| (times #01) you got a fast car |
| | (#)Mer 18 Oct 2023 - 17:22 | |
| you got a fast car, I want a ticket to anywhere, maybe we make a deal, maybe together we can get somewhere, any place is better, starting from zero, got nothing to lose, maybe we'll make something. ☆☆ (2017) Il y avait de ces matins où Abe accusait un peu plus difficilement le coup de la trentaine galopante, la migraine ne pouvant pas être mise seule sur le compte des acouphènes hérités comme dernier vestige de ses années militaires. Il n’avait plus le foie de ses vingt ans, c’était une certitude, et la barre qu’il avait au crâne en se réveillant ce matin-là aurait presque pu lui faire regretter ses excès de la veille, s’il n’avait pas au demeurant passé une si bonne soirée. À d’autres elle semblerait sans doute un peu triste, l’unique bar de Kilcoy ne faisait en semaine recette que sur les habitués, ressassant encore et encore des discussions qu’ils avaient déjà eu mille fois, naviguant entre les fléchettes et le billard pour mieux s’assurer une tournée supplémentaire de la poche du perdant. Abe perdait rarement, tant chaque bribe de compétition était chez lui prise extrêmement sérieusement, et parce qu’il n’était pas non plus le dernier de la classe lorsqu’il s’agissait de lever le coude, il n’y avait rien de bien étonnant à ce qu’il ait donné de la voix dans le débat (endiablé) concernant le succès, mérité ou non, de la saga Twilight. « Pourquoi un film devrait forcément faire réfléchir pour être bon ? » avait-il d’abord argué à son adversaire de billard, faisant un signe à la jeune femme assise au comptoir du bar pour la prendre à parti « Tu prends bien ton pied devant Expandables, me fait pas croire que tu considères ça comme des chefs d’oeuvre. C’est un peu comme Twilight, c’est un plaisir coupable … Tu roules des yeux et t’as envie de t’enfoncer les doigts dans la gorge à chaque dialogue, mais au fond est-ce que c’est pas ça qui est bon ? Les vampires qui brillent au soleil c’est un peu comme les discussions de types bourrés : ça n’a aucun sens mais au fond ça fait quand même un peu marrer. Et puis leur patelin où il fait gris tout le temps, là ? Ca fait un peu relativiser sur Kilcoy, on vit dans un trou paumé mais au moins il fait soleil et on se tape pas dix mois sur douze de dépression saisonnière. Oh et le bébé flippant ? Meilleur contraceptif, crois-moi qu’aucune gonzesse oubliera de prendre sa pilule après ça, j’ai pas raison ? Et puis pour une fois que les loups-garous sont décrits positivement … J’peux pas croire qu’un truc qui descende du chien puisse être autre chose que foncièrement bon. » Contournant la table de billard pour aller placer son prochain coup, il avait relevé la tête lorsque la jeune femme lui avait fait remarquer d’un ton amusé « Abe, t’es ivre. » mais cloué le bec de l'assistance en éliminant deux boules pour le prix d’une sur le tapis du billard. « Oui, un peu. Mais ça veut pas dire que j’ai pas raison. » Il avait bu, il avait raison, et au réveil il avait la gueule de bois. Rien auquel il ne soit pas habitué, et surtout rien qui ne l’ait empêché de se lever aux aurores, de gober une aspirine en faisant couler un café, et d’aller faire le tour de ses animaux comme il le faisait scrupuleusement chaque matin, été comme hiver, bonne ou mauvaise humeur (et Abe l’était rarement, de mauvaise humeur). Alors certes, il avait ouvert le garage un peu en retard, et revu l’ordre de ses tâches de la journée pour commencer par celles susceptibles d’être réalisées dans le silence … Mais là s’arrêtait les péripéties de l’alcool venu vampiriser ses cellules grises, et lorsque l’heure de la pause de midi était arrivée tout cela n’était déjà plus qu’un lointain souvenir. Ayant fermé le garage à peine une demi-heure, il avait passé le début d’après-midi penché sous le capot d’une voiture si mal entretenue, et depuis si longtemps, qu’il s’émerveillait un peu plus à chaque minute du fait que son propriétaire ne soit pas tombé en panne sèche bien plus tôt. Et en parlant de panne sèche. L’unique aboiement de Torrence, son vieux bouviers bernois, faisant lieu d’annoncer les visiteurs avaient même que ceux-ci n’aient atteint la porte du hangar, Abe avait relevé la tête de son capot et découvert en contre-jour une silhouette féminine dont l’allure ne lui était pas familière, et ce malgré une clientèle quasi-exclusivement composée d’habitués, qu’ils soient de Kilcoy ou des alentours. « Bonjour ! » Attrapant un chiffon pour tenter (sans succès) de débarrasser ses mains de la couche de cambouis qui s’y étalait, le garagiste avait fait quelques pas dans la direction de sa visiteuse jusqu’à en avoir enfin une vision correcte. Tailleur guindé, chaussures à talons vertigineux qu’elle tenait à la main au lieu de les porter aux pieds, les ongles de ces derniers vernis avec autant d’application que ceux de ses mains, l’inconnue avait tout de la citadine pur fruit pur sucre, ce qui n’avait pas manqué d’étirer sur le visage d’Abraham un sourire amusé au moment de commenter « Vous avez l’air perdue un peu loin de chez vous. » Et loin de chez elle, elle l’était probablement, au sens propre comme au figuré. « Problème de voiture, je présume ? » Il ne tenait pas un bar, et il ne vendait pas de bouquins, alors à priori. De sa démarche pataude et démontrant de l’arthrose qui lui attaquait les pattes arrières, Torrence avait trottiné jusqu’à la visiteuse avec prudence, ayant passé l’âge de sauter sur les inconnus avec enthousiasmes mais certainement pas celui de venir quémander une caresse et quelques flatteries sur le poil.
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| | | | (#)Ven 20 Oct 2023 - 16:04 | |
| Il y a quelques semaines, Milena faisait la une des journaux people et de la presse à scandales dans les régions de New York et de Los Angeles. Peut-être même de tous les Etats-Unis, pour ce qu’elle en savait. Des photos d’elles à moitié nue avaient été vues par des millions d’américains, vendues par son ex copain, celui qu’elle avait plaqué parce qu’il la trompait. Quel culot ! C’était lui qui fautait pendant leur relation, et encore lui qui trouvait le moyen de d’en rajouter une couche à leur séparation. La presse s’était délectée de ces photographies de la fille du grand avocat Maître Grimes, la jeune femme issue de l’aristocratie britannique qui était toute destinée à marcher dans les pas de son père. Ce dernier avait fait tout ce qu’il pouvait : il avait intenté toutes les procédures d’urgence possibles pour faire retirer les photos des magazines, et avait poursuivi l’ex copain revanchard. Mais le mal était fait. Combien d’inconnus avaient eu le temps de télécharger les images ? Combien de magistrats s’étaient-ils rincés l’œil en les regardant ? Combien de clients avaient fantasmés en les découvrant ? Milena s’était sentie humiliée, incapable de continuer aux Etats-Unis, et avait accepté la proposition de ses deux petits frères de les rejoindre en Australie. Elle avait besoin de ce nouveau départ. Quittant l’atmosphère étouffante du centre pénitentiaire de Woodford, Milena lissa son tailleur bleu marine avant de grimper dans sa Chevrolet Camaro convertible bleue de 1969. Enfilant ses lunettes de soleil, elle fit vrombir le moteur qui émit quelques protestations. Fronçant les sourcils, la jeune femme se promit d’en faire la révision ce week-end. Mais arrivée au premier croisement, la tentation de découvrir l’Australie qu’elle venait de rejoindre lui fit oublier les bruits étranges de la voiture. Le soleil brillait dans le ciel, sans un nuage à l’horizon, et les températures étaient clémentes : toutes les conditions étaient réunies pour que Milena opte pour un détour avant de retourner à Brisbane afin de découvrir le Queensland. Ses cheveux au vent, s’éloignant de plus en plus des côtes pour s’enfoncer dans les terres australiennes, Milena laissait son regard noisette découvrir les paysages environnants. Bientôt, pourtant, la voiture émit un grand bruit de protestation puis s’arrêta. L’avocate tenta de redémarra la Chevrolet, en