la soif de découverte. Le but n’est pas simplement de se faire peur ou de se mettre en danger. Ou du moins, je ne le vois pas comme ça.” Une fois de plus, elle était un peu naïve. Un peu aveugle aussi, concernant le danger face auquel elle aimait bien s’exposer et bien qu’elle dise le contraire, l’adrénaline qu’elle ressentait quand elle se mettait dans de telles situations étaient ce qui la poussait à recommencer. “J’en ai croisé quelques-unes. Je ne suis pas passée loin du drame aussi, à plus d’une reprise, mais c’est un risque à prendre.” Répond-elle. Elle marque une courte pause avant d’ajouter. “Je ne suis pas en train de vous dire qu’il faut faire pareil. Ne vous méprenez pas. Vos nouvelles ou futures passions peuvent être totalement tranquilles et sans danger. L’important est que vous y trouviez un intérêt.” Car oui, elle ne l’avait pas faite descendre de ce muret pour qu’elle aille se jeter entre les griffes de la première bête sauvage qu’elle croiserait.

Elle avait trouvé une main tendue au moment où elle s’attendait le moins du monde à trouver quelqu’un pour la sortir de l’état dans lequel elle se trouvait. Elle était bloquée dans un certain désarroi, une torpeur qui allait de pair avec l’état actuel des choses mais elle était prête à écouter. “Eh bien, en fonction des passions en question, soit il faut s’adapter, soit, malheureusement, il faut essayer d’en trouver d’autres. Mais lâcher l’affaire n’est pas la solution.” En tournant la tête vers la jeune femme, elle voyait dans ses yeux la façon dont cette mission qu’elle n’attendait pas lui tenait à cœur. En se levant ce matin-là et en essayant de continuer à jouer avec l’adrénaline, frôlant les limites du danger, cette jeune femme ne pensait sûrement pas tomber sur Greta. Et encore moins qu’elle parviendrait de justesse à sauver une vie humaine, sans que cela ne signifie enlever la personne des griffes ou des crocs des monstres. Eternelle indécise, bien sûr, il n’était absolument pas sûr que Greta ait fini par plonger, mais cela devrait probablement compter assez pour la jeune femme et constituer une bonne action. “Le risque, l’inconnu, la soif de découverte. Le but n’est pas simplement de se faire peur ou de se mettre en danger. Ou du moins, je ne le vois pas comme ça.” Etrangement, ces paroles faisaient écho chez Greta. Elle hochait la tête, doucement et poliment, buvant chacun des mots qui lui parvenaient. Et elle s’était enfin intéréssée à elle, sans même savoir son prénom, et l’avait questionnée comme-ci cela lui permettrait de retrouver un tout petit peu de son ancienne joie de vivre. “J’en ai croisé quelques-unes. Je ne suis pas passée loin du drame aussi, à plus d’une reprise, mais c’est un risque à prendre.” En imaginant une confrontation avec une créature, Greta avait frissonné. Elle ne possédait qu’un pieu et des cristaux, un maigre butin en comparaison aux pouvoirs surnaturels de leurs assaillants qui savaient rester discrets pour attaquer au moment le plus opportun. “Je ne suis pas en train de vous dire qu’il faut faire pareil. Ne vous méprenez pas. Vos nouvelles ou futures passions peuvent être totalement tranquilles et sans danger. L’important est que vous y trouviez un intérêt.” Et enfin, Greta avait réussi à avoir un léger rire.  « Et que l’on reste tous solidaires, pas vrai ? » Être humain signifiait parfois de ne pas savoir vivre en harmonie mais ces jours-ci, ils n’avaient plus le choix. Et pourquoi ne pas continuer à tenter de se faire peur et de vivre animée par l’adrénaline comme le faisait l’inconnue si cela permettait à Greta de vivre jusqu’à voir un nouveau lever de soleil ?