vain. Avec un soupire de résignation, elle alla ouvrir le capot pour constater avec horreur les dégâts. Une heure et demie plus tard, après avoir pu découvrir que son opérateur téléphonique ne couvrait visiblement pas toute l’Australie, et après qu’un fermier -qui allait dans l’autre direction et était trop pressé pour la véhiculer- lui eut indiqué un garage, la brunette arriva enfin à destination. Escarpin à la main, ses pieds la faisaient souffrir, mais elle se força à avancer sans grimacer jusqu’à la porte du hangar, après qu’un aboiement l’eut accueilli dans les lieux. « Bonjour ? » Rapidement, le garagiste, un homme d’à peu près son âge, sortit de dessous une voiture et, s’essuyant les mains sur un chiffon, s’approcha. « Bonjour ! » Milena lui sourit, légèrement embarrassée, consciente de son allure débraillée. Son tailleur jurait quelque peu avec la simplicité des lieux et, après avoir fouillé sous le capot de la voiture, elle s’était étalée du cambouis sur la joue sans s’en rendre compte. « Vous avez l’air perdue un peu loin de chez vous. » Elle tenta de ne pas se départir de son sourire alors que cette remarque la mettait mal à l’aise : se moquait-il de sa tenue ? De ses chaussures qu’elle trimballait à la main ? Ou de son allure qui trahissait qu’elle était de la haute société et n’avait pas grand-chose à faire au milieu de la campagne australienne ? « Problème de voiture, je présume ? » Bravo, Einstein, qu’elle faillit lui répondre, mais elle avait désespérément besoin de lui, trop pour le froisser. « En effet, je suis tombée en panne, quelque part par là. » Se retournant vers la route, elle indiqua vaguement une direction. « Et on ne peut pas dire qu’on croise grand monde dans votre coin ! D’ailleurs, vous avez du réseau, vous, ou il n’y a que mon opérateur qui ne connaisse pas votre patelin ? » Alors que le chien s’approchait d’elle pour dire bonjour, Milena s’accroupit et, après avoir déposé ses chaussures sur le sol, elle commença à caresser le chien, à qui elle dit bonjour et murmura quelques mots. « Vous pourriez remorquer ma voiture jusqu’ici et commander la pièce qu’il faudra ? C’est la courroie de distribution. » Elle le savait, elle avait vérifié, et elle s’y connaissait plutôt pas mal en mécanique. « Ho, et il me faudra un taxi pour rentrer à Brisbane. » Elle aimait planifier les choses, anticiper, prévoir ses prochains mouvements, alors elle avait largement eu le temps de réfléchir lors de sa balade pieds nus jusqu’ici. Se relevant après une dernière caresse au chien, elle se gratta la joue, étalant encore un peu plus de cambouis sur son visage. Observant le garagiste avec un sourire, elle attendait qu’il se mette en mouvement. |
| | | | (#)Sam 21 Oct 2023 - 2:58 | |
| you got a fast car, I want a ticket to anywhere, maybe we make a deal, maybe together we can get somewhere, any place is better, starting from zero, got nothing to lose, maybe we'll make something. ☆☆Les étrangers n’étaient pas légion dans le secteur. Et par “étrangers” Abe faisait silencieusement référence à tout ce qui n’avait pas vu le jour à Kilcoy ou dans ses alentours. Les touristes ne s’aventuraient pas si loin de Brisbane, et même ceux qui louaient une voiture pour s’éloigner du littoral ne trouvaient rien sur les cartes du secteur qui leur donne envie de pousser l’exploration jusqu’à cette bourgade de quelques milliers d’habitants, qui n’avait ni monuments, ni musées, ni sites naturels suffisamment insolites pour mériter un détour. Nul doute, donc, que l’inconnue qui venait de passer le seuil du garage ne l’aurait pas fait sans y être poussée par le dépit ou la fatalité, la paire d’escarpins qu’elle tenait à la main plutôt qu’à ses pieds témoignant de ce qu’elle avait dû marcher un moment avant de trouver asile au garage. « En effet, je suis tombée en panne quelque part par là. » n’avait-elle d’ailleurs pas manqué d’indiquer, désignant d’un geste vague le côté de la route par lequel elle était arrivée, et faisant aussitôt hausser un sourcil au garagiste. « Entre ici et Sydney, donc. » Elle s’était perdue au sud, c’était tout ce qu’il retiendrait, posant les mains sur ses hanches en affichant un sourire légèrement narquois, tandis qu’elle reprenait d’un ton qui lui semblait un brin méprisant « Et on ne peut pas dire qu’on croise grand monde dans votre coin ! D’ailleurs, vous avez du réseau, vous, ou il n’y a que mon opérateur qui ne connaisse pas votre patelin ? » Elle appartenait donc à cette catégorie de personnes. Les rats des villes qui toisaient tout ce qui ne sentait pas bon la surpopulation et les gaz d’échappement, et dont Abe ne perdait jamais une occasion de se moquer. « Oh, c’est parce qu’il nous faut des volontaires pour pédaler, sans ça le générateur ne se met pas en route et l’antenne relais ne fonctionne pas. Mais les enfants sortent de l’école d’ici une heure, ils pourront s’y remettre, on injecte régulièrement du sang neuf dans le système. » Et encore, on a tout de même réussi à installer l’électricité depuis que le business des panneaux solaires s’est développé. De deux choses l’une, soit elle comprendrait qu’il se moquait d’elle et se sentirait bête, soit elle le prendrait au sérieux et elle prouverait qu’elle l’était – bête. Dans un cas comme dans l’autre, Abe estimerait avoir prouvé son point. L’attention un bref instant happée par les réclamations d’attention du chien faisant lieu de mascotte pour le garage, la jeune femme s’était laissée attendrir une seconde pour mieux revenir à ses moutons la suivante, et du ton péremptoire sur lequel elle avait déjà asséné sa remarque précédente, elle avait questionné « Vous pourriez remorquer ma voiture jusqu’ici et commander la pièce qu’il faudra ? C’est la courroie de distribution. » en se donnant l’air d’avoir besoin d’un laquais plus que d’un garagiste. Détestant par-dessus tout qu’on lui donne l’impression de vouloir lui apprendre son propre métier, Abe avait offert à la visiteuse un regard circonspect, mais limité son commentaire à un « Hmhm, on va voir ça. » faussement diplomate. Le « Ho, et il me faudra un taxi pour rentrer à Brisbane. » enfin, lui avait arraché un éclat de rire presque nerveux, et rétorquant d’abord « Ouais, bonne chance. » il s’était vu obligé de préciser sa pensée devant l’air dubitatif de son interlocutrice. « Les taxis viennent pas jusqu’ici. Mais y’a un car qui fait l’aller-retour deux fois par jour, vous pourrez toujours le prendre demain matin. » Pour sûr, le chauffeur habitait “le patelin” et ne referait pas un aller-retour pour une unique passagère, mais il se ferait un plaisir de l’embarquer avec le reste des habitants qu’il conduisait chaque jour pour leur permettre d’aller travailler “à la ville”. « Attendez-moi là, je récupère les clefs de la dépanneuse et je ferme le bureau. » Sifflant à l’attention de Torrence pour qu’il suive et cesse de renifler les pieds nus de la naufragée de la route, le Taylor était allé passer ses mains sous l’eau, avait récupéré le trousseau de clefs dans un tiroir du bureau et fermé celui-ci à clef, non sans y avoir placardé au préalable le panneau “back in five” que chacun savait désormais prendre comme une approximation. Dans cinq minutes ou dans une heure, l’essentiel était de savoir qu’il serait de retour. « C’est bon, on peut y aller. » Passant devant elle pour ouvrir la marche, il s’était immobilisé à son niveau pour faire remarquer « Vous avez du cambouis, là. » en désignant de la main la zone de sa joue, où la trace noire présente dès son arrivée était plus étalée encore que quelques secondes auparavant, et une fois cela fait il avait contourné le hangar jusqu’à l’arrière du garage, où les attendait la dépanneuse. Ouvrant la cabine, il avait aidé Torrence à se hisser le premier pour s’installer fièrement sur la place du milieu, et attendu que Miss-talons-hauts s’assoie côté passager pour prendre à son tour place derrière le volant. « Je vous laisse me dire par où on va. » Espérons que son sens de l’orientation soit plus au point que son tact envers les autochtones.
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| | | | (#)Sam 21 Oct 2023 - 16:20 | |
| Ce n’était pas ainsi que Milena rêvait de découvrir l’Australie, le pays dans lequel elle s’était installée il y a seulement quelques semaines : à pied, après être tombée en panne au beau milieu de nulle part. Ce n’était pas non plus ainsi que la jeune femme rêvait de faire des rencontres, alors qu’elle ne pouvait ignorer le ton moqueur de son interlocuteur à qui elle venait d’indiquer l’endroit vers où elle avait dû laisser sa voiture. « Entre ici et Sydney, donc. » Son regard noisette s’était fait scrutateur alors qu’elle avait répondu en arborant le même sourire narquois que l’homme en face d’elle. « Hooo, Sydney ! Ca doit être pour ça que j’ai si mal aux pieds … » C’est qu’elle avait du répondant, Milena. Elle en avait d’ailleurs fait son métier, alors qu’elle devait spontanément pouvoir rebondir sur les arguments et les piques adverses et remporter des joutes verbales. Alors ce n’était pas un garagiste d’un trou paumé qui allait la moucher ou la déstabiliser. D’ailleurs, elle poursuit déjà, soulignant l’absence d’âmes qui vivent et se plaignant de la couverture réseau. « Oh, c’est parce qu’il nous faut des volontaires pour pédaler, sans ça le générateur ne se met pas en route et l’antenne relais ne fonctionne pas. Mais les enfants sortent de l’école d’ici une heure, ils pourront s’y remettre, on injecte régulièrement du sang neuf dans le système. » La jeune femme fusilla son interlocuteur du regard, qui se moquait ouvertement d’elle, mais elle ne put empêcher ses lèvres d’esquisser un sourire amusé : il était plus doué qu’il n’y paraissait et savait lui aussi répliquer. En amie des bêtes, Milena s’était laissée distraire par le vieux chien venu réclamer des caresses. Elle avait cependant repris le fil de ses pensées et, tout en le papouillant, avait prévu la suite de la journée, suite à laquelle elle avait eu longuement le temps de réfléchir pendant sa marche jusqu’ici. « Ouais, bonne chance. » Les yeux noisette de la jeune femme quittèrent un instant le chien pour observer son maître, la tête légèrement penchée sur le côté, ne comprenant pas pourquoi elle aurait besoin de chance pour appeler un taxi. Il avait bien un téléphone installé dans le garage, et pourrait le lui prêter, non ? « Les taxis viennent pas jusqu’ici. Mais y’a un car qui fait l’aller-retour deux fois par jour, vous pourrez toujours le prendre demain matin. » La bouche légèrement entrouverte, l’avocate se redressa et dévisagea son interlocuteur, un instant interdite. Sans le vouloir, il avait réussi à la moucher, et elle semblait visiblement perdue. Dans quel monde un taxi n’allait pas jusqu’à un bled paumé, aussi perdu soit-il ? Il suffisait d’en payer le prix, non ? Quant à l’idée de passer la nuit ici, elle la trouvait tout simplement inacceptable. Commençant à faire les cent pas dans le garage, la brunette réfléchissait à toute allure. « Je peux vous emprunter un téléphone ? » Quelques instants plus tard, elle appelait ses deux plus jeunes frères, les seuls membres de sa famille en Australie. Elle voulait qu’ils viennent la chercher, dès maintenant, mais ils étaient partis à un concert à Canberra et ne rentreraient que demain soir. Hilares, ils agacèrent Milena qui les maudit en italien et leur promit de demander aux parents de les déshériter. Après avoir raccrochée, bouillonnant de rage, la jeune femme avait pris deux grandes inspirations avant de se retourner vers le garagiste, un sourire forcé sur les lèvres et un air angélique sur le visage. Là, elle avait quémandé d’une voix douce, prétendant qu’il ne l’avait pas entendu hurler dans une langue étrangère au téléphone -tout en espérant qu’il ne parlait pas italien. « Est-ce qu’il y a des hôtels dans le coin ? » Elle craignait la réponse. Après tout, s’il n’y avait pas de taxi, et seulement un car par jour, l’endroit ne devait pas être très fréquenté par les touristes. Mais la question de la nuit à venir n’était pas la seule que Milena devait régler : il fallait encore récupérer sa voiture, en panne au beau milieu de nulle part, et le garagiste s’éloigna pour fermer son garage avant d’aller récupérer la dépanneuse. « C’est bon, on peut y aller. » Faisant la moue, elle l’avait suivi jusqu’au véhicule après avoir posé ses chaussures devant la porte du bureau. Elle le trouvait plutôt malpoli : elle était là, pieds nus, dans un tailleur de marque qui jurait avec la décoration des lieux, et il ne lui avait même pas proposé de se laver les pieds ou ne lui avait même pas prêté une vieille paire de bottes ou une paire de chaussettes. « Vous avez du cambouis, là. » Rougissant légèrement, Milena avait entrepris de frotter sa joue mais, sans miroir et avec les mains noires, elle n’avait que peu amélioré les choses, ne faisant que diminuer légèrement la tâche. Sans protester, pourtant, alors que tout son être avait envie de hurler sur le garagiste, de réclamer une douche, un taxi et un massage des pieds, elle l’avait suivi et avait grimpé dans la dépanneuse. « Je vous laisse me dire par où on va. » Milena se souvenait le chemin, auquel elle avait été attentive et, pendant qu’elle guidait le garagiste, elle caressait distraitement le chien qui s’était installé entre eux, visiblement habitué à partir en balades. « Comment s’appelle-t-il ? » Elle avait désigné le chien d’un signe de tête, tout en continuant à la gratouiller entre les oreilles, entre deux indications de directions. L’animal l’intéressait, mais elle se fichait ouvertement du nom du garagiste, sans aucun doute, et la réciproque semblait bien vraie. Quelques minutes plus tard, l’avocate désignait sa Chevrolet Camaro bleue, arrêtée sur le bas-côté. Dès que la dépanneuse s’était arrêtée, Milena avait sauté du véhicule pour rejoindre sa voiture, l’observant d’un air triste. « Vous avez une idée du temps qu’il vous faudra pour vous faire livrer une nouvelle courroie de distribution ? » Parce qu’elle savait ce que sa voiture avait, et qu’elle savait que celle-ci allait lui manquer. Décidément, ses premiers temps en Australie ne semblaient guère très plaisants. |
| | | | (#)Jeu 2 Nov 2023 - 15:38 | |
| you got a fast car, I want a ticket to anywhere, maybe we make a deal, maybe together we can get somewhere, any place is better, starting from zero, got nothing to lose, maybe we'll make something. ☆☆L’aspirine faisait effet, comme l’avait fait l’alcool la veille mais pour un résultat bien moins mauvais pour la santé. Encore que, si Abe n’avait pas été pris par le temps et le fait de devoir ouvrir le garage (plus ou moins) à l’heure, il aurait probablement résolu sa gueule de bois d’une autre manière, et opté pour un mélange maison qui avait déjà fait ses preuves, et qui lui faisait autant office de remède aux soirées trop arrosées qu’au casse-dalle de fringale nocturne. Rien qui ne se trouve pas dans les placards d’à peu près tout le monde : la base était plus saine qu’un lendemain de détox, mélange de fruits qu’il avait l’avantage de consommer en quantité sans avoir besoin de se forcer, bien plus que les légumes. Une banane coupée en rondelles, une poire coupée en quartiers, la chair et le jus d’un citron, et une tomate pour le simple fait de rappeler à tout le monde que oui, elle était bel et bien un fruit. De l’eau comme liant, du gingembre pour le shot d’énergie, et enfin la touche finale qui faisait grimacer quiconque n’avait jamais testé la combinaison par lui-même : un gros cornichon, et une cuillère à soupe du vinaigre dans lequel il trempait. Un peu de lait pour la texture, mais rien d’obligatoire, et enfin après deux bonnes minutes au mixeur, de quoi réveiller les morts et rendre des couleurs même aux disciples de Dracula. Mais pris par le temps, il s’en était cette fois-ci tenu à l’aspirine, l’esprit un peu moins vif qu’à l’accoutumée mais la langue pas moins bien pendue, particulièrement lorsqu’on lui donnait du grain à moudre. « Hooo, Sydney ! Ça doit être pour ça que j’ai si mal aux pieds … » Ne s’attendant pas à ce que l’inconnue ait du répondant, il s’était senti pris au dépourvu et avait laissé échapper un rire sans même prendre le temps d’y penser. Soit, elle avait l’air d’une bourge, mais elle avait de la répartie. Elle restait une bourge, cela dit, et du genre à envisager avec un brin de dédain l’endroit dans lequel elle venait de s’échouer, débloquant chez le garagiste une pointe de sarcasme inhérente au fait que, contente ou pas, elle n’avait actuellement pas d’autre choix que de faire avec – le prochain garage était bien trop loin pour qu’elle ne puisse y être à pieds avant la fin de la nuit. Quant à ce qui était de regagner Brisbane ? Il valait mieux pour elle qu’elle n’ait rien d’urgent à y faire … Et à la façon dont elle l’avait dévisagé lorsqu’il avait mentionné le car du lendemain, elle doutait sérieusement de sa bonne foi. « Je peux vous emprunter un téléphone ? » Désignant d’un geste de la main le combiné posé sur son bureau, encombré de paperasse et de factures encore en cours de traitement, il avait prétexté ses mains à laver, des clefs à récupérer et des serrures à verrouiller pour lui laisser le temps de passer son coup de fil, mais sans jamais s’éloigner suffisamment pour ne pas entendre les bribes agacées d’une conversation dans une langue européenne quelconque. Qu’elle ne soit pas d’ici crevait déjà les yeux, mais il n’aurait pas imaginé qu’elle ne soit à ce point pas du coin. « Est-ce qu’il y a des hôtels dans le coin ? » Tentant de retrouver une contenance, elle avait esquissé un sourire crispé, pas de nature à duper qui que ce soit mais pour lequel Abe avait décidé de ne pas faire de commentaire. « Y’a un Bed and Breakfast à cinq minutes d’ici, mais j’espère que vous aimez les chauve-souris. » Il aurait pu jurer la voir légèrement changer de couleur, mais laissant échapper un bref rire il avait ajouté aussitôt « Ça va, je plaisante. Il est tenu par une amie, elle a reçu je sais plus quel prix de l’hospitalité y’a deux ans. On lui passera un coup de fil en revenant si vous voulez, mais elle affiche rarement complet à cette saison. » Les randonnées estivales, le festival du rodéo et les périodes de récoltes automnales amenant généralement de la main d'œuvre supplémentaire étaient passées, et les champs céréaliers se paraient de plantes messicoles en attendant le retour du printemps. Fermant à clef le bureau derrière eux, par habitude plus que par crainte que qui que ce soit n’ait l’idée saugrenue de vous s’y introduire en son absence, il avait ouvert la marche jusqu’à l’arrière du bâtiment pour rejoindre la dépanneuse, dans laquelle il avait aidé son chien à grimper avant même que la naufragée de la route n’y prenne place, pour mieux fermer la marche et attendre ensuite d’elle qu’elle lui indique la route à emprunter. « Comment s’appelle-t-il ? » avait-elle fini par questionner, tout en indiquant d’un signe du menton de quel côté tourner une fois le véhicule engagé sur la route. « Torrence. Il est vieux et un peu dur de la feuille, il lui manque une canine et quelques autres dents, mais c’est un bon compagnon de route. » Le genre qui vous donnait envie d’espérer que les animaux puissent vivre en immortels, quand bien même Abe avait été élevé au milieu de suffisamment d’entre eux pour savoir que leur mort faisait aussi partie de la vie. « Il est un peu caractériel aussi, il a ses têtes … Mais il a l’air de bien vous aimer. » Le bouvier ne l’était pas tant, en réalité, plus depuis qu’il vivait avec Abe et avait pris l’habitude de voir défiler au garage des dizaines d’inconnus, mais le Taylor avait appris à user de cette fausse croyance pour obtenir pour son compagnon des rations de caresses supplémentaires, et il les méritait bien. « C’est celle-ci, votre voiture ? » Plus loin le long de la grande ligne droite qui leur tenait lieu de nationale, la silhouette bleue d’une voiture de sport aux courbes désuètes devenait de plus en plus nette à mesure qu’ils s’en approchaient. Immobilisant la dépanneuse deux ou trois mètres après le véhicule en panne, le garagiste avait sauté au pied de la cabine et laissé le moteur tourner pour que le chien continue de profiter de la climatisation. « Jolie caisse. » Pas le moins du monde raccord avec le type de voiture qu’il s’attendait à remorquer, cela dit. « Vous permettez ? » avait-il finalement demandé, faisant un geste pour désigner les clefs. Qui sait, ce n’était peut-être qu’une histoire de batterie. Tentant de démarrer le véhicule à une ou deux reprises, il avait froncé le nez face au bruit suspect obtenu en seul résultat, et débloqué le mécanisme du capot pour aller y jeter un œil. La Chevrolet semblait relativement entretenue, certaines pièces semblaient encore d’origine quand elles auraient largement pu avoir été remplacées par d’autres compte-tenu du modèle, quant au problème qui les intéressait actuellement, il était relativement facile à identifier. « Vous avez une idée du temps qu’il vous faudra pour vous faire livrer une nouvelle courroie de distribution ? » Se tenant à côté de lui comme une véritable inspectrice des travaux finis, la propriétaire de la voiture lui avait arraché un « Dites, c’est vous le garagiste, ou c’est moi ? » un peu impatient. Elle pouvait aussi remorquer son véhicule elle-même – oh, mais elle n’avait pas de dépanneuse, et lui si. Malgré tout, et il n’était que moyennement emballé à l’idée de devoir l’admettre, elle avait bel et bien touché juste avec son histoire de courroie … Mais plutôt que de lui donner raison, il avait préféré embrayer directement sur la suite, et haussé les épaules après avoir refermé le capot. « Tout dépend, je peux avoir un kit de distribution compatible d’ici demain matin, mais si vous voulez garder les références d’origine peut-être trois ou quatre jours, le temps que je fasse le tour des fournisseurs et que je me fasse livrer. » Autrement dit tout dépendait si elle était pressée ou si elle préférait favoriser le soin apporté à sa voiture – et aux yeux d’Abraham, de ce choix dépendrait aussi le mérite qu’il lui trouverait à conduire ce genre de véhicules.
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| | | | (#)Sam 18 Nov 2023 - 16:47 | |
| Milena n’était ici que depuis quelques semaines et déjà, l’Australie ressemblait à une terre hostile. Son frère aîné et ses parents lui manquaient énormément, les saisons semblaient totalement déréglées, et voilà qu’elle tombait en panne dans un coin perdu, au beau milieu de nulle part. Elle aurait donné cher pour partir d’ici, à payer le double d’une course en taxi qui devait déjà être d’un montant élevé, au regard de la distance restant à parcourir pour rejoindre Brisbane. Pourtant, le garagiste lui indiqua qu’aucun taxi ne s’aventurait par ici et qu’elle devrait attendre le car du lendemain. Estomaquée, elle avait tenté d’appeler ses deux plus jeunes frères, qui s’étaient bien moqués d’elle et avaient botté en touche, préférant de loin s’amuser à leur concert à Canberra. Pestant, l’avocate s’était cependant rapidement fait une raison : elle devrait passer la nuit ici, et espérait au moins qu’il y aurait un hôtel. L’idée de dormir dans sa voiture ne l’enchantait guère. « Y’a un Bed and Breakfast à cinq minutes d’ici, mais j’espère que vous aimez les chauve-sauris. » Milena avait pâli à vue d’œil, commençant à réellement détester ce trou paumé, loin de toute civilisation, sans transport, et sans hôtel digne de ce nom. Heureusement, l’homme qui la charriait avait rapidement capitulé pour rectifier. « Ca va, je plaisante. Il est tenu par une amie, elle a reçu je sais plus quel prix de l’hospitalité y’a deux ans. On lui passera un coup de fil en revenant si vous voulez, mais elle affiche rarement complet à cette saison. » Finalement, la brunette avait fini par esquisser un sourire en hochant la tête : elle préférait largement cette explication, même si cette histoire de prix de l’hospitalité ne la rassurait pas réellement. Dans un tel endroit, si éloigné de la ville, dans lequel la fête de la saucisse devait être l’événement de l’année, elle ne savait pas quel crédit accorder à la récompense vantée par le garagiste. Elle n’avait cependant rien rajouté, se contentant d’accepter l’idée qu’elle n’aurait pas à dormir dans sa voiture, et qu’elle pourrait prendre une douche. Alors, suivant son sauveur, elle était montée dans la dépanneuse et avait commencé à caresser le chien installé entre les deux humains, le gratouillant entre les deux oreilles ou sous le menton, selon l’inclinaison de sa tête. Et l’animal, lui, semblait l’intéresser, contrairement au maître, car elle interrogea ce dernier sur le chien, et uniquement sur le chien. « Torrence. Il est vieux et un peu dur de la feuille, il lui manque une canine et quelques autres dents, mais c’est un bon compagnon de route. » La jeune femme sourit en observant l’animal, continuant de lui gratter la tête. « Il a l’air adorable. J’envisage d’adopter un chien, moi aussi. » Pour tromper la solitude qui ne la lâchait plus depuis son arrivée sur le sol australien. Un chien serait une présence agréable, réconfortante, un ami qui l’accueillerait à son retour du travail, qui la forcerait à aller faire des balades pour découvrir la ville dans laquelle elle avait posé ses valises et les alentours. « Il est un peu caractériel aussi, il a ses têtes … Mais il a l’air de bien vous aimer. » Redoublant ses gratouilles en laissant échapper un petit rire, Milena avait rajouté une couche à l’affirmation du garagiste. « Moi aussi je l’aime bien ! » On pourrait presque entendre le lui, en opposition à son maître, légèrement taciturne, sans aucun doute malpoli et mal élevé, rustre, sauvage et empli d’a priori. Il semblait en tout cas en avoir à l’égard de Milena, qu’il avait sans aucun doute jugé à sa tenue et à sa manière de se tenir, comme venait le confirmer sa question légèrement surprise. « C’est celle-ci, votre voiture ? » Ils étaient finalement arrivés sur les lieux, après un rapide trajet en dépanneuse, bien plus court que la balade forcée que Milena avait dû effectuer pour rejoindre le garage. Et la brunette n’avait pu s’empêcher d’esquisser un sourire en secouant la tête avant de répondre de manière ironique. « Non, c’est dingue, ça doit être votre jour de chance, deux voitures en panne, au même moment, dans votre bled paumé ? A coup sûr, vous venez de faire votre chiffre de l’année ! » Laissant s’échapper un petit rire d’entre ses lèvres, elle avait finalement sauté du véhicule lorsque ce dernier s’était arrêté pour rejoindre sa voiture. « Jolie caisse. Vous permettez ? » Il avait tendu la main pour réclamer les clés, et si Milena avait haussé les sourcils, dubitative, ne comprenant pas réellement pourquoi il voulait vérifier ce qu’elle avait déjà affirmé, elle les lui avait pourtant données sans rien dire. Elle lui avait laissé la possibilité de vérifier par lui-même qu’elle ne s’était pas trompée, puis s’était enquis du délai de livraison pour une nouvelle courroie de distribution. « Dites, c’est vous le garagiste, ou c’est moi ? » Pinçant les lèvres, elle avait tenté de garder sa langue dans sa poche, laissant un instant le silence s’étirer. Mais c’était mal la connaître que de penser que l’avocate pourrait se taire trop longtemps. « C’est une panne tellement évidente, qu’un enfant de cinq ans pourrait s’en rendre compte. Et sachez que je saurais parfaitement réparer ma voiture si j’avais la bonne pièce ! » Après tout, elle faisait bien elle-même l’entretien de sa Camaro la plupart du temps, et elle en prenait bien soin. « Tout dépend, je peux avoir un kit de distribution compatible d’ici demain matin, mais si vous voulez garder les références d’origine peut-être trois ou quatre jours, le temps que je fasse le tour des fournisseurs et que je me fasse livrer. » Laissant échapper un soupire résigné, la brunette avait rapidement cédé, pour le bien de sa voiture qu’elle chérissait. « Les références d’origine. » Elle louerait une voiture pour quelques jours à son retour à Brisbane, puis utiliserait le fameux bus que le garagiste avait mentionné pour revenir ici et récupérer sa voiture quand elle serait prête. Laissant l’homme faire son boulot, elle s’était éloignée de quelques pas quand il avait accroché des câbles à sa voiture et entrepris de la remorquer sur la plateforme arrière de sa dépanneuse. Marchant dans l’herbe sur le bas-côté, son regard avait été attiré par un serpent à quelques pas, et la brunette avait laissé échapper un cri strident avant d’aller se réfugier dans la cabine de la dépanneuse. Quand finalement le garagiste l’avait rejoint, elle avait confié, légèrement secouée. « Je crois bien que votre pays me déteste. » L’Australie semblait clairement lui envoyer un message, entre la panne au milieu de nulle part et la faune agressive. New York et Londres lui manquaient terriblement, et si des photographies d’elle dénudées n’avaient pas été vues par des millions d’habitants, elle y habiterait encore, sans aucun doute. De retour au garage, l’avocate se sentait épuisée, et elle avait donc relancé le local. « Est-ce qu’on pourrait appeler votre amie pour l’hôtel ? Je crois que j’ai vraiment besoin d’une douche et d’une bonne nuit de sommeil. » Elle se rappela cependant immédiatement qu’elle n’avait rien pour la nuit, ni brosse à dents, ni savon, ni tenue de rechange pour demain. « Est-ce qu’il y a une boutique dans le coin pour acheter un nécessaire de toilettes et d’autres vêtements ? » Même Milena savait qu’elle abusait de l’hospitalité de l’homme qui se tenait face à elle, qui était garagiste, et non guide touristique. Il n’avait pas à la renseigner ou à l’aider, mais elle était réellement perdue, et elle avait besoin d’aide. Alors elle espérait vraiment que son côté homme des cavernes n’allait pas le pousser à la rembarrer. |
| | | | (#)Mer 14 Fév 2024 - 13:56 | |
| you got a fast car, I want a ticket to anywhere, maybe we make a deal, maybe together we can get somewhere, any place is better, starting from zero, got nothing to lose, maybe we'll make something. ☆☆Entouré d’animaux à griffes ou à sabots depuis même avant d’avoir fait ses premiers pas, Abe avait pour eux une tendresse particulière et qui jurait (un peu) avec l’impatience qui caractérisait son rapport aux autres êtres humains. Abraham n’était pas un mauvais bougre, c’était même tout l’inverse, mais il n’était connu ni pour sa finesse et son franc-parler pouvait plus souvent que désiré se retourner contre lui – la naufragée de la route échouée au garage n’en était que le dernier exemple en date. Dans ces moments-là, et pour peu que l’on soit un minimum sensible aux animaux (qualité que le Taylor estimait indispensable au fait d’être une bonne personne, rien que ça), Torrence se chargeait généralement de briser la glace et de compenser la rusticité des manières de son maître. Un rôle dans lequel il ne décevait jamais, étant même parvenu à dérider la bourgeoise assise côté passager. « Il a l’air adorable. J’envisage d’adopter un chien, moi aussi. » Tout de suite, l’image de la jeune femme promenant en laisse et juchée sur ses hauts talons un animal qu’il imaginait beaucoup trop gros pour elle avait arraché à Abe un rictus un brin moqueur « Un vrai qui bave et qui laisse des poils sur les vêtements ? Bon courage. » Elle n’était pas au bout de ses peines, si tel était le cas … Mais le moment n’était sans doute pas opportun pour se lancer dans un débat sur les responsabilités et les sacrifices que représentaient le fait d’avoir un animal, chose que nombre de citadins semblaient oublier pourvu que la boule de poils soit mignonne et instagrammable. « Moi aussi je l’aime bien ! » avait en tout cas conclu la jeune femme à propos du bouvier assis à côté d’elle, et tout à son aise d’être parvenu à amadouer une nouvelle personne et de se voir récompensé en caresses. Moins éloignée d’eux qu’il ne l’aurait imaginée, la voiture de sa cliente attendait sagement sur le bord de la route, et s’il s’attendait peut-être à faire un peu plus de kilomètres avant de l’atteindre, il ne s’attendait surtout pas à se retrouver nez-à-nez avec un véhicule de collection – le genre qui, avant la moindre remarque, lui avait fait échapper un léger sifflement admiratif. « Non, c’est dingue, ça doit être votre jour de chance, deux voitures en panne, au même moment, dans votre bled paumé ? À coup sûr, vous venez de faire votre chiffre de l’année ! » Une admiration presque aussitôt remplacée par le brin d’agacement que lui inspirait la donzelle depuis qu’elle avait mis les pieds dans son garage, Abe répondant à la remarque d’un roulement des yeux et d’un « Très drôle. Vraiment très drôle. » désabusé avant de tendre la main pour récupérer les clefs du véhicule. Elle pouvait bien affirmer haut et fort avoir déjà identifié le problème, la vérité c’est qu’elle s’était malgré tout sentie obligée de marcher pieds nus jusqu’à son garage et ne pouvait rien faire de plus sans l’intervention d’un professionnel … Malgré un manque flagrant d’humilité lui laissant penser l’inverse. « C’est une panne tellement évidente, qu’un enfant de cinq ans pourrait s’en rendre compte. Et sachez que je saurais parfaitement réparer ma voiture si j’avais la bonne pièce ! » Refermant le capot d’un geste sec, Abe avait relevé les yeux vers elle « Quel dommage que ce soit mon boulot et pas le vôtre, uh ? » Lui tendant les clefs, n’en ayant plus l’utilité, il avait présenté à la jeune femme les deux options à sa portée, et accueilli d’un hochement de tête le « Les références d’origine. » obtenu en réponse non sans un soupir. Au moins le garagiste pouvait-il lui reconnaître de bichonner correctement son véhicule. « Je vais préparer le remorquage, vous devriez reculer. » Obtempérant sans discuter, presque un miracle compte tenu de ce que semblait être son tempérament, l’inconnue s’était éloignée de quelques mètres tandis que le Taylor retournait à sa dépanneuse et manoeuvrait pour faciliter le chargement de la Chevrolet. De retour sur la terre ferme, il avait continué son affaire et terminait d’installer la chaîne d’arrimage lorsqu’un cri de panique l’avait fait sursauter. Rien de plus grave que Miss Perfection découvrant les joies de la vie à la campagne, cela dit, et terminant tranquillement sa besogne il était remonté dans la cabine une fois prêt à partir, un sourire moqueur sur le visage « Tout va bien par ici ? » D’un ton pincé, sa passagère avait répondu « Je crois bien que votre pays me déteste. » et tournant la clef pour mettre le contact après une caresse machinale à Torrence, Abe n’avait pas pu s’empêcher de rétorquer d’un ton entendu « Peut-être parce que vous ne semblez pas trop l’aimer, vous non plus. » avant d’enclencher la rampe de gyrophares. « Et c’était un Colubridé. C’est inoffensif. » Toutes les espèces ne l’étaient pas, qu’on s’entende, et l’Australie n’avait pas volé sa réputation de pays à la faune menaçante … Mais rien d’étonnant à ce qu’une étrangère s’en tienne à cette si commune vérité universelle. Pour l’heure, ils avaient fait retour au garage dans un silence relatif, et le chien s’élançant hors de l’habitacle avec un brin de précipitation pour aller retrouver sa gamelle d’eau, la Taylor avait laissé sa passagère descendre à son tour puis s’était occupé de libérer la voiture et de la pousser jusqu’à l’intérieur du hangar, avant de retourner garer la dépanneuse à l’arrière. A son retour, l’étrangère était toujours bras ballants au milieu du hangar, passablement irritée, sans doute un brin fatiguée … et toujours pieds nus. Passant devant elle pour aller ouvrir le bureau fermé à clef à leur départ, il avait questionné du même coup « Vous n’avez pas d’autres chaussures que vos talons ? » La réponse pourtant tombait sous le sens : si elle en avait eu d’autres, elles les aurait mises aux pieds. « Attention où vous marchez, c’est pas vraiment un endroit pour se balader pieds nus. » avait-il alors jugé utile de faire remarquer, là encore en la regardant à moitié et l’air de déjà s’affairer à autre chose. « Est-ce qu’on pourrait appeler votre amie pour l’hôtel ? Je crois que j’ai vraiment besoin d’une douche et d’une bonne nuit de sommeil. » Arrivée jusqu’à l’embrasure de la porte, la jeune femme semblait à bout de patience, et relevant enfin le nez du placard dans lequel il fouillait Abraham en avait brandi une paire de converses usées, un peu sales, mais ayant au moins le mérite d’être à semelles plates. « Tenez, à vue de nez vous devriez pouvoir rentrer dedans. Y’a un lavabo dans l’atelier si vous voulez rincer vos pieds avant. » Elle avait même plutôt intérêt à le faire, car aussi usées que soient les chaussures, Birdie n’apprécierait probablement pas qu’elles soient traitées comme des guenilles en son absence – et la blonde était bien la seule suffisamment dans les bonnes grâces d’Abraham pour pouvoir laisser traîner des affaires au garage. « Est-ce qu’il y a une boutique dans le coin pour acheter un nécessaire de toilettes et d’autres vêtements ? » Boutique était probablement un terme un peu fort pour désigner l’épicerie-quincaillerie tenue par le même bonhomme depuis trente-cinq ans, mais se contentant d’hocher la tête le garagiste s’était contenté d’affirmer « Je vais voir ce que je peux faire. » et avait décroché le combiné du téléphone posé sur son bureau, posant sur l’étrangère un regard qui signifiait ni plus ni moins “merci d’attendre dehors”. Lorsqu’ils s’étaient rejoints dans le hangar quelques minutes plus tard, Milena portait aux pieds la paire de baskets prêtée, jurant avec le reste de sa tenue mais ayant au moins le mérite de ne pas servir d’engins de torture à talons. « C’est votre jour de chance, la pension est pratiquement vide : Maddy sera aux petits soins avec vous. » Pas qu’elle ne le soit pas habituellement, mais le moins elle avait de clientèle, le plus de temps elle avait à consacrer à chacun des présents. « Elle m’a dit qu’elle s’occuperait de vous trouver des affaires. » Jetant un coup d'œil à sa montre, le Taylor avait sifflé à l’attention de Torrence, qui s’était empressé d’approcher de sa démarche pataude. « Je vous dépose ? C’est pratiquement mon heure de fermeture, et c’est sur mon chemin. » Sofia était à Kilcoy pour quelques jours, un fait devenu suffisamment rare pour être souligné tant sa nièce semblait s’être faite à la vie citadine – les disputes incessantes de ses parents n’y étaient probablement pas étrangères, elles non plus. Et si les repas de famille étaient sur le podium des occasions dont Abe se passerait volontiers, il était bien trop heureux de passer un peu de temps avec sa nièce pour ne pas en saisir chaque occasion … Et puis, Amos aurait besoin de quelqu’un pour sortir fumer lorsque la diarrhée verbale de son épouse deviendrait insoutenable pour le reste de la tablée. « A moins que vous ne préfériez y aller à pieds … Mais c’est un peu excentré, y’en a pour une bonne demi-heure de marche. » Rien d’insurmontable, c’est vrai, mais sans doute rien d’agréable lorsque l’on avait déjà marché un long moment jusqu’ici, et que l’on portait aux pieds des chaussures probablement pas totalement à sa taille.
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| | | | (#)Ven 8 Mar 2024 - 10:36 | |
| Installée dans la dépanneuse du garagiste du coin, Milena préférait se concentrer sur le chien, affectueux, plutôt que sur le maître, taciturne. D’ailleurs, son impolitesse se fit encore confirmer lorsqu’il émit un rire déplaisant quand la brunette avait indiqué envisager d’adopter un chien. « Un vrai qui bave et qui laisse des poils sur les vêtements ? Bon courage. » Immédiatement, elle lui jeta un regard noir. « Et il aurait même des pattes, vous vous rendez compte ! » Se renfrognant légèrement sur son siège, elle ne put s’empêcher de préciser, comme pour vouloir rassurer le local sur sa capacité à avoir un animal et à bien s’en occuper. « J’ai un grand jardin. Et j’adore me balader. » Milena n’aurait pas dû prêter attention à l’avis d’un homme des cavernes. Mais elle était ainsi. Elle était, en règle générale, préoccupée par l’image qu’elle pouvait renvoyer. Et le garagiste semblait tellement aimer les animaux qu’elle avait eu envie de montrer patte blanche. Après avoir rejoint la voiture et que le mécanicien ait voulu vérifier par lui-même qu’elle était bien en panne -comme si Milena aurait fait un arrêt ici et parcouru tout ce chemin à pied sans une panne- il avait entrepris de tracter le véhicule à l’arrière de sa dépanneuse. Et pendant que l’avocate patientait sur le bas-côté, pieds nus, elle avait fait la connaissance d’un serpent qui lui avait fait pousser un cri et l’avait poussé à se barricader dans la cabine. Cela aurait été trop espéré un peu de compassion de l’homme du coin, sans doute habitué de la faune locale, qui l’avait rejoint en arborant un petit sourire moqueur. « Peut-être parce que vous ne semblez pas trop l’aimer, vous non plus. », avait-il fait remarquer quand Milena avait pointé que l’Australie semblait la détester. Haussant les épaules, elle avait répondu d’une voix triste, son regard noisette perdu sur le paysage. « Peut-être parce que je n’avais pas envie de quitter mon pays. » Ce n’était pas ici, chez elle. Et pourtant, elle avait déjà déménagé à plusieurs reprises, avait connu Londres, New York, San Francisco. Elle n’était pas une sédentaire, et elle savait s’adapter relativement bien au changement. Mais tous ces endroits, elle les avait choisis, soit pour accompagner sa famille, soit pour faire ses études ou trouver un boulot. Ici, ses parents lui manquaient, son frère aîné lui manquait, son cabinet lui manquait. Elle avait été forcée de partir et, pour une fois, semblait avoir bien du mal à s’acclimater. « Et c’était un Colubridé. C’est inoffensif. » Haussant un sourcil, elle avait à nouveau dévisagé l’homme installé au volant. « Ho, parfait ! Alors, le temps d’en apprendre plus sur la faune locale, la prochaine fois, je vérifierai d’abord sur google si j’ai le droit de paniquer ! A condition que j’ai du réseau pour aller sur le net ! » Non, décidément, sa rencontre avec un serpent n’avait pas calmé l’air suffisant et supérieur qu’elle pouvait afficher, et l’avait également rendu légèrement irritable. Le retour au garage s’était fait dans un silence plutôt tendu et, dans le hangar, Milena ne savait visiblement pas où se mettre. Elle n’aimait pas rester inactive, encore moins déranger les gens qui travaillaient, et n’appréciait pas vraiment de se promener pieds nus au milieu des taches d’huile et autres substances non identifiées. « Vous n’avez pas d’autres chaussures que vos talons ? » Se tapant doucement le front avec sa paume, elle avait répliqué, légèrement agacée. « Mais si, bien sûr, j’avais oublié mon sac avec toutes mes affaires de rechange dans le coffre … Quelle cruche ! » Oui, elle était cynique, et devenait de plus en plus agacée par son blocage loin de la civilisation. « Attention où vous marchez, c’est pas vraiment un endroit pour se balader pieds nus. » Hochant la tête en pinçant les lèvres, regrettant presque sa remarquable désagréable d’il y a quelques secondes face à la sollicitude du garagiste -ou s’inquiétait-il simplement d’éviter qu’elle lui colle un procès aux fesses-, elle lui demanda s’il pouvait appeler la propriétaire de l’hôtel du coin afin qu’elle puisse aller se doucher et se reposer. Et si le garagiste n’avait pas semblé lui prêter attention, la tête enfouie dans un placard, il l’avait à nouveau surpris par sa bienveillance en lui tendant une paire de Converses. « Tenez, à vue de nez vous devriez pouvoir rentrer dedans. Y’a un lavabo dans l’atelier si vous voulez rincer vos pieds avant. » Les chaussures étaient sales, très sales, et très usées. Si Milena avait eu le choix, elle n’aurait pas souhaité y introduire ses pieds. Mais voilà, elle n’avait pas d’autre choix que celui de rester pieds nus, et sa plante des pieds semblait déjà avoir suffisamment souffert aujourd’hui de la longue marche et de la saleté ambiante. Alors, attrapant les chaussures du bout des doigts, faisant de son mieux pour réprimer son air légèrement dégoûté, elle avait soufflé un merci au garagiste. Puis, lorsqu’il avait pris son téléphone pour appeler la réceptionniste et voir si elle pouvait avoir une chambre et des affaires de rechange, elle s’était éclipsée vers le lavabo qu’il lui avait indiqué pour aller nettoyer ses pieds avant de céder et d’enfiler les baskets. Les Converses étaient légèrement trop petites mais au moins, ses pieds étaient à l’abris dans les chaussures alors, pour une fois, la brunette ne fit pas la moindre remarque désobligeante. « C’est votre jour de chance, la pension est pratiquement vide : Maddy sera aux petits soins avec vous. Elle m’a dit qu’elle s’occuperait de vous trouver des affaires. » Laissant échapper un soupire de soulagement, un sourire illumina le visage de l’avocate. « Merci. Vraiment. » Elle savait qu’elle pouvait abuser, parfois. Elle savait qu’elle était exigeante, et qu’elle attendait toujours beaucoup des autres. Elle savait également qu’elle avait un côté précieux, et que ses réactions pouvaient être jugées comme froides ou hautaines. Alors, elle était sincèrement reconnaissante envers le garagiste, qui avait fait bien plus que son travail, et à la tenancière de l’hôtel, qui allait visiblement prendre le relais. « Je vous dépose ? C’est pratiquement mon heure de fermeture, et c’est sur mon chemin. A moins que vous ne préfériez y aller à pieds … Mais c’est un peu excentré, y’en a pour une bonne demi-heure de marche. » Secouant la tête en souriant, la jeune femme avait accepté la proposition généreuse. « Je veux bien que vous me déposiez, merci. Je vais juste récupérer mon sac. » Elle était retournée à sa voiture pour prendre ses affaires avant de s’installer dans le véhicule du garagiste, côté passager. Pendant le trajet, elle avait sorti un petit calepin de son sac, en avait arraché une feuille et avait noté son numéro. « Vous m’appellerez, quand ma voiture sera réparée ? » Et quand ils étaient finalement arrivés devant l’hôtel, la main sur la poignée de la portière, elle s’était ravisée au dernier moment. « Merci de m’avoir aidé. Pour la voiture et le reste. » Avec un sourire reconnaissant, elle était descendue du véhicule en ajoutant. « Au fait, je m’appelle Milena. Milena Grimes. » Quelques jours plus tard, le garagiste avait appelé l’avocate pour lui indiquer avoir reçu la pièce. Puis il lui avait à nouveau téléphoné pour préciser que les réparations étaient terminées. Il avait ensuite étonné la jeune femme en lui proposant de la véhiculer de Brisbane, où il se trouverait prochainement, jusqu’à Kilcoy. C’est ainsi qu’un vendredi, en fin d’après-midi, elle guettait l’arrivée de l’australien devant l’immeuble dans lequel était situé son cabinet. Elle avait troqué sa tenue habituelle contre quelque chose de plus détendu, un jean bleu clair, des baskets blanches et une chemise blanche décontractée : un net contraste avec le jour de leur rencontre, même si l’on pouvait encore remarquer un côté précieux et classique. Lorsque le garagiste s’arrêta le long du trottoir, elle grimpa dans le véhicule et balança sur la banquette arrière un sac de sport. Elle avait cette fois-ci prévu des affaires de rechange, pour le cas où une nouvelle panne lui devait lui arriver sur la route, au beau milieu de nulle part. Avec un sourire reconnaissant, elle salua son chauffeur du jour. « Bonjour ! C’est vraiment gentil de proposer de m’emmener. » Avec un air malicieux, elle dévisagea le conducteur puis ajouta. « Ca devrait être tout de même plus sympa que le bus, enfin j’espère. » Se retenant de rire, elle questionna. « Vous écoutez quoi, comme musique ? » |
| | | | (#)Mar 19 Mar 2024 - 5:43 | |
| you got a fast car, I want a ticket to anywhere, maybe we make a deal, maybe together we can get somewhere, any place is better, starting from zero, got nothing to lose, maybe we'll make something. ☆☆ « Peut-être parce que je n’avais pas envie de quitter mon pays. »Qu’elle le veuille ou non, la remarque attisait la curiosité plus qu’elle ne fermait la conversation, et il avait fallu à Abraham des trésors de volonté pour se différencier de sa mère et de son goût insatiable pour les ragots, et pour s’empêcher de creuser plus loin la question. Au bout du compte, l’envie de ne pas ressembler à Maggie Taylor pesait plus lourd dans la balance que le besoin momentané d’assouvir sa curiosité, et cela en disait probablement plus long qu’Abe lui-même ne le pensait. Pour l’heure, il s’était contenté de minimiser la prétendue agressivité de la faune et de la flore locale, souffrant selon lui bien plus des légendes bâties à l’étranger et des réactions épidermiques des non-initiés qu’elle ne le méritait, en tenant pour preuve ce pauvre serpent inoffensif ayant pourtant déclenché les cris horrifiés de sa passagère. « Ho, parfait ! Alors, le temps d’en apprendre plus sur la faune locale, la prochaine fois, je vérifierai d’abord sur google si j’ai le droit de paniquer ! A condition que j’ai du réseau pour aller sur le net ! » Elle aurait pu se contenter de le remercier de l’information, lui dire qu’elle ne tomberait pas dans l’oreille d’une sourde et lui serait au moins utile la fois prochaine, mais puisqu’elle avait décidé d’être à nouveau médisante Abraham s’était contenté de rouler ostensiblement des yeux en guise de réponse, et avait donné une caresse machinale à Torrence avant de remettre la dépanneuse en route. Le trajet du retour s’était effectué dans le silence relatif du moteur et des suspensions, le véhicule désormais alourdi par le second chargé sur son dos, et lorsqu’enfin ils avaient atteint le garage Abraham s’était occupé de décharger la Chevrolet avant de regagner l’intérieur où l’attendait sa cliente. L’amabilité déjà relative sans doute mise à mal par la fatigue et la contrariété d’être coincée dans ce “trou perdu” au moins jusqu’au lendemain, la jeune femme avait accueilli avec un certain cynisme la question du garagiste concernant ses pieds nus, et malgré un « Mais si, bien sûr, j’avais oublié mon sac avec toutes mes affaires de rechange dans le coffre … Quelle cruche ! » qui aurait pu le convaincre de simplement la laisser se débrouiller et prier pour ne pas marcher sur un clou, quoi que certain qu’elle trouverait bien une occasion de lui coller cet énième désagrément sur le dos, il avait déterré d’un placard une vieille paire de converses généralement chaussées par Birdie lorsqu’elle venait traîner au garage, et qui ferait amplement l’affaire. Une chance pour elle, et bien qu’Abe n’en ait pas réellement douté, le Bed and Breakfast installé en ville avait encore largement la place d’accueillir la naufragée de la route pour la nuit, et peut-être parce que soulagée l’étrangère s’était un peu déridée. « Merci. Vraiment. » À la bonne heure. L’histoire aurait pu s’arrêter là, ses prérogatives de garagistes déjà largement dépassées, mais malgré lui incapable d’aller contre la serviabilité inculquée par ses parents depuis l’enfance, il s’était entendu proposer de la déposer au passage, et s’était surtout retrouvé surpris de la voir accepter sans une seconde d’hésitation « Je veux bien que vous me déposiez, merci. Je vais juste récupérer mon sac. » La voiture, quant à elle, attendrait sagement de retrouver sa propriétaire une fois remise en état, et à ce sujet la jeune femme avait d’ailleurs repris durant le – court – trajet jusqu’à la pension : « Vous m’appellerez, quand ma voiture sera réparée ? » Acquiesçant, Abe avait glissé le papier griffonné du numéro de l’étrangère dans le pare-soleil de son pick-up « Je vous laisserai chercher le mien sur Google, y’a qu’un seul garage à Kilcoy, vous pourrez pas le louper. » Pour un peu, il aurait ajouté une remarque sur le fait qu’elle devrait d’abord retrouver du réseau, mais c’eut été jeter à nouveau de l’huile sur le feu de façon un peu inutile. « Merci de m’avoir aidé. Pour la voiture et le reste. » avait finalement repris la jeune femme, lorsqu’arrivé à destination Abe avait arrêté le véhicule devant une petite maison à la façade colorée. « Au fait, je m’appelle Milena. Milena Grimes. »« Abraham Taylor. Mais tout le monde m’appelle Abe. »***Comme annoncé au moment du diagnostic de la panne, le garagiste avait été capable de remettre en état la Chevrolet en l’espace de quatre jours, et le hasard voulant qu’il ait des choses à faire “à la ville” le cinquième, il avait proposé à Milena non pas simplement de passer récupérer son véhicule lorsqu’elle le pourrait, mais de la récupérer sur le chemin du retour. C’était une journée d’hiver comme les aimait Abe, ensoleillée et dénuée de l’humidité estivale irrespirable, et aux températures suffisamment clémentes pour que sa veste en jean lui suffise à ne pas avoir froid. Avant de rejoindre Spring Hill, où sa cliente lui avait donné rendez-vous, le garagiste avait partagé un café avec sa nièce et l’avait trouvée fatiguée, assez pour lui faire promettre de dormir suffisamment, et de ne pas attendre Noël pour revenir respirer l’air de Kilcoy. Aurait-il su qu’elle ne serait plus là au Noël suivant, il aurait probablement insisté, et culpabiliserait suffisamment longtemps à ce sujet, mais à l’époque il n’avait pas su voir entre les lignes et avait seulement serré l’étudiante dans ses bras avant que leurs chemins ne se séparent. La radio crachotant des tubes de son adolescence tandis qu’il remontait Wickham Terrace, il avait ralenti en constatant sur le GPS – déjà ignoré une première fois – que le prochain croisement était le dernier, et alors que le navigateur s’apprêtait à lui signaler son arrivée à destination le garagiste lui avait coupé la chique en apercevant la silhouette de Milena quelques dizaines de mètres plus loin. Accueillant son « Bonjour ! C’est vraiment gentil de proposer de m’emmener. » par un « Aucun souci, j’étais déjà en ville, ça aurait été bête de ne pas profiter. » tranquille tandis qu’elle s’installait sur le siège passager, il n’avait pas su s’empêcher de détailler sa tenue pendant une seconde, presque surpris de la voir vêtue moins formellement, et lui trouvant une allure moins snob qu’il avait néanmoins su garder pour lui. « Ça devrait être tout de même plus sympa que le bus, enfin j’espère. » n’avait-elle d’ailleurs pas tardé à ajouter, terminant de convaincre le garagiste qu’il avait bien fait de ne pas s’autoriser un commentaire sur sa tenue, au risque de lui faire aussitôt regretter sa remarque. « Faudra vous contenter de moi cette fois-ci, Torrence est trop vieux pour les longs trajets. » Il n’aurait de toute façon pas su quoi faire de la pauvre bête durant son rendez-vous à la banque, et l’agitation du quartier dans lequel Sofia et lui avaient pris un café lui aurait sans doute fait plus de mal que de bien. Quittant le bout de trottoir contre lequel il s’était arrêté, Abe avait repris la route en laissant bourdonner à un volume inaudible la musique s’échappant de la radio, mais le « Vous écoutez quoi, comme musique ? » donnant presque l’impression qu’il n’attendait qu’une autorisation tacite pour monter à nouveau le volume, il s’était empressé de le faire au moment où la Macarena de Los des Mar était remplacée par California Love de 2Pac. « De la musique de vieux, si j’en crois ma nièce. » Reste qu’hormis les gueules de bois un peu plus difficiles à assumer les lendemains de cuite, Abe n’avait pas tant le sentiment d’avoir vieilli – il remerciait le fait d’avoir deux frères aînés pour l’aider à continuer de se sentir jeune, en comparaison de leurs vies rangées et monotones, avec femmes et enfants. « Vous travaillez dans le quartier ? Je crois que je vous ai même pas demandé ce que vous faisiez dans la vie. » Il l’imaginait travailler dans un bureau, l’un de ces métiers clichés que l’on exerçait en talons hauts et jupe crayon, comme banquière ou “travaillant dans la publicité” peu importe ce que cela voulait dire. Un métier à des années lumières de celui de garagiste d’une bourgade perdue en pleine campagne, en somme. « Ah, là on va voir si vous connaissez vos classiques ! » La voiture à peine engagée sur le freeway permettant de quitter la ville par le Nord, 2Pac avait cédé sa place aux Backstreet Boys et leur I want it that way, et Abe avait augmenté le volume de la radio. « You are – allez soyez pas timides – my fire, the one – je le vois que vous avez envie de chanter – desire, yes I know, it’s too late … » Elle n’avait pas enfilé un jean pour ne pas sauter sur l’occasion de se lâcher un peu, pas vrai ? A moins qu’elle ne soit précisément en train de se dire qu’un trajet en bus aurait mieux valu, en fin de compte. Avec le recul, les choses n'avaient pas si mal tourné par la suite.
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| | | | | | | | (times #01) you got a fast car |
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